« Pour commencer à avoir un effet, faut pas dire : « Je compatis au sort des prisonniers », mais : « Je suis d’accord avec eux ». »
AHB
Depuis quelques temps, nous nous efforçons de faire de l’Envolée un journal à parution régulière. Trimestrielle. A l’heure de faire paraître un nouveau numéro, il nous semble pourtant que l’urgence n’est pas là.
En octobre 2012, dans le numéro 33, nous avons publié plusieurs plates-formes de revendications portées par des mouvements collectifs de prisonniers depuis les maisons d’arrêt de Corbas et de Seysses, les centres de détention de Roanne et Argentan, les centres pénitentiaires de Ducos et de Vézin-le-Coquet et le quartier maison centrale d’Annœulin. Ça faisait longtemps que de telles revendications collectives n’étaient pas sorties de prison.
Les prisonniers y dénonçaient la surpopulation, les fouilles à corps, la multiplication des régimes différenciés, le prix délirant des cantines et les salaires honteux imposés par les entreprises privées qui cogèrent la taule, la double peine qui se généralise pour le moindre problème avec l’administration pénitentiaire : le prétoire puis le tribunal du coin – le mitard et des peines de prison supplémentaires. Mais aussi le manque d’activités et de parloirs, le mépris pour les familles, des règlements intérieurs obscurs qui changent d’une prison à l’autre, les aménagements de peine inexistants. Ils exigeaient la fermeture définitive des quartiers d’isolement et des quartiers disciplinaires ainsi que la suppression des régimes fermés dits « B0 » ou « D0 » – véritables quartiers d’isolement qui ne disent pas leur nom, où l’administration pénitentiaire place les prisonniers pour une durée indéterminée sans avoir à s’embarrasser d’une procédure disciplinaire. Ils demandaient le rapprochement familial, ou au moins un dédommagement financier pour les familles éloignées, le téléphone gratuit pour les indigents, que le code du travail s’applique en détention, l’abolition des expertises psychiatriques. Et surtout, qu’on leur donne enfin toutes les remises de peine auxquelles ils ont droit.
Tout ça est resté très confidentiel : nous n’étions pas nombreux à faire écho à ces mouvements, et nous n’étions pas de taille à rivaliser avec le vacarme fait autour de la réforme pénale de Taubira, nouvelle ministre des tribunaux et des prisons. Un brouhaha dont le premier effet a été de couvrir la voix des enfermés...
Rien de neuf : en 2006, pour dénoncer l’hypocrisie des peines infinies, dix prisonniers longue peine de Clairvaux sont allés jusqu’à réclamer le rétablissement de la peine de mort pour eux-mêmes, mais déjà à l’époque les effets d’annonce et les débats sur la loi pénitentiaire de Dati avaient étouffé leur parole.
En 2012, la gauche au pouvoir tentait de surfer encore un peu sur l’antisarkozysme, avec Taubira pour icône. On l’attendait au tournant : tandis que la droite hurlait au laxisme, dans les prisons on se prenait à espérer. Les conclusions du rapport qu’elle avait commandé sur les « causes de la surpopulation carcérale » contenaient quand même quelques vérités sur le système pénal. S’il y a surpopulation, c’est à cause de l’emprisonnement systématique : les comparutions immédiates qui se généralisent, les circonstances aggravantes qui se multiplient, la répression de la récidive qui se durcit, l’amnistie et les grâces qui ont disparu. Le rapport pointait aussi l’exécution systématique des peines et la création de nouveaux délits en pagaille : le racolage passif, la mendicité agressive, l’occupation d’un terrain en réunion, l’occupation en réunion de hall d’immeuble, la vente à la sauvette… Certes. Ce rapport ne disait donc rien de plus que ce pourquoi la France est déjà condamnée par l’Europe, et que l’État ne peut plus nier. Ce que ce rapport ne dit pas, l’essentiel, c’est que les prisonniers font des peines de plus en plus longues, que l’isolement se perfectionne et se généralise et que l’État n’arrêtera jamais de construire de nouvelles prisons. Ce processus d’inflation pénale ne date pas des années Sarkozy.
