Catégorie : Textes de L’Envolée

  • Un non-compte-rendu du procès de la mutinerie qui a eu lieu le 25 septembre au QMC de la prison de Valence

     

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    Vendredi 6 janvier 2017 s’est tenu le procès de trois personnes accusées d’avoir mené une mutinerie le 25 septembre à la nouvelle prison de Valence, au sein du Quartier Maison Centrale (QMC). Impossible d’accéder à l’audience, pourtant censée être publique. Plus que jamais, rappelons qu’il est important d’écouter et de relayer la parole des prisonniers et prisonnières en luttes et de se solidariser avec eux.

              Un procès à huis-clos qui ne dit pas son nom

    Nous ne vous ferons pas de compte-rendu de ce procès, car l’accès au tribunal était interdit à tout le monde. Sauf peut-être aux surveillants, à leurs amis, et à des journalistes qui, cette fois encore, se contenteront de relayer la parole de la matonnerie et de l’AP… Un jugement à huis-clos, donc, mais tout à fait officieusement. Nous pensons aux trois prisonniers-accusés, Omar Top El Hadj, Aziz Bouzida et Joseph Marino, qui semblent avoir comparu sans aucune figure amicale dans la salle, sans aucune oreille amie qui s’intéresse à ce qu’ils ont bien pu dire à ce tribunal.

    Mise en scène caricaturale de la « dangerosité » des accusés 

    Sous prétexte que l’un des accusés s’est évadé en 2009 -et probablement grâce aux moyens conférés par l’état d’urgence ?-  un dispositif de sécurité impressionnant, voire grotesque, avait été mis en place. Mise en scène caricaturale de la « dangerosité » des accusés afin d’éluder toutes les questions importantes à nos yeux. Plein de flics partout dedans et autour, surarmés et cagoulés, contrôle systématique de l’identité des personnes voulant entrer dans le tribunal, quasiment tout le monde se trouvant refoulé. Quelques personnes seront même embarquées au poste pour une énigmatique vérification d’on ne sait pas trop quoi avant d’être relâchées quelques temps plus tard. Sans aucune explication évidemment. Histoire d’empêcher toute autre parole que celle de l’institution judiciaire et carcérale de sortir.

              Face à l’isolement : solidarités !

    La réaction de la pénitentiaire est toujours d’isoler les prisonniers et de les maintenir dans le silence. Mais répétons le encore une fois : nous savons qu’ils ont toujours des raisons -individuelles et collectives- de se rebeller. Particulièrement dans un QMC, ces nouvelles unités ultra sécuritaires que des prisonniers ont rebaptisé « QHS tombeaux secrets » et dont nous avons souvent décrit et dénoncé le fonctionnement sur le site internet de l’Envolée, ou dans le journal du même nom.

    Lorsque des prisonniers se révoltent, manifestent, revendiquent, se mutinent… ils prennent des risques énormes. Tout le monde peut exprimer son intérêt ou sa solidarité, briser l’isolement, notamment en tentant de prendre contact avec eux ou leurs proches, en recueillant des informations et points de vue directement auprès d’eux. Pour cette mutinerie comme pour d’autres, toutes informations, points de vue et contacts directs de l’intérieur sont donc les bienvenus. Ecrivez-nous ! Faites circuler !

              Le peu que l’on a appris

    Et puisque nous n’avons pas eu accès à l’audience, voici au moins quelques « infos » glanées pour le moment dans les médias « autorisés » comme on devrait dire :

    L’avocat de l’un des accusés affirme que s’il s’est révolté ce jour là, c’est parce qu’il avait formulé maintes demandes pour accéder à un régime alimentaire adapté à ses graves soucis de santé. Demandes restées sans suite.

    Omar Top El Hadj, Aziz Bouzida et Joseph Marino étaient accusés de dégradation par moyens dangereux (pour avoir mis le feu à un matelas), « violence aggravée » et « vol avec violence », et d’avoir commis des dégradations de matériel pour 70000 ou 90000euros. Cinq ans de prison ont été requis à l’encontre de Omar Top El Hadj, quatre ans à l’encontre de Aziz Bouzida et Joseph Marino. (verdict à venir)

    Ces prisonniers seraient actuellement incarcérés à Corbas, Villefranche-sur-Saône et aux Baumettes à Marseille.

