Catégorie : Textes de L’Envolée

  • « C’est ça, la justice ? Eh ben vivent les gilets jaunes, ils ont raison ! » comparutions immédiates, Paris, 14 janvier

    Des Gilets jaunes face à la justice de classe, 3ème épisode : Comparutions immédiates suite à l’acte IX le 14 janvier 2019

     Ce lundi 14 janvier 2019, l’activité de la 24e chambre était exclusivement consacrée à la répression d’un mouvement social qui dure depuis plus de deux mois maintenant. L’audience a duré jusqu’à 22 heures, et des Gilets jaunes passaient aussi en comparution immédiate dans deux autre salles. Tous les inculpés qui ont demandé un renvoi l’ont obtenu. Le délit fourre-tout qui a servi lors des précédentes comparutions immédiates à condamner des gens sans rien dans le dossier – la fameuse « participation à un groupement, etc. » – a peut-être montré ses limites. En effet, dans certaines audiences en renvoi, le tribunal a relaxé des personnes accusées de ce seul délit car le groupement en vue de commettre des dégradations suppose des faits matériels, qui souvent n’étaient pas caractérisés (voir notre article ici). La seule présence là où il y a des « dégradations » ou des « destructions »ne suffit  pas toujours pour inculper quelqu’un ; alors quand les dossiers sont vraiment trop vides, le parquet se sert notamment du délit de « violence », d’un emploi plus facile, car il repose sur une pièce unique : le PV du flic interpellateur, qui n’a qu’à confirmer au parquet par téléphone que le prévenu est bien coupable des faits – v’là l’identification ! Bref le parquet multiplie les chefs d’accusations ; comme ça, si les avocats obtiennent la relaxe pour certains, il en reste encore assez pour prononcer une sanction pénale. Et puis le proc’ a bien rappelé – jurisprudence à l’appui – qu’il n’est pas nécessaire que le projectile ait atteint sa cible supposée pour qu’il y ait « violence envers une personne dépositaire de l’autorité publique ». Le jet du moindre objet dans la direction de CRS, baqueux et autres gendarmes mobiles, et même une insulte, un doigt ou un bras d’honneur suffisent à caractériser la violence ».

    Interpellé à 15 heures avenue Hoche, J.B. G. (24 ans) est accusé de « violences volontaires sans ITT sur personnes dépositaires de l’autorité publique non identifiées », mais dont « la fonction ne pouvait être ignorée ». On les reconnaît à quoi, alors ? à leurs sales gueules ? Il avait du matériel de protection sur lui : lunettes, masque antipoussière et gants – nettoyeur ferroviaire pour 1 100 euros par mois, il sortait du travail. La cour lui trouve des antecedents : il a été condamné pour degradations… à l’âge de 13 ans ! Et puis il a eu un rappel à la loi suite à l’acte V. Le proc requiert quatre mois avec sursis et un an d’interdiction sur Paris. Il prend deux mois avec sursis et cinq ans de mise à l’épreuve …pour « le protéger de sa sensibilité à la foule » ! Ils le mettent aussi tricard à Paris pendant un an.

    S. a été interpelé place de l’Étoile à 15 heures. Il bosse comme frigoriste à Marseille pour 1 500 euros par mois. Il est accusé de « participation à un groupement » et de « violence et dégradations ». C’est vrai qu’il a été arrêté avec plein de matos dans son sac… mais il fait partie des Street medics. Il rejette les accusations en bloc, explicant qu’en manif, son boulot, c’est exfiltrer les personnes blessées pour les soigner. Il autorise la fouille de son portable, qui atteste de sa présence à plusieurs actes des gilets jaunes par de nombreux messages appelant à se rendre aux rassemblements « sans haine ni violence ». En fin de mission d’interim depuis deux semaines, il déclare ne pas vouloir travailler tant que « ça bougera pas » : grève générale du travail. « Les aides sociales, elles, ne seront pas en grève ! », ironise le président. Eh oui, Jupiter son maître l’a bien rappelé : « Trop de nos concitoyens (ont oublié) le sens de l’effort … cet engagement qui fait qu’on a rien dans la vie si on a pas cet effort. »

    R. a été arrêté avenue de Wagram dans l’après-midi ; peintre en bâtiment au chômage depuis un an, il est venu de Bourgogne pour participer au mouvement. On l’accuse de « participation à un groupement », « jet de projectile sans ITT », « violence sur personnes dépositaires… » Il a craché dans l’œil du flic qui l’a arrêté : trois jours d’ITT (Condé, ouvre l’œil, et le bon !), et d’« outrage ». Après avoir lancé : « Mort aux condés », il leur a montré son cul : « J’étais à cours d’inspiration » ! Le « transport d’une bombe de gaz lacrymogène » lui est également reproché. Il avait picolé. Quand il leur a montré son cul, les flics ont décidé de le serrer, alors ils lui ont mis la bombe lacrymo dans son sac – d’où les insultes et le crachat. Il a déjà été condamné. Du coup le proc requiert douze mois avec mandat de dépôt et un an d’interdiction sur Paris. Il se mange cinq mois avec mandat de depôt : « la prison le protégera de l’alcool » – alors qu’il avait déjà entamé une procédure de suivi médical – et un an tricard à Paris.

    J. est accusé de « participation », « destruction du bien d’autrui » (un scooter), « possession de cagoule, sérum physiologique et gants ». Son avocat dépose des conclusions de nullité de la procédure. La fiche d’interpellation ne mentionne ni les circonstances de son interpellation, ni les faits qui lui sont reprochés. Les keufs ont monté le dossier après la fouille de son sac dans lequel ils ont trouvé le matos de protection, et un briquet – censé avoir servi à incendier le scooter. La nullité de la procédure est reconnue.

    P. vient de l’Essonne. Marié, père de trois enfants, il est accusé de « participation à un groupement », « violence sans ITT » : il aurait jeté une canette et une batterie de cigarette électronique sur les keufs !

    Les flics lui ont notifié un rappel à la loi à la fin de sa GAV ; son avocat déclare donc qu’il n’a rien a faire devant cette cour. Renvoi au 6 février 2019. D’ici là, un contrôle judiciaire lui interdit de se présenter à Paris le samedi.

    F.A est marié, il a deux enfants. Il gagne 2 000 euros comme chef de chantier en chaudronnerie après avoir débuté comme manœuvre. R. G. gagne 2 071 euros comme plombier. Marié, il a une fille ; la famille a dû quitter un logement insalubre pour se réfugier chez les parents de R. G. avec ses deux frères et sa sœur, qu’ils aident financièrement. Voisins en Seine-et-Marne, ils sont venus ensemble à la manifestation. Ils étaient déjà venus à d’autres manifestations des gilets jaunes. Leurs chefs d’inculpation sont quasi identiques : « participation à un groupement », « violences et dégradations » et « violences sans ITT envers une personne dépositaire de l’autorité publique » : le jet d’une bouteille vide pour F. A., d’un fumigène pour R.G. Ils contestent les faits : ils ont décidé de rentrer quand ça a commencé à chauffer, et c’est là qu’ils se sont fait choper. Le proc les déclare coupables des différents chefs d’inculpations et requiert trois et six mois ferme assortis d’un an d’interdiction de présence à Paris après le discours maintenant habituel sur le matériel de protection qui peut aussi être « offensif » ; « C’est bien le problème : comment séparer les manifestants – qui ont le droit de s’exprimer – des casseurs ? »

    A ce moment, cinq verdicts ont été rendus, il y a déjà eu une suspension d’audience lorsqu’un changement de ton vient troubler le ronronnement de cette 24ème chambre. L’avocat de permanence en charge de ce dossier est un pénaliste, plus offensif :

    « Alors il faudrait peut-être interdire aux gens de sortir de chez eux, car on peut aussi manifester en province ; en fait, c’est de cela dont il est question ! »

    Il revient sur le vide du dossier : un PV d’interpellation et une nouvelle confirmation par téléphone que c’est bien le prévenu l’auteur des faits : « Celui qui interpelle constate les faits, remplit le PV et le confirme. Quelle est la place pour la défense ? Aucune. C’est la liberté de manifester qui est en jeu ! La participation à un attroupement est un délit politique, on ne peut la condamner en comparution immédiate. Par une voie détournée, on ’délictualise’ une action politique. Les policiers « victimes » de violence ne sont pas identifiés ? Sans victime, pas de violences ! Le fait qu’ils (ses clients) aient des accessoires de protection défensifs ne témoigne pas de la volonté d’en découdre. Il faut entendre la voix de ceux qui contestent les conditions de l’interpellation, d’autant plus que les violences (policières) avaient été préalablement annoncées par le ministre ! »

    S’adressant au président, il conclut :

    « Qu’est-ce qu’on vous demande ? De les condamner parce qu’ils ont manifesté ; ce qu’on vous demande est très dangereux ! »

    Ses clients prennent quand même trois mois avec sursis et trois mois ferme. Dans ses plaidoiries suivantes, cet avocat commencera par dire qu’il a « entendu le message de la cour » et se limitera désormais à une défense axée sur les aspects techniques des dossiers. Couché !

    Arrêtée place de l’Étoile à 15h20, M. L. C. vient de l’Eure ; elle a trois enfants, dont une fille encore à sa charge. Elle alterne périodes de chômage et missions d’intérim en tant qu’aide-soignante. Dans le cadre du « retour à l’emploi », elle touche entre 900 et 1200 euros par mois. Elle est déjà venue manifester à Paris quatre fois. Elle est accusée de « participation », de « violence » , du jet d’une bouteille et du « port d’un masque à cartouche et d’un gilet jaune. » Le masque à gaz, c’est parce qu’elle est asthmatique ? « -En ce cas, elle aurait mieux fait de rester chez elle », rétorque le président. Un flic zélé a écrit sur le PV d’interpellation qu’elle a été reconnue grâce « à un sac à dos rouge et un pull turquoise facilement identifiable. » Présent dans la salle, son mari fournit une vidéo : l’interpellation a été filmée par LCI. On voit cette femme sac au dos, son manteau à capuche fermé. Pas moyen que les flics aient vu le fameux « pull turquoise facilement identifiable » qui lui aurait valu d’être arrêtée. Encore un dossier monté par les condés a posteriori – à grands renforts de mensonges. Comme le dira poliment son avocat :  « le comportement des policiers n’est pas fidèle à la réalité. » Le proc s’en fout : « Il faut croire la police, car quel intérêt auraient ces fonctionnaires à mentir ? ». Il demande un mois avec sursis. Relaxe de la participation au groupement, 1 000 euros d’amende avec sursis pour les violences.

    D.M. a été arrêté en début de soirée avenue d’Iéna. Chef de chantier, il habite à Chatenay-Malabry et gagne 2 200 euros par mois ; il a une fille âgée de 22 mois. Il est accusé de « participation à un groupement » et de « projection d’un sapin sur un véhicule de police pour interrompre sa progression ». Il n’y a rien dans sa fouille : un téléphone et quelques euros. Pris de panique lors d’un mouvement de foule, il est parti en courant, virant au passage un sapin qui se trouvait sur sa route. On visionne les images d’une caméra de vidéosurveillance : on voit le prévenu courir et écarter un sapin, comme il a dit. En totale contradiction avec le PV des condés, la voiture de la BAC arrive dans son dos ! C’est un véhicule banalisé, sans gyrophare. Le proc demande une amende. Relaxe.

    B., L., G. et M. : quatre copains venus ensemble de l’Eure pour manifester à Paris ; Ils sont intérimaire cariste, mécanicien auto, mécanicien auto en interim et soudeur chaudronnier en apprentissage. L’un d’eux habite chez ses parents, qu’il aide financièrement. Le parquet leur reproche la « participation à un groupement » et le fait qu’ils étaient munis de « gants, masques et 25 fumigènes ». Les quatre demandent le renvoi, et l’obtiennent : ils passeront le 6 février 2019. D’ici là, interdiction de se montrer à Paris le samedi. On apprend au passage que 50 arrêtés préfectoraux ont été prononcés dans l’Eure ; toute manifestation est de fait interdite sur l’ensemble du department, et que c’est une des raisons de leur venue à Paris… Rien à voir, évidemment, avec le déplacement « imprévu » de Macron dans ce département pour lancer son « grand débat » !

