En février 2010, dans le n°27 de l’Envolée, nous avions interviewé Sylvie S., une amie de longue date de Karim Tahir, prisonnier longue peine. Quatre ans après, Karim est enfermé à la centrale de Condé-sur-Sarthe. Comme d’autres prisonniers, il est un cobaye pour la pénitentiaire. But de l’expérience : garder des individus entre quatre murs pendant des décennies… et essayer de leur ôter toute résistance. Le 17 avril 2014, Sylvie est venue l’expliquer à l’émission de radio Papillon. Depuis la réalisation de cette entretien et sa publication dans le dernier numéro du journal (N°39, mai 2014), Karim a été transféré à l’hôpital psychiatrique le plus proche de Condé, au prétexte qu’il serait actuellement quelque peu « dérangé »… gavé de médocs pour lui ôter toute résistance, enfermé pour des années, on le serait à moins. L’AP a bien appris ces dernières années à transformer consciencieusement toute forme de rébellion en manifestation de dérangement psychique. « La révolte ça se soigne » disent les bouses blanches en bon auxiliaire de justice qu’elles sont, lorsque les coups de bâton de l’AP ne suffisent plus. Nous donnerons très vite plus d’informations pour aider Sylvie à sortir Karim de cette autre prison aux miradors chimiques. En attendant vous pouvez lire son interview
Sylvie : Je connais Karim depuis l’âge de 14 ans. Ce mois-ci, ça fera dix-neuf ans qu’il est incarcéré et ça fait des années que je vais le voir en prison. Aujourd’hui il se trouve au centre de détention de Condé-sur-Sarthe. J’ai fais beaucoup de tourisme en France, jamais j’en avais vu les quatre coins ; il est transféré tous les douze mois. En dix-neuf ans, 51 transferts, onze ans d’isolement, quatre hospitalisations sans consentement. On en est là après dix-neuf ans de prison. Pour Karim, c’est dur. Pour nous, c’est dur.
Papillon : La sortie prévue pour 2039, c’est une condamnation d’assises ou un cumul de peines du fait même de la détention ?
Sylvie : Karim a pris deux peines non confusionnables pour braquage et évasion, ça fait trente-deux ans. Plus une à l’intérieur, car quand on te dit dix fois par jour : « tout nu, à quatre pattes, tousse, etc. », t’es maltraité, et au bout d’un moment le détenu, il craque. A Clairvaux, Karim a poussé un surveillant, juste poussé… il a pris deux ans de plus. Dans son parcours carcéral, on peut compter dix années supplémentaires. La parole du détenu, elle vaut rien : il y a quatre ans, il est passé en jugement à cause de problèmes avec les Eris. Karim a tellement été humilié qu’il a lâché : « j’ai trente ans à faire, mais quand je sortirai je me vengerai. » Les Eris ont donc porté plainte pour dénonciation calomnieuse, et Karim pour coups et blessures. Résultat : Karim a été relaxé en correctionnelle, mais la pénitentiaire a fait appel. Notre avocat avait alors demandé les vidéos, car soi-disant, tout est filmé. Le juge a bien remarqué que les vidéos fournies avaient été coupées à plusieurs reprises… Donc ils ont bien mis ce qu’ils avaient envie de mettre. Pourtant, il s’est repris une peine pour s’être rebellé alors qu’il est maltraité en prison. Il y est rentré en 1995 et doit en sortir en 2034… s’il n’y a pas d’autres condamnations d’ici là, ce qui m’étonnerait beaucoup.
Papillon : L’histoire de Karim reflète bien ces parcours carcéraux longues peines…
Sylvie : Quand j’entends des gens qui disent que c’est le Club Med, la prison, c’est des ignorants. Aujourd’hui, avec les nouvelles prisons comme Condé, c’est une prison dans la prison, un QHS géant, « une maison de correction pour détenus récalcitrants » comme dit la presse. Vous y êtes enermé 23 heures sur 24, en principe pour huit à dix mois. Il n’y a pas de sociabilisation possible ainsi. Il ne voit même pas les autres pendant la douche car elles sont en cellule. Avec les surveillants non plus, pas de contacts. Quand on va au parloir, il y a très peu de monde. Les prisonniers sont seuls. C’est perdu dans la campagne et c’est loin de leurs familles. Il n’y a même pas un bus pour elles qui les amènerait devant la prison. Il faut avoir une bonne voiture car rien que le voyage depuis Saint-Etienne c’est 220 euros, un aller c’est 634 km, 6 heures de route, 10 heures par la nationale. Si vous avez un UVF (Unité de vie familiale), tant mieux, ça vous évite l’hôtel. Si vous n’en avez pas, eh bien le détenu, il peut vous attendre ! C’est pas possible, c’est trop de frais. L’AP parle de sécurité : il n’y a que des caméras. Pas besoin d’autant d’argent qu’ils le prétendent pour la sécurité : leur sécurité, c’est avant tout de piquer le détenu, de le droguer avec des cachets. Les prisonniers ont des soins médicaux contre leur consentement. L’AP fait d’eux des personnes vulnérables qui ne sont plus dangereuses à leurs yeux. Ça c’est la politique de Condé-sur-Sarthe et la politique de partout si personne bouge. Nous, on est là pour dire ce qui se passe, mais il faut que tout le monde se donne la main.
