Étiquette : justice de classe

  • Procès des matons homicides de Saint-Martin-de-Ré : dernier jour

    Procès des matons homicides de Saint-Martin-de-Ré : dernier jour

    Procès des 7 matons homicides, compte rendu à chaud, jour 3 : 1er décembre 2021

    À la Rochelle se tenait pendant 3 jours le procès en correctionnelle de 7 surveillants responsables de la mort de Sambaly Diabaté à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré en août 2016. Une histoire qui nous tient à cœur et dont nous nous sommes déjà fait les relais ici. Nous étions présents au procès pour soutenir les proches de Sambaly, mort par asphyxie dans les mains des matons. Nous avons fait tous les jours un compte rendu à chaud disponible en podcast à l’issue des audiences. Premier bilan provisoire des audiences.

    Ce mercredi 1er décembre, restait à entendre les plaidoiries des 6 avocats des 7 matons tueurs. La tâche n’était pas trop ardue, compte tenu des réquisitions scandaleuses de la proc. Rendu du tribunal, dont on n’attend rien si ce n’est qu’il se dessaisisse : le 27 janvier 2022 à 13h30. D’ici là, charge à nous de faire un maximum de bruit sur cette nouvelle mascarade judiciaire. Force et courage à Oumou Diabaté et à ses proches.


    L’Envolée est une émission pour en finir avec toutes les prisons. Elle donne la parole aux prisonniers, prisonnières et leurs proches & entretient un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur des prisons. L’Envolée est aussi un journal d’opinion de prisonniers, de prisonnières et de proches. 

    Direct chaque vendredi de 19h à 20h30 sur FPP 106.3 en région parisienne et MNE 107.5 à Mulhouse, RKB 106.5 en centre-Bretagne lundi à 22h, Radio Galère 88.4 à Marseille le lundi soir à 23h, PFM à Arras et alentours 99.9 mardi à 21h30, Canal Sud 92.2 jeudi à 17h30 à Toulouse, L’Eko des Garrigues 88.5 à 12h le dimanche à Montpellier, Radio U 101.1 le dimanche à 16h30 à Brest, Radio d’Ici 106.6 à Annonay mardi à 21h30 et 105.7 FM & 97.0, à Saint-Julien-Molin-Molette dimanche à 20h et sur les webradios Pikez (dimanche à 11h) et Station Station (lundi à 13h).
    Podcasts disponibles sur toutes les plateformes.

    Pour nous joindre : 07.53.10.31.95 (whatsApp, telegram, signal, appels et textos).
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    L’abonnement au journal est gratuit pour les prisonniers et les prisonnières.
    Les abonnements du dehors permettent ça. La censure qui frappe le numéro 52 ne concerne « que » ce numéro en détention. Contactez-nous !

    Notre bouquin pour troubler la fête du quarantième anniversaire de la prétendue abolition de la peine de mort est sorti ! Une manière parmi d’autres, que nous espérons nombreuses, de faire entendre quelques voix dissonantes dans l’écœurante auto-célébration du pouvoir.

    Ce livre réunit des paroles de prisonniers, de prisonnières et de proches publiées dans le journal depuis sa création en 2001 qui nous rappellent avec force qu’en réalité c’est seulement la guillotine qui a été supprimée en octobre 1981.

    Il est disponible dans toutes les bonnes librairies et sur la boutique de nos ami.e.s des éditions du bout de la ville.

    Il est gratuit pour toutes les personnes enfermées : écrivez-nous à contact@lenvolee.net pour que nous puissions le faire parvenir à vos proches emprisonné.e.s !

    Communiqué du collectif clandestin de la centrale d’Arles, octobre 2001

    « Comme toujours, la parole n’a pas été accordée aux principaux intéressés, à ceux et celles pour qui le quotidien est l’infamie carcérale, c’est à dire les détenus eux-mêmes !
    La parole ne nous est pas donnée. Jamais . C’est pourquoi nous avons décidé de la prendre, ici et maintenant.
    C’est particulièrement au nom des détenus « longues peines » que nous nous exprimons, nous, les laissés pour compte, ceux pour qui l’horizon n’est que désespoir et haine.
    Nous sommes là, face à vous, pour exiger que nous soient appliquées des mesures justes, équitables, qui nous permettent de croire que nous n’avons pas été condamnés à la mort lente, à des peines qui ne sont qu’un substitut à la peine de mort. »

  • « Des gens ont pillé la plus belle avenue du monde! » Comparutions immédiates suite à l’acte XVIII des Gilets Jaunes à Paris

    « Des gens ont pillé la plus belle avenue du monde! » Comparutions immédiates suite à l’acte XVIII des Gilets Jaunes à Paris

    TOUS COMPLICES !

    Alors comme ça, on est maintenant tous et toutes considérés comme « complices » des dégradations ? Sauf qu’on l’était déjà ! Automatiquement coupables, même : depuis la « justice d’exception » créée par Sarkozy, « participer sciemment à un groupement » est un délit (cf. compte rendu précédents), que les tribunaux collent à tous les gilets jaunes qui passent en comparution immédiate (CI).

     Nouvelle audience, même comédie : une cour aux ordres du parquet, une justice de classe qui fait le taf. Et qui donne les mêmes leçons de morale, par-dessus le marché : on est censés verser une larme sur le traumatisme à répétition des riverains des Champs-Elysées, dont certains ont même « échappé à la mort » ! Les déclarations du gouvernement ont clairement porté leurs fruits dans les réquisitions du procureur : la prison, c’est la sanction, et la privation de liberté doit être effective. C’est sa fonction première : un repoussoir. Un épouvantail que le gouvernement brandit devant un mouvement populaire qu’il n’a réussi ni à endiguer, ni à tout à fait diviser.

    Du fait de la mise en scène spectaculaire de la casse que cet acte XVIII a permis ; du fait des pseudo polémiques sur les dites « défaillances du maintien de l’ordre » policier dans la rue, il fallait que le gouvernement monte le ton pour satisfaire l’électorat dont il veut défendre les intérêts. Il y a donc eu le « limogeage » du préfet de police, remplacé illico par Didier Lallement qui, entre autres faits d’armes, fut le patron de l’Administration Pénitentiaire entre 2001 et 2004. Alors que d’importants mouvements de prisonniers dénonçaient les peines infinies qu’ils avaient à tirer ; alors qu’ils se battaient dans des quartiers d’isolement qu’ils comparaient à Guantanamo (notamment à Fresnes et Fleury), ce triste sire était appelé à la rescousse pour écraser la contestation.

     Entre 2001 et 2004, Lallement est directeur de l’Administration pénitentiaire (…) Il crée notamment le Bureau de renseignement pénitentiaire au sein de l’état-major de sécurité EMS3, qui vise le grand banditisme et l’extrémisme islamiste. Ce Bureau de renseignement pénitentiaire a fait courir la rumeur qu’une menace islamiste incontrôlable et massive existerait derrière les barreaux, afin de justifier les pratiques islamophobes de l’Administration pénitentiaire alors même qu’environ 60% des détenu.e.s sont de confession musulmane. En 2003, Lallement impulse également la création des Equipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), les unités de type GIGN prêtes à intervenir en détention de façon agressive et sur-armée, où ils tirent au flashball à bout portant au sein des cellules.( Portrait complet sur Paris lutte infos)

    Mais au-delà de cette annonce, le gouvernement a surtout sonné une nouvelle fois ses petits juges de garde afin qu’ils et elles durcissent encore un peu plus le ton dans les salles des Batignolles. La plupart des peines de prison ferme que nous avions vu prononcer jusqu’à présent dans les procès de gilets jaunes au tribunal de Paris étaient aménageables, car inférieures à deux ans. Attention, c’était – comme toujours pour ce type de peine- au bon vouloir du juge des libertés et de la détention. Plus rares étaient cependant les peines assorties d’un mandat de dépôt. La nouvelle tendance est donc de les assortir systématiquement d’un mandat de dépôt.

    Comme lors des audiences précédentes, toutes les personnes déferrées ont été interdites de présence à Paris pendant un an. Attention : bien sûr qu’on a toujours le droit de manifester, comme la cour s’évertue à le répéter… mais en se rendant bien compte que ce gouvernement vient d’affirmer plus clairement que jamais son droit à nous enfermer et à nous mutiler : il va « falloir assumer, même si un black block qui met le feu au Fouquet’s s’en prend une et finit paraplégique », a déclaré au Parisien (édition du 19 mars) un membre du gouvernement anonyme (courageux mais pas téméraire !).

