Ca y est, l’ex-premier flic de France et actuel premier ministre l’a annoncé : son gouvernement a à nouveau recours au fameux article 49.3 pour faire passer sa loi contre les travailleurs -avec ou sans emploi. Passage en force qui ne surprend pas tant que cela : après avoir nié le mouvement social en cours il faut l’achever au plus vite et faire place nette au spectacle marchand de l’euro de foot. Gageons que cette annonce ne fera que renforcer la détermination de tous et toutes à occuper les rues et, pourquoi pas à bloquer l’économie. Quoi qu’il en soit, ce mouvement aura déjà su montrer quelque chose : tout le monde -en tout cas beaucoup de monde- déteste la police… car la police déteste tout le monde -sauf les nantis cela va sans dire. Sans doute plus encore que dans les mouvements sociaux récents, les vaches se la sont donnée ces temps-ci. Pas une manifestation, pas un blocage, pas un rassemblement sans son lot de blessé-e-s. Oui, ils ont bien des consignes : casser des nez, étouffer, crever des yeux pour faire peur et vider la rue. Non, il n’y a pas « de policiers avec nous »! Ils font leur travail et c’est bien ce qu’on leur reproche.

Nous avons souvent publier des témoignages d’habitant-e-s de quartiers populaires habitué-e-s à subir la violence de ces « bandes d’hommes en armes » : des gamins « morts de peur » dans un transformateur électrique aux petits voleurs exécutés dans le dos… Là, la violence de l’Etat éclate en centre ville et les lanceurs de flash-ball touchent d’autres cibles. De fait cela se voit plus que d’habitude et les images tournent sur les réseaux sociaux. Alors, pour couvrir leurs actions, les syndicats de porcs ont lancé à leur tour une offensive de communication. Prenant exemple sur leurs collègues matons -qui font brûler des pneus devant les prisons dès que des prisonniers contestent leur enfermement-, ils annoncent qu’ils manifesteront à leur tour le 18 mai prochain place de la République. Seront-ils armés, eux qui ont désormais le droit de porter leur flingue de service en dehors de leurs heures de service? Nous verrons bien.

En attendant, pour contribuer à désépaissir le rideau de gaz lacrymogène, nous publions ici des textes parus dans le dernier numéro du journal (l’Envolée N°43) que des lecteurs s’étonnaient de ne pas voir sur le blog. Il s’agit aujourd’hui du retour sur le procès d’un flic tueur qui a eu lieu en janvier dernier. Demain, de l’interview que la frangine du gosse assassiné par ce même flic a donné à l’émission. Enfin, vendredi, d’une interview d’un activiste copwatcher américain qui était passé par notre si riant pays il y a quelques mois. En attendant de crier aussi, « tout le monde déteste la justice… », cette justice qui prend désormais le relais des tonfas.

Permis de tuer, procès d’un flic meurtrier

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Le procès de Saboundjian, le flic qui a tué Amine Bentounsi d’une balle dans le dos à Noisy-le-Sec le 21 avril 2012, s’est tenu au tribunal de Bobigny du 11 au 15 janvier 2015. De nombreux proches et soutiens étaient présents malgré l’occupation massive de la salle par les syndicats de porcs, bien décidés à voir reconduit leur sacro-saint permis de tuer. Ils ont obtenu ce qu’ils voulaient, malgré un jeu de flûte assez approximatif.

Les faits sont simples, et le procès les a de nouveau établis de manière incontestable. À 20h30, l’appel anonyme d’une balance prévient le comico de Noisy qu’Amine Bentounsi, prisonnier en cavale (il n’était pas rentré d’une perm’ à Châteauroux) a été vu dans un bar près de la gare. Une patrouille est envoyée, qui le prend en chasse. Trois flics sur quatre descendent pour le coincer, ils le coursent, le perdent. Le conducteur fait le tour du pâté de maison, lui barre la route, descend de bagnole, vise Amine alors qu’il s’enfuit en courant, et tire quatre fois dans sa direction. Amine prend une balle mortelle dans le dos, il s’effondre face contre terre et meurt quelques heures plus tard. Tous les flics de l’équipage brandissent la légitime défense : Amine aurait lancé une grenade factice sur les trois poursuivants à pied, puis aurait braqué Saboundjian, qui aurait donc riposté « préventivement ».