    A. vient de Castres. Il a été interpellé place de l’Etoile dans l’après-midi. Il devait passer en début d’audience, mais son avocat a demandé un délai pour récupérer à la fouille le portable de son client car il contient une vidéo susceptible de l’innocenter. Accusé « de violence sans ITT sur personne dépositaire de l’autorité publique non identifiée », il aurait jeté pavés et bouteilles. Il nie catégoriquement les faits : vêtu d’un manteau clair et d’une écharpe, il était face au cordon de CRS qu’il filmait. On le voit sur la vidéo qu’il veut montrer… mais qui a disparu de son téléphone. Il explique qu’il avait accepté la fouille de son téléphone à condition d’être présent, ce qui lui a été refusé. « Que voulez-vous dire ? » lui demande le président. « Rien : il y avait cette vidéo, les policiers ont ouvert mon téléphone et elle n’est plus là. » Il demande que soient visionnées les images des caméras de vidéosurveillance, mais comme elles n’ont pas été portées au dossier, sa requête est rejetée. Le proc requiert six mois ferme ; il en prendra cinq avec sursis, et cinq ans de mise à l’épreuve. Il est défendu par l’avocat qui a déjà dénoncé plus tôt le caractère politique de cette cour aux ordres. Comme il a « compris le message de la cour », il s’en tient strictement aux aspects techniques du dossier. Son client n’était pas équipé et le PV d’interpellation ne décrit aucun fait délictueux. Une vidéo disparue, pas moyen d’avoir accès aux autres ou d’obtenir une confrontation avec ses accusateurs, confirmation de l’identité de prévenu uniquement par telephone…

    « Même avec des dossiers imparfaits, la cour condamne dans des audiences ou il n’y a aucune place pour la défense ! On marche sur le droit. »

    Le président et le procureur s’entendent bien : quand ce dernier a un trou de mémoire ou s’il n’arrive pas à trouver ses mots, c’est le président qui vient gentiment à son secours. Là, c’est au tour du procureur d’aller au carton. Il vole au secours des keufs – pourtant bien peu malmenés au cours de ces audiences. Les PV sont imparfaits ? Les procédures aussi ? Il faut s’en contenter car c’est la parole des policiers – qu’on ne peut se permettre de mettre en doute, puisqu’ils nous protègent ! Et il entonne le couplet de la fatigue, des insultes et des coups qui pleuvent sur eux… Ils souffrent du fait qu’on ne dénonce jamais que leurs violences à eux, qui sont la conséquence de leur fatigue… Sans doute y a-t-il eu une ou deux fautes, mais n’auraient-ils pas droit eux aussi à la légitime defense ? Rien d’étonnant, le représentant du ministère public est dans son rôle. Le président arrive à la rescousse, lyrique : « Et il sont là aussi, ces policiers que vous accusez de mensonges… ils sont présents, ils protègent ces bâtiments jusqu’à une heure tardive, malgré la fatigue ! »

    Du coup, il décrète une deuxième interruption de séance histoire de se remettre de ses émotions.

    D. est accusé de « participation », de « violences volontaires », de « construction de barricades » et de la « dégradation » d’un kiosque à journaux et d’une enseigne de parking. La mairie de Paris s’est portée partie civile. Maçon au chômage en formation par Pôle emploi, il touche 1 100 euros par mois. Il a trois enfants, et il est sourd d’une oreille. Il demande un report pour préparer sa defense, qu’il obtient, mais assorti d’un contrôle judiciaire qui lui interdit de venir à Paris le samedi.

    A. a 19 ans. Avec son CAP d’installateur thermique, il est au chômage. On l’accuse de « participation à un groupement », de « violence volontaire sans ITT » et de s’être « masqué le visage avec un bandana ». Il reconnaît avoir jeté des projectiles en direction des gendarmes : une pierre et un fumigène, en réaction à la violence dont il venait d’être témoin : les flics avaient gazé « des personnes tranquilles », il avait vu un CRS taper « une personne qui ne courait pas »… « Les policiers ont mal agi ; je venais pacifiquement et ce que j’ai vu m’a énervé. »

    Pendant toute l’audience, la cour – président et assesseurs- n’a pas arrêté d’essayer de tirer les vers du nez des prévenus sous couvert de compréhension ou d’empathie. Pour aller encore plus loin dans la collusion entre le parquet et une cour qui s’applique à alimenter les réquisitions du procureur, un juge demande carrément au prévenu : « Avant de venir, avez-vous pensé à cette violence, à jeter des objets sur les forces de l’ordre ? » – histoire de voir s’il n’y a pas moyen de lui mettre une préméditation sur le dos. Le président, lui, loue le professionnalisme des flics tout en expliquant au prévenu qu’il « ne fait pas progresser la cause qu’il défend en se montrant violent à l’encontre de la police ». Mais de préméditation, y en a pas : c’est juste « la violence qui engendre la violence ». B.A. décrit la nasse policière place de l’Etoile. Son avocate l’appuie en lui demandant de raconter, « comme vous l’avez fait à moi, ce que vous avez vu. » Après un silence, il se met à sangloter : « Y a des choses qui sont pas normales aujourd’hui. Y avait une personne sur la place qui a pris un tir de Flashball là (il montre sa joue)… elle s’est pas relevée. », l’avocate insiste : « Et votre œil ? Que vous est- il arrivé ? » Il raconte qu’il a « séparé deux gilets jaunes qui voulaient se battre entre eux » pendant la manifestation. Il en a revu un plus tard, mais sous le gilet jaune… c’était un flic en civil qui est venu lui mettre deux droites ! Il a effectivement l’œil tuméfié. Le président lui demande s’il a porté plainte, tandis que le proc s’étonne que ces violence policières dont on parle tant ne soient jamais mentionnées dans les PV ! Ben voyons… L’avocate le calme direct :

    « Il faut arrêter cette hypocrisie de la justice et du parquet par rapport aux violences policières ! Elles existent, mais bien sûr qu’aucun policier ne les mentionnera jamais dans son procès-verbal ! Il ne faut pas le bercer d’illusion (son client) : sa plainte n’aboutira pas. Il y a des citoyens violentés, et combien de policiers seront traduits devant les tribunaux ? Pas beaucoup ! Il faut entendre les larmes de ce jeune homme traumatisé par cette manifestation, il faut entendre ce phénomène de masse qui dure maintenant depuis neuf semaines. Les violences policières sont là, elles existent, il faut que l’hypocrisie s’arrête ! »

    Le proc demande trois mois avec sursis. B. A. est condamné à un mois avec sursis.

    Comme P. est polonais, il comparaît assisté par une interprète. Il est accusé de « violences volontaires sans ITT sur, etc. », et de « rébellion ». Il a armé son poing et il a foncé sur deux CRS sans jamais les atteindre car il a été plaqué au sol avant et menotté. Il déclare ne se rappeler de rien du fait qu’il était saoûl. Six mois avec sursis requis, il en prend trois.

    Marié, 2 enfants, habitant Malakoff, D. M. fait de la mise en rayon à Auchan pour 1 300 euros par mois. Il est accusé de « violences volontaires sans ITT… », de « rébellion », et d’« d’outrage », car il a traité les flics qui l’arrêtaient de « bande de bâtards ! » Il reconnaît avoir relancé un palet de lacrymo en direction des flics parce qu’il s’en était « trop pris pendant des heures » ; les keufs, eux, disent que c’est un jet de pierre. C’est la même avocate qui défend ces quatre derniers dossiers. Elle interpelle de nouveau la cour : « Il faut arrêter ! Quand il y a contradiction, c’est toujours en faveur de la police… Là, il y a même contradiction entre le PV et la fiche d’interpellation : on reproche deux choses différentes à mon client, un jet de pierre et le fait d’avoir provoqué les flics. » Le proc requiert cinq mois avec sursis, il en prendra trois.

    Pendant toute l’audience, le président du tribunal a énoncé les actes d’accusations déclarant en qu’ils s’étaient déroulés « Lors de la manifestation violente dite des gilets jaunes ». Le mot est lâché : les manifestations des gilets jaunes sont violentes ; violentes parce que spontanées, portées par leur seul(e)s participant(e)s ; violentes comme en réponse à la violence économique – orchestrée par l’état – d’une société de plus en plus dure avec les plus fragiles, et dans laquelle les fortunes accumulées par une infime minorité dépassent, de très, très loin l’entendement et la décence ; violentes enfin en réponse à la répression qu’elles subissent, à la violence policière, aux mutilations.

    L’acte IX de ce samedi 12 janvier est particulièrement instructif à cet égard. Nous étions quelques-uns à avoir rejoint le cortège à Bastille vers midi. Après une traversée de Paris tranquille, nous arrivons en vue de l’Arc de triomphe ; là, les quelques personnes qui faisaient partie du « service d’ordre » orientent le cortège vers la rue Saint-honoré. On est plusieurs à aller tout droit pour arriver sur la place de l’Etoile par l’avenue Friedland, et on se rend assez vite compte que la place n’est qu’une immense nasse. Nous décidons alors de repartir par le même chemin ; il est plus de 14 heures. Les CRS bloquent alors la rue : « Vous pouvez entrer, mais pas sortir : on a des ordres. » Les gens sont tranquilles, mais après un bon moment, ça commence à sentir fort la lacrymo et on entend plusieurs détonations. Forcément, ça s’agite un peu plus – les gens veulent sortir, invectivent les CRS : « Vous mettez le peuple en danger, vous nous exposez au gaz ! », « Pourquoi vous faites ça ? Vous travaillez pour qui ? ». Obéissant à la consigne et confiants dans leur intelligence, les condés les repoussent vers le centre de la place. On pousse aussi, et finalement une quarantaine de personnes sortent de la nasse. Quand on a un plan de Paris sous les yeux et qu’on regarde l’heure des premières interpellations, on comprend que la préfecture a créé un point de fixation sur la partie de la place qui va de l’avenue Hoche à l’avenue de Wagram et que le gros de leur effectif était par là. Après, ils se sont déployés pour nettoyer la place, selon le témoignage de personnes rencontrées au Palais. Evidemment, ceux qui ont emmené le cortège rue Saint-honoré suivaient sans le savoir les souhaits de la préfecture. Après avoir joué sans grand succès, la carte de l’opposition manifestant honnête/méchant casseur pour diviser le mouvement, le gouvernement développe l’argument légaliste : une manifestation doit être déclarée et encadrée, ce qui était le cas de cette dernière. Si la préfecture a permis à toute la traversée de Paris de se dérouler sans incident majeur, on peut penser que c’était dans le but de jeter le gros du cortège au cœur du dispositif policier. Là, comme sur un stand de pêche au canards, les condés n’ont plus qu’à prélever les manifestant.e.s pour les livrer à la machine judiciaire. Et tant pis pour l’écologie : ils pêchent aussi à la grenade !

     Dans toute sa complexité, ce mouvement est fort de sa spontanéité et de son caractère horizontal. Pour l’affaiblir et le dénaturer, le pouvoir lui tend deux pièges. Le premier – un peu gros – est celui d’un grand débat dont les sujets sont choisis par un gouvernement qui en a déjà défini les limites en annonçant que pas mal de choses, et notamment la question centrale de la redistribution des richesses, ne bougeraient pas. Le deuxième, c’est celui de la légalité. Alors que la question de la désignation de représentants du mouvement avait été évacuée par le refus de déléguer à nouveau sa vie et ses choix, elle revient par la fenêtre : La ou les personnes qui déclarent une manifestation et en négocient le parcours avec la préf – on a vu le résultat – se sentent forcément responsables de la manifestations et l’encadreront. De là à s’en déclarer les représentants légitimes, il n’y a qu’un pas – mais c’est la légitimité de l’ennemi, celle du droit, de la loi… Après les violences policières et les mutilations subies dans la rue, les audiences au tribunal nous rappellent à quel point la loi et la justice sont les armes de l’adversaire. Comme l’a dit un parent d’un des accusés pendant une suspension de séance :

    « C’est ça, la justice ? Eh ben vivent les gilets jaunes, ils ont raison ! »

  • La lutte s’étend dans les CRA : communiqué des prisonniers du CRA de Mesnil Amelot du 8 janvier 2019

    Alors qu’une grève de la faim a éclaté dans deux bâtiments à Vincennes depuis quelques jours, que la répression des grévistes, leurs déportations ou leurs transferts vers d’autres CRA ont presque fait cesser la grève dans le bâtiment B2 de Vincennes, la grève au bâtiment A2 a Vincennes tient bon et a même été rejointe par de nouvelles personnes au lendemain de la manifestation de solidarité de lundi soir !

    Hier les prisonniers du CRA 2 de Mesnil-Amelot sont rentrés en contact avec nous, ils venaient de se mettre en grève de la faim presqu’à l’unanimité !

    On relaie ici leurs communiqués et leur appel à solidarité:

     

    Nous, retenus du centre de rétention administratif n°2 de Mesnil Amelot (près de l’aéroport Charles de Gaulles en ile de france), avons décidé avant le repas du soir du 08 janvier de nous mettre en grève de la faim pour au moins deux jours.

    Nous avons appelé le CRA 3 et le bâtiment des femmes à faire pareil dès demain matin.