    Marx avait vu juste : l’Etat est bel et bien une bande d’hommes en armes et ses satellites.

     A cette audience, la mairie de Paris s’est portée partie civile dans tous les dossiers, mais sa demande a le plus souvent été rejetée. Dans les cas où elle a été déclarée recevable, les condamné.e.s repasseront en audience civile le 16 avril pour se voir exiger des dommages et intérêts – que la mairie aura réussi à chiffrer d’ici là…

    Certains avocats commis d’office ont été tout simplement lamentables. Quand la présidente a expliqué aux prévenus qu’ils avaient la possibilité de refuser la comparution immédiate, la plupart se sont tournés vers leurs « défenseurs » d’un air perplexe ; ces incapables n’ont pas été foutus d’expliquer à leurs clients ce qu’est une CI, le renvoi automatique s’ils le demandent et les différentes options suite à ce renvoi : comparaître libres, avec un contrôle judiciaire plus ou moins strict, ou partir en détention provisoire s’ils n’ont pas de garanties de représentation. Quant aux plaidoiries… Oui, mon client est coupable et la cour doit le condamner ; mais coupables simplement de s’être laissé entraîner par d’autres, plus dangereux : les « vrais casseurs » ! Mais pour le proc comme pour la cour, même cette dissociation est devenue inacceptable : si après quatre mois de manifestations violentes, les gens continuent à y aller, c’est bien pour en découdre ; ils sont donc coupables. (suite…)

  • EMISSION DU 1ER MARS 2019

     

        • Textes : Communiqué du CRA 1 de Vincennes ; appel a la manifestation du 3 mars et discussion ; appel du Mas d’Azile
        • Appel : C. du CRA de Mesnil Amelot
        • Discussion : Réforme de la justice

    Zic : L’artiste ft. Heuss L’Enfoiré- Tikka / Moon’a – Troisième Doigt / SInik – D.332


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  • Appel national à perturber la justice quotidienne le mardi 5 mars 2019

    Appel national à perturber la justice quotidienne le mardi 5 mars 2019

    Nous relayons ici un appel émanant d’une assemblée des environs de Toulouse dont nous partageons, évidemment, l’analyse !

    Appel national à perturber la justice quotidienne le mardi 5 mars 2019 

    « Depuis le début du mouvement des Gilets jaunes la répression s’abat avec une grande violence. La répression, c’est d’abord la police qui blesse, mutile, tue (comme Zineb Redouane à Marseille le 2 décembre), et qui a arrêté plus de 8 000 personnes en trois mois.

    C’est aussi la justice, qui a condamné 1 800 personnes dont plusieurs centaines dorment aujourd’hui en prison. Nous ne les oublions pas ! Mais la justice ce n’est pas seulement la répression du mouvement social.

    La justice, c’est cette machine qui chaque jour, dans le silence des salles d’audience à peine troublé par le froufrou des robes bordées d’hermines des magistrats, condamne les pauvres. Ce sont le paternalisme, le racisme et le mépris de classe du juge qui « mène les débats » et prononce la peine. C’est cette mécanique qui chaque jour broie des centaines de vies sans que l’on s’en émeuve.

    Ces vies broyées, ce sont d’abord et en immense majorité celles des pauvres. Les petits délits sont désormais le plus souvent jugés en comparution immédiate : des prévenu.e.s comparaissent en sortant directement de garde à vue (parfois de 48 h), n’ayant pas de temps pour préparer leur défense ; des procès bâclés, et dans la majorité des cas des condamnations plus lourdes.

    Tandis que des Sarkozy ou des Fillon se la coulent douce, les Gilets jaunes condamnés ont fait les frais de ce dispositif ; mais il touche plus généralement des pauvres tâchant de s’en sortir.

    Dans un monde où l’argent est roi, comment vivre quand, pour beaucoup, toute opportunité de travailler légalement a depuis longtemps disparu ?

    Parce que la justice ne fonctionne si efficacement que grâce au silence dans lequel elle s’exerce, nous appelons à aller, partout en France, le mardi 5 mars, assister aux audiences près de chez vous, qu’elles concernent ou non des Gilets jaunes. Notre simple présence transformera le déroulement des audiences et pourra en atténuer le résultat.

    Amnistie pour toutes les personnes inculpées du mouvement social!

    Solidarité avec toutes les prisonnières et tous les prisonniers !

    L’assemblée du Mas d’Azil (avec ou sans gilet)

  • « C’est ça, la justice ? Eh ben vivent les gilets jaunes, ils ont raison ! » comparutions immédiates, Paris, 14 janvier

    Des Gilets jaunes face à la justice de classe, 3ème épisode : Comparutions immédiates suite à l’acte IX le 14 janvier 2019

     Ce lundi 14 janvier 2019, l’activité de la 24e chambre était exclusivement consacrée à la répression d’un mouvement social qui dure depuis plus de deux mois maintenant. L’audience a duré jusqu’à 22 heures, et des Gilets jaunes passaient aussi en comparution immédiate dans deux autre salles. Tous les inculpés qui ont demandé un renvoi l’ont obtenu. Le délit fourre-tout qui a servi lors des précédentes comparutions immédiates à condamner des gens sans rien dans le dossier – la fameuse « participation à un groupement, etc. » – a peut-être montré ses limites. En effet, dans certaines audiences en renvoi, le tribunal a relaxé des personnes accusées de ce seul délit car le groupement en vue de commettre des dégradations suppose des faits matériels, qui souvent n’étaient pas caractérisés (voir notre article ici). La seule présence là où il y a des « dégradations » ou des « destructions »ne suffit  pas toujours pour inculper quelqu’un ; alors quand les dossiers sont vraiment trop vides, le parquet se sert notamment du délit de « violence », d’un emploi plus facile, car il repose sur une pièce unique : le PV du flic interpellateur, qui n’a qu’à confirmer au parquet par téléphone que le prévenu est bien coupable des faits – v’là l’identification ! Bref le parquet multiplie les chefs d’accusations ; comme ça, si les avocats obtiennent la relaxe pour certains, il en reste encore assez pour prononcer une sanction pénale. Et puis le proc’ a bien rappelé – jurisprudence à l’appui – qu’il n’est pas nécessaire que le projectile ait atteint sa cible supposée pour qu’il y ait « violence envers une personne dépositaire de l’autorité publique ». Le jet du moindre objet dans la direction de CRS, baqueux et autres gendarmes mobiles, et même une insulte, un doigt ou un bras d’honneur suffisent à caractériser la violence ».

    Interpellé à 15 heures avenue Hoche, J.B. G. (24 ans) est accusé de « violences volontaires sans ITT sur personnes dépositaires de l’autorité publique non identifiées », mais dont « la fonction ne pouvait être ignorée ». On les reconnaît à quoi, alors ? à leurs sales gueules ? Il avait du matériel de protection sur lui : lunettes, masque antipoussière et gants – nettoyeur ferroviaire pour 1 100 euros par mois, il sortait du travail. La cour lui trouve des antecedents : il a été condamné pour degradations… à l’âge de 13 ans ! Et puis il a eu un rappel à la loi suite à l’acte V. Le proc requiert quatre mois avec sursis et un an d’interdiction sur Paris. Il prend deux mois avec sursis et cinq ans de mise à l’épreuve …pour « le protéger de sa sensibilité à la foule » ! Ils le mettent aussi tricard à Paris pendant un an.

    S. a été interpelé place de l’Étoile à 15 heures. Il bosse comme frigoriste à Marseille pour 1 500 euros par mois. Il est accusé de « participation à un groupement » et de « violence et dégradations ». C’est vrai qu’il a été arrêté avec plein de matos dans son sac… mais il fait partie des Street medics. Il rejette les accusations en bloc, explicant qu’en manif, son boulot, c’est exfiltrer les personnes blessées pour les soigner. Il autorise la fouille de son portable, qui atteste de sa présence à plusieurs actes des gilets jaunes par de nombreux messages appelant à se rendre aux rassemblements « sans haine ni violence ». En fin de mission d’interim depuis deux semaines, il déclare ne pas vouloir travailler tant que « ça bougera pas » : grève générale du travail. « Les aides sociales, elles, ne seront pas en grève ! », ironise le président. Eh oui, Jupiter son maître l’a bien rappelé : « Trop de nos concitoyens (ont oublié) le sens de l’effort … cet engagement qui fait qu’on a rien dans la vie si on a pas cet effort. »

    R. a été arrêté avenue de Wagram dans l’après-midi ; peintre en bâtiment au chômage depuis un an, il est venu de Bourgogne pour participer au mouvement. On l’accuse de « participation à un groupement », « jet de projectile sans ITT », « violence sur personnes dépositaires… » Il a craché dans l’œil du flic qui l’a arrêté : trois jours d’ITT (Condé, ouvre l’œil, et le bon !), et d’« outrage ». Après avoir lancé : « Mort aux condés », il leur a montré son cul : « J’étais à cours d’inspiration » ! Le « transport d’une bombe de gaz lacrymogène » lui est également reproché. Il avait picolé. Quand il leur a montré son cul, les flics ont décidé de le serrer, alors ils lui ont mis la bombe lacrymo dans son sac – d’où les insultes et le crachat. Il a déjà été condamné. Du coup le proc requiert douze mois avec mandat de dépôt et un an d’interdiction sur Paris. Il se mange cinq mois avec mandat de depôt : « la prison le protégera de l’alcool » – alors qu’il avait déjà entamé une procédure de suivi médical – et un an tricard à Paris.

