Catégorie : Textes de L’Envolée

  • Quel Noël pour les prisonnières de la MAF des Baumettes, à Marseille ?

    Quel Noël pour les prisonnières de la MAF des Baumettes, à Marseille ?

    « De 22 heures à 22 h 30, on a tapé aux barreaux en disant : ‘Justice ! Dupont-Moretti !’ »

    À Marseille, depuis plusieurs mois, les prisonnières de la MAF (maison d’arrêt pour femmes) des Baumettes dénoncent la détérioration de leurs conditions de détention et les violences pénitentiaires qu’elles subissent.

    Conditions de vie ? De survie, plutôt !

    Comme dans les autres prisons de France, le quotidien des prisonnières de la MAF s’est encore dégradé avec la crise du coronavirus, mais un nouveau cap a été franchi depuis deux mois.

    Les activités hors des cellules sont suspendues ; en promenade, l’eau a été coupée, ce qui signifie que les prisonnières restent plusieurs heures sans pouvoir se désaltérer ni aller aux toilettes. Le lien avec les proches est mis en péril par la fermeture des UVF (unités de vie familiale) et des relais enfants et par la réduction de moitié de la durée des parloirs. Les produits cantinés arrivent en retard, voire pas du tout. Quant aux colis de noël — le petit extra alimentaire toléré chaque année par l’administration –, aucune denrée dite périssable n’est plus acceptée.

    « On est séparés par une vitre, donc on peut pas approcher nos familles ; c’est impossible, pour nous. La vitre part du sol et monte jusqu’au plafond. »

    [Témoignage du 23 décembre.]

    « C’est urgent, la prison est en feu, les détenues sont à bout. On est plusieurs femmes à dénoncer tout cela. […] Ça fait plus de deux mois que ça dure. »

    [Témoignage du 24 décembre.]

    Toujours plus d’isolement !

    Le comité de riverains qui a dénoncé des « nuisances » liées à la prison est largement responsable de la progressive disparition des rares espaces de liberté et d’entraide gagnés au fil du temps par les prisonnières. Depuis l’installation de fenêtres antibruit dans les cellules, les échanges sont devenus quasiment impossibles (voir L’Envolée N°52 : ) : finis les échanges de nourriture ou de petits mots de fenêtre à fenêtre au moyen de « Yoyos », finies les discussions de cellule à cellule, finis les parloirs sauvages avec les proches venus crier leur amour ou leur soutien de la rue. De plus, la vie en cellule est devenue intenable à cause de la chaleur et du manque d’aération.

    « Du 2e au 4e étage, tu n’as aucune possibilité d’ouvrir une fenêtre. Tu as des fenêtres fixes, avec des petits trous sur le côté sur une paroi en fer. Mais c’est le seul truc où l’air peut passer dans ta cellule. Je te donne un exemple : je pouvais pas faire à manger. Tu peux pas te permettre de faire des frites : tu vas sentir la friture à 400 km ! Tu as tout dans la même pièce : ton linge, tes affaires… »

    [Témoignage du 23 décembre]

    Violences pénitentiaires

    Pour éviter que les prisonnières ne contestent les conditions de survie qui leur sont imposées, la gestion de la détention s’est durcie. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, les prisonnières ont notamment subi une « fouille sectorielle » d’une extrême violence dans la nuit du 3 au 4 novembre dernier. Les Eris (équipes régionales d’intervention et de sécurité, créées en 2003 pour militariser le maintien de l’ordre dans les prisons) ont insulté, frappé, humilié et fouillé les prisonnières à nu ; et aussi saccagé les cellules.

    « On a fait un blocage, du coup, et finalement c’est les Eris qui sont venus. Ils ont quasiment massacré les filles. Y a quand même une fille qui a fini au cachot pendant vingt jours avec la mâchoire cassée. C’est assez costaud, quand même. »

    [Témoignage du 23 décembre]

    « Un des Eris a tordu le bras à une fille, et elle s’est retrouvée à plus bouger du tout, de la mâchoire au bras. Il y est allé avec un pied sur la tête, l’autre pied sur le bras. Ils l’ont mise à poil ; ce sont des hommes qui l’ont mise à poil, et pas des femmes. »

    [Témoignage du 25 décembre]

    Fouilles abusives et humiliantes

    Les prisonnières des Baumettes dénoncent aussi les pratiques plus quotidiennes des ELSP (équipes locales de sécurité pénitentiaire). Intégrées à la prison, ces équipes directement inspirées du modèle des Eris sont venues remplacer les Elac (équipes locales d’appui et de contrôle) en 2019, faisant encore monter d’un cran la militarisation. Depuis des mois, les fouilles à nu sont les violences les plus régulièrement dénoncées par les prisonnières. Elles sont en effet fréquentes depuis mars, et presque quotidiennes depuis quelques semaines.

     « Moi, j’ai été fouillée trois fois en un mois par les ELSP. Normalement c’est la surveillante qui vient pour la fouille mensuelle, mais de temps en temps c’est les ELSP qui viennent pour tout te retourner. Pour les fouilles, normalement, on se déshabille, on se retourne. Mais là, il faut lever la jambe droite vers le côté droit, la jambe gauche vers le côté gauche… Comme un chien. Comme si on pissait. Et ce sont des fouilles qui se font à trois surveillantes, et y en a une qui se baisse et qui regarde entre les jambes. Ils ont tout l’équipement de protection, mais nous on est à poil, ils en ont rien à foutre. […] Là, c’est stop, quoi. Je suis pas rentrée en prison pour vivre ça.  Ils ont regardé mes parties intimes, c’est un viol ! Plus les placages, nue, par les ELSP, parce que je lève pas la jambe. Je ne suis pas un chien, pour lever la jambe ! J’en peux plus. »

    [Témoignage des 24 et 25 décembre]

    « Normalement t’as a une fouille mensuelle, toutes les cellules sont fouillées chaque mois ; ça, y a pas de soucis. Là c’est perpétuel, tout le temps : quand tu descends au parloir, t’es fouillée. Tu remontes : t’es fouillée. […] A un moment donné il faut que ça s’arrête. Qu’ils fassent des fouilles, OK, mais y a un minimum de respect à avoir. C’est pire à la MAF que chez les hommes. Chez nous, ça arrive qu’ils te menottent, ils te jettent au sol, ils t’écartent les jambes. Y a une certaine limite. […] A un moment, c’est bon de se déshabiller tout le temps. Moi, j’ai 30 ans, donc tu vois, ça passe, mais je descendais avec une mémé qui avait quand même 64 ans. Au bout d’un moment, elle me regardait, limite elle était à deux doigts de pleurer. »

    [Témoignage du 23 décembre]

    « C’est des fouilles au corps avec menottes, jambes écartées. Elles regardent dessous nos parties intimes à 3, 4 surveillantes. T’as des coups de pieds quand tu veux pas. […] Cette semaine, c’était six fouilles. Elles ont donné des coups de pieds à cause  de mon refus d’écarter mes fesses. Placage au sol nue, à trois sur moi. J’avais rien du tout… J’en peux plus. […] Tous les jours elles débarquent, c’est invivable ! Grave de chez grave tout ce qui ce passe. Les ELSP hommes restent avec le chef de détention à ma fouille à corps nue, c’est grave ! »

    [Témoignage du 24 décembre]

    Résistances et solidarité !

    Malgré tout, de nombreuses prisonnières de la MAF font part de leur inquiétude à l’extérieur, et se mobilisent de différentes manières : début novembre, elles refusaient de remonter de promenade ; depuis, elles multiplient les recours juridiques ; et dernièrement, elles appellent à faire un maximum de bruit tous les jours et à boucher les œilletons tous les matins à 7 heures.

    « Entre les prisonnières, c’est comme partout, hein : y a des gens bien, et d’autres qui sont moins bien. Mais y a une méchante solidarité ; malgré les disputes et certaines embrouilles, y a vraiment une méchante solidarité. »

    [Témoignage du 23 décembre]

    « De 22 heures à 22 h 30, on a tapé aux barreaux en disant :  ‘Justice, Dupont-Moretti !’ » Ça a fait péter les plombs aux bleues. »

    [Témoignage du 25 décembre]

    « Je vous dis : tapez à une fenêtre, à la plaque de fer qui coupe votre respiration toute la journée. Où votre oxygène ne se renouvelle pas. La moitié de votre cerveau, elle est paralysée parce que votre oxygène ne se renouvelle pas. Vous chiez dans votre cellule, ça part pas. Vous vous douchez, ça part pas… Tapez dessus, tapez dessus ! »

    [Témoignage du 19 décembre]

    « Je veux faire de gros bisous à la MAF, encourager toutes les filles à rester fortes et à ne pas se laisser aller par rapport à tout ce qui se passe. Même si certaines ne l’ont pas encore subi, on est toutes à l’intérieur, et c’est susceptible d’arriver à toutes. Parce que vous avez toutes vu : que l’on soit agitée ou pas agitée, eh ben ça peut arriver à n’importe quelle personne. »

    [Témoignage du 19 décembre]

    Parloir Libre est une émission de dédicaces pour les prisonniers et les prisonnières des Baumettes et leurs proches, tous les samedis de 19h à 21h et tous les jeudis de 20h30 à 22h. Sur Radio Galère 88.4FM.

    L’Envolée, l’émission pour en finir avec toutes les prisons, donne la parole aux prisonniers, prisonnières et à leurs proches. Émission de radio chaque vendredi de 19 à 20h30 sur FPP 106.3 en région parisienne et MNE 107.5 à Mulhouse, sur RKB 106.5 en centre Bretagne les lundis à 22h, et sur les webradios Pikez (dimanche à 11h) et Station Station (lundi à 13h). Podcasts disponibles sur toutes les plateformes de podcast.

    Notre numéro de téléphone : 07.52.40.22.48 (whatsapp, telegram, signal, appels et textos). Pour écrire : Radio FPP – L’Envolée, 1 rue de la solidarité, 75019 Paris, ou encore à lenvolee.net et sur instagram, twitter, facebook & snapchat.

