APRES LE MOUVEMENT : neuf accusés massacrés par la justice pour le mouvement à la MA de Blois

Cet été ce fut Bourg-en-bresse, Chateaudun, Blois. Le 6 décembre, rebelote : cette fois au Centre pénitentiaire d’Argentan, et le lundi 17, à la toute nouvelle centrale ultra sécuritaire de Condé sur Sarthe. Début janvier ce sont des prises d’otages à Toul et aux Baumettes, et un refus de remonter à la centrale de Moulin… Les mouvements se multiplient dans les maison d’arrêt mais aussi dans les prisons pour longues peines, c’est indéniable et ça commence à faire tâche sur le dit « humanisme » de la période Taubira.

La presse ne peut plus tout à fait rendre la fameuse « surpopulation » responsables de tous les maux ; certains journalistes commencent même -c’est dire- à se demander si les revendications sécuritaires des matons et leur dénonciation systématique du soi-disant laxisme sont bien les seules paroles qu’il faut entendre. Ils oublient un peu vite au passage que le désert de paroles des prisonniers, ils ont eux même largement contribué à le fabriquer.

Pourtant, les tribunaux, les peines délirantes qu’ils administrent encore et toujours, les absences d’aménagements de peine, les refus de rapprochement, l’arbitraire de l’application des peines, les mesures portes fermées qui se généralisent dans toutes les détentions… sont dénoncés par tous ces mouvements plus ou moins collectifs, si on veut bien les entendre. Mais qui veut les entendre ?

Qui veut entendre, par exemple, les prisonniers accusés du saccage de la Maison d’arrêt de Blois lorsqu’en procès ils se font assassiner ? Une enquête de police a envoyé neuf jeunes gars devant le tribunal de grande instance de Blois. Alors qu’une soixantaine de détenus se sont révoltés, ces neufs-là ont été retenus pour l’exemple. Six d’entre eux, toujours incarcérés, ont été transférés après la mutinerie dans des prisons franciliennes et bourguignonnes, loin de leurs proches. Trois autres, sortis de prison depuis, comparaissent libres. La liste des faits qui sont reprochés aux uns et aux autres est résumée par divers chefs d’accusation : rébellion et incitation à la rébellion, dégradation, violence sur un maton dénommé Chambris, et usage d’un téléphone portable pour communiquer avec l’extérieur. A l’issue du procès, ils prennent de 6 mois à 3 ans de prison, conformément aux réquisitions de Puechmaille, la procureure, pour qui « c’est frustrant de ne pouvoir condamner la soixantaine de mutins ! » Les peines prononcées sont lourdes, exemplaires et sévères. Bien plus que par le passé[1]. Il faut que ça condamne, coûte que coûte car la justice blésoise ne cesse de rappeler qu’elle tient à sa petite maison d’arrêt et que sa dévastation est insupportable. Le 9 décembre dernier, quelques « envoyés spéciaux » au procès de la mutinerie de la Maison d’arrêt de Blois du 19 août 2013, pour le raconter et témoigner leur soutien aux accusés. Réçit de ce massacre.

 Rappelons qu’à l’origine de cette mutinerie, il y a dans la nuit du 18 au 19 août, la mort en cellule de Mounir Benlhoussine, un jeune homme de 24 ans. Malgré les appels de son co-détenu, les secours sont arrivés trop tard. Cet événement a ému les prisonniers rassemblés lors de la promenade du matin, et la tension est montée. H., cousin de Mounir, est l’accusé le plus chargé dans ce dossier. Il raconte à la barre : « Les secours sont arrivés trop tard pour sauver Mounir. J’étais à bout, j’ai demandé à rencontrer la direction. Je voulais voir son corps mais on me l’a refusé. » Il ajoute au sujet de l’altercation qui s’en est suivie entre quelques prisonniers et un surveillant : « Si j’ai sauté sur le surveillant Chambris, c’est à cause du désespoir, je comprenais pas pourquoi les secours ont mis tant de temps.» Et puis, surtout, il nous apprend que « tout le monde était déjà sous pression avant sa mort. C’est Bouada un chef de détention, il mettait sous pression tout le monde, il fouillait tout le temps, il était trop répressif. (…) Tout le monde était déjà à bout de nerf avant ce décès donc c’était impossible de contenir cette rage ». Il poursuit : « Ensuite je suis retourné en cours de promenade car Mme Ettore, la directrice adjointe a voulu que j’explique la situation aux autres détenus afin de les calmer car tout le monde était affecté et se posait des questions ».

