Jette pas qu’un œil sur la police, des USA à Pantin : des vidéos contre la violence policière, entretien avec un copwatcher

Il y a quelques mois encore, Taubira à leur tête, certains politiciens français adoraient encore se la jouer humaniste à bon compte en condamnant la violence, souvent raciste, des policiers aux États-Unis. C’était déjà bien sur, pour mieux honorer nos poulets label France. Aujourd’hui aucun d’entre eux n’ose même plus s’aventurer sur ce terrain glissant : l’heure est aux larmes des policiers ; aux prétendues tentatives d’homicides contre la police ; aux montages bidons de BFM…

Derrière cette déferlante médiatique volaillère deux objectifs très politiques mais pas bien difficiles à voir: avant tout masquer la réalité du mouvement en cours, invisibiliser les blocages… au cas où ça parte enfin en grève. En second lieu, bien sur, masquer la violence policière, les coups, les blessés, les homicides à venir.

Dans le numéro 43 du journal pour introduire un entretien avec un copwatcher américain, nous revenions sur une histoire de violence policière banale à Pantin dans le 93. A lire ou relire aujourd’hui pour réfléchir à ces pratiques d’autodéfense relative.

Voilà encore une histoire bien de chez nous : décembre 2015, des ados de Pantin subissent le harcèlement et les agressions d’une brigade de « police de proximité » : la BST (brigade de surveillance du territoire). Bilal Kraiker porte plainte contre un policier qui l’a tabassé dans un hall d’immeuble : il a été hospitalisé en urgence pour un testicule écrasé. Deux semaines plus tard, la même brigade vient l’arrêter devant chez lui. Astuce classique : les forces de l’ordre inculpent celui qu’ils ont défoncé pour l’intimider et décrédibiliser sa plainte. Sa mère intervient pour tenter de calmer le jeu. Elle est frappée, gazée et insultée devant des jeunes, dont ses deux fils, qui subissent le même sort avant d’être emmenés en garde à vue. Tristement banal, mais toujours aussi écoeurant. Moins banal : une voisine qui a filmé la scène ce jour-là la publie sur Internet. Sans ces images choc, cette histoire ne serait peut-être jamais sortie du quartier. Mini scandale au journal télévisé ; mais ce genre de buzz médiatique est souvent vite oublié. Dans ce cas, la preuve vidéo a donné la force aux personnes concernées de prendre la parole et de s’organiser : conférence de presse, bruit sur les réseaux sociaux, invitation dans une émission de radio associative, appel à témoins et création du Comité de vigilance contre les violences policières à Pantin. En février 2016, poursuivant son travail d’intimidation et de discrédit envers les jeunes du quartier, le commissariat de Pantin cherche à les mettre à l’amende en ressortant (à moins qu’ils ne l’aient inventée?) une vieille affaire de dégradation en réunion, pour laquelle un juge a carrément failli placer Bilal en préventive. Placé sous contrôle judiciaire, il sera jugé le 19 mai. Malgré tout, des habitants de Pantin poursuivent leur travail de dénonciation des violences policières.

À force d’histoires diverses mais toujours similaires, on le sait : main dans la main, médias, syndicats policiers et justice couvrent les sales habitudes de la police. Les rares fois où les médias ou la justice s’y attardent, c’est invariablement pour parler de « bavure », c’est-à-dire d’exception. On pointe du doigt un mauvais élément pour ne surtout pas remettre en cause la violence structurelle de cette institution. De toutes façons, les scandales médiatiques sont vite oubliés et les rares flics inquiétés sont toujours acquittés. Voilà pourquoi les vidéos de violences policières ou les dépôts de plaintes, même accablantes, ne suffisent pas. Mais on gagne toujours à sortir de l’isolement et du silence. Depuis longtemps, des habitants des quartiers les plus frappés par l’arbitraire, le racisme et l’impunité des flics, s’organisent. Des histoires et des pratiques se transmettent, se rencontrent, se renforcent mutuellement. Et même si on est loin d’un mouvement de masse contre les violences policières, ce n’est que de cette auto-organisation des premiers concernés que pourrait naître une opposition réelle à la toute-puissance de la violence d’État.