    Ici les conditions d’enfermements sont désastreuses, la nourriture est immonde. Ici pour aller à l’infirmerie il faut faire la queue alors qu’il fait très froid à cause de l’hiver. Ici les infirmiers sont arrogants et généralement ils donnent que du doliprane, même quand t’as quelque chose de cassés ils te font pas de bandage… Ils te donnent juste de la crème.

    Ici les policiers font la loi. Si tu te plains tu vas direct à l’isolement. Ici y a plein de gens qui ont subit ce qu’on appelle la double peine: condamnés à  de la prison et à leur sortie directement ramenés en centre de rétention.

    En centre de rétention si tu refuses de donner tes empreintes ou d’aller voir le consul tu peux prendre 135 jours de centre presque d’affilés ou faire plusieurs mois de prison entre deux placements en CRA.

    Au bâtiment des femmes une prisonnière a été violée par un policier avant les fêtes de fin d’années. Rien n’a été fait pour elle.

    A Mesnil-Amelot, il y a souvent des vols cachés, tôt le matin. Il y a l’isolement où tu peux être enfermé avant le vol. Y a tous ces anciens retenus qui ont été renvoyés de forces, casqués et scotchés.

    Récemment 4 guinéens ont été ramenés de force par une grosse escorte dans un charter a l’aéroport du Bourget. Ils sont partis cherché 5 autres guinéens à Bordeaux, et les ont déportés tous en Guinée.

    On exige la fin des vols cachés, la fin des déportations violentes et l’interdiction d’utiliser des charter pour déporter.

    Pendant toute ta durée de rétention on te change pas ta couverture. Même en prison c’est plus propre…c’est dire. Ici on peut pas cantiner ou attendre en espérant avoir une activité: y en a pas.

    Ici le droit n’existe pas, encore moins qu’en taule et pourtant on parle bien de la prison.. Avant d’arriver ici tu peux pas savoir ce que c’est.

    On en a marre du racisme quotidien de la police. Toutes ces pressions et humiliations sont là pour briser notre moral: celui des retenus.

    On appelle les autres retenus de France à lutter avec nous contre l’enfermement pour 3 mois juste parce qu’on est sans papier ! On appelle à de la solidarité à l’extérieur !

    Liberté pour tous !

    Les retenus du centre de rétention n°2 de Mesnil-Amelot le 08 janvier au soir.

     

  • DES GILETS JAUNES FACE A LA JUSTICE… DE CLASSE, suite : de l’intérêt de refuser la comparution immédiate

    DES GILETS JAUNES FACE A LA JUSTICE… DE CLASSE, suite : de l’intérêt de refuser la comparution immédiate, exemples à Paris le 07 janvier 2019

    Ce lundi 7 janvier au palais de justice des batignolles à Paris, nous avons assisté à des audiences en renvoie ; c’est à dire que les personnes qui comparaissaient ont été arrêtées lors des actes II et III et qu’elles ont alors refusé le passage en comparution immédiate et obtenu de ce fait un délais pour préparer leur défense.

    Deux inculpés qui n’avaient pas eu le temps de préparer leur défense ont obtenu un nouveau renvoi ; ils passeront le 16 avril devant la 24e chambre. Le contrôle judiciaire dont ils font l’objet a été assoupli pour qu’ils puissent voir leur avocat à Paris. Quatre personnes ont comparu avec l’aide d’un avocat, cinq autres se sont présentées sans.

    Le chef d’inculpation principal était pour tous d’avoir « participé sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation caractérisée d’un ou plusieurs faits matériels de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou de dégradations de biens ».

    Ce délit a été créé par Sarkozy dans la loi du 2 mars 2010 dans le but de « renforç[er] la lutte contre les violence de groupe et la protection des personnes chargées d’une mission de service public ». Le parquet a assaisonné ce fond de sauce d’épices variées, selon le cas : rébellion, dégradations, port d’arme, coups et blessures sur personnes dépositaires de l’autorité publique.

    Avant de rendre compte plus précisément de chacune des affaires, une évidence s’impose néanmoins : cette audience en renvoi montre une fois de plus la nécessité de refuser les comparutions immédiates. Bien sûr, des peines sont toute de même prononcées ; bien sûr, la relaxe n’est toujours pas la norme (alors que les dossiers le permettraient) ; bien sûr, la justice continue ici aussi son travail d’éradication du mouvement ; bien sûr, il est toujours difficile d’énoncer des vérités générales dans le cadre des procès… mais force est de constater qu’à dossier équivalent, la sentence est souvent plus « clémente » qu’en comparution immédiate.

    Le chef d’inculpation principal est toujours le même, c’est la fameuse « participation à un groupement », résurgence de la loi anticasseurs -qu’Edouard Philippe voudrait encore durcir, si c’est encore possible. En comparution immédiate, pour des faits identiques -ou plutôt pour une absence similaire de ces dits « faits » – quasiment tous les inculpés prennent des peines de prisons ferme ou avec sursis. Ce jour,  lors des audiences de renvoie, sans être forcément des flèches, les avocats ont pu faire le taf, c’est à dire qu’ils ont pu démontrer le vide des dossiers, qui souvent ne contenaient que la fiche d’interpellation et le PV d’ambiance de la police.

    L’un d’entre eux a même -dingue…- osé s’en prendre à cette loi en expliquant le contexte de sa création et le fait qu’elle est maintenant utilisée pour arrêter « tout le monde et n’importe qui » – destin classique de toutes les lois sécuritaires, qui ciblent d’abord l’« ennemi public » du moment pour être acceptées, avant de s’appliquer progressivement au plus grand nombre.

    Le président reconnaît lui-même qu’en comparution immediate, c’est une justice d’abattage qui s’applique : « Maintenant que l’ambiance est apaisée, dit-il, il faut examiner les faits »

    Les relaxes sont dues au fait que la simple présence sur les lieux d’une manifestation ne constitue pas un « fait matériel » suffisant pour caractériser un intention quelconque. Encore une fois, en comparution immédiate ces dernières semaines, cela suffit bien souvent aux juges comme « fait matériel ». Très paternaliste, le juge se contente ici d’expliquer qu’une manifestation doit être declarée… et puis qu’il faut savoir rentrer chez soi. « On interdit pas ici le fait de manifester, mais il faut rester dans le cadre défini. » D’ailleurs, s’il y a pu y avoir des violences policières, elles étaient légitimées par l’ambiance, la fatigue… et puis le policier, c’est un être humain, lui aussi ! Il a le droit de craquer ! Pareil pour les erreurs de procédure… comme si on pouvait renvoyer dos à dos la violence de l’État et la réaction populaire !

    De fait, les quelques nuances que nous introduisons ici, ne doivent pas masquer l’essentiel, à savoir la continuité de la violence d’Etat : violence policière dans la rue, rigueur des condamnations devant les tribunaux. Les rouages de l’appareil répressif tournent à plein régime pour qu’il y ait de moins en moins de monde dans la rue. Depuis janvier plus qu’en décembre encore, le gouvernement assume : il veut blesser, abîmer, terroriser les participants et tente par tous les moyens de retourner la population contre le mouvement. Jusqu’ici, malgré un travail assidu notamment des tribunaux  il n’est pas parvenu à trier le bon grain de l’ivraie -ce qui est déjà exceptionnel-, il s’agit donc de continuer à l’en empêcher.

    #SolidariteDansLesTribunaux

    Les quatre qui avaient des défenseurs

    R. a été arrêté lors de l’acte III, il est accusé de « participation… » et de « dégradations ». Son avocat dépose des conclusions de nullité car les condés ont rajouté une page au PV de fin de notification de garde à vue. Le président joint l’incident au fond. Le procureur demande six mois avec sursis. Relaxe.

    Arrêté à midi boulevard Haussmann pendant l’acte III, C. B. est accusé de « participation », de « dégradations » et de « port d’arme de catégorie D ». Le procureur requiert dix mois dont six avec sursis ; il est condamné à 300 euros d’amende pour le port d’arme et relaxé pour les deux autres chefs d’inculpation.

    Interpelé très tôt sur les Champs lors de l’acte II, D. Y. est accusé de « participation », de « dégradations », de « violence volontaire sur personnes identifiées comme représentants de l’ordre public ». La ville de Paris se porte partie civile pour les degradations : une pierre lancée sur un kiosque à journaux. Pour l’acte II, au fait de « participer à un groupement » s’ajoute une circonstance aggravante : « en dehors de l’espace autorisé » -il faut rappeler que l’ensemble des Champs était totalement bouclé par les condés. Pour y pénétrer, il fallait accepter une vérification d’identité et ue foille en règle ; le fait d’être « en dehors » attestait donc pour les juges de la volonté « d’en découdre ». Le procureur demande quatre mois fermes ; le gars est condamné à 105 heures de TIG assorties d’une obligation de soins –et quatre mois de sursis si les TIG ne sont pas effectués. Pas d’indemnités pour la partie civile.

    Arrêté à 15h45 rue la Boêtie au cours de l’acte III, B. M. est accusé de « participation », et du port de « pierres, lunette, masque et protège-tibias ». La procureur demande des TIG et l’interdiction de se présenter à Paris : il est relaxé.

    Les comparutions sans avocat

    A. a été arrêté au cours de l’acte II. Il est accusé de « participation », de « rébellion » et de « coups et blessures » : un des condés de la BAC qui l’ont arrêté s’est foulé le pouce – 10 jours d’ITT… et 1 500 euros de dommages et intérêts. A. n’a pas d’avocat, mais accepte d’être jugé. Le condé est présent, témoigne… et lui, il a son avocat. Larmoyant, le proc évoque les manifestations de janvier 2015 « où on embrassait et remerciait les policiers qui nous protègent » pour les opposer à « ces violences insurrectionnelles » où « ils sont pris pour cibles ». Dans la foulée, il requiert deux ans fermes. C. est condamné à six mois de sursis et cinq ans de mise à l’épreuve. Les dommages et intérêts du condé sont renvoyés au civil, mais C. doit tout de même verser 1 500 euros -en provision…

    R. a été interpelé au soir de l’acte II ; il est accusé de « participation » et de « rébellion ». Le procureur demande trois mois fermes. Il prend 105 heures de TIG assortis de trois mois de sursis s’ils ne sont pas effectués.

    L. a été arrêté pendant l’acte II, dans l’après-midi. Lui, il mérite une special dedicace : il s’est fait tirer dessus « par un lanceur de 40 mm » (le fameux LBD)… mais dans les jambes ! et ce côté « pro » des CRS, il a grave apprécié. Il connaît un peu la musique, faut dire : après cinq ans dans l’armée, il est rentré dans la pénitentiaire en 2003. Il a bossé en centrale en Alsace, en CD, et là, il est à Fresnes. Le maintien de l’ordre et ses conséquences, ça le connaît  : il a été dans les Eris (les matons cagoulés qui interviennent pour écraser les mouvements collectifs en prison) « d’où la cagoule, Monsieur le président » ! Des émeutes, il en maté 3, et il a eu « de la chance de ne pas avoir eu une main arrachée, ou perdu un œil ». Du coup, quand il vient manifester, il se protège bien : masque et lunettes. Six mois avec sursis requis ; il en prend quatre.

    Interpellé dans le 18ème lors de l’acte III, D. G. est accusé de « participation », de « déclarations imaginaires » et de « possession de pétards ». Arrivé du Havre à 20h30, il a été arrêté à 21h50. Le procureur requiert une amende avec sursis. Relaxe.

    Interpellée à 15h30 au cours de l’acte II. L. Y. est accusée de « participation », de « déclaration imaginaire », de « violence volontaire envers une personne détentrice de l’autorité, sans ITT ». Le flic aurait reçu de la peinture noire sur le visage, et il aurait du mal à s’en remettre ! Le procureur demande une amende avec sursis. Elle explique qu’elle voulait « voir et filmer ». Le président s’étonne : pourquoi faire, puisque « BFM retransmet tout en direct » ? Droite dans ses bottes, elle rétorque que  «  non, ce qui est montré ne correspond pas à la vérité : on ne voit pas les violences policières ! » 105 heures de TIG assortis de cinq mois de sursis s’ils ne sont pas effectués, et 150 euros d’amende pour fausse déclaration d’identité.

  • A Foix aussi, la justice envoie des Gilets jaunes en prison pour tuer le mouvement !

    Ce mercredi 2 janvier, le tribunal de Foix (09) faisait comparaître deux hommes de 25 et 30 ans, pour dégradation avec incendie au péage de Pamiers et « occupation non appropriée du domaine routier » dans la soirée du 31 décembre.

    Au vu du casier non vierge des deux prévenus, l’avocat de la défense Me Baby leur a conseillé d’accepter la comparution immédiate, estimant qu’il pouvait « faire appel à l’humanité du tribunal » pour leur éviter l’incarcération immédiate (mandat de dépôt).

