Étiquette : violence judiciaire

  • Interview de Thierry, prisonnier du mouvement social suite à la mort de Nahel

    Interview de Thierry, prisonnier du mouvement social suite à la mort de Nahel

    Thierry a été arrêté le 28 juin 2023 à Saint-Étienne pendant la première nuit de révolte qui a suivi la mort de Nahel, tué par la police. Amené tout droit au trou, Thierry en est sorti trois mois plus tard. Il a alors raconté dans une interview son arrestation, son procès et sa détention. Son récit est malheureusement exemplaire de la répression judiciaire qui s’est abattue massivement sur ce mouvement social il y a un an. Voici certains extraits condensés, dans lesquels il raconte la violence des policiers, les dangereux conseils des avocats commis d’office et la roublardise des juges.

    « Ils ont tiré au Flash-Ball au petit bonheur la chance. »

    « On était à une manifestation contre les violences policières suite à la mort de Nahel qui avait eu lieu la veille, et on nous a proposé de rejoindre des émeutes le soir. On y est allés avec un groupe de copains. Quand ça a commencé à allumer des feux, tout de suite, deux hélicos et 60 policiers sont arrivés, et ça a commencé à courir de tous les côtés. La BAC (brigade anticriminalité) était planquée dans un buisson. Les éclairages publics étaient éteints, il faisait tout noir, on n’y voyait rien… les flics non plus. Ils ont tiré au Flash-Ball au petit bonheur la chance. Ils ont eu mon cousin, qui est tombé ; je l’ai aidé à se relever et je me suis retrouvé avec trois Flash-Ball pointés vers ma tête. Ils m’ont dit : « Mets-toi au sol. » J’ai fait remarquer que j’avais déjà les mains levées. Ça leur a pas plu : ils m’ont plaqué violemment au sol – en se permettant de me retirer mon cache-cou et ma casquette – et m’ont dit : « On t’a eu, de toute façon. » Ça faisait un moment qu’ils voulaient m’avoir, suite aux nombreuses manifestations que j’ai faites dans la Loire depuis 2018. J’ai fait les Gilets jaunes, plein de mouvements sociaux… Ils me l’avaient dit : « On va te faire tomber. »

    Quand ils nous ont arrêtés, moi et mon cousin, ils nous ont insultés – ça m’a pas étonné… Un mec de la BAC m’a mis un coup de genou au moment d’entrer dans la voiture. Tout le long du trajet, l’un d’eux s’est amusé à me mettre sa lampe torche dans les yeux jusqu’au commissariat en me disant : « J’espère que ça te fait du bien ! » Là, ils me sortent un mortier et me disent qu’ils vont retrouver mes empreintes dessus. « – Faites tous les tests que vous voulez, y aura pas mes empreintes dessus. J’ai jamais touché de mortier de ma vie ! » […] Ils voulaient me coller un jet de bouteille aussi. J’ai passé quarante-huit heures en garde à vue. […] J’ai demandé à voir un médecin et un avocat : je les ai vus au bout de neuf heures. J’avais un bleu causé par le coup de genou d’un agent de la BAC lors de l’arrestation : je ne sais même pas si c’est stipulé dans le rapport du médecin qui m’a vu en garde à vue.

    « Mon avocat a servi à rien, je conseille de pas écouter les avocats commis d’office »

