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  • Mourir à petit feu : trois lettres de prisonnier·e·s longues peines

    Mourir à petit feu : trois lettres de prisonnier·e·s longues peines

    Trois prisonnier·e·s condamné·e·s à de longues peines disent le temps qui détruit leur vie et celle des autres prisonnier·e·s, ces peines interminables qui dissipent tout idée de « réinsertion », mais surtout, qui tuent à petit feu, anéantissent les facultés physiques et intellectuelles. Cesario en arrive même à interpeller les institutions de l’État pour revendiquer le droit à mourir – comme les dix prisonniers de la centrale de Clairvaux qui écrivaient le 16 janvier 2006 :

    "À ceux de l'extérieur osant affirmer que la peine de mort est abolie. Silence ! On achève bien les chevaux ! Nous, les emmurés vivants à perpétuité du centre pénitentiaire le plus sécuritaire de France (dont aucun de nous ne vaut un Papon), nous en appelons au rétablissement effectif de la peine de mort pour nous."

    La guillotine certes n’existe plus ; mais la peine de prison à vie, c’est-à-dire de prison jusqu’à la mort, l’a remplacée à coups « de mois qui paraissent être un an » comme l’écrit Céline ci-dessous, avec un tranchant tout aussi morbide. Ces courriers font hélas écho aux dits et écrits de prisonnier·e·s rassemblés dans le livre La peine de mort n’a jamais été abolie.


    « La vie continue, mais nous, on stagne au jour de notre incarcération »

    Lettre de Céline

    Publiée dans le numéro 55 de L’Envolée, et lue à l’antenne le 4 février 2022.

    Centre de détention de Rennes,

    Le 19 mars 2022

    Salut l’équipe,

    J’ai encore dix longues années à tenir dans ces lieux. J’en ai effectué que deux et demi sur les seize ans de départ. Je ne serai aménageable qu’en 2026. Le temps est long. Dans ces lieux, un mois paraît être un an, alors je mets à profit ce temps pour comprendre ce qui m’a conduit ici et pour « préparer » tant bien que mal ma sortie.

    Cela fait un an que je suis à Rennes (avant j’étais à la maison d’arrêt pour femmes de Limoges), le plus grand centre de détention pour femmes de France et apparemment d’Europe. Laissez-moi rire. L’administration pénitentiaire est pire que ce que j’ai connu en maison d’arrêt. Voilà deux semaines que j’attends pour enregistrer un numéro de téléphone, cinq mois d’attente et certainement plus pour un droit de visite. Des demandes sans réponses. On m’avait dit, avant mon transfert : « les numéros de téléphone suivent ». Et bien ici, non. Alors qu’à Fresnes, à Jullouville, à Poitiers, et j’en passe, ça suit. Quand je parle aux filles qui ont connu d’autres maisons d’arrêt, d’autres centres de détention, dès lors qu’on est condamné, on n’a plus besoin de fournir de factures pour enregistrer les numéros. Mais ici il le faut. C’est incompréhensible.

    En ce qui concerne le taf, il n’y a pas de travail pour toutes. Il y a une vingtaine de places au façonnage où l’on fait du travail à la pièce, coller des blocs sur des pochettes, plier des documents pour faire des pochettes à rabats ou des dossiers, faire des disques stationnement, enrouler des affiches pour des magasins, mettre des documents sous film. Il y a environ quarante places à la confection : draps, serviettes pour les prisons, uniformes pour les matons, matelas, et quelques commandes pour des entreprises privées. Ensuite, il y a les auxi pour le repas, le ménage, la désinfection. Ensuite, il y a la cuisine et deux ou trois filles pour les cantines. Il y a deux ou trois formations rémunérées. Pour les autres, ce sera soit l’indigence, soit des personnes à l’extérieur s’il nous en reste, quand elles peuvent et qu’elles nous font des virements.

    Comment s’intégrer dans notre famille quand on est au téléphone ?

    Il faut un projet pour la sortie, mais comment mettre un projet en route quand on n’a pas les formations nécessaires ? Comment se renseigner quand on n’a pas accès aux informations ? Quand je vois des filles qui sont là depuis dix, quinze, vingt ans, comment les réinsérer dans un monde qui a totalement changé ? Ces filles qui n’ont pas connu internet et les téléphones portables, comment vont elles être autonomes et se servir de ces technologies qui sont tellement importantes aujourd’hui et pour lesquelles elles ne connaissent rien ? Ça me fait peur pour elles, mais aussi pour moi : dans dix ans, tout aura changé. C’est la vie ! Comment s’intégrer dans notre famille quand on est au téléphone ?

    Dehors la vie continue, mais nous on stagne au jour de notre incarcération. Oui, la sortie me fait plus peur que de rester ici, mais pourtant j’ai un désir beaucoup plus grand d’être libre. C’est paradoxal et difficile à vivre.

    En ce qui concerne le CGLPL (Contrôleur général des lieux de privation de liberté), on se tourne vers eux mais si on sait que ça sert à rien, mais surtout parce qu’on ne sait pas vers qui se tourner pour revendiquer ce qui nous semble injuste, ignoble. Alors on écrit au CGLPL ou à l’OIP (Observatoire international des prisons). Si les gens savaient vraiment ce que l’on vit, ce que l’on paie, et le prix, ce que l’on touche… Même ça, est ce que ça aurait un impact ?

    Céline


    « Des vieux que l’on a laissés crever »

    Lettre lue à l’antenne le 10 juin 2022.

    Centre de détention de Bédenac,

    Mai 2022

    Bonjour,

    Je suis dans la prison où il y a eu pas mal de problèmes, avec des vieux que l’on a laissé crever. J’ai vu ce qu’il y a de pire. Et aujourd’hui encore, exemples :

    • un codétenu cardiaque, avec les poumons foutus, et un demi-cœur qui fonctionne, qui n’a aucun suivi depuis un an qu’il est ici
    • un autre, polytraumatisé, avec le cerveau d’un enfant enfermé sans suivi

    Et le pire, c’est que le SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) ne sert à rien, le médical c’est du n’importe quoi depuis que le médecin que l’on avait est parti. Pour savoir ce qu’il s’est passé, vous n’avez qu’à regarder sur le net : Bédenac, CGLPL, « maltraitrance sur les personnes âgées ». Je fais partie de principaux donneurs d’alerte au CGLPL, avec aussi l’ancien médecin du site. J’appelais tous les jours le CGLPL, et avec des courriers de suivi. Du coup, après cette visite de contrôle, du CGLPL, je vous explique pas, je suis très mal vu de la direction. Heureusement que les surveillants me comprennent, sauf deux ou trois qui n’ont rien compris. Mais si je devais recommencer, je le ferai car c’est inhumain ce qu’il se passe. On a été condamnés à la prison, pas à la peine de mort ! C’est que, ici, on peut se poser la question.

    Dans ce pays, il y a un sacré nombre de fachos !