    Enfin, selon le Dauphiné du 6 janvier :

    « Un faux tract portant les logos du syndicat pénitentiaire Ufap-Unsa Justice a été distribué ces dernières heures dans les boîtes aux lettres de Valentinois. Dans ce document, le secrétaire local du syndicat est directement visé ainsi que la profession de surveillant, en général. Cette distribution intervient quelques heures avant l’ouverture du procès des trois auteurs présumés de la mutinerie du 25 septembre au centre pénitentiaire de Valence . Une plainte pour diffamation a été immédiatement déposée par le syndicat. Par ailleurs des tags anti surveillants auraient été inscrits à proximité du palais de Justice. » (voir photo)

    * Pour toutes personnes intéressées, nous participons à les relayer .

  • Christine est enfin sortie pisser dans l’herbe… yeah

    mouton-punk

    Dans l’océan de misère, d’indignité, de peines infinies, que charrie le système pénal, il arrive parfois qu’une bonne nouvelle  survienne. Eh bien c’est arrivé il y a quelques jours à peine !

    Christine Ribailly, la – trop fameuse à son goût – bergère insoumise est enfin sortie  le 22 décembre, après quatre années de dédale pénitentiaire. Christine, était incarcérée depuis novembre 2012 pour diverses condamnations d’outrages et rébellions sur des flics et des matons. Rentrée pour quelques mois, elle est finalement restée plus de quatre ans en détention.

    4 ans de détention dont plus de la moitié en quartier disciplinaire ou en isolement.

    4 ans de détention dont 18 transferts disciplinaires et 15 taules différentes.

    4 ans de détention dont 6 procès suites à des plaintes de matons à l’intérieur.

    4 ans de détention et 4 demandes de libération conditionnelle…

    Toutes refusées, sauf la dernière, bien sur…

    Comme elle l’a souvent écrit elle-même, le sort qui a été fait à Christine est exemplaire de celui que subissent des milliers de prisonniers et prisonnières ; en particulier celles et ceux  qui refusent les intimidations, les traitements dégradants, les fouilles à nu, les transferts disciplinaires ou les refus de libération en conditionnelle. Celles et ceux qui s’insurgent aussi bien contre le sadisme des personnels que contre l’absurdité de règlements dont la violence est structurelle. Celles et ceux qui relèvent la tête malgré la prison et contre elle.

    Après des dizaines de courriers de l’intérieur pour raconter ses luttes ou celles de ces co-enfermées, voici le premier message de Christine depuis l’extérieur:

    Le 16 décembre c’était la réponse de la dernière demande de libération conditionnelle faite à Nantes.  Surprise! Le JAP est d’accord. Encore plus grosse surprise, le proc’ ne s’y oppose pas dans les 24 h.  Bref, le mardi 20 à 9h30, j’ai la confirmation que je sors le jeudi 22 !

    Alors, voilà aujourd’hui c’est fini. Ouf !

    Merci à ceux qui m’ont aidée à rester debout, qui ne m’ont pas lâchée, qui m’ont écrit, qui sont venus me voir aux parlus, qui ont aidé à diffuser les infos….

    Bon vent à tous et VIVE LA LIBERTÉ !

    Christine

    Christine est donc libre depuis le jeudi 22 décembre mais sous un régime de liberté conditionnelle. C’était trop. C’est toujours trop. Et c’est pas trop tôt! Bonne suite à toi Christine! Tu vas pouvoir enfin pisser dans l’herbe, y courir, y revoir tes proches.

    On peut notamment lire certains épisodes de ces quatre longues années sur le site https://enfinpisserdanslherbe.noblogs.org/  ainsi que dans les articles et lettres publiés par nos soins par exemple : la lettre collective de revendication depuis la MAF de Poitiers Vivonne ; des courriers à propos d’une bagarre pour la réouverture de la salle de convivialité à la prison de Réau début 2014 ; ou encore des courriers depuis les prisons de La Talaudière, Corbas, Joux-La-Ville et Bapaume. On peut la lire aussi au fil des pages des dix derniers numéros, notamment, en discussion autour des possibilités de luttes collectives dans le numéro 40 en janvier 2015 ; ou sur la question des peines intérieures dans le numéro 43 de mars 2016.

