Courrier de la sœur de A.,
enfermé au mitard de Mont-de-Marsan,
14 décembre 2019

Nous publions ici un courrier préoccupant de B. Elle nous parle du sort qui est fait à son frère A., actuellement enfermé au mitard du centre de détention (CD) de Mont-de-Marsan. Après que deux demandes d’aménagement de peine ont été rejetées, et après avoir été victime de ce qu’il décrit comme un tabassage par les matons, A. a refusé de réintégrer sa cellule ; il a donc été placé au mitard (QD).

Ce courrier d’une sœur qui se bat pour la liberté de son frère, à ses côtés, a pour but premier de « faire du bruit » autour de son histoire : en rendant public le sort que l’Administration pénitentiaire – et en particulier celle de Mont-de-Marsan – fait subir à A., il s’agit non seulement pour ses proches de le soutenir dans sa demande de rapprochement familial, mais aussi de le protéger des agents de cette administration.
Pour faire valoir ses droits et exiger son rapprochement familial – faute d’obtenir un aménagement – A. a été contraint, avec d’autres, à un moyen de résistance plus souvent utilisé par des prisonniers longue peine en prison centrale : refuser, sans la moindre violence, de réintégrer sa cellule vous envoie directement en quartier disciplinaire (QD) ; et quand plusieurs prisonniers portent ce refus ensemble, ils « bloquent le mitard ». Les surveillants et la direction de la prison se trouvent ainsi privés d’un outil de pression et de punition central dans la gestion de la détention : le QD, dit « mitard ». Non seulement on ne peut plus user de la menace du mitard contre A. et les autres prisonniers qui y ont déjà été placés, mais il devient en outre inutilisable contre les autres prisonniers de la détention.

Dans de telles circonstances, la direction, un bricard mal intentionné, ou n’importe quel surveillant un peu porté sur la matraque pourraient tenter de pousser A. à la faute afin de porter plainte contre lui. A. risquerait ainsi d’être condamné à des mois, voire des années, de prison supplémentaires et ne serait dès lors plus libérable à l’été 2020.
La famille de A. imagine même le pire, comme ce qui est arrivé en avril 2018 dans le mitard de Seysses : un prisonnier qui n’était en rien suicidaire mais qui est retrouvé mort, « accroché » aux barreaux de sa cellule, quelques minutes après le passage d’une équipe de surveillants connue pour sa violence. Nous ne comptons plus le nombre de familles qui, pendant des années, tentent inlassablement d’obtenir la vérité sur ce que la presse nomme poliment – quand elle ose s’en saisir –, une « mort suspecte ».

Précisons donc à toutes fins utiles, que A. n’est en rien suicidaire et que l’Administration pénitentiaire – et en particulier la direction du CD de Mont-De-Marsan – porte l’entière responsabilité légale de son intégrité physique et de sa bonne santé. Nous serons particulièrement attentifs au sort qui sera réservé à A. – ainsi qu’à ses proches – dans les jours, semaines et mois à venir.
Nous voudrions aussi, par cette publication, appuyer sa demande de rapprochement familial. Car ce que nous dit B. dans le courrier qui suit, c’est aussi que la prison enferme des proches et des familles en même temps que les prisonniers et prisonnières. Avoir la force en de telles circonstances de prendre son stylo pour raconter ce que subissent prisonniers et familles est à la fois admirable et primordial.  

Force, courage et détermination à A., B. ainsi qu’à tous leurs proches.

Mon frère a été condamné à quatre ans de prison ferme.
Depuis un an, il est incarcéré au centre de détention de Mont-de-Marsan (40) suite à un transfert de la maison d’arrêt de Seysses (31). Quand je lui ai demandé si ça lui allait, il m’a répondu : « au moins là-bas, la viande était halal  ; au moins ici, on ne meurt pas au mitard ». Il faisait ici référence à la mort de Jawad, tué au mitard de Seysses en avril 2018.

