Samedi 14 avril 2018, J. est mort au mitard de la prison de Seysses. Il aurait été retrouvé pendu par les surveillants au moment de la distribution du repas du soir. Le 20 avril, nous relayions un communiqué envoyé par des prisonniers de cette maison d’arrêt au Syndicat pour la Protection et le Respect des Prisonniers (Syndicat PRP) avec qui nous travaillons étroitement et en qui nous plaçons une totale confiance. Ce communiqué remet en cause la version officielle, affirme que J. est mort suite à un déferlement de violence des matons à son encontre et témoigne des terribles conditions de détention à Seysses, en particulier au quartier disciplinaire.
LES PRISONNIERS DE SEYSSES
ONT RAISON !
Communiqué de L’Envolée, dimanche 22 avril 2018
C’est avec une certaine surprise que nous avons pris connaissance des déclarations de la Garde des sceaux dans les médias et du communiqué de son ministère le jour même de la publication de cette lettre. Pendant une semaine elle avait pourtant brillé par son silence alors que, dès l’annonce du prétendu suicide de J., des centaines de prisonniers de la maison d’arrêt de Seysses conduisaient durant plusieurs jours un mouvement de protestation (refus de remontée de promenade malgré l’intervention des ERIS, « Matons, assassins ! » hurlé aux fenêtres, déploiement d’une banderole dans la cour de promenade…) et que des manifestations de colère éclataient dans des quartiers de Toulouse.
Il y a un suicide tous les trois jours en prison. Il n’y a pas pour autant un mouvement de prisonniers tous les trois jours. Rappelons aussi que les prisonniers qui se soulèvent, qui témoignent, qui s’expriment prennent énormément de risques : sanctions disciplinaires, diminution des jours de remise de peine, suppression de parloir, pression du personnel pénitentiaire, fouilles administratives, transferts, etc. Cela aurait dû suffire à la ministre pour considérer avec le plus grand sérieux leur exigence de vérité. Mais il a fallu qu’un communiqué de prisonniers commence à circuler massivement sur les réseaux sociaux et soit repris par les médias pour qu’elle daigne enfin réagir. Et de quelle glorieuse manière !
Qu’elle ait à cœur d’inquiéter les témoins de cette mort plus que suspecte ainsi que ceux et celles qui la relaient plutôt que d’établir la vérité sur ce qu’il s’est véritablement passé pour J. le 14 avril 2018, alors qu’il était placé sous sa responsabilité, pourrait prêter à rire si ce n’était pas si indécent dans d’aussi dramatiques circonstances.
Il va de soi que nous nous sentons – avec d’autres – directement visés quand elle envisage des « poursuites » contre les relais de ce qu’elle nomme des « allégations ». Nous assumons bien évidemment notre position de relais puisque c’est précisément notre raison d’être depuis la création de l’Envolée en 2001 par des anciens prisonniers et proches de prisonniers. Chaque semaine dans notre émission de radio et chaque trimestre dans notre journal, nous tâchons de donner de l’écho à la parole des prisonniers et prisonnières, qui sont les seuls à qui nous reconnaissons la légitimité de dire ce qu’il se passe derrière les murs. Le site Internet poursuit ce travail au fil de l’actualité.
Ce ne serait pas la première fois que le ministère des prisons et des tribunaux et l’administration pénitentiaire tentent de nous empêcher définitivement de jouer ce rôle de porte-voix en nous attaquant pour diffamation. Il leur faudrait donc démontrer que les « allégations » dont ils accusent les prisonniers sont fausses. Tout ce qui nous importe dans cette histoire tragique, c’est que lumière soit faite sur ce qu’il se passe quotidiennement au quartier disciplinaire de Seysses et particulièrement sur ce qui a conduit à la mort de J. le 14 avril. C’est aussi tout ce qu’exigent les prisonniers qui, eux, ont toutes les raisons de s’inquiéter pour leur propre sécurité.
Nous savons les pressions et les sanctions qu’ont déjà subies plusieurs prisonniers, et la traque menée par l’administration pour tenter d’identifier par tous les moyens des « responsables ». Les manifestations de révolte à l’intérieur de la prison et dans plusieurs quartiers populaires de Toulouse démontrent pourtant suffisamment que les dites « allégations » ne sont pas le fait de quelques responsables, ni d’une quelconque « rumeur », mais bien la conviction largement partagée que J. ne s’est pas pendu.
