Lundi 24 février au « tribunal des condamnations immédiates » de Nantes

Récit des comparutions immédiates après la manifestation du 22 février contre l’aéroport de NDDL

Lundi à 14h au Tribunal de Nantes s’est tenu le procès de cinq « manifestants » de la manifestation du samedi précédent. Après avoir passé 48h en garde-à-vue (ils ont été arrêtés samedi en début de soirée), ils passent devant le tribunal correctionnel. Nous sommes quelques dizaines a être venu cet après-midi pour les soutenir. Les journalistes se sont déplacés en masse (une quinzaine) et occupent plusieurs rangées à l’intérieur de la salle d’audience. On se voit refuser l’entrée par quelques policiers car la présidente « veut de la sérénité » pour les débats. Finalement après une heure d’attente et des départs de journalistes, nous pourrons accéder à la salle et assister au procès des trois qui passent en dernier (il ne sera question que de ces derniers ici).

 

A la lecture des chefs d’inculpation, on sent déjà que les accusés sont là par malchance : « Violence volontaire contre personne dépositaire de l’autorité public sans Interruption Temporaire de Travail » pour deux d’entre eux et avec une ITT de moins d’un jour pour un autre. En effet, pour répondre aux « scènes de guerre » de Ouest-France, au « saccage » de Presse-Océan, on s’attend à voir des barbares ou au moins des spécialistes de la démolition et des chefs d’inculpation un peu plus lourd. Pas une seule accusation de dégradation (ce qui veut dire pas un tag ni un pavé de descellé), pas une accusation d’outrage (ce qui veut dire pas d’insultes proférées). En fait, il n’y a rien ! Vraiment rien ! Alors que la préfecture annonce « 1 000 casseurs », elle a peu de choses à donner à manger aux journalistes et à la machine judiciaire. Cette dernière, au vu de la « gravité » des faits qui leur sont reprochés, a pourtant hâte de les mettre en charpie en les jugeant immédiatement. Sans doute au nom de la « sérénité des débats ».

 

Vers 16h, avec l’arrivée de la dernière avocate de la défense, le procès peut commencer. On voit entrer trois jeunes hommes dans le box des accusés. On peut apercevoir au travers de la porte leur dé-menottage. Ils ont les traits un peu tirés après leur 48h de garde-à-vue au commissariat de police. La présidente commence en leur annonçant d’emblée : « Vous allez être jugés aujourd’hui. Vous pouvez le refuser, et ce report est de droit. Mais si vous choisissez cette solution, le tribunal statuera ensuite sur votre mise en détention ». Les trois jeunes acceptent. La juge : « ça m’arrange » . La machine peut démarrer.

L’accusation, ou comment boucler le procès dès le début

Tout commence par la mise en accusation et la présentation des accusés. Les trois dans le box sont des copains. De jeunes ouvriers intérimaires : l’un est ouvrier en usine, un second boulanger, un troisième carrossier. Trois jeunes ruraux comme des milliers d’autres. Les trois ont des casiers. Pas des condamnations énormes, des condamnations pour conduite en état d’ivresse, sans permis, de délit de fuite, de violence…. Des condamnations de jeunes ruraux de milieux populaires : un permis qui coûte cher, une voiture d’un copain, un cubis de la cave d’à-côté et c’est parti pour une soirée dans le pays de Retz. Un contrôle de gendarmes et un permis qui saute. On continue à conduire car en campagne c’est vital. Eh oui, à l’inverse, à la ville, les rupins ça prend le taxi…ou le vélo-bobo.

 

La présidente commence :

« Alors vous êtes vus vers 19h du côté du CHU de Nantes, reconnus par les policiers, comme quoi vous jetiez des objets en leur direction. Ces policiers vous repèrent, vous suivent, puis vous arrêtent quelques centaines de mètres plus loin. Déjà pourquoi étiez-vous là ? ».

Les trois jeunes répondent de manière sincère à la présidente.

« On savait qu’il y aurait de la techno. On avait entendu à la radio la manifestation, et que ce serait impressionnant. On se faisait une sortie ».

La question de l’aéroport ? Ils n’en ont qu’une vague idée. Le jeune carrossier est accusé d’avoir blessé avec une pierre, Jean-Michel Luccini, agent de la BAC. Il a pris un caillou sur le casque et se porte partie civile. Encore un de ces policiers victimes… d’être policier.

 La présidente :

« Alors quand vous avez été arrêté, vous aviez une pierre dans votre sac ?

 

– Oui, je l’avais ramassé comme ça dans l’après-midi.

 

– Donc vous reconnaissez avoir eu une pierre. Vous avez reconnu avoir lancé des cailloux ?

 

– Oui, mais pas à ce moment. J’ai jeté une pierre l’après-midi. Mais elle est tombée devant les CRS.

 

– Donc vous lanciez VERS les policiers?

 

– Oui mais ça arrivait pas jusqu’à eux.

 

– Donc vous ne lanciez pas assez fort !

 

– C’est n’importe quoi !

