Catégorie : Lettres

  • Interview de Nabil, enfermé à La Talaudière

    Interview de Nabil, enfermé à La Talaudière

    « c’est toujours un risque de parler comme ça, publiquement. […] J’aimerais bien que les gens dehors, ils comprennent que les détenus, si ils parlent pas trop, c’est parce que c’est dangereux pour eux. C’est pas un acte anodin. »

    lu à l’antenne le 14 Mai 2020

    Nabil : Il me semble que dans toutes les prisons de France, en fait, c’est la même chose. Y’a plus de parloirs. Pour aller à l’infirmerie, ou juste pour la joindre, c’est un peu compliqué, c’est même très compliqué car il n’y a que quelques jours où les médecins sont présents, du coup, bien sûr, les détenus ils n’ont pas accès aux soins qu’ils devraient avoir.

    Elsa : Encore pire que d’habitude ?

    N : D’habitude, y a quand même au moins des consultations médecin à peu près tous les jours, et là c’est pas du tout le cas.
    Donc là, en fait, c’est la sortie du confinement et on ne sais toujours pas si les activités vont reprendre, si le scolaire va reprendre, si la bibliothèque sera ouverte… Parce qu’ils ont même fermé la bibliothèque, pendant tout le temps du confinement ! Même si on a pu entendre dans certaines émissions qu’il y a avait toujours un accès à la bibliothèque, c’est pas vrai, nous ici en tous cas on n’en a pas. Ils ont mis apparemment des cloisons aux parloirs, pour la reprise des parloirs, ils ont mis des espèces de vitres en plexiglas, je les ai pas vu, mais bon, on m’a dit ça.

    E : Pour les mettre entre les familles et le prisonniers ?

    N : Exactement. Et bon, les surveillants ils ne portent pas de gants, la plupart ils ne portent pas de masques, certains oui et d’autres non. J’ai un peu l’impression, en fait, que certains surveillants n’en ont rien à foutre, de toute manière. C’est pas dans leurs préoccupations, de savoir si on va tomber malade ou pas. Je sais pas si, ici, il y a des gens qui ont eu le Covid ou non, parce qu’il y a plusieurs bâtiments, et comme c’est fait, en fait, on ne peut pas forcément voir tout le monde. Par exemple, si y a eu des arrivants, on ne les vois pas. On peut pas voir ceux qui sont dans ce qu’on appelle « le petit quartier », et eux, on ne les vois jamais et on n’a jamais de contacts avec eux. Moi, j’suis dans le bâtiment des travailleurs, ici en tous cas personne n’est tombé malade. J’imagine qu’il y en a eu, mais moi j’en ai pas entendu parler, ils ne l’ont pas ébruité en tous cas.

    E: Ça créée du stress pour les prisonniers ?

    N : Oui, et notamment, surtout, pour les parloirs quoi. Parce que les gens ils ne voient plus leurs proches, donc forcément ça stresse un peu tout le monde, de ne pas pouvoir avoir un contact avec des gens de l’extérieur. Malgré qu’ils nous aient mis une cabine téléphonique en cellule (là, en fait, ils ont mis des cabines dans chaque cellule) juste après le début du confinement. Mais les échanges par téléphone, c’est pas les mêmes que quand on a les personnes directement, devant nous. C’est pas du tout la même chose. Et puis, imaginez bien que de toute manière, y a plein de gens qui font leurs petits trafics, tout ça, qu’ils peuvent pas faire, et puis même pour le linge, par exemple, sortir ou ramener du linge, bah c’est pas possible… Y a moyen quand même de se le faire laver, mais les détenus en général ils préfèrent les donner à leur famille plutôt que de le donner à la détention, parce que des fois il est perdu, des fois il est peut-être volé même, ou déchiré quand il revient, ou alors il est encore sale quand il revient… donc oui ça peut faire des conflits. En plus ici y a eu quelques conflits liés aux cantines parce que pendant le confinement il n’y avait pas tous les articles disponibles, notamment en nourriture, du coup souvent ils nous mettaient « rupture de stock ». Il faut savoir qu’ici on ne peut cantiner que toutes les trois semaines notre nourriture, en fait quand on fait notre dépôt de compte-cantine on attend trois semaine pour avoir nos cantines. Ce qui fait que, quand on attend trois semaines, on nous dit que y en a pas parce qu’il y a rupture de stock et qu’on doit attendre trois semaines de plus, forcément ça créée des tensions, des problématiques avec les surveillants – parce que de tout manière on ne peut parler qu’avec eux, et ne leur reprocher qu’à eux. Oui, y a eu quelques tensions !

    E : Au tout début, je crois que c’était au tout début du confinement, dans les médias locaux ça a parlé de protestations, dans la prison…

    N : Bah en fait c’est pas vrai ! Il y a eu un mouvement, mais qui n’était pas un mouvement de protestation vis-à-vis du confinement. Il y a eu un mouvement de contestation contre les conditions de détention générales, mais ça, c’est régulier à La Talaudière depuis quelques mois, où il y a toujours des conflits entre l’administration et des détenus, qui refusent de remonter de promenade. Même, il y a un mur qui sépare deux cours de promenades, à plusieurs reprises il a été cassé, le grillage aussi, qui a été cassé à plusieurs reprises.
    Mais ça c’était déjà avant, ça avait déjà commencé avant le confinement. Les gens, ici… Ici il y a presque pas de travail, y a pas d’activités, les cours de promenade ont été réduites quelques années en arrière, donc elles sont plus petites, bah forcément les détenus ils aimeraient retrouver leur grande promenade, on avait deux grandes cours on se retrouve avec deux petites… Et aussi il y a des surveillants qui jouent le rôle de la provocation tout le temps. Donc ça aussi ça a favorisé le fait qu’il y ait des mouvements. Et puis il n’y a pas assez de transferts vers les centres de détention, y a plein de gens qui attendent depuis cinq ans, qui sont encore en maison d’arrêt, qui ne peuvent toujours pas accéder au centre de détention, ce qui est un problème quand t’a une longue peine.

    E : La ministre a parlé de faire sortir plein de gens de prison à cause de la crise du Covid, toi tu a vu des gens sortir ?

    N : Les gens qu’on a vu sortir, c’est les gens qui devaient sortir. Qui ne devaient pas avoir de RPS, de remise de peine supplémentaire, bah là, comme de par hasard, on les leur a donné quand même. C’est à dire qu’ils ne répondaient pas aux conditions, ils n’allaient ni au scolaire, ni ils travaillaient, ils ne faisaient aucun effort, de, comme ils aiment bien le dire, « de réinsertion ». Là, ils ont pu avoir les RPS mais c’est tout. C’est tout, y a pas eu plus que ça. Franchement, ça ne s’est pas ressenti en détention. Y a que là, depuis une semaine, qu’on a senti un petit souffle, dans la prison. Et seulement dans le bâtiment dans lequel je suis, c’est parce que y a beaucoup de gens qui sont partis en transfert, à Roanne. Donc là, ça a libéré quelques places en cellule. Donc il y a des gens qui se retrouvent tout seuls en cellule ; mais sinon, en vrai, il n’y a pas beaucoup de gens qui ont pu sortir. De tout manière, les aménagements de peine ils ont été bloqués pendant tout le confinement, il n’y a pas de gens qui ont pu en faire, enfin très peu, et ce très peu, c’est ceux qui en avaient fait, bien avant, et qu’ils attendaient déjà leur réponse. Mais ça reste des gens, en fin de peine, qui leur reste pas grand chose à faire, trois mois à tout casser. On a vu des gens rentrer par contre.

    E : Beaucoup ?

    N : Pas mal quand même, ouais. J’ai pas l’impression que le confinement a changé bien grand chose sur les entrées en prison. Pour moi c’est toujours la même chose, y a toujours autant d’entrées, ça veut dire, je sais pas moi, quinze à vingt personnes par semaine qui doivent rentrer à peu près. Mais non, j’ai pas vu beaucoup de gens sortir en tous cas. En tous cas, ceux que je fréquente, que je vois depuis longtemps ici, je les vois pas sortir.