    J. est accusé de « participation », « destruction du bien d’autrui » (un scooter), « possession de cagoule, sérum physiologique et gants ». Son avocat dépose des conclusions de nullité de la procédure. La fiche d’interpellation ne mentionne ni les circonstances de son interpellation, ni les faits qui lui sont reprochés. Les keufs ont monté le dossier après la fouille de son sac dans lequel ils ont trouvé le matos de protection, et un briquet – censé avoir servi à incendier le scooter. La nullité de la procédure est reconnue.

    P. vient de l’Essonne. Marié, père de trois enfants, il est accusé de « participation à un groupement », « violence sans ITT » : il aurait jeté une canette et une batterie de cigarette électronique sur les keufs !

    Les flics lui ont notifié un rappel à la loi à la fin de sa GAV ; son avocat déclare donc qu’il n’a rien a faire devant cette cour. Renvoi au 6 février 2019. D’ici là, un contrôle judiciaire lui interdit de se présenter à Paris le samedi.

    F.A est marié, il a deux enfants. Il gagne 2 000 euros comme chef de chantier en chaudronnerie après avoir débuté comme manœuvre. R. G. gagne 2 071 euros comme plombier. Marié, il a une fille ; la famille a dû quitter un logement insalubre pour se réfugier chez les parents de R. G. avec ses deux frères et sa sœur, qu’ils aident financièrement. Voisins en Seine-et-Marne, ils sont venus ensemble à la manifestation. Ils étaient déjà venus à d’autres manifestations des gilets jaunes. Leurs chefs d’inculpation sont quasi identiques : « participation à un groupement », « violences et dégradations » et « violences sans ITT envers une personne dépositaire de l’autorité publique » : le jet d’une bouteille vide pour F. A., d’un fumigène pour R.G. Ils contestent les faits : ils ont décidé de rentrer quand ça a commencé à chauffer, et c’est là qu’ils se sont fait choper. Le proc les déclare coupables des différents chefs d’inculpations et requiert trois et six mois ferme assortis d’un an d’interdiction de présence à Paris après le discours maintenant habituel sur le matériel de protection qui peut aussi être « offensif » ; « C’est bien le problème : comment séparer les manifestants – qui ont le droit de s’exprimer – des casseurs ? »

    A ce moment, cinq verdicts ont été rendus, il y a déjà eu une suspension d’audience lorsqu’un changement de ton vient troubler le ronronnement de cette 24ème chambre. L’avocat de permanence en charge de ce dossier est un pénaliste, plus offensif :

    « Alors il faudrait peut-être interdire aux gens de sortir de chez eux, car on peut aussi manifester en province ; en fait, c’est de cela dont il est question ! »

    Il revient sur le vide du dossier : un PV d’interpellation et une nouvelle confirmation par téléphone que c’est bien le prévenu l’auteur des faits : « Celui qui interpelle constate les faits, remplit le PV et le confirme. Quelle est la place pour la défense ? Aucune. C’est la liberté de manifester qui est en jeu ! La participation à un attroupement est un délit politique, on ne peut la condamner en comparution immédiate. Par une voie détournée, on ’délictualise’ une action politique. Les policiers « victimes » de violence ne sont pas identifiés ? Sans victime, pas de violences ! Le fait qu’ils (ses clients) aient des accessoires de protection défensifs ne témoigne pas de la volonté d’en découdre. Il faut entendre la voix de ceux qui contestent les conditions de l’interpellation, d’autant plus que les violences (policières) avaient été préalablement annoncées par le ministre ! »

    S’adressant au président, il conclut :

    « Qu’est-ce qu’on vous demande ? De les condamner parce qu’ils ont manifesté ; ce qu’on vous demande est très dangereux ! »

    Ses clients prennent quand même trois mois avec sursis et trois mois ferme. Dans ses plaidoiries suivantes, cet avocat commencera par dire qu’il a « entendu le message de la cour » et se limitera désormais à une défense axée sur les aspects techniques des dossiers. Couché !

    Arrêtée place de l’Étoile à 15h20, M. L. C. vient de l’Eure ; elle a trois enfants, dont une fille encore à sa charge. Elle alterne périodes de chômage et missions d’intérim en tant qu’aide-soignante. Dans le cadre du « retour à l’emploi », elle touche entre 900 et 1200 euros par mois. Elle est déjà venue manifester à Paris quatre fois. Elle est accusée de « participation », de « violence » , du jet d’une bouteille et du « port d’un masque à cartouche et d’un gilet jaune. » Le masque à gaz, c’est parce qu’elle est asthmatique ? « -En ce cas, elle aurait mieux fait de rester chez elle », rétorque le président. Un flic zélé a écrit sur le PV d’interpellation qu’elle a été reconnue grâce « à un sac à dos rouge et un pull turquoise facilement identifiable. » Présent dans la salle, son mari fournit une vidéo : l’interpellation a été filmée par LCI. On voit cette femme sac au dos, son manteau à capuche fermé. Pas moyen que les flics aient vu le fameux « pull turquoise facilement identifiable » qui lui aurait valu d’être arrêtée. Encore un dossier monté par les condés a posteriori – à grands renforts de mensonges. Comme le dira poliment son avocat :  « le comportement des policiers n’est pas fidèle à la réalité. » Le proc s’en fout : « Il faut croire la police, car quel intérêt auraient ces fonctionnaires à mentir ? ». Il demande un mois avec sursis. Relaxe de la participation au groupement, 1 000 euros d’amende avec sursis pour les violences.

    D.M. a été arrêté en début de soirée avenue d’Iéna. Chef de chantier, il habite à Chatenay-Malabry et gagne 2 200 euros par mois ; il a une fille âgée de 22 mois. Il est accusé de « participation à un groupement » et de « projection d’un sapin sur un véhicule de police pour interrompre sa progression ». Il n’y a rien dans sa fouille : un téléphone et quelques euros. Pris de panique lors d’un mouvement de foule, il est parti en courant, virant au passage un sapin qui se trouvait sur sa route. On visionne les images d’une caméra de vidéosurveillance : on voit le prévenu courir et écarter un sapin, comme il a dit. En totale contradiction avec le PV des condés, la voiture de la BAC arrive dans son dos ! C’est un véhicule banalisé, sans gyrophare. Le proc demande une amende. Relaxe.

    B., L., G. et M. : quatre copains venus ensemble de l’Eure pour manifester à Paris ; Ils sont intérimaire cariste, mécanicien auto, mécanicien auto en interim et soudeur chaudronnier en apprentissage. L’un d’eux habite chez ses parents, qu’il aide financièrement. Le parquet leur reproche la « participation à un groupement » et le fait qu’ils étaient munis de « gants, masques et 25 fumigènes ». Les quatre demandent le renvoi, et l’obtiennent : ils passeront le 6 février 2019. D’ici là, interdiction de se montrer à Paris le samedi. On apprend au passage que 50 arrêtés préfectoraux ont été prononcés dans l’Eure ; toute manifestation est de fait interdite sur l’ensemble du department, et que c’est une des raisons de leur venue à Paris… Rien à voir, évidemment, avec le déplacement « imprévu » de Macron dans ce département pour lancer son « grand débat » !

