De quoi faire une bonne compote

Le numéro 40 du journal étant reporté à janvier 2015, nous publions ici les lettres reçues. Nous adressons un grand salut à tous ceux et toutes celles qui les ont écrites depuis leur cellule.

Ainsi, des nouvelles nous sont parvenues de deux jeunes prisonniers du QHS de Condé-sur-Sarthe :

LETTRE DU 30 JUIN 2014

« J’ai été transféré à Condé. J’ai essayé d’esquiver mais non, même à 21 ans, en ayant six ans à faire dont trois faits. Même pas DPS… bah, c’est Condé quand même, et garde la pêche. Mort de rire. C’est un peu chelou, voire hostile, mais j’ai le sourire et l’espoir, moi qui suis la plus petite peine ici et le plus jeune. Niveau sécurité, bah, fuck off pour les fiestas. Beaucoup de profils douteux psychologiquement, que du lourd, LOL… Là j’ai demandé à faire une formation afin de valoriser mon PCP (parcours d ‘exécution des peines) et voilà, j’attends. Perso, je ne compte pas rester une pige ici. Big up à toute l’équipe. Vive la révolte et la contestation. Tant qu’elle est pacifique, elle nous gardera au rang de victimes. La lutte continuera tant qu’il y aura de l’abus de pouvoir.
A plus, courage à toutes et à tous. Amicalement, d’un jeune détenu de 21 ans parmi tant d’autres. »    Gaëtan

LETTRE DU 1er SEPTEMBRE 2014

 » C’est l’anarchiste qui vous passe un petit bonjour du QHS de Condé. Moi cela fait maintenant huit mois que je suis au QI, et là, actuellement, je suis au mitard, car je ne lâche pas le combat : mieux vaut mourir que devenir le prévôt de l’AP. Le 6 octobre, cela fera douze mois que je suis dans ce QHS. Ils essaient tout pour me casser psychologiquement, mais ils ne pourront pas. Au mois de mars ils m’ont envoyé en psychiatrie pour trois jours. Sinon, toujours pareil dans ce QHS ; rien à faire ; toujours enfermé ; mais il faut garder le moral. Ils ont renforcé les grilles du QD et mis des grilles aux fenêtres du QI. Ils en ont, de l’argent, pour la sécurité, mais rien pour les activités pour les détenus.[…]Je bloque le QD jusqu’à ce que je sois transféré.[…]
Vive la révolte. Les insoumis des prisons, ne lâchez rien, on finira par gagner.
Force, courage et détermination. »   Christopher

Patricia explique ici son « transfert d’enfer » du CD de Rennes pour celui de Roanne, d’une vieille prison de merde à une prison moderne de merde :

LETTRE DU 28 JUIN 2014

« Bonjour à tous
Je ne vous ai pas oubliés et c’est moi qui vous avais écrit : « Du fond de ma petite cellule, je rumine. »
Depuis, j’ai changé de CD pour rapprochement familial, et pour l’instant je prends mes marques. Ici, tout est en béton, même la cour de promenade ; et tout est automatisé, ça me change de Rennes. Pas de contact avec les surveillantes. Brrr ! C’est froid comme le béton.
Lors de mon transfert, à Rennes, ils m’ont gardé quatre cartons, et à Fresnes où j’étais en transit, ils m’en ont gardé dix ! J’ai été dépouillée.
De plus s ‘est égarée -entre Rennes et ici- ma carte d’identité, mon livret de famille, mon permis de conduire et un portable ; bref je n’ai plus rien. Pourtant, ça doit leur coûter cher, ces grands transferts. On va me demander de payer pour rapatrier tout ça, mais je n’en ai pas les moyens. Je suis désespérée car je me demande comment ils fonctionnent. Est-ce pour le plaisir de faire du mal ? Je ne sais pas. J’écris à droite à gauche, personne ne me répond ; pourtant il y a un major et un lieutenant à qui j’ai écrit deux fois :     aucune réponse !
Voilà mes petits déboires concernant mon transfert. Ouf ! Je suis fatiguée…
Merci à tous, et à bientôt j’espère. »


De transfert en transfert, l’infatigable Christine est envoyé à Fleury-Mérogis. Elle conteste avec les moyens dont elle dispose les fouilles à nu.