Le nouveau ministère des prisons et des tribunaux a beau jeu de s’alarmer que 1 076 personnes (chiffre officiel, février 2014) dorment par terre en cellule : ça justifie la construction de toujours plus de cachots modernes. Des prisons gérées par le privé sortent de terre loin des regards, à l’écart des villes. Des grands quartiers d’isolement, ultrasécuritaires, automatisés. Dans le numéro 30 de l’Envolée, des prisonniers nous décrivaient Roanne, dans les numéros 32, 34 et 36 c’était Annœullin, et dans le numéro 36 encore, Mont-de-Marsan…
Après la mascarade de la « conférence de consensus sur la prévention de la récidive », qui a fait mine de « consulter » tous les fameux « acteurs » du système pénal – avec deux prisonniers alibi triés sur le volet – pour « réformer » en « profondeur » la justice et la prison, « changer de logique», et blabli et blabla… est venue la vraie réforme. En dur. Une réforme que n’aurait pas reniée cette droite qui s’inquiétait.
Dans les trois derniers numéros du journal, nous avons tenté d’en analyser la réalité, loin des effets d’annonce. Nous l’avons décortiquée à la lumière de ce que disent ceux et celles qui vivent à l’intérieur. La fameuse « contrainte pénale » vise à ce que toutes les peines soient exécutées. Elle ne fait pas sortir de prison, elle enferme dehors. Elle sert de nouvelle peine pour les nouveaux délits. La loi prétend en outre mieux accompagner la sortie en conditionnelle, quand elle ne fait en réalité qu’allonger la durée effective de la peine en alourdissant encore le contrôle sur la condi et la durée de ce contrôle. Le processus en cours depuis longtemps se poursuit. De plus en plus de personnes sont placées sous main de justice, le bracelet électronique se répand, le contrôle s’intensifie de partout. La prison hors les murs ne fait pas tomber les murs, elle étend leur enceinte. Loin de lutter contre le grand enfermement, la nouvelle loi le perfectionne encore.
Et toujours rien pour les longues peines. Sans blague. On sait bien au ministère que ces peines sont infaisables, mais qu’il n’est pas question de les aménager pour autant. Il s’agit donc pour l’administration de gérer un stock grandissant de prisonniers à qui on a enlevé toute perspective d’une sortie imaginable. Alors on construit Condé-sur-Sarthe, prison test, nouveau QHS pour ceux qui ne supportent pas qu’on les enterre vivants. La surenchère sécuritaire pour seule réponse à la folie pénale. Quitte à être dans l’impasse, autant foncer. On a aboli la peine de mort en France pour lui substituer des peines jusqu’à la mort, on construit les tombeaux qui vont avec.
Les attentes de l’intérieur ont vite été déçues. Pas par hasard si le numéro 37, spécial réforme pénale, a eu un certain succès en détention avec sa carotte en couverture. Mais dur de se faire entendre. Dehors, on n’écoute que les matons et leur syndicats, et c’est leurs éternels mensonges qui sont repris partout en cœur : les prisons sont remplies de violeurs récidivistes qui sortent après quelques pauvres années, et la plupart des délinquants ne font même pas leur peine ; ils se la dorent en quatre étoiles et sortent systématiquement avant la fin de leur peine ; des fous dangereux font des prises d’otages pour un oui pour un non ; les surveillants sont maltraités, désespérés, traumat’ de ne plus pouvoir faire respecter la loi face aux nouveaux barbares de quartier ; la société post-soixante-huitarde n’a toujours pas assez de considération pour les victimes et leur besoin de punition. Et quand la matonnerie et ses perroquets reconnaissent quelques « dysfonctionnements » dans les nouvelles prisons, c’est juste pour se plaindre de l’incursion du privé et réclamer plus de moyens, c’est-à-dire des salaires moins minables, plus d’armes, une plus grande marge de manœuvre pour torturer en paix.
La télé parle de plus en plus de prison. Il faut bien alimenter toutes ces chaînes du câble en contenus croustillants. Les caméras peuvent maintenant entrer en détention, tant qu’elles sont téléguidées par l’administration pénitentiaire qui change de com’ : un peu moins d’opacité pour donner une nouvelle image aux prisons. L’important c’est que les caméras ne captent pas la libre parole des prisonniers. On parle des prisons, beaucoup, et des prisonniers, qu’on n’entend jamais.
