Un 12 pages destiné essentiellement à nos abonné.e.s, imprimé à peu d’exemplaires, qui sera donc très peu distribué à l’extérieur. Si toutefois vous voulez le lire (et il y a plein de choses intéressantes dedans), vous pouvez le télécharger là : Envolée 51 (SLIM)
Étiquette : mouvement
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« Mon frère bloque au mitard et ne lâche rien »
Courrier de la sœur de A.,
enfermé au mitard de Mont-de-Marsan,
14 décembre 2019Nous publions ici un courrier préoccupant de B. Elle nous parle du sort qui est fait à son frère A., actuellement enfermé au mitard du centre de détention (CD) de Mont-de-Marsan. Après que deux demandes d’aménagement de peine ont été rejetées, et après avoir été victime de ce qu’il décrit comme un tabassage par les matons, A. a refusé de réintégrer sa cellule ; il a donc été placé au mitard (QD).
Ce courrier d’une sœur qui se bat pour la liberté de son frère, à ses côtés, a pour but premier de « faire du bruit » autour de son histoire : en rendant public le sort que l’Administration pénitentiaire – et en particulier celle de Mont-de-Marsan – fait subir à A., il s’agit non seulement pour ses proches de le soutenir dans sa demande de rapprochement familial, mais aussi de le protéger des agents de cette administration.
Pour faire valoir ses droits et exiger son rapprochement familial – faute d’obtenir un aménagement – A. a été contraint, avec d’autres, à un moyen de résistance plus souvent utilisé par des prisonniers longue peine en prison centrale : refuser, sans la moindre violence, de réintégrer sa cellule vous envoie directement en quartier disciplinaire (QD) ; et quand plusieurs prisonniers portent ce refus ensemble, ils « bloquent le mitard ». Les surveillants et la direction de la prison se trouvent ainsi privés d’un outil de pression et de punition central dans la gestion de la détention : le QD, dit « mitard ». Non seulement on ne peut plus user de la menace du mitard contre A. et les autres prisonniers qui y ont déjà été placés, mais il devient en outre inutilisable contre les autres prisonniers de la détention.Dans de telles circonstances, la direction, un bricard mal intentionné, ou n’importe quel surveillant un peu porté sur la matraque pourraient tenter de pousser A. à la faute afin de porter plainte contre lui. A. risquerait ainsi d’être condamné à des mois, voire des années, de prison supplémentaires et ne serait dès lors plus libérable à l’été 2020.
La famille de A. imagine même le pire, comme ce qui est arrivé en avril 2018 dans le mitard de Seysses : un prisonnier qui n’était en rien suicidaire mais qui est retrouvé mort, « accroché » aux barreaux de sa cellule, quelques minutes après le passage d’une équipe de surveillants connue pour sa violence. Nous ne comptons plus le nombre de familles qui, pendant des années, tentent inlassablement d’obtenir la vérité sur ce que la presse nomme poliment – quand elle ose s’en saisir –, une « mort suspecte ».Précisons donc à toutes fins utiles, que A. n’est en rien suicidaire et que l’Administration pénitentiaire – et en particulier la direction du CD de Mont-De-Marsan – porte l’entière responsabilité légale de son intégrité physique et de sa bonne santé. Nous serons particulièrement attentifs au sort qui sera réservé à A. – ainsi qu’à ses proches – dans les jours, semaines et mois à venir.
Nous voudrions aussi, par cette publication, appuyer sa demande de rapprochement familial. Car ce que nous dit B. dans le courrier qui suit, c’est aussi que la prison enferme des proches et des familles en même temps que les prisonniers et prisonnières. Avoir la force en de telles circonstances de prendre son stylo pour raconter ce que subissent prisonniers et familles est à la fois admirable et primordial.Force, courage et détermination à A., B. ainsi qu’à tous leurs proches.
Mon frère a été condamné à quatre ans de prison ferme.
Depuis un an, il est incarcéré au centre de détention de Mont-de-Marsan (40) suite à un transfert de la maison d’arrêt de Seysses (31). Quand je lui ai demandé si ça lui allait, il m’a répondu : « au moins là-bas, la viande était halal ; au moins ici, on ne meurt pas au mitard ». Il faisait ici référence à la mort de Jawad, tué au mitard de Seysses en avril 2018.La condamnation de mon frère est la partie émergée de l’iceberg. Entre les lignes d’un rendu de justice et de peines appliquées, c’est toute la famille qui est poussée sous l’eau, qui se débat continuellement pour garder la tête à la surface. Pour lui, comme pour nous. Car si un membre de la famille est emmuré, c’est tout le groupe qui est amputé, qui se mange les murs qui le retiennent à force de les fixer sans pouvoir rien faire. Et par delà les portes blindées, les serrures à sens unique, les portiques et les barbelés, on attrape sa voix et ses paroles au vol pour que son histoire, elle, puisse ricocher. Son histoire, on refuse qu’elle soit enfermée. Même éparse, même distillée d’un parloir à l’autre, même volée dans les lettres qu’on peine à recevoir, son histoire, on l’attrape. On l’écoute. On la raconte. Comme quand il nous dit, « faites du bruit ».
Mont-de-Marsan, dans le département des Landes, c’est six heures de route. Ma mère, au début, essayait de maintenir le même rythme de parloir qu’à Seysses, mais la fatigue et l’épuisement l’oblige à lever le pied de l’accélérateur. Elle est la seule à conduire. Elle est reconnue comme travailleuse handicapée, ayant perdu la vue d’un œil ; si vous ajoutez à ça l’anxiété, l’angoisse et la peur, prendre la route devient difficile, pour ne pas dire une mise en danger permanente. Sans compter le reste de la famille qui, pour des raisons de santé, d’obligations scolaires et de travail, galère à lui rendre visite. Et ça, mon frère le sait. Alors sa demande est simple : « J’aimerais, si vous me le permettez, être transféré au centre de détention de Saint-Sulpice-La-Pointe, pour que ma famille puisse continuer à me rendre visite ».
Être rapproché de Toulouse.