    Vous savez, un autre exemple : un détenu qui me traite de « sale juif », qui fait des saluts nazis, des propos insultants sur les juifs. Et là, personne ne fait rien ! On le laisse faire. Pas besoin de se demander pour qui vote la direction de cette taule. Il ne fait pas bon être juif et étranger ici.

    En gros, c’est la merde totale, sauf les cellules et les bâtiments. En fait, c’est comme les bonbons à l’orange sanguine : l’emballage est beau, mais sans l’emballage c’est amer. C’est pour cela que je n’en peux plus. Je suis triste de cette vie et de ce monde qu’on laisse à nos enfants. On nous abreuve d’informations de guerre, de haine. Dans ce pays, il y a un sacré nombre de fachos ! Et tous ces gens qui crèvent dans le monde de faim, de la guerre, quelle honte !

    Je vous remercie pour votre réponse, à bientôt.


    « La peine de mort ayant été abolie en 1981, une peine de détention jusqu’à la mort a remplacé celle-ci dans les faits »

    Lettre de Cesario

    Lettre lue à l’antenne le 17 juin 2022.

    Dans une prison du sud de la France, quartier d’isolement,

    Mai 2022

    À mesdames et messieurs les représentants de la nation française, élu·e·s aux élections législatives de juin 2022,

    Je rédige ce courrier depuis la cellule d’un quartier d’isolement d’un centre pénitentiaire du sud de la France. J’ai écrit précédemment plusieurs courriers aux différents ministres de la Justice successifs. Au dernier en poste aussi, après la visite qu’il a effectué dans cet établissement quelques semaines en arrière, sans un regard sur ce quartier d’isolement situé à 50 mètres à peine de son parcours balisé ! J’écris donc ce jour à ceux qui véritablement s’intéressent et s’investissent réellement dans la défense des droits et conditions de vie en détention, comme l’OIP-SF et le trimestriel Dedans-dehors, que je lis depuis de nombreuses années. Si ma lettre paraît, vous en prendrez connaissance. La CGLPL recevra une copie de ce courrier. Nous sommes actuellement 501 détenus condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité en France. Pour certains, les plus anciens, la fin de vie est proche mais leur état physique ne leur permet pas une libération, ils attendent la mort dans les « EPHAD » pénitentiaires.

    Tous savent, et moi le premier, que je n’ai désormais plus aucune perspective d’avenir en liberté

    Pour d’autres, dont je fais partie, nous sommes encore en bonne santé apparente. Mon cas personnel est tout de même atypique. Condamné en 1988 à la réclusion criminelle à perpétuité pour des faits datant de 1986. Je fus libéré deux fois en libération conditionnelle, en 2007 puis une seconde fois en mars 2019. En novembre 2019 j’étais à nouveau réincarcéré et je viens de voir ma conditionnelle révoquée en totalité. Sans rentrer dans les détails, tous savent, et moi le premier, que je n’ai désormais plus aucune perspective d’avenir en liberté. À 62 ans et trente-huit années de détention effectives, je souhaite comme certains autres détenus ayant mon profil de peine, que nous soient accordé le droit de partir en bon état, en utilisant un procédé létal et légal de fin de vie. Je suis encore en capacité de faire ce choix, et vous élus du peuple, êtes en capacité de faire adopter une loi le permettant. La peine de mort ayant été abolie en 1981, une peine de détention jusqu’à la mort a remplacé celle-ci dans les faits.

    Vous pouvez l’ignorer, mais c’est un fait établi dont personne ne parle. N’attendez pas comme d’habitude qu’un très grave fait divers intramuros vous oblige, sous la pression médiatique, à vous pencher sur ce dossier de la fin de vie des très, très longues peines. J’en terminerai en citant Cioran :

    "Je ne vis que parce qu'il est en mon pouvoir de mourir quand bon me semblera : sans l'idée de suicide, je me serais tué depuis toujours."

    Salutations à toutes et tous,

    Cesario

  • « On comprend pourquoi certains prisonniers ont préféré demander à leurs proches de ne pas venir pour leur épargner cette humiliation »Communiqué des femmes de prisonniers de Condé sur Sarthe et du Syndicat PRP

    « On comprend pourquoi certains prisonniers ont préféré demander à leurs proches de ne pas venir pour leur épargner cette humiliation »Communiqué des femmes de prisonniers de Condé sur Sarthe et du Syndicat PRP

    Communiqué des femmes de prisonniers de Condé sur Sarthe et du Syndicat PRP

    Suite au premier parloir à Condé-sur-Sarthe depuis le blocage

    Ce mercredi 27 mars 2019, nous avons enfin pu voir nos proches, nos frères, nos maris. Cela faisait trois semaines ; trois semaines d’inquiétude. Depuis trois semaines, nous n’avions de leurs nouvelles que par des coups de fil de quelques minutes. Et ces nouvelles  étaient angoissantes. Depuis trois semaines, nos proches ont subi la violence sourde de la grève des matons.

    En bloquant la prison de Condé-sur-Sarthe, les matons ont rajouté de l’isolement à l’isolement. Construite pour enfermer des hommes condamnés à des « peines infaisables » durant une vie entière, cette prison est déjà ultrasecurisée. L’enfer vécu par nos proches, que nous avons déjà dénoncé, nous a été confirmé, durant nos parloirs. Pendant trois semaines, ils ont été enfermés dans leur cellule toute la journée : pas de promenade, pas d’accès au travail -donc moins de moyens pour cantiner le mois prochain. Ils ne recevaient de la nourriture qu’une fois par jour (une baguette et une boîte de thon, et pour certain une portion de riz pour trois jours). Il n’y avait pas non plus de cantine (le magasin interne de la prison où les prisonniers peuvent acheter de la nourriture ou des cigarettes… à des tarifs plus élevés qu’à l’extérieur). Certains ont eu droit à leurs cigarettes, mais pas tous. Pour certains, les télés, plaques de cuisson ou encore table et fer à repasser ont été confisqués. Il y a aussi eu des coupures d’électricité, d’eau et de chauffage. Enfin, les poubelles se sont entassées dans les cellules, car les déchets n’étaient pas récupérés… Ils ont été enfermés par les Eris (le GIGN de la prison) qui ont appliqué leur pratique (encore plus) brutale durant ces trois semaines : comment supporter de se faire livrer sa seule gamelle de la journée par une personne cagoulée, qui d’habitude nous frappe et nous envoie au mitard lorsqu’on exprime nos désaccords face à l’administration ? Les Eris ont passé à tabac ceux qui dénonçaient la situation.

    Lorsqu’enfin le blocage devait cesser, ils ont subi l’humiliation supplémentaire d’une fouille intégrale de la prison. Après leur avoir fait vivre l’enfer, les matons osent s’étonner d’une « certaine froideur et de l’incompréhension de la part des détenus, car ils se considèrent eux aussi comme victimes ».