    On va pas se mentir : mon avocat a un peu servi à rien. Il a même pas demandé le report de la comparution immédiate ; sa défense était basée sur le fait de reconnaître les faits : selon lui, la juge serait plus indulgente… C’est totalement faux ! Au contraire, ils peuvent dire : « Lui-même l’a reconnu, donc on peut lui coller ça sur le dos ! » […] Je conseille de pas écouter les avocats commis d’office ; mieux vaut essayer de se défendre tout seul – ou alors choisir son avocat. J’ai dit : « Je vais pas avouer le tir, le jet de bouteille… des trucs que j’ai pas faits ! – Non, mais au moins, tu avoues que tu étais sur place. » Je suis pas un pro des procès, donc j’ai écouté ce que me disait cet avocat commis d’office… mais pendant mon audition, l’OPJ [officier de police judiciaire] avait parlé d’embuscade en réunion1. Le vendredi, il nous a envoyés devant le procureur en disant qu’après, on rentrait chez nous… On a été transférés au tribunal en fourgon cellulaire. […] On a vu le juge [des libertés et de la détention] qui a décidé de me placer en détention provisoire au vu de mon passé. Mon cousin a tout de suite été remis en liberté, vu que c’est sa première histoire. Je suis resté en prison jusqu’au lundi, où on est passés en comparution immédiate. […]

    Au procès, la juge nous a pas fait de cadeaux : je m’attendais vraiment pas à ce qu’ils racontent notre passé – que mes enfants étaient placés, que moi j’avais été placé en foyer et famille d’accueil… On est pas là pour juger le passé des gens ! Elle a parlé de notre consommation de stupéfiants, elle a tenté de nous mettre plus bas que terre, et ça s’est vu dans l’article du journal local – et avec la circulaire de Moretti qui disait qu’il fallait faire des exemples… J’ai essayé de parler du pourquoi des émeutes, mais la juge m’a rétorqué, en mode je la saoule : « Faut pas croire qu’il est en liberté [le flic tueur]. Faut laisser faire la justice… »
    L’avocat des policiers a dit qu’ils voulaient nous coller les tirs de mortier, mais qu’ils ne pouvaient pas parce que c’était tout éteint : il n’y avait pas de lumière dans la rue… Alors ils ont ressorti une histoire pour laquelle je devais être jugé plus tard […] : le procès aurait dû avoir lieu le 26 septembre, ils l’ont finalement inclus dans l’audience du 3 juillet.

    « Remets ton casque et retourne avec tes collègues, j’ai pas envie de te parler. »

    Quand je suis arrivé au tribunal le lundi, je pensais pas qu’il y aurait autant de monde ; en fait, je pensais qu’il allait y avoir personne ! Et quand je suis sorti début octobre, j’ai vu sur des lives Facebook qu’il y avait même du monde dehors ! Quand je suis rentré dans la salle d’audience, que j’ai vu ma copine, que j’ai vu des amis, ça m’a fait du bien. Le tribunal a condamné mon cousin à dix-huit mois avec sursis, avec obligation de soin par rapport aux stupéfiants, obligation de formation ou travail ; et ils m’ont collé six mois ferme et douze avec sursis. Et 500 € chacun pour trois policiers, donc 1 500 € chacun à payer solidairement : s’il y en a un qui a pas la possibilité de payer, c’est l’autre qui payera 3 000 balles. Ça, c’est pour… comment ils ont appelé ça ? Soutien psychologique, je crois.

    Après la fin du procès, quand j’ai été redescendu dans les cellules du tribunal, le commissaire de police est gentiment venu me voir et m’a dit : « J’espère que ça te servira de leçon. » J’ai gentiment répondu : « Remets ton casque et retourne avec tes collègues, j’ai pas envie de te parler. » »

    L’intégralité de cette interview a été diffusée dans les émissions radio L’Envolée du 29 décembre 2023 et du 19 janvier 2024 et sur le blog Infos prisons Saint-Etienne (cliquer ici).

