Rédoine Faïd en grève de la faim : « Nos droits fondamentaux sont niés, attaqués en permanence »

Depuis son évasion de la prison de Réau en 2018, Rédoine Faïd subit les représailles de l’administration pénitentiaire qui lui impose des conditions de détention inhumaines (voir l’Envolée n°58 et n°60). Après une série de recours en justice restés infructueux, il s’est mis en grève de la faim ce 10 décembre 2024 bien que son état de santé soit déjà fragilisé.

Il demande la fin de l’isolement strict auquel il est soumis depuis douze ans, la levée de la « mesure hygiaphone » qui lui interdit depuis six ans tout contact physique avec ses proches qu’il ne voit au parloir qu’à travers une vitre, et le respect de son droit à les recevoir en UVF (unités de vie familiale).

Comme d’habitude, les médias n’ont évidemment tendu leurs micros qu’aux syndicats de surveillants et autre sources pénitentiaires. Pleinement solidaires avec toutes les revendications de Rédoine Faïd comme avec celles de tous les prisonniers en lutte à l’isolement, il nous semble important de donner le plus large écho possible à la parole du principal intéressé. C’est pourquoi nous republions ici un courrier déjà paru dans le No 60 de L’Envolée ; d’autres suivront. Dans cette lettre, il décrit l’inhumanité carcérale – poussée à l’extrême dans les quartiers d’isolement et les mitards -, souligne ce qu’elle dit de notre monde, et lance un appel à ce que tout le monde s’intéresse à ce qui se passe derrière les murs – parce que ça nous concerne tous et toutes.

Quartier d’isolement de Vendin-le-Vieil,

le 25 juin 2024

Bonjour,

Rencontrer des gens qui parlent des prisons, et de celles et ceux qui y sont enfermées, c’est rare. La désinformation, l’ignorance et la malhonnêteté ont réussi à détourner l’opinion publique, créant de fait un désintéressement abyssal de la société à l’égard des personnes emprisonnées. On nous invisibilise. On nous vole même notre statut de laissés-pour-compte… Ce n’est que réquisitoires à notre encontre. Des appels ouverts à plus de dureté. À croire qu’ils se sont autopersuadés de leur baratin : la taule est un Club Med !

Il y a de la colère et de la souffrance en prison. Cela se traduit par de l’agitation, mais surtout par des dégâts irréversibles sur la santé mentale qui fout le camp. Tout le monde – absolument tout le monde – tire la sonnette d’alarme. On est en face d’un dysfonctionnement sanitaire sans précédent dans les prisons françaises. Un état des lieux de la santé mentale qui est sans cesse reporté, qui fait peur, que personne ne veut assumer : il dévoile l’absurdité, les troubles sévères de l’enfermement, le taux de suicide (et de tentatives !), l’ennui systématique qui rend fou (et qui tue aussi), la conscience qui se désintègre. C’est bien connu, les modes de confinement trop poussés s’assimilent à de la maltraitance mentale. Les mecs deviennent dingues, putain !

La personne est enfermée. Par essence, c’est dur ! Tu viens dans un monde méconnu, où tout est inversé. Le déséquilibre s’impose en toi. La maturité fait défaut parce que ton psychisme est heurté violemment. Ça peut te casser, a minima te fragiliser, te faire te replier dans le mutisme. Tu perds ta légèreté, tes acquis, ta confiance en toi. Chaque être emprisonné ressent une solitude qui résonne en permanence, qui inquiète. Et qui expose au déchaînement, aussi.

Impossible d’expliquer tout ce bordel : les gens sont condamnés à l’errance mentale, à vivre reclus dans leur tête. Clairement, c’est comme si on t’arrachait à vif les neurones. Il y a, en fait, plus de réponses que de questions. Alors comment et qui pour allumer la mèche de l’humanité et de l’empathie dans les prisons de France ? Personne. La prison est un drame social. Une réalité humaine que l’on ne veut pas sonder dans sa profondeur, mais réduire au silence. À quoi sert la taule si elle te cabosse ?

Au placard, trouver une forme de paix est une lutte de chaque instant, surtout au QI et au mitard où la détention est dévastatrice, convulsive, insupportable. Tu en ressors dévitalisé. Le mitard, le QI effacent l’émotion. Un hymne à la dépravation de soi. Une confusion mentale extrême qui peut parfois mettre ta vie en danger, qui marque une rupture, un chaos.

Où sont les droits humains au QI (quartier d’isolement) ? La vérité, c’est que la vertu humaine a volé en éclats, dans un sommet de non-dits et de faux-semblants. Nos droits fondamentaux sont niés, attaqués en permanence. On est de plus en plus confrontés à des questions existentielles. On côtoie les limites. L’humain est rarement respecté, la règle étant qu’il est simplement ignoré. Il n’y a personne pour remédier à la merditude des choses. Et mon inquiétude s’exprime pour une humanité qui ne serait plus humaine (en tout cas, de moins en moins…). Une humanité calcinée dans son intériorité, mélange de déraison et de stupéfaction. C’est comme regarder le reflet de leur inhumanité. Cette lucidité questionne l’éthique (la leur), le trauma que cela provoque, autant que le sentiment d’impuissance : « C’est à partir de l’injustice que vous mesurez peut-être ce qu’est la justice », clamait Robert Badinter.

On voit ce qui se passe, ce qui déconne. Mais rares sont celles et ceux qui prennent position, sortent de chez eux, et agissent. L’égalité constitue toujours un défi. Et il n’y a pas de plus grand chagrin que de porter une histoire non racontée à l’intérieur de soi.

« Écris plus vite que ton souffle
Plus vite que tes mains
Ne laisse pas les mots te dépasser
Ne te retourne pas »
Désarroi des âmes errantes, Venus Khoury-Ghata

Force et courage à toutes et tous

Rédoine

… D’autres lettres de Rédoine seront diffusées dans les jours qui viennent : à lire ici


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