    E : Quelque chose à ajouter ?

    N : Non, pas vraiment. Ah, si ! Que c’est toujours un risque de parler comme ça, publiquement. Et que moi, sur mes dernières détentions, j’ai subi de plein fouet de parler publiquement de ce qu’il se passait en détention. Et ça m’a coûté l’isolement, beaucoup de mitard, beaucoup de pressions de la part des surveillants, tout ça. Là, je ne sais pas si j’aurais des pressions ou non, et en vrai, j’en ai rien à foutre. Mais, je le dis parce que j’aimerais bien que les gens dehors, ils comprennent que les détenus, si ils parlent pas trop, c’est parce que c’est dangereux pour eux. C’est pas un acte anodin. Souvent, j’entends des gens dire « ils se plaignent pas beaucoup », « ils disent rien », ceci cela… Oui, mais en fait, si ils disent rien, c’est aussi qu’ils ont peur pour eux, pour leur sortie, pour savoir s’ils vont obtenir leurs aménagements, si il ne vont pas subir les assauts de l’administration pénitentiaire ou des transferts très loin de chez eux… Alors voilà, c’est un truc que je voulais dire quand même.

    E : C’est pour ça qu’on peut te remercier de nous donner des nouvelles, envoyé spécial malgré toi ! Et à tous ceux qui le font, déjà, big up ! À tous ceux qui font ça, c’est un sacré risque.

    N: J’tiens à dire aussi aux détenus qui peuvent le faire, qui n’ont pas peur des pressions et tout, qu’ils doivent parler, et pas se laisser faire. Ils doivent agir, par tous les moyens qu’ils peuvent, en envoyant des courriers, ou en téléphonant à des radios ou à des journaux ou n’importe quoi, mais en tous cas qu’ils se laissent pas abattre, qu’ils se disent pas que c’est fichu, qu’on peut rien faire. Non, y a toujours moyen de faire quelque chose !

  • Témoignage d’un prisonnier du CRA de Lille

    Témoignage d’un prisonnier du CRA de Lille

    TOUS LES JOURS ILS DECIDENT DE CHANGER LES REGLES

    lu à l’antenne le 5 Mai 2020

    Hier je suis passé au juge mais ils m’ont refusé. J’ai été à l’hôpital, je me suis coupé parce que j’étais trop énervé. Ils m’ont ramené à l’hôpital psychiatrique. J’ai vu la psy. Le psy m’a donné 15 trucs de médicaments mais moi j’ai pas besoin de médicaments. Et après ils m’ont ramené au CRA.

    Ca fait 6 jours qu’on mange mais eux ils s’en foutent. On est trois bâtiments de musulmans qui font le ramadan et maintenant ils lavent plus qu’une fois par semaine le vendredi.

    On est presque 16 maintenant, avec les gens arrivés de Paris et les nouvelles entrées. Et dans tout le centre presque 50. Tous les jours ils ramènent des gens.

    Dans le bâtiment on a fait la grève à 11 pendant 6 jours. Mais ils répondent pas.

    Comme y a pas de parloirs on peut pas faire rentrer à manger, et la famille quand elle vient ils ont le droit de rien ramener.

    Moi perso ils peuvent pas m’expulser, ils restent encore 30 jours. Je vais repasser devant le juge. Maintenant c’est comme la prison depuis que c’est 90 jours. Ici ils donnent plein de médicaments à tout le monde c’est vraiment la galère.

    Ils nous ont dit : «Vous inquietez pas le mardi et le jeudi on pourra ramener à manger ». Mais ils laissent rentrer que des petits gateaux alors on a décidé de refuser de manger et tout. Parce que nos familles elles viennent de Lille, Paris ou Marseille.

    Tous les jours ils décident de changer les règles. Et nous on doit s’adapter.

    Eux ce qu’ils veulent c’est qu’on tape un flic ou qu’on brule une cellule qu’ils puissent nous envoyer en prison. C’est ça qu’ils veulent.

    Pour le moment c’est tout le bâtiment F qui est en grève de la faim. Mais on a appelé les autres bâtiments à faire comme nous et à arrêter de manger. Cette semaine ils ont expulsé des personnes vers la Roumanie. Mais nous on peut pas nous expulser parce que la frontière elle est fermée. Je comprends plus rien. Si je deviens fou c’est à cause d’eux. Après tu me ramènes à l’hôpital et tu dis que je suis fou ! Mais en fait c’est normal que je devienne fou, un juge me dit « Ramène tel papier, tu seras libre » Je le ramène et on me dit « Ah il faut ramener un autre papier ». Depuis que je suis ici j’ai dépensé tout mon argent en tabac, parce que quand t’achètes du tabac il faut partager.

  • Lettre de Seb à Metz

    Lettre de Seb à Metz

    C’EST HUMILIANT ET INSUPPORTABLE DE VIVRE COMME CA

    lue à l’antenne le 6 Mai 2020

    Salut à tous et toutes à L’Envolée,

    Pour vous expliquer c’est quoi, ça consiste à me retrouver complètement paralysé, ou partiellement selon les crises : je peux ne pas pouvoir bouger mes pieds, où, en général, tout mon corps est immobilisé, il n’y a que les muscles de mon visage qui répondent faiblement. Autrement dit, j’arrive que à parler. Depuis peu, on me donne enfin 3 gélules de potassium par jour, donc 600 mg, ce qui n’est pas beaucoup, en tous cas pas suffisant parce qu’on ne sait pas du tout ce que j’ai, et que ça continue. En fait, on ne sait pas d’où ça vient, et ça m’est arrivé plusieurs fois : une fois quand j’étais dehors (j’étais un grand consommateur de cocaïne de provenance louche et on m’avait dit que ça devait être lié, alors le médecin n’avait pas fait d’analyses plus poussées) mais depuis que je suis rentré je ne consomme pas de cocaïne alors ça ne peux pas être la raison de la suite des crises : il y en a eu deux où j’étais complètement paralysé, le 22 février, et vendredi dernier, le 1er mai, mais là ils ont tout fait pour ne pas m’hospitaliser à nouveau.

    J’ai enfin vu un médecin de l’UCSA lundi, qui m’a dit qu’elle allait essayer de trouver la cause de mes paralysies en me faisant hospitaliser à la prison-hôpital de Nancy. Moi, ça me va, plutôt que d’avoir la pression de me lever paralysé à chaque fois que je m’endort dans ma cellule, surtout vu ce que les surveillants se sont déjà permis de faire quand c’est arrivé les dernières fois.

    Je vous raconte : la première fois que j’ai fait une crise « totale » en prison, le 22 février, c’était donc au réveil. J’ai été réveillé à 5h40 par le surveillant qui passait à l’œilleton, et j’ai voulu lui faire signe mais en fait j’ai réalisé que j’étais paralysé et je suis tombé de mon lit. À 7 heures, quand un autre surveillant est passé, il a ouvert la porte et m’a trouvé la tête sous le lit, position dans laquelle j’étais (mal) tombé, par terre, coincé la tête et le haut du corps sous le lit, paralysé. J’ai appelé à l’aide mais il a juste rigolé, m’a appelé par mon nom de famille, a fait des blagues sur le fait que je faisais du ménage sous mon lit (il ne voyait que mes jambes) et a refermé la porte. J’avais mis mon réveil à sonner pour que ça fasse du bruit et qu’ils finissent par rentrer pour se rendre compte que j’étais coincé et en galère. Mais ils ont dit que tant que ça sonnait c’était que « ça allait ». Un gradé est aussi passé, qui a affirmé que je « jouais la comédie », j’ai eu beau réclamer qu’ils appellent le médical, ils n’ont rien fait. J’ai dû attendre de sept heures du matin à 13h30 pour qu’ils appellent enfin le médical, qui a appelé le SAMU, et j’ai été hospitalisé. Les intervenants du SAMU ont pris ma défense, leur a dit que je n’avais aucun intérêt à simuler cela et qu’ils avaient mis ma vie en danger.