LETTRE DU 18 JUILLET 2014

Salut !
[…] Le jeudi 3, lors d’un prétoire pour le refus de fichage, ils m’ont ordonné une fouille à nue. J’ai essayé de négocier, expliquant au chef de détention que depuis 2009 les fouilles devaient être justifiées. Il m’a sorti une note de service disant qu’elles étaient systématiques à l’entrée du QD. J’ai alors accepté en échange d’une photocopie de cette note pour que je puisse l’attaquer au TA, comme celle de Rennes […]. Il n’y avait qu’une matonne avec moi dans la salle. Elle faisait du zèle : elle a retiré les lacets des tennis, voulait examiner le slip (comme s’il y avait une poche!) que j’avais de moi-même baissé jusqu’au chevilles pour qu’elle ait le temps de voir ma chatte et mon cul. Je lui ai alors jeté le slip et, pendant qu’elle se baissait pour le ramasser, j’ai mis mon index dans mon vagin. Quand elle me l’a rendu, je lui ai dit : « T’es sûre que ça suffit ? Tiens, renifle donc pour voir si j’avais planqué du shit » en lui tendant le doigt sous le nez. Elle est devenue hystérique, elle est sortie en hurlant « Me touche pas, salope ! », puis, elle a encore crié. « Je vais t ‘éclater la gueule ! ». Bon, tu connais l’AP, bien que je ne l’ai pas touchée, que ça soit elle qui m’ai insultée et menacée, j’ai pris 30 jours. Donc, à nouveau « Vous allez au mitard donc on va faire une fouille intégrale ». C’était d’autant plus idiot qu’ils m’avaient passé à la poêle (détecteur de métaux) et qu’ils savaient par expérience que je n’avais ni shit ni médocs. Donc j’ai refusé très calmement tant que je n’aurai pas la justification individuelle. Les matonnes, qui avaient apprécié le calme dans lequel s’était déroulé la commission de discipline, ont essayé de négocier (« on va faire vite, on vous touche pas, on obéit juste aux ordres, on ne cherche pas la merde ») durant une heure en entier. Puis, l’heure de la gamelle arrivant, elles sont allées en référer au chef qui a envoyé 4 d’entre elles avec les casques et autant avec les gants en plastiques et autant de mecs dans le couloir. Ils m’ont entièrement foutue à poil, arrachant et déchirant le slip, cassant le fermeture du pantalon. Écartelée, à plat ventre, j’ai eu peur qu’ils me rentrent les doigts dedans, mais leur « tournante » s’est arrêtée là. (…).
Bon, depuis la situation s’est nettement calmée. En fait, l’ambiance dépend beaucoup de l’équipe de la demi-journée : les 2 bricardes femmes sont moins chercheuses de merde que les hommes qui ont envie de se bagarrer (mais toujours en surnombre, ces lâches).  (…)  Sinon, comment ça va ? Ben pas trop mal. J’entretiens ma colère et m’amuse en relevant la moindre entorse de leur part au règlement ou à la loi. Mais je fais super attention à ce que mes actions ne risquent pas d’entraîner une nouvelle poursuite au pénal. »


 Adil, incarcéré au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne, raconte comment une partie de foot peut mener au quartier d’isolement :

