Étiquette : vengeance sociale

  • « Ca valait pas la peine, mais ça vaut le coup ! », Abdel Hafed Benotman

    Hafed est mort… m’enfin, il ne nous quitte pas ! Son au-delà d’athée -et sacrément daté- est parmi les vivants, entre autre ici. Dans ce journal qu’il a crée avec d’autres il y’a de ça quinze piges. Hafed n’a jamais choisi entre le voleur et l’écrivain. Un voleur qui écrit ? Un écrivain qui vole ? Merde aux identités. C’était un ami qui se bagarre, rigole des yeux et partage. Pas d’autre hommage donc ; il n’en n’aurait eu que foutre.

    Tenir un engagement, pris avec lui et à sa suite. Continuer à lire et faire lire les écrits des enfermés qui pensent le sort qui leur est fait. Celles et ceux qui, comme lui, se disent réfractaires aux sévices du travail obligatoire, au racisme poli d’une république satisfaite, à l’hypocrisie d’une société qui torture démocratiquement, à la bêtise suffisante des juges et de leurs valets, à l’arrogance de l’économie et de ses hommes en arme.

    Bref, continuer à cracher de laids mots -pas de l’émo attention- sur une époque qui n’a de cesse de se refermer sur nos corps et nos crânes. Continuer à trouver, comme lui, les paroles justes et les actes conséquents pour armer nos refus. Faire vivre son humour -forcément noir- et la justesse de son regard, désespéré mais pas résigné. Et ce pense-bête : « Rendre la justice, en voilà une belle expression ! La vomir ».

    Vive Hafed, vive les voleurs qui veulent rester honnêtes (et vice versa).

    Pour commencer à continuer (re)lisons ce texte d’Hafed publié dans le numéro 4 du journal (téléchargeable au bas de la page), en janvier 2002. D’autres textes suivront dans les jours qui viennent, avant la publication du prochain Envolée qui fera bien sur une large place à l’ami AHB. (suite…)

  • Une lettre pour Karim Tahir

    Lors de l’émission du vendredi 10 octobre sur FPP, Sylvie, nous a joint à l’antenne pour nous informer sur le sort de Karim Tahir.
    Karim se trouve depuis un mois à l’UHSA de Rennes (Unité hospitalière spécialement aménagée).
    Il a été extrait de la prison de Condé-sur-Sarthe et a été hospitalisé d’office dans cet hôpital-prison.
    La psychiatre qui s’en occupe a désormais la tâche de le faire plier, là où l’AP n’avait pas réussi. En déclarant « il est entre nos mains », elle a dors-et-déjà reconduit son enfermement en psychiatrie pour quinze jours. Cela peut durer ainsi des mois et des mois.
    Il y est attaché en permanence et subit un traitement chimique dur. En plus de la camisole chimique, on lui injecte un produit qui le constipe pour ne pas à avoir à l’emmener aux toilettes ! (suite…)

  • Lundi 24 février au « tribunal des condamnations immédiates » de Nantes

    Récit des comparutions immédiates après la manifestation du 22 février contre l’aéroport de NDDL

    Lundi à 14h au Tribunal de Nantes s’est tenu le procès de cinq « manifestants » de la manifestation du samedi précédent. Après avoir passé 48h en garde-à-vue (ils ont été arrêtés samedi en début de soirée), ils passent devant le tribunal correctionnel. Nous sommes quelques dizaines a être venu cet après-midi pour les soutenir. Les journalistes se sont déplacés en masse (une quinzaine) et occupent plusieurs rangées à l’intérieur de la salle d’audience. (suite…)

  • Contre « l’élimination sociale » de Philippe Lalouel à Montauban les 30 et 31 janvier

    Depuis 1986 Philippe Lalouel a vécu en tout et pour tout 13 mois hors des murs… pour des vols.

    Il sera à nouveau jugé par la cour d’appel de Montauban les 30 et 31 janvier 2014.

