En six années de détention, Franck Steiger a été incarcéré dans différents établissements pénitentiaires. Depuis sa sortie en décembre 2013, il s’obstine à dénoncer les mauvais traitements et les violences que lui et d’autres prisonniers ont subi, notamment au centre pénitentiaire (CP) d’Annoellin. Il raconte également les méthodes de pression dont l’administration pénitentiaire (AP) use sur les détenus récalcitrants ou trop vindicatifs. Franck s’est lancé dans un combat juridique et a décidé de porter plainte contre l’AP. Conscient que l’union fait la force et qu’une plainte individuelle ne pèsera pas lourd face à la machine pénitentiaire, il souhaite que d’autres détenus se joignent à lui et lance un appel à l’antenne de l’émission Papillon.

« Je m’appelle Franck Steiger, je suis sorti le 31 décembre 2013. J’ai fait six ans en tout sur une peine de six ans et sept mois dans différents types d’établissement : vieille maison d’arrêt (MA), centre de détention «  normal  » et nouveaux centres pénitentiaires (CP) -nouveau modèle, à la Sarkozy. Dans ces nouveaux CP, malgré tous les dispositifs mis en place pour éviter les problèmes de violence, que ce soit entre détenus, détenus contre surveillants ou surveillants sur détenus, en fait, quand c’est un détenu qui se tape avec un autre on s’en sert, quand c’est un détenu qui agresse un surveillant on s’en sert, mais quand c’est un surveillant qui agresse un détenu, eh ben y a rien. On couvre tout. J’ai été dans beaucoup de prisons, puisqu’à chaque fois j’avais des transferts disciplinaires…

J’ai commencé par Meaux en 2008, où je suis resté neuf mois. Pour une histoire de cellule, on m’a transféré : ils voulaient me doubler la cellule et ça s’est mal passé. J’ai atterri à Châlons-en-Champagne, vers chez moi. Alors là, laisse tomber la vétusté, j’ai vu cinq suicides en neuf mois… le truc typique des vieilles maisons d’arrêt. Après ils m’ont transféré au centre de détention (CD) de Villenauxe-la-Grande ; là-bas ça s’est fini en émeute : j’ai participé à une émeute et j’ai repris une peine de prison. Ensuite ils m’ont mis à Toul. Bon, au niveau de l’établissement, ça allait à peu près, mais comme partout, il y a des équipes de surveillants un peu bizarres, souvent syndiqués FO – c’est marrant d’ailleurs, ça commence par un F et ça finit par un O, comme facho- et qui font les malins, qui provoquent les gens comme partout… et c’est les premiers à se plaindre qu’ils se font violenter par les détenus, d’ailleurs.
Ensuite, ils m’ont mis à Laon pour me rapprocher un peu, parce qu’à Toul j’avais commencé à les attaquer avec le stylo : je leur jetais plus des pierres, mais du coup ça leur a pas plu, et pour me calmer ils m’ont rapproché un peu. Mais du jour au lendemain, après cinq mois à Laon, ils me transfèrent à Lille parce que j’étais soi-disant le meneur d’un blocage.

-Justement, tu peux raconter ton transfert à Annœullin ?
-Il y a eu un petit blocage de dix détenus dans mon aile. Moi j’étais dedans sans y être, puisqu’à la base, j’attendais dans la cuisine commune que mon gratin cuise au four -mais le four avait disjoncté, donc j’attendais pour rien. Il y avait des détenus à la douche qui ne voulaient pas réintégrer [leurs cellules] parce qu’ils avaient coupé l’eau à cause des travaux. Comme les douches étaient dans l’aile et pas dans les cellules, les mecs gueulaient pour avoir leurs douches. Résultat, au début je leur disais: «  Ça sert à rien, c’est bon, rentrez en cellule, on prendra la douche demain matin et puis voilà. » Et puis comme ils sont tous arrivés, le chef de détention et toute la clique, et que ça n’avançait pas, à un moment donné j’ai dit au chef de détention : « bon, écoutez, il y a ça qui va pas, ça qui va pas, ça qui va pas », t’as vu. Et bon, vu ma réputation de meneur, ils se sont servis de ça comme excuse pour me transférer. Donc un mois plus tard je suis transféré du jour au lendemain sans être passé par la case prétoire…

Je me retrouve à Annœullin, retour dans les établissements flambant neufs. Au début, je trouvais bizarre qu’ils me donnent tout, c’est-à-dire un boulot, une formation en même temps, des perms, des remises de peine supplémentaires (RPS), tout. Donc je me suis dit : voilà, c’est parce que je fais des efforts, ils me donnent une chance, je sais pas! Mais progressivement, je m’aperçois que c’est pour acheter mon silence sur la manière qu’ils ont de gérer les détenus dans ce genre d’établissement, et en particulier à Annœullin.