    La deuxième fois, vendredi, j’ai du attendre trois heures pour être pris en charge, et mon codétenu a du me faire boire comme un bébé vu que je n’arrive pas à bouger du tout à ces moments-là. Bref, c’est humiliant et insupportable de vivre ça, et la pression, elle existe aussi pour mon codétenu.

    Bon, en plus, j’ai un kyste au cerveau, il paraît que c’était bénin en 2016 mais depuis aucun examen n’a été fait et j’en ai aussi réclamé. J’avais même un rendez-vous mais le jour de mon rendez-vous chez le neurologue, juste avant le confinement, on me prévient à 8 heures que je dois être extrait à 10h pour y aller. J’attends 45mn dans la cage à poule, et finalement ils m’annoncent qu’il n’y a pas d’escorte qui peux m’y amener et je rate donc le rendez-vous…. Depuis, j’ai appris que les matons avaient fait un rapport comme quoi j’aurais refusé l’extraction et que je refuse donc de me soigner ! Je l’ai appris à l’UCSA, bref, c’est abusé.

    Je vous tiendrais au courant de ce qu’il se passe pour moi par la suite, Force aux malades en prison, ils ont pas le droit de nous traiter comme ça, il faut en parler !

    Seb, prisonnier à Metz

  • Revendications et actions collectives des prisonniers du CP de Borgo, le 21 avril 2020 : libérations, aménagements et permissions.

    Revendications et actions collectives des prisonniers du CP de Borgo, le 21 avril 2020 : libérations, aménagements et permissions.

    Alors que la ministre des prisons et des tribunaux fait beaucoup de bruit autour des quelques libérations que ces services ont consenti, les prisonnier.es rongent leur frein : il n’y a ni mesures de protection, ni libérations massives. Face à cette situation des prisonniers protestent et s’organisent. Ceux de la prison de Borgo (Corse) ont décidé de refuser leur plateau à compter du mardi 21 avril. Nous relayons, leurs revendications et souhaitons lui donner le plus d’échos possible.


    Monsieur le directeur,

    Nous, détenus du centre pénitentiaire de Borgo, vous informons qu’à compter du mardi 21 avril 2020, nous refusons la distribution des plateaux repas pour un délai indéterminé.

    Cette action est menée en contestation des faits suivants :

    Prolongement des détentions provisoires de façon abusive et illégale

    Refus de libération des mandats de dépôts arrivants à termes

    Refus systématique des demandes de mise en liberté provisoire

    Suspension des permissions

    Suspension des aménagements de peine (prétexte : manque d’agent pour l’installation d’équipement)

    et, Refus de la libération des détenus à risque pathologique COVID-19

    Nous refusons que, sous prétexte d’un décret non conforme aux lois Européennes (qui doivent toujours prévaloir), et par respect à la présomption d’innocence, cela nous soit imposé.

    Les détenus du CP de Borgo.

  • Flash info quotidien du 8 avril 2020

    Flash info quotidien du 8 avril 2020

    Actualité Covid 19 en prison :

    • En guise de clin d’œil du jour : retour sur la campagne de novembre 2009 contre les peines éliminatrices et l’isolement carcéral. Lecture d’un extrait du texte d’intro du bouquin du même nom.
    • Témoignage d’un prisonnier d’une maison d’arrêt d’Ile-de-france.
    • Situation dans les prisons pour étranger.e.s.
    • Témoignage d’un prisonnier du Centre de rétention administrative de Toulouse.
    • Appel pour obtenir des informations sur ce qu’il se passe dans les prisons pour femmes.

    « ON A LE DROIT DE MANIFESTER QU’ON NE RESPECTE PAS NOTRE PROTECTION« 

    Transcription condensée de l’interview d’un prisonnier d’une maison d’arrêt d’Île-de-France à l’émission du 8 avril 2020.

    Peux tu nous raconter comment ça se passe depuis le début du confinement ?

    Quinze jours avant le confinement, la direction de l’administration pénitentiaire est venue nous voir pour nous dire qu’on avait plus accès au parloir familial ; qu’on verrait plus nos familles. Il y a eu des gens qui ont mal pris la chose, parce que les surveillants, eux, ont accès quotidiennement à la prison ; ils rentrent sans masques, sans gants, et ils sortent tous les jours. On s’est dit : « pourquoi interdire les familles alors que les surveillants font la même chose ? » Après, on a pris sur nous : on a compris que c’était pour éviter la contamination au sein de la détention. Y a eu quelques mouvements de protestation, on nous a dit qu’on allait nous donner une promenade le matin, une promenade l’après-midi ; et c’est tout ce qu’on a eu, quoi. On a rien eu d’autre.

    Les crédits de téléphone promis par la ministre de la justice Madame Belloubet, on les a jamais vus. Ils sont toujours pas arrivés. Et même avec ces crédits, au final y a une cabine pour cent détenus. Donc vous voyez bien : si tout le monde se met à aller à la cabine, ben la cabine, ça devient… une zone de contamination, quoi ! Donc on évite… on essaie de trouver des petits téléphones pour continuer à parler à nos familles ; moi, depuis le confinement, j’ai pas été une seule fois à la cabine téléphonique. C’est vraiment le truc à pas faire. Vous prenez tous le même appareil ; vous parlez, vous postillonnez sur l’appareil téléphonique et derrière, y en a un autre qui le prend et qui fait la même chose… Y a aucune désinfection juste après ; donc c’est pas une mesure utile. Ceux qui ont la chance d’avoir un téléphone, y sont bien lotis, en attendant d’avoir des parloirs ; et ceux qui en ont pas, ben ils ont pas de nouvelles de leur famille, à l’extérieur ils s’inquiètent… Nous, on essaie quand même d’aider certaines personnes, de passer des messages à leur familles, de les prévenir qu’ils vont bien… mais si y avait pas un peu de solidarité entre les détenus, franchement, ce serait la catastrophe.

    Les mesures de la ministre, c’est une grande blague générale. Quarante euros pour le téléphone : personne l’utilise, et y faut éviter, au contraire… Ensuite vous avez quarante euros pour les personnes qui n’ont pas d’argent, donc nous ça nous change rien du tout… Voilà, quoi ! A part ça, des réductions de peine : ils enlèvent deux mois en fin de peine, mais nous ça nous concerne pas parce qu’on est en détention provisoire, donc pas jugés ; avec la présomption d’innocence, logiquement on aurait plus de chances d’être auprès de notre famille en attendant notre jugement… moi, dans mon cas, mon dossier est fermé, j’ai ma femme et mes enfants dehors qui sont seuls ; s’ils ont un problème, je peux même pas être là, je peux même pas les aider ni faire des courses pour eux, ni rien du tout. Ma famille, si quelqu’un est contaminé… en gros, on peut laisser nos proches mourir à l’extérieur sans avoir eu l’occasion de les voir une dernière fois.

    Et sur les libérations, concrètement, vous voyez venir quelque chose ?

    Non ; j’ai des contacts avec le bâtiment d’en face, y a toujours autant de monde. Ils relâchent les gens auxquels il reste moins de deux mois, mais sa mesure, elle a rien changé parce que dans la loi, quand il vous reste moins d’un an, vous pouvez avoir le bracelet électronique, ou être sous contrôle judiciaire à l’extérieur, où il faut aller signer au commissariat en attendant votre fin de peine. Donc là, des gens à qui y reste moins de deux mois, y a déjà plus personne, en fait ; Cette mesure et les autres, c’est un effet d’annonce pour la presse et l’opinion publique, mais  sans plus. Au sein de la détention, personne ne voit le changement.

    Entre ce qu’ils disent à la télé sur la détention et ce qu’on vit à l’intérieur, c’est le jour et la nuit. Sincèrement, c’est pas du tout ça ! Ce qu’ils disent qu’ils ont donné, c’est jamais arrivé ; des masques, on en a pas, du gel hydroalcoolique on en a pas, on a pas de gants ; et on est plus nombreux en promenade maintenant qu’avant le confinement, en fait. Ça, on a pas compris. En cellule, on est plusieurs sans aucune protection, donc il suffit qu’y en ait un qui a le virus et tout le monde l’attrape. On a aucune aide, aucun soin. Vous pouvez appeler l’infirmerie : faut écrire un mot, ils vous appellent peut-être le mois d’après… mais entretemps, on sait pas si vous êtes encore là.