Au printemps dernier, nous avons tenté de réunir le plus de personnes possible pour lutter contre
ce qui semble s’installer inexorablement : la prison comme seule réponse du pouvoir à tous ceux qui gênent la société capitaliste. Cette tentative a permis quelques rencontres à l’extérieur, mais il y manque l’essentiel : la voix de l’intérieur. Ce journal tente de faire écho aux paroles des prisonniers et prisonnières, c’est sa raison d’être. Impossible pourtant d’imaginer un mouvement qui couvre un tant soit peu le brouhaha des enfermeurs sans parole collective de l’intérieur. Les derniers numéros sont forts des témoignages, de trajectoires individuelles qui disent beaucoup de la réalité vécue par les prisonniers, loin des discours bidon et des réformes carotte. Nous avons reçu beaucoup de courriers depuis, et il va toujours dans le même sens. Dedans, personne n’est dupe. Nous avions largement de quoi faire un nouveau numéro, tout aussi riche que les précédents, mais nous avons décidé de réfléchir aux moyens de mieux diffuser ces paroles. Nous avons donc décidé de publier ces lettres sur le site Internet du journal (www.lenvolee.net).
Le numéro 40 du journal sortira en janvier 2015.
Nous ne renonçons pas à la tentative de s’organiser à l’extérieur. Mais il n’est pas question pour nous de jouer les ventriloques, et d’usurper la parole des prisonniers. Il n’y aura jamais de mouvement efficace contre l’enfermement sans les enfermés eux-mêmes. Il y a régulièrement des mouvements, plus ou moins collectifs, dans les prisons françaises. Des revendications en sortent parfois. Mais voilà bien longtemps que la détention n’a pas parlé d’une seule voix, que n’est pas sortie une plate-forme sur laquelle se retrouvent des prisonniers d’établissements et de régimes différents. Une plate-forme de revendications qui ne s’adresse pas qu’au pouvoir, mais aussi à tous ceux qui partagent cette condition d’enfermé, dans laquelle se reconnaître, et où trouver de la force. Une plate-forme qui s’adresse non seulement à l’administration pénitentiaire, mais aussi à la société toute entière, et interroge sa fuite en avant dans la punition. Il ne s’agit pas de réformer ce qui n’est pas réformable, de compatir au sort fait aux prisonniers, mais d’affirmer notre accord avec leurs revendications qui portent toutes en elles le refus de l’enfermement sous toutes ses formes. Chaque fois qu’on s’attaque à une des modalités de l’enfermement, c’est à l’enfermement lui-même qu’on s’en prend. La prison isole, et c’est bien contre cet isolement qu’il s’agit de lutter : en le rompant.
UN SALUT FRATERNEL À NOS RÉDACTEURS ET RÉDACTRICES DE L’ INTÉRIEUR
FORCE , COURAGE ET DÉTERMINATION !
Les caisses de l’Envolée sont vides… Surtout ne risquez rien qui vous conduise à une trop grosse peine de prison, simplement si vous pouviez faire un chèque de réabonnement – 15 €, voire plus – ce serait super ! Ceux qui sont déjà en prison ne payent pas, bien sûr.
L’Envolée, 43, rue de Stalingrad, 93100 Montreuil.
L’adresse mail : Contact@lenvolee.net
Le site Internet : www.lenvolee.net
Le twitter : @anticarceral
« Y a de quoi faire, mais c’est Pour la Bonne Cause … La nôtre ! »
En juin 2001, trois mois après la première émission de radio de l’Envolée, l’équipe s’est posé la question de la création d’un journal pour diffuser plus largement les témoignages et les textes de luttes des enfermés, et mener ensemble un combat contre ce monde qui enferme. Nous avions demandé à Thierry Chatbi, un prisonnier longue peine qui écoutait la radio et qui s’était toujours battu contre l’administration pénitentiaire et la justice s’il pensait que ce serait un outil pertinent dans la période. Sa réponse nous avait encouragés à développer cet outil, et elle continue à nous donner de la force. Cette lettre avait été publiée en couverture du premier numéro du journal.