    Philippe Lalouel est entré en prison en 1986. Il avait alors 20 ans. lors de son arrestation, il est blessé par la police, mené à l’hôpital, transfusé… avec du sang contaminé. Il prend huit ans et apprend en même temps qu’il est séropositif. Pour tenter de ne pas mourir du sida  en prison il tente de s’évader plusieurs fois et y parvient à deux reprises au début des années 1990. Pendant ces courtes cavales, il vole pour survivre en clandestinité. Pour ces faits commis sans violence, il écope au milieu des années 1990 de dizaines d’années de prison qui seront confusionées à… 25 ans. (suite…)

  • L’acharnement continue contre Kaoutar

    Ce lundi 02 décembre, nous venons d’apprendre que la permission de huit heures demandée par Kaoutar lui a été refusée.
    Elle devait rencontrer un employeur par l’intermédiaire -on ne peut plus officiel- de la CIFA, organisme qui travaille en partenariat avec l’Administration pénitentiaire à la réinsertion par le travail des prisonniers (stages conventionnés, formation en alternance, bilan individuel, mise en contact avec des employeurs)…

    Encore une fois, ce qui devait être une simple formalité administrative se transforme avec ce refus en outil de la vengeance que l’AP exerce sur Kaoutar.

    L’AP continue à rendre impossible à Kaoutar l’obtention d’une libération conditionnelle.

    a suivre…

    et d’ici là n’hésitez pas à continuer à faire pression sur les services responsables à la prison de Réau.

  • Solidaires de notre amie Kaoutar, une combattante dont l’AP se venge

    Kaoutar Chtourou, une combattante dont l’AP se venge au quotidien

    Ceux et celles qui lisent le journal connaissent Kaoutar Chtourou depuis des années maintenant. Depuis son incarcération en 2008 elle n’a cessé d’écrire pour témoigner de son quotidien, de celui des autres prisonnières, pour dénoncer l’administration pénitentiaire et raconter les combats qu’elle a menés avec d’autres. On se souvient notamment de sa dénonciation du système moyenâgeux de pouvoir parallèle que le directeur de la Maison d’arrêt des femmes de Versailles avait mis en place. Le sieur Goncalves avait, après intervention du contrôleur des lieux de privation de liberté, été remplacé et gentillement mis au placard (pas plus faut pas exagérer toute de même!). (suite…)

  • Procès de l’évasion de la centrale de Moulins Du 02 au 19 avril 2013 aux assises de Lyon

    Solidarité avec les accusés.

    « IL FAUT QUE TOUT CELA SERVE À QUELQUE CHOSE » CHRISTOPHE KHIDER, depuis un des nombreux Quartiers d’Isolement de France.

    L’Envolée s’est installée à Lyon depuis le 02 avril et jusqu’au 19 pour suivre et rendre compte du déroulement du procès de l’évasion de la centrale de Moulins-Yzeure qui a lieu en février 2009.

    Christophe Khider l’un des co-accusés -qui, avant même le verdict, n’est pas libérable avant 2045-  veut que ce procès soit l’occasion de dénoncer les peines infinies et cette justice qui tue à petit feu dans des prisons toujours plus modernes et oppressantes.

    Ce sera pour nous l’occasion de témoigner de notre solidarité avec les accusés en donnant l’échos le plus large possible à ce qui sera dit contre l’isolement carcéral lors de cette mise à mort programmée.

    UNE ÉVASION OU UNE TENTATIVE D’ÉVASION, CE N’EST PAS UN FAIT DIVERS, C’EST LE GESTE DE SURVIE D’UN ENFERMÉ QUE L’ON TENTE DE FAIRE MOURIR À PETIT FEU EN PRISON

    Le procès a commencé, l’ambiance est lourde, les forces inégales

    29 partie civile (aucun blessé) remplissent la salle d’audience ; parmi ces parties civiles des dizaines de matons venus assister à la mise à mort de ces personnes qui ne se sont pas résignées à leur enfermement. Des dizaines de policiers surarmées pour éviter une quelconque tentative d’évasion, et surtout pour transformer les accusés en monstres dangereux.

    A nous, qui voulons lutter contre l’enfermement et toutes les dominations, de venir aussi remplir cette salle.

    Rendez_vous tous les jours du 02 au 19 avril, aux assises de Lyon, de 09 heures du matin à 17 heures. La cour est située au Palais de Justice Historique dans le quartier du Vieux-Lyon (1, rue du Palais de Justice 69005 Lyon)  L’accès aux salles d’audience est située Quai Romain Rolland.

    Et solidarité partout ailleurs.

    L’évasion : petit retour sur les faits

    Le 15 février 2009, deux prisonniers s’évadaient de la maison centrale de Moulins-Yzeure: Christophe Khider et OmarnTop El Hadj parvenaient, à l’issue d’un parloir dominical, à prendre deux surveillants en otages, puis à faire sauter à l’explosif les portes qui les séparaient de l’enceinte extérieure avant de se faire ouvrir la dernière porte de sortie… Leur « liberté » aura été de courte durée : la police leur a tendu un piège en région parisienne quelques dizaines d’heures plus tard. Les tireurs d’élite (et non pas de simples policiers du Val-de-Marne, comme cela a été dit) ont tiré plusieurs balles en visant à hauteur du coeur. Christophe a été blessé à la poitrine. Fin de la cavale.