    A. vient de Castres. Il a été interpellé place de l’Etoile dans l’après-midi. Il devait passer en début d’audience, mais son avocat a demandé un délai pour récupérer à la fouille le portable de son client car il contient une vidéo susceptible de l’innocenter. Accusé « de violence sans ITT sur personne dépositaire de l’autorité publique non identifiée », il aurait jeté pavés et bouteilles. Il nie catégoriquement les faits : vêtu d’un manteau clair et d’une écharpe, il était face au cordon de CRS qu’il filmait. On le voit sur la vidéo qu’il veut montrer… mais qui a disparu de son téléphone. Il explique qu’il avait accepté la fouille de son téléphone à condition d’être présent, ce qui lui a été refusé. « Que voulez-vous dire ? » lui demande le président. « Rien : il y avait cette vidéo, les policiers ont ouvert mon téléphone et elle n’est plus là. » Il demande que soient visionnées les images des caméras de vidéosurveillance, mais comme elles n’ont pas été portées au dossier, sa requête est rejetée. Le proc requiert six mois ferme ; il en prendra cinq avec sursis, et cinq ans de mise à l’épreuve. Il est défendu par l’avocat qui a déjà dénoncé plus tôt le caractère politique de cette cour aux ordres. Comme il a « compris le message de la cour », il s’en tient strictement aux aspects techniques du dossier. Son client n’était pas équipé et le PV d’interpellation ne décrit aucun fait délictueux. Une vidéo disparue, pas moyen d’avoir accès aux autres ou d’obtenir une confrontation avec ses accusateurs, confirmation de l’identité de prévenu uniquement par telephone…

    « Même avec des dossiers imparfaits, la cour condamne dans des audiences ou il n’y a aucune place pour la défense ! On marche sur le droit. »

    Le président et le procureur s’entendent bien : quand ce dernier a un trou de mémoire ou s’il n’arrive pas à trouver ses mots, c’est le président qui vient gentiment à son secours. Là, c’est au tour du procureur d’aller au carton. Il vole au secours des keufs – pourtant bien peu malmenés au cours de ces audiences. Les PV sont imparfaits ? Les procédures aussi ? Il faut s’en contenter car c’est la parole des policiers – qu’on ne peut se permettre de mettre en doute, puisqu’ils nous protègent ! Et il entonne le couplet de la fatigue, des insultes et des coups qui pleuvent sur eux… Ils souffrent du fait qu’on ne dénonce jamais que leurs violences à eux, qui sont la conséquence de leur fatigue… Sans doute y a-t-il eu une ou deux fautes, mais n’auraient-ils pas droit eux aussi à la légitime defense ? Rien d’étonnant, le représentant du ministère public est dans son rôle. Le président arrive à la rescousse, lyrique : « Et il sont là aussi, ces policiers que vous accusez de mensonges… ils sont présents, ils protègent ces bâtiments jusqu’à une heure tardive, malgré la fatigue ! »

    Du coup, il décrète une deuxième interruption de séance histoire de se remettre de ses émotions.

    D. est accusé de « participation », de « violences volontaires », de « construction de barricades » et de la « dégradation » d’un kiosque à journaux et d’une enseigne de parking. La mairie de Paris s’est portée partie civile. Maçon au chômage en formation par Pôle emploi, il touche 1 100 euros par mois. Il a trois enfants, et il est sourd d’une oreille. Il demande un report pour préparer sa defense, qu’il obtient, mais assorti d’un contrôle judiciaire qui lui interdit de venir à Paris le samedi.

    A. a 19 ans. Avec son CAP d’installateur thermique, il est au chômage. On l’accuse de « participation à un groupement », de « violence volontaire sans ITT » et de s’être « masqué le visage avec un bandana ». Il reconnaît avoir jeté des projectiles en direction des gendarmes : une pierre et un fumigène, en réaction à la violence dont il venait d’être témoin : les flics avaient gazé « des personnes tranquilles », il avait vu un CRS taper « une personne qui ne courait pas »… « Les policiers ont mal agi ; je venais pacifiquement et ce que j’ai vu m’a énervé. »

    Pendant toute l’audience, la cour – président et assesseurs- n’a pas arrêté d’essayer de tirer les vers du nez des prévenus sous couvert de compréhension ou d’empathie. Pour aller encore plus loin dans la collusion entre le parquet et une cour qui s’applique à alimenter les réquisitions du procureur, un juge demande carrément au prévenu : « Avant de venir, avez-vous pensé à cette violence, à jeter des objets sur les forces de l’ordre ? » – histoire de voir s’il n’y a pas moyen de lui mettre une préméditation sur le dos. Le président, lui, loue le professionnalisme des flics tout en expliquant au prévenu qu’il « ne fait pas progresser la cause qu’il défend en se montrant violent à l’encontre de la police ». Mais de préméditation, y en a pas : c’est juste « la violence qui engendre la violence ». B.A. décrit la nasse policière place de l’Etoile. Son avocate l’appuie en lui demandant de raconter, « comme vous l’avez fait à moi, ce que vous avez vu. » Après un silence, il se met à sangloter : « Y a des choses qui sont pas normales aujourd’hui. Y avait une personne sur la place qui a pris un tir de Flashball là (il montre sa joue)… elle s’est pas relevée. », l’avocate insiste : « Et votre œil ? Que vous est- il arrivé ? » Il raconte qu’il a « séparé deux gilets jaunes qui voulaient se battre entre eux » pendant la manifestation. Il en a revu un plus tard, mais sous le gilet jaune… c’était un flic en civil qui est venu lui mettre deux droites ! Il a effectivement l’œil tuméfié. Le président lui demande s’il a porté plainte, tandis que le proc s’étonne que ces violence policières dont on parle tant ne soient jamais mentionnées dans les PV ! Ben voyons… L’avocate le calme direct :

    « Il faut arrêter cette hypocrisie de la justice et du parquet par rapport aux violences policières ! Elles existent, mais bien sûr qu’aucun policier ne les mentionnera jamais dans son procès-verbal ! Il ne faut pas le bercer d’illusion (son client) : sa plainte n’aboutira pas. Il y a des citoyens violentés, et combien de policiers seront traduits devant les tribunaux ? Pas beaucoup ! Il faut entendre les larmes de ce jeune homme traumatisé par cette manifestation, il faut entendre ce phénomène de masse qui dure maintenant depuis neuf semaines. Les violences policières sont là, elles existent, il faut que l’hypocrisie s’arrête ! »

    Le proc demande trois mois avec sursis. B. A. est condamné à un mois avec sursis.

    Comme P. est polonais, il comparaît assisté par une interprète. Il est accusé de « violences volontaires sans ITT sur, etc. », et de « rébellion ». Il a armé son poing et il a foncé sur deux CRS sans jamais les atteindre car il a été plaqué au sol avant et menotté. Il déclare ne se rappeler de rien du fait qu’il était saoûl. Six mois avec sursis requis, il en prend trois.

    Marié, 2 enfants, habitant Malakoff, D. M. fait de la mise en rayon à Auchan pour 1 300 euros par mois. Il est accusé de « violences volontaires sans ITT… », de « rébellion », et d’« d’outrage », car il a traité les flics qui l’arrêtaient de « bande de bâtards ! » Il reconnaît avoir relancé un palet de lacrymo en direction des flics parce qu’il s’en était « trop pris pendant des heures » ; les keufs, eux, disent que c’est un jet de pierre. C’est la même avocate qui défend ces quatre derniers dossiers. Elle interpelle de nouveau la cour : « Il faut arrêter ! Quand il y a contradiction, c’est toujours en faveur de la police… Là, il y a même contradiction entre le PV et la fiche d’interpellation : on reproche deux choses différentes à mon client, un jet de pierre et le fait d’avoir provoqué les flics. » Le proc requiert cinq mois avec sursis, il en prendra trois.

    Pendant toute l’audience, le président du tribunal a énoncé les actes d’accusations déclarant en qu’ils s’étaient déroulés « Lors de la manifestation violente dite des gilets jaunes ». Le mot est lâché : les manifestations des gilets jaunes sont violentes ; violentes parce que spontanées, portées par leur seul(e)s participant(e)s ; violentes comme en réponse à la violence économique – orchestrée par l’état – d’une société de plus en plus dure avec les plus fragiles, et dans laquelle les fortunes accumulées par une infime minorité dépassent, de très, très loin l’entendement et la décence ; violentes enfin en réponse à la répression qu’elles subissent, à la violence policière, aux mutilations.