J’écris de dehors, mais toujours les yeux fixés sur le mur. Parce que mon frère est dedans. Parce que cet été, je reçois des nouvelles après un long temps de silence : « ils sont en train de me tuer à petit feu ». Déplacement aléatoire de cellule en cellule, premier refus de bracelet, pression de l’administration pénitentiaire. « Là, je suis sorti, mais je vais retourner au trou. Je vais bloquer jusqu’à ce qu’ils me transfèrent ». Je reçois ça impuissante et prend mon courage à deux mains pour temporiser, le soutenir, et puis lui dire qu’il n’est pas seul, même s’il ne nous voit pas. Dans le fond, je suis fière, et si ce ne sont pas des choses qu’on sait se dire dans les yeux, je profite de ces lignes pour le balancer l’air de rien. Mon frère est conscient de ce que lui coûte un blocage, il sait que sa peine peut grimper. Il sait aussi que c’est le seul moyen pour lui de se faire entendre. Plus tard, il dira à ma mère : « si je ne croyais pas en ce que je faisais, tu penses vraiment que je supporterais d’être enfermé dans une cellule aussi grande que ça », en désignant la pièce parloir.Le sommeil, ça aussi c’est une chose qu’on nous enlève entre les lignes des rendus de justice. PS, toutes vos nuits deviendront des cauchemars. Pour moi, le cauchemar s’est intensifié depuis plusieurs semaines. Quelques lettres me sont parvenues. Mon cerveau s’est instinctivement bloqué dans un état de survie primaire. Malgré moi, je conditionne mon esprit au pire. J’imagine les pires scénarios, m’efforçant de les regarder jusqu’au bout sous mes paupières closes pour anticiper. M’habituer. A ne pas pleurer, même si le pire arrive, parce que le pire fait désormais parti de nos imaginaires. Pendant ce temps-là, mon frère qu’a déjà bien entamé sa carrière au mitard, l’hiver venant, se met en sous-vêtement dans sa cellule pour habituer son corps à supporter le froid.
A Mont-de-Marsan, c’est réputé – ils n’aiment pas « les Toulousains ».
Il ne m’a pas fallu beaucoup de parloirs pour me rendre compte de ce que « toulousain » veut dire. Les Arabes et les Noirs de quartier, muslim de surcroît. Et qu’on ne vienne pas nous parler de radicalité quand mon frère n’a même pas le droit à un petit récipient pour faire ses ablutions. La deuxième demande de bracelet a été refusé il y a deux mois environ. Sur des motivations fallacieuses et des présomptions de culpabilité, surtout parce que mon frère est « toulousain ». Comme il l’écrit, « suite à une réponse défavorable à ma demande d’aménagement de peine, j’ai demandé à intégrer le QD. » Pas de colère, pas d’esclandre, pas d’explosion de rage. Rien qu’une demande simple à la hauteur de sa résilience, ramenez-le au trou : « ils m’ont ensuite descendu dans l’atrium du rez de chaussé, chacun me tenant un bras, où le chef leur a dit de me remonter, ce qu’ils ont commencé à faire, lui en me tenant par la gorge et eux un bras chacun. Ils m’ont ensuite emmené au palier entre le rez-de-chaussée et le 1er étage, dans l’angle mort de la caméra, où ils m’ont mis au sol et molesté, avec des coups de pied. A force de coups et de clés de bras, ma main est sortie de ma menotte qu’ils m’ont remise, n’empêchant pas leurs coups. Ils m’ont ensuite ramené au QD sous les menaces du chef : – t’as de la chance, c’est pas moi qui te tient le bras, je te l’aurais cassé. » ; « la loi pénitentiaire n’autorise l’usage de la force que dans quatre cas : légitime défense (je n’ai ni attaqué, ni résisté), la tentative d’évasion (je demandais à aller au QD), la résistance violente (le bouton d’alarme n’a même pas sonné), l’inertie physique aux ordres donnés (simplement, ils ne m’ont rien ordonné, et ils n’ont pas « précédé l’usage de la force par une phase de discussion pour obtenir la compréhension et l’acceptation » de ce qui m’était demandé, comme la note de 2007 le prévoit, et de toute façon, ils n’ont rien demandé » ; « j’en conclus que j’ai subi un tabassage punitif et illégal et je ne veux pas retourner en bâtiment, de peur de représailles de leur part ».Suite au refus de l’administration de le laisser sortir sous surveillance électronique, il a mis un drap sur la porte de sa cellule avec un mot, « je veux parler à la directrice », obligeant les matons à ouvrir la porte dans leurs rondes pour vérifier sa présence. En deux jours il a eu gain de cause et a pu se défendre face à la directrice des accusations, sans preuves, qu’elle porte contre lui. La semaine dernière, comme il fait l’objet de fouilles à nu systématiques avant le parloir, il a glissé une lettre dans sa poche. Comme il refusait de se déshabiller, les matons le fouillent. Trouvent la lettre. L’ouvrent. Elle leur était directement adressée : mon frère demande à ce qu’ils justifient, comme la loi le prévoit, chacune de ses fouilles à nu et à recevoir le registre de toutes celles qui ont été effectuées jusque là.
Mon frère bloque au mitard. Ils étaient huit à bloquer ensemble, la majeure partie arrivant de Toulouse. Il y a quinze jours, suite à des transferts, ils se retrouvent à quatre. Deux autre transferts sont prévus pour cette semaine. Dans tout ça, la solidarité est intacte. Ma mère a réussi à amener à mon frère son colis de Noël qu’il s’empresse de partager, morceau par morceau, avec ses collègues.
Mon frère bloque au mitard et ne lâche rien. L’art de survivre dans la galère pour ceux que la misère a nourri au sein. Il ne lâche rien, quoiqu’il en coûte. Jusqu’à ce qu’il obtienne un transfert dans une prison proche de Toulouse. Jusqu’à ce qu’on puisse avoir des conditions de visite dignes de l’affection qu’on se porte. Jusqu’à ce qu’on lui reconnaisse son propre droit à la dignité, sa propre valeur humaine. Nous sommes tous épuisés et tous bombés de force. Parce que la solidarité avec les bloqueurs du mitard ne s’arrête pas à leurs cellules. On écoute les murs murés, et on rappellera, autant de fois qu’il le faudra, que les voix, que les paroles, que les histoires ne peuvent pas être enfermées. Même derrière la plus épaisse des portes blindées. Nous aussi, on est là. Nous aussi, sommes solidaires. Nous soutenons notre frère, notre fils, notre petit-fils. Nous soutenons ses camarades. Alors, comme il m’a dit, « faut faire du bruit ».
Et je défie quiconque d’arrêter le bruit quand il se met à courir.
Signé : B.
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Édito et sommaire du nouveau numéro 49
Suite au traditionnel défilé du 1er mai, Macron a déclaré, depuis l’Australie : « Tout sera fait pour que les auteurs [des « violences »] soient identifiés et tenus responsables de leurs actes », tandis que Wauquiez, fraîchement intronisé chef de la droite, brâmait son « soutien total à nos forces de l’ordre qui font face à ces voyous ».
En pleine commémoration du cinquantenaire de Mai 68, ils se sont placés dans le droit-fil d’un Peyrefitte – alors ministre de l’éducation – qui désignait les manifestants de l’époque comme « des agitateurs organisés, qui connaissent parfaitement les techniques de la guérilla urbaine ».
