Paru dans l’Envolée n°33, octobre 2012
Le compte rendu du procès est suivi d’une lettre de Faouzi reçue aprés le procés en juin 2012.
PAS D’QUARTIER A VEZIN-LE-COQUET,
RETOUR SUR LE PROCÈS D’UN MOUVEMENT
Le mardi 8 avril 2012 en fin d’après-midi, un mouvement éclate à la prison de Vezin-le-Coquet (Ille-et-Vilaine), inaugurée en 2010. Surveillants et médias s’empressent alors de crier à la mutinerie ! Par ignorance ou par bêtise, la presse locale nous sert alors la soupe de l’islamisme radical, quand elle n’assimile pas cette révolte au mouvement des matons, qui réclament plus de moyens. Des véritables raisons du mouvement, il ne sera jamais question. Quatre prisonniers désignés comme meneurs passent en comparution immédiate deux jours plus tard, à la fin des quarante-huit heures de garde à vue.
Le procès est pour eux l’occasion de dénoncer leurs conditions de détention, les violences et les brimades, l’arbitraire, bref l’ordre pénitentiaire. Pour l’état, c’est le moment de tenter de mater par des peines extrêmement lourdes ceux qui ont remis son autorité en cause. Pour comprendre ce qui s’est passé, manifester notre solidarité aux quatre accusés et tenter de prendre contact, nous nous sommes rendus au procès à quelques-uns.
Le procès a lieu en soirée le jeudi suivant le mouvement, dans une salle désertée : quelques journalistes clairsemés, un ou deux proches, mais surtout la présence massive des bleus, y compris le maton victime. Dès le départ, la juge claironne en direction des accusés : « Soyez attentifs, le spectacle ne se passe pas dans la salle. Vous encourez pour certains dix ans, avec les peines plancher. » Le ton est donné.
L’audience débute par l’exposition des faits et des motivations des prévenus. On apprend qu’ils se sont révoltés parce que deux d’entre eux se voyaient refuser un transfert : on est loin du mouvement « sans raison » des journalistes . En effet, Faouzi, désigné comme le meneur de l’histoire, demande son transfert vers une centrale de la région parisienne depuis des mois : d’une part parce qu’il purge une longue peine (il est libérable en 2020) et n’a donc rien à faire dans un centre de détention, d’autre part parce que sa compagne et sa fille demeurent aux Pays-Bas, ce qui rend inimaginable un déplacement pour une ou deux heures de parloir seulement. Ses demandes répétées étant restées vaines, il a passé cinquante et un jours au mitard volontairement et fait une grève de la faim de trente-cinq jours dans l’espoir de provoquer son transfert. Il a également écrit au contrôleur général des lieux de privation de liberté. Grégoire demande lui aussi son transfert depuis des mois.
Les faits : les prisonniers bousculent un maton, récupèrent les clés et ouvrent les cellules du couloir. On apprend que les prisonniers ont laissé repartir le surveillant. Ensuite, une vingtaine de prisonniers balancent ce qui leur passe sous la main, savons, shampoing, vaisselle. Il y aurait eu un départ de feu dans une des cellules, et deux caméras de vidéosurveillance ont été cassées.
Les prisonniers assument le mouvement sans jamais cesser de le remettre dans son contexte : celui d’une situation bloquée autour des transferts , d’une ambiance tendue avec des matons dans des conditions de détention insupportables.
Grégoire : « J’ai mis le souk. Si j’avais pu faire autrement, je l’aurais fait. Mais quand quatre , cinq fois, on vous fait croire que vous allez être transféré : “ Préparez vos cartons, c’est pour dans quinze jours”, quand à 6 heures du matin on est prêt et qu’à 8 heures on vous dit : “Non, c’est pas maintenant”… On nous prend pour des chiens… Maintenant, au moins , je suis sûr d’être transféré. »
Faouzi : « J’ai dit au directeur, le bon comportement, ça paye pas. J’ai travaillé, j’ai passé des diplômes. Ça fait huit ans que j’ai pas un seul rapport d’incident. J’ai l’impression qu’on fait tout pour m’éloigner de ma famille. C’est pas la meilleure solution, mais on n’a pas le choix. »
Un troisième accusé, à qui on reproche d’avoir jeté un savon et une bouteille d’eau en plastique, en direction des surveillants, est interrogé .
Sébastien : « J’ai jeté un savon et une bouteille d’eau en plastique, y avait 35 personnes à jeter des trucs . » La juge : « Donc vous reconnaissez avoir jeté des objets. »
La juge essaye en permanence de faire avouer aux prisonniers qu’ils ont commis certains actes, au seul prétexte de leur dangerosité prétendue ou de leur profil profondément récalcitrant. Elle refuse de les entendre lorsqu’ils lui exposent leurs raisons. Sébastien : « Pourquoi les surveillants, quand ils viennent faire une fouille dans ma cellule, ils jettent les photos de ma famille, de mon enfant dans les toilettes ? C’est juste pour blesser. » Pour la juge, ce n’est jamais la question. La question, c’est uniquement la violence du prisonnier qui a osé lancer un savon et une bouteille d’eau en plastique en direction des surveillants.