On apprend de la bouche de la juge que suite à cela, les détenus présents dans plusieurs cours de promenade refusent de remonter en cellule. Et ça chauffe particulièrement dans le cour 4 : des bancs en béton sont descellés et utilisés comme béliers pour défoncer la porte qui les sépare de la détention, où les prisonniers s’engouffrent. Certains détruisent des caméras de vidéo-surveillance et du matériel, certains allument des incendies, d’autres préparent des barricades, ou encore tentent de briser les vitres du Poste Central de Sécurité (PCS). Le personnel se retranche plus loin. Des détenus  accèdent alors à la détention et brisent les serrures de certaines cellules, laissant sortir ceux qui y étaient enfermés. Selon la juge, il s’agit du « saccage intégral de la maison d’arrêt, la seule pièce épargnée est l’infirmerie ». Au bout du rouleau, elle balbutie : « Toute la grande détention et même le petit quartier sont dans un état de… de… y a plus rien. » Puis les ERIS interviennent. Curieusement, pas un mot sur la manière dont ces équipes de robocop des prisons ont ramené l’ordre, comme toujours : en massacrant les détenus. Ce qui a particulièrement énervé la matonnerie, c’est l’appel de H. avec un portable clando pour faire savoir à l’extérieur ce qui se passait : «  Allô, La Nouvelle République ? Dites-le dans le journal, qu’ils ont tué Mounir. Il était malade. Toute la nuit, son copain de cellule a tapé à la porte pour demander du secours. On a tous entendu cogner. C’est pour ça qu’on est en colère. Personne n’est venu, je te jure ! On l’a trouvé mort ce matin. Non, ce n’était pas un gars d’ici. Il venait de Dreux. On l’avait transféré voici deux mois. ». Puechmaille, odieuse, ne voit là « qu’un petit moment de gloire, celui d’avoir parlé à un journaliste », là où nous, nous saluons le courage d’un prisonnier qui parle au-delà des murs.

Mais selon la juge : « la mort de Mounir Benlhoussine ne concerne pas ce procès ! ». Au point qu’elle met en doute le lien de parenté revendiqué par H., cousin du défunt ! Toute personne qui veut situer la mutinerie dans le contexte de cet événement tragique est réduite au silence. Par contre, avec Puechmaille, elles n’hésitent pas à citer des éléments de l’instruction en cours sur la mort de Mounir, pour dédouaner l’administration pénitentiaire de ses manquements. La juge méprise au passage les émotions de H. alors qu’il est toujours très affecté.

B. comparait libre, accusé d’avoir été présent lors de l’altercation avec Chambris : «H. n’est pas un meneur, on voulait savoir la vérité pour Mounir et on était tous sous pression. Moi j’ai mis un coup de pied dans une porte et ça s’arrête là ». Il confirme aussi que le chef Bouada a fait monter la pression pendant des semaines.

En coulisse, un ancien prisonnier de la maison d’arrêt venu assister au procès nous raconte que les secours ont mis plus de temps à intervenir que ce que l’enquête veut bien raconter. Il nous parle aussi de Bouada en ces termes : « il a fait chier tout le monde. Quand la direction partait en vacances, il faisait ce qu’il voulait. » Bouada, c’est un petit capo muté, sans surprise, juste après la mutinerie et couvert par sa hiérarchie. Il raconte aussi les tabassages en règle commis par les surveillants après la mutinerie, et le fait qu’un codétenu a été gravement blessé par une balle (de flashball semble-t-il). Celui-là même, J., est dans le box des accusés. Il explique qu’il était en cellule lors de la mutinerie, qu’il ne peut pas avoir commis les faits qu’on lui reproche, et qu’il est sorti lorsque la serrure de sa cellule a été détruite. Il dit qu’il a porté plainte contre les surveillants. « Pourquoi ils ne sont pas là aujourd’hui ? Ce sont des menteurs ! Pourquoi il n’y a pas de photos de moi (ndlr : parmi les éléments de l’enquête) ? Je suis passé en commission de discipline sans avocat et j’ai pris du mitard. ». Contester la version pénitentiaire n’est pas du tout du goût de la juge qui le fait taire immédiatement.

M., accusé de dégradations, souligne aussi les problèmes soulevés par les images de vidéo-surveillance fournies dans le dossier : il demande à voir les photos de la porte qu’il a soi-disant cassée, et pourquoi il y a dans le dossier les images où il casse une fenêtre, mais pas celles où, juste avant, il essaie de les ouvrir pour respirer. Pas de réponse. Accusé comme les autres de « rébellion » pour n’être pas retourné en cellule, il réplique que ce n’était pas possible. Des avocats préciseront que l’ordre de réintégrer les cellules n’a même pas été donné.

Globalement, tous les accusés tiennent des positions communes. Ils nient la plupart des faits qui leurs sont reprochés, refusent qu’il soit question de meneurs et expliquent que vu qu’il y avait des départs de feu et beaucoup de fumée, c’est pour se protéger ou protéger autrui qu’ils ont commis les rares dégradations qu’ils avouent.

