Nous publions régulièrement des récits de mauvais traitements et de violences subis par des prisonnier.e.s. M. nous a déjà écrit il y a plusieurs mois pour dénoncer ses conditions d’enfermement à la maison d’arrêt (MA) d’Angoulême : surpopulation, manque d’accès aux soins, fouilles à répétition… Dans ce nouveau courrier, il raconte comment il a été mis au mitard sous un motif mensonger et privé du traitement médical qu’il doit prendre quotidiennement. La fragilité psy des prisonniers (et de toute personne enfermée entre quatre murs) est parfois utilisée contre eux et sert souvent à mettre encore un peu plus en doute leur parole. Pourtant, ce qu’ils vivent et dénoncent est tout aussi réel.
Lundi 28 Décembre 2020
Maison d’arrêt d’Angoulême,
Je vous mets par écrit les faits, ceux qu’on m’a fait subir et ceux que je subis actuellement. Je peux vous dire que j’ai failli y laisser la vie. Les dysfonctionnements et négligences sont nombreux et récurrents. J’ai 43 ans, j’ai des fragilités psychologiques que l’administration pénitentiaire connaît parfaitement. Je ne souffre d’aucune pathologie psychiatrique, je suis dans la catégorie « état limite », avec une anxiété importante et des angoisses dépressives importantes. J’ai un suivi aléatoire. Je galère pour mes soins tant physiques que psychologiques. Aux traitements inhumains et dégradants, s’ajoute la torture. Torture blanche : des menaces de représailles de la part d’une minorité de surveillants (ils ne sont pas tous comme cela). Bavures et drames, entorses au droit et règlement sont légion. Des procédures non appliquées et des procédures abusives. J’ai aussi fait l’objet d’un article du journal local, la « Charente Libre », mensonger, où c’est avantageux pour eux seuls (les surveillants), où ils inversent les rôles, se font victimiser, et pleurnichent aussi. Trop d’abus, et mes droits les plus élémentaires sont bafoués, laissant place à une anarchie complète.
Déroulement des faits
Mercredi 18 Novembre, j’étais en forte tension psychique suite à quelques soucis familiaux graves cette semaine-là ; j’avais un rendez-vous avec ma psychologue de référence, j’ai attendu et essayé de gérer cette détresse seul.
Jeudi 19 : toujours aussi tendu, peu dormi et toujours pas vu ma psy.
Vendredi 20 : au petit matin, après une insomnie, je n’en pouvais plus. J’étais dans une grande souffrance. A 10h30, je décide de faire signe au surveillant de mon étage. Il appelle son collègue de l’UCSA, il l’a fait devant moi, le surveillant de l’UCSA lui a répondu : « C’est compliqué. » Encore un frein, ils me barrent l’accès à l’infirmerie, me laissant à la dérive alors que j’avais un rendez-vous de calé. Tout ceci aurait largement pu être évité. Ils m’ont laissé sciemment dans cet état, et dans mes retranchements, j’ai pris tout un stock de médicaments : 45 somnifères, 32 antidépresseurs et 12 Séresta. Mon codétenu m’a vu m’effondrer, il a immédiatement alerté. J’étais désespéré ; d’où mon acte. Une infirmière sympa est venue en cellule, elle m’a emmené à l’UCSA et elle a fait toutes les démarches pour me transférer d’urgence à l’hôpital de Giras (Angoulême).
Samedi 21, je me suis réveillé toujours pas bien, comateux, encore avec des médocs ; de plus, j’étais encore sous perfusion. Je tenais des propos incohérents ; pour Giras, j’étais tiré d’affaire, mais très loin d’être stabilisé. J’aurais dû aller en HP (hôpital psychiatrique).
En début d’après-midi, les surveillants de la MA sont venus me chercher. J’ai été entravé. J’étais bancal et ça les amusait.