– Parce que t’avais le profil d’un prisonnier qui ouvre sa gueule et soutient les autres, ils t’ont lâché des trucs pour t’avoir dans leur poche ?
– Voilà, mais moi j’aime bien la franchise : je préfère qu’on me le dise en face. Je pensais que c’était parce que je faisais des efforts en détention, mais quand j’ai commencé à aller voir le chef de bâtiment pour lui expliquer que certains surveillants allaient un peu trop loin, pour qu’on règle ça d’abord avec la parole, je me suis aperçu progressivement que personne voulait rien savoir, donc j’ai été obligé de mettre ça par écrit et de faire venir le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Je suis arrivé à Annœullin le 31 mai 2012. En fait j’ai été transféré à la place de Malin Mendy, et lui a été transféré à Laon à ma place. A la même période il y a eu pas mal d’embrouilles, reprises dans l’Envolée.  A Annœullin il y avait pas mal de mecs qui utilisaient leur stylo ; le problème c’est que ces gens-là, à un moment donné, ils les ont tous séparés. Ils divisent pour mieux régner.

– Comment ça se passe, les régimes différenciés, dans ces nouvelles prisons ?
– Moi ils m’ont mis directement en régime porte fermée comme tous les arrivants. Alors le problème, c’est que soit tu dis rien, tu fais rien, et tu y restes pendant X temps, tu sais pas combien ; soit t’ouvres un peu ta gueule, tu joues le chaud dans le bureau du chef, et ils peuvent céder et te faire monter en régime semi-ouvert. En fait, quand je suis arrivé ça a changé : juste après, t’avais un étage fermé, un semi-ouvert et un troisième qu’ils appelaient « régime de confiance ». Ensuite ils ont fait seulement un régime semi-ouvert et ouvert, comme ça devrait être en théorie dans un CD. Ils se sont rendus compte que les mecs pétaient un câble en régime fermé et qu’ils voulaient tous se tirer -parce qu’attention, en régime fermé, pour faire un pas, il faut limite demander la permission. Quand on voit que les surveillants en régime fermé sont même pas capables d’ouvrir les cellules des gars pour qu’ils aillent travailler… Tu vois, ils étaient deux surveillants par étage, et ils étaient même pas capables de faire leur travail, enfin ils mettaient de la mauvaise volonté à faire leur travail. A Annœullin, c’est « cool Raoul », pour les surveillants.

