EDITO :  « 5 par cellules, il reste une place pour ton fils »
(Trust, « Instinct De Mort »)

Enfin, la campagne présidentielle est terminée. On avoue : avec beaucoup d’autres, on a un peu plus suivi la téléréalité que d’habitude. Le spectacle était meilleur, avec deux candidats mis en examen qui font mine de s’en prendre à une justice qui serait partiale, et tous les autres qui disent que c’est pas bien. Pourtant, on se tue à vous le dire qu’elle est partiale, la dame. Au quotidien, elle a plus tendance à s’en prendre aux pauvres, aux prolos, aux gamins des cités, etc., qu’à une héritière raciste et à un châtelain catholique… Mais parfois, ça fait aussi partie de son job de mettre en scène quelques affaires impliquant tel ou tel politicard. Elles font partie intégrante du système représentatif, et le « tous pourris » qu’elles induisent n’a jamais conduit à autre chose qu’à un pauvre antiparlementarisme très souvent réactionnaire. Au passage, elle se fait un peu de pub et met en scène sa puissance mais rappelle qu’elle est toujours menacée – et toujours à défendre. Et toutes les bonnes âmes de pétitionner aussi sec, courageusement et bruyamment, pour lui témoigner leur affection. Elle en est sortie toute ragaillardie, la vieille institution, plus que jamais garante de notre République. Ben voyons.

Plus sérieusement, du côté des prisons, zéro surprise: ils sont tous d’accord, il faut en construire. Encore plus que jamais, le débat s’est limité à « combien ? ». Pas combien de thunes, non : combien de places supplémentaires à construire au plus vite. Le 30 mars, la directrice de la MA de Villepinte en remet une couche. Cette fois, il n’y a pas que le petit personnel radicalisé façon SPS (syndicat pénitentiaire des surveillants) qui brûle des pneus devant un accueil famille pour rouspéter contre son employeur l’Etat. Machinette le dit : trop c’est trop, elle ne peut plus gérer sa prison avec 1 132 enfermés et un taux d’occupation qui dépasse les 200 % ; provocatrice, elle déclare qu’elle « n’est plus en capacité physiquement d’accueillir des détenus ». Panique à bord ? Remise en cause radicale de ses petits copains juges qui condamnent trop ? Pas le moins du monde ! Il s’agit bel et bien « d’accélérer le processus judiciaire pour ceux qui le méritent et évidemment pas d’ouvrir grand les portes de Villepinte. » Nous voilà rassurés. Elle rappelle simplement à son tour – depuis sa place de gestionnaire du stock au bout de la chaîne pénale – qu’il y a urgence : la surpopulation est le fléau des prisons. Pour les gestionnaires de tous bords, la « surpopulation », ça se fait pas, c’est indigne. OK, premier point – qui fait toujours bien : c’est par respect pour les détenus qu’on va les enfermer mieux.

Mais surtout, la « surpopulation », c’est le carburant idéologique de la construction de prisons. Pour plus de clarté, définissons le terme : la surpopulation, c’est le résultat du décalage entre le rythme d’augmentation de l’incarcération de « détenus » et le rythme de la construction de places supplémentaires. La « surpopulation » est donc un rapport entre deux courbes qui ne font que croître – et il y en a une qui grimpe toujours plus vite que l’autre. Le terme dit donc autre chose qu’« il y a de plus en plus de prisonniers ». Le terme porte en lui-même une forme de résolution obligatoire du hiatus : la construction de places supplémentaires. Et d’ailleurs, le jour même de l’envoi du courrier de Machinette, le ministère répond « qu’il n’a pas attendu pour prendre des décisions importantes. Dès cet automne a été lancé un programme de construction pénitentiaire budgété ».

Si on entre plus dans le détail des positions au cours de cette campagne, à l’extrême-droite, la surpopulation, ça veut dire en gros : « Y aura toujours de plus en plus de délinquants, y en aura toujours plus dans ce monde menaçant, ils coûtent cher, en plus ils récidivent toujours, et en plus ils sont de couleur, souvent… Conclusion : déchéance de nationalité, expulsion, perpète, voire rétablissement de la guillotine. » Bref, la « surpopulation » porte dans ce cas l’idée qu’une dépopulation est nécessaire. Et en attendant d’avoir vidé le pays de ses prétendus envahisseurs, on fixe le nombre de places à construire à 40 000. A l’autre bout du – tout petit – spectre politique, pour mettre un terme à la « surpopulation », « il ne faut pas négliger les alternatives », bêlent ceux qui feignent d’ignorer que les peines alternatives n’ont jamais inversé, ni même freiné la courbe des incarcérations. Les peines alternatives – on ne cesse de le répéter dans ce journal – ne font que s’ajouter aux incarcérations qui augmentent de façon exponentielle depuis trente ans.