L’ examen des casiers judiciaires est une étape de plus dans la construction des « prétendus profils » des prisonniers, plutôt d’un profil type : ils ne sont pas jugés en tant qu’individus ayant des raisons d’agir, de lutter contre l’arbitraire de la prison, mais comme de mauvaises gens naturellement vouées à la sanction. La lecture du comportement en détention participe également à cette construction de la dangerosité du prisonnier – forcément mauvais puisqu’il est prisonnier.
Ceux-ci ne se démontent pas pour autant et continuent de se défendre, refusant de se laisser enfermer dans cette image. Certains remettent en cause leurs séjours au mitard, arguant qu’à « Vezin, au mitard, on y va pour rien ».
Faouzi revient continuellement sur les raisons du mouvement :
« Ça fait six mois que je n’ai pas vu ma fille. Dans toutes les centrales, elle peut rester le week-end, pas une heure comme ici ».
La juge : « Bon, la Bretagne ne vous convient pas pour votre peine ? »
Faouzi : « Ça n’a rien à voir avec la Bretagne. Ça explique comment l’administration pénitentiaire vous pousse à bout. En janvier on m’avait fait des promesses de transfert. Rien»
Vient le moment des plaidoiries des plaignants. Les services immobiliers de la justice se sont portés partie civile ainsi que le maton malmené. Même si l’AP « n’a pas fini de chiffrer les dégâts », la première facture qu’elle présente est de 4 837,53 euros. Pour une « mutinerie », le coût des dégradations semble bien léger – il est en fait très en rapport avec ce qui s’est passé. Puis c’est le blabla sur le traumatisme subi par le surveillant, qui revit la scène sans cesse, qui se remet en cause dans son professionnalisme… et qui méri te 1 500 euros. Il a décroché une ITT de trois jours, ramenée à six jours suite à un examen médical complaisant. C’est qu’« il revit la scène sans cesse ».
Arrive la réquisition de la procureure, où l’hyperbole sert de vérité. Bien que les faits se résument à trois coups à un maton et une aile de la prison quelque peu « dégradée », pour elle, on est face à « un climat quasi insurrectionnel », « un véritable défi à l’autorité », bien que l’ordre ait été ramené en moins de trois heures. Elle souligne que pour faire face à ces défis, la direction de la prison avait mis en place des régimes différenciés, et que ces prisonniers se trouvaient alors dans l’aile « régime fermé », donc celle des prisonniers les plus récalcitrants. Il s’agit pour elle d’un véritable guet-apens, un acte prémédité au seul profit de Faouzi. Cette préméditation serait attestée par le jet sur le sol de shampoing et de lessive destinés à empêcher l’intervention des équipes régionales d’intervention et de sécurité (Eris). La question des transferts et de l’attitude de l’AP, pour elle, ce n’est pas le lieu pour en débattre. Comme dans chaque mouvement, il est très difficile de dire qui fait quoi, parce que c’est toujours des moments collectifs, mais elle s’ingénie à désigner un meneur et un bras droit, un second couteau et un actif suiveur. Déverser de la lessive sur le sol, jeter des savons et des bols en direction de matons armés, cagoulés et casqués témoignent pour elle d’une « extrême violence ».
Violence psychologique aussi, puisqu’on nous raconte que les autres prisonniers seraient choqués. S’il ne s’agit pas de faire le procès de l’ordre pénitentiaire, il s’agit encore moins de faire celui de la prison neuve qu’est Vezin-le-Coquet. « Une belle prison avec des locaux neufs et des activités », et « le régime différencié a satisfait 90% des détenus, qui peuvent ainsi faire de leur détention un moment constructif ! » Elle réclame six et cinq ans pour Faouzi et Grégoire, reconnus comme les meneurs ; trente mois et dix-huit mois pour les deux autres.
L’audience touche bientôt à sa fin, c’est au tour des avocats d’entrer dans la danse. Ce sont tous les quatre des avocats commis d’office, et trois d’entre eux n’ont pu prendre connaissance des dossiers que deux heures avant le procès. Il n’y a pas de défense commune, et il s’agira le plus souvent de charger un des accusés pour décharger l’autre. Tous les avocats plaideront tout de même contre les nouvelles prisons, inhumaines, où tout est à l’électronique et à la sécurité.
