Suite au traditionnel défilé du 1er mai, Macron a déclaré, depuis l’Australie : « Tout sera fait pour que les auteurs [des « violences »] soient identifiés et tenus responsables de leurs actes », tandis que Wauquiez, fraîchement intronisé chef de la droite, brâmait son « soutien total à nos forces de l’ordre qui font face à ces voyous ».
En pleine commémoration du cinquantenaire de Mai 68, ils se sont placés dans le droit-fil d’un Peyrefitte – alors ministre de l’éducation – qui désignait les manifestants de l’époque comme « des agitateurs organisés, qui connaissent parfaitement les techniques de la guérilla urbaine ».
Un vrai saccage, ce 1er Mai, à ce qu’il paraît ! … en tout cas, quelques images d’un McDonald’s en flamme ont tourné en boucle, tous les politiques se sont étranglés d’horreur devant « la violence des manifestants » et leurs petits potes présentateurs les ont aidés à faire monter la sauce. Avec cette condamnation unanime, on a bien vu que les discours des commémorateurs de 68 sonnaient creux… mais le bourrage de crâne continue sur le thème : « le public qui aurait échappé au déferlement des hordes de casseurs sans traumatisme majeur a finalement été pris en otage par ces nantis de grévistes de la SNCF ! »

Pendant qu’on brandit ces épouvantails, une autre violence est partout : la violence économique. Quotidienne, subie ou acceptée car vue comme indépassable. Au moment même où on veut faire passer les salariés qui défendent leur outil de travail pour des privilégiés, Bernard Arnault – le champion du capitalisme français – devient la quatrième fortune mondiale ; en un an, sa fortune personnelle est passée de 50 à 80 milliards d’euros. La crise, on la vit pas tous de la même façon…
Comme promis, la violente répression policière du conflit social a alimenté la machine judiciaire ; en comparution immédiate ou pas, celle-ci a fait pleuvoir des peines pour la simple participation à un attroupement « en vue de commettre des violences ». Inexorablement, la prison joue son rôle de punition et d’exclusion, et remplit sa fonction de repoussoir : punition pour des délits qui étaient hier encore tout juste passibles d’amendes, exclusion pour celles et ceux qu’on condamne d’un coup de manche bordée d’hermine à des peines d’élimination sociale, et repoussoir pour tous ceux qui se soumettent à l’ordre établi de peur de se retrouver enfermés.

A chaque publication des chiffres officiels du nombre des prisonniers, l’Administration pénitentiaire bat son propre record. Le 1ermai 2018, il y avait 70 633 personnes écrouées et enfermées, et 12 030 enfermées à la maison ou en foyer (statistique mensuelle des personnes écrouées et détenues en France, direction de l’AP, Justice.gouv.fr). Quelque part entre le nombre d’exilés morts en Méditerranée et le nombre de français survivant sous le seuil de pauvreté dans la Start-up Nation, la « surpopulation carcérale » finit par ne plus être qu’un chiffre de plus, qui ne dit plus rien à personne. Alors comme le demandait Michel Foucault, mais aussi Hafed Benotman et des dizaines d’autres prisonniers dans nos colonnes, ne parlons plus de « surpopulation carcérale », mais bien de surenfermement de la population, car on le sait bien, à l’intérieur : la prison, c’est le mitard de la société !
Eh oui : derrière les barreaux, on retrouve exactement la même menace permanente d’un enfermement – mais un enfermement DANS l’enfermement, cette fois-ci. La prison isole de la société, puis le mitard isole des autres prisonniers. Le quartier disciplinaire (QD), bien nommé mitard, cachot, frigidaire, joue le même rôle que la prison dans le monde « libre »… Quand on tente de s’évader, on commence par aller au mitard ; quand on est pris avec un joint, on va au mitard ; quand on s’oppose à l’arbitraire quotidien des matons, on va au mitard ; quand on refuse de se soumettre à des règles absurdes, on va au mitard… En clair, quand on essaie de rester vivant et debout en prison, on est certain de connaître le mitard. Combien sont-ils, combien sont-elles à cet instant, enterré.e.s vivant.e.s en cellule disciplinaire ?
Enfermé.e.s dans un monde hors du monde, un espace sans espace, une vie sans vie, sans lumière et sans ombre ? Impossible de répondre à cette question.

Une chose est sûre : les mitards sont indispensables à l’administration pénitentiaire. Ce foutu système carcéral ne tiendrait pas sans la menace constante du cachot ! C’est à cause d’elle que des centaines de prisonnières et de prisonniers acceptent d’obéir. Comme les quartiers d’isolement, le mitard est le lieu où l’on casse par la violence sadique la moindre contestation des règlements – toujours arbitraires – des prisons, au risque de rendre fou et folles ceux qu’on jette dans ces tombeaux de béton.
Récemment encore, quand un prisonnier était envoyé au mitard, d’autres s’y faisaient envoyer volontairement pour briser sa solitude, et aussi pour désamorcer la menace : quand les mitards sont pleins, ils ne servent plus à rien pour la pénitentiaire… mais ça demande une solidarité qui n’est pas toujours au rendez-vous.