LETTRE DU 23 JUIN 2014

« Salem l’équipe, je m’appelle Adil, 20 ans, et je suis actuellement incarcéré au CP de Poitiers-Vivonne en centre de détention, mais en ce moment je suis au QI pour un blocage imaginaire. C’était le 6 juin 2014. Je suis parti au foot à 14h15, la séance de sport dure normalement de 14h15 à 16h30. Ce jour-là, on a commencé à jouer à 15 heures. Le ballon est sorti -libérable!- derrière le mur. Donc on a demandé un autre ballon au surveillant sport. Il n’a pas voulu, donc on s’est assis pour profiter du soleil jusqu’à 16h30, l’heure de la fin de la séance. Mais à 15h30, on a compris : les ERIS sont arrivés parce que le prof de sport les avait appelés en leur disant qu’on bloquait, et wallah que c’est pas vrai ! Donc ils m’ont soulevé et mis au QI alors que je devais passer mon CAP en vente, mon titre professionnel et mon code de la route, mais rien de cela ne s’est fait sous prétexte que je suis isolé. Ils ont aussi retiré mon permis de visite interne avec mon père qui est, lui, incarcéré en maison d’arrêt sous prétexte que le blocage des mouvements nuit à la circulation de l’établissement. Dieu sait que je ne suis pas quelqu’un de violent et que je n’ai rien fait dans cette histoire, mais c’est pas terminé, demain je passe au prétoire… Pourquoi ? Pour les mêmes faits ! Ça fait que j’ai pris trois mois d’isolement et trente jours de cachot. Le pire c’est que c’est ma première incarcération. Je suis rentré en 2013 pour une bagarre, sans plus, et j’ai pris deux ans ferme et deux de sursis, sans compter ce qu’ils m’ont rajouté, car ils ont ramené mes jugements de quand j’étais mineur. Je sais pas quoi faire, franchement. J’ai mon père ici, ma famille dehors à Poitiers et mes potes qui viennent me voir. Là, je patiente comme jamais j’ai patienté, mais j’arrive à bout mentalement et mon cerveau est en train de prendre la route d’une nouvelle affaire ; c’est tout ce que je ne veux pas, mais bon… Le pire c’est que je fais tout pour me réinsérer mais ils me mettent des barrières et à force de sauter les barrières je commence à en avoir marre.
Là, le cachot, je ne vais pas en ressortir pour qu’ils me mettent à l’isolement ; soit ils me remettent en bâtiment, soit ils me tègent là où ils veulent : Uzerche, Neuvic, je m’en bats les couilles…le problème c’est la famille qui pourra pas venir me voir.
Je suis conditionnable au mois de septembre 2014, inch’allah, si j’ai rien pris entre temps, et j’espère qu’ils vont me sortir vu la réforme pénale -même elle, va savoir si elle existe vraiment… que du blabla !
Voilà à quoi rime ma putain de jeunesse, mais hamdoulah, j’ai le sourire H24, comme je dis.
J’AI LA PÊCHE, LA POIRE, LA FRAISE ; LE MELON, LA FRAMBOISE… DE QUOI LEUR FAIRE UNE BONNE COMPOTE.
Voilà, en tout cas c’est bien ce que vous faites, lâchez pas, on en a besoin. Je vous laisse, à la prochaine, inch’allah. »


Depuis début août, Herbert est lui aussi placé dans un quartier d’isolement. Il était l’un des  mutins de Châteaudun de l’été dernier. Incarcéré à Réau, il raconte comment l’AP balade les prisonniers entre petites faveurs et punitions, règlement absurde et petites vengeances.