Un vrai saccage, ce 1er Mai, à ce qu’il paraît ! … en tout cas, quelques images d’un McDonald’s en flamme ont tourné en boucle, tous les politiques se sont étranglés d’horreur devant « la violence des manifestants » et leurs petits potes présentateurs les ont aidés à faire monter la sauce. Avec cette condamnation unanime, on a bien vu que les discours des commémorateurs de 68 sonnaient creux… mais le bourrage de crâne continue sur le thème : « le public qui aurait échappé au déferlement des hordes de casseurs sans traumatisme majeur a finalement été pris en otage par ces nantis de grévistes de la SNCF ! »Pendant qu’on brandit ces épouvantails, une autre violence est partout : la violence économique. Quotidienne, subie ou acceptée car vue comme indépassable. Au moment même où on veut faire passer les salariés qui défendent leur outil de travail pour des privilégiés, Bernard Arnault – le champion du capitalisme français – devient la quatrième fortune mondiale ; en un an, sa fortune personnelle est passée de 50 à 80 milliards d’euros. La crise, on la vit pas tous de la même façon…
Comme promis, la violente répression policière du conflit social a alimenté la machine judiciaire ; en comparution immédiate ou pas, celle-ci a fait pleuvoir des peines pour la simple participation à un attroupement « en vue de commettre des violences ». Inexorablement, la prison joue son rôle de punition et d’exclusion, et remplit sa fonction de repoussoir : punition pour des délits qui étaient hier encore tout juste passibles d’amendes, exclusion pour celles et ceux qu’on condamne d’un coup de manche bordée d’hermine à des peines d’élimination sociale, et repoussoir pour tous ceux qui se soumettent à l’ordre établi de peur de se retrouver enfermés.A chaque publication des chiffres officiels du nombre des prisonniers, l’Administration pénitentiaire bat son propre record. Le 1ermai 2018, il y avait 70 633 personnes écrouées et enfermées, et 12 030 enfermées à la maison ou en foyer (statistique mensuelle des personnes écrouées et détenues en France, direction de l’AP, Justice.gouv.fr). Quelque part entre le nombre d’exilés morts en Méditerranée et le nombre de français survivant sous le seuil de pauvreté dans la Start-up Nation, la « surpopulation carcérale » finit par ne plus être qu’un chiffre de plus, qui ne dit plus rien à personne. Alors comme le demandait Michel Foucault, mais aussi Hafed Benotman et des dizaines d’autres prisonniers dans nos colonnes, ne parlons plus de « surpopulation carcérale », mais bien de surenfermement de la population, car on le sait bien, à l’intérieur : la prison, c’est le mitard de la société !
Eh oui : derrière les barreaux, on retrouve exactement la même menace permanente d’un enfermement – mais un enfermement DANS l’enfermement, cette fois-ci. La prison isole de la société, puis le mitard isole des autres prisonniers. Le quartier disciplinaire (QD), bien nommé mitard, cachot, frigidaire, joue le même rôle que la prison dans le monde « libre »… Quand on tente de s’évader, on commence par aller au mitard ; quand on est pris avec un joint, on va au mitard ; quand on s’oppose à l’arbitraire quotidien des matons, on va au mitard ; quand on refuse de se soumettre à des règles absurdes, on va au mitard… En clair, quand on essaie de rester vivant et debout en prison, on est certain de connaître le mitard. Combien sont-ils, combien sont-elles à cet instant, enterré.e.s vivant.e.s en cellule disciplinaire ?
Enfermé.e.s dans un monde hors du monde, un espace sans espace, une vie sans vie, sans lumière et sans ombre ? Impossible de répondre à cette question.https://www.youtube.com/watch?v=T3cE3E2x6u8
Une chose est sûre : les mitards sont indispensables à l’administration pénitentiaire. Ce foutu système carcéral ne tiendrait pas sans la menace constante du cachot ! C’est à cause d’elle que des centaines de prisonnières et de prisonniers acceptent d’obéir. Comme les quartiers d’isolement, le mitard est le lieu où l’on casse par la violence sadique la moindre contestation des règlements – toujours arbitraires – des prisons, au risque de rendre fou et folles ceux qu’on jette dans ces tombeaux de béton.
Récemment encore, quand un prisonnier était envoyé au mitard, d’autres s’y faisaient envoyer volontairement pour briser sa solitude, et aussi pour désamorcer la menace : quand les mitards sont pleins, ils ne servent plus à rien pour la pénitentiaire… mais ça demande une solidarité qui n’est pas toujours au rendez-vous.Comment supporter de se retrouver dans une cellule de 2 mètres sur 3 en moyenne, avec un lit en béton, une table en béton et des toilettes à la turque ? La surface de déambulation y est de 4,15 m2 en moyenne – inférieure aux normes réglementaires pour les chenils (5 m2, arrêté du 25 octobre 1982). La luminosité y est de 7 à 30 lux, alors qu’il en faut 300 pour lire un livre ou une lettre. La cellule est sale et puante car les outils de ménage y sont interdits. Le prisonnier y reste enfermé 23 heures sur 24. Il a droit à une heure de « promenade » dans une toute petite cour grillagée. Le prisonnier ou la prisonnière conserve la même tenue vestimentaire pendant tout son séjour au mitard. Une à deux douches par semaine. La nourriture est servie dans un récipient qui ressemble plutôt à un pot de chambre ou à la gamelle d’un chien. Une ou deux couvertures, selon la saison, un rouleau de papier, une brosse à dents, du dentifrice, un morceau de savon et un verre en plastique. L’hiver, le froid est glacial ; l’été, la chaleur est étouffante ; les cachots, souvent sans fenêtre. Quand il y en a, elles sont tellement sales qu’entrevoir le bleu du ciel tient du miracle. Comme l’écrivait déjà Me Eolas il y a quelques années, « un particulier qui logerait quelqu’un dans ces conditions encourrait [cinq années] d’emprisonnement [les peines initiales de deux ans ont été portées à cinq par la loi sur la sécurité intérieure du précédent ministre de l’Intérieur]. Mais l’Etat est pénalement irresponsable, alors il peut se le permettre. »
Le mitard est conçu pour détruire physiquement et mentalement, et il est bien difficile de résister à cette « torture blanche ». Lorsque la solitude est intenable, le suicide devient parfois une obsession, comme un ultime pied de nez à l’administration pénitentiaire. On appelle cela « des suicides » ; pourtant c’est la prison qui les tue. Un prisonnier, une prisonnière placée vivante dans un cachot par l’administration pénitentiaire se trouve sous sa responsabilité ; elle doit en ressortir vivante. Et puis, il y a toutes les fois où ce n’est pas le prisonnier qui se passe le noeud coulant autour du cou, mais bien des fonctionnaires qui portent le badge de l’AP. Le mitard est par excellence la partie de la détention où les matons peuvent agir à leur guise… On ne sait jamais ce qui s’est réellement passé, même quand les familles et les proches sont certaines que leur enfant, leur conjoint, leur ami n’a pas pu se suicider, même quand on retrouve des traces de coups inexpliqués. L’opacité qui entoure l’horreur de ce qui se passe dans les quartiers disciplinaires est entretenue par tous ceux qui y interviennent : médecins comme gardiens.