  • Encore un « suicide » au mitard de Seysses : « trop de frangins sont morts »

    Encore un « suicide » au mitard de Seysses : « trop de frangins sont morts »

    Jules est mort au mitard de la maison d’arrêt de Seysses dans la nuit du 5 au 6 décembre. Il avait 20 ans. L’administration pénitentiaire prétend qu’il s’est pendu, mais les prisonniers sont formels : Jules ne s’est pas suicidé.
    Ils sont très nombreux à témoigner, et c’est toujours la même équipe qui est mise en cause ; ce sont toujours les prénoms des mêmes surveillants qui ressortent. Le pire, c’est que ça fait des années que ça dure.
    En 2018 déjà, après la mort de Jaouad, des prisonniers avaient demandé dans un communiqué que les membres de cette équipe soient dispersés ou mutés hors du quartier disciplinaire, mais rien n’a été fait. Rien n’a bougé. Jules, Jaouad, Mehdi… la liste des morts suspectes au quartier disciplinaire de cette taule ne cesse de s’allonger sans que soit jamais entendue la parole des prisonniers qui ne cessent de dénoncer cet escadron de la mort, comme ils le nomment. Pas un seul surveillant n’a été inquiété.

    À la mort de Jaouad en 2018, il y a eu des refus de remonter de promenade et une banderole portant les mots « matons assassins » a été déployée dans la cour de promenade peu après la publication du communiqué dans lequel des prisonniers de Seysses criaient leur détresse ; la seule réponse de Belloubet, ministre des tribunaux et des prisons de l’époque, a été de déclarer à la presse qu’elle condamnait « ces allégations » et se réservait le droit de porter plainte contre ceux qui les relayaient. Même pas peur…
    Pas question de passer sous silence le régime de terreur qui fait peser une menace mortelle sur la tête des prisonniers de Seysses. Manifestement visée, L’Envolée avait même encouragé la ministre à porter plainte… Un procès, c’est l’occasion en or de cuisiner à la barre les surveillants incriminés par tous les témoignages !

    En effet, tous les prisonniers qui décident de témoigner parlent invariablement de la même équipe, celle du mitard ou quartier disciplinaire  ce lieu clos, à l’abri de tous les regards, où règne la peur. Ils décrivent souvent les mêmes faits : amenés au quartier disciplinaire, ils y ont subi une prise qui leur a fait perdre connaissance  sans doute une des techniques de pliage mortelles enseignées à l’école de police… et aussi aux surveillants. Certains racontent qu’ils se sont ensuite réveillés nus, couverts de sang et d’hématomes, et qu’il ne leur a pas été permis de voir un médecin malgré leurs nombreuses demandes. Certains sont terrorisés au point de dire qu’ils ont « une chance sur deux » de sortir vivants du mitard ; c’est dur à entendre… et encore plus dur à vivre.

    Marre de cette impunité, marre que la voix des enfermés soit toujours réduite au silence…
    Voici quelques extraits des innombrables témoignages de prisonniers de Seysses sur le mitard et ce qui s’y passe.

    Ma femme connaît la femme de Jules : il l’a appelée trois fois pour dire qu’ils l’avaient mis à nu et qu’ils l’ont defoncé. Au final, elle a essayé de rappeler, et plus de nouvelles. Ils l’ont démonté, mais il s’est pas pendu, parce qu’avant la dinguerie, il était au téléphone avec sa femme. Il faut pas lâcher, il faut que sa famille porte plainte.

    Je suis resté longtemps à Seysses, ils ont failli me tuer. Ils ont tout fait pour me traîner aux isolés, ils m’ont fait une prise de sommeil ; je me suis réveillé au quartier disciplinaire, à poil – obligé de mettre le feu pour sortir.

    J’étais à Seysses en 2009, je suis allé au mitard ; ils m’ont tabassé, ils m’ont mis à poil avec les menottes aux mains et aux pieds, j’avais des bleus partout. Même le médecin – obligatoire –, ils me l’ont pas fait voir. Ils font ce qu’ils veulent. Les surveillants nous mettent à l’amende. Faut pas lâcher la famille de Jules. Il faut qu’ils payent tout ce qu’ils font.

    J’ai été à Seysses, ils ont tué Jaouad.
    J’ai vu plus d’un collègue rentrer au cachot, mais j’en ai pas vu beaucoup ressortir.
    La loi du mitard et celle du bâtiment n’ont rien à voir. On sait tous ce qui se passe au bâtiment disciplinaire : ils maquillent tout en suicide. Faut que la vérité sorte. Maintenant trop de frangins sont morts. C’est pire que l’omertà : tous complices, tous du sang sur les mains. J’ai fait trois ans au MAH 2 [bâtiment 2 de la maison d’arrêt des hommes] : y a pas de règles pour eux.

    Je suis sorti de Seysses le 8 décembre, c’est une prison où tu te lèves le matin et tu sais pas comment tu vas finir ta journée. Les surveillants sont très solidaires entre eux et camouflent beaucoup de choses. J’ai vu des mecs partir au mitard en mode avion et se faire éclater. J’étais auxi d’étage, et tu vois beaucoup plus de choses que les détenus qui taffent pas.

    Ils m’ont fait pareil à Seysses. Ils m’ont écrasé la tête, j’ai perdu connaissance. Fallait pas que je meure ; je pensais à mon fils quand ils m’écrasaient la tête à coup de Rangers sur le sol en béton. Pour tous les morts et tous les disparus, il faut le dénoncer.

    Mon beau-frère aussi a été retrouvé pendu au mitard. On a porté plainte… trop de trucs bizarres. On a même pas pu récupérer les affaires, elles avaient disparu.

    Moi aussi, j’étais à Seysses. À l’époque, ils ont dit qu’un jeune s’était suicidé : il avait les côtes cassées.

    Une année, à Seysses, après un refus de réintégration de cellule, je finis au mitard. Le deuxième soir, on entend un gadjo qui arrive en criant en rebeu de toutes ses forces ; on entend la serrure se refermer, et tandis que les matons s’arrachent, on continue d’entendre crier cet homme – qui devait être sans-papiers, donc personne à qui rendre des comptes –, puis d’un seul coup, on entend l’ouverture de la cellule et un brouhaha, un enchaînement de cris et de coups, puis plus un mot, puis la fermeture de la cellule.
    Je m’en souviendrai toute ma vie.
    Le lendemain matin, on nous fait sortir du mitard – nous étions deux ou trois à ce moment-là, sans compter le blédard – et là, dans le couloir, un sac mortuaire rempli… On nous a fait sortir du mitard en avance, juste au moment où les gengens arrivaient pour constater la mort de ce Monsieur.
    Seysses est la prison de France où il y a le plus de suicides… maquillés !

    Mon cousin aussi, à Seysses, il s’est soi-disant pendu au mitard, alors que les légistes ont relevé des bleus sur tout son corps. Il lui restait plus beaucoup à faire, il avait des enfants à l’extérieur… aucune raison pour lui de se pendre, vraiment. Faudrait se rassembler pour faire quelque chose à chaque décès, ou pousser un coup de gueule. Il faudrait vraiment aller plus loin dans les démarches. Courage aux familles pour tout ce qui se passe par là… Je sais que c’est dur.

    Solidarité avec les prisonniers de la Maison d’Arrêt de Seysses et les proches de Jules !
    On lâchera pas l’affaire.

  • Demande de mise en liberté par les prévenu.e.s : mode d’emploi

    Demande de mise en liberté par les prévenu.e.s : mode d’emploi

    Depuis la décision de la cour de cassation en juillet 2020, le juge de la liberté et de la détention (JLD) peut libérer des prévenus pour mettre fin à des conditions indignes de détention et un traitement inhumain : ce fut le cas pour un prisonnier de Nouméa, libéré le 12 octobre dernier. Il y a donc une petite occasion à saisir – on ne sait pas pour combien de temps encore.

    Pour être valable, il faut que la demande de mise en liberté (DML) soit posée par le prisonnier en détention provisoire lui-même. Dans cette DML, il faut prouver que les atteintes à la dignité humaine sont « crédibles, précises, actuelles et personnelles ». Vous devez donc prouver que vous subissez personnellement ce traitement inhumain. Comme il n’y a pas de définition officielle de ce que sont des « conditions indignes » et un « traitement inhumain », c’est à vous de décrire ce que vous subissez. Voici quelques éléments qui ne sont pas exhaustifs : moins de 3,4 m² par prisonnier en cellule, présence de matelas au sol, pas d’accès à l’air, temps trop long passé en cellule, manque d’accès à la lumière directe, manque d’accès au soins, insalubrité de la cellule, absence d’intimité pour aller aux toilettes, etc. Il vous faudra compléter la description de ces conditions de détention avec des preuves confirmant vos affirmations. Il faut donner le plus d’éléments tangibles pour prouver ces faits. Il peut s’agir de photos, par exemple. Mais il peut aussi s’agir de rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté sur l’état de la prison où vous êtes enfermés, ou de décisions de justice qui auraient préalablement condamné cet établissement. Le JLD engagera ensuite les démarches pour confirmer ou non cette situation.

    Voici un exemple de lettre type (établie avec un avocat). Complétez ce qui correspond à votre situation particulière. Ecrivez au chef de détention afin de pouvoir aller déposez la DML au greffe, qui la transmettra au JLD. Soyez le plus précis possible. Vous trouverez ici aussi une liste de décisions qui concernent certaines prisons que vous pouvez citer pour appuyer votre demande.

    Madame, Monsieur,

    Par la présente, je demande ma remise en liberté, étant actuellement enfermé dans des conditions inhumaines et dégradantes, sur le fondement de la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt n°1400 du 8 juillet 2020 (20-81.739)

    Je suis enfermé à [établissement pénitentiaire] depuis le [date], soit depuis [X] mois. Dans cet établissement, j’ai occupé les cellules [X]. J’occupe actuellement la cellule n° [X].

    Taille de la cellule : Celle-ci mesure selon moi environ [X] m². Cet espace est toutefois réduit par le mobilier qui s’y trouve, à savoir [X]. Depuis le [X], nous sommes [X] dans cette cellule. Nous avons donc chacun un espace personnel très réduit, ce qui nous oblige à [exemples de conséquences : impossibilité d’être debout tous en même temps dans la cellule, obligés de rester sur les lits quand un des occupants veut se déplacer dans la cellule, quelqu’un dort par terre, etc.]