  • octobre 1981, 2001, 2016 : de la peine de mort aux peines jusqu’à la mort

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    Le texte qui suit est paru dans le numéro 2 du journal. C’était il y a quinze ans. En octobre 2001, à l’occasion de la célébration des vingts ans de la dite « abolition de la peine de mort », des prisonniers longues peines envoyaient des communiqués depuis le fin fond des maisons centrales. Ils voulaient secouer la société, dénoncer son hypocrisie, sortir de ses mouroirs. Nous tentions de  faire échos à leurs revendications. C’était il y a quinze ans. Rien n’a changé ? Si ! En ces matins bruns de campagne électorale l’on reparle de peine de mort pour les désignés terroristes et l’on promet 30 000 places de prison de plus. En attendant, les peines de 20 ans sont devenues des peines de 30 ans… et les prisonniers exécutent ces peines qui les exécutent.

    Octobre 2001. La France, pays phare des valeurs démocratiques, commémore l’abolition de la peine de mort : la célébration ne sera pas un événement national comme la dernière Coupe du monde ; mais, dans un élan commun, nos dirigeants, nos sociologues, nos criminologues, nos philosophes, nos intellectuels, nos artistes vont célébrer le courage politique dont a fait preuve le premier gouvernement Mitterrand en décidant, contre l’opinion populaire, d’en finir avec les exécutions capitales. Comme si la Gôche cherchait encore à redorer une image qu’elle aime à se donner, celle du progrès social et humanitaire, alors qu’elle n’a jamais fait mieux, pour ne pas dire pire, que la droite dans tous ces domaines.
    Joli tour de passe-passe !

    On oublie tout simplement de dire que la France a été le dernier pays d’Europe occidentale à prendre cette décision (la peine de mort existe encore en Belgique, mais elle n’a jamais été appliquée) ; l’Espagne (1978) ou le Portugal (1975) en avaient déjà fini avec cette pratique barbare. La France était de toutes façons dans l’obligation de se conformer pour entrer dans l’espace judiciaire européen, faute de quoi elle serait apparue comme le vilain petit canard turc exclu de la communauté.

    Quant au danger qu’une telle décision représentait pour le bon peuple, prétendument avide de sécurité, il était inexistant : le gouvernement Giscard à ses débuts avait préparé un projet d’une peine maximum de quinze ans, qui n’a pas vu le jour à cause de l’apparition massive du chômage (pour masquer ce problème, comme toujours on a parlé d’insécurité), d’où l’abandon pur et simple de l’idée. Au contraire, dès 1978 le gouvernement Giscard/Barre préparait un arsenal juridico-pénitentiaire capable de remplacer plus qu’efficacement la guillotine. De fait, en 1981 les socialistes n’ont pas aboli la peine de mort mais juste supprimé la guillotine, et ont remplacé la peine de mort par l’enfermement jusqu’à la mort, pour ne pas pas parler des exécutions sommaires dans les rues par les flics ou de la réinstauration de la torture dans les commissariats. Jamais les peines prononcées par les cours d’assises n’ont été aussi lourdes, jamais les aménagements de peines n’ont été aussi chiches pour ne pas dire inexistants, jamais on ne s’est autant suicidé en prison. Nouveaux temps, nouvelles techniques, plus propres, plus efficaces, sans effusion de sang mais tout aussi violentes et meurtrières. En 1789, l’Assemblée constituante considérait qu’une peine de plus de dix ans d’emprisonnement était un châtiment plus cruel que la mort. Désormais, on considère que tant que le corps ne subit aucune torture on peut infliger tous les sévices à l’esprit. Torture blanche, mort clinique, les bourreaux modernes se font fort d’obtenir la rémission complète des récalcitrants, avec ou sans leur consentement.

