Sandra en grève de la faim contre l’assignation à résidence de sa famille.
Kamel Daoudi est assigné à résidence depuis 2008. Forcé de déménager du jour au lendemain au gré des décisions ministérielles, séparé de ses proches, contraint de pointer chaque jour à la gendarmerie, il se débat dans un labyrinthe administratif. Le 14 septembre 2023, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a refusé de se prononcer sur le fond du dossier en rejetant sa requête pour des motifs de procédure. Face a cet énième refus qui mêle vengeance d’Etat et folie administrative, Sandra, la compagne de Kamel vient d’entamer une grève de la faim. Dans le texte qui suit elle exprime les raisons de son action, sa détermination et son refus d’être « considérée comme « une pauvre femme » assignée à rester dans l’ombre de son conjoint, spectatrice de la souffrance de ses enfants ».
Mon mari a été condamné définitivement en décembre 2005 pour des soupçons d’appartenance à une « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Ce dossier repose essentiellement sur des aveux extorqués sous la torture. Mon mari a toujours nié les faits qu’on lui a reprochés. Il a exécuté intégralement sa peine.
A cette peine a été adjointe, une peine complémentaire d’interdiction définitive du territoire français (IDTF). Cette IDTF est inapplicable car en cas d’expulsion vers son pays de naissance, l’Algérie, il serait exposé à des traitements dégradants et inhumains. L’expulsion étant impossible, le ministère de l’intérieur a décidé de l’assigner à résidence, en attendant son éloignement vers un autre pays.
Ce 14 septembre 2023, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a refusé de se prononcer sur le fond de son dossier en rejetant sa requête pour des motifs de procédure. Cela signifie que la Cour Européenne laisse à l’État français toute latitude pour continuer à assigner mon mari sans limite dans le temps et sans se soucier des retombées sur l’ensemble de notre famille. Le gouvernement français concourt à le placer dans une situation inextricable lui interdisant toute vie privée et familiale. Je dois pour ma part pallier à toutes les injonctions du ministère sans jamais me rebeller ni contester leur bien-fondé.
Comme la réhabilitation de Kamel est rendue impossible par les autorités administratives malgré ses attaches solides et profondes en France où il vit depuis l’âge de cinq ans, par voie de conséquence, celles-ci me privent – moi et mes enfants – de notre droit à la vie privée et familiale. Aucun pays n’acceptant son accueil, avec la réputation que l’État français a dressé de lui, l’administration s’acharne à nous pousser vers une impasse : son retour forcé en Algérie. Ce harcèlement continu sur quinze ans est épuisant pour toute la famille.
Le ministère de l’intérieur interdit à mon mari de travailler. Mes enfants ne peuvent que constater l’incapacité de leur père à participer normalement à leur éducation et à leur épanouissement d’autant plus qu’il a été éloigné à plus de deux heures de route du foyer familial.
Mes enfants doivent constamment s’adapter aux nouvelles contraintes liées à l’assignation de leur père. En quinze ans, ils ont dû arpenter les routes de France pour se rendre vers 7 lieux différents situés dans des départements aussi éloignés que la Creuse, la Haute-Marne, le Tarn, la Charente-Maritime ou le Cantal. Gérer le quotidien de deux adultes, une adolescente et trois jeunes enfants dans une chambre d’à peine dix mètres carrés relève d’une organisation extrêmement rigoureuse pour tenter de créer un climat sécurisant et apaisant malgré les circonstances. Chaque déplacement implique de fait, un isolement social.
Cette situation d’enfermement à l’air libre crée une atmosphère anxiogène chez de jeunes enfants encore plus intense que pour l’incarcération d’un parent. En effet, un parent incarcéré peut susciter un espoir auprès de l’enfant qui sait que celui-ci sortira un jour tandis que dans le cas de l’assignation à résidence, l’enfant partage cet enfermement et n’a aucun espoir que la situation ne s’améliore. Je ne peux pas dire à mes enfants que le dénouement sera nécessairement politique.
Il suffit de côtoyer Kamel Daoudi pour être suspecté de terrorisme. En plein état d’urgence alors qu’un car de CRS stationnait chaque nuit pendant plus de deux mois, de 19h à 7h devant mon domicile, les plaques d’immatriculation d’amis qui me rendaient visite étaient systématiquement relevées devant eux afin qu’ils comprennent que cette maison était hautement surveillée. Beaucoup de connaissances se sont malheureusement pliées à cette intimidation.