    Autant pisser dans un violon…

    « Que l’on s’estime innocent ou coupable, il vaut mieux refuser la comparution immédiate. Être jugé tout de suite, à chaud, c’est courir le risque de prendre une peine « pour l’exemple », et se priver de l’aide d’avocats capables de défendre correctement le dossier – ne serait-ce que parce qu’ils auraient eu le temps de le lire. » Des gilets jaunes face à la justice…de classe

    Les deux prévenus sont précaires, l’un travailleur pauvre sans logement et l’autre intérimaire, et le tribunal ne va pas se priver de s’appuyer lourdement sur ce qu’il appel le « profil des accusés ». Ils ont tous deux quelques condamnations à leur casier pour larcins ou conduite sans permis. Procureur comme juge insistent en chœur sur « le niveau ras-des-pâquerettes des prévenus ». Ce à quoi un des deux rétorquera en fin d’audience « nous ne sommes pas des bêtes, nous ne nous arrêtons pas de penser ».

    La trentaine de soutiens dans la salle ne se montre pas révérencieuse face au tribunal et n’hésite pas à réagir. Une femme de l’assistance se fait sortir pour avoir répondu aux dires du procureur que l’usage du flashball était également une atteinte à la sécurité des personnes.
    Le procureur demande une peine de 8 à 9 mois de prison ferme pour les deux gilets jaunes.
    La défense n’était certes pas facile, les deux hommes ayant reconnu et raconté en détail les faits en garde à vue ; pour l’un d’entre eux après s’être fait mettre la pression par la police pour ne pas faire plonger son camarade seul.

    L’avocat opte pour une défense politique avec un discours sur la casse comme « moyen pour se faire entendre », n’hésitant pas à évoquer les faucheurs d’OGM ou même la ZAD de Notre-Dame-des-Landes comme exemple. Les derniers mots de l’avocat n’auront pas convaincu le tribunal : « donnez le message ferme qui convient, mais laissez la place à l’humanité » pour « laisser les condamnés retourner chez eux » . Raté !

    Les deux gilets jaunes ont été incarcérés mercredi soir, avec pour peine 3 mois de prison ferme et 6 mois de sursis avec obligation de travailler, plus 150 euros d’amende chacun. Encore une fois, la comparution immédiate a entraîné une condamnation sévère et envoyé les condamné dormir en prison.

    Solidarité avec les prisonniers et leurs proches et renforçons nos réflexes de défense avant, pendant et après les actions !

    Exemple de conseils de précautions avant les manifs ou blocage : Conseils contre la répression

    Pour  s’en sortir au mieux et ne pas aggraver son cas en garde à vue : Brochure GAV
    A propos de son téléphone, ce mouchard quand on est entre les mains de la police : Code PIN en GAV décryptage

     

  • DES GILETS JAUNES FACE A LA JUSTICE… de classe

    « Si vous le saviez, pourquoi vous y rendre ? » un procureur parmi d’autres.

    Un gouvernement qui ne parvient pas à écraser un mouvement de  contestation dans l’œuf dispose de plusieurs outils pour le circonscrire et l’étouffer s’il menace de tenir, voire de s’étendre. Au bout de cette chaîne répressive, il y a les tribunaux. La ministre de la Justice Nicole Belloubet, en visite au tribunal de Paris au lendemain de la manifestation du 1er décembre, avait demandé aux magistrats une réponse pénale « tout à fait ferme » à l’encontre des prévenus. C’est pourquoi il est très important de soutenir les inculpés, notamment par la présence aux procès. C’est bien sûr une solidarité nécessaire, mais surtout, c’est un moment de la lutte à part entière ; et c’est particulièrement vrai dans le mouvement actuel.

    En effet, une des particularités de ce mouvement, c’est qu’une grande partie des gens qui descendent dans la rue n’ont jamais eu affaire à la justice et ignorent bien souvent tout ou presque de son fonctionnement. Et comme ce ne sont pas des bourgeois, ils subissent de plein fouet la violence de classe qui s’exerce quotidiennement dans les tribunaux ; en particulier dans les comparutions immédiates qui pratiquent une justice d’abattage. Ils n’ont ni les connaissances juridiques et les stratégies qu’apprennent et échangent les « habitués » des tribunaux et des prisons… ni le langage et les attitudes légitimes – et l’aide d’un bon avocat payé en conséquence – qui tendent à adoucir la sentence pour les bourgeois. Chacun sent bien qu’il va sans doute falloir faire profil bas, s’excuser, regretter… mais ça ne suffit pas pour se défendre.

    Nous publions ici quelques observations générales sur des audiences auxquelles nous avons assisté – comme toujours avec l’institution judiciaire qui s’ingénie à tout individualiser, il n’y a pas de vérité absolue, ce qui n’empêche pas de dégager certaines tendances – suivies de comptes rendus d’audiences d’ici et d’ailleurs.

    En assistant aux procès, chacun et chacune peut tenter d’analyser et de publiciser les postures et les réflexes qu’adoptent les juges dans la période actuelle : les chefs d’inculpations choisis, le genre de défense à laquelle s’attendent les procs, le montant des réquisitions pour tel ou tel acte… ces éléments peuvent permettre de renforcer les stratégies de défense des prévenus, et donc le mouvement lui-même.

     Des GAV par milliers

    Selon les chiffres officiels recoupés ici et là dans un article paru sur Bastamag.net le 10 décembre, il y avait déjà eu à cette date plus de 3300 arrestations dans le cadre de ce mouvement. Si toutes n’ont pas conduit à une garde à vue (GAV), ça a été le cas dans l’immense majorité. Plusieurs milliers de personnes ont fait l’expérience de la plus courte des peines de prison : vingt-quatre, quarante-huit heures ou plus (pour cause de micmacs sur les PV pour réguler les flux dans certains commissariats) entre les mains de la police.

    Cette situation très désagréable – surtout la première fois – conduit beaucoup de personnes interpellées à parler, à répondre aux policiers… belle occasion de charger un dossier qui souvent ne contenait jusque-là qu’un procès-verbal d’interpellation. Ne pas répondre, ou nier les faits, est un droit que beaucoup ignorent. Il faut le faire savoir au maximum : contrairement à ce que disent invariablement les policiers, moins on parle, moins on s’expose – que l’on se pense innocent ou que l’on se sache coupable.

    Une bonne partie des GJ gardés à vue est ressortie après un simple « rappel à la loi » parce que malgré tous leurs efforts, les OPJ n’avaient pas réussi à trouver de quoi constituer une infraction à poursuivre. Ça a été le cas de la plupart des gens qui ont été arrêté de manière préventive juste parce qu’ils étaient « équipés » (de masques, de cache-cols, de sérum physiologique), ou parce qu’ils sont arrivés en groupe à un endroit où les « forces de l’ordre » étaient particulièrement zélées ; le but de ces arrestations étant avant tout d’assécher les rassemblements du jour et de dissuader ceux et celles qui voudraient se rendre aux suivants.

    Refuser la comparution immédiate

    « Plus de 1200 personnes auraient été déferrées devant la justice depuis le début du mouvement. Par comparaison, c’est désormais davantage que lors de la contestation contre la loi Travail, de mars à juin 2016 sous le mandat de François Hollande, mouvement au cours duquel 753 personnes avaient été poursuivies » (source : bastamag.net).

    Celles et ceux qui ne sortent pas avec un rappel à la loi sont donc « déféré.e.s », c’est-à-dire qu’ils et elles comparaissent devant un juge pour répondre des « éléments » qu’il y aurait dans le dossier. Ça peut être la déclaration d’un flic concernant l’interpellation, des images de vidéosurveillance « exploitables », un aveu du prévenu, un simple texto dans son portable, une vidéo dans le téléphone d’un autre manifestant arrêté, ou encore « une preuve matérielle » : un gant troué, une pierre dans la poche, etc. C’est à ce moment-là que le juge propose au prévenu, soit d’être jugé tout de suite en « comparution immédiate », soit de demander à être jugé plus tard pour préparer sa défense.

    Que l’on s’estime innocent ou coupable, il vaut mieux refuser la comparution immédiate. Être jugé tout de suite, à chaud, c’est courir le risque de prendre une peine « pour l’exemple », et se priver de l’aide d’avocats capables de défendre correctement le dossier – ne serait-ce que parce qu’ils auraient eu le temps de le lire.

    Lorsqu’on refuse la comparution immédiate, le juge est dans l’obligation de donner la date à laquelle on sera de nouveau convoqué. La question est de savoir si on attendra cette date en prison ou dehors. Pour en décider, le tribunal examine les « éléments de personnalité », c’est-à-dire des informations sur le travail, le revenu, le domicile… pour déterminer, d’une part, si l’institution judiciaire est assurée de retrouver le prévenu le jour de son procès et, d’autre part, dans la période actuelle, s’il risque de retourner en manif d’ici là.

    Lorsque l’on voit un avocat en GAV, il faut donc lui demander de contacter quelqu’un qui pourra lui faire parvenir des « garanties de représentation » : fiche de paye, avis d’imposition, facture prouvant la domiciliation, déclaration d’une association, etc.

    Comme beaucoup de prévenus arrêtés pendant ce mouvement travaillent ou suivent une scolarité et ont une famille ou une vie considérée comme suffisamment stable aux yeux des juges, ils ont été nombreux à être libérés dans l’attente de leur procès – mais toujours avec l’interdiction de manifester, et de se rendre à Paris pour les non-parisiens de banlieue et d’ailleurs, le tout assorti d’un contrôle judiciaire plus ou moins strict, c’est-à-dire une obligation de pointer au commissariat ou à la gendarmerie de sa commune entre une et trois fois par semaine.

     En comparution immédiate

     Malheureusement, très peu de gens refusent la comparution immédiate – tout le monde ne sait pas que les peines y sont souvent plus lourdes, et puis il y a toujours la pression des policiers qui font croire qu’en cas de refus on part forcément en détention préventive… mais surtout, l’envie d’en finir au plus vite, l’illusion qu’on en sera quitte avec une GAV et un rappel à la loi.

    C’est faux, mais dans ce mouvement ça marche à fond, d’autant que les interpellés viennent très souvent de loin pour manifester à Paris et qu’ils ont envie de rentrer chez eux. Ils reculent devant la perspective d’avoir à revenir pour un procès dans plusieurs semaines, alors qu’ils n’auront sans doute ni le temps ni l’argent.

    Tous les prévenus – à de très rares exceptions près – des comparutions auxquelles nous avons assisté étaient poursuivis pour le désormais fameux « groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences ». C’est devenu une sorte de socle commun pour ce mouvement, et pour cause : c’est un chef d’inculpation très très très pratique, puisqu’il permet au juge, quand il fait mine de vouloir reconstituer les faits, ainsi qu’au procureur dans son réquisitoire contre l’accusé, de mettre l’accent, soit sur le caractère collectif (groupement), soit sur l’intention (en vue de), soit sur les lieux où la personne est arrêtée (un endroit où des dégradations ou des violences ont été commises). Ce cocktail permet à la cour de poser des questions de tous types et cette succession de questions parfois anodines donne souvent l’illusion qu’elle cherche simplement à « établir la vérité », à « bien comprendre ce qui s’est passé », « ce que faisait l’accusé » etc. En réalité, le juge est en train d’accumuler en direct les charges suffisantes pour justifier la sentence que le procureur va requérir… alors même que le dossier monté par la police en GAV est la plupart du temps vide.

    « En vue de » : gare aux intentions

     Dans les procès auxquels nous avons assisté dans le néo-palais de justice de Paris, suite aux manifestations des 1er et 8 décembre, les magistrats ont invariablement commencé par demander pourquoi le prévenu était allé manifester et si c’était la première fois, pour vérifier si la personne était un « authentique Gilet jaune ». Ils se sont largement fondés pour cela sur sa profession et son salaire : pour les juges et les procureurs –pour certains avocats aussi d’ailleurs– le Gilet jaune travaille – mais il est précaire, artisan, ou exerce une profession indépendante. Il a des raisons de manifester… mais ce n’est pas un militant ; et puis, surtout, il n’a jamais été condamné auparavant – sauf, à la limite, pour un délit routier.

    S’il a un casier judiciaire, il bascule immédiatement dans la catégorie haïe du « délinquant d’opportunité » : il s’est glissé dans la manifestation pour profiter du chaos, piller et attaquer la police, et ses gestes n’ont rien à voir avec la colère – éventuellement – légitime des « authentiques Gilets jaunes ». Juges et procureurs sont rassurés de retomber sur leur gibier quotidien, et ils n’en sont que plus féroces et se permettent même de tancer le désigné « casseur » au nom de la crédibilité du mouvement. En bons bourgeois qu’ils sont, ils savent que l’ordre social repose en partie sur leur travail, qui consiste essentiellement à distinguer les bons pauvres des mauvais. Plus tu as chuté dans l’échelle sociale, plus tu as fait de prison, plus tu es paumé, moins tu mérites ta place dans ce mouvement de contestation. Comme toujours, si tu as fait de la prison, tu retourneras en prison, quant bien même elle serait directement responsable de ta misère actuelle.