    Les deux femmes qui étaient venues visiter Omar et Christophe ce dimanche-là ont été immédiatement placées en garde à vue pour quatre-vingt-seize heures, elles ont ensuite été inculpées de complicité d’évasion et ont été incarcérées : malgré des demandes répétées de mise en liberté sous contrôle judiciaire, ces deux mères de famille sont restées emprisonnées jusqu’à ce jour…

    Christophe et Omar ont toujours été présentés comme « extrêmement dangereux »… Pendant leur courte cavale, ils n’ont blessé personne, et ont préféré laisser partir les otages au risque d’être immédiatement dénoncés et repérés par les policiers. Leur objectif n’a jamais été de tuer froidement, mais d’intimider au besoin pour retrouver la liberté. Une liberté qu’on a définitivement ôtée à des centaines de prisonniers : certains refusent leur condamnation, l’hypocrisie d’une mort maquillée par des peines toujours plus longues, plus éliminatrices. Ceux qui ne se suicident pas et qui ne s’installent pas non plus dans l’espoir quasi-religieux d’une sortie improbable passent quelquefois  à l’action et tentent la belle. Le courage de tenter d’échapper à cette logique de destruction, aux confusions de peines toujours plus hypothétiques leur coûtera de nouvelles années de prison non confusionnables distribuées par une administration pénitentiaire vengeresse et bien décidée à faire chèrement payer ces hommes qui osent encore la braver.

     Du 2 avril au 21 avril 2013, a lieu le procès de ces quatre personnes devant la cour d’assises de Lyon. Christophe compte bien faire ce ce procès celui de la longueur des peines, celui de la justice, celui du système carcéral.

    « Tout cela », c’est son refus de mourir lentement en prison, son refus de purger une peine comparable à une peine de mort (plus de quarante-cinq ans), son besoin de liberté – il a déjà passé vingt ans derrière les barreaux, et souvent dans les quartiers d’isolement des différentes maisons d’arrêt dans lesquels l’administration pénitentiaire l’a fait tourner.

    « Servir à quelque chose » : à dire à tout un chacun la réalité des peines éliminatrices, la torture blanche de l’isolement carcéral, le refus de la prison et du monde qu’elle façonne.

    A écouter : nos comptes-rendus audio du procès

    A lire : Fraternité à perpet’, le livre sur une précédente tentative d’évasion de Christophe Khider paru au moment de son procès disponible en libre téléchargement (en cliquant sur son titre ci-dessus).

  • « Longues peines »

    Paru dans l’Envolée N°2, Novembre 2001

    Je tenais à témoigner pour votre dossier concernant les longues peines dont je fais partie, quoique je qualifierais celles-ci d’infaisables, d’irréelles, d’inacceptables…! Sachant très bien que je ferai tout pour ne pas la finir quoi qu’il m’en coûte; la mort, oui bien sûr, mais debout sur le haut du mur, jamais je ne courberai l’échine en attendant la fin de l’échéance…! Je suis en détention depuis six ans dont plus de cinq années dans les QI, étiqueté DPS depuis de nombreuses lunes, accro aux balluchonnages pénitenciaires, résident quasi permanent des rez-de-chaussées glauques et sombres, des QD dépourvus d’humanité, mais fidèle client de la liberté… de l’envolée ! Comment pourrais-je expliquer que c’est ce qui me reste pour vivre, pour supporter l’enfermement, ma date de sortie est bloquée temporairement à 2034… alors que je n’ai tué personne, j’ai certes volé quelques banques, vidé quelques distributeurs, pillé quelques salles de coffres, mais de là à finir par une peine compressée à trente années, non… ce n’est pas juste! Bien évidemment je refuse en bloc tout le cinéma interne à la détention des longue-peine (CNO, travail, psychothérapie, etc.). Mon esprit, mon corps tout entier se nourrit de vengeance, seule ma haine me permet de voir des jours… des lendemains joyeux. Le ministère m’a affecté dans une centrale sans savoir laquelle bien entendu, mais je dois patienter encore une année pour pouvoir vivre décemment, j’entamerai donc ma septième année en maison d’arrêt, une punition de plus pour avoir tenté plusieurs envolées! Le cher directeur de Fresnes m’a fait savoir que mes balluchonnages continueront dans les centrales où je représente un danger… La résistance n’est toujours pas bien vue dans notre pays malgré les années passées, il faut collaborer avec les autorités… alors j’en suis désolé d’avance, j’ai beaucoup plus d’atomes crochus avec Jean Moulin qu’avec Pierre Laval… Je devrais clôturer mes sessions d’assises dans un an avec un dernier round à Nanterre. Entre-temps j’espère être passé en correctionnelle pour ma dernière tentative d’évasion du QI de Ploemeur… ce qui m’amènera à plus de 2050 grosso modo, avant compression. J’ai oublié aussi que bien sûr je vois passer les grâces devant mon nez sans arrêt, pareil pour les RP, les RPS, une vraie perpétuité, une élimination pure et simple de l’individu gênant ! Mais qui ils sont, eux, pour me juger, pour m’annihiler, des magistrats détenteurs provisoirement d’un pouvoir, survolant ma vie, mes dossiers, avec des a-priori, des certitudes…
    A ceux là je dirai simplement : n’oubliez jamais «que le vrai pouvoir, il est au bout du fusil…».
    Amicalement,
    Tony