    1. L’avocat commis d’office a fait le jeu du tribunal : si Thierry n’avait pas reconnu sa présence dans une « embuscade », le dossier était vide. ↩︎
  • Lettre de Fresnes – Procès d’Olivier au tribunal de Foix – Apologie du terrorisme à toutes les sauces

    Lettre de Fresnes – Procès d’Olivier au tribunal de Foix – Apologie du terrorisme à toutes les sauces

    Émission du 25 avril 2024

    Émission du 25 avril 2024

    • Lettre de BN du centre pénitentiaire de Fresnes où elle évoque son transfert en suspend et la bagarre permanente pour simplement avoir son traitement médical 
    • Pierre raconte le procès d’Olivier auquel il a assisté au tribunal de Foix le 12 avril. Il est enfermé pour des faits qui datent du mouvement pour les retraites de l’année dernière…
    • Répression de la solidarité avec la Palestine : petite histoire de l’apologie du terrorisme 
    • Extrait du podcast où C. raconte son enferment en France puis en Italie après sa cavale d’un an et demie, à retrouver en entier ici (cliquez !)
    • Quelques news du centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu
    • Agenda : samedi 27 avril, rassemblement ‘soutenir la Palestine n’est pas un crime’ & contre la répression & 1er mai contre la prison à Entraigues

    L’Envolée est une émission radio pour en finir avec toutes les prisons. Elle donne la parole aux prisonniers, prisonnières et leurs proches & entretient un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur des prisons. C’est aussi un journal d’opinion de prisonniers, de prisonnières et de proches.

    Le journal numéro 57 est dispo !

    L’abonnement au journal est gratuit pour les prisonniers
    et les prisonnières.

    Direct chaque vendredi de 19h à 20h30 sur FPP 106.3 en région parisienne !
    Rediffusions sur MNE 107.5 à Mulhouse, RKB 106.5 en centre-Bretagne lundi à 22h, Radio Galère 88.4 à Marseille le jeudi soir à 20h30, PFM à Arras et alentours 99.9 mardi à 21h30, Canal Sud 92.2 jeudi à 17h30 à Toulouse, L’Eko des Garrigues 88.5 à 12h le dimanche à Montpellier, Radio U 101.1 le dimanche à 16h30 à Brest, Radio d’Ici 106.6 à Annonay mardi à 21h30 et 105.7 FM & 97.0, à Saint-Julien-Molin-Molette dimanche à 20h, Radio FM 43 dimanche à 12h en Haute-Loire, 105.7 FM au Chambon-sur-Lignon, 102 FM à Yssingeaux et 100.3 FM au Puy-en-Velay, sur Radios libres en Périgord, en Dordogne,102.3 FM à Coulounieix-Chamiers jeudi à 20h, sur Radio Alto 94.8 FM sur le massif des Bauges jeudi à 21h et sur les webradios Pikez (dimanche à 11h) et Station Station (lundi à 13h) ! Dispo sur toutes les plateformes de podcast.

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  • Évasion au C.R.A de Toulouse – 72 h contre la prison à Marseille – Serge, militant mutilé par les forces de l’ordre – Chroniques d’audience

    Évasion au C.R.A de Toulouse – 72 h contre la prison à Marseille – Serge, militant mutilé par les forces de l’ordre – Chroniques d’audience

    Émission de l’Envolée du vendredi 12 avril 2024

    Cette semaine, équipe très réduite, tout le monde est sur les starting-blocks pour préparer le prochain numéro du journal. On en profite pour vous diffuser des chouettes sons qui viennent d’ailleurs.

    • Mais d’abord : quelques nouvelles de la prison pour étrangers de Toulouse où des retenus ont réussi à s’évader… mais ont malheureusement été repris (Pour plus d’infos, voir : Toulouse Anti Cra) ; un appel pour un « premier mai anticarcéral » du côté d’Entraigues ; un chouette texte de copines basques diffusé il y a dix piges dans la cour de la MAF de Fleury, qui n’a rien perdu de sa force.
    • Extrait de La Courte Échelle, émission anticarcérale marseillaise (diffusée chaque dimanche sur Radio Galère), qui revient sur les 72 h contre la prison qui ont eu lieu à Marseille le dernier week-end de Mars.
    • Diffusion d’une interview de Serge, militant toulousain très grièvement blessé par un projectile policier lors de la mobilisation contre les méga-bassines de Sainte Soline, disponible ici.
    • Deux chroniques de comparutions immédiates à Toulouse, par nos camarades de La Sellette.