Que ce procès se soit tenu est une victoire en soi. Il est en effet rarissime qu’un flic assassin soit inquiété, encore plus exceptionnel qu’il soit jugé – et quasiment inouï qu’il le soit par une cour d’assises. Pour autant, sous la pression des syndicats de porcs, le meurtrier n’était poursuivi que pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par une personne dépositaire de l’autorité publique ». Le 25 avril, quelques jours après le meurtre d’Amine, le vice-président du tribunal de Bobigny en charge de l’instruction avait d’abord mis Saboundjian en examen pour homicide volontaire. Une manif monstre des flics sur les Champs-Elysées l’avait vite fait reculer. En plein entre-deux-tours des présidentielles, le candidat Sarkozy avait d’ailleurs promis « une présomption de légitime défense [pour les flics], car dans un État de droit, on ne [pouvait] mettre sur le même plan un policier dans l’exercice de ses fonctions et un déliquant dans l’exercice de ses fonctions à lui ». Le 19 septembre, les faits avaient donc été requalifiés en « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », en expliquant que rien ne permettait d’établir que Saboundjian avait l’intention d’abattre Amine lorsqu’il avait tiré vers lui à quatre reprises. Pour autant, même si elles ont sévèrement été revues à la baisse, les charges n’ont pas été abandonnées comme c’est si souvent le cas, sans nul doute grâce à la détermination de la sœur d’Amine, Amal Bentounsi, et du collectif de familles victimes des violence policières qu’elle anime et qui la soutient.

On le sait bien : il y a peu d’illusions à se faire sur le rôle de la justice dans ces histoires-là : quand la police tue, la justice acquitte. Règle immuable qui doit nous faire voir, comme on peut le lire dans la conclusion de Permis de tuer (voir l’Envolée n°40), que ces trop nombreuses morts au placard et sur le trottoir, « prises dans leur ensemble, apparaissent bien comme des meurtres d’État, commis rationnellement et techniquement par la police et protégés par la justice ». On a néanmoins à faire à un procès historique, tant par sa tenue que par son déroulement. Il a lieu, et les débats mettent à jour la vérité mal cachée par les pathétiques mensonges de l’engeance meurtrière. Pour autant, comme l’a joliment dit Amal à la fin, « c’est l’exception qui confirme la règle ». Quand on dénonce le mouton noir d’une corporation, c’est souvent pour blanchir le reste : « Vous voyez, quand un élément se comporte mal, il est jugé. » Façon de dire en creux que tous ceux qui ne sont pas jugés se comportent bien. Les rares procès, ou scandales, qui touchent les forces répressives servent toujours à revalider le mythe du fonctionnement « normal » de ces machines de mort. C’est le vieux thème de la « bavure ». Cette fois, la mécanique a semblé quelque peu grippée : les mensonges du porc assassin étaient trop grossiers, la complicité de corps de ses congénères trop évidente. Si la porcherie a fait front d’un seul groin, l’avocat général lui-même s’est régulièrement étonné du peu de talent au pipeau dont les phacochères ont fait preuve.