  • C’est arrivé près de chez vous… en Allemagne Werner Braeuner, chômeur, tue le patron du pôle emploi

    Publié dans le numéro 2 de l’Envolée, septembre 2001

    Un cas mortel de probabilité

    Le matin du 6 février 2001 à Verden, Klaus Herzberg c’est fait tuer par Werner Braeuner. Klaus Herzberg, 63 ans,était directeur du bureau local du chômage; Werner Braeuner, 46 ans, est ingénieur mécanicien au chômage. Braeuner venait d’être radié, et ses allocations, son seul revenu, supprimées. Une heure après les faits, il s’est présenté à la police. Il est actuellement en prison et attend son procès.

    Nous ne connaissons pas personnellement les deux protagonistes de cette dramatique histoire. Mais nous connaissons d’expérience son contexte éminamment social. Il y a un rapport indéniable entre les fonctions hiérarchiques de la victime et la réaction déséspérée de l’auteur de cet acte. Cette affaire se distingue en ceci des habituels«faits divers» pour apparaître comme symptôme d’une crise galopante. Car la seule chose qui soit étonnante à ce propos est que de tels éclats ne se produisent pas plus souvent. Dans les bureaux de chômage et les services sociaux fermentent quotidiennement des pulsions de violence. Et c’est en permanence qu’il nous faut lutter pour empêcher que l’un ou l’autre d’entre nous ne déjante et gâche sa vie –que  se soit par le suicide ou par une agression incontrôlée qui le conduirait en taule1.

    Il n’est ici question, ni de légitimer le meurtre d’un homme ni de le juger(d’autres s’en chargeront!),mais d’examiner son substrat social. Werner Braeuner passait pour un homme intelligent, paisible et doté du sens de l’humour. Et pourtant il a «pété les plombs», détruisant sa vie et celle d’autres personnes. Quiconque veut éviter que de tels drames se reproduisent devrait d’abord se demander comment et pourquoi ils surviennent et analyser la logique sociale de cette folie, qui répond à la logique démente de cette société. Avant tout, voici la raison de notre intervention: nombre de gens dans ce pays étaient en contact avec Braeuner. Il s’agit de personnes engagées, qui ont communément la bouche pleine du mot«solidarité». Or, depuis février, ils se taisent tous, presque sans exception, et le laissent tomber, soit parce que l’affaire leur parait trop peu politique, soit par peur d’être eux-même criminalisés2. Ce sont des français du groupe AC! qui les premiers ont fait circuler une pétition de soutien pour rompre le silence qui entoure cette affaire en Allemagne. Werner Braeuner était chômeur depuis huit ans. Il y a en Allemagne 76 000 ingénieurs au chômage, dont la plupart sont de la génération de Braeuner, trop âgés sur le marché du travail. Leurs chances de retrouver un emploi sont quasiment nulles. Que peut-on faire dans un tel cas? Essayer au moins d’occuper judicieusement son temps. Depuis 1998, Braeuner avait trouvé, comme il l’écrivait lui-même, une «appartenance forte au sein du mouvement de chômeurs européen». Il traduisait des textes du français, s’était engagé au sein de la BundesArbeitGemeinschaft (groupe réformiste qui s’occupe des sans-travail, NDT) et participait activement à de nombreux forums sur Internet. Pour le Bild-Zeitung, cela donne: «En fin de compte il fuit la réalité dans la virtualité. Sur Internet, Werner B cherche, sous le nom d’“Aidos” (mot grec désignant un sentiment de pudeur et d’honneur) des camarades de souffrance au lieu de chercher du travail.» Voilà un retournement parfait du réel:car la fuite dans la réalité virtuelle serait bien plutôt de courir désespérément après un travail qui n’existe pas! Werner Braeuner essayait de réfléchir aux conditions qui l’avaient jeté dans cette situation précaire. Si «la réalité» n’a plus besoin de nous, il est bien légitime de se demander si nous en avons besoin, de cette réalité. Au demeurant, la mise en connexion de réseaux et d’initiatives européens est bien une activité d’intérêt général:ce n’est qu’ainsi que pourra naître un large mouvement social, seule chance d’améliorer cette société malade.