A. explique : « il y avait trop de fumée, j’ai pété une serrure car il y avait un prisonnier qui était en train d’asphyxier dans sa cellule. De la fumée, il y en avait partout et si j’ai pris un extincteur c’est pour éteindre le feu. Je ne reconnais pas les accusations qui sont faites contre moi. » Un autre détenu dit que H. a participé à éteindre le feu, la juge insiste alors pour savoir qui a commis les dégradations, il répond : « Moi je ne balance pas. » O. affirme comme les autres qu’il y avait de la fumée partout et que les trappes de désenfumage n’ont pas fonctionné correctement. Évidemment la juge et la procureure prennent les patins de l’administration pénitentiaire et des surveillants qui ont déclaré en chœur qu’il n’y avait pas de fumée puisque le désenfumage a très bien fonctionné… sans aucun élément l’attestant.

MASCARADE POUR UN MASSACRE

A croire que la juge ne sait pas lire ! Elle est incapable de prononcer correctement le nom des prévenus. Quant à son dossier, il est bien vide : aucune instruction n’a été ordonnée par le parquet et les seuls témoignages sont ceux de quelques matons, dont les versions sont dissonantes, et qui sont curieusement absents au procès, alors que les cadres de l’administration pénitentiaire locale, en nombre, occupent les deux premiers rangs. Dans leurs dépositions, les matons reconnaissent formellement, grâce à son pantalon, tel détenu qui aurait brisé une fenêtre : il portait un jogging Adidas ! C’est sûr, ce détail, c’est pas banal ! Ça provoque évidemment un éclat de rire dans le box. Un autre est reconnu car il porte des lunettes. Exceptionnel ! D’autres matons affirment avoir vu le maton Chambris se prendre un coup alors que lui-même ne l’a déclaré à aucun moment ! Selon trois surveillants, J. est parmi les révoltés de la cour de promenade. Sauf qu’il n’y est pas descendu ce jour là. Libéré de sa cellule alors que tout le corps pénitentiaire est déjà retranché dans les bureaux administratifs, aucun maton n’a pu le voir ! Sans compter les matons du PC sécurité qui, d’abord incapables de citer des noms, recouvrent la mémoire dans une deuxième déclaration. Sauf que l’un des avocats de la défense fait cette démonstration : les vitres du PC sécurité sont si opaques qu’il n’est pas possible de distinguer une personne située de l’autre côté, à moins que celle-ci s’approche très près. Donc encore moins possible de reconnaître des prisonniers masqués ! D’autant plus que le PC sécurité est à ce moment complètement inondé, les vitres sont fissurées et aspergées à coups d’extincteurs et de plus, avec la coupure électrique, il y fait très sombre. Le seul témoin de l’AP qu’on entend, c’est « la brave Mme Ettore », la directrice adjointe de la prison. Après la mort de Mounir, c’est elle, sur le conseil d’un chef de détention, qui va envoyer H. et un autre prisonnier en promenade pour calmer les autres. Elle les instrumentalise par pure stratégie d’apaisement. « Au moment de la mutinerie, j’entendais des bruits, des cris ». De quoi parle-t-elle ? D’animaux ? Elle ajoute « cette mutinerie, c’est un peu l’effet banlieue. Quand il y en a un qui fait, les autres suivent ». Sans commentaire. Dans ce procès, elle campe dans le rôle de la gentille directrice d’ « une maison d’arrêt un peu familiale ». Sauf qu’elle attend simplement et tranquillement que les peines tombent. Enfermer c’est son gagne-pain.

La juge, confortablement installée, feint d’écouter avec attention les neufs prévenus pour mieux les piéger. Au fond, elle méprise ce qu’ils sont et elle sait déjà quelles peines elle distribuera. Elle s’attarde sur les « éléments de personnalité » : « Monsieur qu’est-ce que vous faites de vos journées ? Vos justificatifs de recherche de travail, vous les avez ? » « Monsieur vous êtes sorti de prison vendredi, on est lundi, il faudrait peut-être penser à vous trouver un travail, les agences d’interim sont encore ouvertes à cette heure, il faudrait penser à aller déposer votre CV, hein ! En plus vos trois condamnations inscrites au casier, c’est trois rébellions ». On croit rêver !