En septembre 2015, l’émission radio Papillon a rencontré un « copwatcher » des USA. Inspirée notamment par les Community Alert Patrols créées dans les années 1960 et par les actions du Black Panther Party, la pratique du Copwatching – « surveillance de la police » – se développe à nouveau : des groupes de personnes filment les agissements de la police pour l’empêcher de se livrer à des violences. Le contexte est différent, et l’expérience n’est bien sûr pas transposable telle quelle au contexte français. Mais les questions soulevées, la présence sur le terrain, l’auto-organisation des concernés et la mise en commun d’expériences par la prise de parole publique, appuyée par les images, peuvent nourrir quelques réflexions sur les moyens d’agir.

Copwatcher : Je suis un activiste d’une chaîne Youtube qui s’appelle « Copwatchando », et on est beaucoup à faire du copwatching, aux Etats-Unis. Ce n’est pas une organisation, c’est plutôt plein de petites cellules. J’ai fait du copwatching dans des villes petites, moyennes, grandes, dans des manifestations ou dans la vie quotidienne. En particulier dans des communautés (note de traduction : « comunidad » en version originale hispanophone, sera ici le plus souvent traduit par « quartiers ») de migrants, des communautés latines, noires, ou indigènes. Nous utilisons le copwatch comme une stratégie d’organisation et d’autodéfense communautaire. Le copwatch, littéralement, c’est : « surveiller la police ». L’origine vient de communautés noires organisées en lien avec les Black Panthers. Pour moi c’est important que ça soit fait par les habitants, et pas par des personnes extérieures. Très souvent, les gens commencent à faire du copwatching dans des manifestations, pour surveiller la police en cas de violences policières. Ils utilisent ça pour documenter des agressions de la police sur des manifestants, puis se servir des images pour des procès contre la police. C’est un outil de contre-propagande, parce qu’on sait que les médias servent toujours ceux qui ont le pouvoir. En utilisant des enregistrements audio, des photos, des vidéos, on peut montrer que c’est la police qui agresse les gens, et pas l’inverse. Ça, ça concerne plutôt les manifestations, mais après le copwatching peut servir pour pas mal d’autres choses, notamment pour quelque chose qui est plus important pour moi : un travail de base dans les quartiers. Pour beaucoup d’entre nous, on a été inspirés par des mouvements d’autodéfense armée, principalement latino-américains. Mais des mouvements armés dans des pays puissants, c’est pas forcément stratégique. Et du coup on utilise les caméras comme armes d’autodéfense contre la police et les violences policières dans nos quartiers. […]

Ce qui est fondamental, c’est que les gens du quartier prennent conscience de leurs droits. Il y a des gens qui pensent que le copwatching, c’est seulement enregistrer des moments de violence, des agressions de la police, mais c’est plus que ça : c’est une stratégie de défense pour le quartier. C’est essayer de s’organiser : rencontrer les gens, partager des expériences, des stratégies, rassembler des gens qui ont survécu à des agressions policières, et d’autres, et former comme une sorte de petite armée ! Avec tous ces éléments mis ensemble, sur le long terme, on peut arriver à une situation où les gens se réapproprient leur sécurité. Pas mal de gens pensent que ceux qui appellent la police sont des américains blancs, mais dans beaucoup de cas, c’est les gens des quartiers eux-mêmes qui appellent la police. Et donc l’objectif à long terme est que les gens des quartiers, plus âgés ou pas, comprennent que la solution n’est pas d’appeler la police mais de s’auto-organiser pour leur propre sécurité ; et en même temps, travailler avec les jeunes pour qu’ils comprennent qu’ils doivent dialoguer avec les personnes plus âgées et créer des réseaux intergénérationnels organisés contre la police.

Papillon : Une équipe de copwatching protège les gens quand la police enfreint la loi. Si les flics arrêtent quelqu’un qui a volé, qui a de la drogue sur lui, est-ce que vous les laissez faire leur travail ?