J’aurais dû réintégrer ma cellule comme c’est la procédure ; ça n’a pas été le cas. La procédure classique en cas de velléités suicidaires, c’est CProU (cellule de protection d’urgence, dénoncée par de nombreuses personnes pour ses effets délétères) – Giras – HP – retour MA – cellule. Eux ont fait l’inverse avec un excès de zèle, malgré les recommandations du médecin-chef – ma psy – concernant les effets délétères de la CProU : j’y ai subi de mauvais traitements en octobre 2019 : j’ai dû boire l’eau des chiottes parce qu’on m’avait coupé l’eau. Torture blanche + traitement inhumain et dégradant. Donc de retour en MA, j’aurais dû réintégrer ma cellule ; eh bien non ! par ruse, on me dit d’aller chercher mon traitement. Je monte, et là on me dirige vers la CProU, ce qui n’est pas la procédure normale comme ils ont essayé de le dire. Il n’y avait aucune justification. Je n’étais pas suicidaire. Le lieu est hyper anxiogène et favorise fortement le passage à l’acte. Je n’ai pas voulu y rentrer. Ils voyaient que je n’étais pas bien. J’avais besoin de soins d’urgence, personne ne m’a écouté ! je ne voulais pas me déshabiller ; j’ai tenté de dialoguer : peine perdue. Ils se sont jetés sur moi à trois, puis à cinq ; j’ai été projeté au sol, écrasé par leur poids. J’ai hurlé si fort qu’on m’a entendu de loin, tellement ils me faisaient mal. La force employée était disproportionnée et injustifiée ! j’étais au sol, et quelques minutes après, j’entends une voix : « Ce con, il m’a fait mal ! » Le surveillant s’est fait mal en me mettant les menottes. La gradée condescendante a rétorqué : « Ah, il a mordu un surveillant », alors que rien n’était fait en face de moi, et puis : « Allez, hop ! au QD. » C’est un prétexte ; je me rappelle de tout, sauf d’avoir fait mal ou mordu.
Je suis un détenu exemplaire, pas violent d’ordinaire, je participe à tout, je suis instruit et j’essaie de défendre mes droits car ils sont peu, voire pas du tout respectés ; j’ai mis trois ans pour obtenir le règlement intérieur – et ça, la pénitentiaire n’aime pas ! Vers 15h30, après avoir été maîtrisé, je suis dans la coursive nord, au moment de la descente de l’escalier, un des surveillant m’étrangle, et là je dis : « Je n’arrive plus à respirer. » Au bout de l’escalier, la gradée lui a dit d’arrêter. J’étais blanc et je tanguais ; j’étais même HS.
Au QD, ils me jettent au sol avec une violence inouïe, puis ils m’arrachent mes vêtements violemment. je suis à poil, complètement passif. Ils me mettent à genoux, la tête face au mur. Toujours à poil, je reçois un coup dans le dos. Je m’éclate contre le mur et la grille d’aération, un autre surveillant lui dit d’arrêter. Il arrête. Il me balance un pyjama en papier et me dit : « Si tu le déchires, je te fous un coup de poing. » Ce type de pyjama se déchire en moins de cinq minutes si vous avez le malheur de bouger. Je suis resté plus de deux heures sans couverture et sans chauffage. J’étais à même le sol sur un matelas en mousse gonflé d’humidité. J’ai demandé mon traitement, ils me l’ont refusé. En sortant, ils m’ont menacé : « Si tu portes plainte, tu auras des représailles. » C’est inadmissible, inhumain et dégradant. Abus de pouvoir. Traité comme un vulgaire chien, et dans le dénuement le plus total. De plus, mon état mental n’était pas compatible avec le maintien au QD.
Sanction : vingt jours dont cinq avec sursis.
La cellule du QD
Pas de chauffage pendant treize jours. Juste deux jours de chauffage, le 30 novembre et le 1er décembre, pas d’eau au robinet, juste les chiottes qui fonctionnent ; j’ai dû la boire pendant quinze jours. Humidité + fuite de la fenêtre lorsqu’il pleut, matelas imbibé, mur à la peinture écaillée, odeur nauséabonde.