– A ton arrivée à Annœullin, t’es plutôt bien vu par l’AP, mais les rapports dégénèrent vite, et un jour tu décides de te mettre « en grève » : tu refuses de servir le repas…
– Ça a commencé par une embrouille à la salle de cuisine où on peut se préparer notre repas -comme ça s’est passé avec Mendy. Il y avait plus rien dans cette cuisine, fallait que chacun ramène sa plaque, et il y a deux détenus qui se préparaient leur gamelles, et à cinq heures et demi – vu qu’en régime fermé, à cinq heures et demi c’est en pyjama et au lit!- ils devaient réintégrer. Mais comme ils avaient pas eu le temps de se préparer leur repas, c’est parti en embrouille. Donc ce soir-là, déjà, quand je distribuais le repas, il y a le chef qui est venu avec des gradés. J’ai failli en taper deux, parce qu’il y en a un qui a commencé à me saisir le bras: j’ai dégagé mon bras et j’ai levé le poing -pourtant je l’ai bien levé en hauteur pour que la caméra le voie bien, que ça les autorise à faire une intervention, mais ils ont pas voulu. Le lendemain, le chef me l’a dit: « Si on avait voulu, on te mettait au cachot », et là il ajoute « On va pas te couvrir longtemps comme ça ! » C’est là que je me suis dit qu’il y avait un problème. Je suis allé voir la directrice   Mme S. pour l’article 24, qui est une procédure de déclassement ; ils m’avaient mis un avertissement, donc j’ai voulu aller en débat contradictoire avec Mme S. Je lui explique les problèmes avec les surveillants, qu’ils ne font pas leur boulot et qu’ils ont tendance à être violents avec les détenus, etc. ; elle me répond que l’article 24, l’avertissement ne figurera pas dans mon dossier et que la juge d’application des peines (JAP) ne le verra pas. Donc là encore je me dis, il y a un problème, c’est dingue !
– En gros, elle te propose d’acheter ton silence ?
– Ouais -en plus, quand ça a commencé à dégénérer, elle me disait souvent: « Jouez le jeu, vous êtes bientôt au bout, vous êtes bientôt sorti ! » C’est-à-dire qu’en fait, eux, d’après ce que j’avais compris, ils avaient prévu de me faire sortir en aménagement de peine pour le peu qui me restait ; mais si je sors en aménagement de peine, si on me donne des perms et qu’en face de moi je vois des surveillants qui mettent des coups de poing dans la gueule aux détenus -parce que c’est ça que j’ai vu, moi- c’est hors de question.Par exemple,  à un moment donné, il y a des détenus qui avaient des difficultés en français qui sont quand même venus me voir -parce qu’au début, ils pensaient limite que je faisais partie de l’administration : j’avais ma place d’auxi, ça se passait à peu près bien, donc on pouvait penser que j’étais « acheté », en gros, mais quand ils ont vu que je me bougeais pour eux ils sont venus et ils m’ont déballé les dossiers, les agressions qu’ils ont subies -par deux surveillants en particulier. Moi j’ai mis tout ça par écrit, et comme on n’a pas accès aux photocopieuses – ce qui devrait être normal, pour envoyer des documents confidentiels à votre avocat, par exemple – il fallait passer par le greffe, la comptabilité ou le SPIP pour faire des photocopies. Automatiquement, la confidentialité n’est pas respectée. C’est ce qui s’est passé avec ces dépositions de détenus, et quelques jours après, les deux surveillants incriminés ont commencé à venir me chercher des poux dans la tête. C’est pour ça que j’ai refusé de servir le repas, ce qui m’a valu mon 2e compte rendu d’incident (CRI). Par rapport au fait qu’ils m’ont menacé, je voulais faire intervenir le premier surveillant pour qu’il y ait un témoin. Un des deux surveillants, que j’appelle le Blond, me dit : « T’as de la chance qu’il y ait des caméras ! » Alors je lui dis : « Ben viens, rentre dans ma cellule, y a pas de caméra ! » Là, il me ferme la porte, donc j’étais bloqué. Il revient au moment du repas et il me dit : « Sors distribuer le repas. » Moi je dis non, que je veux voir le premier surveillant, que je refuse. Je voulais qu’ils me fassent un CRI -parce qu’en fait, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on est souvent obligé de passer par la case prétoire pour soulever les problèmes qu’on a en détention. Que ce soit notifié noir sur blanc sur des papiers administratifs, comme ça au moins ça peut permettre d’entamer des poursuites par la suite. En gros, on se met des bâtons dans les roues nous-mêmes, mais si on veut obtenir nos droits on est obligé de faire comme ça. Alors j’ai poussé cette logique encore plus loin : j’allais au prétoire pour soulever des trucs plus importants. Il faut pas oublier que quand tu passes au prétoire, le procureur, la JAP et toute la clique voient ce qui se passe dans les commissions de discipline. Et à Annœullin, le problème c’est qu’il y a plein d’agressions qui ont été imputées à des détenus, alors qu’en réalité ce sont les surveillants qui ont tout organisé pour pousser le détenu à bout pour qu’il les agresse -comme avec Mendy, pareil…