    Donc à l’intérieur tout le monde est angoissé : les gens qui voient plus leurs familles sont stressés, tout le monde a peur, donc la tension monte. Des jeunes ont déjà bloqué, il y a déjà eu une mutinerie, et je pense que si ça continue ça va aller crescendo.

    Tu me disais que les entrants sont très vite mis en cellule avec tout le monde ?

    Exactement ; un ami à moi était sorti sous contrôle judiciaire, et en fait, les entrants passent pas une quatorzaine isolés pour éviter de ramener le virus. Ils les font monter directement. Vous êtes déjà en détention, quelqu’un vient de l’extérieur, on vous le met directement avec vous, sachant que vous êtes déjà deux, vous vous retrouvez à trois avec un contaminé potentiel. Ici on est tous les uns sur les autres, donc si y a une personne contaminée, en une semaine vous avez tout le bâtiment qui risque de l’être. J’ai l’impression qu’ils font l’inverse de ce qui devrait être fait.

    Les libérations, c’est un mensonge total. Ceux qui devaient être libérés passaient en commission d’aménagement de peine, quand il leur restait moins d’un an… ben maintenant les commissions sont annulées !  Les Spip, ceux qui s’occupent des dossiers, ne travaillent plus à cause du confinement ; automatiquement, ça fait qu’il y a plus de gens qui restent en prison. En fait, y a rien qui a été fait ; y a des surveillants qui se sont acheté leurs propres masques eux-mêmes à la pharmacie ; y a zéro masques, pas de gel hydroalcoolique, pas de gants. L’administration a vraiment rien fait, elle laisse les gens à l’intérieur et laisse pourrir la situation.

    Vous êtes informés par l’administration s’il y a des gens malades, des gens mis en quarantaine ?

    Ah, non, non, ici vous avez aucune information ; vous allez voir passer des blouses blanches avec un détenu ; vous savez qu’il est contaminé, mais ils le disent surtout pas. On sait pas où ils partent ; on les voit plus, après. Il y a deux personnes contaminées dans le bâtiment dans lequel je suis ; on sait pas leur état, on sait même pas s’ils sont bien pris en charge ou pas. Ici y a pas de lits, y a pas de réanimation, y a pas de traitement, y a rien du tout. Si vous êtes contaminé, c’est vous et votre chance, quoi. Ils veulent pas nous le dire, mais on sait qu’il y a des contaminés, et le problème, c’est que surveillants et détenus, personne n’a fait le test ; ce qu’il aurait fallu, c’est faire des tests ; ceux qui sont contaminés, les mettre d’un côté en isolement total, ainsi que les personnels de l’administration ; et ceux qui sont pas contaminés, on peut les laisser dans un régime plus souple : promenade, toujours pas de parloirs, mais bon… quand même, on met à l’écart les gens contaminés – comme ils devraient faire à l’extérieur aussi… mais y a pas de tests. Du coup tout le monde est suspicieux, tout le monde est en stress, en panique, et tout le monde a peur pour sa vie ; parce que là, en fait, ils mettent la vie des gens en danger. On peut avoir commis des choses, on reste des êtres humains, mais les droits de l’homme sont pas appliqués dans la maison d’arrêt ; c’est malheureux à voir. Il y a des détenus qui ont commencé à porter plainte pour non-assistance à personne en danger. On est en danger, on a même pas de masques, on a rien du tout. Je comprends que c’est pour le personnel médical en priorité ; c’est normal. Ici, à 20 heures, tous les détenus applaudissent par la fenêtre pour soutenir le personnel médical ; mais on aimerait bien au moins… peut-être rester seul en cellule, pour éviter d’être avec quelqu’un de contaminé. On demande pas plus que les gens dehors. On a peur pour nos vies. On attend, en espérant qu’ils trouvent des solutions concrètes pour les détenus ; qu’ils essaient au moins de faire quelque chose, peut-être six mois pour les petits délits : délits routiers, gilets jaunes… les personnes pas dangereuses en fin de peine. Dans tous les cas elles vont sortir, alors qu’elles sortent dans six mois ou dans huit mois, vu l’état actuel des choses…

    On a pas à risquer votre vie. On reste des citoyens français. On est des pères de famille ; D’autres ont leurs grands-parents qui ont le virus, dehors ; ils sont ici et ils peuvent vraiment rien faire. Faut comprendre la réaction des détenus quand ils manifestent. C’est notre droit. On a le droit de manifester qu’on ne respecte pas notre protection.

    FACE AU COVID-19 EN PRISON : AMNISTIE GENERALE

    Depuis 2001, L’Envolée, c’est une émission et un journal pour en finir avec toutes les prisons faits par d’anciens prisonniers et prisonnières et des proches pour relayer la parole des enfermé.e.s.
    L’abonnement au journal est gratuit pour les prisonniers et prisonnières qui en font la demande. L’émission de radio est diffusée le vendredi soir de 19 heures à 20 heures 30 sur FPP (106.3 Mhz en région parisienne) ou sur rfpp.net et disponible ensuite sur toutes les plateformes de podcast. L’épidémie de Coronavirus a de lourdes conséquences en prison. C’est pourquoi, face à la gravité de la situation, nous avons décidé de produire un bulletin d’information quotidien de quinze minutes, que vous pouvez écouter chaque soir de la semaine à 19 heures sur les ondes de FPP et sur lenvolee.net, en plus de l’émission du vendredi qui est maintenue.

    Nous demandons à toutes les radios locales de diffuser largement ce bulletin.
    Il est plus que jamais nécessaire de ne pas laisser les prisonniers et les prisonnières seuls face à l’arbitraire de l’administration et de faire entendre leur voix. Nous relaierons les actions collectives et individuelles dont vous nous informerez ainsi que des témoignages directs sur la situation à l’intérieur.

    Tenez-nous au courant par tous les moyens à votre disposition. Nous diffuserons les messages vocaux et les textos de prisonniers et de prisonnières que vous nous enverrez. Nous lirons également les messages que les proches privés de parloir nous demanderont de passer. Notre numéro de téléphone : 07.52.40.22.48. Pour écrire : Radio FPP – L’Envolée, 1 rue de la solidarité, 75019 Paris, ou encore à lenvolee.net et sur Instagram, Twitter, FB & Snapchat.

    Podcast (clic droit –> « enregistrer la cible du lien sous »)

  • Interview d’un prisonnier d’Ile de France

    Interview d’un prisonnier d’Ile de France

    Transcription condensée de l’interview d’un prisonnier d’une maison d’arrêt d’Île-de-France à l’émission du 8 avril 2020.

    lue à l’antenne le 8 Avril 2020

    Peux tu nous raconter comment ça se passe depuis le début du confinement ?

    Quinze jours avant le confinement, la direction de l’administration pénitentiaire est venue nous voir pour nous dire qu’on avait plus accès au parloir familial ; qu’on verrait plus nos familles. Il y a eu des gens qui ont mal pris la chose, parce que les surveillants, eux, ont accès quotidiennement à la prison ; ils rentrent sans masques, sans gants, et ils sortent tous les jours. On s’est dit : « pourquoi interdire les familles alors que les surveillants font la même chose ? » Après, on a pris sur nous : on a compris que c’était pour éviter la contamination au sein de la détention. Y a eu quelques mouvements de protestation, on nous a dit qu’on allait nous donner une promenade le matin, une promenade l’après-midi ; et c’est tout ce qu’on a eu, quoi. On a rien eu d’autre.