    Faisons ici une petite digression: il y a en Allemagne des gens qui gaspillent tout leur temps à déblatérer sur des modèles alternatifs au chômage et des projets de financement. On les paye pour ça, bien entendu: il ne leur faut pas plus de dix minutes pour gagner, lors d’une quelconque réunion, le salaire mensuel d’un assisté social –notez bien: financé par le contribuable. Et pourtant, on ne les appelle pas des tire-au-flanc mais des sociologues. Personne n’a encore songé à envoyer Ulrich Beck cueillir des asperges3. En revanche, que des chômeurs s’avisent de réfléchir eux-mêmes sur leur sort et s’efforcent de trouver des alternatives concrètes, et voilà que les quelques centaines de marks avec lesquelles ils doivent survivre deviennent une exploitation éhontée de la population travailleuse. On nous rétorquera peut- être que des chômeurs sans qualification ne sauraient développer une théorie intelligente et utilisable par rapport aux spécialistes patentés et qu’ils sont tout juste bons à bavarder dans le vide. Pour en finir avec ce préjugé, nous publions l’un des nombreux écrits de Braeuner.

    Dans cette triste histoire, l’illusion du virtuel semble néanmoins jouer un rôle, mais d’une tout autre manière que celle évoquée par les feuilles de chou. Ce qui frappe après coup, c’est le large fossé qui séparait les multiples contacts électroniques que Werner Braeuner entretenait quotidiennement de l’isolement concret dans lequel il vivait. Cette situation est caractéristique de la nouvelle société digitale en général – c’est en permanence que mots et images sont échangés dans un prétendu temps réel, tandis que le véritable espace-temps de l’expérience subjective est de plus en plus vécu dans l’atomisation. En ce qui concerne plus spécialement la politique connectée au réseau avec ses forums virtuels et ses manifs en ligne, une telle séparation à des conséquences fatales. Les vieilles valeurs politiques de communauté et de solidarité sont devenues là de pures abstractions. On pourra débattre aussi globalement qu’on le voudra, l’isolement et l’impuissance quotidien ne n’en restent pas moins intacts. En ce sens, l’acte désespéré de Braeuner n’est pas un phénomène «infra-politique», mais une conséquence de l’échec de la politique sous forme digitale. C’est précisément parce qu’il n’y a actuellement aucune perspective d’amélioration collective –et moins encore de solution– de la misère sociale que se développe le désespoir individuel, avec par- fois des conséquences sanglantes. Puisse au moins cet exemple amer servir d’avertissement.

    Les difficultés de Braeuner augmentent à mesure que sa situation matérielle devient plus pécaire. Il souffre de violent maux de dos. Dans leur petit logement, les disputes avec sa compagne se succèdent. Avant même la naissance de sa fille, il déménage et loue une pièce dans un village voisin. Là, il semble avoir vécu extrêmement isolé. Tous ces détails seront vraisemblablement présentés devant le tribunal comme autant de«problèmes personnels». Peut-être les experts affirmeront-ils que tout est lié à quelque traumatisme infantile –ou, pour faire plus moderne, génétiquement déterminé. Il crève cependant les yeux que de telles affaires«privées» sont avant tout déterminées par une pression sociale extrême. En juillet 2000, Werner Braeuner s’inscrit pour un stage de formation de constructeur 3D-CAD proposé par son bureau de chômage. Il l’interrompt en novembre, parce que «ça ne mène à rien». La moitié du temps, il n’y a là-bas littéralement rien à faire. Ce sentiment est familier à tous ceux qui ont dû suivre, volontairement ou pas, ce genre de formation simulée. Dans le seul but de pouvoir prétendre qu’« il se fait quelque chose contre le chômage», on réquisitionne la seule chose qui nous reste: notre temps. La déception est d’autant plus amère pour ceux qui avaient sincèrement souhaité cette formation et qui se retrouvent à ingurgiter un savoir obsolète dispensé dans des salles d’attente par des formateurs sans qualification. Une issue en trompe l’œil est encore moins supportable que l’immobilité forcée.  Mais malheur à qui se libère de son propre chef de la place qu’on lui a assignée et du rôle qu’on lui a imparti. Car là, il commet un acte de rupture sociale. Le chômeur se mue en délinquant: dès lors il ne relève plus de la «tolérance répressive» mais sera l’objet d’une sanction.