Le détenu qui est accusé d’avoir fait une agression, c’est direct le mitard en préventive ; le lendemain ou le surlendemain, il va en garde à vue si c’est pour des faits un peu plus graves. Après : tribunal, il reprend une peine de prison, il retourne en détention, il passe au prétoire et il reprend trente jours de mitard, on lui enlève ses remises de peine, etc. Pour Mendy, c’est ce qu’il s’est passé : il a repris une peine de prison, mais ce qu’il faut savoir, c’est que tout ça a été fomenté par la direction, et j’en ai la preuve. Ils ont fait la même chose avec moi, et on est pas les seuls… Pour moi, ils ont essayé tous les systèmes : soit ils essaient de te pousser à bout pour que tu les agresses -et comme ça ils sont tranquilles, ils te remettent une peine, et ainsi de suite-, soit ils te harcèlent pour te pousser à bout, mais pour que t’en finisses, quoi, que tu te mettes la corde. Ça marche avec certains détenus, malheureusement ; c’est pour ça qu’il y a des suicides en prison. Faut pas rêver : les gens, ils se suicident pas du jour au lendemain, comme ça… Souvent c’est suite à un petit coup de pression de l’AP -il y a un ou deux surveillants qui te mettent la misère… parfois c’est aussi tout un ensemble. Par exemple s’il y a un détenu qui porte plainte contre un ou deux surveillants, leurs collègues vont les soutenir, donc ça se concrétise par une avalanche de CRI, même si le mec a rien fait, on le met au mitard et on le pousse à bout comme ça petit à petit parce qu’on l’a sous la main…

– C’est la parole de l’AP contre celle du prisonnier, on le fait passer pour un menteur, un violent…
– Je suis passé pour une histoire qui m’a valu le CRI qui a fait que j’ai été transféré par la suite, avant d’être annulé par le directeur de la Direction interministérielle, M. Jego, parce qu’ils se sont plantés ! Il y a eu un vice de procédure. Mais quand je suis passé devant la directrice Mme Leclerc, je lui ai demandé les vidéos, les témoignages… Y a rien dans ce dossier, comment ça se fait ? Si j’ai essayé de mettre un coup de lame de rasoir au visage d’un surveillant, il n’y a qu’à regarder les images et on verra si je l’ai fait ou pas ! C’est clair, net et précis. D’ailleurs, pourquoi le surveillant n’a pas porté plainte contre moi ? Là elle me dit : « c’est simple, c’est ta parole contre la sienne » -alors qu’il y avait quand même une dizaine de personnes présentes sur place, entre les détenus, les surveillants, les chefs, les majors de bâtiment, les lieutenants, etc.

– Quand on se retrouve dans ce genre de situation à l’intérieur, comment on fait pour résister, se mobiliser, trouver du soutien ?
– Le problème c’est qu’en prison, malheureusement, c’est chacun pour soi dans un sens, parce qu’il y a personne qui bouge pour les autres, la plupart du temps. Les gens ont du mal à se mouiller, parce qu’ils savent très bien que la force qu’il y a contre eux est très puissante. Du jour au lendemain vous êtes transférés, alors comment vous faîtes si vous avez des enfants, une famille et tout ça ? Tu perds tes remises de peine… il y a tout qui en découle. Et puis supporter la pression pendant X temps c’est pas évident, c’est pas donné à tout le monde. Bien sûr il y a quand même des fortes têtes, qui ont même repris des peines de prisons : ils ont démarré avec un an et puis ils se retrouvent avec cinq ans, même huit, des fois -ça arrive… Mais on reste dans un cercle vicieux. On arrive à un moment où on est obligé de lever le pied. Même si tu résistes dans la légalité tu ramasses. Ce que j’ai fait à Annœullin, je l’ai fait dans la légalité, dans la pure transparence et de mon plein droit. En plus, dans le livret arrivant, y a un paragraphe « menaces, agressions » dans lequel il est marqué « Vous ne devez pas garder le silence dans le cas d’une agression sur vous ou sur un autre détenu. » C’est marqué dans leur propre livret d’arrivant ! Une agression, ça peut être entre détenus, mais ça peut être aussi un surveillant sur un détenu ! D’ailleurs ça, ils ont même pas à le préciser, ça s’appelle l’égalité (rires). Eh ben dans ce cas-là, non, ça va pas. Si vous dénoncez des faits délictueux, vous n’aurez pas droit à des remises de peine exceptionnelles, par contre les sanctions vont pleuvoir. C’est comme ça que ça fonctionne.