Parfois, ces « suicides douteux », ces « morts suspectes » mettent le feu aux poudres parce que les prisonniers savent la vérité et veulent la faire entendre ; ils font plus que soupçonner, ils accusent.
Il n’y a pas de mort volontaire au mitard.
Nous avons choisi de consacrer ce numéro aux événements qui se sont déroulés à la maison d’arrêt de Seysses à partir du mois d’avril 2018, suite à la mort d’un prisonnier au mitard. S’il n’est vraiment pas rare d’apprendre la mort d’une prisonnière ou d’un prisonnier dans ces cachots, ce n’est pas très fréquent qu’il y ait une réaction collective de prisonniers qui refusent d’accepter que l’on ait tué l’un des leurs. Depuis le mois d’avril dernier, des prisonniers de Seysses prennent la parole collectivement, malgré les périls auxquels ils s’exposent, malgré les jours de mitard, les suppressions de remise de peine, les transferts. Ce n’est pas à prendre à la légère ! Parce qu’ils savent combien l’existence même des prisons repose sur celle du mitard, sa suppression est une exigence historique des mouvements de prisonniers :
A BAS TOUS LES MITARDS
Vous pouvez vous abonnez ou abonner des prisonniers en nous écrivant à l’Envolée, 43 rue de Stalingrad, 93100, Montreuil. L’abonnement de soutien est à 15 euros par an (ou plus en fonction des bourses ; chèque à l’ordre de l’Envolée). En vous abonnant dehors, vous nous permettez d’abonner plus de prisonniers et de prisonnières à l’intérieur puisque l’abonnement est gratuit pour toutes les personnes enfermées.
Le journal est par ailleurs disponible au prix de 2 euros dans de nombreuses librairies en France et en Belgique. Nous remercions d’avance ceux et celles qui nous communiqueront d’autres lieux (librairies, infoshops, bars, magasins, accueils familles) pour déposer le journal.
N’hésitez pas à nous demander le journal en plusieurs exemplaires si vous voulez, vous aussi, le distribuer dans votre région : contact@lenvolee.net
Liste des points de vente : Où nous trouver ?
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Encore un mort au mitard : Communiqué de prisonniers de Seysses
Samedi 14 avril, un prisonnier est mort dans le quartier disciplinaire de la prison de Seysses (31). Depuis, tous les jours, des prisonniers refusent de remonter de promenade malgré l’intervention des ERIS (Equipes régionales d’intervention et de sécurité) ; plus d’une centaine, parfois 200, une banderole a même été déployée dans la détention pour dénoncer ce que tous refusent d’accepter comme un suicide. Le Syndicat pour la protection et le respect des prisonniers qui est né récemment de personnes directement concernées par l’enfermement carcéral et rassemble déjà de nombreux prisonniers et prisonnières (nous donnions la parole aux initiatrices du PRP dans notre dernier numéro : à lire ici) a reçu ce communiqué de l’intérieur de la prison de Seysses. Les prisonniers qui le sortent malgré les risques que cela implique pour eux-mêmes veulent qu’il soit diffusé le plus largement possible afin que la vérité soit dite sur ce qu’il s’est véritablement passé ce jour-là : J. ne s’est pas pendu. Ils y rendent aussi compte des pressions subies par les témoins les jours qui ont suivi la mort de J. et sur le quotidien terrible de la détention, particulièrement au mitard, dans la prison de Seysses. Nous appuyons totalement les revendications de ces prisonniers qui ont directement vécu ces moments. Que ceux et celles qui pourraient en témoigner n’hésitent pas à se rapprocher de L’Envolée ou du syndicat PRP. Pour que cette mort plus que suspecte ne soit pas une fois de plus étouffée par l’administration pénitentiaire.
Communiqué de prisonniers
enfermés à la prison de Seysses :
Encore un mort au mitardMaison d’Arrêt de Seysses, le 19 avril 2018.
J. avait 26 ans. Samedi dernier, il était au mitard, dans une »cellule disciplinaire » de la prison de Seysses. Il y est mort. Les médias relaient une version des faits, une seule : celle des matons, les »surveillants ». Mais nous, on y vit, dans cette prison. Et on n’est ni sourds, ni aveugles. On sait que sa mort a été provoquée par la violence des matons affectés au mitard. Non, J. ne s’est pas suicidé.
Si plus d’une centaine de prisonniers ont refusé de remonter en cellule plusieurs jours de suite cette semaine, c’est parce que c’est tout ce qu’on peut faire pour protester, ici. J. est mort au mitard, et l’autopsie aurait conclu à un suicide. Mais on sait que ce n’est pas le cas, car il y a des témoins qui étaient présents dans les cellules environnantes lors de son passage à tabac, qui ont tout entendu, qui ont assisté à tout ça. C’est suite à un déferlement de coups que J. est mort samedi. Pensez-vous que nous serions 200 prisonniers à refuser de remonter en cellule et à déployer une banderole dans la cour de promenade si nous n’étions pas convaincus de leurs mensonges ?
Tous ceux qui sont passés par le quartier disciplinaire pourront témoigner des humiliations qu’ils y ont subi, des insultes racistes, des crachats à la figure, des ordres donnés comme si on était moins que des chiens… Là-bas, celui qui a le malheur de « la ramener » peut finir comme J. : pendu. Aucun droit n’est respecté dans ce mitard. Les promenades ont lieu au bon vouloir des surveillants, et en général il n’y en a pas. L’accès au douches nous y est refusé, et il peut se passer quinze jours sans qu’on puisse y aller. Pareil pour l’accès au feu, pour allumer une cigarette : c’est maximum trois fois par jour et ils usent de beaucoup de zèle, il faut presque les supplier. La peur y règne, et y aller est pour chacun d’entre nous, prisonniers, une vraie descente aux enfers.
Cet hiver, plusieurs prisonniers se sont retrouvés dans ce mitard sans matelas, sans couverture et sans vêtements, alors qu’il faisait moins cinq degrés. Juste parce qu’ils avaient tapé sur la grille de leur cellule pour réclamer à manger ou avoir du feu. Ils ont dû dormir par terre, nus, sur un coussin, et manger « la gamelle » dans des barquettes qui arrivaient ouvertes, apparemment déjà utilisées.
J. a été battu par cinq ou six surveillants, pendant plus d’une demi-heure. Puis il y a eu un grand silence, et les surveillants se sont mis à discuter entre eux, à estimer son poids et sa taille pour s’accorder sur une version des faits. Puis ça a été l’heure de la gamelle et, quand sa cellule a été rouverte, ils ont fait mine de le découvrir pendu. Alors le Samu est intervenu et a tenté de le réanimer, en vain. Le lendemain, ils ont libéré tout le monde du mitard et personne n’a été entendu, même pas le chef ni les gendarmes. Ça montre bien qu’ils ont des choses à cacher, qu’on ne vienne pas nous dire le contraire.