    État de la cellule : Cette cellule, comme le reste de la prison, est par ailleurs vétuste, sale et mal entretenue. [décrire la cellule : humidité, peinture qui s’écaille, rouille, chauffage défaillant, etc.]

    Ouverture : La seule ouverture sur l’extérieur est la fenêtre qui mesure environ [X]. On a du mal à aérer et la lumière naturelle n’entre pas suffisamment. [précisez le nombre de grilles, la présence de caillebotis, etc.] Du coup, on est obligé de laisser le plafonnier tout le temps allumé pour voir quelque chose.

    Toilettes : [décrire : état d’entretien, cloison, rideau de séparation, proximité avec les lieux de prise de repas, etc.]

    Temps passé en cellule : Je n’ai la possibilité de sortir de ma cellule que pour [décrire et donner le temps]. Donc, je subis ces conditions de détention [nombre d’heures] sur 24.

    Mes propos sont corroborés par la décision [n° X de la décision de condamnation] de [nom de l’instance daté de la décision] et/ou par le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté [n° de la décision] daté du [date de la décision].

    Compte tenu de ces conditions de détention inhumaines et dégradantes, je vous demande de me remettre en liberté. Je peux d’ailleurs être hébergé à l’extérieur chez [X].

    Liste des prisons françaises déjà condamnées pour conditions indignes de détention :
    CP de Baie-Mahault : TA de Basse-Terre, 16 mars 2018, n° 1800020
    CP de Ducos : CAA Bordeaux, 17 février 2015, n° 14BX01991
    CP de Faa’a-Nuutania : TA Ref. Polynésie française, 21 janvier 2016, n° 1500662
    CP de Liancourt : CAA Douai, 15 juin 2010, n°09DA00256
    CP de Nouméa-Camp Est : TA Nouvelle-Calédonie, 10 octobre 2013, n° 1200341
    CP d’Orléans-Saran : TA Orléans, 3 juin 2014, n° 1300257
    CP de Rémise-Montjoly : CAA Bordeaux, 4 octobre 2011, n° 10BX03217
    MA d’Amiens : CAA Douai, 1er juillet 2010, n° 10DA00079
    CP de Saint-Quentin-Fallavier : CEDH, 10 novembre 2011, Plathey c. France, n° 48337/09
    MA d’Angers : TA Nantes, 29 septembre 2015, n° 1400842
    MA de Besançon : TA Besançon, 23 février 2012, n° 1101344
    MA de Caen : TA Caen, 6 novembre 2012, n° 1200277
    MA de Basse-Terre : TA Ref. Basse-Terre, 17 octobre 2014, n° 1400536
    MA de Bois D’arcy : CAA Versailles, 5 juin 2015, n° 11VE03158
    MA de Cherbourg : TA Caen, 26 juin 2014, n° 1100895
    MA de Clermont-Ferrand : CAA Lyon, 31 mars 2016, n° 10LY01546
    MA de Coutances : TA Caen, 7 avril 2016, n° 1500038
    MA de Douai Cuincy : TA Lille, 6 novembre 2014, n° 1204493
    MA de Dunkerque : TA Lille, 18 janvier 2012, n° 1005824, n°1006267
    MA de Fleury-Mérogis : Conseil d’État, 30 décembre 2014, n° 364774
    MA de Fresnes : TA Melun, 28 avril 2017, n° 1703085
    MA de Grenoble-Varces : TA Grenoble, 30 avril 2014, n° 1103756
    MA de La Roche-sur-Yon : TA Nantes, 12 janvier 2012, n° 1100598
    MA de Marseille-Baumettes : Conseil d’État, 22 décembre 2012, Section française de l’Observatoire international des prisons, n° 364584
    MA de Mulhouse : TA Strasbourg, 3 juillet 2013, n° 1102199
    MA de Nanterre : TA Versailles, 8 juillet 2011, no 0910656
    MA de Nantes-Carquefou : CAA Nantes, 10 avril 2014, n° 13NT00633
    MA de Nîmes : Conseil d’État, 30 juillet 2015, Section française de l’Observatoire international des prisons, n° 392043
    MA de Reims : TA Châlons-en-Champagne, 24 mars 2015, n° 1301527
    MA de Rouen : CAA Douai, 10 juillet 2012, n° 11DA01405
    MA de Saint-Brieuc : TA Rennes, 28 novembre 2014, n° 1302079
    MA de Saint-Étienne La Talaudière : TA Lyon, 25 septembre 2018, n° 154125.
    MA de Paris la Santé : CAA Paris, 12 janvier 2012, n° 11PA01590
    MA de Tours : TA Ref. Orléans, 14 juin 2012, n° 1200333
    MA de Valenciennes : CAA Ref. Douai, 7 janvier 2013, n° 12DA01478
    CP de Baie-Mahault, CP de Ducos, CP de Faa’a-Nuutania, MA de Fresnes, MA des femmes de Nice, MA de Nîmes : Cour européenne des droits de
    l’homme pour conditions indignes de détention (arrêt J.M.B. et autres c. France, 30 janvier 2020)
    MA de Fleury-Mérogis : CEDH, 21 janvier 2011, Payet c. France, n° 19606/08
    MA de Nancy-Charles III : CEDH, 25 avril 2013, Canali c. France, n° 40119/09.

    Vous pouvez aussi vous appuyez sur les rapports du Controleur Général des Lieux de Privation de Libertés : tous les rapports sont disponibles à la suite de ce lien. S’il y a plusieurs rapports, on vous conseille de prendre le plus récent.

    Nouveauté importante, cf émission du 27 novembre :

    « La description très générale des conditions très dégradées de détention (en l’occurrence, Fresnes) suffit à contraindre la chambre de l’instruction, saisie en appel d’un refus de DML, à effectuer des vérifications complémentaires pour apprécier le caractère crédible, précis et actuel de cette description. On ne peut exiger du détenu qu’il démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention, ni leur incidence sur sa santé »

    Cass. Crim., 25 nov 2020 , n°20-84.886, dispo sur le site de la cour de cassation

  • Les parloirs ? Toujours confinés !

    Les parloirs ? Toujours confinés !

    Le 17 mars 2020, pour cause d’épidémie, la ministre des prisons suspendait les parloirs dans les prisons de France… initialement pour quinze jours. Six mois plus tard, malgré les mobilisations dedans comme dehors, les prisonniers, prisonnières et leurs proches sont loin d’avoir retrouvé les conditions d’avant. Sous prétexte de sécurité sanitaire, ils et elles subissent des mesures punitives, arbitraires et infantilisantes. Petit tour d’horizon non exhaustif de prises de parole et de mobilisations.

    Après deux mois de suspension totale, les parloirs ont rouvert après le « déconfinement » général du 11 mai. Mais à quelles conditions ! Sous prétexte de limiter l’entrée du virus en prison, les enfermé.e.s et leurs visiteurs n’ont, en septembre 2020, toujours pas le droit au contact physique. Et la surveillance est souvent pointilleuse et intrusive. Toucher ses enfants, parents, amoureux, etc., c’est prendre le risque de partir en quatorzaine (= isolement total) et de se faire suspendre son permis de visite !

    Double punition : les prisonniers et leurs visiteurs sont très souvent séparés par des plexiglas afin d’éviter tout contact. Nombreux témoignages racontent à quel point ces vitres, infâmes, empêchent aussi de s’entendre, de se comprendre, obligent à crier, créant un climat de stress lors de ce moment si précieux. Suite aux nombreuses protestations, parfois même devant la justice, les vitres ont progressivement été remplacées, rapetissées, aménagées… mais elles existent toujours ! Et l’interdiction des contacts aussi !

    En plus, le port du masque, strictement interdit en détention, est pourtant souvent obligatoire au parloir, même avec une vitre de séparation. On suffoque, on se comprend encore moins, on se voit mal. Mais baisser le masque peut être prétexte à une suspension de permis de visite, au bon vouloir des matons… comme d’hab’ !

    Dans un texte (du 22 juin, mais toujours d’actu !), des proches dénoncent : « Un enfant doit retourner à l’école, mais n’a pas pu embrasser son parent depuis 3 mois… il doit se contenter de le regarder derrière une vitre, comme au zoo. (…) C’est leur habitude de nous traiter comme des moins que rien, et on sait bien que ce qui les préoccupe, ce n’est pas la santé des détenus. »

    Dans certaines prisons, les prisonniers doivent même signer une charte d’engagement pour aller au parloir : promettre qu’ils vont « respecter les gestes barrières » et surtout ne pas toucher leurs proches, sous peine de sanctions graves, pour éviter les contaminations, car « la situation est l’affaire de tous ». Sans blague ? Oblige-t-on les parents d’élèves, les profs, les policiers, les surveillants, les clients de supermarché, etc., à signer ce genre de document ?

    Charte que les prisonniers et prisonnières de Fresnes doivent signer avant les parloirs

    Cerise sur le gâteau : les bornes pour prendre les rendez-vous parloirs sont mises hors service. Elles transmettraient le virus ?! (Pourtant, docteur, on dirait que celles du MacDo et du Géant Casino ne le transmettent pas ?) Donc, la seule solution est de téléphoner pour réserver des parloirs : dans de nombreuses prisons, le service est saturé, chaque prise de rendez-vous devient un exploit qui peut vous prendre des heures.

    Pour toutes ces raisons, beaucoup ont renoncé au parloir, ne peuvent plus maintenir leurs seuls liens affectifs, ce qui les maintient souvent debout en prison.

    De nombreux récits rappellent que ces mesures ne sont réservées qu’aux prisonniers et leurs proches : les surveillants entrent et sortent de prison et touchent leurs proches. Puis ils palpent et fouillent les prisonniers, sans appliquer toujours les fameux gestes barrières : beaucoup rapportent que des surveillants ne portent pas de masques ni de gants, etc. « Imaginez-vous si depuis quatre mois on vous disait que vous n’avez pas le droit de toucher les gens que vous aimez. Mais par contre les autres qui bossent avec vous ils peuvent vous toucher, eux ils ont le droit. » (en juillet sur France Bleu)

    Dans le gymnase de la prison de la Santé, les surveillants se sont même offerts un petit gala de boxe avec leurs compagnons policiers le 1er septembre. Alors que pour une caresse au parloir, tu prends 14 jours d’isolement et un droit de visite suspendu. Ouais, y a de quoi suffoquer.