    L’acte IX de ce samedi 12 janvier est particulièrement instructif à cet égard. Nous étions quelques-uns à avoir rejoint le cortège à Bastille vers midi. Après une traversée de Paris tranquille, nous arrivons en vue de l’Arc de triomphe ; là, les quelques personnes qui faisaient partie du « service d’ordre » orientent le cortège vers la rue Saint-honoré. On est plusieurs à aller tout droit pour arriver sur la place de l’Etoile par l’avenue Friedland, et on se rend assez vite compte que la place n’est qu’une immense nasse. Nous décidons alors de repartir par le même chemin ; il est plus de 14 heures. Les CRS bloquent alors la rue : « Vous pouvez entrer, mais pas sortir : on a des ordres. » Les gens sont tranquilles, mais après un bon moment, ça commence à sentir fort la lacrymo et on entend plusieurs détonations. Forcément, ça s’agite un peu plus – les gens veulent sortir, invectivent les CRS : « Vous mettez le peuple en danger, vous nous exposez au gaz ! », « Pourquoi vous faites ça ? Vous travaillez pour qui ? ». Obéissant à la consigne et confiants dans leur intelligence, les condés les repoussent vers le centre de la place. On pousse aussi, et finalement une quarantaine de personnes sortent de la nasse. Quand on a un plan de Paris sous les yeux et qu’on regarde l’heure des premières interpellations, on comprend que la préfecture a créé un point de fixation sur la partie de la place qui va de l’avenue Hoche à l’avenue de Wagram et que le gros de leur effectif était par là. Après, ils se sont déployés pour nettoyer la place, selon le témoignage de personnes rencontrées au Palais. Evidemment, ceux qui ont emmené le cortège rue Saint-honoré suivaient sans le savoir les souhaits de la préfecture. Après avoir joué sans grand succès, la carte de l’opposition manifestant honnête/méchant casseur pour diviser le mouvement, le gouvernement développe l’argument légaliste : une manifestation doit être déclarée et encadrée, ce qui était le cas de cette dernière. Si la préfecture a permis à toute la traversée de Paris de se dérouler sans incident majeur, on peut penser que c’était dans le but de jeter le gros du cortège au cœur du dispositif policier. Là, comme sur un stand de pêche au canards, les condés n’ont plus qu’à prélever les manifestant.e.s pour les livrer à la machine judiciaire. Et tant pis pour l’écologie : ils pêchent aussi à la grenade !

     Dans toute sa complexité, ce mouvement est fort de sa spontanéité et de son caractère horizontal. Pour l’affaiblir et le dénaturer, le pouvoir lui tend deux pièges. Le premier – un peu gros – est celui d’un grand débat dont les sujets sont choisis par un gouvernement qui en a déjà défini les limites en annonçant que pas mal de choses, et notamment la question centrale de la redistribution des richesses, ne bougeraient pas. Le deuxième, c’est celui de la légalité. Alors que la question de la désignation de représentants du mouvement avait été évacuée par le refus de déléguer à nouveau sa vie et ses choix, elle revient par la fenêtre : La ou les personnes qui déclarent une manifestation et en négocient le parcours avec la préf – on a vu le résultat – se sentent forcément responsables de la manifestations et l’encadreront. De là à s’en déclarer les représentants légitimes, il n’y a qu’un pas – mais c’est la légitimité de l’ennemi, celle du droit, de la loi… Après les violences policières et les mutilations subies dans la rue, les audiences au tribunal nous rappellent à quel point la loi et la justice sont les armes de l’adversaire. Comme l’a dit un parent d’un des accusés pendant une suspension de séance :

    « C’est ça, la justice ? Eh ben vivent les gilets jaunes, ils ont raison ! »

  • A Foix aussi, la justice envoie des Gilets jaunes en prison pour tuer le mouvement !

    Ce mercredi 2 janvier, le tribunal de Foix (09) faisait comparaître deux hommes de 25 et 30 ans, pour dégradation avec incendie au péage de Pamiers et « occupation non appropriée du domaine routier » dans la soirée du 31 décembre.

    Au vu du casier non vierge des deux prévenus, l’avocat de la défense Me Baby leur a conseillé d’accepter la comparution immédiate, estimant qu’il pouvait « faire appel à l’humanité du tribunal » pour leur éviter l’incarcération immédiate (mandat de dépôt).

    Autant pisser dans un violon…

    « Que l’on s’estime innocent ou coupable, il vaut mieux refuser la comparution immédiate. Être jugé tout de suite, à chaud, c’est courir le risque de prendre une peine « pour l’exemple », et se priver de l’aide d’avocats capables de défendre correctement le dossier – ne serait-ce que parce qu’ils auraient eu le temps de le lire. » Des gilets jaunes face à la justice…de classe

    Les deux prévenus sont précaires, l’un travailleur pauvre sans logement et l’autre intérimaire, et le tribunal ne va pas se priver de s’appuyer lourdement sur ce qu’il appel le « profil des accusés ». Ils ont tous deux quelques condamnations à leur casier pour larcins ou conduite sans permis. Procureur comme juge insistent en chœur sur « le niveau ras-des-pâquerettes des prévenus ». Ce à quoi un des deux rétorquera en fin d’audience « nous ne sommes pas des bêtes, nous ne nous arrêtons pas de penser ».

    La trentaine de soutiens dans la salle ne se montre pas révérencieuse face au tribunal et n’hésite pas à réagir. Une femme de l’assistance se fait sortir pour avoir répondu aux dires du procureur que l’usage du flashball était également une atteinte à la sécurité des personnes.
    Le procureur demande une peine de 8 à 9 mois de prison ferme pour les deux gilets jaunes.
    La défense n’était certes pas facile, les deux hommes ayant reconnu et raconté en détail les faits en garde à vue ; pour l’un d’entre eux après s’être fait mettre la pression par la police pour ne pas faire plonger son camarade seul.

    L’avocat opte pour une défense politique avec un discours sur la casse comme « moyen pour se faire entendre », n’hésitant pas à évoquer les faucheurs d’OGM ou même la ZAD de Notre-Dame-des-Landes comme exemple. Les derniers mots de l’avocat n’auront pas convaincu le tribunal : « donnez le message ferme qui convient, mais laissez la place à l’humanité » pour « laisser les condamnés retourner chez eux » . Raté !

    Les deux gilets jaunes ont été incarcérés mercredi soir, avec pour peine 3 mois de prison ferme et 6 mois de sursis avec obligation de travailler, plus 150 euros d’amende chacun. Encore une fois, la comparution immédiate a entraîné une condamnation sévère et envoyé les condamné dormir en prison.

    Solidarité avec les prisonniers et leurs proches et renforçons nos réflexes de défense avant, pendant et après les actions !

    Exemple de conseils de précautions avant les manifs ou blocage : Conseils contre la répression

    Pour  s’en sortir au mieux et ne pas aggraver son cas en garde à vue : Brochure GAV
    A propos de son téléphone, ce mouchard quand on est entre les mains de la police : Code PIN en GAV décryptage

     

  • DES GILETS JAUNES FACE A LA JUSTICE… de classe

    « Si vous le saviez, pourquoi vous y rendre ? » un procureur parmi d’autres.

    Un gouvernement qui ne parvient pas à écraser un mouvement de  contestation dans l’œuf dispose de plusieurs outils pour le circonscrire et l’étouffer s’il menace de tenir, voire de s’étendre. Au bout de cette chaîne répressive, il y a les tribunaux. La ministre de la Justice Nicole Belloubet, en visite au tribunal de Paris au lendemain de la manifestation du 1er décembre, avait demandé aux magistrats une réponse pénale « tout à fait ferme » à l’encontre des prévenus. C’est pourquoi il est très important de soutenir les inculpés, notamment par la présence aux procès. C’est bien sûr une solidarité nécessaire, mais surtout, c’est un moment de la lutte à part entière ; et c’est particulièrement vrai dans le mouvement actuel.

    En effet, une des particularités de ce mouvement, c’est qu’une grande partie des gens qui descendent dans la rue n’ont jamais eu affaire à la justice et ignorent bien souvent tout ou presque de son fonctionnement. Et comme ce ne sont pas des bourgeois, ils subissent de plein fouet la violence de classe qui s’exerce quotidiennement dans les tribunaux ; en particulier dans les comparutions immédiates qui pratiquent une justice d’abattage. Ils n’ont ni les connaissances juridiques et les stratégies qu’apprennent et échangent les « habitués » des tribunaux et des prisons… ni le langage et les attitudes légitimes – et l’aide d’un bon avocat payé en conséquence – qui tendent à adoucir la sentence pour les bourgeois. Chacun sent bien qu’il va sans doute falloir faire profil bas, s’excuser, regretter… mais ça ne suffit pas pour se défendre.

    Nous publions ici quelques observations générales sur des audiences auxquelles nous avons assisté – comme toujours avec l’institution judiciaire qui s’ingénie à tout individualiser, il n’y a pas de vérité absolue, ce qui n’empêche pas de dégager certaines tendances – suivies de comptes rendus d’audiences d’ici et d’ailleurs.

