L'Envolée N°43 bientôt dans les boîtes
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A propos  de l’état d’urgence et du projet de loi « renforçant la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme… »

Il ne chôme pas, le nouveau ministre des tribunaux et des prisons ! À peine la Taubira avait enfourché son « m’as-tu-vu » à deux roues que l’Urvoas présentait déjà un nouveau projet de loi avec ses amis Valls et Cazeneuve. Projet de loi « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale ». Gonflé à bloc par les attentats et l’instauration de l’état d’urgence, Valls a rappelé que « la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement a accru et encadré les possibilités de recueil du renseignement », et souligné que « cet arsenal de prévention doit être complété par un volet judiciaire ». Pour écrire cet énième « volet judiciaire », le lé-gislateur comme on dit, va piocher, étendre et aggraver des mesures qui existaient déjà depuis longtemps, notamment dans la loi du 9 mars 2004. Mesures qui étaient à l’époque réservées à la lutte contre « la criminalité organisée » (voir Envolée n° 11) – c’est à dire contre l’économie parallèle – mais parfois encore un peu trop compliquées d’usage pour les condés. C’est le moment de se simplifier la vie, pourquoi se priver quand « guerre au terrorisme » et état d’urgence permettent de tout faire passer ?

Le texte en est au stade de la présentation, mais il a toutes les chances d’être adopté très rapidement ; nous le décortiquerons dans le prochain numéro. Disons tout de même qu’il prévoit – entre autres – une série de mesures qui continuent d’étendre les prérogatives policières et de légaliser les moyens d’investigation qui ne l’étaient pas encore : perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation en enquête préliminaire. Officialisation du recours aux Imsi catchers (des antennes-relais fictives qui captent toutes les communications dans un périmètre donné). Institution d’un dispositif de protection des témoins (pour les balances, en clair) dont l’identité sera tenue secrète dans des affaires de délits passibles d’au moins… trois ans ! Plafonnement strict des cartes prépayées. Possibilité pour les flics de fouiller véhicules et bagages lors de simples contrôles d’identité. Ils pourront garder n’importe qui pendant quatre heures pour peu qu’il leur paraisse suspect – une mini garde à vue, quoi. Quant à l’article 19, il instaure ce que les syndicats de condés demandent depuis si longtemps ; l’« irresponsabilité pénale » lorsqu’ils tuent. Et puis il y a le renforcement des prérogatives des procureurs et des juges de la liberté et de la détention – autrement dit, un lien direct entre la police (le procureur est un directeur de la police judiciaire) et le carcéral : enfin débarrassés des modalités juridiques qui pourraient faire traîner les placements en taule ! Ce texte prévoit aussi de renforcer certaines mesures visant à empêcher la libération de prisonniers en détention préventive.

Cette loi va passer encore plus tranquillement que celle sur le renseignement à l’hiver dernier. État d’urgence oblige. D’autant que le débat médiatique a orienté tous ses projecteurs sur la déchéance de nationalité. Sur une question si mal posée, si foncièrement biaisée et aux enjeux si obscurs, les humanistes ont pu se la donner, même ceux de droite ! Pourtant le vieux Bob (mais qui est ce Bob ? Robert Badinter pour les , intimes, celui-là même qui a remplacé la peine de mort par des peines jusqu’à la mort) leur a expliqué que toutes ces discussions étaient sans objet ; qu’en fait, cette nouvelle mesure ne changeait rien du tout : « Leur condamnation ne sera définitive qu’au terme d’une procédure qui durera des années. Et une très lourde peine, la réclusion criminelle, qui comprend une longue période de sûreté de plusieurs décennies, les frappera. Qu’ils soient ou non déchus de la nationalité, ces assassins de la terreur n’auront pour foyer que les centrales de haute sécurité. »

Reste l’état d’urgence. Comme un décret qui a servi de catalyseur à ce qui était en cours : poursuivre le délire législatif qui n’a cessé d’empiler les lois sécuritaires depuis plus de quinze ans. Il a également fourni l’occasion d’une répétition grandeur nature : trois mois d’État autoritaire sous prétexte d’« antiterrorisme ». Tout s’est bien passé, nan ? Ils peuvent bien en remettre pour trois mois. On l’a déjà lu un peu partout : il y a eu des milliers de perquisitions, des centaines d’assignations à résidence, des dizaines de garde à vue… tout ça pour wallou. Trois enquêtes ouvertes par le parquet, une seule personne mise en examen… v’là l’« antiterrorisme » ! Mais par contre, les flics ont largement utilisé leurs pleins pouvoirs pour leurs basses besognes : « On profite de l’état d’urgence pour faire du boulot de police basique. Pour se couvrir, on dit qu’il y a des liens entre terrorisme jihadiste et banditisme », a tranquillement expliqué un policier du renseignement territorial (ex-RG) de la région parisienne à Libé (du 22 décembre). Et puis « les perquisitions administratives nous permettent de progresser en renseignement », indique un préfet dans le même numéro : « On explore les entourages, les relations entre les personnes… » C’était aussi l’occasion de banaliser le remplacement partiel du pouvoir judiciaire par celui de l’exécutif : on ne s’est jamais fait d’illusion ici sur la prétendue indépendance du policier et du juge, mais la mise en scène institutionnelle de la séparation des pouvoirs permettait quelquefois à des justiciables de gagner du temps, de profiter de failles pour se soustraire à leur logique sécuritaire commune.

Comme en 1940, comme en 1960, il s’agit maintenant de rebooster l’union sacrée autour de la république, du drapeau tricolore et autres symboles funestes d’une démocratie qui sait parfaitement attiser la xénophobie lorsqu’elle en a besoin. Cultiver l’idée que les ennemis des pauvres ne sont pas ceux qui les exploitent et leur volent leur vie, mais les « étrangers » présentés comme des barbares. Tout est fait pour noyer l’antagonisme exploiteurs-exploités dans le racisme bien nauséabond des Gaulois. Après les attentats de janvier 2015, c’était en prison qu’il fallait traquer les foyers de « radicalisation » ; après ceux de novembre c’est dans l’ensemble de la société que la chasse est ouverte. Contre les Arabes, bien sûr, c’est une histoire bien ancrée. Et puis contre les migrants, ceux de Calais comme ceux de Cologne : ils sont comparés à des sauvages capables de vivre comme des animaux, pratiquant le viol collectif, l’assaut des convois humanitaires, le pillage et autres méfaits dignes des Vikings dans un mauvais film.

L’état d’urgence tombe à pic pour jeter un voile de sidération sur un horizon économique des plus sombres – sauf pour les quelques milliers de nantis qui bâfrent toujours plus, à la mode féodale. Les gouvernants profitent d’ailleurs de cette sidération pour ramener le temps des seigneurs, des impôts royaux et du servage pour compenser les effets de la crise financière annoncée, pour préparer sans aucune honte la toute dernière réforme du droit du travail…Tout ça dans un silence de mort, tandis que les médias crachent leur brouhaha à plein volume au plus infime re- bondissement de la saga « antiterroriste ». Par contre, qui a entendu parler de la loi sur les transports qui sera définitivement votée début mars ? Elle prévoit de nouvelles peines de prison pour les fraudeurs : six mois pour cinq PV impayés. Pareil pour ceux qui feraient de la publicité à une mutuelle de fraudeurs (le Réseau pour l’abolition des transports payants est clairement dans le collimateur) et pour les vendeurs à la sauvette des couloirs du métro. Deux mois pour tout signalement de la présence des contrôleurs, pour tentative d’échapper à un contrôle ou si on leur donne une fausse adresse.

C’est vrai qu’il y a urgence…

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