    Musique : Maryam Saleh x Zeid Hamdan – « Watan El Akk » / 8’6 Crew – « Marseille » / Fela Kuti – « Water No Get Enemy » / Prince Buster – « Judge Dread » / Honey Boy Martin – « Dreader than Dread »

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    Le journal numéro 57 est dispo !

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  • Expérimentations sécuritaires et violences pénitentiaires : lettres sur le QI et le mitard

    Expérimentations sécuritaires et violences pénitentiaires : lettres sur le QI et le mitard

    Le QI (quartier d’isolement) et le mitard sont les parties de la prison les plus propices aux violences pénitentiaires. Francis Dorffer explique comment les QI deviennent de plus en plus invivables, au rythme de la diffusion progressive des nouvelles logiques sécuritaires. Beaucoup de morts en prison ont lieu à l’isolement ou au mitard, comme le dit Kémi dans une lettre écrite le 29 mai 2022 à l’occasion de la journée nationale contre les violences pénitentiaires. Anonyme, une quatrième lettre revient sur le caractère systémique des violences contre les prisonnier·e·s, spécialement au QI.


    « À chaque transfert, je recommence le circuit de la mort à zéro »

    Lettre de Francis Dorffer

    Nous avons publié au début de l’année une lettre ouverte de Francis écrite en décembre 2021 depuis Saint-Maur. Transféré à Arles, il continue à y subir la gestion toujours plus sécuritaire des QI. Cette première lettre a été lue à l’antenne le 18 mars 2022.

    Maison centrale d’Arles, quartier d’isolement,

    Le 15 février 2022

    Aujourd’hui en prison, on n’y fait plus attention, mais la sécurité prend une place de plus en plus énorme et déshumanise tout. Depuis un certain temps, au nom de la sécurité, on a laissé tomber toute forme de sympathie ou même d’humanité. Depuis bientôt trois ans, je vis à l’isolement enfermé 24 heures par jour. C’est par une trappe dans la porte que je dois passer mes mains pour être menotté dans le dos, par des casqués équipés de boucliers, pour sortir de cellule. Comment me sentir bien ? Comment résister et ne pas tomber dans la haine, dans la violence ? Je résiste sans dire un mot. Malgré les années qui sont passées, à chaque transfert, je recommence le circuit de la mort à zéro.

    Exemple : ici, on m’a mis dans une cellule dite « de force », où la fenêtre ne s’ouvre presque pas, les toilettes et le lavabo sont dans du béton, il n’y a aucun meuble à part une table en ferraille attachée au sol. Et le pire, je suis menotté à chaque sortie de cellule par des surveillants qui me tiennent par chaque bras. Imaginez un rendez-vous ! La personne vous voit arriver avec cinq surveillants équipés comme des robots ! Super, les entretiens menottés dans le dos. Au dentiste les menottes me rongent la peau car je suis assis dessus, et je me casse les poignets. Je pense que les directions qui prennent ce genre de mesures contre moi ne se rendent même plus compte qu’ils participent à un acharnement et cela commence à me ronger.

    Je vis en détention depuis vingt-deux ans. J’ai passé plus de temps en prison qu’à l’extérieur, j’ai été condamné à une peine qui est la plus longue infligée en France. En tout, quatre-vingt-six années de détention ont été prononcées contre moi et j’ai encore un jugement en attente. Pour ceux qui ont du mal à y croire, qu’ils contactent mes avocats ou qu’ils regardent sur le net.