    Le début des réformes contemporaines des systèmes judiciaire et carcéral date de plus de trente ans. Les années 70, préparant l’avènement de la social-démocratie en France comme dans le reste de l’Europe, auront été particulièrement riches en mouvements, révoltes, mutineries dans les prisons ; entre autres, les QHS ont été une cible privilégiée des prisonniers révoltés. Rappelons qu’en 1974 une bonne trentaine de taules ont été au moins partiellement détruites. Face à ce mouvement qui posait des questions de fond sur l’existence et les véritables causes de l’enfermement, l’Etat répondait en accordant quelques améliorations des conditions de détention. Dans le même temps, il affinait ses pratiques répressives pour éliminer les résistances potentielles à venir : juste après l’assassinat de Mesrine, il accouchait d’une serie de lois extrêmement dures pour casser les plus résistants.
    Les années 70 ont aussi été l’aboutissement de bouleversements économiques et sociaux : à l’extérieur, la mainmise de la loi du marché dans tous les secteurs a redessiné les traits d’une nouvelle définition de l’exclusion. Précarisation, assistanat, éclatement des anciennes communautés ouvrières (mines, sidérurgie, automobiles…), traque aux travailleurs clandestins et aux sans-papiers dont on n’avait momentanément plus besoin : la nécessité pour le capital de se débarrasser de formes de production devenues obsolètes et peu rentables a modifié les rapports de classes au moins en apparence. Eclatement du secteur primaire, industrialisation et concentration du secteur secondaire, développement à outrance du tertiaire : au moins dans les pays occidentaux, le capital commençait à réaliser son vieux rêve, se passer de l’homme pour produire. Restait sur le carreau une masse de précaires et d’inoccupés qu’il s’agissait d’encadrer fermement, de dépossédés qu’il fallait contrôler afin de s’assurer qu’aucune résistance ne naisse de ce nouvel état de fait. La prison jouait là à plein son rôle déterminant : mettre de côté temporairement ceux qui n’étaient plus rentables, enfermer pour longtemps ceux qui d’une façon ou d’une autre refusaient de se soumettre, et faire peur à tous ceux qui auraient pu en rêver. Le fait que les peines de sûreté voient le jour à ce moment, avec l’assentiment de tous les partis politiques, n’est évidemment pas un hasard ni un phénomène étranger à l’évolution de cette société marchande.

    Il devrait être impossible pour un cerveau sain d’imaginer qu’un être humain puisse en enfermer un autre. Alors, que dire de l’acceptation si répandue de voir des prisonniers emmurés à vie ou presque ? Ce délire de la longueur des peines a atteint son paroxysme. Vingt ans en moyenne  (trente aujourd’hui en 2016) : c’est devenu une mesure du temps, d’un temps économique, calculé, rentabilisé, c’est le temps d’un crédit immobilier, c’est le temps de l’« éducation » d’un enfant… Cette norme du temps, monotone, vide de toute réelle activité, exsangue de tout esprit d’aventure, peureuse du moindre bouleversement, n’a trouvé comme dernier ersatz de passion que l’autodéfense, la protection à outrance des maigres conforts qui ont été concédés au prix de la vie. On peut préférer son magnétoscope à la vie d’un homme, sans en rougir, ou se sentir physiquement violé après avoir été cambriolé et aller se consoler chez un psychiatre ! C’est dans ce climat de misère que l’opinion publique ne parvient même plus à concrétiser ce que peuvent représenter vingt ans d’enfermement : juste parce que l’être humain ne comprend plus vraiment l’idée d’activité, juste parce que l’ennui a gagné l’ensemble des vivants, juste parce que le temps passe sans que l’on en ait conscience.

    L’idée de la vengeance sociale a quitté le terrain de la lutte des classes, de l’antagonisme entre les possédants et les dépossédés, puisque, dans les pays industrialisés, tout le monde a un petit quelque chose à défendre. Alors la colère contenue se déchaîne contre des cas individuels ; et, comme on applaudissait auparavant aux passages de charettes de condamnés, on s’émeut aujourd’hui à grands coups d’articles de presse sur la mort d’un noyé dans un club merde, ou sur une victime d’un tueur occasionnel qui pète les plombs. Là l’identification d’une forme de douleur toute particulière et personnelle, individuelle, bat son plein : faute de pouvoir dénoncer et empêcher les crimes collectifs, de combattre les causes d’une violence sociale parfaitement légale, on se venge sur des cas isolés offerts à la vindicte populaire. Sans rien vouloir justifier, on peut franchement s’inquiéter du fait qu’on se déchaîne contre un violeur d’enfant alors que l’on approuve un embargo économique en Irak, ou que l’on ne s’indigne pas ou peu devant des monopoles pharmaceutiques qui privent de médicaments un continent, tuant ainsi des millions d’individus, enfants y compris.