Comment supporter de se retrouver dans une cellule de 2 mètres sur 3 en moyenne, avec un lit en béton, une table en béton et des toilettes à la turque ? La surface de déambulation y est de 4,15 m2 en moyenne – inférieure aux normes réglementaires pour les chenils (5 m2, arrêté du 25 octobre 1982). La luminosité y est de 7 à 30 lux, alors qu’il en faut 300 pour lire un livre ou une lettre. La cellule est sale et puante car les outils de ménage y sont interdits. Le prisonnier y reste enfermé 23 heures sur 24. Il a droit à une heure de « promenade » dans une toute petite cour grillagée. Le prisonnier ou la prisonnière conserve la même tenue vestimentaire pendant tout son séjour au mitard. Une à deux douches par semaine. La nourriture est servie dans un récipient qui ressemble plutôt à un pot de chambre ou à la gamelle d’un chien. Une ou deux couvertures, selon la saison, un rouleau de papier, une brosse à dents, du dentifrice, un morceau de savon et un verre en plastique. L’hiver, le froid est glacial ; l’été, la chaleur est étouffante ; les cachots, souvent sans fenêtre. Quand il y en a, elles sont tellement sales qu’entrevoir le bleu du ciel tient du miracle. Comme l’écrivait déjà Me Eolas il y a quelques années, « un particulier qui logerait quelqu’un dans ces conditions encourrait [cinq années] d’emprisonnement [les peines initiales de deux ans ont été portées à cinq par la loi sur la sécurité intérieure du précédent ministre de l’Intérieur]. Mais l’Etat est pénalement irresponsable, alors il peut se le permettre. »

Le mitard est conçu pour détruire physiquement et mentalement, et il est bien difficile de résister à cette « torture blanche ». Lorsque la solitude est intenable, le suicide devient parfois une obsession, comme un ultime pied de nez à l’administration pénitentiaire. On appelle cela « des suicides » ; pourtant c’est la prison qui les tue. Un prisonnier, une prisonnière placée vivante dans un cachot par l’administration pénitentiaire se trouve sous sa responsabilité ; elle doit en ressortir vivante. Et puis, il y a toutes les fois où ce n’est pas le prisonnier qui se passe le noeud coulant autour du cou, mais bien des fonctionnaires qui portent le badge de l’AP. Le mitard est par excellence la partie de la détention où les matons peuvent agir à leur guise… On ne sait jamais ce qui s’est réellement passé, même quand les familles et les proches sont certaines que leur enfant, leur conjoint, leur ami n’a pas pu se suicider, même quand on retrouve des traces de coups inexpliqués. L’opacité qui entoure l’horreur de ce qui se passe dans les quartiers disciplinaires est entretenue par tous ceux qui y interviennent : médecins comme gardiens.

Parfois, ces « suicides douteux », ces « morts suspectes » mettent le feu aux poudres parce que les prisonniers savent la vérité et veulent la faire entendre ; ils font plus que soupçonner, ils accusent.

Il n’y a pas de mort volontaire au mitard.

Nous avons choisi de consacrer ce numéro aux événements qui se sont déroulés à la maison d’arrêt de Seysses à partir du mois d’avril 2018, suite à la mort d’un prisonnier au mitard. S’il n’est vraiment pas rare d’apprendre la mort d’une prisonnière ou d’un prisonnier dans ces cachots, ce n’est pas très fréquent qu’il y ait une réaction collective de prisonniers qui refusent d’accepter que l’on ait tué l’un des leurs. Depuis le mois d’avril dernier, des prisonniers de Seysses prennent la parole collectivement, malgré les périls auxquels ils s’exposent, malgré les jours de mitard, les suppressions de remise de peine, les transferts. Ce n’est pas à prendre à la légère ! Parce qu’ils savent combien l’existence même des prisons repose sur celle du mitard, sa suppression est une exigence historique des mouvements de prisonniers :

A BAS TOUS LES MITARDS

Vous pouvez vous abonnez ou abonner des prisonniers en nous écrivant à l’Envolée, 43 rue de Stalingrad, 93100, Montreuil. L’abonnement de soutien est à 15 euros par an (ou plus en fonction des bourses ; chèque à l’ordre de l’Envolée). En vous abonnant dehors, vous nous permettez d’abonner plus de prisonniers et de prisonnières à l’intérieur puisque l’abonnement est gratuit pour toutes les personnes enfermées.

Le journal est par ailleurs disponible au prix de 2 euros dans de nombreuses librairies en France et en Belgique. Nous remercions d’avance ceux et celles qui nous communiqueront d’autres lieux (librairies, infoshops, bars, magasins, accueils familles) pour déposer le journal.

N’hésitez pas à nous demander le journal en plusieurs exemplaires si vous voulez, vous aussi, le distribuer dans votre région  : contact@lenvolee.net

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