    On doit le dire, on est arrivées pour ce parloir un peu inquiètes. L’administration pénitentiaire a accepté l’ensemble des mesures sécuritaires demandées par les syndicats de matons fascisants. La presse relayait que les moments collectifs vont être encore plus limités et vont renforcer l’isolement de nos proches (fermeture des espaces communs, locaux réaménagés pour limiter les regroupements, les Eris vont rester dans l’établissement encore longtemps). Des grilles vont être installées à la place des barreaux actuels limitant les possibilités de yoyo (grâce aux yoyos, les prisonniers peuvent se filer des objets de cellule en cellule – durant le blocage ce fut essentiel : nos proches ont été solidaires entre eux en s’échangeant cigarettes ou bouffe grâce aux yoyos car ils étaient bloqués en cellule 24h sur 24).

    Les mesures sécuritaires sont déjà mises en place avec des conséquences désastreuses. Alors que la situation était déjà intolérable avant le blocage, elle empire… Les Eris continuent à tourner dans l’établissement en soutien aux matons. Les espaces collectifs sont fermés : pas d’accès aux cuisines collectives et aucune possibilité d’y récupérer la nourriture stockée qui a été jetée, pas d’accès aux machines à laver… Le matériel confisqué n’a toujours pas été rendu entrainant pour certains l’impossibilité de se faire à manger.

    On était inquiètes, car on se demandait comment nos proches seraient : dans quel état de stress ? Ne seront-ils pas trop marqués par ces trois semaines d’isolement ?

    On était inquiète pour nous-mêmes  aussi ; nous qui vivons les peines de nos proches par procuration, sans être passés devant un juge. La semaine dernière, les matons ont cherché à faire monter la pression sur les réseaux quand on revendiquait notre droit à voir nos proches. Mais ils avaient disparu vendredi dernier, lorsqu’on est venues devant Condé-sur-Sarthe. Ils ne nous avaient pas laissées entrer, mais au moins, ils n’étaient pas venus à la confrontation. Reste qu’ils avaient annoncé des fouilles des familles pour la reprise des parloirs ce mercredi.

    Qu’allaient-ils encore nous réserver ? Juste des palpations ? Qu’allaient-ils faire avec les enfants et les nourrissons ? Par précaution, pour ne pas traumatiser les petits, certaines d’entre nous ont préféré y aller seules pour ce premier parloir.

    En arrivant, on constate rapidement que les matons ont la haine contre nous : ils ont  saccagé l’abri famille. Dès l’arrivée dans le sas, on comprend qu’ils feront tout pour nous humilier. Il y a des flics en renfort. Avec les matons, ils sont une vingtaine, et le directeur adjoint de la prison est là, alors que nous sommes moins de quinze… Ils nous font aligner contre le mur. Les enfants sont tous palpés, et pour les nourrissons, il faut leur enlever la couche devant un flic. Les adultes finissent tous en sous-vêtements ; on nous demande même de secouer nos culottes et soutiens-gorge. Le directeur adjoint force les flics à fouiller un vieux monsieur qui avait été initialement dispensé de l’humiliation. On comprend pourquoi certains prisonniers ont préféré demander à leurs proches de ne pas venir pour leur épargner cette humiliation. Le directeur adjoint se charge de mettre la pression sur certaines familles, leur demandant de gérer leur mari « agressif » (qui ne le serait pas après  trois semaines dans ces conditions ?) sous peine de se voir supprimer leur parloir.

    De nouveau, nous dénonçons les conditions d’incarcération de nos proches. Nous dénonçons l’existence même de la prison de Condé-sur-Sarthe, qui applique des peines de mise à mort sociale. Nous dénonçons l’isolement qu’ils subissent et les humiliations qui se cachent derrière les mesures « sécuritaires ». Nous ne pouvons accepter que nous, famille et proches, qui n’avons jamais condamnées, nous subissions aussi l’enfermement, et que nous soyons fouillées par des matons.

    Toujours aussi déterminés, nous resterons toujours solidaires avec nos proches ! Et avec les autres prisonniers qui ont subi des blocages, comme à Seysse, où ils ont refusé de remonter de promenade !

    Le syndicat PRP et des femmes de prisonniers de Condé-sur-Sarthe

    Sur un mur de la ville de Seysses (31)

  • « Faites sortir l’accusé » dans les salles en février 2018

    « Faites sortir l’accusé » dans les salles en février 2018

    Les Films du bout de la ville  et les Ami.e.s de Philippe Lalouel présentent, 

    Faites sortir l’accusé, histoire d’une longue peine 

    un film documentaire de PeG écrit avec Philippe Lalouel 70 mn

    – Séances FEVRIER 2018 –

    En présence du réalisateur et de protagonistes du film

    Le jeudi 08 FEVRIER – 18H – PARIS – Université TOLBIAC

    à l’invitation de la Bibliothèque autogérée de Tolbiacdans le cadre du « mois contre l’enfermement » Université Tolbiac, Amphi L, 90 rue de Tolbiac, 75013 Paris

    Le samedi 10 FEVRIER –15H30 – PARIS – La Bellevilloise

    dans le cadre du festival Bobines Sociales et en présence de l’EnvoléeLa bellevilloise, 19-21 Rue Boyer, 75020 Paris (Le programme du festival sur bobines-sociales.org/)

    Le jeudi 22 FEVRIER – 20H30 – TOULOUSE – American Cosmograph

    En présence de Corinne Lakdhari (Act-up) et Monique Erbée, protagonistes du film, 24 Rue Montardy, Toulouse, american-cosmograph.fr/les-fanzines/

    Le mercredi 28 FEVRIER – 20H – BAYONNE – ZIZPA GAZTETXEA

    à l’invitation du GENEPI, ZIZPA GAZTETXEA, 7 Quai de Lesseps, 64100 BAYONNE, Ouverture du lieu 19h30, Projection à 20h30

    Le mardi 06 MARS – 20H – BAGNOLET – Cin’HOCHE

    En présence de Delphine Boesel, présidente de l’OIP et protagoniste du film, Cin’Hoche, 6 rue Hoche, 93170, Bagnolet

    https://fr-fr.facebook.com/faitessortirlaccuse/

    http://leseditionsduboutdelaville.com

    Faites sortir l’accusé, un film de PeG, écrit avec Philippe Lalouel, 70 mn, produit par Les films du bout de la ville et les ami.e.s de Philippe Lalouel. Montage : ZED, PeG / Musique : Kindred / Images : N.Potin, C6C7, Gago, F. Lathuillière, PeG / Moyens techniques : radio la Locale, L’Envolée.

    Synopsis : Pour des vols et des évasions à la fin des années 1980, Philippe Lalouel est en prison depuis 30 ans. Contaminé par le VIH lors d’une transfusion sanguine, il se bat pour ne pas mourir entre les murs. Au fil d’une longue correspondance avec le réalisateur, il prend la parole depuis une prison de haute sécurité et refuse sa destinée de fantôme social. Autour d’un énième procès aux assises, sa compagne Monique, et un groupe d’amis se battent à ses côtés pour le faire sortir. Une histoire d’amour et d’amitiés qui dévoile une partie de l’implacable machine judiciaire. Une plongée anti-spectaculaire dans le temps infini des longues peines.