Papillon : Concrètement, comment ça se passe ? Des surveillants armés et casqués arrivent avec le personnel médical ?
Sylvie : Pour Karim, déjà à Arles, il y a eu une hospitalisation sans consentement demandée par le préfet. Pieds et mains attachés, il a été gavé de médicaments jusqu’à ne plus donner l’heure. Ensuite il a été transféré à Réau, puis à Condé. Pendant un UVF, j’ai vu cela de mes propres yeux : « Ouvrez la bouche, allez, buvez. » Il n’était pas d’accord, mais s’il refusait, ils annulaient l’UVF. N’importe qui se rebellerait. C’était humiliant, inhumain, je suis sortie en pleurant. Le lendemain, j’ai appelé la pénitentiaire pour signaler que je voulais faire intervenir un médecin de l’extérieur, appeler l’avocate, et dire que j’allais porter plainte en mon nom – quitte à ce qu’on me sucre mon parloir, tant pis. Comme par hasard, le lendemain il n’avait plus de traitement. Il n’en avait pas besoin car il a toute sa tête, il est bien, il travaille.
Papillon : Pendant les événements de janvier, les médecins de Condé réclamaient la présence des matons et les entraves pour chaque auscultation, en violation du secret médical.
Sylvie : C’est comme ça les arrange ! Quand moi j’appelle, on me répond qu’on ne peut rien me dire à cause du secret médical. Ces pratiques se répandent en France. Il y a un moment où Karim m’a fait peur car il mourait à petit feu, il n’avait plus de caractère, plus rien : un zombie, il tournait en rond – mais aujourd’hui ça va mieux. Karim est censé être de passage à Condé, ça fait six mois qu’on a fait la demande de transfert. Sauf que le directeur lui a parlé d’une nouvelle prison en construction.
Papillon : Cette nouvelle prison, c’est très certainement Vendin-le-Vieil, même modèle que Condé-sur-Sarthe, six mois à Vendin, six mois à Condé…
Sylvie : Si à la limite, il y avait déjà plus de souplesse avec l’ouverture des cellules. Dans d’autres centrales, les portes sont ouvertes. Pourquoi tous les détenus de Condé font des prises d’otages ? Pour être transférés. Le souci, c’est la longueur des peines : Christophe Khider libérable en 2054, Karim en 2039… Condé, c’est le mouroir. Ils font des expérimentations sur des humains. Enfermez-vous dans un F3 de 80 m2, et encore je vous dis un F3, pas une cellule, vous verrez si vous ne devenez pas une bête sauvage. Voilà, Condé c’est ça.
Papillon : Un prisonnier de Condé se définissait récemment comme un rat de laboratoire…
Sylvie : C’est ça. Condé, c’est le pire de ce qu’on nous prépare. Pas de perspectives de sortie, enfermé comme un animal sauvage, éloigné de sa famille. Il y a peu, Karim disait : « heureusement que vous êtes là ! » Qu’est-ce qui se passe si on est pas là ? C’est impossible de supporter ça. Avant 1981, c’était clair : il y avait la peine de mort, maintenant c’est des hypocrites au gouvernement, car aujourd’hui c’est de la torture. Derrière la souffrance du détenu, il y a celle de la famille, des proches. Quoi que les gens pensent, les prisonniers sont des êtres humains, ce sont des citoyens, ils font partie de la société. Il faut arrêter d’être ignorants. Personne n’est à l’abri d’avoir un proche en prison. A ceux qui nous écoutent et qui disent : « Tiens, elle veut nous faire pleurer ! », demain ça peut être votre enfant. A mon grand regret, quand il y a des débats sur la prison, il n’y a jamais beaucoup de monde. L’union fait la force, et à l’intérieur aussi. Nous, on est là pour Karim, pour se battre pour lui, quand d’autres sont seuls. Plus le temps passe, plus les gens sont dans les oubliettes du ministère… des amis et des proches.
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