Ce qu’il faut dire aux détenus, c’est que dans ces cas-là, la priorité c’est garder tous les documents. C’est pas évident, parce que la plupart du temps, on ne vous remet pas de photocopies, alors qu’ils devraient le faire. Il faut les garder bien précieusement, quitte à les transférer chez un avocat ou les sortir au parloir d’une manière ou d’une autre pour éventuellement faire des poursuites après.

Il y a eu l’agression du 20 novembre. En fait, il y avait un surveillant qui agressait un détenu, et je suis intervenu. Le surveillant lui tenait la jambe, le détenu était accroché à la grille, en plus il était handicapé, il avait une béquille. J’ai dit au surveillant d’arrêter –bon, gentiment, parce que je voulais pas me retrouver une nouvelle fois avec une histoire d’agression-, mais à la finale ils ont eu une réaction disproportionnée puisque y a quand même quarante agents qui sont intervenus pour bloquer tous les étages, même les autres bâtiments : même la MA était bloquée, le CD aussi, ils ont fait un truc de fou pour rien ! Et on a pris du confinement pour ça.
Ce détenu-là, quand ils m’ont accusé pour le coup de lame, il était exactement à deux mètres de moi, donc il a vu ce qu’il s’est passé. Je l’ai mentionné dans le rapport d’enquête pour qu’il soit auditionné, ainsi qu’un autre, et comme par hasard, ils ont marqué qu’ils refusaient de témoigner. Alors est-ce que c’est eux qui ont refusé ou est-ce qu’on leur a mis la pression ? Ça, on peut pas le vérifier quand on est mitard, puis à l’isolement. Parce qu’après ils m’ont mis à l’isolement, et après ils m’ont transféré, donc comment le vérifier ?
C’est pour ça que les détenus devraient commencer à ouvrir les yeux et arrêter de baisser la tête. Si on est tout seul, c’est clair qu’on risque de se faire manger. Mais le problème en détention c’est que dès qu’ils voient qu’il y a deux, trois détenus qui commencent à se mettre ensemble pour faire bouger les choses, on va les diviser tout de suite. Donc c’est vrai que c’est difficile. Et puis tout le monde n’est pas militant, tout le monde ne veut pas faire changer les choses en prison. Il y a beaucoup de détenus, tant que le shit et les portables rentrent, ils s’en foutent du reste, faut l’avouer. Pour d’autres ça va être les cachetons…
Après c’est à long terme qu’il faut voir les choses, pour les longues peines, les mecs qui font de la route, il faut vraiment changer les choses, parce que du jour au lendemain vous êtes jetés aux chiens, faut pas croire ! Même si vous vous êtes conduit pendant trois, quatre ans nickel-chrome, du jour au lendemain il peut vous arriver un tas de trucs qui vont faire qu’au lieu de sortir en conditionnelle, tu vas faire ta peine pleine. Personne n’est à l’abri, en fait : c’est ça le truc qu’il faut faire comprendre aux gens. Du jour au lendemain, ils peuvent se dire : « Tiens, celui-là, on va s’occuper de son cas. » Pour une raison bidon, des fois, on sait pas. Par exemple le mec qui fait plus ou moins du business, la détention accepte, et puis un jour ça va trop loin, y a des détenus qui se plaignent ou je sais pas, et d’un coup il se retrouve à l’isolement alors qu’il était bien vu par l’AP.
La carotte qu’ils vous mettent devant le nez, il faut surtout pas la suivre, parce que quand un jour tu te retrouves contre le mur avec les menottes, la carotte c’est dans le cul qu’ils te la mettent ! C’est eux qui décident du jour au lendemain s’ils ont envie de te pourrir ta détention, ou pas. Donc faut pas croire à leurs paroles parce qu’ils ont pas de parole, de toute façon.