    Avant de laisser tomber son stage, Braeuner écrit deux lettres au directeur de son agence pour lui expliquer les raisons de sa décision. La réponse abrupte lui parvient à la mi-janvier. Ses allocations sont supprimées. Peu après, il rencontre Herzberg par hasard à l’agence et tente en vain de le convaincre. La loi ne prévoit pas d’exception, lui assène ce dernier. Pas de discussion, pas d’issue.

    Braeuner pense d’abord à se suicider. S’il l’avait fait, il serait mort en bon chômeur, honoré de trois lignes dans la presse locale. «Un désespéré a mis hier fin à ses jours. Il était sans travail depuis huit ans.» Le lecteur aurait éprouvé un vague sentiment de pitié en maudissant l’épidémie naturelle qui sévit sous le nom de «chômage» et détruit implacable- ment des vies humaines. Cependant la tragédie serait restée discrète. On ne publie pas la statistique mensuelle des suicides de chômeurs, quoique celle-ci contribue concrètement à améliorer la situation économique. Mais en fin de compte ce n’est pas directement contre lui-même que Braeuner dirige d’abord son désespoir. Peut-être pense-t-il que cela rendrait par trop service à l’injustice institutionnelle. Toujours est-il que c’est contre celui qui incarne à ses yeux le mécanisme de son exclusion qu’il se retourne ce matin-là.

    De la victime elle-même, on sait peu de chose. Sur la photo, Klaus Herzberg ressemble à ce qu’on se représente d’un employé de 60 ans. Ce que l’on voit de son domicile correspond également au pavillon typique de la classe moyenne, avec garage et gazon bien entretenu. Si l’on en croit le Bild (mais qui peut encore croire ce journal?), il aurait été ce matin-là tout à la joie anticipée de pouvoir annoncer le midi à la presse que «le taux de chômage avait chuté de 6,9% (12 174)». Les plumitifs ajoutent,sans craindre le ridicule:«quelqu’un voulait empêcher cela à tout prix» –comme si l’usage de la violence pouvait empêcher les nouvelles de paraître! Les détails sordides ne nous sont pas épargnés:Klaus Herzberg a été mortellement blessé «par plusieurs coups portés à la tête avec un racloir triangulaire». Ce n’est pas un beau spectacle. Il laisse derrière lui une femme et deux enfants. On imagine les larmes, le vide, les questions sans réponses.

    En revanche, nous ne saurons jamais ce que ressentait le directeur de l’agence lorsque les chômeurs le suppliaient de ne pas leur couper les aides4. Avait-il des remords de conscience? Ou se réjouissait-il d’avoir pris des tire-au-flanc au piège? Se rendait-il seulement compte des existences brisées qui se cachent derrière les statistiques qu’il avait pour fonction de faire baisser? 6,9% ce mois-ci, quel beau chiffre! Finalement, ces questions importent peu. «La mort n’a pas touché la personne de Klaus Herzberg, mais l’institution de l’Arbeitsamt (I’équivalent de notre ANPE et de nos Assedic, NDT)», voilà comment s’exprime Jagoda, président.du Bundesanstalt fur Arbeit (le grand chef du chômage), aux obsèques. Pareille affirmation est ambiguë. Sans doute, une agression personnelle ne peut-elle être une solution, puisque l’employé est impersonnel et interchangeable. Mais par ailleurs, c’est précisément l’anonymat sans visage de la bureaucratie qui en fait la matrice du monstre. De crainte d’être stigmatisé comme soixante-huitard arriéré, plus personne n’ose aujourd’hui parler de «violence structurelle». Et cependant, c’est ici à un cas éclatant de violence structurelle que nous avons affaire. Des slogans démagogiques sont convertis en ordonnances et directives qui, en descendant les échelons, se muent à leur tour en ordres à faire exécuter –combien faut-il en radier aujourd’hui, monsieur le directeur? Assurément, un clic de souris est plus propre qu’un coup de racloir triangulaire, et une radiation des statistiques n’est pas, loin s’en faut, une exécution capitale, seulement une mort institutionnelle. Mais il ne faut pas beaucoup d’imagination, même de la part d’un bureaucrate, pour s’en représenter les conséquences. Il faut le dire clairement:«l’institution de l’Arbeitsamt» et, au-delà, la fabrique de désespoir dénommée politique de l’emploi ont une part de responsabilité dans la mort de Klaus Herzberg.