Selon le déroulement habituel, le premier jour se consacre à la personnalité de l’accusé. Un beau bébé : 100 kg, fan de muscu, la trentaine bien tassée… Il atterrit dans la police après avoir foiré son CAP de pâtisserie pour une galère de chocolat – vraisemblablement une allergie précoce au marron. Au concours, il obtient un classement qu’il juge honorable : 1 200ème sur 1 300. Ce brillant résultat l’envoie tout droit dans le département le plus prestigieux pour la flicaille, le 9-3. Ironie prémonitoire, il est affecté au transfert des prisonniers entre le tribunal de Bobigny et la zonzon. Autant dire qu’il connaît un peu les lieux, côté bourreau. En 2009, il est affecté au sinistre comico de Noisy-le-Sec. L’officier de l’IGS (inspection générale des services) qui vient témoigner plus ou moins en sa faveur à la barre le décrit comme un « fonctionnaire moyen », qui manque de « rigueur », d’« esprit d’initiative » et de « ponctualité ». Ce jour-là, pourtant, il a été à l’heure pour barrer la route à Amine, et il a fait preuve de rigueur et pas mal d’initiative en l’abattant dans le dos. Comme quoi rien n’est jamais perdu : ce médiocre flicaillon aura brillé une fois dans sa vie, au point de devenir un symbole pour toute sa triste corporation. Après les faits, il n’a pas été démis de ses fonctions. Simplement placardisé, remisé au centre d’information et de commande de Grenoble. Standardiste en somme, parce que privé de port d’arme en attendant son jugement.

Le deuxième jour, témoignage de condés : la bande à « j’étais pas là mais j’ai tout vu ». Un défilé de potes à Saboundjian qui n’étaient pas sur les lieux, sont arrivés après, et se contentent de répéter sans conviction la version officielle. Légitime défense. Amine le braquait, bien campé sur ses deux pattes, le pauvre flic a sauvé sa vie. Aucune empreinte retrouvée ni sur l’arme ni sur la grenade factice qui aurait stoppé ses poursuivants en uniforme. Des témoignages qui ne correspondent pas à ceux qu’ils ont donné à l’IGS, des flics qui finissent par retirer leurs dires. Il y a comme un début de malaise, qui culmine avec la fliquette à qui on demande si elle connaît l’accusé, et qui répond qu’elle ne l’a jamais vu. Alors que l’accusé, c’est Saboundjian, son poto ! Elle pensait qu’on lui parlait d’Amine. La force de l’habitude. La victime, ce coup-ci, c’est l’Arabe… On apprend d’ailleurs qu’elle a quitté la police depuis cette histoire parce qu’elle n’a pas supporté que « l’IGS les traite comme des chiens » ; elle ne comprend pas que son pote se retrouve aux assises alors qu’il a seulement fait son beau métier. Meskina.

Aux ordres comme tout bon expert, les experts en balistique s’avèrent incapables de déterminer avec certitude la trajectoire de la balle qui a tué Amine. Certains avaient même osé affirmer pendant l’instruction qu’il était possible qu’Amine se soit retourné au moment du tir. Il braquait son poursuivant, et aurait fait volte-face en voyant la balle sortir du canon – en mode Superman. Vive la science. Ils sont quand même bien obligés d’expliquer qu’une des quatre balles s’est logée dans le bas de caisse d’une voiture qui passait par là. Fine gâchette, le Saboundjian.

C’est le troisième jour, grâce au courage des vrais témoins de la scène, que la vérité va enfin être dite ; à en faire chialer le fragile colosse en uniforme qui se fait même apporter un petit mouchoir par un prévenant collègue syndiqué. Six témoins ont assisté à la scène. Notamment quatre filles dans une bagnole, en pleine séance de conduite accompagnée. Elles entendent d’abord des détonations qu’elles prennent pour des pétards avant de voir s’effondrer un homme dans sa course, puis de se faire braquer par un autre type à l’air paniqué – au point qu’elles se baissent de peur d’en prendre une. Elles racontent ensuite comment, après avoir entendu à la télé une histoire qui leur paraissait bien différente de ce à quoi elles avaient assisté, elles ont appelé le comico de Noisy qui leur a lourdement déconseillé de témoigner avant de leur ordonner de raccrocher d’un ton menaçant. C’est l’IGS qui finira par recueillir leur accablant témoignage. Amine ne braquait personne. Il courait. Il se sauvait. On l’a abattu comme du gibier.