 

– Ah oui vous avez raison, c’est vraiment n’importe quoi ! »

 

C’est cela un principe accusatoire. N’importe quelle réponse, doit servir à accuser. Que la pierre touche ou non les policiers, la juge s’en cogne. Mais ça lui permet de fabriquer un coupable. Si elle tombe devant ? Il est coupable. Dessus ? Il est coupable. Celle ramassée, et remisée dans le sac, qui n’a connu aucun envol, et ne peut donc prouver une culpabilité ? Coupable de n’avoir pas été jetée… Au lieu d’une balance, la justice devrait prendre comme symbole un hamster dans une roue, parce que quoi qu’il se passe, la roue tourne dans le même sens. Le juge ne pèse pas le pour et le contre, le juge fabrique de la sentence. C’est son rôle. Ses 6 000 euros par mois, la récompense de cet usinage.

 Petit à petit, les accusés comprennent comment se passe leur mis en accusation, puis leur condamnation. Qu’il ne sont pas les acteurs, mais les faire-valoir d’un processus qui se déroulent sans eux. Que ce qu’il dise, sera forcément à charge. Dans la salle on se dit que la juge devrait donner dès l’ouverture des débats la condamnation, ça lui éviterait de se prêter à ces pitreries.

 

Les policiers victimes

Puis vient le témoignage des policiers. Ils se portent partie civile. C’est le défilé des pleureuses. Le premier Jean-Michel Luccini se dit blessé au visage. Certes il se déplace normalement, rigole avec ses collègues avant le procès, ne porte pas de stigmate, mais à la barre, avant toute chose il précise qu’il a du mal à s’exprimer car il a mal à la mâchoire, puis continue son récit en oubliant la première phrase. Pas besoin d’en faire trop, il sait que sa parole est d’or et que quoiqu’il en soit les dommages et intérêts sont payés comptant. Alors si en plus, il peut rejouer le malade imaginaire, la sécurité sociale paiera les entrées. Il nous raconte qu’il est devant le CHU, prend un caillou sur le casque et crie dans son talkie, « haaaa je suis touché » . Il dit avoir repéré la personne qui lui a lancé le caillou. Et reconnaît formellement le jeune carrossier.

Vient le tour de son collègue Bertoux, agent de la BAC de son état. Oui il confirme que les trois dans le box sont bien ceux repérés à lancer les cailloux, malgré les 20 mètres, malgré la nuit. Il nous dit que chacun s’est fixé sur un des accusés sur un détail de vêtement et que c’est comme ça qu’ils travaillent. « C’est pour les procédures, après » précise-t-il. Lui s’est fixé sur notre jeune boulanger :

« Il avait un jean et un sweat clair ». Ça a duré vingt minutes: « ils caillassaient, ils caillassaient, mais on ne les quittait pas des yeux. »

Puis vient le moment de bravoure, où il nous raconte sa « guerre ». Héros ignoré en quête d’un public, notre soldat inconnu a un nom : Bertoux.

« En 26 ans de carrière, je n’ai jamais pris ça. Mais je constate que à 16h quand j’ai pris un pavé, ils étaient là, puis quand on a mangé, ils étaient là, puis quand la voiture a brûlé aussi. Je constate simplement, sans vouloir les accuser, qu’à chaque fois que ça pétait, ils étaient là. Je me suis évanoui deux fois. Messieurs, ma petite fille de 8 ans vous remercie ».

La procureure conclut alors ce récit à l’intention des accusés :

« A votre avis, que pense l’opinion publique de ce que vous avez fait ? Qu’est ce que vous diriez si vous aviez un message à faire passer ? « 

L’autre vérité

 Au fil de ces récits, on voit se dessiner, en filigrane, une autre vérité. Trois copains qui viennent en ville, attirés par les sirènes. On veut voir. On boit des coups. Il est 19h, et les policiers n’ont arrêtés personne. Il faut passer à l’action, sinon le commissaire n’aura pas sa prime. On en tope trois au hasard. Puis en garde-à-vue, on prêche le faux pour obtenir le vrai : « On vous a vu jeter des pierres à 19h ! Allez, avoue ! Tu sortiras plus vite. Dans une heure ! ». « Mais non c’est pas vrai, on était dans les parages mais on a rien jeté ». Ca y est, on sait qu’ils étaient sur place, qu’ils sont pas si blancs que ça, à nous de les grimer en coupables. Le défi : rendre vraisemblable le récit. La presse sera contente, le préfet ravit. Après, pour la procédure, on « habille » tout ça. Pour les procès- verbaux ? Facile ! Il suffit de décrire les trois jeunes en cellule. Comment sont-ils habillé ? un jean, un sweat… On mettra alors dans le PV qu’on a vu un personne habillé comme lui, jeter des pierres. Il nous faut un blessé ? On appelle le collègue qui a un peu mal à la mâchoire. En plus, c’est de jeunes ouvriers, ils ont un casier, il n’y aura personne pour les défendre. Et même si la ficelle est grosse, la juge n’accusera pas les fonctionnaires de police de mensonges et conclura par l’imparable « comment se fait-il que trois policiers vous reconnaisse ? »

 

« Les condamner pour la pédagogie de la sanction »

Vient le tour de l’avocate des parties civiles. Elle commence par une mise en garde :

« Oui devant moi, je n’ai pas le Black Block, c’est sûr. On a à faire à des pieds nickelés ».