    Il ne s’agit peut-être là que d’un signe avant-coureur. Depuis quelques semaines, une mise en scène médiatique fait rage d’un bout à l’autre de la République, à laquelle on a donné le nom de «débat sur la paresse». Il s’agit très prosaïquement d’employer contre les chômeurs des mesures plus coercitives. Quiconque n’acceptera pas la première offre d’emploi, quelle qu’elle soit et quel qu’en soit le salaire, se fera couper les allocations. Cette version moderne de la malédiction biblique a néanmoins un angle mort:qu’adviendra-t-il de tous ceux qui, pour une raison ou une autre ne s’accommoderont pas de telles exigences? Les défenseurs de la tolérance-zéro ont-ils pris en compte ses inévitables conséquences? Vont-ils s’accommoder de ce qu’il en coûtera socialement? Faute d’une prétendue «couverture sociale» ce sont des linceuls sociaux qui pourraient bien se multiplier. Regardons les USA, pays de l’économie miracle, où le recyclage des exclus en furieux de la gâchette est devenu la norme et dont le goulag compte deux millions de détenus. Certes, de telles conditions concourent à assainir le marché du travail -d’une part la demande en forces de sécurité, vigiles, policiers, techniciens en alarmes et autres profiteurs de la peur est en hausse constante, d’autre part les coûts salariaux baissent grâce à un large prolétariat carcéral. Mais est-ce bien dans ce monde-là que nous voulons vivre? A cet égard,le cas Braeuner est un avertissement à prendre au sérieux.

    Le procès va débuter le 3 août. La procédure s’y déroulera dans la perspective individualisante de la justice, une apaisante illusion où le mauvais individu paie pour ses péchés, après quoi tout rentre dans l’ordre. Pour toutes les raisons évoquées plus haut, il ne faut pas laisser tomber Werner Braeuner. Si la notion de circonstances atténuantes a un sens, c’est bien ici. Chez de nombreux peuples primitifs, en cas de crime, ce n’est pas seulement l’auteur mais toute la société qui est punie, et tous se flagellent mutuellement. Chacun se sent coresponsable du fait qu’une rupture de la règle sociale ait pu avoir lieu. Il ne serait guère imaginable de remettre ces usages en honneur ici aujourd’hui. Toutefois, il est à souhaiter que ceux qui n’ont pas renoncé à toute valeur humaine saisissent cette occasion de mettre en accusation publique la logique sociale qui enfante de tel cas tragiques. Tant qu’il en est encore temps.

    Guillaume Paoli

    Extrait de Müßiggangster, la revue berlinoise des Chômeurs Heureux, traduit de l’allemand en juin 2001.

    On peut écrire à Werner Braeuner (il parle couramment le francais) à l’adresse suivante:
    JVA Verden, Stifthofstr. 10, 27283 Verden; ou le soutenir en passant par son avocat:
    Michael Brennecke 63 Obernstrasse,
    D-28832 Achim.
    Pour.qui veut envoyer son obole:
    RA Brennecke, Kreussparkesse Achim, BLZ
    29152670, compte n°100680 avec la mention
    Werner Brauener.
    Pétition de soutien:wbraeuner.support@free.fr
    ~
    1
    Au cas où nous n’aurions pas été assez clairs: les Chômeurs Heureux ne nient pas le désespoir régnant, au contraire, ils développent à son encontre des mesures préventives.
    2
    Intimidés par la presse locale qui a stigmatisée cet acte de désespoir comme un«phare politique» conscient:«c’est ainsi qu’il militait dans le réseau“Hoppetosse”qui apelle sur Internet à la“résistance créative contre le capitalisme”» –entendez:le meurtre fait partie de la résistance créative!
    3
    Ce Beck est un de ces sociologues citoyennistes appartenant à la BAG, et la récolte des asperges fait partie de ces travaux, comme les vendanges, dévolus aux chômeurs (NDT).
    4
    «En me coupant les allocations, vous me rompez le cou et vous le faites de bon coeur.» (Lettre de Bräuner à Herzberg le 12 janvier.) Extrait de Müßiggangster,la revue berlinoise des Chômeurs Heureux, traduit de l’allemand, juin 2001.