Certains d’entre nous (sur)vivent dans cette prison de Seysses depuis plusieurs années, ou y font beaucoup d’allers-retours. Cette situation n’est pas nouvelle, et d’autres « morts suspectes » ont eu lieu ici ces dernières années. Nous avons vite compris que notre parole ne valait rien face à la leur, mais nous savons aussi que beaucoup dehors s’interrogent ou ont déjà compris leur petite mascarade. Qui tue.
C’est très difficile pour nous de donner des preuves de ce qu’on avance. Ici, nous sommes enfermés, et chaque information qui arrive dehors risque d’avoir de graves conséquences pour nous. Pourtant il faut que ça se sache, car nous sommes en danger de mort. Les surveillants jouent avec nos vies dans ce quartier disciplinaire.
C’est plus que de l’humiliation ; ils nous terrorisent, et ce qui est arrivé à J. pourrait arriver à chacun d’entre nous.Nous dénonçons aussi les pressions qui sont faites sur les prisonniers qui ont assisté aux faits. Les témoins malgré eux de ce qui s’est passé samedi dernier subissent des pression psychologiques et sont très clairement menacés de transfert. Tout semble mis en place pour les pousser à bout. Ainsi, cinq d’entre nous ont déjà été transférés suite au blocage de la promenade et sont désormais à Lille, Bordeaux, Sedequin… Considérés comme « meneurs », on ne les a même pas laissé embarquer leurs affaires personnelles. C’est comme ça que la prison est tenue maintenant, en nous menaçant d’un « transfert disciplinaire » qui nous éloignerait encore plus de familles et de nos proches.
Nous exigeons que la direction de la Maison d’Arrêt remplace immédiatement cette équipe de surveillants, il est évident que c’est la première chose à faire. La petite équipe sadique de matons du mitard, nous, prisonniers, la surnommons « l’escadron de la mort ».
Ici, on est spectateurs du désespoir humain, et on sait tous que J. pourrait être n’importe lequel d’entre nous. Il a été battu à mort parce qu’il tapait dans une porte : il n’en pouvait plus d’attendre, coincé dans la « salle d’attente » de la prison, sans fenêtre. Il voulait juste regagner sa cellule. Ils sont venus et l’ont plié.
On ne soigne pas le mal par le pire. Nous voulons que tout cela cesse.
Que celui qui est condamné à aller au mitard puisse au moins conserver sa dignité et que ses droits fondamentaux soient respectés.Nous voulons que la vérité soit faite sur la mort de J. et qu’une telle horreur ne puisse plus se reproduire, ni ici, ni ailleurs.
Nous nous associons à la douleur de la famille et sommes prêts à témoigner si elle le désire.Des prisonniers de la M.A. de Seysses
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EMISSION DE L’ENVOLÉE DU 7 OCTOBRE 2016
- Lettres : Marina, Béa, Redouane
- Téléphone : Aurore
- La Chronique de Sylvia : Les Corses et les cafards…
- Info : 33 nouvelles prisons
- La Chronique de Stéphane : Emeutes et loi travail, nouvelles de l’intérieur (El Hadj Omar Top) et de l’extérieur
- Invitée : Kaoutar
Zics : Eskicit – Echos ; Keny Arkana – J’arrive Du Monde De Demain ; Dead Prez – Wolves
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Emission du 10 juin 2016
- Téléphone : Nadia, la tante d’Ibrahim, donne des nouvelles de son neveu et dénonce les saletés commises à la prison de Poitier-Vivonne
- Lettre : Thierry Coppola (Lannemezan 2017)
- Brèves
- Sur le Mouvement
–> Defcol, K d’école, la radio, tout le monde déteste la police…
–> Cantine et Concert de soutien aux manifestants inculpés : 17 juin au Condensateur, 43 rue de Staligrad, Montreuil
- Bernard Ripert
Musiques : La Rumeur – Tous ces mômes vont grandir ; Soso maness x Jhonson – Emmenez moi ; Swift Guad – Narvalo
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De quoi faire une bonne compote
Le numéro 40 du journal étant reporté à janvier 2015, nous publions ici les lettres reçues. Nous adressons un grand salut à tous ceux et toutes celles qui les ont écrites depuis leur cellule. (suite…)
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Centre de détention de Neuvic (Dordogne) : ça chauffe au mitard
Voilà quelques informations qui nous sont parvenues du centre de détention de Neuvic sur l’Isle (Dordogne) et témoignent du climat tendu qui règne au mitard (QD ou quartier disciplinaire) et au QI (quartier d’isolement). Le ton monte entre certains prisonniers de Neuvic et la matonnerie, qui ne répond que par l’intensification de la répression. Mais ces prisonniers, poussés à bout, ne se laissent pas faire. Ils réclament leur transfert afin de poursuivre leur peine dans d’autres conditions. (suite…)
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Combats et répression en détention, extraits de lettres de Christine
…depuis les prisons de La Talaudière, Corbas, Joux-La-Ville et Bapaume
Début novembre 2012, suite à une altercation avec les matons en allant visiter son compagnon au parloir à la taule de Corbas, Christine a été emmenée en garde à vue. Puis, en attendant un procès qui a eu lieu le 13 février, elle a été placée en détention à la Maison d’arrêt de La Talaudière à Saint-Etienne. Elle reste incarcérée depuis, et purge la somme de différentes peines écopées ces dernières années suite à de multiples insoumissions à l’autorité de différentes institutions (flics, administration pénitentiaire, institution psychiatrique,…).
Christine est bergère. Elle a notamment eu des soucis avec les institutions répressives lors de sa participation à des luttes contre la loppsi 2, contre le puçage des moutons.Depuis son incarcération, Christine a eu de multiples embrouilles en détention. Elle a été placée au mitard (QD ou Quartier Disciplinaire) et au QI (Quartier d’isolement). Elle a été transférée de La Talaudière à Corbas (Lyon) puis à Joux-La-Ville. Aux dernières nouvelles, elle est maintenant à Bapaume, vers Lille (alors que ses proches sont dans le sud !) L’accumulation d’altercations en détention risque d’alourdir sa peine, voire de la mener à nouveau devant les tribunaux.
Dans différentes lettres qu’elle a pu faire sortir de prison, elle raconte ses combats en détention et la répression féroce. Elle souhaite que ces lettres (que nous avons récupéré un peu tardivement) soient diffusées auprès des groupes qui se préoccupent de ce qui se passe en prison, et publiquement. Nous vous en proposons ci-dessous de larges extraits.