L’avocate des parties civiles représente l’État et le surveillant Chambris. Elle ne se donne même pas la peine d’attester de qui a dégradé quoi pour réclamer des dédommagements. Selon elle les co-accusés doivent payer « solidairement » la note globale : 732 000 €. Ce qu’elle n’obtiendra heureusement pas pour le moment car la décision est reportée en audience civile. Pour Chambris, « seul contre tous, il est traumatisé dès qu’il entend un bruit, pour lui c’est une alarme ». Le pauvre ! Elle réclame que les prisonniers payent pour la frousse qu’il a eue ! Elle insiste : « il ne faut pas qu’on croit qu’on peut mettre à sac une Maison d’Arrêt sans sanction ». Elle ne se casse pas la tête à détailler des preuves car le tribunal a déjà largement pris parti. Finalement aucun prévenu ne s’exprime publiquement sur la répression qui a suivi la mutinerie. Certains avocats le leur ont déconseillé – ce qui nous laisse perplexes. Pourtant l’ex-prisonnier de Blois nous raconte que les ERIS de Paris s’en sont donnés à cœur joie pour les défoncer. Sans compter les sanctions disciplinaires, les transferts d’éloignement, la perte des remises de peines, etc. Un accusé demande tout de même ce que sont devenues ses affaires disparues après les événements. Ça laisse le sentiment que tout n’a pas été dit. Peut-être n’ont-ils pas eu suffisamment de temps pour préparer leur défense, ou pour organiser une défense plus collective ? Certains n’ont été avertis par courrier que la semaine précédant le procès. Leurs avocats étaient pour la plupart des commis d’office et laissaient paraître une connaissance approximative du dossier. Maître Canis a brillé par son absence à l’audience sans avoir pris le soin de prévenir qui que soit. Deux avocats, Lafarge et Vinet, se sont distingués en produisant des défenses un peu plus utiles à tous. Ce dernier rappelle que l’infraction d’émeute n’existe pas en droit et qu’il n’est donc pas possible de chercher des meneurs ou de charger des personnes pour ce qui a été commis en général. Il ajoute « cette affaire est un cas d’école sur l’inégalité des armes entre le parquet et la défense ». Contrairement à la défense, le parquet a accès aux deux autres instructions en cours qui concernent la journée du 19 août à la maison d’arrêt, dont celle au sujet de la mort de Mounir. Quant à la lecture des déclarations des surveillants, certaines « sont recopiées entre elles aux mots près », certaines discordent carrément. Prisonniers ou membres du personnel, tous les témoins qui auraient intéressé la défense sont absents. Les avocats soulignent que les accusés présents semblent être choisis au hasard et que les faits qui leur sont reprochés sont détaillés par des éléments très maigres : pour l’un c’est une déclaration qu’il aurait faite en commission de discipline et qu’il nie, pour d’autres c’est un surveillant qui a déclaré « tel et tel prisonniers ont été vus en train de commettre telle dégradation ». Mais vus par qui ? Un accusé pense qu’il est là parce qu’auparavant il avait eu des embrouilles avec des surveillants au sujet de linge disparu. Maître Vinet : « On veut juger à tout prix. On a fait dire des choses fausses car on ne pouvait pas se permettre qu’il n’y ait pas de condamnés dans cette affaire ». Une autre avocate dénonce une « Justice rapide et pour l’exemple ».

Deux heures interminables de délibéré pour voir les juges suivre les réquisitions de la proc. Se sont-ils fait livrer à dîner pendant ce temps ? Les avocats ont démonté un dossier vide et ont démontré l’absence flagrante de preuves. Alors la juge fait semblant d’avoir un peu pesé ses choix en admettant que tous les accusés n’ont pas commis tous les faits reprochés. Au fond elle s’en moque : elle prononce quand même des peines extrêmement lourdes pour tout le monde. C’était prévu dès le début : il fallait bien les allumer pour l’exemple ces neufs-là ! Peu importe ce qu’ils ont réellement fait parmi les soixante qui, un beau jour d’été, ont dévasté leur prison.

 


[1] Non la justice n’est pas plus laxiste : en 1972, des prisonniers considérés comme responsables de la mutinerie de la prison de Nancy avaient alors écopé de peines de prison fermes allant de 5 à 8 mois, déjà insupportables à l’époque.


Commentaires

Une réponse à “APRES LE MOUVEMENT : neuf accusés massacrés par la justice pour le mouvement à la MA de Blois”

  1. Avatar de ESTERZON

    Peu porté sur le droit au départ , j’ai changé en qq années suite à mon élection aux prud’hommes; je suis fou de rage malgré ma soixantaine assurée, en lisant ce récit: devant ce déni de toutes règles , je devrais dire de cette violation des règles élémentaires qui fondent le droit non seulement francais mais universel !! Ce qu’ils appellent l ‘ ABEAS CORPUS ;Absence de preuves tangibles, témoignages bidons car contradictoires,négation des droits de la défense,négation de toute parole des détenus ,c’est un remake des  » Misérables  » bonjour jean valjean ! Pas besoin d’etre un grand juriste pour voir qu’il s’agit en fait d’une prise d’otages judiciaire sous couvert de faire des exemples !!
    C’est une parodie de justice !! C’est un procès politique ou tout est joué d’avance !Les avocats du moins ceux présents ont ils fait appel ? oui je sais …De tout coeur avec votre site ! A vous lire !!

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