Rachide Boubala est un prisonnier longue peine âgé de 37 ans. Sa date de libération est 2038. Pas de peine d’assises mais une série de condamnations en correctionnelle non compressibles, accumulées du fait même de son incarcération et qui lui valent « un CDI avec l’administration pénitentiaire et la moitié de l’année passée au cachot » explique Catherine sa compagne. En effet, il n’a cessé de se révolter contre la routine carcérale, l’arbitraire des matons et les régimes de détentions inhumains supportés. En réponse, les tribunaux condamnent Rachide à des peines supplémentaires sur la base des déclarations de surveillants souvent soufflées ou amplifiées par leurs amis des Syndicats. Quant à l’AP, elle balade Rachide de prison en prison depuis 1997, pour une tournée de 86 établissements à ce jour. La seule dans laquelle l’AP évite de le remettre depuis deux ans, c’est précisément celle que Rachide souhaiterait intégrer pour être proche de sa compagne.

Depuis juin 2012, il est passé par la centrale d’Arles (8 mois), le centre pénitentiaire de Réau (3 mois), d’Annoeullin (6 mois), le centre de détention de Nancy (2 mois et demi) pour échouer au CP de Condé en décembre. Dans cette prison dernier cri conçue sur le modèle d’un grand quartier d’isolement, les prisonniers se sentent comme des rats de laboratoire en cage. Les prisonniers sont unanimes ; ils le disent dans une série de questionnaires envoyés conjointement par l’OIP, L’Envolée et Ban Public (Nous en publierons d’ailleurs l’essentiel très prochainement).

Rachide tient deux semaines. Afin de se faire entendre auprès de l’administration sourde, il prend un surveillant en otage pendant quelques heures avec Fabrice, un autre prisonnier. Pour Rachide, il s’agit de dénoncer Condé et revendiquer un transfert pour rapprochement familial à Clairvaux. Aucun des deux n’ignore ce qu’il risque mais cet acte désespéré, selon Rachide, «  c’est pour que ça change, ça doit servir pour lui et les autres prisonniers  ». Malgré tout, le tribunal d’Alençon les condamne chacun à 8 années supplémentaires. Il est ensuite envoyé en transit à la maison d’arrêt de Rouen (deux mois) puis à la centrale de Saint-Martin de Ré. En exil sur cette île, il ne peut donc pas être plus à l’ouest de Clairvaux.

Grâce à la confiance que met en lui le Directeur qui l’a connu précédemment, Rachide obtient un travail en tant que peintre. En 17 ans Rachide a très peu eu l’occasion de travailler, et grâce à cet emploi, il s’est donné un but : financer le prochain UVF avec sa compagne et pouvoir enfin lui offrir un cadeau.

Mais le 24 mars 2014, le syndicat national pénitentiaire FO publie un communiqué diffamatoire, injurieux et mensonger contre Rachide, intitulé « Prime à la vermine et à la racaille »

pour notamment exiger de la direction de Saint-Martin de Ré, son déclassement. Rappelons au passage qu’une part non négligeable des matons de Saint-martin de Ré sont connus pour leurs pratiques sécuritaires (déjà dénoncées dans le documentaire A l’ombre de la République de Stéphane Mercurio). Après avoir pris connaissance du communiqué, le 2 avril, Rachide s’adresse à un maton pour avoir des explications. Ce dernier ricane, feint lâchement l’agression, et se sauve en courant. Bien chargé par le compte rendu d’incident, Rachide est envoyé au mitard. Le lundi 7 avril il est transféré à la maison d’arrêt de Lyon Corbas là où d’autres matons revanchards, syndiqués ou pas, sauront l’accueillir.

La population pénale a salué la nomination de Christiane Taubira en 2012 pensant que la Gauche allait comprendre… réformer… Or nombreux sont les prisonniers qui comme Rachide ont une perspective de sortie en 2030 voire au-delà, après 20, 30, 40 ans passés dans une cellule. Pour ces hommes et ces femmes condamnés aux Assises ou en Correctionnelle, ces peines ne sont pas admissibles. Et en l’absence de politique d’aménagement pénal, eh bien il va falloir les faire ! Mais des voix de prisonniers longues peines s’élèvent. Christophe Khider dans un courrier adressé en 2013 à Christiane Taubira et resté lettre morte, met en garde : sa peine de prison il ne la fera pas. Philippe Lalouel non plus (cf L’Envolée N°38, février 2014, pp 5-13).