L’administration veut des « responsables » ? Qu’elle cherche donc plutôt du côté de ceux qui ont eu la responsabilité de J. au mitard ! Là devrait être le seul souci de la ministre des tribunaux et des prisons. Sinistre posture que de menacer les témoins quand on prétend défendre la Justice… Quant à nous, nous poursuivons avec la plus grande détermination la tâche que nous nous sommes fixée il y a plus de quinze ans : relayer le plus largement possible la parole des enfermés.
Notre seule inquiétude va au traitement réservé aux prisonniers de Seysses, à ceux qui ont déjà subi des transferts disciplinaires, à tous ceux qui craignent pour leur intégrité dans cette maison d’arrêt et dans toutes les prisons de France.
Nos pensées vont aussi à la famille et aux proches de J. et nous respectons leur choix de ne pas s’exprimer dans les médias pour le moment.
Il faut que la vérité éclate. C’est pourquoi nous appelons tous ceux qui pourraient témoigner de ce qu’il s’est réellement passé ce jour-là, mais aussi des suites disciplinaires en cours, à se rapprocher du Syndicat PRP ou de l’Envolée.
Aux journalistes et aux associations
Contrairement à l’essentiel des médias, nous ne cherchons pas à présenter un « traitement équilibré » de la question carcérale. D’abord, et nous le répétons inlassablement, parce que nous estimons que les prisonniers sont les mieux placés pour décrire ce qu’ils vivent et énoncer quelques vérités sur la prison. En des temps pas si lointains, des intellectuels, une bonne partie de la gauche et du peuple voyaient là une évidence. C’était d’ailleurs ce qui avait présidé à la fondation du Groupe d’Information Prison dans les années 1970.
Ensuite parce que le dit « traitement équilibré » accentue bien souvent un déséquilibre profond, un « rapport de classe » osait-on même dire à l’époque du GIP, qui écrase un peu plus encore la parole des muets sociaux. Le blocage légitime d’une cour de justice par des avocats en colère contre la mise en place de cages vitrées pour les accusés au tribunal est reconnu par tous et toutes comme un acte politique, une prise de parole collective. Il n’y a aucune raison pour que des refus de remonter de promenade ou des révoltes dans des quartiers toulousains n’apparaissent pas également au yeux de tous et toutes comme une prise de parole politique et collective. Pourtant personne n’a jugé bon d’aller questionner ces prisonniers ou leurs familles à la sortie de la prison.
Rappelons au passage qu’une grande partie des prisonniers – dont J. avant sa mort – de la MA de Seysses sont des prévenus : d’une part, ils sont présumés innocents, ils serait bon que l’administration et les médias ne l’oublient pas ; d’autre part, alors qu’ils ne sont pas encore passés en jugement, ils ont énormément à perdre. Bloquer une promenade deux jours de suite est moins que jamais un acte anodin. Les prisonniers ont en plus eu le courage de sortir un communiqué. Cette prise de parole est un acte si fort qu’une ministre, pourtant empêtrée au même moment dans des réformes liberticides et impopulaires (Justice, droit d’asile, éducation…), a dû prendre enfin la peine de répondre – dans le seul but de la faire taire.
Le jour même, le GENEPI dont les membres interviennent quotidiennement en prison pour pallier au vide existentiel imposé aux enfermés, a choisi d’entendre la voix des prisonniers et de la relayer. Il serait maintenant temps que d’autres organisations se manifestent et soutiennent elles aussi cette parole, d’autant plus dans une période où bon nombre d’entre elles prétendent vouloir sauver une « justice menacée » par cette même ministre des tribunaux et des prisons.
Enfin, la moindre décence à l’égard du prisonnier qui est mort à Seysses voudrait que les journalistes, à peine rappelés à l’ordre par la ministre « montée au créneau », ne se précipitent pas pour tendre complaisamment leur micros aux surveillants syndicalistes histoire d’en faire, une fois de plus, les véritables victimes de l’enfermement.
Les prisonniers ont raison de se révolter et ils ont raison de prendre la parole contre le sort qui leur est fait.
L’Envolée, pour en finir avec toutes les prisons.
Communiqué du syndicat PRP :
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