    Pour ce qui est d’une véritable réflexion sur ce qu’ils appellent eux-mêmes le sens de la peine et le calcul des châtiments, qu’on ne s’y trompe pas, les récents débats parlementaires n’ont absolument rien de révolutionnaire en la matière : les députés du XIXe siècle était plus aventuriers dans l’ensemble de ces questions. Après la fermeture de Cayenne, l’exécution des peines ne dépassait en général pas quinze ans, y compris pour un condamné à perpétuité un condamné à mort gracié pouvait sortir au bout de vingt ans. C’était avant l’apparition des peines de sûreté qui portent le minimum de temps d’incarcération à dix-huit, vingt, vingt-deux voire trente ans. Un perpète, aujourd’hui, subit sa peine de sûreté et ensuite attend pendant plusieurs années une éventuelle conditionnelle il ne peut guère espérer sortir avant d’avoir fait au moins vingt-deux ans de placard.

    Plus récemment, aux Etats-Unis comme en Europe, il était de bon ton pour toute une clique d’intellectuels et de politicards, portés par un mouvement de masse et appelés à devenir rapidement la caste des nouveaux dirigeants, d’imaginer une société avec moins de prison. Cela n’aura eu qu’un temps : aujourd’hui, les pays nordiques, qui étaient le modèle des « progrès » sociaux-démocrates, ont tendance à s’aligner sur une conception plus répressive de l’appareil judiciaire et optent finalement pour des peines plus longues.
    Une poignée de criminologues avertis s’accordent pour déclarer dans leurs colloques qu’au-delà de quinze ans les peines ont un effet contraire aux efforts de réinsertion voulus et contenus dans la condamnation. N’est-ce pas mon cher ! Mitterrand avait écrit qu’une peine supérieure à sept ans était néfaste… Cause toujours ! En matières pénale et carcérale, les socialistes ont été bien plus durs que leurs prédécesseurs, et leurs discours progressistes ne peuvent pas cacher cette réalité.

    Dans une Europe qui tâtonne autour d’une politique judiciaire commune, la France et l’Angleterre ont pour le moment la palme des pays les plus répressifs. Ailleurs, les peines ne dépassent généralement pas quinze ans. Pourtant, lorsque l’on voit l’inflation vertigineuse non pas du crime mais de la criminalisation de la pauvreté aux Etats-Unis, on peut se demander si les Américains ne serviront pas d’exemple à nos dirigeants. Les résultats économiques ne sont pas très reluisants, le chômage continue d’augmenter, et le subterfuge traditionnel de l’épouvantail de l’insécurité a de beaux jours devant lui. Quelle différence y a-t-il réellement entre Giuliani, l’ancien maire de New York, qui préconisait la tolérance zéro et choisissait d’enfermer les pauvres plutôt que de prendre le risque de les voir s’octroyer quelques libertés, et Jospin, lorsqu’il déclare tout récemment que même s’il sait que la société entière est violente on doit protéger les bons citoyens des mauvais et punir ceux qui dérogent aux règles : l’un dit franchement l’état des choses, et l’autre le masque sous un discours édulcoré. Nuance de langage, identité des conceptions.

    Rendre l’individu toujours plus responsable des carences d’un système fondamentalement violent, faire croire au bon citoyen que tout le monde a sa chance du moment que l’on accepte le contrat social, ignorer les causes sociales de la délinquance pour ne plus l’appréhender qu’au-travers de manifestations délictueuses particulières : la technique est ancienne – de tous temps, les conflits économiques ont été travestis en différends soit nationaux, soit régionaux, soit religieux, soit individuels, faisant de la communauté une jungle du chacun pour soi et du tous contre tous –, mais elle s’affine encore et encore. Les nouveaux changements apportés par les projets d’exécution des peines vont dans ce sens : les pouvoirs accordés aux juges d’application des peines fabriquent une autre image du traitement des condamnés, sans modifier pour autant la réalité de la condamnation. Responsabilisation, victimisation, individualisation sont les termes clés de la « philosophie » judiciaire contemporaine.