  • « Les peines auto-gérées ? »

    Paru dans le N° 1 de l’Envolée, septembre 2001.

    Un sujet sur lequel il serait intéressant d’avoir des témoignages de détenus concerne la longueur des peines. Les tribunaux, surtout les cours d’assises, distribuent à tour de bras des décennies de prison, des périodes incompressibles, de la réclusion à perpétuité, comme s’il s’agissait de sanctions anodines. Prenant référence les uns sur les autres, les procureurs et autres avocats généraux, souvent soutenus par les médias, appellent à l’inflation des verdicts. Se figurant, comme beaucoup de gens, que la détention est une partie de plaisir pour des prisonniers confortablement installés, disposant de l’eau chaude et passant leur temps au lit à regarder la télé, ils distribuent généreusement les années d’enfermement sans se rendre compte de ce que cela signifie en réalité. Bien entendu, magistrats et jurés assurent, la main sur le cœur, qu’il ne faut voir dans ces punitions démesurées aucune idée de représailles. La justice française, c’est bien connu, ne pratique en aucun cas la vengeance… Les peines de mort à petit feu, vous diront tous ces braves gens, n’ont d’autre but que de permettre aux condamnés de se ressaisir pour reprendre place dans la société. Il ne s’agit pas de punition, mais de thérapie. Il faut laisser au coupable sanctionné le temps de s’amender, de se soigner éventuellement, et de se refaire une personnalité acceptable. Admettons qu’en prétendant cela l’institution judiciaire ne soit pas hypocrite, et intéressons-nous au temps nécessaire à cette repentance-guérison-renaissance. Ne laissons pas le seul son de cloche des procureurs et des «experts» de tout poil se faire entendre à ce sujet. Il est plus logique de demander aux principaux intéressés, c’est-à-dire à ceux qui y sont passés ou qui y sont toujours, quelle durée ils estiment nécessaire de passer derrière les barreaux pour comprendre la faute qui les y a amenés, se prémunir contre la récidive et préparer leur réadaptation sociale.Ce serait intéressant que les détenus disent combien d’années il leur paraît nécessaire de passer en prison avant de se sentir prêts à reprendre place dans la société des hommes libres sans présenter pour elle un danger. Beaucoup de gens estiment que l’écrou, en tant que mise à l’écart, est une mesure indispensable pour protéger la société et pour éviter le pire chez de mauvais sujets engagés dans une spirale infernale de délinquance ou de criminalité impunie, devenue parfois incontrôlable. Certains détenus reconnaissent eux-mêmes que le fait d’avoir été incarcérés les a empêchés d’accumuler des infractions de plus en plus radicales, ou bien que cela leur a permis de se ressaisir après un acte qu’ils ne se savaient pas capables de commettre, acte qu’ils ont donc du mal à accepter ou à justifier. L’enfermement est alors le moyen de stopper la dérive, de réfléchir sur son propre comportement et d’en reprendre le contrôle afin de se rendre acceptable pour soi-même et pour la société.

    Commentaire de la rédaction

    Le point de vue de Jean-Pierre est largement partagé à l’intérieur ; il nous paraît important de le mettre en discussion. Quant à nous, nous n’imaginons pas que les peines, courtes ou longues, puissent être prononcées par les prévenus eux-mêmes: ce point de vue est utopique, seules quelques sociétés dites «primitives» imaginaient de régler un différend après un débat collectif à l’issue duquel le fautif décidait lui-même de son châtiment. Cela implique que la faute appartienne à la communauté et ne soit pas conçue comme un écart individuel. Notre monde ne tourne pas autour d’une conception communautaire mais autour de l’idée de l’exploitation de l’homme par l’homme au profit d’une minorité.Tout le vocabulaire, toute la logique de la police, de la justice, du droit sont des armes qui appartiennent aux possédants : participer avec le pouvoir à la sanction reviendrait à légitimer son existence. Si aujourd’hui l’urgence est de réduire les peines pour limiter le programme de destruction des détenus, il ne nous appartient pas de proposer une échelle de peines qui, aussi clémente soit-elle, ne pourra jamais être acceptable.