    Quand j’entends que la France est un pays fondateur des droits de l’homme, ça me dégoûte. Et mes droits, ils sont où ? Ah, je suis un taulard, donc je peux m’asseoir dessus ? Les gens pensent : « il est en prison, il l’a bien mérité », mais non ! J’ai pas mérité d’être condamné à autant. J’ai pas versé une seule goutte de sang. Dans mes prises d’otages, je n’ai pas frappé une seule fois un otage ! Pourtant on m’a condamné comme si j’avais tué cent fois, et c’est ma quinzième année de détention au QI, et actuellement j’en suis à la troisième d’un trait. Menotté et baluchonné chaque année, car à chaque fois on me dit : « reste tranquille et on va enlever les menottes », arrivé quelques mois on me met les menottes devant, puis paf on me transfère ailleurs et arrivé dans une nouvelle prison on me dit :

    "On te connaît pas, donc on repart sur le menottage dans le dos, si tu reste tranquille on verra pour te les mettre devant !"

    Que la France arrête de faire semblant d’être un pays humain et surtout qui respecte les droits de l’homme. Ça fait 22 ans que je suis en prison et chaque jour on m’attache comme un chien ! C’est ça, se réinsérer, les gens ! En les attachant dans le dos ! En les éloignant de leurs familles, en les laissant des années au QI, en les laissant sans rien. Bref, ce que je sais, c’est que c’est pas comme ça qu’ils vont me casser !

    Force et courage à tous, soyez forts, et si besoin écrivez-moi, je répondrai.

    Francis Dorffer


    En direct des abattoirs français

    Lettre de Francis Dorffer

    Nous avons publié au début de l’année une lettre ouverte de Francis écrite en décembre 2021 depuis Saint-Maur. Transféré à Arles, il continue à y subir la gestion toujours plus sécuritaire des QI. Cette seconde lettre a été lue à l’antenne le 18 mars 2022.

    Maison centrale d’Arles, quartier d’isolement,

    Le 20 février 2022

    Aujourd’hui, la prison a pris un tournant ultra-sécuritaire. C’est de plus en plus inquiétant : en 2022 le budget pénitentiaire a voté 145 millions d’euros rien que pour le volet sécuritaire ! Quand le budget pour les alternatives à la prison s’élèvent à 300000 euros ! Ou la prévention de la récidive : 90 millions ! C’est hallucinant. À ces deux catégories, on n’arrive même pas au budget alloué pour la sécurité. Alors que les deux sont essentiels. Sur le terrain, la hausse de l’hyper-sécuritaire se fait ressentir chaque jour un peu plus.

    Quand on se penche un peu sur les quartiers d’isolement… Pour être concret : il y a quinze ans, j’étais en QI dans des maisons d’arrêt. Il n’y avait pas de système de trappes aux portes. Aujourd’hui, 90% des QI sont munis au moins partiellement de ces trappes ! Et ce qu’il se passe, c’est que dans beaucoup de QI, vu qu’il y a ces trappes aux portes, les agents n’ouvrent quasiment plus les portes. La facilité de venir seul et de distribuer le courrier, les cantines ! Voire dans certains cas, les repas. Et l’humain disparaît petit à petit. Même des audiences sont faites par les trappes ! Et je ne suis pas une exception. Des détenus traités comme moi, il y en a de plus en plus… Il faut que ça cesse ! On a pas le droit de laisser des êtres humains comme ça ! Le contact avec les surveillants ne fait plus que le bruit de la ferraille des menottes et le claquement des boucliers, chaque jour depuis trois ans. Et je vous le dit, il y a des centaines de détenus qui vivent ça. Mais les pauvres ont tellement laissé le temps passer que pour eux, c’est normal ! C’est devenu banal de laisser les gens mourir à petit feu comme ça.

    Et quand il y a des incidents, on relance les vieux débats, les manques de moyens, etc. Non ! Stop ! Aujourd’hui le directeur d’une prison peut placer un prisonnier au QI, le faire menotter, lui imposer des agents équipés casqués avec boucliers, lui imposer des heures de sortie (1 heure du matin !), le mettre en position animale ! Et après ils vont dire : « regardez, le mec est violent ». On fabrique des bombes humaines et quand elles explosent on se demande comment c’est arrivé. Non, vraiment, stop ! Il est temps de traiter les détenus comme des humains et de leur laisser l’espoir, la vie est déjà assez compliqué pour nous. Il faut que ça cesse ! Venez voir !