    Les crédits de téléphone promis par la ministre de la justice Madame Belloubet, on les a jamais vus. Ils sont toujours pas arrivés. Et même avec ces crédits, au final y a une cabine pour cent détenus. Donc vous voyez bien : si tout le monde se met à aller à la cabine, ben la cabine, ça devient… une zone de contamination, quoi ! Donc on évite… on essaie de trouver des petits téléphones pour continuer à parler à nos familles ; moi, depuis le confinement, j’ai pas été une seule fois à la cabine téléphonique. C’est vraiment le truc à pas faire. Vous prenez tous le même appareil ; vous parlez, vous postillonnez sur l’appareil téléphonique et derrière, y en a un autre qui le prend et qui fait la même chose… Y a aucune désinfection juste après ; donc c’est pas une mesure utile. Ceux qui ont la chance d’avoir un téléphone, y sont bien lotis, en attendant d’avoir des parloirs ; et ceux qui en ont pas, ben ils ont pas de nouvelles de leur famille, à l’extérieur ils s’inquiètent… Nous, on essaie quand même d’aider certaines personnes, de passer des messages à leur familles, de les prévenir qu’ils vont bien… mais si y avait pas un peu de solidarité entre les détenus, franchement, ce serait la catastrophe.

    Les mesures de la ministre, c’est une grande blague générale. Quarante euros pour le téléphone : personne l’utilise, et y faut éviter, au contraire… Ensuite vous avez quarante euros pour les personnes qui n’ont pas d’argent, donc nous ça nous change rien du tout… Voilà, quoi ! A part ça, des réductions de peine : ils enlèvent deux mois en fin de peine, mais nous ça nous concerne pas parce qu’on est en détention provisoire, donc pas jugés ; avec la présomption d’innocence, logiquement on aurait plus de chances d’être auprès de notre famille en attendant notre jugement… moi, dans mon cas, mon dossier est fermé, j’ai ma femme et mes enfants dehors qui sont seuls ; s’ils ont un problème, je peux même pas être là, je peux même pas les aider ni faire des courses pour eux, ni rien du tout. Ma famille, si quelqu’un est contaminé… en gros, on peut laisser nos proches mourir à l’extérieur sans avoir eu l’occasion de les voir une dernière fois.

    Et sur les libérations, concrètement, vous voyez venir quelque chose ?

    Non ; j’ai des contacts avec le bâtiment d’en face, y a toujours autant de monde. Ils relâchent les gens auxquels il reste moins de deux mois, mais sa mesure, elle a rien changé parce que dans la loi, quand il vous reste moins d’un an, vous pouvez avoir le bracelet électronique, ou être sous contrôle judiciaire à l’extérieur, où il faut aller signer au commissariat en attendant votre fin de peine. Donc là, des gens à qui y reste moins de deux mois, y a déjà plus personne, en fait ; Cette mesure et les autres, c’est un effet d’annonce pour la presse et l’opinion publique, mais  sans plus. Au sein de la détention, personne ne voit le changement.

    Entre ce qu’ils disent à la télé sur la détention et ce qu’on vit à l’intérieur, c’est le jour et la nuit. Sincèrement, c’est pas du tout ça ! Ce qu’ils disent qu’ils ont donné, c’est jamais arrivé ; des masques, on en a pas, du gel hydroalcoolique on en a pas, on a pas de gants ; et on est plus nombreux en promenade maintenant qu’avant le confinement, en fait. Ça, on a pas compris. En cellule, on est plusieurs sans aucune protection, donc il suffit qu’y en ait un qui a le virus et tout le monde l’attrape. On a aucune aide, aucun soin. Vous pouvez appeler l’infirmerie : faut écrire un mot, ils vous appellent peut-être le mois d’après… mais entretemps, on sait pas si vous êtes encore là.

    Donc à l’intérieur tout le monde est angoissé : les gens qui voient plus leurs familles sont stressés, tout le monde a peur, donc la tension monte. Des jeunes ont déjà bloqué, il y a déjà eu une mutinerie, et je pense que si ça continue ça va aller crescendo.

    Tu me disais que les entrants sont très vite mis en cellule avec tout le monde ?

    Exactement ; un ami à moi était sorti sous contrôle judiciaire, et en fait, les entrants passent pas une quatorzaine isolés pour éviter de ramener le virus. Ils les font monter directement. Vous êtes déjà en détention, quelqu’un vient de l’extérieur, on vous le met directement avec vous, sachant que vous êtes déjà deux, vous vous retrouvez à trois avec un contaminé potentiel. Ici on est tous les uns sur les autres, donc si y a une personne contaminée, en une semaine vous avez tout le bâtiment qui risque de l’être. J’ai l’impression qu’ils font l’inverse de ce qui devrait être fait.

    Les libérations, c’est un mensonge total. Ceux qui devaient être libérés passaient en commission d’aménagement de peine, quand il leur restait moins d’un an… ben maintenant les commissions sont annulées !  Les Spip, ceux qui s’occupent des dossiers, ne travaillent plus à cause du confinement ; automatiquement, ça fait qu’il y a plus de gens qui restent en prison. En fait, y a rien qui a été fait ; y a des surveillants qui se sont acheté leurs propres masques eux-mêmes à la pharmacie ; y a zéro masques, pas de gel hydroalcoolique, pas de gants. L’administration a vraiment rien fait, elle laisse les gens à l’intérieur et laisse pourrir la situation.

    Vous êtes informés par l’administration s’il y a des gens malades, des gens mis en quarantaine ?

    Ah, non, non, ici vous avez aucune information ; vous allez voir passer des blouses blanches avec un détenu ; vous savez qu’il est contaminé, mais ils le disent surtout pas. On sait pas où ils partent ; on les voit plus, après. Il y a deux personnes contaminées dans le bâtiment dans lequel je suis ; on sait pas leur état, on sait même pas s’ils sont bien pris en charge ou pas. Ici y a pas de lits, y a pas de réanimation, y a pas de traitement, y a rien du tout. Si vous êtes contaminé, c’est vous et votre chance, quoi. Ils veulent pas nous le dire, mais on sait qu’il y a des contaminés, et le problème, c’est que surveillants et détenus, personne n’a fait le test ; ce qu’il aurait fallu, c’est faire des tests ; ceux qui sont contaminés, les mettre d’un côté en isolement total, ainsi que les personnels de l’administration ; et ceux qui sont pas contaminés, on peut les laisser dans un régime plus souple : promenade, toujours pas de parloirs, mais bon… quand même, on met à l’écart les gens contaminés – comme ils devraient faire à l’extérieur aussi… mais y a pas de tests. Du coup tout le monde est suspicieux, tout le monde est en stress, en panique, et tout le monde a peur pour sa vie ; parce que là, en fait, ils mettent la vie des gens en danger. On peut avoir commis des choses, on reste des êtres humains, mais les droits de l’homme sont pas appliqués dans la maison d’arrêt ; c’est malheureux à voir. Il y a des détenus qui ont commencé à porter plainte pour non-assistance à personne en danger. On est en danger, on a même pas de masques, on a rien du tout. Je comprends que c’est pour le personnel médical en priorité ; c’est normal. Ici, à 20 heures, tous les détenus applaudissent par la fenêtre pour soutenir le personnel médical ; mais on aimerait bien au moins… peut-être rester seul en cellule, pour éviter d’être avec quelqu’un de contaminé. On demande pas plus que les gens dehors. On a peur pour nos vies. On attend, en espérant qu’ils trouvent des solutions concrètes pour les détenus ; qu’ils essaient au moins de faire quelque chose, peut-être six mois pour les petits délits : délits routiers, gilets jaunes… les personnes pas dangereuses en fin de peine. Dans tous les cas elles vont sortir, alors qu’elles sortent dans six mois ou dans huit mois, vu l’état actuel des choses…

    On a pas à risquer votre vie. On reste des citoyens français. On est des pères de famille ; D’autres ont leurs grands-parents qui ont le virus, dehors ; ils sont ici et ils peuvent vraiment rien faire. Faut comprendre la réaction des détenus quand ils manifestent. C’est notre droit. On a le droit de manifester qu’on ne respecte pas notre protection.