    Passer l’examen d’« authentique Gilet jaune » avec succès ne suffit pas pour autant à laver le prévenu de toute « intention » malveillante. Elle peut s’être nichée dans un texto du genre : « Debout les amis, il est 5 heures, on monte à Paris, c’est la révolution. » Ou dans le matériel dont s’est équipée la personne : les protections témoignent de l’intention de se rendre dans un endroit où il y aura des gaz, « si vous le saviez, pourquoi vous y rendre ? » De même que ramasser une balle de flashball ou une grenade qu’on a reçue indique l’intention de la renvoyer sur les forces de l’ordre, etc.

     « Le groupement » : gare aux autres

     En gros, pour le proc, on n’est jamais « là par hasard » : si des gens cassent des vitrines ou jettent des cailloux sur les « forces de l’ordre » là où on est, c’est comme si on le faisait soi-même. En gros, notre présence, notre regard sur la scène (encore plus si nous la filmons) nous en rend complice.

    Le « groupement » peut être constitué dès lors qu’une vidéo montre le prévenu à proximité d’un groupe en capuches – qu’ils soient en train de dégrader quelque chose ou pas à ce moment-là. Il peut même être constitué grâce à une vidéo saisie dans un téléphone pour peu qu’on s’y adresse à un autre manifestant. Dans le cas où aucune image exploitable n’est disponible, le juge demande d’une voix rassurante : « Je cherche à bien comprendre ce que vous avez fait, donc dites-moi : quand vous êtes arrivés, il y avait des gens qui cassaient ? » ; et le prévenu répond, pensant que sa sincérité le protègera : « Oh oui, c’était vraiment le bordel ! Il y en a qui cassaient, mais pas moi ! » Le juge a réussi son coup : la personne a reconnu qu’elle s’est trouvée en compagnie de « casseurs ». Et un groupement de plus !

    Lorsqu’il n’y a vraiment rien dans le dossier, le juge peut s’appuyer sur un « PV d’ambiance » pour constituer le fameux délit de « groupement ». Ce drôle de truc, parfois aussi appelé « PV de renseignement », est un ramassis de considérations d’un agent X sur la situation dans un périmètre donné à un moment donné. Ce PV d’ambiance peut d’ailleurs remonter à deux ou trois heures avant l’arrestation.

    Enfin, il peut y avoir groupement même si la personne a été interpellée alors qu’elle rejoignait sa voiture avec un groupe d’amis, par exemple. Le juge demande d’ailleurs souvent si la personne est venue seule à la manifestation ; et si elle était accompagnée au moment de son arrestation.

    Bref, le « groupement « est LE chef d’inculpation fourre-tout qui permet l’arrestation et la condamnation de masse.

    Néanmoins, les seules relaxés ont été ceux qui ne devaient répondre que de ce seul chef d’inculpation. Certains avocats et avocates ont d’ailleurs bien compris qu’il faut le démonter à toute force et mettre à jour qu’il n’est rien d’autre qu’une remise en cause radicale du droit de manifester.

    Quant aux prévenus qui avaient en plus de ce chef d’inculpation des violences contre agent (avec ou sans dépôt de plainte de l’agent en question), des outrages, des vols ou du recel de marchandise volée, des dégradations de biens – sur la base de flagrants délits, d’aveux en GAV ou de vidéos (parfois filmées par eux-mêmes ou par leurs amis), ils ont tous été condamnés à des peines de prison. Assorties de sursis, ou même à du ferme, avec mandat de dépôt ou non, toujours selon les « personnalités ».

    Nous attendons d’avoir des retours de la part de ceux qui ont été incarcérés pour développer la question de la prison suite à ce mouvement.

    Nous vous invitons à vous rendre dans les tribunaux, à prendre des notes et à échanger avec les autres personnes présentes dans la salle, notamment si les familles des accusés sont là ; vous pouvez renvoyer vers et imprimer ces conseils :

    Quelques conseils pour se protéger en manifs et ailleurs

    SORTEZ COUVERT-E-S : se protéger en GAV

    Que faire quand un-e proche est incarcéré-e ?

     Vous pouvez envoyer comptes rendus de procès, commentaires, questions, informations sur d’éventuels comités de soutien et contacts de prisonniers qui voudraient des coups de main à :

    contact@lenvolee.net

    Twitter : @anticarceral

    Vous pouvez lire ci-dessous certains des comptes rendus des procès auxquels nous avons assisté ainsi que des compte rendus publiés sur différents sites collaboratifs d’informations

    A Toulouse :

    Retour sur les comparutions immédiates du lundi 10 décembre suite à l’acte IV

    Retour sur les comparutions immédiates suite à la journée de samedi 1er

    A Tours :

    Manifestation du 1er décembre : deux personnes condamnées à de la prison ferme et incarcérées

    A Marseille :

    Point sur répression depuis le 1er décembre

    Boucherie au tribunal : communiqué de la Legal Team sur les audiences du 10/12

    A Lyon :

    Comparutions immédiates du lundi 10 décembre 2018

    A Saint-Etienne :

    Rassemblement de soutien aux récent.e.s inculpé.e.s devant le palais de justice

    3 mois fermes pour vol : bilan des premiers procès de samedi

    A Avignon :

    A Paris :

    Appel à aller au TGI de Paris ces lundi 17 et mardi 18 décembre à partir de 13h30

    « A ce rythme-là, vous allez pouvoir mettre toute la France en comparution immédiate » – Récit de deux après-midi au TGI de Paris

    Réveillon au TGI des Batignolles, compte-rendu de compa le 24 décembre

    Témoignage d’une mère d’un Gilet jeune condamné à Paris

    Comptes-rendus d’audiences de comparutions immédiates consécutives à la manifestation des gilets jaunes du 1er décembre.

    Lundi 3 décembre, salle 6.04, de 14 à 20 heures, par M.

    Il y a pas mal de journalistes, comme on pouvait s’y attendre. La juge offre un beau numéro de condescendance de classe, enchaînant blagues et petites vannes aux prévenus qu’elle ne considère visiblement pas comme de mauvais bougres ; ça ne l’empêchera pas de les laminer au moment du verdict. Une heure après le début des audiences, la mairie de Paris fait parvenir à la cour une note dans laquelle elle dit qu’elle se constitue partie civile dans toutes les affaires ; demande finalement rejetée au motif que les parties civiles doivent se constituer nommément pour chaque affaire.

    Presque aucun prévenu ne l’est pour des faits caractérisés. La plupart comparaissent pour « participation à un groupuscule en vue de commettre des violences contre des biens ou des personnes », ou parce que les flics ont trouvé sur eux du matériel de défense : des gants, un plastron de moto, des genouillères, du sérum phy, des masques à peinture Casto, des lunettes de piscine, etc. Plusieurs ont été arrêtés avant d’arriver sur les lieux ; leur « participation » devient donc une « intention de participer » -ce qui ne changera rien aux peines distribuées.

    Parmi les inculpés de cette après-midi beaucoup ont déjà un casier judiciaire : conduite sans permis, accident de voiture, détention de shit. Tous les prévenus viennent de banlieue ou ailleurs en France mais aucun de Paris : Toulon, la Nièvre, l’Essonne, les Ardennes, St-Germain-en-Laye, le Blanc-Mesnil. Ils sont ouvriers ou artisans : deux maçons, deux tourneurs-fraiseurs, un soudeur, un inspecteur qualité, un cariste, un forgeron, un mécanicien, un technicien élec et un préparateur de commandes. L’un d’entre eux a fait la guerre du Kosovo, un autre est un ancien militaire condamné pour désertion. Il y a aussi un fils de flic. La plupart insistent sur le fait qu’ils n’ont rien contre la police, qu’ils ne sont ni d’extrême gauche, ni d’extrême droite, qu’ils n’avaient jamais fait de manif jusque-là, qu’ils condamnent les « casseurs ». Ils disent qu’ils ont bien retenu la leçon et n’iront plus jamais en manif.

    R. est accusé d’avoir participé à un « groupement » alors qu’il a été arrêté à 10h50 -avant de rejoindre la manif-, ainsi que d’avoir apporté un plastron, des gants et un casque de moto. Déjà condamné pour violences et conduite sans permis, il prend quatre mois de sursis et une interdiction de séjour à Paris de huit mois.

    S. : Les flics ont trouvé sur lui un casque de vélo qui viendrait du Décathlon pillé. Déjà condamné quand il était mineur pour incendie et vol de voiture, il prend trois mois avec sursis.

    J., D., G., M. et F. sont eux aussi accusés d’avoir participé à un « groupement » -alors qu’ils ont été arrêtés à 10h30, en descendant de leur voiture-, d’avoir été équipés de sérum physiologique, de lunettes, de masques à peinture, de gants et de petits pétards tout à fait légaux. L’un d’eux, qui a déjà un casier (suite à un accident de voiture), n’est pas éligible au sursis. Il prend trois mois ferme sans mandat de dépôt. C’est la plus grosse condamnation de l’après-midi ; il va faire appel. Les deux qui avaient des pétards sur eux prennent huit mois avec sursis, les deux qui n’en avaient pas en prennent quatre. Tous sont interdits de séjour à Paris pour un an. 

    J. est accusé d’avoir lancé un morceau de macadam sur les flics. Heureusement, lui n’accepte pas la comparution immédiate (c’est le seul). Il passera le 10 janvier à la 23e chambre correctionnelle, salle 3. D’ici là, il est placé sous contrôle judiciaire avec obligation de maintien à domicile (sauf pour se rendre au travail ou à un rendez-vous médical) ; interdit de séjour à Paris, il doit aller pointer toutes les deux semaines.

    F. est accusé d’avoir  participé à un « groupement« , d’avoir un sweat à capuche et des gants. Il est relaxé.

    A. a été arrêté à Bastille. Les flics l’ont fouillé alors qu’il descendait prendre le métro, et il avait un masque à gaz NRBC. Il est accusé de port d’arme de 1e catégorie, parce que c’est du matos militaire. Il est condamné à huit mois de sursis, avec interdiction de porter une arme -toutes catégories confondues- et de venir à Paris pendant un an.

    F. est accusé d’avoir participé à un groupement, d’avoir déplacé une barrière mobile et fait des pochoirs sur les murs. Il s’est pris des coups de matraque : cinq jours d’ITT, il a le visage complètement contusionné. Dans le PV d’interpellation, le flic précise qu’il ne fait pas partie des individus qui s’en sont pris à eux. Il est condamné à six mois de sursis et 500 euros d’amende pour les pochoirs « Marche ou crève », et huit mois d’interdiction de Paris.

    Mardi 4 décembre, salle 6.04, de 14 à 20 heures, par S.

    Aucun des prévenus âgés de 22 à 40 ans ne viennent de Paris : Jura, Alsace ou grande banlieue (Seine-et-Marne). Tous intérimaires ou chômeurs alors qu’ils ont un bac pro ou technique, ou le niveau BTS. Des déclassés des classes moyennes tombés dans la galère alors qu’ils ont fait tout ce qu’il fallait pour trouver un taf. Aucun n’est poursuivi pour violences. Juste parce qu’ils étaient présents avec du matériel (principalement défensif : lunettes, sérum physiologique, masques, gants), ils sont accusés d’avoir « participé sciemment à un groupement formé même de façon temporaire en vue de commettre des dégradations » et tout le blabla… un fourre-tout sorti de la dernière loi sécuritaire. Plus besoin d’actes de dégradation ou autres pour poursuivre : on juge une intention comme aux beaux jours de la loi anticasseurs. Petite modernization toutefois : les portables ont été analysés, et les textos ont valeur de preuve -à charge !

    Arrêté à 19h50 avec du matos défensif et une fronde, le premier prévenu ne connaît personne à Paris. Il a acheté un blouson 30 balles après l’attaque d’un magasin, alors on lui colle une poursuite pour recel. Relaxé pour le port d’arme, il prend douze mois dont six avec sursis sans mandat de dépôt et une interdiction de se rendre à Paris pendant un an.

    Le deuxième a été arrêté près de la Concorde à 17h25 alors qu’il traversait la place en courant ; les flics l’ont bloqué, ont fouillé son sac et trouvé le matos classique. Dix mois dont six avec sursis sans mandat de dépôt. Même s’ils sont aménageables, c’est 4 mois ferme quand même !