– Nous qui sommes à l’extérieur, qui nous sentons concernés, comment tu penses qu’on peut soutenir les détenus dans leurs combats ?
-Déjà, faut avoir un avocat qui peut répondre quand vous êtes dans une situation délicate. Qui peut te dire comment réagir. C’était mon cas avec mon avocate de Nancy qui m’a donné plein d’informations dès que j’en avais besoin, donc ça c’est quand même important : un conseil en permanence. Déjà que nos droits sont bafoués, si en plus on ne les connaît pas, c’est compliqué. Les familles, ce qu’elles veulent c’est que leurs proches sortent au plus vite, mais le problème c’est que du jour au lendemain il peut y avoir une embrouille avec un surveillant… C’est sur le fil du rasoir qu’on fait la détention, en vérité… Des fois ça part pour un rien et ça prend des proportions énormes. On est pas des anges non plus : on a de la fierté, c’est-à-dire que quand un surveillant va mal nous parler, automatiquement on va vouloir lui rentrer dedans. C’est peut-être pas la meilleure solution, à la finale, puisque ça se retourne toujours contre nous, mais bon. Le problème c’est que pour que quelqu’un nous aide de l’extérieur, c’est quasiment impossible. Tous les organismes tels que le CGLPL, le défenseur des droits, l’OIP, ils sont très limités : le temps qu’ils mettent tout en place, t’es déjà sorti ou transféré ailleurs. Je pense que ce qu’il faut faire, c’est que tous ceux qui ont subi des choses en prison en fassent part aux médias, à un avocat, qu’ils hésitent pas à porter plainte. Le jour où il y aura X surveillants, X directeurs de prison qui seront condamnés, peut-être que ça les freinera -parce qu’en attendant c’est toujours les mêmes qui sont condamnés : les détenus, voilà…
– Tu nous parlais de deux surveillants en particulier qui mettaient la pression, mais y a tout un système derrière ?
– Toute la hiérarchie les soutient, jusqu’à la Direction interrégionale. Au-dessus, je peux pas dire, parce qu’après c’est le ministère, donc je sais pas. Mais en attendant, M. Jégo, ça a dû lui faire mal au cul de me donner une annulation, mais n’empêche que le mal était fait : j’ai fait du mitard, j’ai pas eu ma perm’, j’ai eu mes retraits de CRP, j’ai fait de l’isolement, j’ai été transféré… Pour RIEN. Et c’est même le surveillant qui aurait dû finir au tribunal -et il va finir au tribunal, parce qu’il a fait un faux témoignage quand même ! Ils ne connaissent pas la pédagogie, c’est la trique, la trique, nous aussi on peut leur mettre la trique !
Nous, détenus, automatiquement on pense à la violence ; mais là, moi, je suis sorti, et j’ai pas envie de régler ça par la violence. C’est pour ça que je veux le faire «  légalement  », pour qu’il y ait une suite, pour que les gens le sachent. Mais on pourrait aussi le faire illégalement. En sortant de prison, on pourrait très bien aller choper un surveillant qui sort d’une prison, n’importe laquelle, et puis s’occuper de lui. Donc ce que je veux faire comprendre au système aussi, c’est que nous, si on veut nous mettre à la trique… les gens peuvent aussi mettre le système à la trique.
C’est pas comme ça qu’ils vont faire de la réinsertion. Le mec qui rentre en prison, il va ressortir plus aguerri dans la délinquance. Ça, c’est pas moi qui le dis : c’est madame Taubira. C’est pas avec une politique comme celle d’Annœullin ou d’autres CD où on veut jouer les cadors que ça va marcher. Faut pas oublier qu’ils ont aussi une déontologie à respecter. Il suffit de regarder les spots publicitaires quand ils cherchent à recruter des surveillants de prison : ils marquent respect, honneur et compagnie ! Ben déjà, commence par ça… Le drapeau français flotte à l’extérieur des prisons, mais il flotte pas à l’intérieur, parce qu’à l’intérieur c’est pas la France. C’est plus le même Code de procédure pénale. Il faut pouvoir ne serait-ce que se le procurer, et croyez-moi que c’est pas évident dans une prison. Dans certains établissements on arrive pas à l’avoir. Ça commence par ça.

– De derrière les murs, on voit clairement que la justice, c’est une grande blague…
– Voilà. Mais ça je l’ai déjà vu quand je suis passé au tribunal pour mon affaire de stups. Les dés étaient jetés d’entrée de jeu, et en plus ils étaient pipés. Y avait rien dans le dossier. J’ai vu que c’était du théâtre. On est là pour faire de la figuration. En plus, avec un peu de chance, les mecs ils sont un peu chauds, ils vont insulter le substitut ou je sais pas quoi et ils vont reprendre une peine en plus. Parce que ça ils aiment bien aussi, enfoncer les gens dans les tribunaux. Ça je le
sais. Après il faut être subtil ; mais bon, le problème c’est que tout ça c’est du cinéma. Tout est joué d’avance.

