Jeudi 19 Septembre, le Tribunal de grande instance de Chartres jugeait six personnes pour la mutinerie du 20 août au centre de détention de Chateaudun. C’est le dernier procès pour ces événements. les deux semaines précédentes deux groupes de six mutins ont été jugés. Les peines prononcées variaient entre 12 et 18 mois de prison. C’est dire que les prisonniers qui comparaissent à la barre ce jour sont déjà condamnés : ils connaissent le tarif en vigueur.

Le box est minuscule et les six prévenus, tous incarcérés, sont serrés les uns contre les autres. Tous ne peuvent pas s’asseoir. Ils paraissent jeunes et ont entre 20 et 26 ans. La plupart incarcérés pour des petits délits (outrage, violence sur agent, détention de stup’, conduite sans permis etc.). Des petites peines qui cumulées en font des longues. Les six sont accusés de rébellion et pour deux d’entre eux de dégradations.

Dès le début, il est demandé à un prisonnier de s’expliquer sur une bagarre, présentée comme déclencheur de la mutinerie, qui a eu lieu la veille. Un grand gaillard s’avance à la barre. :

« Ma détention s’est toujours bien passée. je n’ai jamais fait l’objet d’un CRI. J’ai toujours fait profil bas. J’ai fait des demandes de travail et je n’ai jamais fait parler de moi. A Chateaudun quand je suis arrivé j’ai fait deux demandes de travail. Je n’ai eu que des refus. Depuis le mois de Juillet des amis à moi se sont fait agresser à Chateaudun par un groupe de gars. Je leur ai dit qu’on avait aucun intérêt à se battre ensemble, on cherchaient tous des aménagements de peine. Tout le monde était d’accord et ça s’est calmé. Moi j’espérais une condi pour 2014. Le 18 août, un ami s’est fait agresser en sortant du parloir, j’ai tout vu de ma fenêtre. Et c’était par ces mêmes gars. Le lendemain, je les croise alors que je vais à l’infirmerie. Je discute avec eux quelques minutes, puis il m’entoure et m’insulte. Je me suis défendu, j’ai mis trois coups de poings (ce que confirme la projection de la vidéo surveillance à l’audience). Les gardiens sont arrivés et j’ai regagné le bâtiment. Je m’explique avec le chef et je regagne ma cellule. Vers 16h, on me dit que je vais en régime contrôle, au quartier zéro. C’est pas normal. Normalement, on passe en commission et on va au mitard. C’était pas juste, surtout que des bagarres, il y en a tous les jours. Le lendemain, donc le 20 août, je vais en promenade, mais je ne connais personne. Parce que les gars du zéro, on les connaît pas. Quand on est pas avec eux on les croise pas. Vraiment je ne connaissais personne. Là je suis monté sur le toit du préau, et j’ai demandé à voir le directeur. Je savais que je finirais au mitard, mais au moins là il y aurait une raison. J’ai demandé à un détenu de m’envoyer un téléphone et j’ai appelé ma famille pour leur dire que je partais au mitard et au QD. »

Le procureur essaie alors de faire passer ce prisonnier, pour un chef de bande. Il a déjà sa version des faits. Pourtant Herbert n’est pas poursuivi pour incitation à l’émeute ni pour violence.

Le deuxième, Nadir s’explique également sur l’ambiance à Chateaudun :

« Il y a souvent des blocages à Chateaudun, pas des gros mais c’est régulier. Après on rentrait à chaque fois dans notre cellule. Après ils arrivaient à quatre matons vers 8h dans notre cellule, et nous mettaient des coups, les menottes dans le dos, puis direction le mitard. Alors qu’on faisait rien. On a vu plusieurs fois des détenus prendre des coups. Ils se foutaient aussi de notre gueule : « c’est ça votre blocage ?! »

Nadir reconnaît avoir dégrader les grillages en promenade. La présidente lui demande alors si il incitait les autres à faire de même. Il ne tombera pas dans le piège :

« Vous ne me ferez pas passer pour un meneur !! »

Le troisième Ricky, poursuivi pour violence et rébellion :

