(Ce texte de la rédaction est publié dans le numéro d’avril du mensuel CQFD)

« Avec le confinement, vous touchez du doigt – en plus roudoudou – ce que nous vivons au quotidien, nous les prisonniers : impossibilité d’aller et venir, privation de voir ses proches et soumission à l’arbitraire pour tout », écrit un prisonnier à L’Envolée, à l’heure où le pays est confiné et les prisonniers et prisonnières plus coupés du monde que jamais. Ajoutée à l’absence de soins, la surpopulation carcérale – ou plutôt, le surenfermement de la population – fait des prisons des lieux hautement pathogènes. Tous les ans, des épidémies s’abattent sur les personnes incarcérées : tuberculose, gale… Le Covid-19, qui ne fera pas exception, révèle la criante indignité de la prison.

Suspendre les parloirs ne protégera pas les prisonniers

Face à cette épidémie, Nicole Belloubet, la ministre des tribunaux et des prisons, opte pour une mesure très brutale : la suppression des parloirs et de toute activité. Faute de pouvoir isoler les prisonniers en attribuant une cellule à chacun (70 651 prisonniers et prisonnières au 1er janvier pour 61 080 places dans des cellules le plus souvent collectives) ; faute de distribuer à toutes et tous des masques de protection, des tests et des solutions hydroalcooliques ; faute de confiner les matons qui continuent de rejoindre leurs familles chaque soir… l’État considère d’office que les prisonniers, les prisonnières et leurs proches ne seraient pas capables d’appliquer les fameux « gestes barrières ».

Plus de shit, des possibilités de cantines (achats de produits de la vie courante) restreintes, plus d’activités, plus de parloirs, 22 heures sur 24 en cellule et déjà des promenades réduites dans certaines prisons. Celles et ceux qui sont enfermés sont à la fois en colère et inquiets : le peu de mouvements et de contacts qui rendent la détention supportable disparaissent du jour au lendemain sans qu’ils et elles se sentent protégés pour autant. Ces mesures sont ressenties comme absurdes et méprisantes parce que le prétendu « confinement » est totalement inapplicable à l’intérieur des prisons. Et ce n’est pas la générosité de la ministre (télévision gratuite, un maigre crédit téléphonique et une aumône de 40 € pour les indigents) qui va étouffer les craintes – et le feu.

Des révoltes contre ces mesures

Ces mesures n’empêcheront pas l’épidémie de se répandre. Elles ne servent qu’à donner des gages aux personnels de l’Administration pénitentiaire (AP), et notamment aux matons, en diminuant les mouvements à l’intérieur et le nombre de fouilles à effectuer ; et donc les contacts. Ils ont aussi peur du coronavirus que des mutineries : ils savent très bien que les prisons vont se transformer à la fois en cluster (foyer d’infection) et en cocotte-minute prête à exploser. Leur syndicat majoritaire (Force ouvrière) a déjà menacé d’user du droit de retrait, agitant l’exemple de l’Italie où, depuis le 8 mars, des émeutes ont éclaté dans des dizaines de prisons, causant la mort d’au moins 14 prisonniers et plusieurs évasions collectives. Sur les toits, les prisonniers crient « Libertà ! » et exigent l’indulto – l’amnistie.

Quinze jours après, la révolte gronde dans toutes les prisons françaises avec chaque jour des dizaines de mouvements collectifs : refus de remonter de promenade, montées sur les toits, mutineries ; et déjà des matons qui tirent, comme à la maison d’arrêt de Grasse (Alpes-Maritimes) et au centre de détention d’Uzerche (Corrèze).

Il faut vider les prisons

C’est dans cette ambiance que la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, se fonde sur la protection que l’État doit aux gens qui sont sous sa garde pour demander, le 17 mars, de « réduire la population pénale à un niveau qui ne soit pas supérieur à la capacité d’accueil des établissements », de « favoriser les sorties de prison et limiter les entrées » et « de procéder sans délai à la fermeture temporaire des centres et locaux de rétention administrative ». Du jamais vu.