La condamnation de mon frère est la partie émergée de l’iceberg. Entre les lignes d’un rendu de justice et de peines appliquées, c’est toute la famille qui est poussée sous l’eau, qui se débat continuellement pour garder la tête à la surface. Pour lui, comme pour nous. Car si un membre de la famille est emmuré, c’est tout le groupe qui est amputé, qui se mange les murs qui le retiennent à force de les fixer sans pouvoir rien faire. Et par delà les portes blindées, les serrures à sens unique, les portiques et les barbelés, on attrape sa voix et ses paroles au vol pour que son histoire, elle, puisse ricocher. Son histoire, on refuse qu’elle soit enfermée. Même éparse, même distillée d’un parloir à l’autre, même volée dans les lettres qu’on peine à recevoir, son histoire, on l’attrape. On l’écoute. On la raconte. Comme quand il nous dit, « faites du bruit ».

Mont-de-Marsan, dans le département des Landes, c’est six heures de route. Ma mère, au début, essayait de maintenir le même rythme de parloir qu’à Seysses, mais la fatigue et l’épuisement l’oblige à lever le pied de l’accélérateur. Elle est la seule à conduire. Elle est reconnue comme travailleuse handicapée, ayant perdu la vue d’un œil ; si vous ajoutez à ça l’anxiété, l’angoisse et la peur, prendre la route devient difficile, pour ne pas dire une mise en danger permanente. Sans compter le reste de la famille qui, pour des raisons de santé, d’obligations scolaires et de travail, galère à lui rendre visite. Et ça, mon frère le sait. Alors sa demande est simple : « J’aimerais, si vous me le permettez, être transféré au centre de détention de Saint-Sulpice-La-Pointe, pour que ma famille puisse continuer à me rendre visite ».

Être rapproché de Toulouse.
J’écris de dehors, mais toujours les yeux fixés sur le mur. Parce que mon frère est dedans. Parce que cet été, je reçois des nouvelles après un long temps de silence : « ils sont en train de me tuer à petit feu ». Déplacement aléatoire de cellule en cellule, premier refus de bracelet, pression de l’administration pénitentiaire. « Là, je suis sorti, mais je vais retourner au trou. Je vais bloquer jusqu’à ce qu’ils me transfèrent ». Je reçois ça impuissante et prend mon courage à deux mains pour temporiser, le soutenir, et puis lui dire qu’il n’est pas seul, même s’il ne nous voit pas. Dans le fond, je suis fière, et si ce ne sont pas des choses qu’on sait se dire dans les yeux, je profite de ces lignes pour le balancer l’air de rien. Mon frère est conscient de ce que lui coûte un blocage, il sait que sa peine peut grimper. Il sait aussi que c’est le seul moyen pour lui de se faire entendre. Plus tard, il dira à ma mère : « si je ne croyais pas en ce que je faisais, tu penses vraiment que je supporterais d’être enfermé dans une cellule aussi grande que ça », en désignant la pièce parloir.

Le sommeil, ça aussi c’est une chose qu’on nous enlève entre les lignes des rendus de justice. PS, toutes vos nuits deviendront des cauchemars. Pour moi, le cauchemar s’est intensifié depuis plusieurs semaines. Quelques lettres me sont parvenues. Mon cerveau s’est instinctivement bloqué dans un état de survie primaire. Malgré moi, je conditionne mon esprit au pire. J’imagine les pires scénarios, m’efforçant de les regarder jusqu’au bout sous mes paupières closes pour anticiper. M’habituer. A ne pas pleurer, même si le pire arrive, parce que le pire fait désormais parti de nos imaginaires. Pendant ce temps-là, mon frère qu’a déjà bien entamé sa carrière au mitard, l’hiver venant, se met en sous-vêtement dans sa cellule pour habituer son corps à supporter le froid.