  • Lettre de la compagne d’un prisonnier de la MA du Havre, le 1er avril 2020

    Lettre de la compagne d’un prisonnier de la MA du Havre, le 1er avril 2020

    Mais l’heure est grave ! Les détenus ne sont plus respectés.

    lue à l’antenne le 3 Avril 2020

    « Mon mari est actuellement à la prison du Havre. A savoir qu’ils sont trois détenus dans la cellule ! Il n’y a qu’un lit superposé… Donc il y en a un qui dort sur un matelas par terre et le matin il range le matelas sous le lit du bas. Dans la nuit d’hier (le 29 mars 2020) son co-détenu n’arrivait plus à respirer. Ils ont appelé les surveillants qui ne voulaient rien faire, pas se déplacer, rien ! Ils ont juste dit de mettre le détenu malade sur le lit du bas ! Ça faisait plusieurs jours que le détenu se sentait mal, qu’il avait tous les symptômes du Covid-19 : fièvre, fatigue, essoufflement, maux de tête. A la base, c’est un boxeur, donc bonnes conditions physiques, il fait du sport tous les jours en prison de base ! Et là, trois jours qu’il ne pouvait plus en faire, dû à sa fatigue et à l’essoufflement. Et là, cette nuit, à 2 heures du matin, son état s’est aggravé, il a demandé à mon mari de joindre les surveillants afin de leur expliquer la situation, mais rien. Les surveillants n’ont pas voulu se déplacer ! Le gars qui est donc malade a donné son téléphone à mon mari – oui, on le sait, c’est interdit en prison ! – et il a demandé à mon mari d’appeler le SAMU car il était en très mauvais état… C’est dire à quel point il était dans un mauvais état ! Le SAMU a alors contacté la prison et les surveillants, et un chef est enfin monté dans la cellule voir ce qu’il se passait. Avant même de s’occuper du détenu malade, le chef a immédiatement pris le téléphone portable et l’a cassé. Ce n’est que ensuite qu’ils ont pris le co-détenu malade ! Ils l’ont obligé à marcher et l’ont isolé aux arrivants (ce qui représente une longue distance : changement de bâtiment !). Le détenu malade est sorti avec une simple couverture, en short et tee-shirt avec ses baskets. Ils ne lui ont rien donné d’autre. A savoir aussi que l’infirmerie de la prison du Havre est fermée ! Mon mari a eu son rappel de vaccin dans un couloir de la prison, devant la porte de sa cellule, et debout ! Je ne vais pas vous faire un détail sur l’hygiène en prison… Mais l’heure est grave ! Les détenus ne sont plus respectés. »

  • « Nous, détenus,         bloquons les prisons de France »

    « Nous, détenus, bloquons les prisons de France »

    Communiqué collectif de la prison de Rennes-Vezin, 23 mars 2020

    Ce communiqué a été publié par l’Observatoire international des prisons sur le blog de Mediapart le 23 mars 2020 alors que des mouvements ont lieu tous les jours dans des dizaines de prisons sur tout le territoire. Une semaine plus tard, force est de constater que la ministre des tribunaux et des prisons -qui annonce fièrement libérer 3500 prisonniers- n’a pas pris la mesure du message qui lui était adressé. Nous publions donc une nouvelle fois ce texte collectif dont nous saluons la combativité. Dans le contexte d’une crise sanitaire sans précédent, il rappelle les humiliations, l’arbitraire et la violence de personnels, les conditions misérables, les fouilles à nu, le surenfermement, l’absence d’aménagement, la rareté des rapprochements familiaux… qui font le quotidien de l’enfermement.

    À l’attention de
    M. le Président de la République,
    Mme Belloubet, ministre de la Justice,
    M. Bredin, directeur de l’Administration pénitentiaire,
    Mme Hanicot, directrice de la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes,
    M. Astruc, procureur de la République à Rennes,
    ainsi qu’à tous les directeurs de prison.

    Nous, détenus, bloquons les prisons de France.

    Nous, détenus, sommes inquiets concernant le Covid-19 pour nos familles, nos proches et nous-mêmes. Nous vivons une crise sanitaire sans précédent et le sentiment de peur est décuplé, comme tous les sentiments en prison.

    Nous détenus de France demandons que des règles d’hygiène strictes soient imposées à l’ensemble du personnel de l’établissement ; que la promiscuité entre nous et le personnel, comme partout ailleurs en France, soit interdite et que si cela n’est pas possible, que le personnel porte gants et masques. Nous détenus de France, demandons un plan d’action sanitaire en cas de contamination au sein de chaque centre pénitencier.

    Nous, détenus, accusons le système judiciaire et carcéral de nous mettre en danger de mort et demandons immédiatement le désengorgement de toutes les prisons en libérant les fins de peine et les détenus considérés comme non dangereux pour notre société afin de ne plus jamais dépasser la capacité d’accueil des prisons. Nous demandons à ce que vous soyez vigilants de telle sorte à ne plus jamais nous entasser au point de dormir par terre, et ce en vous assurant dorénavant de bien réguler les prisons pour incarcérer dans des conditions dignes d’un pays tel que la France.

    Nous, détenus, dénonçons les violences physiques et morales de la part de certains surveillants et Équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) couvertes par les directions ; les effacements trop rapides des preuves vidéos, et encore pire des plaintes classées sans suite par les procureurs trop proches des directeurs de prison, qui par la même occasion se rendent complices de ces agissements et donnent un sentiment d’impunité aux surveillants véreux.

    Nous, détenus, dénonçons la flexion lors de fouille à nu, cela porte atteinte à notre dignité et nous humilie. Pourtant, sur la circulaire relative aux moyens de contrôle des personnes détenues, jamais la flexion n’est indiquée ou ni aucune autre humiliation, c’est donc de l’abus de pouvoir.

    Nous, détenus, dénonçons le mépris, les moqueries et les inepties des syndicats de surveillants et gradés. Le pouvoir qu’ils ont obtenu, s’il sert à améliorer leurs conditions de travail, est honorable ; par contre quand il sert à faire reculer nos conditions de détention cela devient malsain et creuse un fossé inéluctable entre surveillant et détenu.

    Nous, détenus, dénonçons la Direction interrégionale de casser les liens familiaux en refusant les rapprochements familiaux ou en mettant trop de temps pour les plus chanceux de se rapprocher de chez eux (Corses, Basques, etc.). Nous détenus, dénonçons le refus quasi-systématique des parloirs prolongés pour les familles vivant à plus de 200km alors qu’en théorie cela est déjà inscrit dans le règlement. Arrêtez de nous dire qu’il n’y a plus de places, trouvez des solutions !

    Nous, détenus, dénonçons avec la plus grande véhémence le régime fermé des maisons d’arrêt et demandons immédiatement la reprise dans toutes les prisons de deux promenades par jour, sans vous cacher derrière l’excuse du travail ou activité, car nous savons tous que les places sont limitées. Nous ne pouvons plus rester entre 22h voire 23h enfermés sans pouvoir sortir de la cellule, ceci est inhumain. Nous souhaitons que le système carcéral en maison d’arrêt soit repensé, avec plus de bâtiments, de confiance.

    Nous, détenus, dénonçons le système des cantines à géométrie variable et voulons acheter de la viande selon nos croyances (juives, musulmanes ou chrétiennes) donc cantiner de la viande casher, halal ou neutre et si la chaîne du froid pose problème, il faut trouver des solutions, qui existent. Nous détenus, demandons la mise en place de trois délégués au minimum par prison afin de dialoguer avec la direction et apaiser les tensions.

    Nous, détenus, demandons plus de juges d’application des peines et conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation pour ne plus jamais dépasser le délai des quatre mois lors d’un aménagement de peine et demandons l’application stricte de la loi sur les aménagements de peine : maison d’arrêt mi-peine et centre de détention 1/3 de peine.

    Nous détenus, dénonçons le sort réservé aux détenus dans les quartiers d’isolement et le traitement inhumain et dégradant que vous leurs infligez.

    Nous détenus, dénonçons la dureté de la détention pour les femmes détenues, souvent rejetées par leurs proches et coupées du monde extérieur sans aucun lien social et demandons une réflexion sur la séparation d’une mère détenue et son enfant. Nous détenus, demandons un délai plus court entre chaque uvf.

    Nous, détenus, demandons aux juges de se remettre en question concernant les détentions provisoires car cela devient une antithèse avec la présomption d’innocence.