    Bien sûr, ces mesures sont hypocrites : les prisonniers n’ont toujours pas le droit de porter de masques en détention. L’hygiène minimale y est souvent inaccessible. L’unique traitement en cas de symptômes, de risques, ou de doutes, c’est la mise en quatorzaine, c’est-à-dire la mise à l’isolement dans des conditions souvent très dures (voir la lettre de Carla).

    Là où des cas de covid sont repérés, c’est parfois tout une prison qui est confinée en cellule, comme début août à la prison de Nancy : 120 prisonniers à l’isolement.

    En plus, « les détenus qui ont une permission doivent être isolés à leur retour pendant 14 jours, ce qui peut décourager certains. Pourquoi le contact avec le monde extérieur requiert un isolement de 14 jours pour un détenu, alors que le personnel de la maison d’arrêt va et vient tous les jours ? » (interview d’un prisonnier sorti de la maison d’arrêt La Talaudière) Donc, pour éviter cette quatorzaine, des prisonnier.e.s renoncent aux permissions de sortie. Mais le juge n’accordera pas d’aménagement de peine à celui ou celle qui n’aura jamais eu de permission de sortie. Donc toute perspective de respirer est repoussée…

    A l’extérieur, divers messages et pétitions ont circulé sur les réseaux sociaux. Par exemple :

    • « APPEL À TOUS LES DÉTENU(E)S ET LEURS PROCHES. Il est inadmissible que les parloirs, les salons et les unités de vie familiale ne soient pas redevenus à la normale. (…) Si nous nous battons tous ensemble nos dirigeants n’auront d’autres choix que de nous entendre. » (le 15 juillet sur la page Au delà des murs des prisons)

    Dans les prisons pour étrangers (Centres de rétention administrative), c’est la même merde. Les frontières sont fermées, il n’y a presque pas d’expulsions, mais l’état continue d’enfermer les personnes sans papier. La moindre suspicion de covid est prétexte à la fermeture des bâtiments, et surtout des parloirs, alors même que c’est le seul espace où on peut obtenir des cigarettes et de la nourriture mangeable. Alors les prisonniers des CRA aussi se mobilisent : à Marseille, Lyon, Toulouse, Nîmes…

    En Belgique c’est la même merde. Après la publication d’un article signé par des divers collectifs et associations, une cinquantaine de proches de détenus ont manifesté samedi 29 août devant la prison de Saint-Gilles pour demander à pouvoir à nouveau avoir des contacts physiques avec les membres de leur famille ou leurs amis.

    Nous le disions déjà en juin : en prison, quand nous perdons un espace de liberté, il est perdu pour longtemps. La seule solution pour éviter la propagation de l’épidémie en prison serait de faire sortir massivement les prisonniers et prisonnières. Pour de vrai.

    Dedans comme dehors, espérons que l’organisation collective des protestations permettra de déconfiner un peu.

    N’hésitez pas en tous cas à nous faire partager récits, protestations, initiatives et à échanger avec nous.

  • PRIVÉ·E·S DE PARLOIRS UN JOUR…  PRIVÉ·E·S DE PARLOIRS TOUJOURS ?

    PRIVÉ·E·S DE PARLOIRS UN JOUR… PRIVÉ·E·S DE PARLOIRS TOUJOURS ?

    Le 31 mai 2020 par des proches de prisonniers enfermés à la maison centrale de St-Maur (36), au QMC de Réau (77), au QI d’Annœullin (59), à la maison centrale de Lannemezan (65), à la MA de La Talaudière (42), à la MA de La Santé (75), au CD de Nantes (44), à la MA de Rennes (35), à la MA de Ploemeur (56), au CD de Châteaudun (28), à la MA de Châlons-en-Champagne (51), avec Zorro, ancien prisonnier, et L’Envolée.

    Depuis le déconfinement du 11 mai, on entend dire que les parloirs sont rétablis mais c’est toujours le même mépris qui est subi par les prisonnier.es – et par nous-mêmes qui les visitons – depuis le début de la « gestion » de l’épidémie. Une gestion sécuritaire plus que sanitaire. Nous avons vécu la suppression des parloirs comme une mesure punitive et infantilisante ; leur pseudo rétablissement l’est tout autant. Et nous refusons que cela dure !

    Les visites à nos proches enfermé.es ont été brutalement supprimées le 17 mars, les privant de l’aide matérielle, du soutien moral, de l’amitié, de la solidarité, de l’amour que nous leur apportons chaque fois que nous mettons un pied dans ces horribles prisons. Pendant les deux mois de suspension des parloirs, nous n’avons eu de cesse d’exiger leur rétablissement immédiat. Rappelons que c’est la principale raison des mouvements de révolte qui ont alors éclaté. A l’heure où la direction de l’AP se flatte d’avoir éteint ces mouvements à force de transferts disciplinaires et de promesses de RPS (remises de peines supplémentaires), nous répétons que les prisonnier.es, nos compagnons, nos compagnes, nos amis, nos frères, nos sœurs, nos enfants… ont eu raison de se révolter.

    La suppression des parloirs était une mesure liberticide. Faute de masques, de tests et de solution hydroalcoolique à distribuer, et plutôt que de libérer massivement les prisonnier.es en urgence par une loi d’amnistie, l’État a considéré que les prisonnier.es et leurs proches ne seraient pas capables d’appliquer les fameux « gestes barrières ». A la recherche d’une solution adaptée à notre situation particulière, il a préféré la suppression pure et simple de ce dernier espace de liberté. Nous avons inlassablement souligné qu’il s’agissait bien d’un « motif familial impérieux » : rien n’y a fait. Dehors, des couples séparés ont pu se partager la garde de leurs enfants, mais les familles séparées par la prison ont été privées du droit de se retrouver ne serait-ce que quelques heures sans que la mesure soulève la moindre interrogation. Pourquoi était-ce une évidence ? Sort-on de l’humanité en rentrant en prison ? N’y avait-il plus de larmes pour les prisonnier.es dans un pays qui laissait déjà mourir ses anciens dans des Ehpad devenus prisons à leur tour ? A-t-on jugé politiquement intenable d’assurer le maintien d’un droit élémentaire aux prisonnier.es et leurs proches au moment d’imposer des conditions de vie carcérales à l’ensemble de la population ? Ou tout simplement, était-il plus « gérable » pour l’administration pénitentiaire (AP) de devancer les exigences des syndicats de surveillants ?

    Il semble qu’à ce jour, aucune prison ne soit devenue un foyer épidémique massif. Espérons que cela continue ; peut-être comprendrons-nous un jour pourquoi. D’ici là, ne laissons pas dire que la non-contamination massive des prisons est due à une bonne gestion de l’épidémie par l’AP. La preuve : quand le virus est entré ici et là (il n’y a pas de chiffre global), ce sont les surveillants qui l’ont amené avec eux, ainsi que les personnes que la justice a continué à incarcérer – en moins grand nombre que d’habitude, mais tout de même. L’affirmation que la suppression des visites a été bénéfique sert à justifier ce qui nous est aujourd’hui imposé en guise de parloirs. « Les parloirs seront limités à une personne, pour une heure maximum, une fois par semaine, avec des règles sanitaires drastiques [comme le port du masque et l’interdiction absolue de tout contact]. Nous savons que cela va être dur pour un détenu qui n’a pas vu sa femme depuis deux mois de ne pas lui prendre la main. » « Dur » ? C’est le moins qu’on puisse dire, Monsieur le directeur de l’AP. Disons aussi que ces règles sont méprisantes, infantilisantes, humiliantes, et au final… punitives !

    Une personne par visite, âgée de plus de 16 ans et de moins de 65 ans, une fois par semaine. Rappelons que les parloirs sont limités à six personnes en temps normal et que nous aurions pu comprendre de ne pas venir à plus de deux ou trois. Concrètement, cette mesure empêche les enfants de voir leurs parents. Alors que l’on incite les enfants à retourner dans des écoles qui ressemblent de plus en plus à des prisons, au nom de quoi les prive-t-on de parloir ? Combien de temps devront-ils encore attendre pour voir leur papa ou leur maman ?

    Ces règles instaurent des parloirs-express d’une durée de 30 minutes à une heure ; une mesure qui a déjà des conséquences très graves, notamment dans les établissements pour peine (centres de détention et centrales), car nombre d’entre nous renoncent à traverser la France pour une demi-heure ; Sans compter la limite des 100 kilomètres qui nous a exposé à une amende pendant quinze jours (1).

    Même si elle disparait le 2 juin, cette restriction initiale des 100 kilomètres aura renforcé notre détermination à réaffirmer une revendication que prisonnier.es et proches  portons depuis des dizaines d’années : le rapprochement familial et la fin des transferts disciplinaires qui éloignent les prisonniers à l’autre bout de la France. Nous exigeons que nos proches soient enfermés au plus près de nos lieux de vies pour que nous n’ayons plus à choisir entre un plein d’essence et un caddie pour nourrir les nôtres.

    Ces règles généralisent les parloirs « hygiaphone ». C’est le retour en force d’une mesure disciplinaire dégradante que les prisonnier.es ont combattu pendant des années : la vitre de séparation. L’absurde nous impose même le plus souvent de porter un masque derrière ce plexiglas. Non seulement on ne se touche pas, mais on ne s’entend pas, on se voit mal et on se comprend difficilement.

    Ces règles sont soumises à l’arbitraire des agents de la pénitentiaire. Nous savons déjà qu’elles ne s’appliquent pas de la même manière d’une prison à une autre, d’une heure à l’autre, d’un surveillant à l’autre. Une fois de plus, nous nous trouvons toujours un peu plus isolé.es face au sort qui nous est fait.

    Ces règles sont clairement punitives. Si nous nous prenons la main, notre droit de visite peut être supprimé et nos proches incarcéré.es placé.es à l’isolement pendant quatorze jours. Des surveillants épient en permanence nos moindres faits et gestes. En plus de nous infantiliser, cette surveillance constante ne nous laisse plus aucune intimité, aucune possibilité d’échanger sur des questions personnelles.