    Une fois condamné, le prisonnier est suivi, pour ne pas dire poursuivi, par son dossier pénitentiaire, qui servira de critère pour toutes les demandes d’aménagement de peines (permissions, semi-liberté, libération conditionnelle…). Les décisions ne seront plus ministérielles mais appartiendront à des commissions regroupant des directeurs de taules, des matons, des psychiatres, des représentants d’associations de victimes, des juges et des procureurs ; l’avocat est facultatif, sur la demande du prisonnier. Celui-ci devra avoir fait la preuve qu’il a bien intégré la conscience de sa faute, et devra présenter des gages de repentir pour qu’on lui permette de rejoindre la société. Il va de soi que toute tentative d’évasion, toute marque de résistance au système pénitentiaire, toute attitude de refus de l’arbitraire carcéral seront autant de mauvais points dans l’observation du comportement du prisonnier.
    De fait, on se rapproche de plus en plus d’une définition clinique de la délinquance. Le hors-la-loi n’est plus vraiment un réfractaire mais plutôt un malade : quelquefois léger et donc susceptible d’être guéri, d’autres fois beaucoup plus grave, voire incurable, proche de la bête dangereuse qu’on doit maintenir enfermée, hors d’état de nuire. La seule violence raisonnable est celle des Etats, et encore, des Etats dominants. Que l’on trouve en prison de plus en plus de cas dits psychiatriques, ou d’auteurs de délits à caractère sexuel, favorise bien évidemment cette vision du crime et justifie du coup très facilement la politique des longues peines auprès de l’opinion publique. Pire encore, cela marque une différence de niveaux des délits à l’intérieur même de la détention et place certains prisonniers dans la fonction de juge ou de flic : outre le fait de séparer encore un peu plus les emmurés et de donner de cette façon plus de facilités à l’Administration pénitentiaire, cela assoit tranquillement la logique d’individualisation des délits dans les consciences de ceux qui en sont les premières victimes. On serait surpris si les prisonniers devaient eux-mêmes établir une échelle des peines.

    Dehors, de la même façon, ce mouvement sépare toujours plus les actes de leurs motivations réelles. Cette illusion de quête de liberté enferme l’individu sur lui-même et le pousse à trouver des explications d’ordre psychologique – pour ne pas dire médical – à ces maux qu’il n’entrevoit plus comme le fruit d’un dysfonctionnement social mais comme des tares, des impossibilités particulières. La philosophie des Lumières, l’idéologie bourgeoise, celle de l’économie marchande, définit la liberté de chacun comme s’arrêtant là où commence celle de l’autre : c’est le fondement du chacun pour soi contre tous les autres, de l’esprit de démerde individuelle, de l’assurance aussi vaine que bornée qu’on s’en sort mieux tout seul, et donc de l’impossibilité d’imaginer des solutions collectives. Celles-ci imposent que l’on ait compris que l’on ne peut pas être libre tout seul. Parler de liberté individuelle est un non-sens : la liberté n’est qu’un rapport qui, en se développant, dissout les barrières de la subjectivité et construit une communauté. La liberté n’est pas un état personnel, la liberté est un rapport social. Il devient du coup plus évident, dans une vision au rabais de la liberté, d’accepter l’idée de l’enfermement, même pour longtemps.

    C’est aussi cette même idée qui permet de faire passer les critères de construction des nouvelles prisons : les taulards toujours plus séparés, isolés les uns des autres, comme un retour au délire cellulaire du début du siècle. L’isolement est devenu une norme architecturale, non plus seulement des quartiers traditionnellement à part, mais de l’ensemble des nouvelles prisons. Avec toujours ce même mensonge que la réinsertion, la responsabilisation, le repentir sont des efforts individuels qui nécessitent de se protéger des autres, alors que bien évidemment les seules raisons qui président à ces cahiers de charges de cabinets d’architecte sont d’ordre sécuritaire, rien de plus.

    Pour le moment, bien loin de mettre en cause la notion de peine, d’enfermement – si l’on oublie les quelques effets d’annonce et les couleuvres qu’on devrait avaler –, le pouvoir construit, avec ses partenaires européens, le nouvel espace judiciaire et le parc pénitentiaire appropriés à la mise à l’écart plus systématique encore de tous ceux qu’on finira bien par appeler les incurables.