Christine se bat et revendique au quotidien. Elle crie qu’elle refuse l’enfermement. Et se bat pour que, au minimum, ses droits soient respectés. Elle a entamé de nombreux recours administratifs et plaintes. Son avocat est Guy Nagel (Lyon), elle est en contact avec l’OIP (Obseravtoire International des Prisons).N’hésitez pas à lui écrire à la prison de Bapaume, et tout soutien sera certainement le bienvenu !
Christine Ribailly – Centre de détention – Chemin des Anzacs – 62451 Bapaume Cedex.Extraits des lettres de Christine :
Jeudi 31 janvier, QD de Corbas.
Ne reculant devant aucun défi pour vous fournir des infos fraîches et diverses, votre envoyée spéciale au pénitencier est maintenant au mitard à Corbas.
Je suis passée au prétoire (à la Talaudière) et j’ai pris quinze jours (de mitard) ferme et 8 jours avec sursis. Je ne croyais pas que six mois allaient s’écouler sans que ça me tombe dessus, même si l’idée était séduisante. J’ai donc appris que je serai transférée ce lundi 28 [ndlr : il n’y a pas de mitard au quartier femmes de la talaud].
(…) Dimanche 27 janvier, à la promenade, je me suis engueulée avec une fille pour la deuxième fois. Cette fois on a échangé des coups (J’en ai pris plus car elles étaient à 2 contre moi). Bien sûr c’est moi que les bleus ont remonté en cellule, menottée dans le dos. Après m’être calmée, j’ai demandé à téléphoner, comme j’y ai droit. En fait, la surveillante ne voulait pas m’ouvrir sans un surnombre de matons comme ils me le font souvent, malgré l’accord du 15 novembre avec la direction. (…) L’auxi peut témoigner que j’étais calme. Mais les matons m’ont foutue au sol le temps de mettre en cellule le repas dans une barquette en plastique. J’ai dit : « Je veux juste téléphoner, j’y ai droit, de quoi avez-vous peur ? Je ne me débats même pas ». Mais ils m’ont refoutue en cellule et je n’ai pas pu bloquer la porte. J’étais furax et j’ai glissé du papier journal sous la porte pour l’enflammer, comme je l’ai souvent pratiqué.(…) Ils ont ouvert la porte, l’un d’eux avait un extincteur. Il ne s’est pas contenté d’asperger la porte mais m’a délibérément aspergée. J’étais en train de respirer à la fenêtre. Je suis allée vers eux en gueulant : « Tu t’amuses bien ? » Ils ont essayé de la refermer mais je l’ai bloquée avec le genou. Ils se sont alors énervé et m’ont foutu au sol, dans la neige carbonique. Ils m’ont menottée dans le dos en me faisant vraiment mal à l’épaule et en serrant très fort. Depuis leurs cellules des filles criaient : « Salauds ! Lâchez la !On t’a entendu dire que tu allais lui casser le bras ! » Il m’a demandé de dire aux filles de se calmer mais j’ai refusé, demandant juste à ce qu’il lâche l’épaule. Je suis restée au sol sous ce mec le temps qu’ils vident entièrement la cellule (fringues, bouquins, poubelle, table…) puis ils m’y ont refoutue en laissant un doliprane sur l’évier. La cellule était trempée et noire de papiers brûlés, moi j’étais trempée et mal en point. (…)
A 7h du matin, (quand ils ont ouvert), je suis allée vers la cabine. Mais ils m’ont dit que je téléphonerai après la douche. J’ai accepté car j’en avais vraiment besoin. Quand je suis [retournée dans la cellule], ils en ont profité pour claquer la porte. (…) J’ai gueulé « Vous aviez dit que je téléphonerai après ! » et ils ont répondu « Ben ouais, après, tu téléphoneras après… Aller, bon QD ! » Et un de ces s… rigolait en disant : « Ben quoi, tu chiales Ribailly ? », alors que je répétais, à bout de nerfs : « T’avais dit ! ».
Entre 7 et 9h, toutes les filles qui sont passées ont vu mon bordel dans le couloir et la crasse sous la porte. Beaucoup ont été choquées et m’ont gueulé quelques mots de solidarité. J’ai aussi eu un yoyo de mon propre tabac qu’elles ont pris dans ma veste, sur le tas de mes affaires. (…)
[ndlr : Puis Christine a été transférée vers Corbas]
Hier j’ai vu le toubib dans le cadre de l’accueil arrivante au mitard. Elle m’a fait un certificat médical avec 3 jours d’ITT. J’aimerais déposer plainte pour abus de pouvoir et violences. Pensez-vous que c’est possible ? Voulez-vous m’y aider ?
Bon, après ça j’étais remontée à bloc pour faire face au mitard. Ils ont du le comprendre car ils ont eu une toute autre position qu’il y a deux ans. Au greffe, ils se sont contenté d’un « Non ! » quand ils m’ont demandé la biométrie. J’ai pu avoir mon tabac à la porte de la cellule. J’ai vite eu des bouquins et de quoi écrire. Grâce à la réforme, j’ai même une petite radio. (…) Du coup, libérée de la peur qu’ils me psychiatrisent, je vis bien mieux le mitard que je ne le craignais. (…) J’écris beaucoup (vous voyez), je fais des séries de pompes et abdos. Je dors bien. (…)
Qu’est-ce que vous ne savez pas sur le QD de la MAF (Maison d’arrêt pour femmes) ? Il y a trois cellules, 2 cours goudronnées de 6x8m cernées de murs ou grilles de 3 ou 4 mètres de haut, et au plafond tellement tapissé de barreaux, grillage serré et rouleaux de barbelés que j’imagine que la neige ne passe pas (En tous cas le soleil, c’est sûr, n’atteint jamais le sol). (…)Mardi 5 février, QD de Corbas.