    En assistant aux procès, chacun et chacune peut tenter d’analyser et de publiciser les postures et les réflexes qu’adoptent les juges dans la période actuelle : les chefs d’inculpations choisis, le genre de défense à laquelle s’attendent les procs, le montant des réquisitions pour tel ou tel acte… ces éléments peuvent permettre de renforcer les stratégies de défense des prévenus, et donc le mouvement lui-même.

     Des GAV par milliers

    Selon les chiffres officiels recoupés ici et là dans un article paru sur Bastamag.net le 10 décembre, il y avait déjà eu à cette date plus de 3300 arrestations dans le cadre de ce mouvement. Si toutes n’ont pas conduit à une garde à vue (GAV), ça a été le cas dans l’immense majorité. Plusieurs milliers de personnes ont fait l’expérience de la plus courte des peines de prison : vingt-quatre, quarante-huit heures ou plus (pour cause de micmacs sur les PV pour réguler les flux dans certains commissariats) entre les mains de la police.

    Cette situation très désagréable – surtout la première fois – conduit beaucoup de personnes interpellées à parler, à répondre aux policiers… belle occasion de charger un dossier qui souvent ne contenait jusque-là qu’un procès-verbal d’interpellation. Ne pas répondre, ou nier les faits, est un droit que beaucoup ignorent. Il faut le faire savoir au maximum : contrairement à ce que disent invariablement les policiers, moins on parle, moins on s’expose – que l’on se pense innocent ou que l’on se sache coupable.

    Une bonne partie des GJ gardés à vue est ressortie après un simple « rappel à la loi » parce que malgré tous leurs efforts, les OPJ n’avaient pas réussi à trouver de quoi constituer une infraction à poursuivre. Ça a été le cas de la plupart des gens qui ont été arrêté de manière préventive juste parce qu’ils étaient « équipés » (de masques, de cache-cols, de sérum physiologique), ou parce qu’ils sont arrivés en groupe à un endroit où les « forces de l’ordre » étaient particulièrement zélées ; le but de ces arrestations étant avant tout d’assécher les rassemblements du jour et de dissuader ceux et celles qui voudraient se rendre aux suivants.

    Refuser la comparution immédiate

    « Plus de 1200 personnes auraient été déferrées devant la justice depuis le début du mouvement. Par comparaison, c’est désormais davantage que lors de la contestation contre la loi Travail, de mars à juin 2016 sous le mandat de François Hollande, mouvement au cours duquel 753 personnes avaient été poursuivies » (source : bastamag.net).

    Celles et ceux qui ne sortent pas avec un rappel à la loi sont donc « déféré.e.s », c’est-à-dire qu’ils et elles comparaissent devant un juge pour répondre des « éléments » qu’il y aurait dans le dossier. Ça peut être la déclaration d’un flic concernant l’interpellation, des images de vidéosurveillance « exploitables », un aveu du prévenu, un simple texto dans son portable, une vidéo dans le téléphone d’un autre manifestant arrêté, ou encore « une preuve matérielle » : un gant troué, une pierre dans la poche, etc. C’est à ce moment-là que le juge propose au prévenu, soit d’être jugé tout de suite en « comparution immédiate », soit de demander à être jugé plus tard pour préparer sa défense.

    Que l’on s’estime innocent ou coupable, il vaut mieux refuser la comparution immédiate. Être jugé tout de suite, à chaud, c’est courir le risque de prendre une peine « pour l’exemple », et se priver de l’aide d’avocats capables de défendre correctement le dossier – ne serait-ce que parce qu’ils auraient eu le temps de le lire.

    Lorsqu’on refuse la comparution immédiate, le juge est dans l’obligation de donner la date à laquelle on sera de nouveau convoqué. La question est de savoir si on attendra cette date en prison ou dehors. Pour en décider, le tribunal examine les « éléments de personnalité », c’est-à-dire des informations sur le travail, le revenu, le domicile… pour déterminer, d’une part, si l’institution judiciaire est assurée de retrouver le prévenu le jour de son procès et, d’autre part, dans la période actuelle, s’il risque de retourner en manif d’ici là.

    Lorsque l’on voit un avocat en GAV, il faut donc lui demander de contacter quelqu’un qui pourra lui faire parvenir des « garanties de représentation » : fiche de paye, avis d’imposition, facture prouvant la domiciliation, déclaration d’une association, etc.

    Comme beaucoup de prévenus arrêtés pendant ce mouvement travaillent ou suivent une scolarité et ont une famille ou une vie considérée comme suffisamment stable aux yeux des juges, ils ont été nombreux à être libérés dans l’attente de leur procès – mais toujours avec l’interdiction de manifester, et de se rendre à Paris pour les non-parisiens de banlieue et d’ailleurs, le tout assorti d’un contrôle judiciaire plus ou moins strict, c’est-à-dire une obligation de pointer au commissariat ou à la gendarmerie de sa commune entre une et trois fois par semaine.

     En comparution immédiate

     Malheureusement, très peu de gens refusent la comparution immédiate – tout le monde ne sait pas que les peines y sont souvent plus lourdes, et puis il y a toujours la pression des policiers qui font croire qu’en cas de refus on part forcément en détention préventive… mais surtout, l’envie d’en finir au plus vite, l’illusion qu’on en sera quitte avec une GAV et un rappel à la loi.

    C’est faux, mais dans ce mouvement ça marche à fond, d’autant que les interpellés viennent très souvent de loin pour manifester à Paris et qu’ils ont envie de rentrer chez eux. Ils reculent devant la perspective d’avoir à revenir pour un procès dans plusieurs semaines, alors qu’ils n’auront sans doute ni le temps ni l’argent.

    Tous les prévenus – à de très rares exceptions près – des comparutions auxquelles nous avons assisté étaient poursuivis pour le désormais fameux « groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences ». C’est devenu une sorte de socle commun pour ce mouvement, et pour cause : c’est un chef d’inculpation très très très pratique, puisqu’il permet au juge, quand il fait mine de vouloir reconstituer les faits, ainsi qu’au procureur dans son réquisitoire contre l’accusé, de mettre l’accent, soit sur le caractère collectif (groupement), soit sur l’intention (en vue de), soit sur les lieux où la personne est arrêtée (un endroit où des dégradations ou des violences ont été commises). Ce cocktail permet à la cour de poser des questions de tous types et cette succession de questions parfois anodines donne souvent l’illusion qu’elle cherche simplement à « établir la vérité », à « bien comprendre ce qui s’est passé », « ce que faisait l’accusé » etc. En réalité, le juge est en train d’accumuler en direct les charges suffisantes pour justifier la sentence que le procureur va requérir… alors même que le dossier monté par la police en GAV est la plupart du temps vide.

    « En vue de » : gare aux intentions

     Dans les procès auxquels nous avons assisté dans le néo-palais de justice de Paris, suite aux manifestations des 1er et 8 décembre, les magistrats ont invariablement commencé par demander pourquoi le prévenu était allé manifester et si c’était la première fois, pour vérifier si la personne était un « authentique Gilet jaune ». Ils se sont largement fondés pour cela sur sa profession et son salaire : pour les juges et les procureurs –pour certains avocats aussi d’ailleurs– le Gilet jaune travaille – mais il est précaire, artisan, ou exerce une profession indépendante. Il a des raisons de manifester… mais ce n’est pas un militant ; et puis, surtout, il n’a jamais été condamné auparavant – sauf, à la limite, pour un délit routier.

    S’il a un casier judiciaire, il bascule immédiatement dans la catégorie haïe du « délinquant d’opportunité » : il s’est glissé dans la manifestation pour profiter du chaos, piller et attaquer la police, et ses gestes n’ont rien à voir avec la colère – éventuellement – légitime des « authentiques Gilets jaunes ». Juges et procureurs sont rassurés de retomber sur leur gibier quotidien, et ils n’en sont que plus féroces et se permettent même de tancer le désigné « casseur » au nom de la crédibilité du mouvement. En bons bourgeois qu’ils sont, ils savent que l’ordre social repose en partie sur leur travail, qui consiste essentiellement à distinguer les bons pauvres des mauvais. Plus tu as chuté dans l’échelle sociale, plus tu as fait de prison, plus tu es paumé, moins tu mérites ta place dans ce mouvement de contestation. Comme toujours, si tu as fait de la prison, tu retourneras en prison, quant bien même elle serait directement responsable de ta misère actuelle.