    Philippe Lalouel is one of France’s many long-serving prisoners, having spent more than thirty years of his life behind bars, initially for robbery and more recently for attempting escape. He is HIV positive and had long fought not to die inside. In this film, he speaks of his refusal to be eliminated, his refusal to

  • octobre 1981, 2001, 2016 : de la peine de mort aux peines jusqu’à la mort

    sablier-fly-a52

    Le texte qui suit est paru dans le numéro 2 du journal. C’était il y a quinze ans. En octobre 2001, à l’occasion de la célébration des vingts ans de la dite « abolition de la peine de mort », des prisonniers longues peines envoyaient des communiqués depuis le fin fond des maisons centrales. Ils voulaient secouer la société, dénoncer son hypocrisie, sortir de ses mouroirs. Nous tentions de  faire échos à leurs revendications. C’était il y a quinze ans. Rien n’a changé ? Si ! En ces matins bruns de campagne électorale l’on reparle de peine de mort pour les désignés terroristes et l’on promet 30 000 places de prison de plus. En attendant, les peines de 20 ans sont devenues des peines de 30 ans… et les prisonniers exécutent ces peines qui les exécutent.

    Octobre 2001. La France, pays phare des valeurs démocratiques, commémore l’abolition de la peine de mort : la célébration ne sera pas un événement national comme la dernière Coupe du monde ; mais, dans un élan commun, nos dirigeants, nos sociologues, nos criminologues, nos philosophes, nos intellectuels, nos artistes vont célébrer le courage politique dont a fait preuve le premier gouvernement Mitterrand en décidant, contre l’opinion populaire, d’en finir avec les exécutions capitales. Comme si la Gôche cherchait encore à redorer une image qu’elle aime à se donner, celle du progrès social et humanitaire, alors qu’elle n’a jamais fait mieux, pour ne pas dire pire, que la droite dans tous ces domaines.
    Joli tour de passe-passe !

    On oublie tout simplement de dire que la France a été le dernier pays d’Europe occidentale à prendre cette décision (la peine de mort existe encore en Belgique, mais elle n’a jamais été appliquée) ; l’Espagne (1978) ou le Portugal (1975) en avaient déjà fini avec cette pratique barbare. La France était de toutes façons dans l’obligation de se conformer pour entrer dans l’espace judiciaire européen, faute de quoi elle serait apparue comme le vilain petit canard turc exclu de la communauté.

    Quant au danger qu’une telle décision représentait pour le bon peuple, prétendument avide de sécurité, il était inexistant : le gouvernement Giscard à ses débuts avait préparé un projet d’une peine maximum de quinze ans, qui n’a pas vu le jour à cause de l’apparition massive du chômage (pour masquer ce problème, comme toujours on a parlé d’insécurité), d’où l’abandon pur et simple de l’idée. Au contraire, dès 1978 le gouvernement Giscard/Barre préparait un arsenal juridico-pénitentiaire capable de remplacer plus qu’efficacement la guillotine. De fait, en 1981 les socialistes n’ont pas aboli la peine de mort mais juste supprimé la guillotine, et ont remplacé la peine de mort par l’enfermement jusqu’à la mort, pour ne pas pas parler des exécutions sommaires dans les rues par les flics ou de la réinstauration de la torture dans les commissariats. Jamais les peines prononcées par les cours d’assises n’ont été aussi lourdes, jamais les aménagements de peines n’ont été aussi chiches pour ne pas dire inexistants, jamais on ne s’est autant suicidé en prison. Nouveaux temps, nouvelles techniques, plus propres, plus efficaces, sans effusion de sang mais tout aussi violentes et meurtrières. En 1789, l’Assemblée constituante considérait qu’une peine de plus de dix ans d’emprisonnement était un châtiment plus cruel que la mort. Désormais, on considère que tant que le corps ne subit aucune torture on peut infliger tous les sévices à l’esprit. Torture blanche, mort clinique, les bourreaux modernes se font fort d’obtenir la rémission complète des récalcitrants, avec ou sans leur consentement.

    Le début des réformes contemporaines des systèmes judiciaire et carcéral date de plus de trente ans. Les années 70, préparant l’avènement de la social-démocratie en France comme dans le reste de l’Europe, auront été particulièrement riches en mouvements, révoltes, mutineries dans les prisons ; entre autres, les QHS ont été une cible privilégiée des prisonniers révoltés. Rappelons qu’en 1974 une bonne trentaine de taules ont été au moins partiellement détruites. Face à ce mouvement qui posait des questions de fond sur l’existence et les véritables causes de l’enfermement, l’Etat répondait en accordant quelques améliorations des conditions de détention. Dans le même temps, il affinait ses pratiques répressives pour éliminer les résistances potentielles à venir : juste après l’assassinat de Mesrine, il accouchait d’une serie de lois extrêmement dures pour casser les plus résistants.
    Les années 70 ont aussi été l’aboutissement de bouleversements économiques et sociaux : à l’extérieur, la mainmise de la loi du marché dans tous les secteurs a redessiné les traits d’une nouvelle définition de l’exclusion. Précarisation, assistanat, éclatement des anciennes communautés ouvrières (mines, sidérurgie, automobiles…), traque aux travailleurs clandestins et aux sans-papiers dont on n’avait momentanément plus besoin : la nécessité pour le capital de se débarrasser de formes de production devenues obsolètes et peu rentables a modifié les rapports de classes au moins en apparence. Eclatement du secteur primaire, industrialisation et concentration du secteur secondaire, développement à outrance du tertiaire : au moins dans les pays occidentaux, le capital commençait à réaliser son vieux rêve, se passer de l’homme pour produire. Restait sur le carreau une masse de précaires et d’inoccupés qu’il s’agissait d’encadrer fermement, de dépossédés qu’il fallait contrôler afin de s’assurer qu’aucune résistance ne naisse de ce nouvel état de fait. La prison jouait là à plein son rôle déterminant : mettre de côté temporairement ceux qui n’étaient plus rentables, enfermer pour longtemps ceux qui d’une façon ou d’une autre refusaient de se soumettre, et faire peur à tous ceux qui auraient pu en rêver. Le fait que les peines de sûreté voient le jour à ce moment, avec l’assentiment de tous les partis politiques, n’est évidemment pas un hasard ni un phénomène étranger à l’évolution de cette société marchande.

    Il devrait être impossible pour un cerveau sain d’imaginer qu’un être humain puisse en enfermer un autre. Alors, que dire de l’acceptation si répandue de voir des prisonniers emmurés à vie ou presque ? Ce délire de la longueur des peines a atteint son paroxysme. Vingt ans en moyenne  (trente aujourd’hui en 2016) : c’est devenu une mesure du temps, d’un temps économique, calculé, rentabilisé, c’est le temps d’un crédit immobilier, c’est le temps de l’« éducation » d’un enfant… Cette norme du temps, monotone, vide de toute réelle activité, exsangue de tout esprit d’aventure, peureuse du moindre bouleversement, n’a trouvé comme dernier ersatz de passion que l’autodéfense, la protection à outrance des maigres conforts qui ont été concédés au prix de la vie. On peut préférer son magnétoscope à la vie d’un homme, sans en rougir, ou se sentir physiquement violé après avoir été cambriolé et aller se consoler chez un psychiatre ! C’est dans ce climat de misère que l’opinion publique ne parvient même plus à concrétiser ce que peuvent représenter vingt ans d’enfermement : juste parce que l’être humain ne comprend plus vraiment l’idée d’activité, juste parce que l’ennui a gagné l’ensemble des vivants, juste parce que le temps passe sans que l’on en ait conscience.