« Dans nos sociétés modernes, marchandes, mondialisées… l’exclusion, l’enfermement, la coercition autoritaire, le toujours plus sécuritaire est devenu la « question » axiale, celle qui « fait débat » dans nos pseudo-démocraties ! […]
Voir cibler des nouveaux ennemis, intérieurs ceux-là… les plus sournois, les plus fourbes, les plus redoutables… toutes ces minorités pauvres, visibles, vulnérables, corvéables, stigmatisables ! Proies idéales. […] Aujourd’hui la france a peur, peur de ses enfants. Les politiques semblent tous extrêmement préoccupés par ce sujet grave et sensible. […] l’insécurité : cheval de troie de tous les politiques ! entre vaches folles, moutons tremblants et porcs fiévreux… il est évident que nous avons bien plus à craindre et redouter les hordes de sauvageons que l’insécurité alimentaire, chimique, industrielle, économique, politique ! les jeunes, les minorités pauvres sans droit, sans vote, sans voix, sans pouvoir… cibles idéales ! moins de places à l’école revient à plus de places en prison. Aujourd’hui ces dernières sont semi-privées, livrées clés en main, avec étude de marché, remplissage, rentabilité maximum ! Quand le bâtiment va, tout va. secteur en pleine expansion, tout comme la sécurité. la question de la « fracture sociale » n’est même plus d’actualité. on est pragmatique, on fait même plus semblant ! l’exclusion se gère, c’est même un bizness porteur.
En prison, qui plus est, la main d’œuvre y est docile, nombreuse, disponible, c’est l’esclavage moderne… salaires défiant toute concurrence, charges sociales inexistantes, couvertures sociales idem. Aucun droit du travail, droit syndical, droit tout court. Vive le libéralisme intramuros. […] nous ne pouvons que constater la lourdeur et l’allongement des peines. le non-aménagement de celles-ci. Plus aucune commutation depuis des années. Plus de libération conditionnelle pour les longues peines. Aujourd’hui encore la gauche se targue d’avoir aboli en 1981 la peine de mort, vestige barbare d’un autre temps. La france restant la seule en europe à exécuter « y a tout juste vingt ans » des hommes et femmes, au nom de la justice (la france étant d’ailleurs et à ce propos le pays le plus répressif, celui où les peines sont les plus lourdes en europe). En mars 2001, l’abolition de la peine de mort n’est pas à mettre au compte de la gauche. elle fut l’enjeu d’un programme politique, l’expression de la volonté d’une partie du peuple français. or, c’est bien un gouvernement de gauche qui conçut et fit voter la peine de trente ans accompagnée de vingt-deux ans de sûreté. Mesdames et messieurs les humanistes de gauche, la torture ne s’aménage pas, elle se supprime.
Les longues peines sont une forme d’élimination sociale, une mort lente à peine déguisée, de la vengeance pure, le message adressé au corps social, aux prolos et sous-prolos, aux travailleurs pauvres, aux fins de droits, à tous les exclus qui auraient quelques velléités d’une émancipation, d’une non acceptation. Cela procède du même ressort à l’intérieur avec les régimes et statuts différenciés, les avantages accordés à certains. le monde carcéral est le reflet du monde extérieur dans un arbitraire et un non droit plus affirmés. c’est sans ambiguïté aucune. des luttes carcérales ont jalonné l’histoire des prisons. nous avons appris à nos dépends « pour certains » qu’aucun acquis n’est définitif. nous avons la prison, la justice, la démocratie que nous méritons. Les seules choses dont nous pouvons être sûr, c’est le changement et la mort. […]
La question des parloirs intimes, du droit à la sexualité, à l’intimité, à l’humanité intra muros est elle aussi d’une portée capitale. Elle brise des tabous (à nous de l’exploiter) et aussi les consciences. L’enfermement doit se suffire à lui-même. la question des longues peines, des périodes de sûreté, celle du travail dans la dignité et la non-exploitation, la question des transferts, de l’éloignement, des familles doublement condamnées qui le plus souvent n’ont pas les moyens économiques de se déplacer. Enfin à tous les camarades, toutes les camarades de misère… y a de quoi faire, mais c’est pour la bonne cause, une cause juste, la nôtre. et puis nous avons l’opportunité, l’immense privilège, d’avoir avec nous, pour nous, des potos, des camarades qui sont oK pour relayer, communiquer, soutenir. eux sont dehors, ils sont OK pour se battre avec nous, pour nous. À vous toutes et tous, compagnons de misère, avec vous. Force et détermination. La lutte finale continue.
Le résilient, depuis le QI de fresnes. »
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