A Mont-de-Marsan, c’est réputé – ils n’aiment pas « les Toulousains ».
Il ne m’a pas fallu beaucoup de parloirs pour me rendre compte de ce que « toulousain » veut dire. Les Arabes et les Noirs de quartier, muslim de surcroît. Et qu’on ne vienne pas nous parler de radicalité quand mon frère n’a même pas le droit à un petit récipient pour faire ses ablutions. La deuxième demande de bracelet a été refusé il y a deux mois environ. Sur des motivations fallacieuses et des présomptions de culpabilité, surtout parce que mon frère est « toulousain ». Comme il l’écrit, « suite à une réponse défavorable à ma demande d’aménagement de peine, j’ai demandé à intégrer le QD. » Pas de colère, pas d’esclandre, pas d’explosion de rage. Rien qu’une demande simple à la hauteur de sa résilience, ramenez-le au trou : « ils m’ont ensuite descendu dans l’atrium du rez de chaussé, chacun me tenant un bras, où le chef leur a dit de me remonter, ce qu’ils ont commencé à faire, lui en me tenant par la gorge et eux un bras chacun. Ils m’ont ensuite emmené au palier entre le rez-de-chaussée et le 1er étage, dans l’angle mort de la caméra, où ils m’ont mis au sol et molesté, avec des coups de pied. A force de coups et de clés de bras, ma main est sortie de ma menotte qu’ils m’ont remise, n’empêchant pas leurs coups. Ils m’ont ensuite ramené au QD sous les menaces du chef : t’as de la chance, c’est pas moi qui te tient le bras, je te l’aurais cassé. » ; « la loi pénitentiaire n’autorise l’usage de la force que dans quatre cas : légitime défense (je n’ai ni attaqué, ni résisté), la tentative d’évasion (je demandais à aller au QD), la résistance violente (le bouton d’alarme n’a même pas sonné), l’inertie physique aux ordres donnés (simplement, ils ne m’ont rien ordonné, et ils n’ont pas « précédé l’usage de la force par une phase de discussion pour obtenir la compréhension et l’acceptation » de ce qui m’était demandé, comme la note de 2007 le prévoit, et de toute façon, ils n’ont rien demandé » ; « j’en conclus que j’ai subi un tabassage punitif et illégal et je ne veux pas retourner en bâtiment, de peur de représailles de leur part ».

Suite au refus de l’administration de le laisser sortir sous surveillance électronique, il a mis un drap sur la porte de sa cellule avec un mot, « je veux parler à la directrice », obligeant les matons à ouvrir la porte dans leurs rondes pour vérifier sa présence. En deux jours il a eu gain de cause et a pu se défendre face à la directrice des accusations, sans preuves, qu’elle porte contre lui. La semaine dernière, comme il fait l’objet de fouilles à nu systématiques avant le parloir, il a glissé une lettre dans sa poche. Comme il refusait de se déshabiller, les matons le fouillent. Trouvent la lettre. L’ouvrent. Elle leur était directement adressée : mon frère demande à ce qu’ils justifient, comme la loi le prévoit, chacune de ses fouilles à nu et à recevoir le registre de toutes celles qui ont été effectuées jusque là.

Mon frère bloque au mitard. Ils étaient huit à bloquer ensemble, la majeure partie arrivant de Toulouse. Il y a quinze jours, suite à des transferts, ils se retrouvent à quatre. Deux autre transferts sont prévus pour cette semaine. Dans tout ça, la solidarité est intacte. Ma mère a réussi à amener à mon frère son colis de Noël qu’il s’empresse de partager, morceau par morceau, avec ses collègues.

Mon frère bloque au mitard et ne lâche rien. L’art de survivre dans la galère pour ceux que la misère a nourri au sein. Il ne lâche rien, quoiqu’il en coûte. Jusqu’à ce qu’il obtienne un transfert dans une prison proche de Toulouse. Jusqu’à ce qu’on puisse avoir des conditions de visite dignes de l’affection qu’on se porte. Jusqu’à ce qu’on lui reconnaisse son propre droit à la dignité, sa propre valeur humaine. Nous sommes tous épuisés et tous bombés de force. Parce que la solidarité avec les bloqueurs du mitard ne s’arrête pas à leurs cellules. On écoute les murs murés, et on rappellera, autant de fois qu’il le faudra, que les voix, que les paroles, que les histoires ne peuvent pas être enfermées. Même derrière la plus épaisse des portes blindées. Nous aussi, on est là. Nous aussi, sommes solidaires. Nous soutenons notre frère, notre fils, notre petit-fils. Nous soutenons ses camarades. Alors, comme il m’a dit, « faut faire du bruit ».

Et je défie quiconque d’arrêter le bruit quand il se met à courir.

Signé : B.

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