    L’idée de la vengeance sociale a quitté le terrain de la lutte des classes, de l’antagonisme entre les possédants et les dépossédés, puisque, dans les pays industrialisés, tout le monde a un petit quelque chose à défendre. Alors la colère contenue se déchaîne contre des cas individuels ; et, comme on applaudissait auparavant aux passages de charettes de condamnés, on s’émeut aujourd’hui à grands coups d’articles de presse sur la mort d’un noyé dans un club merde, ou sur une victime d’un tueur occasionnel qui pète les plombs. Là l’identification d’une forme de douleur toute particulière et personnelle, individuelle, bat son plein : faute de pouvoir dénoncer et empêcher les crimes collectifs, de combattre les causes d’une violence sociale parfaitement légale, on se venge sur des cas isolés offerts à la vindicte populaire. Sans rien vouloir justifier, on peut franchement s’inquiéter du fait qu’on se déchaîne contre un violeur d’enfant alors que l’on approuve un embargo économique en Irak, ou que l’on ne s’indigne pas ou peu devant des monopoles pharmaceutiques qui privent de médicaments un continent, tuant ainsi des millions d’individus, enfants y compris.

    Pour ce qui est d’une véritable réflexion sur ce qu’ils appellent eux-mêmes le sens de la peine et le calcul des châtiments, qu’on ne s’y trompe pas, les récents débats parlementaires n’ont absolument rien de révolutionnaire en la matière : les députés du XIXe siècle était plus aventuriers dans l’ensemble de ces questions. Après la fermeture de Cayenne, l’exécution des peines ne dépassait en général pas quinze ans, y compris pour un condamné à perpétuité un condamné à mort gracié pouvait sortir au bout de vingt ans. C’était avant l’apparition des peines de sûreté qui portent le minimum de temps d’incarcération à dix-huit, vingt, vingt-deux voire trente ans. Un perpète, aujourd’hui, subit sa peine de sûreté et ensuite attend pendant plusieurs années une éventuelle conditionnelle il ne peut guère espérer sortir avant d’avoir fait au moins vingt-deux ans de placard.

    Plus récemment, aux Etats-Unis comme en Europe, il était de bon ton pour toute une clique d’intellectuels et de politicards, portés par un mouvement de masse et appelés à devenir rapidement la caste des nouveaux dirigeants, d’imaginer une société avec moins de prison. Cela n’aura eu qu’un temps : aujourd’hui, les pays nordiques, qui étaient le modèle des « progrès » sociaux-démocrates, ont tendance à s’aligner sur une conception plus répressive de l’appareil judiciaire et optent finalement pour des peines plus longues.
    Une poignée de criminologues avertis s’accordent pour déclarer dans leurs colloques qu’au-delà de quinze ans les peines ont un effet contraire aux efforts de réinsertion voulus et contenus dans la condamnation. N’est-ce pas mon cher ! Mitterrand avait écrit qu’une peine supérieure à sept ans était néfaste… Cause toujours ! En matières pénale et carcérale, les socialistes ont été bien plus durs que leurs prédécesseurs, et leurs discours progressistes ne peuvent pas cacher cette réalité.

    Dans une Europe qui tâtonne autour d’une politique judiciaire commune, la France et l’Angleterre ont pour le moment la palme des pays les plus répressifs. Ailleurs, les peines ne dépassent généralement pas quinze ans. Pourtant, lorsque l’on voit l’inflation vertigineuse non pas du crime mais de la criminalisation de la pauvreté aux Etats-Unis, on peut se demander si les Américains ne serviront pas d’exemple à nos dirigeants. Les résultats économiques ne sont pas très reluisants, le chômage continue d’augmenter, et le subterfuge traditionnel de l’épouvantail de l’insécurité a de beaux jours devant lui. Quelle différence y a-t-il réellement entre Giuliani, l’ancien maire de New York, qui préconisait la tolérance zéro et choisissait d’enfermer les pauvres plutôt que de prendre le risque de les voir s’octroyer quelques libertés, et Jospin, lorsqu’il déclare tout récemment que même s’il sait que la société entière est violente on doit protéger les bons citoyens des mauvais et punir ceux qui dérogent aux règles : l’un dit franchement l’état des choses, et l’autre le masque sous un discours édulcoré. Nuance de langage, identité des conceptions.

    Rendre l’individu toujours plus responsable des carences d’un système fondamentalement violent, faire croire au bon citoyen que tout le monde a sa chance du moment que l’on accepte le contrat social, ignorer les causes sociales de la délinquance pour ne plus l’appréhender qu’au-travers de manifestations délictueuses particulières : la technique est ancienne – de tous temps, les conflits économiques ont été travestis en différends soit nationaux, soit régionaux, soit religieux, soit individuels, faisant de la communauté une jungle du chacun pour soi et du tous contre tous –, mais elle s’affine encore et encore. Les nouveaux changements apportés par les projets d’exécution des peines vont dans ce sens : les pouvoirs accordés aux juges d’application des peines fabriquent une autre image du traitement des condamnés, sans modifier pour autant la réalité de la condamnation. Responsabilisation, victimisation, individualisation sont les termes clés de la « philosophie » judiciaire contemporaine.

    Une fois condamné, le prisonnier est suivi, pour ne pas dire poursuivi, par son dossier pénitentiaire, qui servira de critère pour toutes les demandes d’aménagement de peines (permissions, semi-liberté, libération conditionnelle…). Les décisions ne seront plus ministérielles mais appartiendront à des commissions regroupant des directeurs de taules, des matons, des psychiatres, des représentants d’associations de victimes, des juges et des procureurs ; l’avocat est facultatif, sur la demande du prisonnier. Celui-ci devra avoir fait la preuve qu’il a bien intégré la conscience de sa faute, et devra présenter des gages de repentir pour qu’on lui permette de rejoindre la société. Il va de soi que toute tentative d’évasion, toute marque de résistance au système pénitentiaire, toute attitude de refus de l’arbitraire carcéral seront autant de mauvais points dans l’observation du comportement du prisonnier.
    De fait, on se rapproche de plus en plus d’une définition clinique de la délinquance. Le hors-la-loi n’est plus vraiment un réfractaire mais plutôt un malade : quelquefois léger et donc susceptible d’être guéri, d’autres fois beaucoup plus grave, voire incurable, proche de la bête dangereuse qu’on doit maintenir enfermée, hors d’état de nuire. La seule violence raisonnable est celle des Etats, et encore, des Etats dominants. Que l’on trouve en prison de plus en plus de cas dits psychiatriques, ou d’auteurs de délits à caractère sexuel, favorise bien évidemment cette vision du crime et justifie du coup très facilement la politique des longues peines auprès de l’opinion publique. Pire encore, cela marque une différence de niveaux des délits à l’intérieur même de la détention et place certains prisonniers dans la fonction de juge ou de flic : outre le fait de séparer encore un peu plus les emmurés et de donner de cette façon plus de facilités à l’Administration pénitentiaire, cela assoit tranquillement la logique d’individualisation des délits dans les consciences de ceux qui en sont les premières victimes. On serait surpris si les prisonniers devaient eux-mêmes établir une échelle des peines.