    On ne se contentera pas d’une abolition de la peine de mort. L’abolition des longues peines et des peines de sûreté n’est qu’un minimum. Nous savons aussi que la réduction n’est qu’un leurre, que la logique qui préside à la distribution de peines délirantes n’est pas que le fruit de cauchemars macabres de quelques juges : elle appartient à un système d’exclusion qui se trouve dans l’obligation de mettre de côté tous ceux qui refusent ses règles, sous menace de voir des bouleversements apparaître qui pourraient mettre son existence en question… Ne rentrons pas dans le piège grossier qui pourrait faire croire qu’il y a un dialogue possible avec les enfermeurs : ils savent ce qu’ils font, ils connaissent leurs intérêts, caressent dans le sens du poil ceux qui acceptent de collaborer et éliminent leurs ennemis. Sans poser le problème de la nature de telle ou telle revendication, pour le moment ce qui est essentiel est de créer des rapports de force, une dynamique qui ouvre à une compréhension toujours plus poussée des mécanismes de l’oppression, qui construit des complicités, des résistances qui, contrairement aux contenus des revendications, s’enrichissent sans cesse. Demander des douches supplémentaires, même si c’est important, ne modifiera pas en soi les réalités carcérales : c’est l’ensemble des rapports que développe cette revendication, comme d’autres, qui sont porteurs de richesse. Les liens, les comportements collectifs de refus, les réflexes acquis empêchent le train-train de la soumission aveugle et souvent inconsciente, et rappellent à tout instant que les enfermeurs sont évidemment les ennemis des enfermés.

  • SOLIDARITÉ AVEC LES MUTINS DE POITIERS-VIVONNE

    beau comme...
    beau comme…

    Mardi 13 septembre 2016, l’information a tourné en boucle dans les grands médias  :

    « Le calme est revenu ce lundi soir vers 23 heures, après l’intervention de forces spécialisées à la prison de Vivonne, près de Poitiers. La mutinerie a débuté lundi à 17 heures. Une cinquantaine de détenus ont mis le feu à un bâtiment de ce centre pénitentiaire. Une dizaine (ou une soixantaine) de cellules ont été détruites. Ce mardi matin, deux détenus sont placés en garde à vue. La mutinerie serait partie d’une permission de sortie refusée à un détenu. Le détenu se serait rebellé, entraînant d’autres personnes dans son mouvement… »

    Traitée comme un simple fait divers, cette information sera oubliée demain et aucun journaliste n’aura donné la parole aux premiers concernés  : les prisonniers et leurs proches. Comme toujours, ils ont relayé en chœur la voix du ministère de la justice et d’un syndicat de surveillants. Mais quand les prisonniers et prisonnières se mobilisent pour dénoncer leurs conditions de détention ou simplement pour réclamer un peu d’air, rien qu’en faisant une pétition ils prennent de gros risques. Alors quand ils font brûler la prison…  !

    A Poitiers comme ailleurs, les prisonniers et prisonnières ont de nombreuses raisons de se révolter. Ce que nous connaissons de la prison de Poitiers-Vivonne depuis son ouverture, c’est entre autres  :

    – la pratique de fouilles à nu systématiques (pourtant illégales)

    – le harcèlement nocturne des détenus particulièrement signalés (DPS)

    – le passage à tabac de prisonniers, dont les plaintes ne sont ensuite pas prises en compte

    – la répression des moindres revendications

    – le passage au tribunal de prisonniers accusés abusivement par des surveillants de violences ou d’outrage (treizième mois garantis pour les matons)1

    Nous savons que, suite à ce genre d’événements, la répression est très dure. Pour effrayer la population carcérale et lui faire passer l’envie de broncher, il faut désigner des «  meneurs  », les isoler et les condamner à de lourdes peines. Comme d’habitude, cette sanction judiciaire sera précédée « en interne » de tabassages, de chantages à la délation, de mise au mitard et/ou de transferts, loin des proches.

    Appel à informations et récits

    De l’extérieur, c’est à nous tous et toutes de rester attentifs, de montrer notre solidarité, de chercher et de relayer informations et récits directs. Les médias disent que deux personnes ont été placées en garde à vue. Il est important d’aller si on le peut au tribunal local pour suivre d’éventuelles comparutions immédiates, montrer sa solidarité, prendre et faire circuler des informations sur les suites judiciaires de la mutinerie. C’est en brisant la loi du silence imposée par l’administration pénitentiaire que commence la solidarité avec les mutins.