(…) Tout ce que je vous raconte est fait pour être diffusé. (…)
Ici j’ai découvert une cellule encore plus flippante que le mitard. Voilà ce qui s’est passé. Avec le lieutenant, toute la semaine, ça s’était pas mal passé. Mais l’équipe de ce week-end a voulu changer la donne. (…) Dimanche, ça a été encore plus tendu : ils m’ont mis à la promenade dès 8 heures du matin, alors qu’il faisait encore presque nuit. Puis ils m’ont refusé la douche alors qu’ils me l’avaient proposée le matin. A midi, ils n’ont pas ouvert la grille pour me passer la gamelle. Alors le soir, quand j’ai vu qu’ils n’ouvriraient pas plus, je leur ai dit : « Si, vous allez ouvrir ! » et j’ai enflammé une feuille de papier journal. Ils ont refermé la porte en laissant la gamelle dans le sas, hors accès. (…) Puis est venu un lieutenant pour calmer le jeu. Je lui ai expliqué que je refusais d’être servie comme un clebs au chenil et que je lui donnerai le briquet en échange du repas quand il aurait ouvert la grille. (…) Il m’a dit que je grillais mes chances d’avoir le parloir interne que je réclamais, alors que la direction avait émis un avis favorable. Je me doutais bien qu’il mentait, mais je ne voulais pas prendre de risque, alors je lui ai donné le briquet. Il est parti aussitôt, sans ouvrir le sas, et sans même me donner la gamelle. Dix minutes après, ils étaient 6, avec casques et boucliers, pour me menotter. Cassée en deux, ils m’ont menée à travers toute la MA. Je n’ai pas bien compris où on allait mais on a repris le souterrain. Ils m’ont accroupie au fond d’un cellule pour me démenotter après m’avoir pris lunettes et baskets. J’ai demandé où on était et ils m’ont dit « aux arrivants ». Mais la cellule n’avait rien d’une cellule d’arrivants. Je sentais la patte de l’architecte pervers de la chambre de l’UHSA [la prison hôpital]. Lit, table, tabouret, tout était en béton. La télé était protégée par un plexiglass, tout comme la fenêtre, impossible d’accès. Il n’y avait pas de draps, juste deux couvertures en tissu. Même la télécommande était incrustée dans le mur (et ne marchait pas). Une grande surface était prise par la douche et le chiotte. L’évier en alu comme au mitard, sauf qu’il n’y avait pas de robinet, juste un jet d’eau pour boire. Tout était super propre, lisse. J’ai vu un petit sac sur la table : il y avait une affichette. « Vous êtes en souffrance. Il est nécessaire de vous aider. Ce kit fait partie du protocole d’aide. Le pyjama est aéré pour un plus grand confort. En cas de détresse, faites appel au surveillant, votre premier interlocuteur ». Et un pyjama bleu, comme en HP. J’ai eu peur, j’ai pensé qu’ils m’avaient hospitalisée au SMPR, que j’étais en HO (hospitalisation d’office) sans avoir vu de toubib. J’ai appelé mais personne n’a répondu. Une demi heure plus tard, comme j’avais bouché le judas avec l’affichette, ils ont cogné à la porte, joué avec la lumière et appelé à l’interphone. J’ai décidé de ne pas répondre, comme eux. (…) Ils ne voulaient pas rentrer, juste mater. (…)
A 9h le lendemain, j’avais faim et envie de fumer. J’ai fureté dans la cellule pour faire quelque chose. On ne pouvait rien casser, pas appeler. La fenêtre donnait sur une cour intérieure, un toit en fait, où jamais un humain n’est allé. Tout était arrondi, lisse, aseptisé, c’était franchement flippant. Au plafond il y avait une demi-sphère en alu poli pour faire miroir depuis le judas et ne laisser aucun espace sans vue (même collé à la porte). C’était vraiment de l’incitation au suicide, par sa volonté affichée de le rendre impossible. La frustration, même pour moi qui ne veux pas crever, était à son comble. (…) Enfin vers 11h, j’ai entendu une surveillante me dire que j’allais voir un médecin. J’ai pris une grande inspiration et accepté. Ils étaient au moins douze dans le couloir !L’entretien a été assez court quand elles ont compris que j’étais en colère et pas suicidaire. Elles m’ont dit le sigle de la cellule, mais je ne m’en souviens plus, il y avait un P comme « protection » et elle est effectivement au quartier arrivant. [Puis Christine a été ramenée au QD]
J’imagine le pauvre gars, tout juste sorti de garde à vue et enfermé dans cette cellule d’incitation au suicide lors de sa première arrivée à la rate. La façon la plus ignoble de lutter contre la surpopulation ! Elles sont belles, les règles européennes. (…)Dimanche 10 février, QD de Corbas.
Demain je dois retourner à la Talaud. (…)
Excédée par le refus de parloir interne [ndlr : avec son compagnon, incarcéré aussi à Corbas], j’ai essayé encore de revendiquer vendredi. Sanction immédiate : plus de lumière et plus d’allume-cigare (bien sûr, pas de briquet en cellule). (…) Voici la lettre que j’ai écrite à la direction :« Quand on se targue d’apprendre aux autres à respecter la loi, il faut d’abord, par cohérence, à défaut d’honnêteté, la respecter soi-même. Or :
– J’ai été quinze jours au QD, trois lundis, et vous ne m’avez permis qu’un seul parloir.
– J’ai signalé dès l’arrivée au médecin que j’avais une ordonnance pour de la kiné hebdomadaire et il n’y a eu aucun suivi
– Je n’ai pas pu m’alimenter du dimanche 3 à midi au lundi 4 à midi (deux repas refusés).
– Malgré ma demande du 30 janvier, mon avocat n’a pas obtenu son permis de communiquer
– J’ai été jugée en mon absence le 5 à Aix en Provence, sans que soit organisée d’extraction ou de visioconférence.
– Je n’ai pu ni lire ni écrire ni fumer du vendredi 8 à midi au samedi 9 à 8h.
– L’évier de la cellule du QD est bouché.
– La télévision de la cellule d’incitation au suicide ne marche pas. Le flotteur des toilettes est coincé.
– La première semaine, je n’ai vu qu’une fois le médecin.
– Vous avez laissé nombre de mes courriers sans réponse et les gradés ont parfois refusé de répondre à mes questions.
– La cage de promenade est cernée de murs si hauts et fermée par un grillage si serré que ni la neige ni le soleil ne l’atteignent. Où est l’heure de promenade obligatoire « à l’air libre » ?
– Le courrier interne m’a toujours été remis en retard, ou pas remis du tout.
(…) Je continuerai à exiger le respect des lois (à défaut du respect humain qui vous est inaccessible). »Dimanche 17 février, QD de Joux-La-Ville.
Je continue mon tourisme pénitentiaire. Je suis maintenant en CD, près d’Auxerre.