    Un troisième prévenu a été arrêté à 19 heures alors qu’il était arrivé sur Paris à 16 heures. Comme il ne connaissait personne, il a suivi un groupe et s’est retrouvé près du Palais des congrès –dont le directeur a porté plainte. Accusé d’avoir conduit un Fenwick, il est poursuivi pour le vol d’un engin de chantier avec lequel il aurait tenté de forcer les portes du bâtiment. Des vidéos le montrent bien à côté de l’engin, mais lui déclare qu’il a au contraire actionné le frein à main pour arrêter l’engin. Il avait 3 cailloux dans sa poche. Six mois avec sursis, et six mois d’interdiction de séjour à Paris.

    C’est ensuite au tour d’un gars venu d’Alsace avec un pote pour “voir de ses yeux”. Impressionnés par le speed de ce qui se passe autour, ils sont entrés dans un rade pour suivre le reste à la télé et se sont un peu bourré la gueule… sorti du rade, le mec passe un coup de bigo à sa copine, adossé à une vitrine. Enervé, il fout un coup de semelle dans la vitrine qui était déjà fêlée. À l’intérieur, le gérant appelle les condés qui le suivent, lui et son pote ; ils sont arrêtés quand ils sont en train de chercher un hôtel. Le gérant n’est pas présent à l’audience et ne s’est pas porté partie civile. Soixante jours amendes à 5 euros.

    Venu du Jura avec des potes, le cinquième à comparaître a dormi la veille chez sa mère avant de se retrouver à la manif. Il se mange une accusation de recel parce qu’on a trouvé sur lui des bouteilles d’alcool à son arrestation près d’un magasin Nicolas pillé. Sa GAV ne lui a été notifiée qu’à 23h25 alors qu’il a été arrêté à 20 heures. Le proc soutient qu’il a été arrêté à 23h25, parce qu’à cette heure-là, ça pétait dans le coin. Il prend trois mois avec sursis pour le recel des bouteilles. Il n’a pas participé à la manif mais exprime le désir de rencontrer les gens: il a acheté les bouteilles pour les partager, car “il aime les gens”. Visiblement ce n’est pas le cas du proc !

    Dans l’ensemble, le proc a eu la main lourde: il a plusieurs fois demandé de la prison ferme avec mandat de dépôt.

    Et si, la plupart du temps, il n’y a pas eu de mandat de dépôt et que ça semblait soulager les prévenus, il ne faut pas se faire d’illusion : c’est un peine ferme. D’une part ce n’est pas sure qu’elle soit aménagées et donc les accusés la feront peut être en prison ; et même si elle est aménagée, ils la feront, d’une autre manière mais ils la feront et cela pèsera dans leur vie.

    D’autre part, à l’échelle collective le fait de multiplier le ferme sans mandat de dépôt, ajoute un barreau intermédiaire à l’échelle des peines entre le sursis et le ferme ; ce qui veut dire que souvent, là où un proc aurait requis du sursis, il requiert du ferme.

    Les prévenus semblaient aussi accusés de soutenir le mouvement : plusieurs fois, un assesseur a demandé : « Et maintenant, quelle est votre position par rapport au mouvement ? ». Tous ont dit regretter, ne plus être solidaires, et qu’ils allaient suivre la suite à la télé. On peut constater que la zone « sécurisée » des Champs a eu une double fonction : contenir les manifestants tout en maintenant l’illusion du « droit fondamental de manifester », mais aussi servir d’indicateur de la volonté d’en découdre. Le proc a dit plusieurs fois: « Mais autour de vous, vous les voyiez, les violences… Vous auriez dû partir ! Si vous étiez un manifestant pacifique, vous auriez dû vous trouver dans la zone sécurisée. » Deux journalistes, dont une qui bosse à Radio France : « Non, mais c’est la récré : des frondes, des masques à gaz… -Le procureur à raison : c’est pas une manif, c’est l’émeute ! -La police a raison de mettre de l’ordre. »

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  • Communiqué de L’Envolée : Les prisonniers de Seysses ont raison !

    Communiqué de L’Envolée : Les prisonniers de Seysses ont raison !

    Samedi 14 avril 2018, J. est mort au mitard de la prison de Seysses. Il aurait été retrouvé pendu par les surveillants au moment de la distribution du repas du soir. Le 20 avril, nous relayions un communiqué envoyé par des prisonniers de cette maison d’arrêt au Syndicat pour la Protection et le Respect des Prisonniers (Syndicat PRP) avec qui nous travaillons étroitement et en qui nous plaçons une totale confiance. Ce communiqué remet en cause la version officielle, affirme que J. est mort suite à un déferlement de violence des matons à son encontre et témoigne des terribles conditions de détention à Seysses, en particulier au quartier disciplinaire.

     

    LES PRISONNIERS DE SEYSSES
    ONT RAISON !

    Communiqué de L’Envolée, dimanche 22 avril 2018

    C’est avec une certaine surprise que nous avons pris connaissance des déclarations de la Garde des sceaux dans les médias et du communiqué de son ministère le jour même de la publication de cette lettre. Pendant une semaine elle avait pourtant brillé par son silence alors que, dès l’annonce du prétendu suicide de J., des centaines de prisonniers de la maison d’arrêt de Seysses conduisaient durant plusieurs jours un mouvement de protestation (refus de remontée de promenade malgré l’intervention des ERIS, « Matons, assassins ! » hurlé aux fenêtres, déploiement d’une banderole dans la cour de promenade…) et que des manifestations de colère éclataient dans des quartiers de Toulouse.

    Il y a un suicide tous les trois jours en prison. Il n’y a pas pour autant un mouvement de prisonniers tous les trois jours. Rappelons aussi que les prisonniers qui se soulèvent, qui témoignent, qui s’expriment prennent énormément de risques : sanctions disciplinaires, diminution des jours de remise de peine, suppression de parloir, pression du personnel pénitentiaire, fouilles administratives, transferts, etc. Cela aurait dû suffire à la ministre pour considérer avec le plus grand sérieux leur exigence de vérité. Mais il a fallu qu’un communiqué de prisonniers commence à circuler massivement sur les réseaux sociaux et soit repris par les médias pour qu’elle daigne enfin réagir. Et de quelle glorieuse manière !

    Qu’elle ait à cœur d’inquiéter les témoins de cette mort plus que suspecte ainsi que ceux et celles qui la relaient plutôt que d’établir la vérité sur ce qu’il s’est véritablement passé pour J. le 14 avril 2018, alors qu’il était placé sous sa responsabilité, pourrait prêter à rire si ce n’était pas si indécent dans d’aussi dramatiques circonstances.

     

     

    Il va de soi que nous nous sentons – avec d’autres – directement visés quand elle envisage des « poursuites » contre les relais de ce qu’elle nomme des « allégations ». Nous assumons bien évidemment notre position de relais puisque c’est précisément notre raison d’être depuis la création de l’Envolée en 2001 par des anciens prisonniers et proches de prisonniers. Chaque semaine dans notre émission de radio et chaque trimestre dans notre journal, nous tâchons de donner de l’écho à la parole des prisonniers et prisonnières, qui sont les seuls à qui nous reconnaissons la légitimité de dire ce qu’il se passe derrière les murs. Le site Internet poursuit ce travail au fil de l’actualité.

    Ce ne serait pas la première fois que le ministère des prisons et des tribunaux et l’administration pénitentiaire tentent de nous empêcher définitivement de jouer ce rôle de porte-voix en nous attaquant pour diffamation. Il leur faudrait donc démontrer que les « allégations » dont ils accusent les prisonniers sont fausses. Tout ce qui nous importe dans cette histoire tragique, c’est que lumière soit faite sur ce qu’il se passe quotidiennement au quartier disciplinaire de Seysses et particulièrement sur ce qui a conduit à la mort de J. le 14 avril. C’est aussi tout ce qu’exigent les prisonniers qui, eux, ont toutes les raisons de s’inquiéter pour leur propre sécurité.

    Nous savons les pressions et les sanctions qu’ont déjà subies plusieurs prisonniers, et la traque menée par l’administration pour tenter d’identifier par tous les moyens des « responsables ». Les manifestations de révolte à l’intérieur de la prison et dans plusieurs quartiers populaires de Toulouse démontrent pourtant suffisamment que les dites « allégations » ne sont pas le fait de quelques responsables, ni d’une quelconque « rumeur », mais bien la conviction largement partagée que J. ne s’est pas pendu.

    L’administration veut des « responsables » ? Qu’elle cherche donc plutôt du côté de ceux qui ont eu la responsabilité de J. au mitard ! Là devrait être le seul souci de la ministre des tribunaux et des prisons. Sinistre posture que de menacer les témoins quand on prétend défendre la Justice… Quant à nous, nous poursuivons avec la plus grande détermination la tâche que nous nous sommes fixée il y a plus de quinze ans : relayer le plus largement possible la parole des enfermés.

    Notre seule inquiétude va au traitement réservé aux prisonniers de Seysses, à ceux qui ont déjà subi des transferts disciplinaires, à tous ceux qui craignent pour leur intégrité dans cette maison d’arrêt et dans toutes les prisons de France.

    Nos pensées vont aussi à la famille et aux proches de J. et nous respectons leur choix de ne pas s’exprimer dans les médias pour le moment.

    Il faut que la vérité éclate. C’est pourquoi nous appelons tous ceux qui pourraient témoigner de ce qu’il s’est réellement passé ce jour-là, mais aussi des suites disciplinaires en cours, à se rapprocher du Syndicat PRP ou de l’Envolée.

     

     

    Aux journalistes et aux associations

    Contrairement à l’essentiel des médias, nous ne cherchons pas à présenter un « traitement équilibré » de la question carcérale. D’abord, et nous le répétons inlassablement, parce que nous estimons que les prisonniers sont les mieux placés pour décrire ce qu’ils vivent et énoncer quelques vérités sur la prison. En des temps pas si lointains, des intellectuels, une bonne partie de la gauche et du peuple voyaient là une évidence. C’était d’ailleurs ce qui avait présidé à la fondation du Groupe d’Information Prison dans les années 1970.

    Ensuite parce que le dit « traitement équilibré » accentue bien souvent un déséquilibre profond, un « rapport de classe » osait-on même dire à l’époque du GIP, qui écrase un peu plus encore la parole des muets sociaux. Le blocage légitime d’une cour de justice par des avocats en colère contre la mise en place de cages vitrées pour les accusés au tribunal est reconnu par tous et toutes comme un acte politique, une prise de parole collective. Il n’y a aucune raison pour que des refus de remonter de promenade ou des révoltes dans des quartiers toulousains n’apparaissent pas également au yeux de tous et toutes comme une prise de parole politique et collective. Pourtant personne n’a jugé bon d’aller questionner ces prisonniers ou leurs familles à la sortie de la prison.

    Rappelons au passage qu’une grande partie des prisonniers – dont J. avant sa mort – de la MA de Seysses sont des prévenus : d’une part, ils sont présumés innocents, ils serait bon que l’administration et les médias ne l’oublient pas ; d’autre part, alors qu’ils ne sont pas encore passés en jugement, ils ont énormément à perdre. Bloquer une promenade deux jours de suite est moins que jamais un acte anodin. Les prisonniers ont en plus eu le courage de sortir un communiqué. Cette prise de parole est un acte si fort qu’une ministre, pourtant empêtrée au même moment dans des réformes liberticides et impopulaires (Justice, droit d’asile, éducation…), a dû prendre enfin la peine de répondre – dans le seul but de la faire taire.

    Le jour même, le GENEPI dont les membres interviennent quotidiennement en prison pour pallier au vide existentiel imposé aux enfermés, a choisi d’entendre la voix des prisonniers et de la relayer. Il serait maintenant temps que d’autres organisations se manifestent et soutiennent elles aussi cette parole, d’autant plus dans une période où bon nombre d’entre elles prétendent vouloir sauver une « justice menacée » par cette même ministre des tribunaux et des prisons.

    Enfin, la moindre décence à l’égard du prisonnier qui est mort à Seysses voudrait que les journalistes, à peine rappelés à l’ordre par la ministre « montée au créneau », ne se précipitent pas pour tendre complaisamment leur micros aux surveillants syndicalistes histoire d’en faire, une fois de plus, les véritables victimes de l’enfermement.

    Les prisonniers ont raison de se révolter et ils ont raison de prendre la parole contre le sort qui leur est fait.

    L’Envolée, pour en finir avec toutes les prisons.