Le lendemain, un texte signé par des organisations qui vont de l’Observatoire international des prisons à l’Association nationale des juges de l’application des peines en passant par le Syndicat des avocats de France demande de « réduire drastiquement le nombre de personnes détenues ». Il énumère différentes manières de limiter les entrées : préférence aux peines alternatives, placement sous contrôle judiciaire plutôt qu’en détention provisoire, report de la mise à exécution des peines de prisons et limitation des comparutions immédiates, « particulièrement pourvoyeuses d’incarcérations ». Il demande également de faire sortir un maximum de personnes (en libérant les prévenus sous contrôle judiciaire, en multipliant les aménagements de peine, en anticipant les libérations en fin de peine et en suspendant des peines pour raison médicale). Les signataires suggèrent aussi d’augmenter les réductions de peine, voire de voter une loi d’amnistie. De mémoire de L’Envolée, on n’avait jamais vu ça non plus.

Mais le plus fort reste à venir. Le 20 mars, la CGT pénitentiaire demande « un recours massif à la grâce individuelle pour le maximum de personnes incarcérées, en fonction du reliquat de peine restant et de la nature des infractions concernées ». Même s’ils ne peuvent pas tout à fait s’empêcher de jouer aux petits juges, ces surveillants envisagent la libération de presque 20 000 prisonniers condamnés à des peines de moins d’un an !

Tout le monde dehors !

Bon, on se calme, on reprend. Pour ce qui est des centres de rétention, le CGLPL le dit : tout le monde dehors. Pour ce qui est des prisons, on prend la calculette : 18 000 courtes peines + 20 000 prévenus en attente de jugement + 1 404 personnes en semi-liberté + 611 personnes en centre de peine aménagée + 20 000 prisonniers en centre de détention (régime soi-disant orienté vers la réinsertion, donc la sortie) + les malades (chiffres non fournis)… on arrive déjà à plus de 60 000 personnes à relâcher.

Ajoutons simplement : les mineurs (804) + les plus de 60 ans et toutes les personnes qui ont déjà effectué des longues peines en dépassant les quinze ans d’enfermement… Bon an mal an, on y est : autant arrondir à 70 000 ! Soit l’amnistie générale ! Les prisonniers et les prisonnières l’exigent depuis vingt ans dans les colonnes de L’Envolée – avec un autre argumentaire, certes ; mais si là, tout le monde est d’accord, on ne va pas chipoter…

Et ne plus remplir les prisons !

Que tous ces gens s’entendent pour définir l’enfermement comme un risque sanitaire et fassent pression sur la ministre pour vider les prisons, même provisoirement, c’est historique. Malheureusement, on sait que ça ne suffira pas.

Même face au péril sanitaire, l’impératif sécuritaire reste le maître mot : la machine pénale est pensée pour remplir les prisons, pas pour les vider. Nicole Belloubet le confirme dès le 20 mars en s’engageant à peine à « travailler sur (sic) les détenus malades et sur les personnes à qui il reste un mois de détention ». Elle finit par promettre 5 000 libérations – très loin du compte – en précisant qu’« il n’y aura pas d’amnistie, car il faut préserver la sécurité de la société ». Ben tiens !

Quant aux quelques « mesures qui veillent à ne pas faire entrer de personnes supplémentaires en prison », elles sont contredites par un amendement – adopté par l’Assemblée nationale dès le 21 mars – qui fait du non-respect à quatre reprises des règles de confinement un délit puni de six mois d’emprisonnement. Cherchez l’erreur ! Le même jour, quatre hommes arrêtés pour ce motif étaient incarcérés à la prison de Villepinte (Seine-Saint-Denis) en attente de jugement pour « outrage et rébellion » et « mise en danger de la vie d’autrui »… Qui met la vie de qui en danger ?

On le voit déjà dans toute la société : la coercition de la politique sécuritaire du gouvernement sera inversement proportionnelle à sa scandaleuse gestion sanitaire.

Ça se fera aussi sur le dos des prisonniers à moins qu’ils et elles trouvent des moyens d’imposer leur libération.

