DARMANIN DÉCLARE LA GUERRE AUX PRISONNIER·ES

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Chapitre 1 : privés d’activités

Il y a deux ans et demi, histoire de toujours bien rappeler que la prison est là pour que celles et ceux qui y sont enfermés prennent cher, la presse d’extrême droite brandissait l’éternel épouvantail de la prison Club Med à propos d’une dizaine de prisonniers qui avaient fait quelques tours de karting dans une cour de promenade de Fresnes. L’Envolée écrivait à l’époque : « Reste à espérer que les pouvoirs publics ne se jettent pas sur l’occasion comme à leur habitude pour faire passer de nouvelles lois scélérates dégradant encore un peu plus les conditions de vie des enfermé·es… » Toujours prêt à faire plaisir aux fachos, Dupont-Moretti – alors ministre des tribunaux et des prisons – avait joué les petits durs dans une circulaire qui disait que les activités devaient désormais être validées en haut lieu – ça s’était pas senti à l’intérieur des murs, mais ce n’était que partie remise, hélas.

Une sale tambouille

Dernièrement, ils ont refait le même coup ; la recette, on commence à la connaître.

– Prenez une belle bouillie médiatique de désinformation syndicale sauce matons ;
– Faites-la monter en mayonnaise par le chœur des éditocrates démagos ;
– Saupoudrez de réactions à chaud de petit chef ;
– Enfournez des directives immédiatement exécutoires et servez chaud.

Mais cette fois, le résultat, c’est une circulaire tyrannique, aux conséquences tragiques pour les prisonnier·es puisqu’il s’agit de leur retirer les derniers pauvres espaces collectifs qui restent en taule par le gel de l’essentiel des activités.

D’abord le mensonge

Disons une fausse information : à la Saint-Valentin, des étudiantes en esthétique auraient prodigué des soins du visage à des personnes détenues… « Et qui c’est qui paie ? », se sont vertueusement étranglé les commentateurs. Bon, en fait, elles leur ont simplement donné des conseils et des recettes… et sans être rémunérées. Cette infox bien croustillante sort évidemment tout droit d’un tract du syndicat FO-Justice de la maison d’arrêt de Seysses. La presse adore relayer aveuglément toutes leurs calomnies et toutes leurs insultes contre les prisonnier·es.

Encore une darmanerie

Pour Gérald, l’occasion de piquer quelques voix au RN était trop belle ! Il s’est jeté sur les micros direct pour prendre des décisions brutales contre celles et ceux sur lesquels on peut taper tranquillement – tout en dorlotant les matons et leurs syndicats. Bam, en moins de soixante-douze heures, la circulaire a exaucé la vieille revendication des syndicats que « de telles activités » ne puissent plus avoir lieu en interdisant les activités « ludiques ou provocantes » (!) Le ministère devra dorénavant s’assurer que les activités proposées rentrent dans les champs éducatif, socioculturel ou sportif. Vu l’atmosphère du moment, les rares contestations sont restées inaudibles.

Privés d’oxygène

« Lorsque l’on se retrouve coincé entre quatre murs, on a bien sûr envie d’occuper son temps. On cherche à sortir, à s’évader l’esprit. Et faute de pouvoir sortir de ce lieu sordide, alors on cherche un moyen pour passer du temps hors de sa cellule, s’offrir un instant qui procure l’illusion du dehors » expliquait une prisonnière enfermée dans une maison d’arrêt du sud de la France. Pour Khaled, vieux compagnon de L’Envolée à l’intérieur puis à l’extérieur, ces activités sont « une bulle d’oxygène, et ça permet d’aller à la rencontre de femmes et d’hommes qui viennent de l’extérieur. C’est vital. Je me suis rendu compte au fil des années que j’avais besoin de ces ponts entre le dedans et le dehors. »

Encore des remises de peine en moins (déjà qu’y en avait pas trop)

Les activités peuvent faciliter l’obtention de remises de peine supplémentaires (RPS) ; c’est pour ça qu’elles ne sont pas proposées à tout le monde. Ainsi les DPS (détenu·es particulièrement signalé·es), entre autres privations, sont très souvent interdits d’activité. La matonnerie se sert des activités pour récompenser les « détenus quasi-modèles », comme l’expliquait Julien dans sa dernière lettre de Seysses. D’ailleurs « l’administration pénitentiaire et le ministère de la justice se servent toujours de la culture pour présenter la prison en disant : “voyez, ils font de la guitare, ils font du théâtre, ils font des ateliers d’écriture…”, mais sur huit cents prisonniers, il y en a vingt qui participent à ça, et les autres… crèvent, quoi », rappelait Hafed en son temps. À l’antenne, Khaled encore décryptait les critères de sélection des Spip (service pénitentiaire d’insertion et de probation) : « L’administration pénitentiaire trie un peu sur le volet. C’est elle qui décide qui participe à ces activités. Les moutons, en général, c’est les premiers qu’ils prennent sur la liste des activités ; surtout lorsque c’est des intervenants extérieurs qui viennent car, à un moment donné, on va certainement parler de comment ça se passe à l’intérieur, et bien sûr, ça, c’est le diable pour la pénitentiaire. »

Caresses aux porte-clés et dirlos tout-puissants

Cette attaque frontale contre les prisonnier·es permet à Darmanin de cajoler les surveillants au passage. Vous êtes débordés à cause de la surpopulation ? On va vous enlever des tâches à l’intérieur de la détention : moins d’activités, c’est moins de mouvements à encadrer pour les matons… et plus de temps en cellule pour les prisonnier·es.

À part le scolaire et le sport, toutes les activités ont donc été suspendues dans tous les établissements d’Île-de-France – et probablement dans tout le pays – le 24 février. Dorénavant, c’est à chaque directeur d’établissement de redonner – au compte-gouttes, après évaluation – les autorisations aux activités ; un certain nombre vont rester sur le carreau. Les chefs d’établissement ont maintenant les mains libres pour faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre en fonction des rapports de force locaux entre prisonnier·es et matons.

Cette attaque frontale n’est que le premier chapitre de l’offensive générale que Darmanin a lancée contre les prisonnier·es dès son entrée en fonction. De la torture blanche de l’isolement promise à des centaines de prisonnier·es dans des établissements transformés en QHS géants à l’allongement vertigineux des peines par la prétendue loi narcotrafic – qui ratisse en fait bien plus large –, les mesures annoncées vont automatiquement entraîner une augmentation considérable du nombre des prisonniers, qui a déjà dépassé les 80 000 cet hiver. Sans cesser de chercher les moyens de répondre à ce brutal coup d’accélérateur de la coercition tous azimuts, nous continuerons dans les temps qui viennent à en détailler ici les orientations et les conséquences.

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