     

    Communiqué du syndicat PRP :

     

  • #MatonQuiPleure

    Les matons n’en sont pas à leur premier mouvement… chaque année quasiment, ils tentent le coup. Ils obtiennent toujours quelque chose. Bien sur ils ne gagnent jamais la considération d’une société qui, malgré sa paranoïa et ses penchants sécuritaires, continue à les mépriser. Ces porte clefs à perpétuité rappellent en effet  par leur simple présence, qu’il y a des prisons, ces non lieux que tout le monde s’efforce d’oublier. Bien sur, ils ne gagnent rien pour les prisonniers ou pour améliorer les « conditions de détentions ». Bien sur, ce qu’ils gagnent, ils le gagnent toujours CONTRE les prisonniers : suppression de parloirs, de cantines, multiplication des fouilles, plus de moyens de contrôle, arsenal… 

    Nous reviendrons dans le prochain numéro du journal sur ce mouvement de janvier 2018 encore en cours ; et surtout sur ce qu’il implique et entraîne à l’intérieur pour les prisonniers. En attendant nous vous proposons la lecture d’un texte d’août 2013 paru dans le numéro 36 du journal, qui revenait sur ce que nous avions baptisé « le printemps français des matons » et qui pointait l’émergence d’un nouveau syndicat que l’on a vu depuis s’exposer longuement à l’antenne (SPS).

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  • DES NOUVELLES DE FABRICE BOROMÉE APRÈS SON TRANSFERT À MOULINS

    
    « J'ai trouvé Fabrice particulièrement déprimé, avec des idées très noires... Je suis particulièrement inquiet. »
    Maître Benoît David, avocat de Fabrice Boromée, le 27 juillet 2017
    Fabrice Boromée a été transféré le jeudi 20 juillet à la centrale de
    Moulins. Son avocat Maître Benoît David est allé le voir, et il nous a fait un compte rendu de sa situation actuelle. Les conditions de sa détention ont encore été durcies : tandis qu'à Saint-Maur, Maître Benoît David pouvait le voir au parloir avocat non menotté, à Moulins il n'a eu d'autre choix que de le voir soit dans un bureau, menotté à une barre, soit à travers la grille de la promenade du quartier d'isolement. L'avocat a préféré le voir ainsi. De plus, Fabrice est toujours enfermé dans une cellule de force : tout le mobilier est en fer ; chaise,  table et lit sont rivés au sol. Faute de meuble de rangement, ses quelques affaires sont à même le sol au centre duquel s'ouvre une bouche d’égout dont s'échappent des odeurs nauséabondes en fin de journée. L'avocat a demandé à rencontrer la direction pour obtenir l'allégement de ces mesures et exiger son placement dans une cellule « normale ». Demande restée pour l'heure sans réponse.
    
    Fabrice souffre encore des conséquences de sa détention à Saint-Maur,
    suite aux grenades assourdissantes qui avaient été envoyées dans sa cellule. Suite à cet incident, on lui avait  interdit de sortir de sa cellule pour téléphoner à son avocat. Par ailleurs, l'eau lui a été coupée et il n'a rien eu à manger pendant trois jours. Le médecin n'est venu le voir que quinze jours après les faits. Quant aux demandes de parloir déposées à
    Saint-Maur, sans surprise, certaines ont été « perdues », et doivent être redéposées auprès de l'administration de Moulins. Pour couronner le tout, le 21 septembre 2017, la concession funéraire du père de Fabrice prendra fin et son corps sera incinéré en son absence. Ça ajoute encore
    à son abattement.
    
    « J'ai trouvé Fabrice particulièrement déprimé, avec des idées très
    noires... Je suis particulièrement inquiet », écrit Maître
    Benoît David avant de rapporter ses propres mots : « Je
    me sens seul, je n'ai plus d'espoir, je n'ai plus le goût de
    continuer, je n'en peux plus, je suis traité comme un chien,
    j'arrive à saturation. »
    
    Une lettre, une simple carte... Écrivez à Fabrice Boromée.
    Numéro d'écrou 15964
    Maison centrale 
    Quartier d'isolement
    Les Godets
    03400 Yzeure Cedex
  • « Je veux bien mettre un genou à terre, mais pas les deux! » Romain L. Retour sur le procès en appel du 14 juin 2017 à propos de la mutinerie au QMC de Valence. Interview de l’Envolée et vidéo de Bernard Ripert

    En mars dernier s’est tenu le procès de deux prisonniers, Romain Leroy et José T., accusés d’avoir organisé une mutinerie le 27 novembre 2016, au sein du Quartier Maison Centrale du nouveau centre pénitencier de Valence. En l’espace de deux mois, fin 2016,  deux mutineries éclataient et révélaient les conditions de détention drastiques et inacceptables, que subissent les prisonniers longues peines stockés par l’AP dans ces nouveaux QMC.
    Lors du premier procès, interdit d’accès au public et aux soutiens, et sur la base d’un dossier parfaitement vide, le procureur réclame 8 ans contre les deux accusés. Ils prennent 5 ans, une peine énorme qui vise à faire un exemple comme l’avoue alors le tribunal. Romain, soutenu par sa compagne, décide de faire appel de cette condamnation pour continuer à porter le plus largement possible le message de cette mutinerie : la justice donne des peines infaisables à des prisonniers tenus de vivre ensuite dans des conditions toujours plus suffocantes et sécuritaires. Romain revendique cette révolte au nom des prisonniers longue peines de France que l’on condamne à vivre dans ces nouveaux QMC, qui cumulent les désagréments et les horreurs des anciens QHS (Quartiers de haute sécurité) et des nouvelles maison d’arrêt (pour courte peine).
    Le 14 juin dernier avec plus d’une quarantaine de personnes, nous avons pu cette fois-ci entrer dans la salle du tribunal de Grenoble pour le procès en appel de Romain. Nous vous proposons ici une petite analyse de ce procès ainsi qu’un entretien filmé avec l’avocat Bernard Ripert qui faisait son retour devant les juges de Grenoble -ceux -là même qui avaient obtenu sa suspension il y a plus de 18 mois.

     

    Transcription de l’émission de l’Envolée du 16 juin 2017 que vous pouvez écouter ici.

    O : Le 27 novembre 2016, il y a eu un mouvement au QMC de la nouvelle prison de Valence ; un deuxième, puisqu’il y avait déjà eu quelques semaines auparavant un mouvement durant lequel trois prisonniers avaient pris un maton en otage pour demander leur transfert. Jugés un tout petit peu avant les inculpés de la seconde mutinerie, ils avaient pris trois ans de prison. Le deuxième mouvement s’est fait sans prise d’otage ; il y a eu destruction de matériel – collective : les cellules de tout le quartier ont été ouvertes par des prisonniers qui avaient réussi à prendre les clés aux matons et il y a eu des cellules détruites, quelques caméras cassées – enfin rien de bien terrible. L’AP, évidemment, en fait toujours un truc énorme – tout comme elle oublie toujours de dire pourquoi les prisonniers en sont venus là.

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    « Depuis 2016, j’ai ressassé les problèmes par lettre, à l’OIP, au Contrôleur des lieux de privation de liberté, mais rien. Il y a eu des sit-in pacifiques pour voir la directrice. Des pétitions, mais faut savoir que c’est interdit les pétitions. Des demandes des familles. Et à la télé  on voit des gens qui cassent tout : à la fin il n’y a que ça pour se faire entendre. Même les gens qui travaillent sont obligés de prendre leur entreprise en otage. Nous on a des murs de 20 mètres donc personne ne sait rien et pour les longues peines de France rien ne bouge (…) Pour moi quand on a pris les clefs et ouvert les cellules, c’était pas un vol, mais le seul moyen de faire entendre la parole de nous, les longues peines de France.  Le seul moyen d’avoir une tribune »
    Romain L. -lors de son procès en appel

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    En tout cas, les inculpés de ce deuxième mouvement ont été jugés une première fois au tribunal de Valence. À Valence, justice, police, presse… tout marche main dans la main ; et quand je dis justice, c’est avocats compris. Ils avaient donc pu se permettre de faire un procès quasiment à huis clos en interdisant manu militari l’accès de la salle à tous les gens venus en soutien à José et Romain, les deux prisonniers qui passaient en jugement. Le procès a duré un bon moment, six ou sept heures. Au bout de ce temps-là, le procureur a requis huit ans ferme contre eux et le verdict a été rendu immédiatement : cinq ans pour chacun. Cinq ans, c’est une peine « abusive », comme l’a dit Romain pour expliquer son pourvoi en appel. C’est vraiment une peine pour l’exemple : ils ont mis plus d’années de prison à des gens qui ont détruit collectivement des cellules pour dénoncer leurs conditions de détention qu’aux trois prisonniers qui avaient pris des matons en otage. Parce que c’est plus dur de prendre des gens en otage ! Tout le monde n’est pas capable de le faire, tout le monde ne choisit pas de le faire. Tandis que la destruction collective, c’est quelque chose de plus sympathique, dans le vrai sens du terme : quand y en a marre, c’est finalement plus logique de se rassembler, de se réunir et de se faire entendre de cette façon. Il fallait donc faire un exemple, pour dire : « Vous amusez pas à ça, parce qu’on vous ratera pas. On hésitera pas à vous mettre des années de prison supplémentaires. »

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    «  Quand on a une grosse peine, pour éviter un état colérique, la frustration, c’est normal d’avoir des espaces de promenade et pas que de la sécurité. Dans ces nouvelles prisons c’est cinq surveillants à chaque ouverture de porte. Quand on nous fouille et nous écarte l’anus, la dignité l’emporte (…) C’est géré comme une prison de haute sécurité, on se croirait encore au QHS, dans ce système des années 1970-80 »  Romain L.

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    S : Ils doivent impérativement briser cet élan parce que c’est un outil dont tout le monde peut se saisir…

    O : Exactement ! Surtout qu’ils ont intérêt à mettre le paquet, parce qu’il y a des problèmes dans tous les QMC. Les quartiers maisons centrales, c’est des véritables QHS à… la moderne. Ils sont propres, nickel et tout, bien sûr, mais ils sont dotés d’une part d’une technologie effrayante – caméras et doubles sas partout, etc. – et d’autre part de moyens bien plus importants, ne serait-ce qu’en personnel : il y a environ quatre à cinq matons par prisonnier. Beaucoup de ces prisonniers sont encadrés par plusieurs matons dans tous leurs déplacements. C’est de petites unités, mais quand une aile de l’unité est en mouvement, l’autre est bloquée pour éviter toute rencontre. Bref tout est fait pour maintenir l’isolement le plus complet possible. Ils n’y arrivent pas encore complètement, parce qu’ils ont pas encore tous les moyens pour le faire, mais c’est leur objectif. Évidemment, quand on est complètement seul, ça devient compliqué de construire une résistance… On est moins fort. On le voit bien pour d’autres prisonniers, qui continuent néanmoins à se battre, mais c’est des batailles terribles, quasiment désespérées, comme celles de Fabrice Boromée ou de Rachide Boubala, dont on a souvent parlé. Ils continuent à résister, mais pour eux l’univers se rétrécit toujours un peu plus. C’est cette logique-là qui préside à l’architecture et au fonctionnement de ces saloperies de QMC, qui ont leurs modèles dans les deux prisons les plus sécuritaires du pays : Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil.

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     « On s’était mis d’accord pour s’attaquer aux locaux pas aux personnes, pas de règlements de comptes. Toute la population pénale a montré sa frustration mais personne n’a été blessé des deux côtés »  Romain L.

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    On n’y enferme pas des petites peines mais ceux qui ont de très très très longues peines, c’est-à-dire des 25, 30 ans, des perpètes. Des gens qui ont peu de chances de sortir, en fin de compte, parce qu’on sait maintenant que quand on chope des peines comme ça, même à la fin de la peine on sort toujours pas. Il faut donc que l’AP réussisse à gérer cette politique de mise à mort. Y a pas d’autre mot. C’est de ça que les QMC sont le laboratoire. Évidemment, tant qu’il reste un souffle de vie, ça bouge à l’intérieur, parce que ce sont des êtres humains qui sont emmurés, des gens pour qui c’est insupportable. Évidemment, l’AP n’arrive pas à tous les éteindre à coup de télé, de drogues légales ou illégales ou de passage en hôpital psychiatrique comme ils essaient souvent de le faire. Il y en a quelques-uns pour qui ça marche, mais c’est pas la majorité. Ils en sont très, très loin ! Donc ça gueule. Ça gueule, mais le truc, c’est que pour gueuler, pour se faire entendre dans ces taules-là, y a qu’une seule solution. C’est ce qu’a dit Romain au procès en première instance à Valence :

    « Quand il n’y a plus de mots, il ne reste que les actes. »

    Passer aux actes, c’est ce qu’avaient décidé de faire les prisonniers du QMC de Valence.