    Dehors, de la même façon, ce mouvement sépare toujours plus les actes de leurs motivations réelles. Cette illusion de quête de liberté enferme l’individu sur lui-même et le pousse à trouver des explications d’ordre psychologique – pour ne pas dire médical – à ces maux qu’il n’entrevoit plus comme le fruit d’un dysfonctionnement social mais comme des tares, des impossibilités particulières. La philosophie des Lumières, l’idéologie bourgeoise, celle de l’économie marchande, définit la liberté de chacun comme s’arrêtant là où commence celle de l’autre : c’est le fondement du chacun pour soi contre tous les autres, de l’esprit de démerde individuelle, de l’assurance aussi vaine que bornée qu’on s’en sort mieux tout seul, et donc de l’impossibilité d’imaginer des solutions collectives. Celles-ci imposent que l’on ait compris que l’on ne peut pas être libre tout seul. Parler de liberté individuelle est un non-sens : la liberté n’est qu’un rapport qui, en se développant, dissout les barrières de la subjectivité et construit une communauté. La liberté n’est pas un état personnel, la liberté est un rapport social. Il devient du coup plus évident, dans une vision au rabais de la liberté, d’accepter l’idée de l’enfermement, même pour longtemps.

    C’est aussi cette même idée qui permet de faire passer les critères de construction des nouvelles prisons : les taulards toujours plus séparés, isolés les uns des autres, comme un retour au délire cellulaire du début du siècle. L’isolement est devenu une norme architecturale, non plus seulement des quartiers traditionnellement à part, mais de l’ensemble des nouvelles prisons. Avec toujours ce même mensonge que la réinsertion, la responsabilisation, le repentir sont des efforts individuels qui nécessitent de se protéger des autres, alors que bien évidemment les seules raisons qui président à ces cahiers de charges de cabinets d’architecte sont d’ordre sécuritaire, rien de plus.

    Pour le moment, bien loin de mettre en cause la notion de peine, d’enfermement – si l’on oublie les quelques effets d’annonce et les couleuvres qu’on devrait avaler –, le pouvoir construit, avec ses partenaires européens, le nouvel espace judiciaire et le parc pénitentiaire appropriés à la mise à l’écart plus systématique encore de tous ceux qu’on finira bien par appeler les incurables.

    On ne se contentera pas d’une abolition de la peine de mort. L’abolition des longues peines et des peines de sûreté n’est qu’un minimum. Nous savons aussi que la réduction n’est qu’un leurre, que la logique qui préside à la distribution de peines délirantes n’est pas que le fruit de cauchemars macabres de quelques juges : elle appartient à un système d’exclusion qui se trouve dans l’obligation de mettre de côté tous ceux qui refusent ses règles, sous menace de voir des bouleversements apparaître qui pourraient mettre son existence en question… Ne rentrons pas dans le piège grossier qui pourrait faire croire qu’il y a un dialogue possible avec les enfermeurs : ils savent ce qu’ils font, ils connaissent leurs intérêts, caressent dans le sens du poil ceux qui acceptent de collaborer et éliminent leurs ennemis. Sans poser le problème de la nature de telle ou telle revendication, pour le moment ce qui est essentiel est de créer des rapports de force, une dynamique qui ouvre à une compréhension toujours plus poussée des mécanismes de l’oppression, qui construit des complicités, des résistances qui, contrairement aux contenus des revendications, s’enrichissent sans cesse. Demander des douches supplémentaires, même si c’est important, ne modifiera pas en soi les réalités carcérales : c’est l’ensemble des rapports que développe cette revendication, comme d’autres, qui sont porteurs de richesse. Les liens, les comportements collectifs de refus, les réflexes acquis empêchent le train-train de la soumission aveugle et souvent inconsciente, et rappellent à tout instant que les enfermeurs sont évidemment les ennemis des enfermés.

  • Soutien à Kamel du 20 au 22 juin à la cour d’assises de Grenoble

    Nous appelons à être présents les 20, 21 et 22 juin 2016 à la cour d’assises d’appel de Grenoble qui va décider du sort réservé à Kamel Bouabdallah, 28 ans, condamné en première instance par la cour d’assises de Valence à vingt-cinq ans de prison.

    25 ans ! Nous pensons qu’il est vital de visibiliser ce procès comme tant d’autres et d’élargir la solidarité auprès des prisonnières et prisonniers longues peines. (suite…)

  • Prise de parole de Fabrice Boromée, quelques jours avant son procès au tribunal de Béthune le 16 octobre

    Procès de Fabrice Boromée

    vendredi 16 octobre 2015 14H au TGI de Béthune (62)pb

    Courrier envoyé à L’Envolée le 21 septembre 2015 :

    « Je suis arrivé en métropole le 8 août 2011. J’ai été transféré de force loin de ma famille.

    Je n’ai pas de parloir parce que toute ma famille est en Guadeloupe. A la base, j’étais condamné à huit ans de prison, et là je me retrouve avec vingt-huit ans de prison à cause des agressions et des prises d’otage, tout ça parce que je veux rentrer chez moi.

    J’ai pris en otage le sous-directeur de la prison de Vendin-le-Vieil parce que le 8 septembre 2015 il m’apprend que je ne sortirai pas de l’isolement au mois de septembre comme convenu, mais au mois de novembre. Cela faisait neuf mois que j’étais à l’isolement, à souffrir des méchancetés des surveillants : lors des rondes de nuit, ils frappent à la porte afin de me réveiller et laissent la lumière allumée, et ils rigolent devant la porte.

    C’est pour cela que j’ai fait la prise d’otage le 9 septembre 2015. Mon avocat Me David peut vous le confirmer, il a fait de son mieux pour que ça s’arrête, et tout ce que je veux, c’est rentrer chez moi en Guadeloupe pour voir mes proches. Je suis en attente du procès pour la prise d’otage de Vendin-le-Vieil.

    J’ai fait plusieurs demandes de transfert au ministre de la justice pour rapprochement familial. Tout a été refusé et je ne sais plus quoi faire pour me faire entendre […]

    Mes salutations, Fabrice Boromée. »

     

    Le 9 septembre, Fabrice Boromée a retenu le sous-directeur de la prison de Vendin-le-Vieil. Celui-ci ne s’est pas constitué partie civile contre Fabrice Boromée parce qu’il dit n’avoir subi aucune violence. Tout comme Cyrille Canetti, psychiatre qui avait été retenu par Eric Dorffer à la prison de la Santé et qui était venu témoigner en sa faveur lors du jugement en juin 2013.