    Nous, détenus, sommes tout simplement au bord de la rupture qui s’est accentuée avec ce contexte anxiogène de la propagation du virus covid-19. Sachant qu’en prison aucune règle de base n’est respectée par les surveillants, ni les barrières de distance, ni les gants, ni les masques et pire on continue de nous palper au mépris des règles d’hygiène, ce qui augmente le risque de contamination. Nous détenus, lançons un cri du cœur pour que les surveillants humains prennent le dessus sur les surveillants qui se sont déshumanisés afin de renouer le dialogue. Nous détenus, demandons à être respectés par toute la corporation judiciaire, pénitentiaire et la société.

    Nous, détenus, apportons notre soutien aux infirmières, unités sanitaires, médecins, pompiers, virologues, Samu, Smur et tout le corps médical car nous sommes conscients et reconnaissants du travail accompli dans cette période si difficile. Merci à vous.

    Les détenu(e)s de France.

  • Lettre de Heisenberg, prison de Meaux-Chauconin, le lundi 30 mars 2020

    Lettre de Heisenberg, prison de Meaux-Chauconin, le lundi 30 mars 2020

    Ils attendent qu’on tombe par terre pour nous envoyer à l’infirmerie.

    lue à l’antenne le 1 Avril 2020

    « Il n’y a des masques et des gants que pour les surveillants. Je lis le journal tous les jours et ils disent qu’ils sortent que les personnes en fin de peine, alors que j’ai des amis qui sont sortis d’ici avant d’être jugés pour des grosses affaires. Donc j’aimerais savoir comment la garde des Sceaux choisit les personnes qui doivent sortir. C’est du grand n’importe quoi.

    Le Corona a touché un surveillant de la prison de Meaux où je suis actuellement. Il est en réanimation. Ce même surveillant était encore ici il y a quelques jours. Donc en contact avec les détenus. La moindre des choses, ça serait de prendre chaque détenu un par un, les envoyer à l’infirmerie, et leur faire un test au moins. Ils attendent qu’on tombe par terre pour nous envoyer à l’infirmerie.

    Depuis l’arrêt des parloirs, il y a des bagarres presque tous les jours car il n’y a plus de shit. Tout le monde est sous tension. Personnellement je ne sors plus en promenade. Je reste confiné dans ma cellule parce que je voudrais pas attraper le Corona et mourir iciJ’aimerais revoir mes parents un jour. Mais ça, Nicole Belloubet, ça lui passe bien au-dessus de la tête, elle doit être tranquille dans son appartement haut-standing.

    En Iran, ils ont libéré 85 000 détenus, en France, ça parle de 5000? Une goutte d’eau au milieu de la mer. Moi je dis qu’en France, il y a 70 651détenus pour 61 080 places, le minimum, c’est de faire sortir 9571 détenus pour que chaque détenu ait son lit pour dormir.

    Nous sommes deux dans la cellule, mais s’il y a plus de place, ils peuvent ramener un troisième matelas au sol. Dormir par terre personnellement, jerefuserai directement, je préfère dormir au mitard que par terre.

    Les cantines fonctionnent toujours, c’est la seule chose de positive ici.

    Les matons, ils se sont assagis car eux-mêmes ils savent que les détenus sont tendus donc ils ont peur en vrai. De mon point de vue, les surveillants sont des victimes de tout ça aussi, ils n’ont pas le choix de venir au boulot. Je me mets à leur place, j’aurais posé mes congés directement. Leur syndicat devrait beaucoup plus se bouger, j’ai vu qu’ils ont porté plainte, ça suffit pas, ils devraient bloquer les prisons à leur tour. Là ça ferait avancer les choses! Mais s’ils durcissent les règles pour les prisonniers, ça va se retourner contre eux.

    Les revendications ici à la prison de Meaux c’est:

    -des masques,

    -des gants,

    -du gel hydro alcoolique,

    – et surtout que chaque détenu soit testé au coronavirus.

    Il ne faut pas attendre: APRES L’HEURE, C’EST PLUS L’HEURE! »

    HEISENBERG

  • Face au Covid-19 en prison : amnistie générale !

    Face au Covid-19 en prison : amnistie générale !

    (Ce texte de la rédaction est publié dans le numéro d’avril du mensuel CQFD)

    « Avec le confinement, vous touchez du doigt – en plus roudoudou – ce que nous vivons au quotidien, nous les prisonniers : impossibilité d’aller et venir, privation de voir ses proches et soumission à l’arbitraire pour tout », écrit un prisonnier à L’Envolée, à l’heure où le pays est confiné et les prisonniers et prisonnières plus coupés du monde que jamais. Ajoutée à l’absence de soins, la surpopulation carcérale – ou plutôt, le surenfermement de la population – fait des prisons des lieux hautement pathogènes. Tous les ans, des épidémies s’abattent sur les personnes incarcérées : tuberculose, gale… Le Covid-19, qui ne fera pas exception, révèle la criante indignité de la prison.

    Suspendre les parloirs ne protégera pas les prisonniers

    Face à cette épidémie, Nicole Belloubet, la ministre des tribunaux et des prisons, opte pour une mesure très brutale : la suppression des parloirs et de toute activité. Faute de pouvoir isoler les prisonniers en attribuant une cellule à chacun (70 651 prisonniers et prisonnières au 1er janvier pour 61 080 places dans des cellules le plus souvent collectives) ; faute de distribuer à toutes et tous des masques de protection, des tests et des solutions hydroalcooliques ; faute de confiner les matons qui continuent de rejoindre leurs familles chaque soir… l’État considère d’office que les prisonniers, les prisonnières et leurs proches ne seraient pas capables d’appliquer les fameux « gestes barrières ».

    Plus de shit, des possibilités de cantines (achats de produits de la vie courante) restreintes, plus d’activités, plus de parloirs, 22 heures sur 24 en cellule et déjà des promenades réduites dans certaines prisons. Celles et ceux qui sont enfermés sont à la fois en colère et inquiets : le peu de mouvements et de contacts qui rendent la détention supportable disparaissent du jour au lendemain sans qu’ils et elles se sentent protégés pour autant. Ces mesures sont ressenties comme absurdes et méprisantes parce que le prétendu « confinement » est totalement inapplicable à l’intérieur des prisons. Et ce n’est pas la générosité de la ministre (télévision gratuite, un maigre crédit téléphonique et une aumône de 40 € pour les indigents) qui va étouffer les craintes – et le feu.

    Des révoltes contre ces mesures

    Ces mesures n’empêcheront pas l’épidémie de se répandre. Elles ne servent qu’à donner des gages aux personnels de l’Administration pénitentiaire (AP), et notamment aux matons, en diminuant les mouvements à l’intérieur et le nombre de fouilles à effectuer ; et donc les contacts. Ils ont aussi peur du coronavirus que des mutineries : ils savent très bien que les prisons vont se transformer à la fois en cluster (foyer d’infection) et en cocotte-minute prête à exploser. Leur syndicat majoritaire (Force ouvrière) a déjà menacé d’user du droit de retrait, agitant l’exemple de l’Italie où, depuis le 8 mars, des émeutes ont éclaté dans des dizaines de prisons, causant la mort d’au moins 14 prisonniers et plusieurs évasions collectives. Sur les toits, les prisonniers crient « Libertà ! » et exigent l’indulto – l’amnistie.

    Quinze jours après, la révolte gronde dans toutes les prisons françaises avec chaque jour des dizaines de mouvements collectifs : refus de remonter de promenade, montées sur les toits, mutineries ; et déjà des matons qui tirent, comme à la maison d’arrêt de Grasse (Alpes-Maritimes) et au centre de détention d’Uzerche (Corrèze).

    Il faut vider les prisons

    C’est dans cette ambiance que la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, se fonde sur la protection que l’État doit aux gens qui sont sous sa garde pour demander, le 17 mars, de « réduire la population pénale à un niveau qui ne soit pas supérieur à la capacité d’accueil des établissements », de « favoriser les sorties de prison et limiter les entrées » et « de procéder sans délai à la fermeture temporaire des centres et locaux de rétention administrative ». Du jamais vu.