    Après le premier jugement de Valence, Romain et José ont immédiatement fait appel de leur condamnation, mais José s’est ensuite désisté de son appel, sur le conseil à mon avis pas très avisé de son avocate. Elle, qui avait accepté que le procès se tienne quasiment à huis clos (cf. le “non-compte rendu du procès de la mutinerie de Valence” sur ce même site), a persisté dans une posture très timorée devant un verdict pourtant démesurément lourd. A Grenoble, les choses se sont passées différemment : les soutiens, nombreux, ont pu entrer dans la salle d’audience. Il avait été établi avec Romain et Bernard Ripert qu’il n’était pas question d’accepter de participer à une audience à huis clos…

    Romain a pu expliquer parfaitement toutes les raisons de ce mouvement. Il l’a répété plusieurs fois :

    « C’est moi qui passe en jugement, mais ce que je dis, c’est au nom de toutes les longues peines de France. »

    Il a aussi dit que ça concernait encore plus l’ensemble des gens qui se font spolier de leurs conditions d’existence dans cette société : « Pour nous, c’est comme pour les ouvriers qu’on licencie, qu’on jette sans rien leur demander et qui en viennent à prendre des patrons en otage, à détruire du matériel et à installer des bouteilles de gaz en menaçant de faire péter leur usine pour pouvoir se faire entendre ! Nous c’est le même combat ! On est pareils ! » C’était clair comme de l’eau de roche. Le but de tout ce qu’il a raconté, c’était absolument pas de nier quoi que ce soit :

    « Ce que j’ai fait, j’ai dit que je l’avais fait, y a pas de problème, et je regrette rien. Ce qui est regrettable, c’est qu’on soit obligés d’en arriver là ! »

    Ce qui est regrettable, c’est surtout que lui, il prend des risques énormes ! Il sait très bien que derrière, c’est des semaines de mitard, des transferts et des peines de prison supplémentaires ! Effectivement, qu’ils en soient réduits à en arriver là juste pour demander des améliorations de conditions de détention : c’est-à-dire l’application de leur putain de règlement dans ces QMC qui ne devraient pas fonctionner comme des maisons d’arrêt ou comme des quartiers d’isolement parce que c’est invivable… oui, c’est regrettable. Voilà. C’est un truc simple, mais il a su le dire sans jamais se laisser désarçonner par le président qui lui posait des questions sans aucun rapport avec les faits. Et le réquisitoire du proc’ : « Je sais tout ça parce que j’ai été avocat de la défense pendant seize ans, donc je connais les prisons, et c’est vrai qu’il faut les améliorer… On va y arriver ! C’est pas encore magnifique, mais elles sont un peu plus belles que celles que j’ai connues il a vingt-cinq, trente ans ; c’est pas en détruisant celle-là qu’on va améliorer les choses… Il nous reste beaucoup de travail à faire, mais déjà, ce qu’il y a, c’est une belle avancée ! » Romain, il faisait non de la tête, et nous dans la salle on a grommelé tant qu’on a pu, pendant l’ensemble du procès, évidemment, comme d’habitude. Le proc’ a fini sa petite tirade par « …c’est pourquoi je trouve que la peine prononcée à Valence est une juste peine, dont je demande la confirmation ».

    Après, c’est Bernard Ripert qui a plaidé une bonne heure. Il a commencé par dire ses quatre vérités à cette justice, comme d’habitude, et répéter ce à quoi elle sert vraiment ; absolument pas à être juste, ou quoi, ou qu’est-ce, mais bien à maintenir l’ordre à n’importe quel prix ; ensuite, comme il fait toujours, il a dit :

    « Mais bon, il n’y a pas que les déclarations de principe, vous les connaissez et j’y tiens, mais maintenant je vais démonter votre dossier qui ne tient pas la route. »

    Il a pris les éléments de l’acte d’accusation un par un, et à chaque fois il disait : « L’accusation est fausse, elle ne tient pas du tout pour diverses raisons, et c’est obligatoirement une relaxe. » Un exemple tout con : il y avait marqué « Vol des clés de M…. [le surveillant] » :

    « Il n’y a jamais eu vol des clés du surveillant, puisque les clés n’appartiennent pas au surveillant ! Ce ne sont pas les clés de chez lui, ce sont les clés de l’administration pénitentiaire. Pour que l’accusation soit juste il faut formuler les choses différemment. C’est trop tard pour les reformuler maintenant. Donc cette accusation ne tient pas. Ce qu’il y a eu c’est le vol des clés de l’administration pénitentiaire portées par M. Machin. Ce n’est pas pareil. »

    Un autre élément de l’accusation, c’était l’incendie des cellules. Et là, il a tout repris, il y a la preuve par beaucoup de témoignages que José et Romain n’ont pas eux-mêmes mis le feu aux cellules:

    « Parce que c’est eux qui ont pris les clés, qui ont ouvert les cellules, après quoi des gens ont mis le feu à quatre cellules, vous leur faites porter la responsabilité de ce geste incendiaire. Mais ça, aujourd’hui, en France, ça ne tient pas la route. C’était possible du temps de la loi anticasseurs, mais elle n’est plus en vigueur. »

    C’est vrai que pendant quelques années, la législation permettait de rendre tout le monde collectivement responsable de l’action d’une seule personne du simple fait d’avoir été là, mais ça a été abrogé (cf : la loi anticasseur évoquée par Ripert ; seule la « bande organisée » ou « l’association de malfaiteurs » permettent de rendre quelqu’un responsable d’actes qu’il n’a pas commis. Ces inculpations sont très souvent utilisées précisément pour pallier le vide des dossiers de flics ; mais cette fois non). Donc en l’absence d’une preuve formelle, témoignage, document… qui montre l’un ou l’autre en train de mettre le feu, l’accusation ne tient pas. Ils n’ont pas mis le feu. Donc relaxe, obligatoirement… Ils les a tous démontés comme ça un par un : à la fin il restait plus rien ! Du coup Bernard Ripert leur a dit que ce n’était pas une provocation de demander la relaxe : c’est l’application de la loi ! Il a apostrophé le proc’ :

    « Je ne comprends pas que quelqu’un d’aussi féru en droit que vous ne l’ait pas vu ! Vous auriez dû sauter au plafond ! »

    Romain était super content, ça se voyait, il regardait Ripert – qu’il ne connaissait pas avant de le rencontrer au procès– et c’était un bon moment de complicité entre eux deux ; je pense qu’ils ont été contents l’un de l’autre. A la fin, ils ont demandé à Romain s’il avait quelque chose à ajouter, tout en annonçant le délibéré pour le 11 juillet : ils n’ont pas donné la réponse tout de suite, contrairement à l’autre fois, ils se laissent un petit peu de temps. Romain a répondu :

    « Je tiens surtout à remercier les quelques personnes qui sont venues me soutenir ».

    On était effectivement “quelques-un.e.s”, il le savait, on s’est fait des coucous, etc. Mais quand il a vu toute la salle se lever – y avait que nous – pour applaudir, et des applaudissements qui ont duré cinq minutes…, on a lu toute l’émotion sur son visage… Il a complètement halluciné de voir cette salle entière qui s’était déplacée en soutien à ce qu’il avait fait, pour pas le laisser seul face à la justice.

    Il était déjà menotté dans le dos, donc il pouvait pas faire grand-chose, mais il faisait tous les mouvements qu’il pouvait pour nous signifier qu’il était vachement touché. Rien que ça, cet échange de force à ce moment-là, toutes les personnes présentes ont trouvé que ça donnait une respiration, et lui ça lui en a donné une aussi. Ça montre encore un coup qu’à chaque fois qu’on peut le faire, il faut le faire. Surtout pour des histoires comme ça, de mutinerie et d’évasion, où les risques sont tellement énormes, et c’est des gestes qui ne sont pas simples… Alors dès qu’on peut organiser un soutien… On n’arrive pas toujours à mobiliser autant de gens, ça c’est sûr, mais même s’il y a dix personnes c’est déjà quelque chose. Adeline – sa compagne, avec laquelle on reste évidemment toujours en relation, qui était présente à Valence mais qui n’a pas pu être là parce qu’elle est maintenant installée à Alençon avec sa petite fille et que le voyage était compliqué pour elle – l’a eu le soir même au téléphone quand ils l’ont fait dormir à Aiton, avant de le rebaluchonner à Condé-sur-Sarthe au matin d’où il lui a encore reparlé, et à chaque fois il lui a dit :

    « Vraiment, tu leur redis à tous que ça m’a mis un coup de chaleur et que je les remercie infiniment. »

    Faut absolument que tous ceux qui nous écoutent, et les soutiens qui sont plus loin, sachent bien que le mec était super content. Et moi j’ai dit à Adeline qu’on était super contents de voir un mec qui se tient tout droit debout comme ça… Ça nous a donné aussi une vraie force.

    S : Ça montre qu’on peut toujours créer un rapport de forces dans un tribunal, faut jamais croire que c’est mort. Il y aura peut-être une sanction horrible qui va tomber, mais ça aura permis de se défendre. Ce moment de la fin du procès que tu as décrit, quand tout le monde s’est levé pour applaudir, je pense que c’est un souvenir qui va rester longtemps ; et rien que le fait que le proc’ n’ait pas repris la réquisition de huit ans de la première instance, ça montre que tous ces rapports de forces ont une efficacité ; on croise les doigts pour l’appel, mais en tout cas il y a quelque chose qui s’est passé, et c’est important.

    O : Et n’oublions pas qu’il faut botter le cul aux avocats qui préfèrent se soumettre à l’autorité en pensant que ça va aider les inculpés en quoi que ce soit, alors que ça donne jamais rien. C’est la marche des canards, ils sont déguisés pareil, sauf exception ; mais il ne faut absolument pas les laisser faire dès qu’ils font mine de se comporter comme ça, à dire : « Attention, ça va énerver le président… ». Plus on rampe, plus on prend des coups.

    #ProcesMutinerieValence

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     « Je suis libérable en 2038.
    Je veux bien mettre un genou à terre mais pas les deux.
    Je veux garder ma dignité » Romain L.

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    INTERVIEW DE BERNARD RIPERT

    APRÈS LE PROCÈS EN APPEL DE ROMAIN L.

    https://vimeo.com/223278402

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  • DE PLUS EN PLUS CAUCHEMARDESQUE POUR FABRICE BOROMEE : EN GUISE DE REPONSE A SES DEMANDES DE TRANSFERT, L’ADMINISTRATION LUI JETTE UNE GRENADE ASSOURDISSANTE DANS SA DOUCHE

    Depuis son refus de remonter de la douche le 21 mai dernier, Fabrice a reçu beaucoup de lettres de soutien à la fois d’autres prisonnières et prisonniers et de personnes extérieures. La directrice a été obligé de reconnaître qu’il y avait du monde pour le soutenir. Elle a cessé de lui répéter que c’était pas « ses petits copains de L’Envolée qui allaient le sortir de là… ». Elle a lâché un peu de lest en lui concédant l’accès à la salle de sport. L’entraîneur est néanmoins obligé de rester à l’extérieur de la salle et de lui parler à travers les barreaux…

    Cette petite concession ne change pas grand-chose à la situation de Fabrice. Rappelons qu’il est entravé dans tous ses déplacements, qu’il est interdit de promenade, de douche le week-end et que la pénitentiaire a construit une cellule de mitard spécialement pour lui dans le quartier d’isolement, avec une grille à terre à travers laquelle les matons lui jettent la nourriture comme à un animal.

    Vendredi dernier, il a donc de nouveau bloqué la douche, le seul moyen qu’il ait pour réclamer son transfert immédiat en région parisienne où habite un ami qui lui rend visite – son seul parloir.

    Cette fois-ci, la directrice a utilisé les gros moyens pour le dégager : les Eris, avec casques, boucliers et autres armes de toutes sortes, sont arrivés et ont lancé une grenade assourdissante dans la douche ! Fabrice est au mitard pour 30 jours supplémentaires. Il n’entend plus d’une oreille, il est très inquiet. Il est écrasé de chaleur toute la journée avec des maux de tête violents et permanents. Le médecin refuse de l’examiner, passant juste la tête à travers les barreaux du mitard.

    Nous renouvelons donc notre appel émis il y a quelques semaines :

    L’administration pénitentiaire de Saint-Maur cherche méthodiquement à éliminer Fabrice Boromée, dont elle ne sait que faire : cette torture a pour but de le pousser à bout jusqu’à ce qu’advienne l’irréparable et que l’administration puisse le tuer en toute légalité ou l’envoyer à vie en hôpital psychiatrique.

    Il est toujours aussi important de lui écrire pour le maintenir en vie : autant pour lui témoigner de la solidarité, lui donner du courage, que pour montrer à l’administration pénitentiaire qu’il n’est pas seul et qu’elle ne peut pas commettre l’irréparable. Une carte postale, quelques mots suffisent.

    Fabrice Boromée, Maison centrale Bel Air, 36 255 Saint-Maur cedex