Rachide qui en était réduit à enduire les murs des cellules de ses propres excréments-en référence au mode d’action des prisonniers irlandais au début des années 1980- pour protester a récemment déclaré à sa compagne :

«Faut-il que j’aille aux assises pour qu’ils comprennent ? ».

Alors non, il ne s’agit pas de la violence gratuite décrite par les médias. Le 11 avril, encore six prisonniers du centre de détention de Montmédy, prenaient en otage un surveillant moniteur de sport pour exiger leur transfert vers d’autres prisons et des rapprochements familiaux. Deux jours plus tard, un prisonnier du centre pénitentiaire de Réau faisait de même. Et ça ne cessera pas. Taubira, la ministre des tribunaux et des prisons souhaiterait-elle un nouveau «  Buffet-Bontems » ?

Quand les matons réclament leur du : vengeance et punition

Le 24 mars 2014, le syndicat national pénitentiaire-FO, section Ris-Orangis, publie un communiqué contre Rachide alors incarcéré à la centrale de Saint-Martin de Ré. Son nom y est volontairement donné en pâture aux matons de toutes les prisons de France. Ce torchon intitulé «  prime à la vermine et à la racaille !» est mensonger en plus d’être injurieux  :

« l’administration pénitentiaire encourage l’impunité», « il a obtenu le transfert qu’il souhaitait ».

Rappelons que suite aux événements de Condé-sur-Sarthe, Rachide a pris huit années supplémentaires et un transfert disciplinaire à l’extrême ouest, bien loin de la centrale de Clairvaux, près de laquelle réside sa compagne. Voilà ce que FO Pénitentiaire nomme « impunité ». Ainsi, les matons, signataires anonymes, « soucieux de réinsertion sociale » et en particulier de celle de Rachide Boubala y exigent :

1. La suspension de son classement d’auxi peintre : Rachide, provoqué par un surveillant au sujet de ce tract calomnieux, est envoyé au quartier disciplinaire. Il a perdu son emploi et suivra son transfert à Lyon Corbas dans la foulée.

2. La prise en compte de la « dangerosité du prisonnier » mise en cause  : le reproche qui est fait à l’Administration pénitentiaire de favoriser « les actes de violence, de rébellion et de mutinerie » (alinéa 2 du document FO) voit son illustration précisément dans l’incitation aux mêmes actes par la diffusion de ce type de document.

3. L’obligation de soins  : placement en Unité pour malades difficiles (UMD), piqûre forcée administrée en prison avec la complicité du personnel soignant, etc. La médicalisation des prisonniers révoltés et récalcitrants est monnaie courante. L’objectif inavoué c’est de les «  zombifier ».

Ne faudrait-il pas mieux condamner à mort Rachide Boubala qui n’a visiblement plus aucune chance de sortir du pétrin où on l’a aidé à s’enfoncer  ? C’est en tout cas notre conclusion à la lecture de ce torchon qui n’a malheureusement rien d’exceptionnel. Juste une méthode parmi d’autres. On se rappelle d’un tract publié par l’UFAP-UNSA justice de St-Quentin Fallavier le 23 mars 2011 diffamant et insultant un prisonnier et sa compagne suite à une altercation post-parloir ; ou encore d’un communiqué du SPS de Neuvic accusant nominativement un détenu de tout et n’importe quoi en été 2013.

Comme FO, tous les syndicats pénitentiaires (UFAP, CGT, SPS) instrumentalisent les révoltes des prisonniers pour satisfaire uniquement leurs revendications corporatistes. Jusqu’à présent, les médias, loin de boycotter les matons -comme ces derniers s’en plaignent souvent- les traitent comme ils traitent tout mouvement de travailleurs, ni mieux, ni plus mal. A la différence près que dans ce cas «  les usagers pris en otage  » à savoir les prisonniers et les proches, ne sont jamais interviewés.

Il appartient aux prisonniers, à leurs proches et à leurs soutiens extérieurs de s’organiser pour prendre cette parole.

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