(…) (A mon arrivée) j’ai accepté la fouille à corps et répondu au topo du chef : « Si vous vous tenez bien, ça se passera bien » par « Si vous me touchez pas, je me tiendrai bien ». Ils n’ont pas insisté pour les empreintes et ont fait une photo tête baissée et yeux fermés pour la carte de circulation. Puis je suis allée au mitard. (…) Il fait super froid en cellule et ma voisine, une jeunette toute maigre, en chie beaucoup. Depuis trois jours on réclame qu’ils viennent prendre la température, mais ils ne font rien. (…) Je me souviens avoir lu qu’un mitard avait été fermé après qu’un huissier ait relevé 14°C. Je suis sûre qu’il ne fait pas plus ici.(…)
Il y a deux mois, deux filles ont pris en otage une surveillante. Après 30jours de mitard bien agités et une comparution immédiate (18 mois pour l’une, deux ans pour l’autre), elles ont eu le droit à un transfert disciplinaire, mais je ne sais pas où.[Christine raconte ensuite comment elle a réclamé à maintes reprises que la température des cellules soit vérifié, qu’elle était entre 13 et 16°C alors que le médecin lui a dit que c’était entre 19 et 21°C pour une pièce d’habitation normale. Rien n’a changé, alors elle a revendiqué plus intensément -notamment en mettant le feu à sa cellule – et fait face à une répression sévère. Elle est alors placée au quartier d’isolement]
Le chef du quartier femmes, Dinan, m’a dit que le toubib avait eu un appel de l’OIP (ndlr : au sujet du chauffage en cellule) mais qu’il avait botté en touche. La technique, c’est pas lui, c’est Sodexo. Ce à quoi j’ai répondu. « Non, le respect de la loi, c’est vous. A vous de mettre la pression sur Sodexo ». Et là, pompon : « On le fait. Ils nous payent des amendes quand ils ne répondent pas à nos demandes ». En gros, merci les taulards de vous battre, vous enrichissez l’AP, et Sodexo l’a cool. Vive les Esquimaux !
[Christine a ensuite mené d’autres combats et eu d’autres altercations avec les surveillants, démarrant systématiquement sur des refus de réponses à ses demandes, ou quand elle réclame que ses droits soient appliqués sur des questions du quotidien. Certaines altercations dégénèrent et se finissent par des rapport d’incidents et passages au prétoire. Elle raconte aussi qu’elle est accusée d’avoir mordu un surveillant, ce qu’elle nie. Elle est passée pour cela au prétoire sans avoir pu être assistée d’un avocat, donc elle a refusé de comparaître, une nouvelle altercation avec les surveillants s’en est suivie, une sanction à trente jours de mitard a été prononcée en son absence, et elle risque un passage au tribunal correctionnel pour cette histoire. Elle raconte comment ses combats lui permettent parfois d’obtenir gain de cause et un apaisement de la situation, mais comment la répression, physique mais surtout psychique, la pousse parfois à bout. Elle raconte notamment que, en représailles, sa cellule a été plusieurs fois vidée de toutes ses affaires. Ou comment elle a craint d’être hospitalisée d’office pour la mater. Pour exemple, voilà sa retranscription d’un échange avec Monsieur Bacher, chef de détention :]
– Je veux mes affaires !
– Tu ne les auras pas et si t’es pas contente, t’as qu’à écrire à l’OIP.
– Et comment je leur écris sans stylo ?!
– Fais pas chier ! T’as mordu un collègue, t’es entre quatre murs et c’est bien fait pour ta petite gueule !
– De toutes façons, j’y suis entre quatre murs, que ce soit ici, en face, ou même en secteur ouvert !
– Et on va t’y faire triquarde si on veut. Tu vas apprendre que c’est pas toi qui décide. En 25 ans de pénitentiaire, j’en ai maté plus d’une, de petite conne comme toi ! (…)Mardi 9 avril, Bapaume, quartier arrivants
Ce matin à 8h j’ai eu droit au transfert. Il y avait les ERIS, aussi nombreux et équipés que le 15 février. Mais cette fois j’ai eu le droit à un fourgon cellulaire. J’ai donc refusé d’entrer dans la cage avec les menottes (devant) et les entraves, mais je n’ai rien pu faire. L’arrivée ici a été un peu plus calme. Bizarrement, je ne suis ni au QI ni au QD. (…) J’ai déjà rencontré la nana qui a pris une matonne de Joux en otage il y a deux mois. Je vais pouvoir aller en sport et en promenade collective. Je vais commencer par fêter ça avec une sieste et un coca devant la télé, quel confort ! Je vous tiens au jus de l’évolution, à bientôt.
Christine.
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« Lettre de Fleury »
Paru dans le N°2 de l’Envolée, octobre 2001
Monsieur,
De part ce courrier, nous tenons à vous mettre en garde sur la détérioration des conditions de détentions que font subir certains membres du personnel surveillant du bâtiment D5 à l’ensemble de sa population carcérale outrepassant le règlement intérieur et abusant de leur autorité disciplinaire sur le comportement et le mode de vie des détenus et prévenus, et de ce fait cherchant à mettre en place un rapport de force verbal ou physique (dominé-dominateur) qui risque d’aboutir à des conséquences très grave pouvant aller jusqu’à un point de non retour. L’humiliation, la provocation verbale et la brutalité physique sur les détenus sont devenues monnaie courante. En effet on ne compte plus les différents problèmes qui ont surgi ces derniers temps et dont la liste est loin d’être exhaustive :
– réflexions douteuses voire racistes sur les origines et les croyances religieuses ou ethniques d’une partie de la population carcérale (phénomène croissant étant donné la conséquence directe du contexte mondial et sociétal actuel)
– violation délibérée du dernier lieu d’intimité qu’il reste au détenu : la cellule, en arrachant tout ce qui se trouve à portée de main
– non respect des conditions politiques que tout un chacun à la liberté d’avoir
– bousculades lors d’altercations avec des détenus refusant de se soumettre à l’excès de zèle autoritaire de certains surveillants et/ou bricards
– passages à tabac sur les détenus qui par leurs états psychomentaux devraient être placés dans d’autres endroits pénitenciers
– un exemple flagrant : vers la mi–septembre 2001, Djamel Ben Drisse longue peine condamné à vingt ans de réclusion criminelle a été sans aucun motif, humilié, passé à tabac et remis en cellule !!!
Suite à son agression, Djamel Ben Drisse a mis le feu à sa cellule à l’aide de fils électriques arrachés des murs. Il a été conduit à l’hôpital d’urgence. Plus de nouvelles depuis. Certains disent qu’il est décédé.
C’est donc dans cette logique de tension et de dégradation quotidienne de la vie carcérale qu’un terrain de haine et de vengeance se développe. Une situation qui deviendra ensuite de la part du personnel surveillant un prétexte à des revendications syndicales demandant toujours plus de moyens tant humains que matériels.A raison de quoi, si des mesures concrètes sur cette situation critique et alarmante à l’encontre de monsieur X (équipe du vendredi 26/10/01 3ème étage droite D5), de type révocation ou reclassement de ce personnel pénitencier à des postes où ils n’auront plus de contact direct ou indirect avec les prisonniers, ne sont pas prises, nous nous devons de vous avertir que nous ne serons pas responsables des actes collectifs de quelque nature que ce soit pouvant gravement perturber l’ordre carcéral–militaire dont vous êtes la plus haute instance représentative au sein de l’administration pénitentiaire de la maison d’arrêt de Fleury Mérogis.
En espérant que vous saurez faire preuve de responsabilité et par conséquence prendre des mesures nécessaires pour que ce rapport conflictuel n’aille en s’ envenimant.
Veuillez accepter, monsieur, nos salutations.
Collectif des détenus du bâtiment D5 de Fleury Merogis.