La parole est aux accusés :
Faouzi explique : « C’est pas [ce surveillant] qu’on visait. D’ailleurs, on n’a pas voulu le séquestrer ou le mettre dans une cellule. En quatorze ans, je n’ai jamais frappé un surveillant. Les jeunes, ça me fait mal de les voir là, je veux bien prendre leur condamnation. Ils n’ont rien à faire là. Si je prends six ans, de toute façon, ma vie, elle est foutue, ça veut dire que je sors en 2026, j’appelle ma femme et je lui dis de partir. J’ai essayé de faire le mouton, ça n’a jamais été récompensé. »
Verdict : cinq ans.
Grégoire revient toujours sur les brimades subies : « Quand on m’a cassé les côtes, qu’on m’a attaché toute la nuit au mitard, qu’on m’a frappé, regardez, la cicatrice sur ma tête, ça fait un an que je l’ai… je suis pas traumatisé, aussi, moi ? Quand on nous prend pour des chiens ! C’est pas humain. Quand on est au quartier disciplinaire et que derrière les grilles les surveillants passent, agitent les clefs et disent : “alors on fait le singe ?” On n’est pas des chiens. Et le coup des parloirs fantômes… Moi j’ai pas de famille, je suis désolé pour le surveillant, mais j’ai rien à perdre. J’ai rien à perdre. Au moins, là, je suis sûr d’être transféré. »
Verdict : cinq ans.
Pierre : « On dit jamais qu’au mitard on nous casse les côtes, on se fait frapper. Ça on le dit jamais ».
Verdict : deux ans.
Sébastien : « Moi aussi j’suis désolé. Mais pour vous, on est juste des numéros d’écrou. »
Verdict : un an.
Les peines sont extrêmement lourdes. Ce sont au total plus de treize années de prison qui ont été distribuées. Pour rappel, la mutinerie de Clairvaux qui avait rendu le bâtiment A inutilisable pendant plusieurs mois en 2003 n’avait été sanctionnée par aucun procès : les prisonniers avaient pris soin de détruire en premier lieu toutes les caméras de vidéosurveillance, et personne n’avait moufté ; la destruction au 3/5e de la centrale d’Ensisheim en 1988 avait abouti à des peines de quatre ans pour les meneurs. La sévérité du procès de Vezin est exemplaire. Les juges ont suivi les réquisitions du parquet sans entendre les personnes qu’ils avaient en face d’eux. Il fallait rassurer les syndicats de surveillants et se serrer les coudes entre braves gens – ce qui n’empêchera pas lesdits syndicats de bloquer les parloirs quelques jours plus tard. Il fallait aussi défendre les nouvelles prisons, décriées par tous, jusqu’au contrôleur général des lieux de privation de liberté !
D’ailleurs, il faudrait parler de double, voire de triple peine : en plus des peines d’emprisonnement, les prisonniers ont droit au mitard, à l’isolement et aux transferts disciplinaires. En ce qui concerne le prisonnier qui a pris un an pour avoir jeté une bouteille d’eau et un savon, la peine est très, très lourde, car il devait sortir le mois suivant, il avait trouvé un travail à l’extérieur et sa compagne l’attendait. C’est sa conditionnelle qui saute, les sursis qui tombent et la peine qui se prolonge indéfiniment.
Cette sévérité s’explique aussi par le recours à la comparution immédiate. Les avocats auraient dû conseiller aux accusés de la refuser. On sait par expérience que les jugements en comparution immédiate aboutissent généralement à des condamnations très lourdes. Souvent, les personnes acceptent la comparution immédiate de crainte d’être placées en détention provisoire. Ici la question ne se posait pas, les accusés étant déjà enfermés. Refuser la comparution immédiate, c’est se donner le temps et les moyens de préparer sa défense, de contacter des soutiens extérieurs pour une solidarité active, de faire connaître son histoire, bref ne pas se jeter dans la gueule du loup. Ça peut aussi permettre de choisir son avocat. On sait que les avocats commis d’office ont une implication moindre, voire nulle dans les dossiers des accusés, d’autant qu’ils n’y ont accès que quelques heures avant l’audience. Cela peut éventuellement permettre une défense commune, et éviter, comme lors de ce procès, les défenses individuelles, où chaque avocat charge les autres accusés pour disculper son « client ». Cela allait d’ailleurs à contre-courant de l’attitude et des déclarations des accusés eux-mêmes. Ils sont toujours restés solidaires les uns des autres, sans se charger mutuellement, ils s’efforçaient même de se couvrir les uns les autres.
De même, on ne peut que regretter que les prisonniers de Vezin n’aient pas fait appel, par crainte d’une condamnation plus lourde. Faire appel aurait pu leur laisser le temps de préparer ce procès, de prendre contact avec des avocats, et d’être nombreux dans la salle d’audience. Ce lien avec l’extérieur est essentiel dans la construction d’un rapport de force et de complicités. Être présents lors des procès permet de comprendre ce qui se joue dans un mouvement au-delà de son traitement médiatique. C’est aussi un moment où il est possible de montrer aux prisonniers qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent compter sur du monde dehors, bref qu’ils ont été entendus.