En prison, ils ne respectent pas les droits de l’homme, tout simplement. Parce qu’on parle d’atteintes aux droits de l’homme, là, faut pas l’oublier. Rien que le fait de ne pas donner des documents auxquels on a droit, rien que le fait de ne pas donner des livres auxquels on a droit, rien que le fait d’avoir un tas de trucs comme les fouilles à corps. Moi, j’ai eu droit de me foutre à poil je sais pas combien de fois : si tu te mettais pas à poil tu finissais au cachot… Et sans parler d’agressions, rien que des trucs tout simples. Il y a une multitude d’atteintes aux droits de l’homme qui se déroulent dans les prisons françaises, alors que c’est quand même le pays précurseur des droits de l’homme…

– A travers ce dossier, tu cherches à dénoncer ce qui se passe, ce que t’as vécu et ce que t’as vu… Tu cherches à contacter d’autres gens que ça concerne, ou qui auraient vécu des choses similaires ?
– Voilà. Parce que je pense que cette action ne peut se faire que si on est nombreux. Parce que si je continue à faire mon truc tout seul dans mon coin, je vais pas avoir assez d’impact, alors qui s’il y a dix bonhommes qui disent la même chose et si le CGLPL constate exactement ce que tu dis, là ça peut changer. Le problème c’est qu’ils mettent trop de temps à sortir les rapports […]

– Tu me disais qu’il fallait être discret, à l’intérieur, quand on écrit au contrôleur, parce que ça pourrait se retourner contre les prisonniers ?
– Ça je l’ai constaté, et tous les détenus qui ont fait de la route me l’ont dit aussi. Pas que pour le contrôleur : aussi pour l’OIP, le défenseur des droits, etc. Le mieux pour un détenu qui veut alerter sur sa situation, c’est de faire sortir les lettres par les familles au parloir pour qu’elles les envoient de dehors.
La meilleure protection, en prison, c’est d’être entouré : si t’as une famille derrière, etc. Si t’as des visites régulières de ta famille ça les bloque un peu ; ensuite, qu’il y ait un avocat qui soit en contact avec le détenu. Parce que le contrôleur, c’est à double tranchant : d’une manière ou d’une autre, ils vont te le faire payer, c’est sûr. Ils te donneront pas de boulot, ils te feront galérer pour des trucs bidon. Ils ont toute une palette pour te pourrir la détention d’une manière ou d’une autre. Rien que sur les cantines, ils peuvent te faire galérer -c’est ce qu’ils m’ont fait au Havre. Ils m’ont transféré au Havre après Annœullin pour augmenter la pression et me faire craquer d’une façon ou d’une autre. Ils y sont pas arrivés ! C’est moi qui les ai fait craquer, au final. A trois semaines de ma libération, en commission de discipline, le chef d’établissement me dit qu’ils veulent me transférer alors que j’étais à l’isolement. Ils voulaient plus de moi ! Je les rendais fous, là-haut. J’arrive à les rendre fous sans violence. Bon, je prends des CRI, j’ai des RPS qui sautent, mais je m’en fous. Quand il me restait sept mois à faire je leur ai dit : « Enlevez-moi tous mes CRP, comme ça je dois plus rien à la France, et c’est la France qui me devra maintenant ! »
Quand je me battais en prison, et même encore maintenant, c’est pas forcément pour des mecs qui font des petites peines de balayeurs, mais pour les mecs qui vont rester dix, quinze, vingt ans au placard dans des établissements du type de la centrale d’Annœullin… Faut voir ce que c’est : c’est du QHS. Déjà nous on se plaint, en CD -mais en centrale ? Le mec, il doit faire une longue peine et il est enfermé pire qu’un chien ! Les fils barbelés, la cour en camembert, ils voient pas un brin de nature, les mecs, pendant des dizaines d’années ! C’est un grand retour en arrière qu’on fait là ! Tu regardes des vieux CD comme à Toul, t’as des promenades qui ressemblent à peu près à des promenades : il y a du vrai gazon, des arbres, des bancs… Si vous mettez tout le monde dans du béton, automatiquement, au bout d’un moment ça peut plus aller : les mecs ils deviennent fous,
c’est obligé. Pour pas devenir fou, ils fument du shit ou ils se gavent de cachetons. Parce que c’est ça, à la finale : la prison, elle finit toujours par nous avoir d’une façon ou d’une autre. Moi elle m’a eu d’une certaine manière parce que je suis totalement investi par ça. Elle m’a eu, je suis bloqué avec ça. Y en a d’autres, c’est les cachetons et ainsi de suite. La prison finit par nous avoir d’une façon ou d’une autre parce qu’on peut pas lutter contre ça seul. C’est des dizaines de surveillants, des gens qui portent un uniforme, c’est eux qui ont raison… même quand ils ont tort. Et même avec les avocats ! Les avocats, ils fument de la tête quand ils vont dans les prétoires, ils hallucinent. Mon avocate Maitre Z., quand elle est venue me voir pour mon histoire du coup de lame, pour elle il y avait pas besoin d’épiloguer : il y a un vice de procédure, je vais pas au mitard, point barre. Mais quand elle a vu la directrice lui dire : « Non, mais ici c’est la coutume », elle a halluciné ! Elle me dit direct en sortant du prétoire de faire appel, elle savait que j’allais avoir l’annulation. Mais en attendant, mes vingt jours de mitard, je les ai faits. Bon, personnellement j’ai passé plus de deux ans entre le mitard et l’isolement, donc ça va, je suis habitué, c’était pas un problème pour moi. Mais il y en a d’autres pour qui c’est un problème vu qu’ils en sortent pas vivants. J’en ai vu qui ne sont pas sortis vivants du mitard.