    Ces règles ne protègent pas les prisonniers. Nous sommes contraints de porter des masques – non fournis -, mais eux n’ont toujours pas le droit d’en porter en détention. Bien que les prisonnier.es fabriquent et lavent les masques de la pénitentiaire, on ne leur en donne pas. Pire : celles et ceux qui en portent se prennent des comptes rendus d’incidents. Et bien souvent lorsque nous proposons d’en apporter au parloir, on nous le refuse. Quant au gel hydroalcoolique, il est toujours interdit… au cas où quelqu’un voudrait se saouler avec ! Ne venez donc pas nous parler de prévention sanitaire. Rappelons encore une fois que surveillants et surveillantes rentrent tous les soirs dans leurs familles et qu’il est vraisemblable qu’ils se prennent dans les bras !

    Ces règles ont vocation à durer et l’absence de déclaration du gouvernement à ce sujet nous le confirme. S’il a fallu deux mois pour bricoler un système aussi ridicule et liberticide pour les parloirs, il faudra des mois, voire des années pour le faire disparaitre. Que l’épidémie reflue ou pas, cela ne changera pas fondamentalement la donne : en prison, quand nous perdons un espace de liberté, il est perdu pour longtemps. Et on peut craindre que la période serve de prétexte à l’introduction massive d’horribles visioparloirs qui se substitueraient progressivement à la chaleur des présences.

    A moins bien sûr, que nous trouvions la force – dedans aussi bien que dehors – de faire entendre nos exigences. Nombre de prisonnier.es refusent de se rendre au parloir pour combattre dès aujourd’hui l’avenir qui se dessine. Cette grève des parloirs n’est qu’un des nombreux moyens de lutte qui peuvent être déployés pour s’y opposer.

    Des proches de prisonniers enfermés à la maison centrale de St-Maur (36), au QMC de Réau (77), au QI d’Annœullin (59), à la maison centrale de Lannemezan (65), à la MA de La Talaudière (42), à la MA de La Santé (75), au CD de Nantes (44), à la MA de Rennes (35), à la MA de Ploemeur (56), au CD de Châteaudun (28), à la MA de Châlons-en-Champagne (51), avec Zorro, ancien prisonnier, et L’Envolée.

    Note :

    (1) Pour parer à l’absence de dérogation spécifique prévue par le gouvernement, des avocats ont proposé de regrouper les recours en cas d’amende. Pour être mis.es en relation avec eux si cela vous est arrivé, écrivez à contact@lenvolee.net.

  • Petit argumentaire juridique pour justifier d’aller voir un.e proche incarcéré.e à plus de 100 kilomètres de chez soi.

    Petit argumentaire juridique pour justifier d’aller voir un.e proche incarcéré.e à plus de 100 kilomètres de chez soi.

    Alors que les parloirs ont soi-disant repris depuis le début du déconfinement le 11 mai, et que les déplacements à plus de 100 km de chez soi sont soumis à de très nombreux interdits, nombreuses sont les personnes à se demander si elles peuvent ou non aller visiter leurs proches quand il ou elle est incarcéré.e à plus de 100 kilomètres. Aucune dérogation spécifique n’a été prévue par le gouvernement ; mais nous pouvons dores et déjà nous appuyer sur des éléments juridiques en cas de contrôles policiers pour éviter une verbalisation. En plus de vous munir d’une attestation dérogatoire en y cochant la case « motif familial impérieux » ou « assistance à une personne vulnérable », nous vous invitons à imprimer les éléments qui suivent lorsque vous vous déplacerez pour visiter votre proches. Ils ont été rédigé par un juriste. Si toutefois, un policier décidait de vous verbaliser, nous vous invitons à nous contacter (contact@lenvolee.net) ; nous vous mettrons en contact avec notre avocat qui portera collectivement les recours contre ces amendes.

    L’article 3 du décret du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire prévoit l’interdiction de tout déplacement conduisant une personne à la fois à sortir d’un périmètre défini par un rayon de 100 kilomètres de son lieu de résidence et à sortir du département dans lequel ce dernier est situé.

    Plusieurs dérogations à ce principe d’interdiction sont prévues par le décret.

    Sont permis notamment les déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables, pour le répit et l’accompagnement des personnes handicapées et pour la garde d’enfants.

    La principale difficulté réside dans l’imprécision du texte.

    Il existe en effet une grande incertitude sur ce qui peut être considéré comme « un motif familial impérieux » ou « l’assistance de personne vulnérable ». Le gouvernement ayant décidé de s’en rapporter au « discernement » des forces de l’ordre. Hum hum…

    L’imprécision du texte d’incrimination a déjà été dénoncée et le Conseil Constitutionnel sera bientôt amené à se prononcer sur la constitutionnalité du délit de « non-respect des obligations du confinement ».

    En attendant, une verbalisation est donc toujours possible même s’il apparait qu’une personne visitant un détenu devrait pouvoir invoquer un motif familial impérieux ou une assistance à une personne vulnérable.

    En effet, comme le rappelait à juste titre la circulaire du 20 février 2012 relative au maintien des liens extérieurs des personnes détenues : « Les visites concernent […] l’exercice d’un droit fondamental, celui du droit à la vie familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales »

    La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a consacré le droit au maintien des liens familiaux par l’exercice des permissions de sortir mais aussi des visites.

    Ainsi, « les personnes détenues, quelle que soit leur catégorie pénale, peuvent recevoir des visites de la part des membres de leur famille ou d’autres personnes » (circulaire du 20 février 2012 précitée).

    Le 7 mai 2020, sur France Inter, répondant à une question d’une  auditrice désirant voir son compagnon incarcéré à plus de 100 km de chez elle, Nicole BELLOUBET, Garde des sceaux, précisait :

    « Il nous a semblé très important, très important à partir du 11 mai […] d’accompagner ce mouvement social et de rouvrir les parloirs » La ministre indiquait que cette réouverture se ferait dans des conditions de sécurité sanitaire. Elle poursuivait en précisant que l’auditrice ne pourrait, pour ces raisons, toucher la main de son compagnon.

    S’agissant du franchissement de la limite des 100km elle précisait : « En revanche, sur la question de la distance, dans la mesure où il s’agit d’un rapprochement familial singulier il me semble qu’on pourra avoir là une dérogation ».

    Entendue par la commission des lois le 14 mai 2020 la Ministre de la justice indiquait :

    « Ce retour au droit commun, il s’impose dans les prisons […] surtout dès cette semaine, j’ai souhaité, avec le déconfinement, que l’on puisse recommencer les parloirs qui sont absolument essentiels pour les maintiens des liens familiaux… »

    Par ailleurs au-delà du cadre familial, il doit être considéré que toute personne privée de liberté –et ce quelle que soit ses conditions de détention- est une personne vulnérable.

    C’est la raison pour laquelle le législateur a étendu la possibilité des visites au-delà du cercle familial.

    Ainsi, « les personnes justifiant d’un intérêt autre que familial pour visiter une personne détenue peuvent obtenir un permis de visite. Il peut ainsi s’agir de personnes proches, de personnes appartenant au cercle amical ou de personnes constituant un soutien pour la personne détenue. Le soutien apporté peut prendre plusieurs formes: aide morale, aide à la préparation à la sortie ou à un projet de réinsertion, continuité d’une prise en charge commencée à l’extérieur, etc… »(Circulaire précitée).

    Enfin doit nécessairement être pris en compte le fait, que la vulnérabilité des personnes détenues a inévitablement été accrue par la période de confinement :

    –          Surpopulation carcérale et crainte d’une contamination,

    –          Suspension des parloirs,

    –          Suspension des activités…

    Dans ces conditions, une personne visitant un détenu doit pouvoir se prévaloir de la dérogation prévu au 4° du I de l’article 3 du décret du 11 mai 2020.

    Dans ce cas le décret prévoit que les personnes doivent se munir, lors de leurs déplacements, d’une déclaration indiquant le motif du déplacement accompagnée, le cas échéant, d’un ou plusieurs documents justifiant ce motif ainsi que d’un justificatif du lieu de résidence. Le modèle de cette déclaration est fixé par arrêté du ministre de l’intérieur.

  • Lettre ouverte à la ministre des tribunaux et des prisons

    Lettre ouverte à la ministre des tribunaux et des prisons

    «Nous, détenus, accusons
    le système judiciaire et carcéral de nous mettre en danger de mort
    et demandons immédiatement le désengorgement de toutes les prisons.
    Nous, détenus, sommes tout simplement au bord de la rupture
    qui s’est accentuée avec ce contexte anxiogène
    de la propagation du virus Covid-19. »i

    Madame la ministre des tribunaux et des prisons,

    L’Envolée a été fondée en 2001 par d’anciens prisonniers et prisonnières et des proches pour servir de porte-voix à celles et ceux qui savent ce qui se vit au jour le jour derrière les murs, loin des regards du fameux « peuple français » au nom duquel vous les condamnez.

    « Personne ne se préoccupe de notre état de santé. […]  Nous présentons des symptômes de fièvre, le nez qui coule, et la gorge qui pique. […] L’administration trouve une seule solution : “Vous vous étouffez pas ? Y a pas de souci à se faire !”» ii

    Vous ne protégez pas, vous menacez ; car c’est la prison elle-même – déjà en temps normal, mais plus encore en ce moment – qui place les prisonniers et prisonnières en danger de mort :

    «  Il attendent qu’on tombe par terre pour nous envoyer à l’infirmerie. »iii

    Vous feignez de ne pas entendre la révolte des prisons alors même que votre administration pénitentiaire est terrifiée par les refus de remonter de promenade, les blocages, les montées sur les toits, les incendies dans toutes les prisons de France : Aiton, Aix-en-Provence, Angers, Argentan, Bar-le-Duc, Béziers, Bois-d’Arcy, Carcassonne, Coulaines, Douai, Draguignan, Ducos en Martinique, Epinal, Fleury-Mérogis, Grasse, Grenoble, Le Mans, Lille-Sequedin, Limoges, Longuenesse, Luynes, Lyon-Corbas, Maubeuge, Marseille-Les-Baumettes, Meaux, Metz, Montauban, Moulin, Nancy, Nanterre, Nantes, Neuvic, Nice, Paris-La Santé, Perpignan, Réau, Reims, Rennes-Vezin, Rémire-Montjoly à Cayenne en Guyane, Roanne, St-Etienne, St-Malo, St-Quentin-Falavier, Toulon, Uzerche, Val-de-Reuil, Valence, Varenne-le-Grand, Villefranche… La liste s’allonge tous les jours.