LETTRE DU 18 SEPTEMBRE 2014

« Salut à tous,
Je me trouve dans une situation délicate qui nécessite votre intervention. Depuis le 8 août 2014, je suis séquestré à l’isolement par la direction de Réau : je suis abasourdi par le constat que la direction a fait de ma personne, outré de l’attitude de Madame Martineau (lieutenant) en ce qui concerne le traitement de mon dossier. Notamment des omissions et le désintérêt affirmé pour mon cas. Tout d’abord les assertions faites sur les éléments de personnalité, de ma vie en détention sont faux et mal fondés. Par exemple le rapport affirme que je suis «un détenu très impulsif, [qui] peut se montrer virulent, use de son physique pour s’imposer aux autres, a parfois  du mal avec les contraintes qu’imposent une vie en détention». C’est complètement faux, parce que si le rapport était avéré, je n’aurais jamais été affecté au troisième étage en régime responsabilité, car j’étais auxiliaire de bâtiment, je m’évertuais chaque jour à mériter mon affectation en tant que personne responsable. Alors dois-je comprendre que le simple fait de se nourrir, de faire du sport, de mesurer 1,90m et de peser 105 kilos est un délit. Ce rapport négatif sur ma personne est fait pour me nuire et me porter préjudice un jour. En gros ils me font passer pour une personne qui passe son temps à briser les autres. Mais pourquoi depuis le début de mon incarcération, je n’ai aucune sanction disciplinaire pour insulte, violence verbale ou physique envers les matons, le personnel pénitentiaire, ou même les prisonniers comme moi ?
Sans être un détenu modèle, j’étais de l’avis de tous un bon élément. Je fais tout ce qu’il faut pour être à la hauteur de l’enjeu et mon travail me permettait de commencer à m’accomplir. Pour cela je suis assidu dans la pratique du sport qui permet de s’affirmer, de se responsabiliser, de se discipliner, mais aussi d’éprouver un mieux-être. Hélas, pour d’obscures raisons, la direction (plus précisément Mme Brizard) aujourd’hui me séquestre à l’isolement, abuse de son pouvoir en s’appuyant sur des motifs fallacieux et bidon ! «Compte tenu de votre influence négative en détention et de votre volonté de prendre le contrôle de la coursive, le 3e étage du CDH1. Ce comportement génère des tensions à l’étage, compte tenu de la nécessité de mettre un terme à ces agissements, une affectation sur un autre étage est opportun au regard des risques de réitération»…
Primo, ils ne m’ont jamais fait changer d’étage, et j’ai été directement placé à l’isolement dans un autre bâtiment pour une durée de trois mois renouvelable !
Si je cherchais vraiment à prendre le contrôle de mon étage, pensez-vous que j’aurais fait et adressé au greffe et à la direction ma demande de transfert ? Eh bien non! Personnellement, je n’ai jamais vu quelqu’un vouloir prendre le contrôle en cherchant à quitter les lieux ! Foutaises ! Aujourd’hui aucun élément concret, crédible, ne peut étayer leurs décisions basées sur des rapports et observations complètement erronés, et une fois de plus bidon !
Ils affirment une fois de plus de façon éhontée que je nuis à la tranquillité du bâtiment, de la détention. C’est absurde et infondé. Cela ressemble davantage à un acharnement. Mon investissement depuis le début de ma peine est bafoué, alors que je n’avais aucun rapport pouvant me porter préjudice et abonder dans le sens de la direction. C’est un faux problème : le jour de la commission, j’avais demandé la présence d’un avocat désigné par le bâtonnier, et à ma grande surprise, aucun avocat n’était présent, et j’ai donc été placé à l’isolement sans défense ! et sans avocat ! J’ai dû faire un recours au tribunal administratif de Melun contre mon placement à l’isolement, que je juge abusif. Cette situation que l’on m’impose me tend les nerfs, je m’entends prononcer des mots de colère dix fois par jour, généralement avec un point d’exclamation. Je me sens brimé ici, mais je ne fléchirai pas -quitte à exprimer un jour beaucoup de violence, une violence qui signifie beaucoup de choses. Ça ne se limitera pas à un geste, haussement d’épaules ou coup de poing sur la table : à force de me pousser à bout, je finirai par faire ce qu’il y a à faire. ça ne sera pas facile, mais je suis blasé de tout ça et je reste sûr de moi. Je connais trop bien leur musique. On ne me la fera pas. Tout ce qu’ils font c’est d’endormir, briser et anéantir les hommes ici. Ils veulent endormir mes défenses, biaiser mes certitudes, et cherchent à introduire en moi, progressivement, le doute. Cela ne marchera jamais parce que quand je me réveille au fond de moi-même, je me mets à l’écoute, et le combat doit continuer sans arrangement. Ici se tenir à carreau est impossible, les investissements sont bafoués, les lois ne sont pas respectées, les procédures sont bâclées avec pour complices des avocats incompétents. Purée, ça me rend fou de savoir combien ma position est précaire dans cet isolement. Je sens et je sais que tout dépend de mon courage et de mon sang-froid. Chaque jour je me retiens en cachant l’horreur que mes traits expriment (blocage de courriers, courriers adressés à la direction et qui restent sans réponse, sans suite, etc.). J’évite encore que tout ça finisse avec une scène effrayante en continuant à encaisser tous les coups. Mais jusqu’à quand vais-je continuer à me maîtriser ?
Mes mouvements sont épiés au quotidien : fouille de cellule, palpation, etc. Fouille à corps systématique après chaque parloir ! Je n’ai plus de dignité, pour ces gens ! et malgré tout je continue à faire sur moi-même un violent effort de calme ! Et je vous rassure que les efforts sont quelque chose d’horrible ici. Être pendant des années le jouet d’une administration, subir des situations difficiles et imposées sans se défendre nourrit quelque chose de bizarre en moi ! J’attends d’être transféré d’ici pour un autre zoo ! et ce qui est sûr, c’est que de longues années s’écoulent, et cette souffrance n’affaiblit pas ma mémoire.
Pas de temps pour les regrets, le combat continue et y aura pas d’arrangement. »


David écrit depuis la maison centrale de Clairvaux. En détention, il est devenu un prisonnier longue peine : il a écopé d’un cumul de 15 années supplémentaires à la peine initiale.