    Le lendemain, un texte signé par des organisations qui vont de l’Observatoire international des prisons à l’Association nationale des juges de l’application des peines en passant par le Syndicat des avocats de France demande de « réduire drastiquement le nombre de personnes détenues ». Il énumère différentes manières de limiter les entrées : préférence aux peines alternatives, placement sous contrôle judiciaire plutôt qu’en détention provisoire, report de la mise à exécution des peines de prisons et limitation des comparutions immédiates, « particulièrement pourvoyeuses d’incarcérations ». Il demande également de faire sortir un maximum de personnes (en libérant les prévenus sous contrôle judiciaire, en multipliant les aménagements de peine, en anticipant les libérations en fin de peine et en suspendant des peines pour raison médicale). Les signataires suggèrent aussi d’augmenter les réductions de peine, voire de voter une loi d’amnistie. De mémoire de L’Envolée, on n’avait jamais vu ça non plus.

    Mais le plus fort reste à venir. Le 20 mars, la CGT pénitentiaire demande « un recours massif à la grâce individuelle pour le maximum de personnes incarcérées, en fonction du reliquat de peine restant et de la nature des infractions concernées ». Même s’ils ne peuvent pas tout à fait s’empêcher de jouer aux petits juges, ces surveillants envisagent la libération de presque 20 000 prisonniers condamnés à des peines de moins d’un an !

    Tout le monde dehors !

    Bon, on se calme, on reprend. Pour ce qui est des centres de rétention, le CGLPL le dit : tout le monde dehors. Pour ce qui est des prisons, on prend la calculette : 18 000 courtes peines + 20 000 prévenus en attente de jugement + 1 404 personnes en semi-liberté + 611 personnes en centre de peine aménagée + 20 000 prisonniers en centre de détention (régime soi-disant orienté vers la réinsertion, donc la sortie) + les malades (chiffres non fournis)… on arrive déjà à plus de 60 000 personnes à relâcher.

    Ajoutons simplement : les mineurs (804) + les plus de 60 ans et toutes les personnes qui ont déjà effectué des longues peines en dépassant les quinze ans d’enfermement… Bon an mal an, on y est : autant arrondir à 70 000 ! Soit l’amnistie générale ! Les prisonniers et les prisonnières l’exigent depuis vingt ans dans les colonnes de L’Envolée – avec un autre argumentaire, certes ; mais si là, tout le monde est d’accord, on ne va pas chipoter…

    Et ne plus remplir les prisons !

    Que tous ces gens s’entendent pour définir l’enfermement comme un risque sanitaire et fassent pression sur la ministre pour vider les prisons, même provisoirement, c’est historique. Malheureusement, on sait que ça ne suffira pas.

    Même face au péril sanitaire, l’impératif sécuritaire reste le maître mot : la machine pénale est pensée pour remplir les prisons, pas pour les vider. Nicole Belloubet le confirme dès le 20 mars en s’engageant à peine à « travailler sur (sic) les détenus malades et sur les personnes à qui il reste un mois de détention ». Elle finit par promettre 5 000 libérations – très loin du compte – en précisant qu’« il n’y aura pas d’amnistie, car il faut préserver la sécurité de la société ». Ben tiens !

    Quant aux quelques « mesures qui veillent à ne pas faire entrer de personnes supplémentaires en prison », elles sont contredites par un amendement – adopté par l’Assemblée nationale dès le 21 mars – qui fait du non-respect à quatre reprises des règles de confinement un délit puni de six mois d’emprisonnement. Cherchez l’erreur ! Le même jour, quatre hommes arrêtés pour ce motif étaient incarcérés à la prison de Villepinte (Seine-Saint-Denis) en attente de jugement pour « outrage et rébellion » et « mise en danger de la vie d’autrui »… Qui met la vie de qui en danger ?

    On le voit déjà dans toute la société : la coercition de la politique sécuritaire du gouvernement sera inversement proportionnelle à sa scandaleuse gestion sanitaire.

    Ça se fera aussi sur le dos des prisonniers à moins qu’ils et elles trouvent des moyens d’imposer leur libération.

    Force, courage et décontamination

    L’Envolée

    ***

    Messages et lettres de prison

    « À tous les frérots en prison : à partir du 19 mars, il faut qu’on bloque en promenade tous les jours jusqu’à que l’État accepte au minimum un parloir par semaine. Faut qu’on se fasse entendre bien plus haut que l’administration pénitentiaire : c’est l’État qui dirige. Il faut faire du bruit. Ils nous disent que c’est pour quinze jours alors qu’ils savent très bien que c’est parti pour plusieurs mois. Ils nous privent de la seule liberté qui nous reste : la visite de notre famille. Merci, et oubliez pas : l’union fait la force, ensemble on y arrivera. » Lenvolee.net, 18 mars.

    « Libérez un peu les prisons de la surpopulation carcérale ! On veut que les surveillants soient contrôlés à chaque entrée, parce que ça nous fait peur ; au moins leur fièvre parce que c’est eux qui vont nous le refiler. Tous les gens qui rentrent en prison aussi, qu’ils soient contrôlés à l’entrée, avec un registre. » Lenvolee.net, 19 mars.

    « Nos cantines n’arrivent pas, nos parloirs ont été suspendus. Personne ne se préoccupe de notre état de santé. On avait un co-cellulaire qui est parti, avec le masque, on l’a sorti à 8 heures du soir de la cellule. On ne sait pas pourquoi […]. Aujourd’hui nous sommes deux personnes encore dans la cellule. Nous présentons des symptômes de fièvre, le nez qui coule, et la gorge qui pique. […] L’administration trouve une seule solution :  “Vous vous étouffez pas ? Y a pas de souci à se faire !” […] J’appelle tous les détenus de la maison d’arrêt de Seysses à faire une révolution générale. » Maison d’arrêt de Seysses (Haute-Garonne), Iaata.info.

    « On est 3 dans une cellule de 9 m2. Ça fait une semaine qu’on a plus de parloir, qu’ils nous autorisent plus les promenades, plus rien. […] On a peur qu’un jour la porte s’ouvre plus, qu’on nous laisse mourir dans la cellule… Y a beaucoup de psychose qui commence à s’installer dans la prison. » Maison d’arrêt de Seysses, Mediapart.

     « Nous voulons un DÉPISTAGE pour chaque détenu ainsi que pour chaque membre de l’administration pénitentiaire. – Nous souhaitons que tous les agents pénitentiaires sans exception soient équipés de gants et de masques (ce sont eux les plus exposés au virus car ce sont eux qui rentrent et sortent de l’établissement). – Nous voulons être informés de l’évolution de cette situation : quand les parloirs seront-ils rétablis ? Qu’en est-il des cantines ? Qu’en est-il des sacs de linge ? Qu’en est-il des soins médicaux en cas de coronavirus ? – Et enfin, pour nous protéger, nous aimerions que chaque détenu ait du gel désinfectant et un masque à sa disposition (le minimum en mesures d’hygiène actuellement). »
    Revendications des prisonniers du centre de détention d’Uzerche (Corrèze) lors de la mutinerie du 22 mars.

    « Un  message qui s’adresse à l’État et à tous ceux qui régulent les pénitenciers de France : nous voulons un dépistage au cas par cas pour chaque détenu et membre de l’établissement pénitentiaire. Nous voulons que les agents soient équipés de masques car c’est eux qui entrent et sortent de la prison donc c’est bien eux qui nous ramènent le coronavirus puisque nous n’avons plus de parloir. Nous voulons plus d’informations sur cette situation : cantines, parloirs, sacs de linge, activités, car les seules informations qu’on a c’est à la télé. Nous voulons du gel hydro-alcoolique, des masques, du savon pour chaque détenu. Tout ce qu’on a c’est du gel douche Tahiti. On nous offre la télé et 40 € pour les indigents, waouh, quelles belles mesures par l’État ! S’il peut faire mieux ce serait pas mal, sinon ça va chauffer. » Centre pénitentiaire de Béziers (Hérault), 23 mars.

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