    Le 17 mars, vous avez choisi – en guise de mesure de confinement – de les couper brutalement de l’extérieur en supprimant tous les parloirs et toutes les activités en détention. Concrètement, cela signifie que l’ensemble des prisonniers et prisonnières vont passer 23 heures sur 24 dans une cellule de 9 m2 à deux, trois, quatre ou plus, sans jamais voir leurs proches.

    « Nous voulons être informés de l’évolution de cette situation : Qu’en est-il, les parloirs seront-ils rétablis ? Qu’en est-il des cantines? Qu’en est-il des sacs de linge ? »iv

    Vous ne l’avez pas fait pour protéger les prisonniers, sinon vous auriez plutôt choisi d’imposer des mesures barrières aux familles – comme dehors – ; voire de confiner les 30 000 surveillants dans les prisons pour éviter qu’ils n’y fassent entrer le virus.

    « Nous voulons un dépistage pour chaque détenu ainsi que pour chaque membre de l’administration pénitentiaire. Nous souhaitons que tous les agents pénitentiaires sans exception soient équipés de gants et de masques (ce sont eux les plus exposés au virus car ce sont eux qui rentrent et sortent de l’établissement). Nous voulons être informés de l’évolution de cette situation ».v

    Vous leur avez déjà refusé le gel hydro-alcoolique au motif que l’alcool est interdit en prison. Peu de chances pourtant que le premier souci des enfermé.e.s soit de se saouler la gueule au savon plutôt que de sauver leur santé.

    « Pour nous protéger, nous aimerions que chaque détenu ait du gel désinfectant et un masque à sa disposition (le minimum en mesure d’hygiène actuellement). » vi

    Vous avez pensé éteindre le feu en offrant des miettes.

    « On nous offre la télé et 40 euros pour les indigents, waouh, quelle belle mesure par l’Etat ! S’il peut faire mieux, ce serait pas mal, sinon ça va chauffer. »vii

    Vous envoyez des Eris (Equipes régionales d’intervention et de sécurité, desbandes de cagoulés en armes) aboyer au visage des prisonniers et les massacrer pour briser les mutineries.

    « Nous, détenus, dénonçons les violences physiques et morales de la part de certains surveillants et Équipes régionales d’intervention et de sécurité couvertes par les directions. » viii

    Vos tribunaux font pleuvoir les années de prison supplémentaires sur les supposés meneurs de ces révoltes légitimes. Vous transférez des prisonniers de prison en prison, prenant ainsi le risque de répandre un peu plus la contamination et les éloignant de leurs familles.

    Vous refusez toute grâce collective, toute loi d’amnistie, alors que vous et vos amis n’avez plus que le mot « guerre » à la bouche. Feignant d’écouter les nombreux professionnels du droitix qui – terrifiés par ce qui se profile – vous rappelaient que l’État est garant de l’intégrité physique des personnes qu’il place sous le régime de l’enfermement carcéral, vous annoncez la libération de quelques milliers de prisonniers. En effet, déjà en temps dit « normal », l’accès aux soins est catastrophique en prison ; de très nombreux prisonniers et prisonnières souffrent de pathologies qui les rendent extrêmement vulnérables à une maladie telle que le Covid-19.

    « En Iran, ils ont libéré 85 000 détenus, en France on parle de 5 000 ? Une goutte d’eau au milieu de la mer. »x

    Le seul but votre annonce était de tendre une carotte aux prisonniers, donnant à chacun l’espoir d’être le prochain… sur une liste ridiculement courte. Car vous mentez aussi sur les chiffres : vos services incluent dans ces prétendues « libérations » des reports de mise en détention et des aménagements déjà prévus. Pire : vous allongez à six mois la durée maximum de la détention préventive afin de ne surtout pas laisser sortir 21 000 personnes pourtant présumées innocentesxi ; et votre gouvernement vote une loi qui prévoit jusqu’à six mois de prison ferme pour le non-respect d’un confinement qui étend la logique de l’isolement carcéral à l’ensemble de la société. De fait, les peines de prison ferme pleuvent déjà : chaque jour, des dizaines de personnes continuent d’entrer en prison ; notamment en maison d’arrêt. Loin de désengorger, tout au plus vos tribunaux diminuent-ils (à peine) la suroccupation de vos prisons.

    Enfin, vous faites rouvrir des ateliers pénitentiaires pour faire fabriquer les masques que l’Etat a trouvé trop onéreux de stocker. Ils seront produits à vil prix par une main-d’œuvre corvéable à merci… et pas pour eux-mêmes mais pour leurs geôliers.

    Maintenant que le cynisme de vos premières décisions éclaire vos véritables intentions ; maintenant qu’il est manifeste que vous ne viderez pas même un petit peu les prisons ; maintenant qu’il ne fait plus aucun doute que la coercition sécuritaire de votre Etat sera inversement proportionnelle à sa scandaleuse gestion sanitaire, nous sommes contraints d’anticiper.

    ● Alors que vos surveillants eux-mêmes menacent de faire valoir leur droit de retrait pour se protéger, enverrez-vous l’armée assurer la continuité du service public de la torture carcérale ?

    ● Après les parloirs, allez-vous, au fil de l’annonce des contaminations, supprimer totalement les promenades comme le demandent des syndicats de surveillants ?

    « Nous, détenus, dénonçons avec la plus grande véhémence le régime fermé des maisons d’arrêt et demandons immédiatement la reprise dans toutes les prisons de deux promenades par jour. »xii

    ● Allez-vous – à terme – empêcher toute sortie de prison au motif de protéger la société contre ces clusters que vous aurez contribué à développer ?

    « On a peur qu’un jour la porte s’ouvre plus, qu’on nous laisse mourir dans la cellule… Y a beaucoup de psychose qui commence à s’installer dans la prison. »xiii

    ● Attendez-vous les premiers morts dans des tentatives d’évasion, comme en Italie ? Attendez-vous que comme là-bas vos surveillants les abattent – comme ils en ont déjà le droit  en temps normal ?

    « Ils ont tiré sur un mec à balles réelles, et là-bas ça brûle ! Dans un bâtiment où y a des confinés ! Les surveillants font rien, il va y avoir des morts. »xiv

    ● Avez-vous en tête de faire frémir le bon peuple des confinés du dehors avec ce genre de spectacle venu des prisons ? Retournerez-vous le mot de barbarie contre ceux-là même qui la subissent, faisant d’eux une fois de plus des boucs émissaires pour détourner les regards des véritables raisons du drame ?

    Vous partagez certes avec vos illustres prédécesseurs la responsabilité du surenfermement de la population. Vous partagez certes avec la société le désintérêt, voire la haine de celles et ceux qu’elle désigne comme des délinquants ; et partant de là, des sous-humains. Mais il se peut que votre nom, Madame Belloubet, passe à la postérité pour une raison bien particulière : vous seriez celle qui a prétendu défendre la société en assumant de laisser mourir ses prisonniers. Celle qui aura vidé les prisons, oui ; mais dans des cercueils. Car nous savons hélas que les enfermé.e.s ne seront pas considérés comme des personnes à sauver en priorité quand il s’agira de faire le tri dans des hôpitaux ravagés par les politiques de votre gouvernement et des précédents.

    « Les prisonniers et les vieux, on s’en bat les couilles ! Nos vieux, on les laisse crever comme dans une cellule. »xv

    Si tel était le cas, nous serions alors tentés de vous demander, en guise de formule de politesse, Madame la ministre des tribunaux et des prisons, d’avoir l’obligeance de manger vos morts.

    L’Envolée, le 9 avril 2020,
    avec les communiqués et lettres de prisonniers de Rennes-Vézin, Béziers, Meaux-Chauconin, Uzerche et Seysses

    i Communiqué collectif de la prison de Rennes-Vézin (35), 23 mars 2020, signé et relayé dans d’autres prisons de France : https://lenvolee.net/nous-detenus-bloquons-les-prisons-de-france/
    ii Intervention d’un prisonnier de la Maison d’arrêt de Seysses (31), 20 mars 2020 : source IAATA, https://twitter.com/iaata_info/status/1241367099345375232
    iii Lettre de Heisenberg, prisonnier à Meaux-Chauconin (77), adressée à L’Envolée le 30 mars 2020 et lue dans l’émission du 3 avril 2020 : https://lenvolee.net/emission-du-3-avril-2020/
    iv Revendications des prisonniers du centre de détention d’Uzerche (19), lors de la mutinerie des 21 et 22 mars : https://lenvolee.net/les-prisonniers-du-centre-de-detention-duzerche-montent-sur-les-toits-et-exigent-des-mesures-contre-lepidemie/
    v Ibid.
    vi Ibid.
    vii Communiqué du centre pénitentiaire de Béziers (34), 23 mars 2020 : https://lenvolee.net/face-au-covid-19-en-prison-amnistie-generale/
    viii Communiqué collectif de la prison de Rennes-Vezin (35), 23 mars 2020, signé et relayé dans d’autres prisons de France : https://lenvolee.net/nous-detenus-bloquons-les-prisons-de-france/
    ix « Prisons : réduire la surpopulation pour éviter la crise sanitaire », communiqué commun de l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), l’Observatoire international des prisons-section française (OIP-SF), le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Syndicat de la magistrature (SM), le 18 mars 2020 : https://oip.org/communique/prisons-reduire-la-surpopulation-pour-eviter-la-crise-sanitaire/ . « L’inégalité des vies en temps d’épidémie » tribune de Didier Fassin dans le journal Libération le 18 mars 2020 :https://www.liberation.fr/debats/2020/03/18/l-inegalite-des-vies-en-temps-d-epidemie_1782169. « Vos consignes, contradictoires et sibyllines, sont incompréhensibles », lettre ouverte de l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) à Nicole Belloubet, ministre de la justice, le 31 mars 2020 : https://www.association-a3d.fr/articles/52815-vos-consignes-contradictoires-et-sibyllines-sont-incomprehensibles.
    x Lettre de Heisenberg, prisonnier à Meaux-Chauconin, adressée à L’Envolée le 30 mars 2020 et lue dans l’émission du 3 avril 2020 : https://lenvolee.net/emission-du-3-avril-2020/
    xi « Qui es-tu Nicole Belloubet, pour t’asseoir à ce point sur les libertés publiques ? », tribune de l’avocate Hannelore Cayre parue dans le journal Libération le 31 mars 2020 : https://www.liberation.fr/debats/2020/03/31/qui-es-tu-nicole-belloubet-pour-t-asseoir-a-ce-point-sur-les-libertes-publiques_1783694
    xii Communiqué collectif de la prison de Rennes-Vézin (35), 23 mars 2020, signé et relayé dans d’autres prisons de France : https://lenvolee.net/nous-detenus-bloquons-les-prisons-de-france/
    xiii Intervention d’un prisonnier de la Maison d’arrêt de Seysses (31), le 20 mars 2020, Mediapart :  https://www.mediapart.fr/journal/france/200320/coronavirus-en-prison-des-detenus-prennent-la-parole
    xiv Intervention filmée d’un prisonnier du CD d’Uzerche (19), le 22 mars 2020. Vidéo privée.
    xv Laurent Jacqua, ex-prisonnier longue peine, interrogé par L’Envolée. Entretien à l’émission de radio de L’Envolée du 3 avril 2020 :https://lenvolee.net/emission-du-3-avril-2020/
    Dessin de www.gwentomahawk.com
  • Face au Covid-19 en prison : amnistie générale !