Entre ces deux pôles, pas vraiment éloignés, la base d’accord, le pot commun, c’est 15 000 places minimum sur le quinquennat à venir. C’est donc ce que s’engage logiquement à construire Macron. En fait, ce chiffre a été retenu, parce qu’il correspond au programme de construction déjà voté depuis longtemps et finalement lancé par Urvoas avant la fin de son mandat : 21 prisons d’à peu près 500 places chacune. C’est le fameux « programme de construction pénitentiaire budgété ». Voilà pour l’hypocrisie ambiante, qui prétend ne pas savoir que l’Etat est avant tout affaire de continuité – notamment dans sa politique répressive. D’ailleurs, dans une lettre à son successeur publiée le 18 avril, Urvoas expliquait avoir demandé au secrétaire général du ministère de « coordonner la préparation d’un texte » de loi et de préparer « dès le mois de mai les éléments pour les budgets 2018, 2019 et 2020 ». Plus fondamentalement – et ce n’est pas pour nous réjouir –, ce consensus sur la nécessité de construire des prisons pour résoudre le « problème de la surpopulation » montre bien que tout ce petit monde est d’accord pour penser qu’il y a trop de délinquance (sans jamais interroger ce mot) ; que les délinquants c’est forcément les autres ; qu’une fois enfermés, ils se transforment magiquement en « détenus », qui constituent un stock d’objets à gérer. Ce terme de « détenu », personne ne l’employait il y a quarante ans à peine ; aujourd’hui, il a remplacé celui de « prisonnier ».

« Voilà dix ans que je suis incarcéré. Le système pénitentiaire français se préoccupe plus de la modernité des nouvelles prisons que de la vie à l’intérieur », a dit Romain L. en février au tribunal correctionnel lors de son jugement pour un mouvement au QMC (quartier maison centrale) de la prison de Valence. Les prisonniers ne parlent pas de « surpopulation carcérale », ils ne se conçoivent pas comme un stock excédentaire. Ils parlent de leurs vies enfermées, de leurs existences gommées par des années d’incarcération. Ils savent que les prisons sont toujours plus remplies d’hommes et de femmes condamnés pour de plus en plus d’années, et que l’augmentation inexorable du nombre des emmurés est la conséquence directe d’une justice qui prononce des peines à la pelle pour servir un système économique et social qui élimine purement et simplement ceux qui enfreignent les lois de ses maîtres.

Quand les gouvernants évoquent la « surpopulation carcérale », ils quantifient un « stock » en cours d’emprisonnement, parlent même de « flux », comme pour des marchandises. Pour les prisonnières et prisonniers, la prison ne s’arrête pas au temps de l’incarcération. Il y a plus de prisonniers que de places prévues, et même plus que les 70 000 comptabilisés par l’AP. La prison, c’est pendant et après la peine – ne serait-ce que parce que la grande majorité des libérations sont désormais soumises à un contrôle judiciaire strict. Un ami récemment sorti après vingt-huit ans se retrouve assigné à résidence dans un foyer sordide d’une petite ville, cloué par un bracelet dans sa nouvelle cellule pendant la majeure partie de la journée, sans travail, sans autres ressources qu’une maigre allocation, sans autre perpective que l’attente d’un assouplissement de ses obligations fixées par un JAP. Toujours sous la menace d’un retour à la case prison. Ne serait-ce que parce qu’il est toujours difficile pour un sortant de prison, y compris après une peine plus courte, de parvenir à trouver emploi et logement. Même si on ne l’a pas vraiment choisi, la vie pousse à ne pas respecter les lois et à courir souvent des risques inconsidérés. Aussi parce que la prison enferme non seulement les prisonniers et prisonnières, mais aussi leurs familles et leurs proches : ce sont des années de séparation, de parloirs glauques, d’humiliations pour les visiteurs en butte à l’arbitraire de matons savourant leur petit pouvoir. Sans oublier l’argent qu’il faut dépenser en voyages souvent longs pour quelques heures passées avec un fils, un époux, une sœur…Nous n’avons jamais reçu de lettre de prisonnier déplorant une « surpopulation carcérale », et cette fois encore, tous les courriers de ce numéro racontent des parcours, des tranches de vie. Les prisonnières et prisonniers dénoncent une politique qui enferme de plus en plus, une logique sécuritaire qui conçoit des centres pénitentiaires pour isoler toujours plus, une volonté d’enfermer les condamnés plus longtemps. Nombre de courriers montrent que les dernières prisons sécuritaires sont méthodiquement pensées pour empêcher autant que possible que des longues peines se révoltent contre des conditions de détention pourtant invivables pour des hommes et des femmes qui ont des dizaines d’années à faire. Idem pour les QMC qui se propagent à l’intérieur des centres pénitentiaires proportionnellement à l’allongement des peines.

Que nous reste-t-il à faire à l’extérieur, sinon nous opposer par tous les moyens à la construction de nouvelles prisons ? Il y a trente ans, en 1986, même les organisations chrétiennes s’opposaient au plan des 13 000 places de Chalandon, alors ministre de la justice. Aujourd’hui, par un tour de passe-passe pourtant grossier, la construction des 15 000 places annoncées apparaît comme une mesure « humanitaire » : à la fois comme une aide à des prisonniers enfermés dans de mauvaises conditions et comme une réponse à des matons qui revendiquent toujours plus de moyens… Elle est bonne, celle-là ! On le sait, la solution ne viendra pas des enfermeurs.


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