Vient ensuite le pauvre témoignage de Saboundjian, plus agressif et arrogant que les jours précédents. Comme un gosse pris en flag, il n’a qu’une seule défense : « Vous avez qu’à dire que je suis qu’un menteur ! » Il s’offusque à nouveau de se retrouver aux assises pour avoir stoppé un délinquant et estime n’avoir fait que son travail. Il faut dire que les écoutes menées par l’IGS dressent un portrait éloquent du lascar : un coureur, un consommateur de corps de femmes à vendre, et au racisme décomplexé ; notamment la discussion avec un pote boucher au cours de laquelle il s’étonne d’avoir croisé deux arabes au volant d’une caisse qu’il a vendu et rigole de la vanne de son pote : « On aurait dû mettre une bombe dans le coffre ! » On l’entend aussi se faire consoler par sa sœur, qui lui assure que le fouille-merde de l’IGS finira bien par prendre une balle dans la tête – si le syndicat ne s’arrange pas pour le faire virer comme le lui promet un autre copain. Il y a aussi ce collègue qui lui dit de ne pas s’en faire, qu’il a juste « éliminé une chiure ». Grosse ambiance dans la police. L’envers du décor pue la merde. On a beau le savoir, c’est toujours plus saisissant quand on met le nez dedans.

Tout est si limpide, qu’un petit espoir pointe. Non pas qu’une condamnation ait jamais fait revenir qui que ce soit, ni qu’on souhaite la prison, même à notre pire ennemi ; mais qu’au moins, on prévienne les copains du chouineur assassin qu’on ne s’en sort pas toujours aussi bien quand on bute un homme… Les réquisitions du proc, surprenantes au premier abord, ont l’air d’en remettre une couche : « Il ne faudrait pas qu’on donne le sentiment à la population qu’on délivre à la police un permis de tuer. » Il requiert cinq ans – avec sursis, bien sûr, faut pas pousser –, une interdiction d’exercer, un suivi médical et une suspension du permis de port d’arme.

Après plus de sept heures de délibéré, retour à la normale : acquittement. On a beau avoir répondu « oui » à toutes les questions posées, les enjeux sont trop grands. Nul doute que le juge, du haut de son autorité, fort de son savoir et de son expérience, a longuement expliqué aux représentants du peuple qu’on ne pouvait pas faire vaciller les bases d’une institution tellement sollicicitée en ces temps troublés. Risquer des grèves, des manifs de chtars, fâcher les syndicats ? Créer un précédent ? Mais alors quoi, il faudrait ensuite condamner les meurtriers de Joué-les-Tours, de Barbès, etc. ? Non, il est vital pour notre sécurité de reconduire en acte la présomption de légitime défense pour les flics. Les soutiens hurlent au moment du rendu, c’est trop gros ; un militant de quartier dira même, face caméra, qu’il va dire à ses petits de se protéger des flics, et qu’il conseille aux braqueurs de tirer en cas de mauvaise rencontre avec la police : question de vie ou de mort. Les rôles ont été bien répartis. Par la voix de l’avocat général, l’État a fait mine de reconnaître la bavure et demandé à ce qu’on punisse l’élément défectueux, histoire que la faute ne dégueule pas sur l’ensemble de la machine à punir et à exécuter. Le juge, lui, a gentiment manipulé « le peuple » incarné par des jurés dociles qui ont fait leur devoir en retenant, avant même que la loi ne passe, une « irresponsabilité pénale » pour le flic tueur. Ecrit d’avance, malgré des débats étonnamment révélateurs.

Le proc a fait appel. Il y aura un deuxième procès. Scandalisés, les syndicats de porcs ont déjà lancé un appel massif à soutenir leur copain. Quant à la promesse d’entre-deux tours du candidat Sarkozy de changer le régime de la légitime défense pour les condés et de leur octroyer un permis de tuer inconditionnel, c’est le gouvernement Hollande qui va finalement la tenir, dans la foulée de toutes les joyeusetés de l’état d’urgence. Ce procès qui se finit comme les autres passera peut-être dans l’histoire comme le dernier où un flic aura été inquiété pour avoir, comme le dit Amal, « ôté à un homme le droit de vivre ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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