    Merci à tous,

    Francis Dorffer


    Le mitard et l’isolement

    Lettre de Kémi

    Kémi écrit dans cette lettre, lue à l’émission du 20 mai 2022, qu’il est sorti d’isolement peu de temps avant, en janvier 2022. Cependant, l’AP a depuis décidé de l’y remettre au courant de l’été 2022...

    Maison centrale de Saint-Maur,

    Mai 2022

    Bonjour à tous,

    Je vous écris de la centrale de Saint-Maur, je m’appelle Mickaël, j’ai 33 ans et ça fait dix ans que je suis en cellule, et il me reste encore dix ans sur le papier, tout ça pour vous dire que je connais bien le mitard et l’isolement. D’ailleurs, récemment je suis sorti de l’isolement après un bref séjour de deux ans, le mitard je connais que trop bien aussi malheureusement, j’ai même connu les fameux 45 jours fermes de cachot ! Un mois et demi enfermé dans 3 m² avec rien, même la radio ils font galérer pour nous la donner !

    La France devrait fermer ces lieux sombres, sérieux

    L’isolement en France c’est quoi ? C’est ni plus ni moi que les QHS (quartiers de haute sécurité) des temps modernes ! On est 23H/24 enfermés en cellule, impossible de voir à quoi ressemble ton voisin de cellule, et si tu parles à la fenêtre faut faire très attention à tes propos et avec qui tu les tiens pour éviter que l’AP te colle une étiquette chelou sur ton dos ! Si tu t’énerves faut être préparé car ils entrent dans ta cellule avec le bouclier et les tenues pare-coups, et te sautent dessus, donc quitte à faire du mitard, autant y aller pour une raison valable…

    Ça peut paraître brutal, mais en vrai vous êtes loin de la vérité, c’est encore plus brutal. Je m’exprime pas très bien, mais c’est des abattoirs à détenus. Regardons la vérité des choses, la plupart du temps, quand un détenu perd la vie, c’est soit au mitard, soit à l’isolement, ou alors par un incendie dans la cellule…

    L’isolement et le mitard en France, ce sont des lieux où l’on se sert des détenus comme des cobayes, ils essayent de vous shooter avec des médocs, ou alors ils te piquent, c’est la camisole de force par injection, c’est des oufs ! La France devrait fermer ces lieux sombres, sérieux, vous ne pouvez pas imaginer ce qui s’y passe !

    Oui c’est vrai, à l’isolement, on a le droit à la télé et aux cantines mais si tu bosses pas et que t’as pas de soutiens à l’extérieur tu fais comment ? Rares sont les quartiers d’isolement où tu peux bosser, la télé n’est pas gratuite, c’est 20€ par mois, et même si t’as la télé tu peux passer plusieurs années à l’isolement coupé de tout, si tu commences à parler à ta télé et que tu attends une réponse, ben, pose-toi les bonnes questions !

    J’ai vécu une nuit au mitard en 2014 où je me suis battu pour ma vie, merci à mes voisins qui ont fait le bordel

    J’ai personnellement côtoyé l’isolement, j’ai passé plusieurs années dans ces mouroirs. Le mitard c’est pareil, on doit rester sur nos gardes 24H/24. Pour tout vous dire, j’ai vécu une nuit au mitard en 2014 où je me suis battu pour ma vie, et merci à mes voisins qui ont fait le bordel quand ils ont entendu la bagarre dans ma cellule, à cette époque j’étais le détenu à briser voir plus après une prise d’otage dont j’ai été l’auteur, quand on joue avec l’AP, on joue sa vie !

    Bref, j’espère que ces quelques mots permettront de voir un peu ce qu’est l’isolement et le mitard… Force, courage et honneur pour tout·e·s les détenu·e·s de France et leurs familles !