Samedi 21 Novembre : aucun accès au soin. Je n’ai pas eu mes deux traitements, aucune possibilité de faire constater mes blessures.
Dimanche 22 Novembre : juste une couverture et toujours le pyjama en papier. Au matin, provocation d’un surveillant : « T’es calmé ? » Pas d’eau chaude pour un café et pas de traitement.
Lundi 23 Novembre : plus de quarante-huit heures sans traitement. J’étais en manque, sale et privé de douche (douche au QD, lundi, mercredi et vendredi réglementaires), pas dormi depuis plus de quarante-huit heures, une insomnie due à la privation de traitement. Je me suis tordu de douleur. Je voulais en finir. Mes angoisses n’ont cessé de s’amplifier.
Vers 10h20, je passe au prétoire en état de manque, sans avocat. Ils ont bien vu que je n’allais pas bien du tout… rien.
Vers midi, un médecin arrive, mais n’ose pas entrer. J’ai juste vu une flopée de chefs et surveillants ; aucune auscultation. J’ai pourtant demandé à « voir » un doc.
Mercredi 25 Novembre : enfin une douche. Un souci : l’eau chaude sort directement, donc impossible de la prendre. Cinq jours crade. J’ai signalé au surveillant qui a fait le nécessaire.
Les chefs ont été corrects avec moi, et certains surveillants aussi ; je ne mets pas tout le monde dans le même panier. Ce n’est qu’une poignée qui agissent mal. Ils ont essayé de me briser pendant quinze jours.
Jeudi 26 Novembre : enfin un surveillant humain, il m’a dit vu qu’il était présent à l’hôpital et à la CProU, que « ça se voyait que tu étais gazé », et lui n’a rien vu de particulier lorsque j’ai été maîtrisé ; il n’est pas OK avec ses collègues.
Vendredi 27 Novembre : Une vraie douche. Je suis resté sept jours consécutifs sans douche (entorse à la loi et au règlement).
Lundi 30 Novembre : parloir. Encore fouille à nu systématique ; cela fait plus de quatre mois que je suis en permanence mis à poil pour les parloirs sans aucun justificatif particulier… encore des abus.
Samedi 5 décembre : je regagne ma cellule.
Mardi 8 Décembre : le matin, on me refuse le linge en prétextant un changement dans le règlement, ce qui est bien évidemment faux. C’est le surveillant qui m’a donné un coup dans le dos, je ne m’étonne pas. Et j’ai finalement pu récupérer mon linge avec un bon surveillant. Des petits coups de vice gratuits.
Jeudi 10 Décembre : vers 17 heures, encore une brimade et un total manque de respect de ce surveillant, il est grand, gros, cheveux grisonnant, moustache : « Alors, le croqueur, c’est ton surnom ? ».
Samedi 12 Décembre : j’avais le culte, comme par hasard, ils me disent (la même équipe), « que je ne suis pas sur la liste ». Faux, violation d’un des articles de la loi du 24 Novembre 2009 concernant la santé, la culture, les fouilles, journaux, courriers, etc.
J’espère que vous allez prendre connaissance de tout et m’aider à faire valoir mes droits pour arrêter de subir… je suis traumatisé, ma santé décline et je dérive. Je me sens mourir ici, et je n’ai pas la totalité des soins. On est déconsidérés, traités comme des moins que rien. Ils violent même le code de la déontologie concernant la confidentialité (article 10 titre II), et nous mettent en péril. J’ai beau écrire à la cheffe de détention, au chef d’établissement, aucune réponse. A force, c’est très dur de prendre sur soi… j’attends toujours mon transfert ! J’irai jusqu’au bout avec mon avocate, j’ai trop de problèmes de santé et de moral. Cette MA est un mouroir.
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