Qu’il y ait eu un crime ou délit de commis, ou pas, on s’en fout, parce que pour nous la chose la plus violente, c’est la pauvreté. Et qu’il y ait eu un crime ou pas, pour nous, ça ne légitime pas la présence de la police. Après, bien sûr, il y a des crimes comme les viols, les violences domestiques, les assassinats, où c’est plus compliqué. En général, les gens du quartier n’arrivent pas à gérer ces cas-là. Et là, c’est un peu compliqué d’aller soutenir les agresseurs. Mais en réalité, la majorité de ce qu’on voit au quotidien, c’est des cas de graffiti, de vol, de détention de drogue, des gens alcoolisés, des bastons… et dans ces cas-là, ce qu’on essaie de faire, c’est ― à côté de l’histoire du délit ou du crime ―, de protéger quand même les droits de la personne. Qu’ils aient commis ou pas un délit, on s’en fout, on est là pour que leur droits soient respectés. L’objectif n’est pas d’avoir cinq personnes qui patrouillent dans le quartier, mais qu’à terme, toute la communauté ait le réflexe de sortir une caméra, de faire du copwatch. Si toute le quartier le fait, c’est toute la police qui se fait baiser. […]

Ça arrive que la personne qui a un problème avec la police ait peur que l’équipe de copwatching la foute encore plus dans la merde ?

C’est possible que la personne ait peur des copwatchers, donc il faut essayer de rentrer en contact avec elle et de la tranquilliser ; mais après, si elle demande explicitement qu’on se retire, on se retire. Mais c’est aussi pour ça qu’on dit que les équipes de copwatchers, c’est pas le plus important. Le plus important, c’est l’organisation dans le quartier. Si on se centre sur une zone de conflit précise, on essaie de rentrer vraiment en contact avec les gens, qu’ils prennent conscience de ce qu’on est en train de faire, qu’ils nous connaissent et qu’il n’y ait plus ce genre de problèmes de manque de confiance. Par chance, ce genre d’endroits, où il y a énormément de conflits et de violences policières, c’est des quartiers où il y a une haine profonde vis-à-vis des flics. Du coup, c’est très facile de faire prendre conscience aux gens de ces choses et de créer des alliances et des relations de confiance. La violence policière a toujours existé, mais aujourd’hui, avec les caméras, les téléphones, les vidéos, on apprend de plus en plus de choses. Et c’est plus courant qu’une personne te dise : « Vas-y, filme, s’il te plaît » que l’inverse.

Ça sert d’abord à faire baisser la pression policière en ville, mais aussi à documenter des procès contre la police quand elle outrepasse ses droits… S’il y a beaucoup de procès, et que les gens gagnent, tu as l’impression que ça fera baisser la pression policière en général ?

Aux États-Unis, on considère même ça comme un sport extrême [ces procès]. D’une certaine manière, ça met la police sous le feu des projecteurs quand, dans une même ville, il y a plusieurs personnes qui poursuivent des flics. Mais ce qui fait baisser la violence, c’est pas forcément ces procès juridiques. Ce qui fait le plus baisser la violence, c’est la présence de groupes de copwatchers, et l’organisation communautaire. […] C’est très important que le copwatch vienne des gens du quartier. Il y a quand même de la place pour les autres, et ça peut aussi être important que des gens qui ont certains privilèges face aux flics, se servent de ces privilèges, prennent des risques pour filer des coups de main. […] Les gens qui viennent de l’extérieur et font ça doivent garder conscience qu’ils font ça pour libérer un espace qui permette aux gens de s’organiser, et ensuite se retirer, et pas créer une relation de co-dépendance du quartier vis-à-vis d’eux.

Actuellement, on entre dans un contexte de soulèvement populaire. On essaie de faire de la propagande, de motiver plus de jeunes à s’organiser pour se soulever. En général, c’est motivant pour des jeunes de voir d’autres jeunes d’un autre quartier qui s’organisent face à la police. Aux États-Unis, en ce moment, on arrive à un stade où beaucoup de choses ont été filmées, diffusées, et les gens en ont ras le bol de la violence policière, ils sont en train de se soulever contre ça. Malheureusement, la majorité de ces soulèvements finissent par une militarisation de ces zones, et par plus de violence. Et ça, depuis les émeutes de Watts à Los Angeles dans les années 1960. Comme le soulèvement de Pacoima, un quartier de Los Angeles en 1992, après l’histoire de Rodney King ; et plus récemment Oakland, Baltimore, Chicago, Ferguson… Et là, on voit aussi parfois une réponse armée de la part des gens. Faut voir à quoi tout ça va nous amener…

Pour écouter l’intégralité de cette interview : www.sonsenluttes.net/?Surveiller-la-police-interview-d-un-copwatcher

Pour visionner les vidéos publiées par Copwatchando :

www.youtube.com/channel/UCNcw4_pFizY4EWW2M__K5JA

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