    Passer l’examen d’« authentique Gilet jaune » avec succès ne suffit pas pour autant à laver le prévenu de toute « intention » malveillante. Elle peut s’être nichée dans un texto du genre : « Debout les amis, il est 5 heures, on monte à Paris, c’est la révolution. » Ou dans le matériel dont s’est équipée la personne : les protections témoignent de l’intention de se rendre dans un endroit où il y aura des gaz, « si vous le saviez, pourquoi vous y rendre ? » De même que ramasser une balle de flashball ou une grenade qu’on a reçue indique l’intention de la renvoyer sur les forces de l’ordre, etc.

     « Le groupement » : gare aux autres

     En gros, pour le proc, on n’est jamais « là par hasard » : si des gens cassent des vitrines ou jettent des cailloux sur les « forces de l’ordre » là où on est, c’est comme si on le faisait soi-même. En gros, notre présence, notre regard sur la scène (encore plus si nous la filmons) nous en rend complice.

    Le « groupement » peut être constitué dès lors qu’une vidéo montre le prévenu à proximité d’un groupe en capuches – qu’ils soient en train de dégrader quelque chose ou pas à ce moment-là. Il peut même être constitué grâce à une vidéo saisie dans un téléphone pour peu qu’on s’y adresse à un autre manifestant. Dans le cas où aucune image exploitable n’est disponible, le juge demande d’une voix rassurante : « Je cherche à bien comprendre ce que vous avez fait, donc dites-moi : quand vous êtes arrivés, il y avait des gens qui cassaient ? » ; et le prévenu répond, pensant que sa sincérité le protègera : « Oh oui, c’était vraiment le bordel ! Il y en a qui cassaient, mais pas moi ! » Le juge a réussi son coup : la personne a reconnu qu’elle s’est trouvée en compagnie de « casseurs ». Et un groupement de plus !

    Lorsqu’il n’y a vraiment rien dans le dossier, le juge peut s’appuyer sur un « PV d’ambiance » pour constituer le fameux délit de « groupement ». Ce drôle de truc, parfois aussi appelé « PV de renseignement », est un ramassis de considérations d’un agent X sur la situation dans un périmètre donné à un moment donné. Ce PV d’ambiance peut d’ailleurs remonter à deux ou trois heures avant l’arrestation.

    Enfin, il peut y avoir groupement même si la personne a été interpellée alors qu’elle rejoignait sa voiture avec un groupe d’amis, par exemple. Le juge demande d’ailleurs souvent si la personne est venue seule à la manifestation ; et si elle était accompagnée au moment de son arrestation.

    Bref, le « groupement « est LE chef d’inculpation fourre-tout qui permet l’arrestation et la condamnation de masse.

    Néanmoins, les seules relaxés ont été ceux qui ne devaient répondre que de ce seul chef d’inculpation. Certains avocats et avocates ont d’ailleurs bien compris qu’il faut le démonter à toute force et mettre à jour qu’il n’est rien d’autre qu’une remise en cause radicale du droit de manifester.

    Quant aux prévenus qui avaient en plus de ce chef d’inculpation des violences contre agent (avec ou sans dépôt de plainte de l’agent en question), des outrages, des vols ou du recel de marchandise volée, des dégradations de biens – sur la base de flagrants délits, d’aveux en GAV ou de vidéos (parfois filmées par eux-mêmes ou par leurs amis), ils ont tous été condamnés à des peines de prison. Assorties de sursis, ou même à du ferme, avec mandat de dépôt ou non, toujours selon les « personnalités ».

    Nous attendons d’avoir des retours de la part de ceux qui ont été incarcérés pour développer la question de la prison suite à ce mouvement.

    Nous vous invitons à vous rendre dans les tribunaux, à prendre des notes et à échanger avec les autres personnes présentes dans la salle, notamment si les familles des accusés sont là ; vous pouvez renvoyer vers et imprimer ces conseils :

    Quelques conseils pour se protéger en manifs et ailleurs

    SORTEZ COUVERT-E-S : se protéger en GAV

    Que faire quand un-e proche est incarcéré-e ?

     Vous pouvez envoyer comptes rendus de procès, commentaires, questions, informations sur d’éventuels comités de soutien et contacts de prisonniers qui voudraient des coups de main à :

    contact@lenvolee.net

    Twitter : @anticarceral

    Vous pouvez lire ci-dessous certains des comptes rendus des procès auxquels nous avons assisté ainsi que des compte rendus publiés sur différents sites collaboratifs d’informations

    A Toulouse :

    Retour sur les comparutions immédiates du lundi 10 décembre suite à l’acte IV

    Retour sur les comparutions immédiates suite à la journée de samedi 1er

    A Tours :

    Manifestation du 1er décembre : deux personnes condamnées à de la prison ferme et incarcérées

    A Marseille :

    Point sur répression depuis le 1er décembre

    Boucherie au tribunal : communiqué de la Legal Team sur les audiences du 10/12

    A Lyon :

    Comparutions immédiates du lundi 10 décembre 2018

    A Saint-Etienne :

    Rassemblement de soutien aux récent.e.s inculpé.e.s devant le palais de justice

    3 mois fermes pour vol : bilan des premiers procès de samedi

    A Avignon :

    A Paris :

    Appel à aller au TGI de Paris ces lundi 17 et mardi 18 décembre à partir de 13h30

    « A ce rythme-là, vous allez pouvoir mettre toute la France en comparution immédiate » – Récit de deux après-midi au TGI de Paris

    Réveillon au TGI des Batignolles, compte-rendu de compa le 24 décembre

    Témoignage d’une mère d’un Gilet jeune condamné à Paris

    Comptes-rendus d’audiences de comparutions immédiates consécutives à la manifestation des gilets jaunes du 1er décembre.

    Lundi 3 décembre, salle 6.04, de 14 à 20 heures, par M.

    Il y a pas mal de journalistes, comme on pouvait s’y attendre. La juge offre un beau numéro de condescendance de classe, enchaînant blagues et petites vannes aux prévenus qu’elle ne considère visiblement pas comme de mauvais bougres ; ça ne l’empêchera pas de les laminer au moment du verdict. Une heure après le début des audiences, la mairie de Paris fait parvenir à la cour une note dans laquelle elle dit qu’elle se constitue partie civile dans toutes les affaires ; demande finalement rejetée au motif que les parties civiles doivent se constituer nommément pour chaque affaire.

    Presque aucun prévenu ne l’est pour des faits caractérisés. La plupart comparaissent pour « participation à un groupuscule en vue de commettre des violences contre des biens ou des personnes », ou parce que les flics ont trouvé sur eux du matériel de défense : des gants, un plastron de moto, des genouillères, du sérum phy, des masques à peinture Casto, des lunettes de piscine, etc. Plusieurs ont été arrêtés avant d’arriver sur les lieux ; leur « participation » devient donc une « intention de participer » -ce qui ne changera rien aux peines distribuées.

    Parmi les inculpés de cette après-midi beaucoup ont déjà un casier judiciaire : conduite sans permis, accident de voiture, détention de shit. Tous les prévenus viennent de banlieue ou ailleurs en France mais aucun de Paris : Toulon, la Nièvre, l’Essonne, les Ardennes, St-Germain-en-Laye, le Blanc-Mesnil. Ils sont ouvriers ou artisans : deux maçons, deux tourneurs-fraiseurs, un soudeur, un inspecteur qualité, un cariste, un forgeron, un mécanicien, un technicien élec et un préparateur de commandes. L’un d’entre eux a fait la guerre du Kosovo, un autre est un ancien militaire condamné pour désertion. Il y a aussi un fils de flic. La plupart insistent sur le fait qu’ils n’ont rien contre la police, qu’ils ne sont ni d’extrême gauche, ni d’extrême droite, qu’ils n’avaient jamais fait de manif jusque-là, qu’ils condamnent les « casseurs ». Ils disent qu’ils ont bien retenu la leçon et n’iront plus jamais en manif.

    R. est accusé d’avoir participé à un « groupement » alors qu’il a été arrêté à 10h50 -avant de rejoindre la manif-, ainsi que d’avoir apporté un plastron, des gants et un casque de moto. Déjà condamné pour violences et conduite sans permis, il prend quatre mois de sursis et une interdiction de séjour à Paris de huit mois.

    S. : Les flics ont trouvé sur lui un casque de vélo qui viendrait du Décathlon pillé. Déjà condamné quand il était mineur pour incendie et vol de voiture, il prend trois mois avec sursis.