LETTRE DU 8 SEPTEMBRE 2014

« Je me permets de vous écrire pour vous faire part de mon souhait de m’abonner à votre revue. En effet, je viens de la découvrir par un détenu. Je me suis reconnu dans un grand nombre de témoignages du n°39. Je suis actuellement logé à la centrale de Clairvaux contre mon gré (transfert disciplinaire). Je suis ainsi loin de ma compagne et de mes filles qui se déplacent de Roubaix. Comme bon nombre de détenus aujourd’hui, j’ai été condamné à une peine de quatre ans, mais au jour d’aujourd’hui j’effectue une peine de dix-neuf ans. J’ai pris plusieurs peines internes pour un total de quinze ans. Je suis actuellement au QD (quartier disciplinaire) car je n’ai pas voulu réintégrer ma cellule à l’isolement : à Clairvaux, le QI, c’est plus répressif que le QD.
Ça me fait plaisir de lire dans votre revue qu’il y a encore des détenus qui bougent pour améliorer la vie en détention. Ce n’est pas le cas à la centrale de Clairvaux où on tient les détenus par les couilles avec des paies de 300€ cantinables. Comme je ne suis pas rentré dans le moule, le moindre écart m’envoie au QD ou au QI. Je vous raconterai les nombreux problèmes de Clairvaux dans un prochain courrier, mais je peux déjà vous dire qu’elle ressemble à beaucoup d’autres prisons de nos jours. Pour ma part je pense que le problème de base vient d’une mauvaise formation des surveillants, qui pensent faire partie de la BAC, et n’ayant pas bossé suffisamment à l’école, on se rabat sur la pénitentiaire. Je ne parle que de ce que je vois de mes yeux. »


Youri est incarcéré à la maison d’arrêt de Lyon Corbas. Il est en prison depuis l’âge de 18 ans et libérable en 2032. Condamné depuis 1 an, il est toujours en maison d’arrêt et réclame son transfert désespérément. L’AP fait la sourde oreille à ses demandes répétées.