Force, courage et décontamination

L’Envolée

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Messages et lettres de prison

« À tous les frérots en prison : à partir du 19 mars, il faut qu’on bloque en promenade tous les jours jusqu’à que l’État accepte au minimum un parloir par semaine. Faut qu’on se fasse entendre bien plus haut que l’administration pénitentiaire : c’est l’État qui dirige. Il faut faire du bruit. Ils nous disent que c’est pour quinze jours alors qu’ils savent très bien que c’est parti pour plusieurs mois. Ils nous privent de la seule liberté qui nous reste : la visite de notre famille. Merci, et oubliez pas : l’union fait la force, ensemble on y arrivera. » Lenvolee.net, 18 mars.

« Libérez un peu les prisons de la surpopulation carcérale ! On veut que les surveillants soient contrôlés à chaque entrée, parce que ça nous fait peur ; au moins leur fièvre parce que c’est eux qui vont nous le refiler. Tous les gens qui rentrent en prison aussi, qu’ils soient contrôlés à l’entrée, avec un registre. » Lenvolee.net, 19 mars.

« Nos cantines n’arrivent pas, nos parloirs ont été suspendus. Personne ne se préoccupe de notre état de santé. On avait un co-cellulaire qui est parti, avec le masque, on l’a sorti à 8 heures du soir de la cellule. On ne sait pas pourquoi […]. Aujourd’hui nous sommes deux personnes encore dans la cellule. Nous présentons des symptômes de fièvre, le nez qui coule, et la gorge qui pique. […] L’administration trouve une seule solution :  “Vous vous étouffez pas ? Y a pas de souci à se faire !” […] J’appelle tous les détenus de la maison d’arrêt de Seysses à faire une révolution générale. » Maison d’arrêt de Seysses (Haute-Garonne), Iaata.info.

« On est 3 dans une cellule de 9 m2. Ça fait une semaine qu’on a plus de parloir, qu’ils nous autorisent plus les promenades, plus rien. […] On a peur qu’un jour la porte s’ouvre plus, qu’on nous laisse mourir dans la cellule… Y a beaucoup de psychose qui commence à s’installer dans la prison. » Maison d’arrêt de Seysses, Mediapart.

 « Nous voulons un DÉPISTAGE pour chaque détenu ainsi que pour chaque membre de l’administration pénitentiaire. – Nous souhaitons que tous les agents pénitentiaires sans exception soient équipés de gants et de masques (ce sont eux les plus exposés au virus car ce sont eux qui rentrent et sortent de l’établissement). – Nous voulons être informés de l’évolution de cette situation : quand les parloirs seront-ils rétablis ? Qu’en est-il des cantines ? Qu’en est-il des sacs de linge ? Qu’en est-il des soins médicaux en cas de coronavirus ? – Et enfin, pour nous protéger, nous aimerions que chaque détenu ait du gel désinfectant et un masque à sa disposition (le minimum en mesures d’hygiène actuellement). »
Revendications des prisonniers du centre de détention d’Uzerche (Corrèze) lors de la mutinerie du 22 mars.

« Un  message qui s’adresse à l’État et à tous ceux qui régulent les pénitenciers de France : nous voulons un dépistage au cas par cas pour chaque détenu et membre de l’établissement pénitentiaire. Nous voulons que les agents soient équipés de masques car c’est eux qui entrent et sortent de la prison donc c’est bien eux qui nous ramènent le coronavirus puisque nous n’avons plus de parloir. Nous voulons plus d’informations sur cette situation : cantines, parloirs, sacs de linge, activités, car les seules informations qu’on a c’est à la télé. Nous voulons du gel hydro-alcoolique, des masques, du savon pour chaque détenu. Tout ce qu’on a c’est du gel douche Tahiti. On nous offre la télé et 40 € pour les indigents, waouh, quelles belles mesures par l’État ! S’il peut faire mieux ce serait pas mal, sinon ça va chauffer. » Centre pénitentiaire de Béziers (Hérault), 23 mars.

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