    Le 30 décembre 2013, Fabrice Boromée avait déjà « pris en otage » un surveillant de la prison de Condé-sur-Sarthe et il avait été condamné à huit ans de prison. Comme il l’écrit dans sa lettre, Fabrice Boromée, cumule vingt années de prison pour des faits survenus en détention, comme ces « prises d’otages » qu’il fait pour exiger son rapprochement familial. Il ne comprend pas pourquoi l’administration pénitentiaire lui refuse le droit de garder des liens familiaux.

    Fabrice est classifié par l’administration pénitentiaire comme un détenu particulièrement signalé (DPS), c’est-à-dire « dangereux ». La prison de Vendin-le-Vieil, comme celle de Condé-sur-Sarthe, sert à enfermer les prisonniers condamnés à des peines qui sont quasiment des perpétuités. Qui pourrait se résoudre à rester en prison à vie ?

    Cette situation est celle de beaucoup de prisonniers : d’un côté les peines prononcées par les cours correctionnelles ou d’assises sont toujours plus longues, de l’autre les juges d’application des peines veillent à ce qu’elles soient exécutées. Les demandes de transfert, permissions de sortir, libérations conditionnelles, etc. sont à la baisse depuis quelques années : loin de permettre de sortir, la politique d’aménagement des peines prolongent le plus longtemps possible la durée de la détention Les prisonniers doivent attendre des mois pour obtenir ne serait-ce qu’une entrevue qui se conclut très souvent par un refus. Il ne leur reste pas grand-chose d’autre que la force pour se faire entendre, et ce sont des gestes difficiles, qui leur valent de nombreuses années de prison supplémentaire. Un cercle vicieux duquel il est très compliqué de s’échapper.

    Récemment, un journaliste a écrit que, avec son geste, Fabrice Boromée aurait « obtenu son transfert  ». Faux : il a juste obtenu de quitter provisoirement une des prisons les plus sécuritaires pour atterrir au fond du quartier disciplinaire de la prison d’Annœullin. Rien à voir avec le rapprochement familial qu’il revendique depuis 2008.

    L’Envolée, le 13 octobre 2015

    Contact presse : L’envolée, 43 rue de Stalingrad, 93100 Montreuil/ www.lenvolee.net / contact@lenvolee.net / Twitter : @anticarcéral

  • Prise d’otage ou prise de parole

    qui sont les preneurs d'otage?

    Le 9 septembre,  Fabrice Boromé a pris en otage le directeur adjoint de la toute neuve prison de Vendin-le-Vieil. Comme sa grande sœur de Condé-sur-Sarthe entrée en fonction deux ans plus tôt, ces deux prisons construites dans des régions dévastées par l’industrie puis par la désindustrialisation, ont pour fonction l’enfermement ad vitam de prisonniers considérés comme les plus rétifs à leur enfermement.

    Des prisonniers qui ont à faire des « peines infaisables », comme ils étaient des dizaines à le dire dans le numéro que l’Envolée avait consacré au premier de ces QHS modernes (cf N 39). Des prisonniers à qui la politesse des bourreaux de cour d’assises n’a pas même laissé l’illusion d’une possible sortie. Leur plus grande faute étant le plus souvent de ne pouvoir se résoudre, précisément, à leur enfermement.

    Fabrice Boromé n’a pas retourné contre lui-même son désespoir. Il a jugé plus efficace et plus utile de prendre en otage la plus haute autorité de la prison et par là même, l’administration pénitentiaire toute entière. Bref retournement de situation. Celui à qui la société a promis une prise d’otage perpétuelle récupère quelques heures.

    Il va le payer au prix fort. Aux jérémiades des matons dans la presse -qui fidèles à leurs habitudes en profitent pour mendier quelques moyens supplémentaires- succéderont leurs coups et leurs brimades dans le silence des quartiers d’isolement où Fabrice sera baluchonné.

    Il a ainsi « obtenu son transfert », ose écrire un journaliste. Non, il a obtenu de quitter provisoirement la dernière prison sécuritaire en date, nuance. Il avait obtenu de quitter Condé quelques mois avant. Quitter la dernière génération de QHS, celle des années 2010 pour à nouveau écumer les QI et QD de France, QHS des années 1980. Cela n’a pas grand’chose à voir avec l’obtention du rapprochement familiale qu’il revendique depuis des mois : retourner en Guadeloupe, où il lui reste son frangin, sa seule famille.

    Ce prisonnier « particulièrement dangereux » comme le décrit l’AP complaisamment relayée par les perroquets de la presse, dit pourtant très clairement vis-à-vis de quoi il serait dangereux : la prison, les murs, les portes clefs et les gestionnaires de la vie enfermée des autres. Ses peines successives se sont accumulées au placard. L’institution qui estampille du sceau infamant de la « dangerosité » est directement responsable de la dite dangerosité puisque c’est contre elle quelle naît. En cela, encore une fois, la taule fait parfaitement son office. Banalité de base loin des propos lénifiants et pseudo humanistes sur la fonction imaginaire d’une prison conçue pour « réconcilier la société » ou « réformer les individus ».

    Elle est l’expression de la vengeance sociale, point barre. Et ces taules de Condé ou de Vendin doivent permettre au système carcéral de tenir ses promesses, quant bien même il se prendrait les pieds dans le tapis de ces peines infinies qu’il a prononcé.

    Ces prisonniers longues peines qui n’ont plus rien à perdre que la vie enfermée prennent la parole lorsqu’ils prennent en otage. Nous reviendrons sur cette histoire plus longuement dans le numéro du journal qui sortira en octobre. Fabrice devait être jugé pour la prise d’otage en comparution immédiate en fin de semaine dernière son procès est reporté au 16 octobre à Béthune…

    Il a pour l’instant été transféré à la prison d’Annoeullin dont nous avons déjà beaucoup parlé dans le journal. Vous pouvez lire pour mémoire ces deux articles :

    https://lenvolee.net/qhs-moderne-le-qmc-dannoeullin-et-lexploitation-des-prisonniers/

    https://lenvolee.net/eh-bien-moi-je-dis-aux-detenus-mobilisez-vous/

    Pour finir et pour se faire sa petite idée voilà ce qu’a dit la presse de cette prise d’otage :

    http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/09/09/01016-20150909ARTFIG00159-pas-de-calais-prise-d-otage-a-la-prison-de-vendin-le-vieil.php
    http://guadeloupe.la1ere.fr/2015/09/09/fin-de-la-prise-d-otage-la-prison-de-vendin-le-vieil-285493.html
    ttp://www.lavoixdunord.fr/region/vendin-le-vieil-le-detenu-preneur-d-otage-s-est-ia35b0n3033737
    http://www.20minutes.fr/lille/1683319-20150909-prise-otage-vendin-vieil-syndicaliste-denonce-sentiment-impunite-detenus
    http://france3-regions.francetvinfo.fr/nord-pas-de-calais/vendin-le-vieil-prison-d-otage-la-prison-803037.html
    http://france3-regions.francetvinfo.fr/nord-pas-de-calais/vendin-le-vieil-prison-d-otage-la-prison-803037.html
  • « Revoir les barreaux de cette centrale n’est pas une grande joie » Philippe Lalouel à Lannemezan, avril 2015

    CP de Lannemezan, avril 2015

    Bonjour à tous,

    Et bien me voilà arrivé à Lannemezan après un long combat semé d’embûches. J’ai serré les dents pour y arriver. Revoir les barreaux de cette centrale n’est pas une grande joie car ma liberté est prise depuis 29 ans le 23 avril, par les bourreaux et les jurés-moutons de cette société. Et puis les victimes : elles se font braquer puis très bien payer, car toutes ces victimes ont pris un fric fou en quelques minutes. Ma rage je la garde au plus profond de moi. Je serre les dents, même mon but atteint.