« J’ai payé le prix fort parce que
j’ai osé dire ce que tous les détenus
pensent très fort »
Centre pénitentiaire de Vivonne,
21 avril 2012
« Salut, J’ai eu grand plaisir à recevoir vos lettres. Ça fait chaud au cœur de savoir qu’il y a des amis qui sont sensibles à ce qui s’est passé à Vezin. Malheureusement j’ai payé le prix fort parce que j’ai osé dire ce que tous les détenus pensent très fort. J’ai essayé de me faire comprendre par tous les moyens. Dès mon arrivée à Vezin le 4 janvier 2012, j’ai tout de suite expliqué mon cas. À Rennes, je ne peux pas voir ma fille qui habite en Hollande, et pour protester j’ai pris quatorze jours de cachot. Au terme de ces quatorze jours, j’ai refusé de sortir et j’ai fait cinquante et un jours d’affilée, et trente-huit jours de grève de la faim. J’ai vu Monsieur Bauer, et il m’a promis de s’occuper de mon transfert. Je suis sorti du cachot et ils m’ont mis au rez-de-chaussée d’une unité du centre de détention qu’ils ont appelé le zéro, avec des gens qui n’ont pas droit à la parole ni de se plaindre de leur condition, enfermés 22 heures sur 24. J’ai vu la misère de jeunes désœuvrés, des gens qui ne mangent pas à leur faim et qui ramassent les mégots en promenade. Moi qui avais encore du chemin à faire, ma date de sortie en 2020, l’espoir que j’avais ma conditionnelle en 2013… Je voyais l’horizon s’assombrir devant moi. J’ai tapé à toutes les portes. J’ai alerté Monsieur Delarue sur mon cas, j’ai écrit à l’OIP. Tous m’ont répondu. J’ai vu le Spip, la chef de détention, mais j’ai pas trouvé de l’aide. Après j’ai été désespéré et on m’a poussé à faire le mouvement. Avant ça, comme vous l’avez entendu au palais de justice, en quatorze ans de prison, je n’ai eu que trois incidents. Je voulais me battre pour ma fille qui a 7 ans. Je savais que c’était une bataille perdue d’avance, le pot de fer contre le pot de terre, mais la résistance n’est pas finie. Je veux faire savoir ce qui s’est passé au monde entier. J’ai écrit à M. Marzouri, président tunisien, qui a été avant, dans les années sombres, sous la dictature de Ben Ali, un fervent défenseur des droits de l’homme, il en était même le président, pour l’alerter sur ce qu’on subit en étant d’origine étrangère. Moi j’ai grandi en France et je suis fier. J’ai grandi dans le XXe à Paris, à Belleville, dans une diversité incroyable : Juifs, Arabes, Africains, Chinois. Je n’ai jamais été islamiste, comme ils ont écrit à Ouest-France. Je suis tombé pour trafic et j’ai été extradé de Hollande en 1998. Je fais ma prière, étant musulman, et ça s’arrête là. Les petits jeunes qui étaient avec moi, je n’ai aucune idée où ils sont. C’est des petits malheureux qui m’ont touché au plus profond de mon âme.
Voilà à peu près le résumé de ce qui s’est passé. Vous avez vu que le surveillant n’avait aucune trace de violences, parce que ce n’était pas le but, et c’est moi qui lui ai permis de partir. Je ne voulais pas qu’on l’enferme, ni le prendre en otage. Tout ce qu’on voulait c’est qu’on entende notre souffrance. Mais voilà, ça continue. Moi, jeudi je passe au prétoire pour être jugé en interne et je risque le maximum de trente jours de mitard. Triple peine : cinq ans, trente jours de mitard et un éloignement encore plus important, puisque après trois mois d’isolement, je serai transféré en centrale à Lannemezan. Mais je me battrai pour être rapproché de ma famille. Ma sœur et mes frères à Paris, ils peuvent accueillir ma fille.
Voilà mon histoire, juste les derniers mois passés en Bretagne. J’ai décidé de ne pas faire appel parce que je sais que je risque d’être condamné plus lourdement. J’en ai la conviction, et je laisse au jeune homme Grégoire de faire appel, il a plus de chances que moi s’il bénéficie de mon absence pour qu’on lui abaisse la note. Je l’espère.
Je veux vous embrasser, et merci de votre soutien. Je fais des bisous à tous vos auditeurs et souhaite bon courage aux familles de détenus et aux détenus, passez-leur mon amitié et dites-leur de ne pas flancher et de garder le moral.
Merci mille fois.
Votre ami, FAOUZI ».
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