C’est ça aussi, mon combat : c’est pour éviter que les gens, ils se suppriment, parce qu’à Annœullin, les matons tapaient sur qui ? Sur des faibles. Ils ont des couilles, dans leur uniforme, mais j’aimerais bien les voir en vrai ces gens-là, dans la vie réelle. Ils vont pleurer au commissariat en inventant des histoires inimaginables et tu te reprends une peine. Même une histoire qui tient pas la route, c’est pas gênant : c’est une autorité publique, toi t’es de la merde, t’es un rebut de la société, comme le syndicat FO l’a déjà dit -les syndicats, faut voir ce qu’ils écrivent sur leurs tracts ! J’en ai vu que je voulais les distribuer à tous les détenus des prisons françaises. Le jour où je vais le faire, c’est des émeutes partout !
Ils font en sorte que ce soit une affaire d’État. On l’a vu lors de la dernière mobilisation nationale contre les agressions de surveillants : on va où, là ? Nous, les détenus, on fait comment ? On a pas de syndicats, on est à l’intérieur, comment on fait pour ouvrir notre bouche quand c’est le contraire ? Eux ils ont tous les passe-droits, c’est eux qu’on croit quand on passe au tribunal, même quand ils ont tort ! C’est quoi ce pays ?

Moi ce que j’aimerais c’est essayer d’avoir des jurisprudences parce que les trois quart du temps pour ce genre d’histoire les surveillants, le directeurs de prison, ils se prennent des peines de balayeur, parce que c’est des fonctionnaires d’État. Il y a un article de loi qui dit que les fonctionnaires doivent dénoncer quand un autre fonctionnaire commet un délit dans une administration. Alors quand on voit tout ce qu’il se passe en prison, tout le monde est au courant mais il n’y en a pas un qui l’ouvre. Parce qu’il faut savoir que c’est comme dans l’armée, comme dans la police… Pour moi c’est comme si on parlait de non-assistance à personnes en danger puisqu’on voit des surveillants qui agressent des détenus et personne ne dit rien, personne ne fait rien, et ça jusqu’à la direction et jusqu’à même la DI. Mr Jego, par exemple, sait très bien ce qu’il se passe, les substituts des procureurs de la République également puisque qu’ils voient quand des détenus portent plainte, Mais leurs plaintes n’aboutissent pas. Donc ça veut bien dire qu’ils mentent tous ensemble. On a le droit de faire ce qu’on veut, les abus de pouvoir en veux-tu en voilà et les détenus ils le droit de fermer leur bouche. Eh bien moi, je dis aux détenus                                  «  mobilisez-vous ! ». « 

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