Avec la répétition de situations humiliantes, toute atteinte à notre intégrité et à notre réputation contribue à alimenter le supplice dit « de la goutte d’eau ». Après la chute de plusieurs milliers de gouttes, une simple petite goutte a le même effet que l’effondrement d’un immeuble sur votre front. Je m’efforce d’être debout malgré la rudesse de la tâche pour faire face à toutes les personnes méprisantes qui me perçoivent comme une personne peu respectable et peu fréquentable.
Ce qui est désarmant dans ce retournement permanent du stigmate, c’est que les institutions censées protéger les citoyens me laissent livrée à mon sort. En 2017, quand un couple de voisins policiers fabulateurs a décidé de tout entreprendre pour me nuire en provoquant l’intervention abusive de la section de déminage de Toulouse, les autorités concernées dont l’IGPN n’ont pas cherché à circonscrire leurs méfaits. Il a fallu d’autres incidents et des mensonges répétés très « grossiers » de la part de ces agents de police pour que les autorités judiciaires décident enfin de neutraliser ce couple en classant leurs plaintes extravagantes, sans suite. En revanche ma plainte pour harcèlement et diffamation déposée antérieurement contre ces mêmes voisins n’a toujours pas abouti à ce jour. Ce prétendu « non-évènement » pour reprendre l’expression du commandant de police de l’époque, a eu pour conséquence mon arrêt de travail pour anxiété post-traumatique pendant près d’un an. Il faut s’imaginer le quotidien de mes enfants pendant cette période alors que je peinais à réaliser de simples tâches ménagères.
Combien de femmes se seraient résignées à se séparer de leur conjoint devant toutes ces difficultés, combien d’enfants humiliés se seraient laissés déborder par une colère légitime ?
Le ministère de l’Intérieur refuse d’acter que nous ne sommes plus le 23 avril 2008, date du premier arrêté d’assignation à résidence de Kamel. Il s’emploie à toujours mettre en avant la sécurité publique sans considérer l’évolution de la situation familiale depuis quinze ans. Pourtant l’assignation à résidence a des répercussions palpables sur mon quotidien.
En 2009, mon époux a été condamné à six mois de prison ferme pour avoir quitté le périmètre de son assignation afin de m’accompagner à la clinique alors que j’étais enceinte de sept mois. Et en 2020, il a été condamné à un an ferme en première instance pour 25 minutes de retard à son couvre-feu tandis qu’il cuisinait dans un lieu associatif. A chaque fois, j’ai dû supporter les conséquences de ces tragédies qui résultent des conditions particulièrement sévères de son assignation à résidence. La moindre infraction peut ainsi être punie d’une peine allant jusqu’à trois ans de prison ferme.
Qui pourrait se prévaloir, en quinze ans d’assignation, de ne jamais avoir le moindre retard pour les deux, trois ou quatre pointages quotidiens imposés au commissariat ? Je ne comprends plus l’énergie déployée par le ministère de l’intérieur pour broyer toute une famille au mépris des droits individuels les plus fondamentaux.
Deux murs restent infranchissables :
Décoller l’étiquette de Kamel, considéré comme « un homme dangereux » alors qu’il n’a commis aucune infraction depuis la fin de l’exécution de sa peine en 2008 ;
Déconstruire des décisions de justice administrative fondées essentiellement sur des notes blanches pour obtenir sa réhabilitation en relevant par exemple son interdiction définitive du territoire.
Ne pas tenir compte de l’évolution de la situation de Kamel en l’espace de plus de quinze ans n’est pas digne d’un État prétendant respecter les libertés individuelles fondamentales. Le ministère a-t-il seulement conscience qu’il ne s’agit plus simplement de la destinée de Kamel. J’ai des droits en tant que femme. Je ne suis pas uniquement l’épouse de Kamel. J’aspire à être considérée comme un individu à part entière.
Il me semble aussi que chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer ; il s’agit d’un principe essentiel. Marteler sans aucun élément sérieux que Kamel continue d’être dangereux, alors qu’il se comporte de manière exemplaire dans des conditions déshumanisantes, ne peut suffire à sacrifier la vie de nos enfants en les privant de l’amour et de la présence de leur père. Être considérée comme « une pauvre femme » assignée à rester dans l’ombre de son conjoint, spectatrice de la souffrance de mes enfants, ne peut suffire à me réduire au silence.
Mes droits et ceux de mes enfants, tous ressortissants français sont inaliénables.
Durant toutes ces années notre famille a beaucoup trop souffert d’un ostracisme décomplexé, d’une violence institutionnelle assumée et d’un isolement qui n’est plus supportable. Ce qui est inhumain, ce n’est pas seulement de laisser Kamel dans cette situation sans fin mais de me mépriser en tant que femme et de laisser grandir mes enfants en leur faisant croire que leur quotidien relève de la normalité.
Sandra, Aurillac, le 18 septembre 2023.
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