« Moi j’étais en promenade et il y en a qui ont cassé les grillages. J’ai demandé au surveillant de regagner ma cellule, mais il a pas voulu. J’étais à 4 mois de ma fin de peine, j’allais quand même pas faire des conneries. Ça fait cinq ans que je suis dedans, donc… Puis les ERIS sont intervenus, je me suis mis à courir pour leur échapper. J’ai grimpé alors sur le toit pour me protéger. C’est là que j’ai pris une grenade assourdissante au niveau de l’oreille. J’ai eu l’oreille coupée en deux et le visage brûle. »

Cette fuite est pour la présidente la preuve de sa rébellion. « On ne comprend pas pourquoi vous êtes montés sur le toit si vous n’aviez rien à vous reprocher? »
Mathieu :

« La seule rébellion que j’ai commise c’est de partir en courant. Les coups, c’est nous qui les avons pris et une fois menotté. Mais c’est comme la fois où, à moitié endormi, les surveillants arrivent et vous menottent sur le lit. On subit des coups. Tout ça pour un blocage minime. »

Pour la présidente s’en est trop :
« Mais on est quand même en prison. Vous trouvez ça normal ces blocages ? C’est pas normal. » Mathieu se laisse pas faire et continue son récit :

« Il y en a ça fait deux ans qu’ils sont au zéro, comme ça pour rien ».

Florent concluera sur le fait qu’il a passé six jours tout nu au mitard après les événements, ce qui fera rire les gendarmes venus le chercher pour les interrogatoires. Ils trouveront très étonnant sa tenue.

« A Chateaudun, on m’a tout refusé sans raison ».

Puis c’est au tour des parties civiles, maton et état. Après une litanie sur une pauvre surveillante qui a été frôlé par une pierre, qui n’a pas été blessé, elle sera traumatisée à vie, ne sachant plus quoi faire, l’avocat s’énerve tout seul.

« Quand j’entends des personnes dire qu’ils se sont fait frapper, menotter, humilier et jeter nus au cachot, je ne peux laisser faire. Ce n’est pas le procès des surveillants !! »

Il chiffrera les dégâts à 6520 euros en tout. On est loin de la
prison « complètement dévastée » présentée comme telle par le procureur quelques minutes auparavant.

Pour le procureur, le CD de Chateaudun est un CD comme les autres, ni plus ni moins. Il est tourné vers la réinsertion. C’est un CD banal dirait ce père fouettard. Mais si il y a eu ces événements c’est qu’il n’a pas été assez sévère. Et même pour les surveillants « 30 ans de carrière, c’est 30 ans de détention. et le règlement c’est
l’application de la loi ». « Les ERIS ont fait leur travail et ont rétabli l’ordre comme ils devaient le faire », alors même que les prisonniers s’armaient de savonnettes. Il réclame alors le tarif habituel 18 mois en moyenne.

Les trois avocats des prisonniers ne se laissent pas faire. Ils reprennent les faits et rien que les faits. Les seuls témoignages sont ceux des surveillants. Aucunes auditions des prisonniers qui étaient aux fenêtres à ce moment là. Leur parole n’est évidemment pas entendable. Le procureur ne veux pas l’entendre. Et même à lire les
dépositions des matons, les rebellions ne sont pas caractérisées, car en droit, une rébellion s’accompagne de gestes violents. Refuser d’obéir n’est pas une rébellion. Or aucuns surveillants ne se plaint de coups. Ils demandent alors la relaxe de leurs clients. Herbert présenté comme le meneur, le chef de bande, l’élément déclencheur n’est même pas poursuivi pour incitation à l’émeute. Les seuls blessés sont les prisonniers. Normalement les interventions des ERIS sont filmés, mais ni les gendarmes ni les avocats n’ont eu accès aux bandes.

La dernière parole est aux accusés qui se feront couper par la présidente.

Résultat : 6 mois, 9 mois, 9 mois, 9 mois, 12 mois, 12 mois. C’est moins que lors des autres procès. Se défendre, ne pas se laisser faire, dire les choses, n’implique pas des peines plus lourdes.

Solidarité avec les condamnés.

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