    N’hésitez pas à prendre contact avec l’Envolée (journal pour en finir avec toutes les prisons)  :
    L’envolée – 43 rue de stalingrad – 93100 montreuil
    contact@lenvolee.net
    https://lenvolee.net

    1 Pour en savoir plus : lire ou écouter l’interview de Nadia dans le journal lEnvolée n°43 ou ici. Sur les revendications et la répression côté femmes : ici  et là. Sur les fouilles à nu ici. Et sur le climat répressif ordinaire en détention : ici, et

  • Retour sur l’escalade judiciaire qui a conduit B.Ripert à L’HP

    les_juges 2Soyons nombreux et nombreuses jeudi 2 juin au tribunal de Grenoble à 9 heures pour soutenir B.Ripert contre ses juges. Inscrivons cette solidarité dans le cadre du mouvement social en cours. #Toulemondedetestelajustice

    Retour sur une escalade judiciaire

    Notre ami l’avocat Bernard Ripert a été placé en garde à vue lundi 23 mai. En mode western : cinq voitures de police pour bloquer l’accès à son domicile, dix flics pour venir l’alpaguer l’arme au poing. Cinq en sécurisation dehors, cinq autres pour le menotter dans le dos et le tirer hors de chez lui. « Ça ne s’est pas bien passé. C’est inquiétant, cette façon de procéder », a déclaré son épouse. C’est même intolérable. (suite…)

  • Un étonnant « cambriolage » chez Bernard Ripert le 25 mai au soir

     

    Le bureau du Maître…
    Le bureau du Maître…

    Hier soir, Bernard Ripert est sorti de l’hôpital psychiatrique de Bassens, suite à la levée d’internement d’office.  Après avoir diné avec des proches, il est rentré chez lui.

    A son arrivée, il a immédiatement constaté que son logement avait été « visité ». « Un acte d’intimidation », déclare, ce jeudi matin, Me Ripert qui précise que « très peu de choses ont été volées ». « Il est possible que l’on ait fouillé dans mes dossiers », confie-t-il. (suite…)

  • Rassemblement de solidarité avec les prisonnières en lutte à la maison d’arrêt de Fresnes !

    Samedi 28 mai 2016 rassemblement à 11h00 au carrefour de la déportation à Fresnes. C’est à l’extérieur de l’enceinte pénitentiaire au bout de l’avenue de la liberté, côté femmes. Ce rassemblement est un appel à soutenir la lutte des femmes contre leurs conditions de détention et dénoncer la répression qui a touché une prisonnière basque. On se joindra aux proches de détenu-es basques venus dans deux cars pour visiter et soutenir les prisonnières en lutte. (suite…)

  • Bernard Ripert a entamé une grève de la faim pour protester contre son internement d’office

    Bernard Ripert est transféré en ce moment de l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève à celui de Bassens en Savoie. Il a réussi à faire savoir que s’il avait été hospitalisé d’office, c’est parce que le parquet n’avait pas d’éléments suffisants pour le placer en détention. Alors le procureur a ordonné une expertise psychiatrique : on connaît ce genre d’expertises  aussi bidon que nocives… (suite…)

  • Ils veulent faire passer Maitre Bernard Ripert pour fou, solidarité pour qu’il sorte de l’HP

    En fin de journée, Bernard Ripert a été interné en hôpital psychiatrique. « L’expert psychiatre a estimé qu’il s’agissait d’une personne présentant des troubles mentaux nécessitant son hospitalisation sous contrainte en structure psychiatrique », a déclaré Jean-Yves Coquillat procureur de la république de Grenoble. (suite…)

  • Solidarité avec Bernard Ripert, avocat de combat placé en garde à vue le lundi 23 mai

    Me Bernard Ripert a été mis en garde à vue ce matin. En mode western : cinq voitures pour bloquer l’accès à son domicile, dix flics pour venir l’alpaguer l’arme au poing dont cinq en sécurisation dehors et cinq autres pour le menotter dans le dos et le tirer hors de chez lui. « Il a été interpellé comme un terroriste alors que c’est lui qui est terrorisé », a déclaré son épouse. « Ça ne s’est pas bien passé. C’est inquiétant, cette façon de procéder. » C’est même intolérable. (suite…)