Là dessus tout le monde semble en convenir ; avec plus ou moins de mépris. Mais on ne peut reconnaître que ces jeunes devraient être dehors. Ainsi va-t-elle parler de choses qui ne sont pas dans l’acte d’accusation, pour grossir les faits et créer des condamnés. Sur les policiers :

« Il en manque 129 sur le banc des parties civiles, parce qu’il y a eu cent trente blessés ».

Où a-t-elle fouillé dans son chapeau pour sortir ce lapin ? Nul ne le sait. À part si elle confond bleus et blessures. Mais la prestidigitation ne fait que commencer. Abracadabra hop, de mon chapeau, je sors un pavé. Elle commence à le mettre sous le nez des juges, en annonçant certes que ce n’est pas celui qu’a pris sur le casque M. Luccini, mais c’est un de la même sorte, lancé à plus de 20 mètres. Les manifestants se transforment alors en lanceur de poids est-allemand.

« Oui, c’est cela que les policiers ont pris sur la tête. Parce que nous avions à faire à de vraies scènes de guerres. Et les casques des policiers ne sont pas des casques de moto. Ce sont des casques de maintien de l’ordre ! Et malgré cela, M. Luccini a été blessé ! ». Alors « oui nous avons des lampistes dans le box des accusés, mais il faut les condamner, simplement pour la pédagogie de la sanction. »

Puis vient le tour de la procureure. Alors oui, on a à faire à des boucs-émissaires, mais il faut les condamner. Car même si ils n’ont pas commis les faits pour lesquels ils sont là, ils ont participé aux débordements. Et lancer des objets vers des policiers, c’est déjà de la violence. Et puis c’est intolérable de s’en prendre à des policiers qui ne font que leur métier. En plus l’ordre public a été troublé. Alors elle réclame 8 mois ferme pour l’ouvrier, 6 mois avec sursis pour le boulanger, et 6 mois ferme plus la révocation du sursis mise à l’épreuve (provenant d’une ancienne condamnation pour conduite en état d’ivresse) du carrossier, soit un an ferme.

Des avocates de la défense commis d’office… 

Elles n’ont donc eu que peu de temps pour préparer leur défense. Et puis de toute façon, il ne s’agit pas ici de chercher la relaxe, leurs clients sont condamnés d’avance. Quand bien même il n’y a rien dans le dossier. Concrètement, ils sont accusés d’avoir lancé des pierres vers 19h, et même s’ils reconnaissent avoir jeter des choses l’après-midi, ils sont poursuivis pour les faits du soir. Ce qui les accuse ce sont les témoignages des policiers. Même s’il est difficile dans un tribunal d’accuser de mensonge des policiers, on peut remettre leur témoignage en doute. C’est le soir, il fait nuit et les policiers reconnaissent les accusés à plus de 20 mètres. Jean-Michel Luccini qui reconnaît formellement, non pas les vêtements du carrossier, mais son visage, dit lui-même qu’il ne voit pas qui tire quoi, mais se prend quelque chose sur le casque, puis se retire derrière ses collègues. Ce n’est qu’après qu’il « fixe son agresseur ». Il peut y avoir méprise. Sur le témoignage de Bertoux, il reconnaît lui-même qu’il se fixe sur les vêtements : un jeans et un sweat clair. Il ne reconnaît pas le visage de l’accusé. Il n’y a pas de preuves. Où est la pierre que se prend Luccini ? Nulle part alors que lui-même dit l’avoir ramassé. A-t-il détruit des preuves ? Est-ce celle brandit par la partie civile ? Non. On ne connaît donc rien de ce projectile. Bref, les faits ne sont pas matériellement avérés. Les témoignages sont soumis également au doute. Comment fixer quelqu’un pendant vingt minutes, tout en prenant des volées de pavés ? Comment être sûr que ce soit ces personnes, quand on les arrête plus tard ? Ou sont les photos ? Et les caméras ?

 

Conclusion : prison pour l’exemple

 Le dossier est vide. Mais la justice doit réaffirmer l’ordre social troublé par la manifestation. Cet ordre social, c’est cet ordre politique ou les petits sont menottés et les rupins herminés. C’est cet ordre ou chacun doit être à sa classe. Qu’il y ait des preuves, une certitude, ce n’est pas le problème. Ce qu’il faut c’est des coupables, des condamnés, des peines de prison à brandir, une société ordonnée sans cesse réaffirmée. La vérité, on laisse ça aux philosophes.

Résultat : 5 mois ferme, 5 mois avec sursis, et 6 mois ferme et révocation de 6 mois de sursis mise à l’épreuve, soit 1 an ferme. Aucun mandat de dépôt… maigre consolation.

 

 

 

 

 

 

 

 


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