    Face au Covid-19 en prison : amnistie générale !

    (Ce texte de la rédaction est publié dans le numéro d’avril du mensuel CQFD)

    « Avec le confinement, vous touchez du doigt – en plus roudoudou – ce que nous vivons au quotidien, nous les prisonniers : impossibilité d’aller et venir, privation de voir ses proches et soumission à l’arbitraire pour tout », écrit un prisonnier à L’Envolée, à l’heure où le pays est confiné et les prisonniers et prisonnières plus coupés du monde que jamais. Ajoutée à l’absence de soins, la surpopulation carcérale – ou plutôt, le surenfermement de la population – fait des prisons des lieux hautement pathogènes. Tous les ans, des épidémies s’abattent sur les personnes incarcérées : tuberculose, gale… Le Covid-19, qui ne fera pas exception, révèle la criante indignité de la prison.

    Suspendre les parloirs ne protégera pas les prisonniers

    Face à cette épidémie, Nicole Belloubet, la ministre des tribunaux et des prisons, opte pour une mesure très brutale : la suppression des parloirs et de toute activité. Faute de pouvoir isoler les prisonniers en attribuant une cellule à chacun (70 651 prisonniers et prisonnières au 1er janvier pour 61 080 places dans des cellules le plus souvent collectives) ; faute de distribuer à toutes et tous des masques de protection, des tests et des solutions hydroalcooliques ; faute de confiner les matons qui continuent de rejoindre leurs familles chaque soir… l’État considère d’office que les prisonniers, les prisonnières et leurs proches ne seraient pas capables d’appliquer les fameux « gestes barrières ».

    Plus de shit, des possibilités de cantines (achats de produits de la vie courante) restreintes, plus d’activités, plus de parloirs, 22 heures sur 24 en cellule et déjà des promenades réduites dans certaines prisons. Celles et ceux qui sont enfermés sont à la fois en colère et inquiets : le peu de mouvements et de contacts qui rendent la détention supportable disparaissent du jour au lendemain sans qu’ils et elles se sentent protégés pour autant. Ces mesures sont ressenties comme absurdes et méprisantes parce que le prétendu « confinement » est totalement inapplicable à l’intérieur des prisons. Et ce n’est pas la générosité de la ministre (télévision gratuite, un maigre crédit téléphonique et une aumône de 40 € pour les indigents) qui va étouffer les craintes – et le feu.

    Des révoltes contre ces mesures

    Ces mesures n’empêcheront pas l’épidémie de se répandre. Elles ne servent qu’à donner des gages aux personnels de l’Administration pénitentiaire (AP), et notamment aux matons, en diminuant les mouvements à l’intérieur et le nombre de fouilles à effectuer ; et donc les contacts. Ils ont aussi peur du coronavirus que des mutineries : ils savent très bien que les prisons vont se transformer à la fois en cluster (foyer d’infection) et en cocotte-minute prête à exploser. Leur syndicat majoritaire (Force ouvrière) a déjà menacé d’user du droit de retrait, agitant l’exemple de l’Italie où, depuis le 8 mars, des émeutes ont éclaté dans des dizaines de prisons, causant la mort d’au moins 14 prisonniers et plusieurs évasions collectives. Sur les toits, les prisonniers crient « Libertà ! » et exigent l’indulto – l’amnistie.

    Quinze jours après, la révolte gronde dans toutes les prisons françaises avec chaque jour des dizaines de mouvements collectifs : refus de remonter de promenade, montées sur les toits, mutineries ; et déjà des matons qui tirent, comme à la maison d’arrêt de Grasse (Alpes-Maritimes) et au centre de détention d’Uzerche (Corrèze).

    Il faut vider les prisons

    C’est dans cette ambiance que la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, se fonde sur la protection que l’État doit aux gens qui sont sous sa garde pour demander, le 17 mars, de « réduire la population pénale à un niveau qui ne soit pas supérieur à la capacité d’accueil des établissements », de « favoriser les sorties de prison et limiter les entrées » et « de procéder sans délai à la fermeture temporaire des centres et locaux de rétention administrative ». Du jamais vu.

    Le lendemain, un texte signé par des organisations qui vont de l’Observatoire international des prisons à l’Association nationale des juges de l’application des peines en passant par le Syndicat des avocats de France demande de « réduire drastiquement le nombre de personnes détenues ». Il énumère différentes manières de limiter les entrées : préférence aux peines alternatives, placement sous contrôle judiciaire plutôt qu’en détention provisoire, report de la mise à exécution des peines de prisons et limitation des comparutions immédiates, « particulièrement pourvoyeuses d’incarcérations ». Il demande également de faire sortir un maximum de personnes (en libérant les prévenus sous contrôle judiciaire, en multipliant les aménagements de peine, en anticipant les libérations en fin de peine et en suspendant des peines pour raison médicale). Les signataires suggèrent aussi d’augmenter les réductions de peine, voire de voter une loi d’amnistie. De mémoire de L’Envolée, on n’avait jamais vu ça non plus.

    Mais le plus fort reste à venir. Le 20 mars, la CGT pénitentiaire demande « un recours massif à la grâce individuelle pour le maximum de personnes incarcérées, en fonction du reliquat de peine restant et de la nature des infractions concernées ». Même s’ils ne peuvent pas tout à fait s’empêcher de jouer aux petits juges, ces surveillants envisagent la libération de presque 20 000 prisonniers condamnés à des peines de moins d’un an !

    Tout le monde dehors !

    Bon, on se calme, on reprend. Pour ce qui est des centres de rétention, le CGLPL le dit : tout le monde dehors. Pour ce qui est des prisons, on prend la calculette : 18 000 courtes peines + 20 000 prévenus en attente de jugement + 1 404 personnes en semi-liberté + 611 personnes en centre de peine aménagée + 20 000 prisonniers en centre de détention (régime soi-disant orienté vers la réinsertion, donc la sortie) + les malades (chiffres non fournis)… on arrive déjà à plus de 60 000 personnes à relâcher.

    Ajoutons simplement : les mineurs (804) + les plus de 60 ans et toutes les personnes qui ont déjà effectué des longues peines en dépassant les quinze ans d’enfermement… Bon an mal an, on y est : autant arrondir à 70 000 ! Soit l’amnistie générale ! Les prisonniers et les prisonnières l’exigent depuis vingt ans dans les colonnes de L’Envolée – avec un autre argumentaire, certes ; mais si là, tout le monde est d’accord, on ne va pas chipoter…

    Et ne plus remplir les prisons !

    Que tous ces gens s’entendent pour définir l’enfermement comme un risque sanitaire et fassent pression sur la ministre pour vider les prisons, même provisoirement, c’est historique. Malheureusement, on sait que ça ne suffira pas.

    Même face au péril sanitaire, l’impératif sécuritaire reste le maître mot : la machine pénale est pensée pour remplir les prisons, pas pour les vider. Nicole Belloubet le confirme dès le 20 mars en s’engageant à peine à « travailler sur (sic) les détenus malades et sur les personnes à qui il reste un mois de détention ». Elle finit par promettre 5 000 libérations – très loin du compte – en précisant qu’« il n’y aura pas d’amnistie, car il faut préserver la sécurité de la société ». Ben tiens !

    Quant aux quelques « mesures qui veillent à ne pas faire entrer de personnes supplémentaires en prison », elles sont contredites par un amendement – adopté par l’Assemblée nationale dès le 21 mars – qui fait du non-respect à quatre reprises des règles de confinement un délit puni de six mois d’emprisonnement. Cherchez l’erreur ! Le même jour, quatre hommes arrêtés pour ce motif étaient incarcérés à la prison de Villepinte (Seine-Saint-Denis) en attente de jugement pour « outrage et rébellion » et « mise en danger de la vie d’autrui »… Qui met la vie de qui en danger ?

    On le voit déjà dans toute la société : la coercition de la politique sécuritaire du gouvernement sera inversement proportionnelle à sa scandaleuse gestion sanitaire.

    Ça se fera aussi sur le dos des prisonniers à moins qu’ils et elles trouvent des moyens d’imposer leur libération.

    Force, courage et décontamination

    L’Envolée

    ***

    Messages et lettres de prison

    « À tous les frérots en prison : à partir du 19 mars, il faut qu’on bloque en promenade tous les jours jusqu’à que l’État accepte au minimum un parloir par semaine. Faut qu’on se fasse entendre bien plus haut que l’administration pénitentiaire : c’est l’État qui dirige. Il faut faire du bruit. Ils nous disent que c’est pour quinze jours alors qu’ils savent très bien que c’est parti pour plusieurs mois. Ils nous privent de la seule liberté qui nous reste : la visite de notre famille. Merci, et oubliez pas : l’union fait la force, ensemble on y arrivera. » Lenvolee.net, 18 mars.