LETTRE DU 26 MAI 2014

 » Bonjour,
Je vous écris à ce jour car je souhaite que l’on sache qu’à l’ombre de la soi-disant république, les lois et les droits en tant que citoyen -certes détenu mais citoyen tout de même et homme avant tout- ne sont pas respectés.
L’administration pénitentiaire n’a que faire des lois qui la régissent, et après se donne un droit de regard sur ce qu’il se passe ailleurs, dans d’autres pays, en dénonçant la violation des droits fondamentaux. C’est une honte, et j’ai honte à leur place -malgré que moi-même, je suis victime de cette vieille machine cassée qu’est le ministère de la Justice et tout ce qui gravite autour : tribunaux, prisons, garde des Sceaux, et la direction de l’administration pénitentiaire qui loge 13, place Vendôme à Paris ; sans doute que l’éclat des vitrines des plus belles joailleries empêche ces bureaucrates de voir qu’il n’y a point de dignité humaine dans leurs établissements pénitentiaires.
[…] Voilà maintenant plus d’une année que j’ai été condamné par la cour d’assises du Rhône à quinze années de réclusion criminelle ; là est le problème, pas la condamnation, bien que là encore je ne trouve pas normal qu’un juge s’enferme avec le jury pour les influencer dans leur verdict alors que soit-disant il revient aux jurés et aux jurés seuls de décider si quelqu’un est coupable ou non -sinon, à quoi servent-ils ? À la décoration, peut-être, ou alors un simple artifice pour faire croire à un semblant de justice impartiale.
J’en viens au but : depuis la loi pénitentiaire de novembre 2009, l’article 717 du code de procédure pénale stipule que « tout détenu auquel il reste une peine supérieure de deux ans à subir peut à sa demande obtenir son transfèrement en établissement pour peines dans un délai de neuf mois à compter du jour où sa condamnation est devenue définitive. » En l’occurrence, j’ai été condamné le 20 juin 2013, je vous laisse faire le calcul : c’est illégal que je sois encore en maison d’arrêt après la date du 30 mars 2014, mais à l’ombre de la république rien ne se passe dans les règles de l’art et cela ne choque personne en ces lieux, sauf quelques surveillants et personnels de cette administration qui sont profondément humains dans l’âme, mais malheureusement ils n’ont aucun pouvoir de décision me concernant, ils alertent ceux qui en ont, mais ceux-là restent de marbre ; je ne suis qu’un dossier de plus, un vulgaire numéro d’écrou pour eux.
Le pire dans cette histoire c’est qu’en janvier 2014, la direction régionale des services pénitentiaires de Lyon avait écrit à mon avocat […] que courant mars 2014, j’allais être transféré près de mes proches car je me trouve à 800 kilomètres d’eux, et donc sans visite, sans soutien. J’ai même dû, à mon grand regret, laisser s’envoler la femme que j’aime, car on sait bien que les relations à distance ne durent qu’un temps, et moi cela fait plus de deux ans que je suis loin d’elle. Cependant, malgré la promesse écrite d’un transfert prochain, cela n’a pas été le cas, car chose incroyable mais pourtant vraie, cette décision de rapprochement familial a été annulée pour un motif dérisoire, mais en creusant un peu j’ai finalement appris qu’en vérité il s’agissait d’une guéguerre de bureaucrates et que j’étais au milieu de celle-ci, servant de prétexte pour faire, excusez-moi du terme, chier certaines personnes.
Cette annulation venait de la direction de l’administration pénitentiaire à Paris, plus précisément du bureau gestion et détention. Siège là-bas depuis quelques temps l’ancienne directrice de la maison d’arrêt où je me trouve. Elle était, et est toujours en conflit avec du personnel de cette même maison d’arrêt. Je ne suis pas seul : des surveillants sont en procédure au tribunal contre elle, preuve qu’elle agit comme elle veut, et quand elle s’est aperçue que mon dossier venait de son ancien lieu de travail, elle a annulé tout simplement ce transfert, car elle le peut vu qu’elle a gravi les échelons dans cette administration ; c’est une petite vengeance pour elle, mais qui a de graves conséquences pour moi.
J’ai tellement de choses à dire d’autre, mais pour cela je manque de preuves à vous donner, alors je me contente de vous dire ce que je peux affirmer, et pour vous faire parvenir cette lettre, j’ai fait évader celle-ci par des personnes de confiance que je remercie -car en prison, il est strictement interdit d’écrire aux médias car la censure est présente comme en Corée du Nord. Pourtant des gens sont morts pour le droit de s’exprimer et des gens meurent encore ou sont détenus pour le simple fait de faire leur métier ou leur passion : le journalisme -un gros big-up à vous, respect. Et je me fiche de la vengeance que l’administration pénitentiaire pourrait me faire subir si elle découvre que je vous ai écrit ou qu’elle découvre un article dans lequel mon nom est cité. Si tel est le cas, je vous remercie de m’avoir lu et j’espère qu’un jour cette lettre permettra de faire avancer les choses.
Très cordialement.

PS : j’ai 23 ans et je suis en prison depuis l’âge de 18 ans et ce pour une même et unique affaire : je suis actuellement libérable en 2022, je ne sais pas ce qu’est être un homme majeur et libre, et décidément on ne veut pas que je sache ce que c’est, car être détenu en maison d’arrêt empêche la réinsertion et une possible libération conditionnelle compte tenu qu’en ce type de structures, la loi ne m’autorise à avoir des permissions de sortie qu’à partir de 2019 alors qu’en centre de détention, j’y ai le droit depuis quelques mois déjà, et cela faciliterait une libération conditionnelle en milieu d’année 2016. J’aurai alors effectué près de neuf années de prison et mes obligations et contraintes continueraient jusqu’à la fin de ma peine en 2022. Après avoir passé autant d’années en prison et si jeune, après avoir gâché mes plus belles années, j’aurai et j’ai déjà envie d’autre chose comme vie, et je ne demande pas une seconde mais plutôt la première chance que l’on ne m’a jamais donné, enfance chaotique, père absent et drogué, mère dépressive, expulsé de ma maison à 12 ans par des huissiers, le foyer puis la prison, alors je souhaite vraiment cette première chance d’avoir une vie « normale » un jour prochain, même si ma vie d’avant laissera forcément une trace au fer rouge sur ma mémoire… « 



Commentaires

Une réponse à “De quoi faire une bonne compote”

  1. […] à la Maison d’Arrêt de Lyon-Corbas (où Idir a été assassiné), il dénonçait dans une lettre à L’Envolée la violation de son droit pour une futile « guéguerre de bureaucrates ». L’ancienne […]

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