    Je vois ma compagne chaque semaine et ça c’est le top. Je tiens à dire que ma compagne est une battante : qu’il neige, qu’il pleuve, qu’il fasse froid, elle ne rate jamais un parloir et je la respecte plus que tout. Heureusement qu’elle est là, cela me retient de certaines choses. L’avenir dira ce qui viendra pour moi et ma compagne.

    A l’intérieur de moi je suis une bombe atomique malgré le bonheur de voir ma compagne chaque semaine. Car la taule : plein les couilles. Ca veut plus rien dire cette peine de condamné à mort qu’ils m’ont foutue. Je l’ai en travers de la gorge. La population a bien changé et je ne me sens pas dans mon monde à moi. Il n’y a pas de taf et ils parlent de réinsertion ahahaha. Comment les mecs pourraient se réinsérer si y’a pas de boulot et quand il y en a c’est payé une misère. Ça dégoute et décourage tout le monde. J’entends que de la rage entre ces murs, c’est normal. J’ai fait un stage en janvier, comme paye j’ai eu : 15euros82 ; en février 31euros64… en deux mois ça fait ; 47euros46, la honte. Ils ramènent tout à la crise, bien sur hein…bref.

    Ma santé se maintient, je tape mon sport voilà, sinon il n’y a rien à faire entre ces murs. C’est l’abandon du détenu dans la centrale. Je m’emmerde. C’est triste, ça ne vit plus dans les centrales. Je comprends, c’est normal que ce soit ainsi car il n’y a rien de rien. Le temps passe, les années passent, tu rentres en taule sans rien et tu reste avec rien. Que des histoires sans parole. Des promesses bidons. Des excuses. C’est toujours pareil et à force tu te fous de tout ; ça n’énerve même plus leurs conneries tellement ça devient banal…bref.

    Je vais finir là cette petite lettre là, car quoi dire sur courrier : un jour vaut une année. La rengaine quoi. A un de ces jours les ami-e-s. un grand bonjour à tous et toutes les braves.

    Philippe

    PS : Je reviens un peu. J’écris quand j’ai besoin de me libérer un peu la bombe endormie que j’ai au fond de moi. Et bien aujourd’hui, jour de paye, alors là encore moins que le mois dernier : j’ai eu 31euros 42 pour mars. Vu que j’ai reçu un mandat, ça dépasse les 200euros alors il reste 22euros72 sur la paye…ahahaha (note envo : prélèvement pour rembourser le fond d’aide aux victimes au delà de 200 euros par mois de cantine). Tu es obligé de rire ; quelle honte…enfin. Faut que je serre les dents pour ma compagne, pour moi aussi. Rien de neuf, la routine. Je passe le 29 en commission pour ma levée du statut DPS mais bon hein. Pour dire les trucs que j’ai à dire je suis obligé de faire du léger car les cadeaux, à nous on nous en fait pas. Bref, je finis sur ces lignes.

    Bon courage aux déterminés, femmes et hommes, dans ces tombeaux secrets de merde.

    A plus les ami-e-s.

    (PS de l’Envolée : Philippe a gardé son statut DPS ; les payes sont toujours aussi ridicules, 31 euros pour le mois de juin… la vie en centrale quoi)

  • Editorial et sommaire du numéro 38 du journal, février 2014

    Editorial et sommaire du numéro 38 du journal, février 2014

    Alors quoi?

    Dire à un être humain qu’il va rester en prison toute sa vie est une chose; le lui faire accepter en est une autre.

    Christophe Khider et Philippe Lalouel ont récemment dit à l’issue de leur procès que les peines auxquelles ils venaient d’être condamnés étaient inacceptables et qu’ils ne les feraient pas; même pas en cauchemar. Certes, dans un éclair de lucidité, des médias, des politiques et certains ­intellectuels ont applaudi la libération de Philippe El Shennawy, âgé de 58ans, après trente-huit ans de prison ! Mais après quels combats ­a-t-il été libéré, et à quel prix? À sa sortie, il dénonce « une ­liberté au rabais»: deux ans de bracelet électronique, dix-huit de conditionnelle, c’est la prison ­dehors ! Et au moindre pet de travers, il retournera derrière les barreaux. Il évoque les milliers d’autres qui attendent la fin d’une peine infinie, empêtrés dans le calcul d’hypothétiques remises de peine, dans les conditionnelles et les périodes de sûreté… sans compter l’administration pénitentiaire qui les cache­tonne pour les faire ­végéter dans l’insupportable et le dénuement.

    Nous répétons que l’abolition de la peine de mort en 1981 a abouti, logiquement, à un allongement interminable des peines. Depuis, le code pénal n’a cessé de s’alourdir et les lois sécuritaires s’accumulent. Le droit arrive au bout de l’impasse dans laquelle il s’est engouffré. Ceux qui avaient été condamnés à l’époque à des peines de vingt-cinq ou trente ans les purgent encore aujourd’hui, et ils sont rejoints tous les jours par de nouveaux condamnés jusqu’à la mort. Comment faire exécuter ces peines  ? Comment faire pour que des hommes et des femmes à qui on refuse tout avenir se tiennent tranquilles ? L’État a sa réponse: il construit et expérimente deux nouvelles prisons ultra-sécuritaires. Celle de Vendin-le-Vieil n’est pas encore inaugurée que ça pète déjà à Condé-sur-Sarthe, ouverte il y a dix mois. Alors quoi  ? (suite…)

  • Communiqué des amis de Philippe Lalouel après le verdict

    Le 1er février 2014

    C’est avec une tristesse profonde et une rage indicible que nous, amis de Philippe Lalouel, nous adressons à vous pour la dernière fois.

    Ce que nous annoncions sans illusion s’est réalisé sous nos yeux : une exécution publique.

    Après 1h30 de délibéré seulement, les jurés sont revenus la tête haute, toute honte bue, et le verdict est tombé comme tombe le couperet d’une guillotine : dix-sept ans.

     Ces dix-sept ans s’ajoutent aux six qu’il lui reste à endurer. Sa date de sortie : 2037, à 73 ans.

    Nous espérons que le fantôme de cet homme viendra hanter leurs nuits pendant les vingt-trois prochaines années. (suite…)