    « Libérez un peu les prisons de la surpopulation carcérale ! On veut que les surveillants soient contrôlés à chaque entrée, parce que ça nous fait peur ; au moins leur fièvre parce que c’est eux qui vont nous le refiler. Tous les gens qui rentrent en prison aussi, qu’ils soient contrôlés à l’entrée, avec un registre. » Lenvolee.net, 19 mars.

    « Nos cantines n’arrivent pas, nos parloirs ont été suspendus. Personne ne se préoccupe de notre état de santé. On avait un co-cellulaire qui est parti, avec le masque, on l’a sorti à 8 heures du soir de la cellule. On ne sait pas pourquoi […]. Aujourd’hui nous sommes deux personnes encore dans la cellule. Nous présentons des symptômes de fièvre, le nez qui coule, et la gorge qui pique. […] L’administration trouve une seule solution :  “Vous vous étouffez pas ? Y a pas de souci à se faire !” […] J’appelle tous les détenus de la maison d’arrêt de Seysses à faire une révolution générale. » Maison d’arrêt de Seysses (Haute-Garonne), Iaata.info.

    « On est 3 dans une cellule de 9 m2. Ça fait une semaine qu’on a plus de parloir, qu’ils nous autorisent plus les promenades, plus rien. […] On a peur qu’un jour la porte s’ouvre plus, qu’on nous laisse mourir dans la cellule… Y a beaucoup de psychose qui commence à s’installer dans la prison. » Maison d’arrêt de Seysses, Mediapart.

     « Nous voulons un DÉPISTAGE pour chaque détenu ainsi que pour chaque membre de l’administration pénitentiaire. – Nous souhaitons que tous les agents pénitentiaires sans exception soient équipés de gants et de masques (ce sont eux les plus exposés au virus car ce sont eux qui rentrent et sortent de l’établissement). – Nous voulons être informés de l’évolution de cette situation : quand les parloirs seront-ils rétablis ? Qu’en est-il des cantines ? Qu’en est-il des sacs de linge ? Qu’en est-il des soins médicaux en cas de coronavirus ? – Et enfin, pour nous protéger, nous aimerions que chaque détenu ait du gel désinfectant et un masque à sa disposition (le minimum en mesures d’hygiène actuellement). »
    Revendications des prisonniers du centre de détention d’Uzerche (Corrèze) lors de la mutinerie du 22 mars.

    « Un  message qui s’adresse à l’État et à tous ceux qui régulent les pénitenciers de France : nous voulons un dépistage au cas par cas pour chaque détenu et membre de l’établissement pénitentiaire. Nous voulons que les agents soient équipés de masques car c’est eux qui entrent et sortent de la prison donc c’est bien eux qui nous ramènent le coronavirus puisque nous n’avons plus de parloir. Nous voulons plus d’informations sur cette situation : cantines, parloirs, sacs de linge, activités, car les seules informations qu’on a c’est à la télé. Nous voulons du gel hydro-alcoolique, des masques, du savon pour chaque détenu. Tout ce qu’on a c’est du gel douche Tahiti. On nous offre la télé et 40 € pour les indigents, waouh, quelles belles mesures par l’État ! S’il peut faire mieux ce serait pas mal, sinon ça va chauffer. » Centre pénitentiaire de Béziers (Hérault), 23 mars.

    ***

  • Le Covid-19 : la prison dans la prison – video

    Le Covid-19 : la prison dans la prison – video

    Un prisonnier âgé de 74 ans incarcéré à Fresnes dix jours auparavant est mort hier du Covid-19. Le même jour, les parloirs ont été supprimés dans toutes les prisons françaises. Aucun moyen de maintenir le lien avec leurs proches n’a été fourni aux prisonnier.e.s. Les activités, sportives et autres, ont également été supprimées. Dans les centres de détention en régime « portes ouvertes », où les prisonniers peuvent circuler dans tout leur étage pendant la journée, les cellules sont maintenant fermées. Les prisonnier.e.s resteront enfermés 22 heures sur 24 en cellule, le plus souvent à trois dans 9m².

    Face à cette situation intolérable, des mutineries ont éclaté dans de nombreuses prisons. A cette heure, nous avons connaissance de mouvements à Aiton, Angers, Douai, Epinal, Grasse, La Santé, Lille-Sequedin, Maubeuge, Metz, Montauban, Nancy, Perpignan, Saint-Etienne, Toulon, Valence et Varennes-le-Grand. Les Eris (Équipes régionales d’intervention et de sécurité – GIGN des prisons) sont intervenues dans plusieurs de ces taules, et à Grasse, les matons ont tiré.

    Les prisons pour étrangèr.e.s subissent les mêmes restrictions : plus de parloirs pour quinze jours au moins. Comme les associations se sont retirées de certains Centres de rétention administrative (CRA), les prisonnier.e.s ne sont plus soutenu.e.s dans leurs démarches juridiques. L’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) qui fournit habituellement le tabac et les recharges téléphoniques ne vient presque plus dans les centres, ce qui produit une situation critique. Les préfectures continuent d’expulser vers les pays qui n’ont pas interrompu leurs liaisons aériennes avec la France. Si les préfectures et les juges ont commencé à libérer des prisonnièr.e.s, souvent pour motif sanitaire, les rafles et les arrestations continuent. Certaines prisons pour étrangers continuent donc de se remplir. Des révoltes et des mouvements collectifs ont eu lieu dans les centres du Mesnil-Amelot (communiqué1, communiqué2), de Lille-Lesquin (communiqué), de Lyon-St-Exupéry (témoignage), de Metz et de Vincennes (communiqué), et peut-être d’autres encore dont nous n’avons pas eu connaissance : grèves de la faim, départs de feu, évasions, blocages de la promenade…

    Nous diffusons ici des vidéos reçues hier de la prison de la Santé. Il est essentiel que les enfermés puissent faire sortir les nouvelles du sort qui leur est fait par la pénitentiaire. Tenez-nous au courant par tous les moyens à votre disposition.

    Face à la gravité de la situation, à partir du lundi 23 mars, L’Envolée va diffuser à 19h une émission quotidienne d’un quart d’heure sur FPP (106.3 Mhz sur la bande FM à Paris) pour faire circuler l’information sur ce qui se passe dans les prisons françaises. Nous y lirons les messages qui nous seront envoyés au 07.52.40.22.48. Nous maintenons par ailleurs l’émission du vendredi, entre 19 heures et 20 heures 30.

    Soutien aux prisonnier.e.s et à leurs proches !

    Force et détermination !

  • EMEUTE ET MASSACRE À LA PRISON DE MODÈNE  – Suite aux mesures de confinement liées au Covid-19

    EMEUTE ET MASSACRE À LA PRISON DE MODÈNE – Suite aux mesures de confinement liées au Covid-19

    Les prisonniers italiens se défendent actuellement contre la suppression des parloirs décidée par l’administration. Selon les informations récoltées – qui ne sont surement pas complètes, il y a eu des mutineries dans vingt établissements pénitentiaires, huit prisonniers sont morts et au moins cinquante prisonniers italiens se sont évadés. Nous traduisons un témoignage, recueilli par le site Diario di bordo nella tempesta sociale, à propos des révoltes de la prison de Modène.

    Une révolte a éclaté à la prison Sant’Anna de Modène le 8 mars 2020 en début d’après-midi. La chose n’est pas passée inaperçue à l’extérieur car trois panaches de fumée se sont élevés des ailes de l’établissement, sans parler de l’important va-et-vient des surveillants et de la surveillance d’un hélicoptère en vol stationnaire au-dessus de la zone. Des parents, des personnes solidaires et d’autres spectateurs se sont donc rassemblés aux environs, d’où ils ont pu voir défiler les GOM [un equivalent italien des Eris, le “GIGN des matons”] en tenue antiémeute, et entendre distinctement des coups de feu. Malgré quelques tentatives des pompiers de les tenir à distance, les gens ont fini par se masser devant la prison, d’où ils ont assisté au defilé des camionnettes et des ambulances de la pénitentiaire. Au bout d’un moment, comme les parents demandaient des nouvelles des prisonniers, un gradé de la pénitentiaire et une représentante de la directrice de la prison sont sortis leur dire que dans le cadre des négociations avec les émeutiers barricadés dans une aile, on leur avait rendu leurs téléphones portables pour leur permettre d’appeler leurs proches. Il était donc demandé aux familles de répondre aux appels des prisonniers pour les convaincre de sortir. En fin de journée, protégés par un nombre considérable d’antiémeute, les flics sont sortis, encadrant des prisonniers et des prisonnières menottés, qu’ils frappaient. Une personne est sortie sur une civière. A ce moment-là, déjà, quelqu’un a apercu un sac qui contenait un mort.

    Au cours d’un parloir sauvage avec des prisonniers enfermés dans l’aile qui donne sur la place, les enfermés ont parlé de transferts, précisant qu’ils étaient les derniers dans la section, en instance de transfert, et qu’ils se faisaient massacrer. Quatre-vingts personnes ont été transférées, apparemment à Bologne, Reggio Emilia, Parme, Piacenza et Ascoli, dans quatre bus de la pénitentiaire au moins, et d’autres fourgons.

    D’après la presse bourgeoise, l’affaire serait partie des ateliers pour s’étendre ensuite à tout l’établissement, où les prisonniers auraient brûlé des matelas et se seraient barricadés dans au moins une des ailes, s’emparant de l’armurerie, d’après une vidéo. D’après les mêmes sources, trois personnes ont perdu perdu la vie, sans autres précisions sur leur identité ou sur les causes de leur mort. Deux autres seraient en réanimation. La presse évoque d’importants dégâts dans l’établissement et dit que des documents ont été détruits. L’émeute aurait éclaté suite à la suppression des parloirs et des visites d’intervenants extérieurs plutôt qu’à cause d’une inquiétude sur la sécurité sanitaire dans l’enceinte de l’établissement. Il restait apparemment des émeutiers barricadés en fin de soirée.

    [Actualisation: Six morts sont annoncés à la prison de Modène]