    Mickaël, AKA Kémi


    « S’adapter, ne pas s’habituer »

    Lettre d’un lecteur anonyme de L’Envolée

    Cette lettre a été lue à l’émission du 17 juin 2022.

    Dans une prison de France, quartier d’isolement,

    Juin 2022

    Salam, peace à toute la populace,

    Je suis un lecteur assidu de L’Envolée, un révolté de nature, qui au fur et à mesure vire entre haine et dégoût. Innocent ? Nan, sûrement pas, et alors ? Non coupable ? Ça dépend des points de vue. Plus de sept ans de détention, six ans d’isolement ininterrompu, réclusion criminelle à perpétuité, la trentaine, nice to meet you.

    Je suis en ce moment dans une cellule d’isolement. Force à tous ceux qui sont dans ce cas. La fenêtre s’ouvre à peine suffisamment pour passer la main, ni un oiseau ni un singe et, malgré tout le respect que j’ai pour eux, j’ai l’impression d’être un animal dans un zoo. Drôle de situation quand un directeur vient vous accueillir à votre arrivée en disant : « alors, c’est vous ? », avec le regard que l’on pourrait porter sur un lion domestiqué ou non domestiqué dans une cage.

    Ces bleus, ces humains qui ne le sont que très peu au quotidien, agents et acteurs d’un racisme structuré

    S’adapter, ne pas s’habituer. J’ai vu au cours des années des détenus flancher psychologiquement, répondre à la violence institutionnelle (quand elle n’est qu’institutionnelle, ce qui est extrêmement rare), par la violence physique, souvent contre eux-mêmes, trop souvent contre eux-mêmes d’ailleurs. À l’égard des bleus, parfois ces bleus, ces humains qui ne le sont que très peu au quotidien, agents et acteurs d’un racisme structuré, nous les noirs ris de leurs blagues racistes de leurs collègues. Ces gens, ces bleus, très souvent instables, qui laissent libre cours à leur base instable à l’ombre de ce système panoptique, où force n’est pas à la loi, puisque ces lois ils les bafouent en permanence et que le détenu qui aurait l’outrecuidance de s’emparer de ces lois pour tenter de se défendre (je dis bien tenter) est immédiatement estampillé procédurier et les vexations ne font que se multiplier.

    Que dire des piqûres ? De la camisole chimique ? Que dire des décès ? Des meurtres maquillés en suicides ? De l’instrumentalisation de la bassesse humaine ? De l’utilisation des détenus contre d’autres détenus ?

    Et lorsque l’on a dit tout cela, que dire des QI ? J’y suis depuis six ans. On m’accuse d’être un roc, de ne pas faiblir, de ne pas craquer, d’être trop peu impacté après toutes ces années. Qu’on se le dise, je n’ai pas l’intention d’abdiquer : routine exigeante émaillée d’effractions de la part de soldats, plus exactement de marionnettes de l’injustice.

    L’instrumentalisation d’événements au profit du tout sécuritaire… Des débats contradictoires pour donner à tout cela un semblant de cadre légal. Pour ma part, je dis une chose simple quant à ces débats. Dire à son empoisonneur : « je connais ta recette » est inutile, puisqu’il ajoutera toujours un nouvel ingrédient à son poison. Lorsqu’on nous empoisonne, la meilleure façon de ne pas mourir, c’est d’arrêter de manger. Il faut donc ne plus accepter de subir. Stimulez votre intellect, maintenez votre physique en bon état, résistez de la manière la plus adaptée à votre situation… peu importe la manière et peu importe cette situation.

    Un grand salam à L’Envolée que je lis depuis longtemps, à qui je n’ai jamais écrit. C’était une présentation, peut-être que d’autres courriers suivront. Dans tous les cas, je ne souhaite pas que mon identité soit donnée si ce courrier devait être publié. Un grand big up de l’ombre pour les gens à la lumière, prenez soin de vous, je vous souhaite de sortir dans le meilleur état possible.