    J., D., G., M. et F. sont eux aussi accusés d’avoir participé à un « groupement » -alors qu’ils ont été arrêtés à 10h30, en descendant de leur voiture-, d’avoir été équipés de sérum physiologique, de lunettes, de masques à peinture, de gants et de petits pétards tout à fait légaux. L’un d’eux, qui a déjà un casier (suite à un accident de voiture), n’est pas éligible au sursis. Il prend trois mois ferme sans mandat de dépôt. C’est la plus grosse condamnation de l’après-midi ; il va faire appel. Les deux qui avaient des pétards sur eux prennent huit mois avec sursis, les deux qui n’en avaient pas en prennent quatre. Tous sont interdits de séjour à Paris pour un an. 

    J. est accusé d’avoir lancé un morceau de macadam sur les flics. Heureusement, lui n’accepte pas la comparution immédiate (c’est le seul). Il passera le 10 janvier à la 23e chambre correctionnelle, salle 3. D’ici là, il est placé sous contrôle judiciaire avec obligation de maintien à domicile (sauf pour se rendre au travail ou à un rendez-vous médical) ; interdit de séjour à Paris, il doit aller pointer toutes les deux semaines.

    F. est accusé d’avoir  participé à un « groupement« , d’avoir un sweat à capuche et des gants. Il est relaxé.

    A. a été arrêté à Bastille. Les flics l’ont fouillé alors qu’il descendait prendre le métro, et il avait un masque à gaz NRBC. Il est accusé de port d’arme de 1e catégorie, parce que c’est du matos militaire. Il est condamné à huit mois de sursis, avec interdiction de porter une arme -toutes catégories confondues- et de venir à Paris pendant un an.

    F. est accusé d’avoir participé à un groupement, d’avoir déplacé une barrière mobile et fait des pochoirs sur les murs. Il s’est pris des coups de matraque : cinq jours d’ITT, il a le visage complètement contusionné. Dans le PV d’interpellation, le flic précise qu’il ne fait pas partie des individus qui s’en sont pris à eux. Il est condamné à six mois de sursis et 500 euros d’amende pour les pochoirs « Marche ou crève », et huit mois d’interdiction de Paris.

    Mardi 4 décembre, salle 6.04, de 14 à 20 heures, par S.

    Aucun des prévenus âgés de 22 à 40 ans ne viennent de Paris : Jura, Alsace ou grande banlieue (Seine-et-Marne). Tous intérimaires ou chômeurs alors qu’ils ont un bac pro ou technique, ou le niveau BTS. Des déclassés des classes moyennes tombés dans la galère alors qu’ils ont fait tout ce qu’il fallait pour trouver un taf. Aucun n’est poursuivi pour violences. Juste parce qu’ils étaient présents avec du matériel (principalement défensif : lunettes, sérum physiologique, masques, gants), ils sont accusés d’avoir « participé sciemment à un groupement formé même de façon temporaire en vue de commettre des dégradations » et tout le blabla… un fourre-tout sorti de la dernière loi sécuritaire. Plus besoin d’actes de dégradation ou autres pour poursuivre : on juge une intention comme aux beaux jours de la loi anticasseurs. Petite modernization toutefois : les portables ont été analysés, et les textos ont valeur de preuve -à charge !

    Arrêté à 19h50 avec du matos défensif et une fronde, le premier prévenu ne connaît personne à Paris. Il a acheté un blouson 30 balles après l’attaque d’un magasin, alors on lui colle une poursuite pour recel. Relaxé pour le port d’arme, il prend douze mois dont six avec sursis sans mandat de dépôt et une interdiction de se rendre à Paris pendant un an.

    Le deuxième a été arrêté près de la Concorde à 17h25 alors qu’il traversait la place en courant ; les flics l’ont bloqué, ont fouillé son sac et trouvé le matos classique. Dix mois dont six avec sursis sans mandat de dépôt. Même s’ils sont aménageables, c’est 4 mois ferme quand même !

    Un troisième prévenu a été arrêté à 19 heures alors qu’il était arrivé sur Paris à 16 heures. Comme il ne connaissait personne, il a suivi un groupe et s’est retrouvé près du Palais des congrès –dont le directeur a porté plainte. Accusé d’avoir conduit un Fenwick, il est poursuivi pour le vol d’un engin de chantier avec lequel il aurait tenté de forcer les portes du bâtiment. Des vidéos le montrent bien à côté de l’engin, mais lui déclare qu’il a au contraire actionné le frein à main pour arrêter l’engin. Il avait 3 cailloux dans sa poche. Six mois avec sursis, et six mois d’interdiction de séjour à Paris.

    C’est ensuite au tour d’un gars venu d’Alsace avec un pote pour “voir de ses yeux”. Impressionnés par le speed de ce qui se passe autour, ils sont entrés dans un rade pour suivre le reste à la télé et se sont un peu bourré la gueule… sorti du rade, le mec passe un coup de bigo à sa copine, adossé à une vitrine. Enervé, il fout un coup de semelle dans la vitrine qui était déjà fêlée. À l’intérieur, le gérant appelle les condés qui le suivent, lui et son pote ; ils sont arrêtés quand ils sont en train de chercher un hôtel. Le gérant n’est pas présent à l’audience et ne s’est pas porté partie civile. Soixante jours amendes à 5 euros.

    Venu du Jura avec des potes, le cinquième à comparaître a dormi la veille chez sa mère avant de se retrouver à la manif. Il se mange une accusation de recel parce qu’on a trouvé sur lui des bouteilles d’alcool à son arrestation près d’un magasin Nicolas pillé. Sa GAV ne lui a été notifiée qu’à 23h25 alors qu’il a été arrêté à 20 heures. Le proc soutient qu’il a été arrêté à 23h25, parce qu’à cette heure-là, ça pétait dans le coin. Il prend trois mois avec sursis pour le recel des bouteilles. Il n’a pas participé à la manif mais exprime le désir de rencontrer les gens: il a acheté les bouteilles pour les partager, car “il aime les gens”. Visiblement ce n’est pas le cas du proc !

    Dans l’ensemble, le proc a eu la main lourde: il a plusieurs fois demandé de la prison ferme avec mandat de dépôt.

    Et si, la plupart du temps, il n’y a pas eu de mandat de dépôt et que ça semblait soulager les prévenus, il ne faut pas se faire d’illusion : c’est un peine ferme. D’une part ce n’est pas sure qu’elle soit aménagées et donc les accusés la feront peut être en prison ; et même si elle est aménagée, ils la feront, d’une autre manière mais ils la feront et cela pèsera dans leur vie.

    D’autre part, à l’échelle collective le fait de multiplier le ferme sans mandat de dépôt, ajoute un barreau intermédiaire à l’échelle des peines entre le sursis et le ferme ; ce qui veut dire que souvent, là où un proc aurait requis du sursis, il requiert du ferme.

    Les prévenus semblaient aussi accusés de soutenir le mouvement : plusieurs fois, un assesseur a demandé : « Et maintenant, quelle est votre position par rapport au mouvement ? ». Tous ont dit regretter, ne plus être solidaires, et qu’ils allaient suivre la suite à la télé. On peut constater que la zone « sécurisée » des Champs a eu une double fonction : contenir les manifestants tout en maintenant l’illusion du « droit fondamental de manifester », mais aussi servir d’indicateur de la volonté d’en découdre. Le proc a dit plusieurs fois: « Mais autour de vous, vous les voyiez, les violences… Vous auriez dû partir ! Si vous étiez un manifestant pacifique, vous auriez dû vous trouver dans la zone sécurisée. » Deux journalistes, dont une qui bosse à Radio France : « Non, mais c’est la récré : des frondes, des masques à gaz… -Le procureur à raison : c’est pas une manif, c’est l’émeute ! -La police a raison de mettre de l’ordre. »

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  • « L’OPPRESSION EST CONSTANTE » Lettre de Romain depuis la centrale de Condé sur Sarthe. Juin 2017

    « Avec cette lettre motivée, je viens à vous qui êtes à l’extérieur afin de faire entendre nos voix. Je suis un des détenus longues peines de France actuellement incarcérés dans une des maisons centrales ou quartiers maison centrale (QMC) telles que Valence, Réau, Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil. Ces nouvelles structures sont en fait des QHS (quartiers de haute sécurité) ou des QSR (quartier de sécurité renforcée). Les nouvelles prisons françaises sont copiées sur le format canadien, et se dirigent vers l’américanisation. Ces systèmes pénitentiaires ultra durs sont basés sur des fonctionnements répressifs et pervers. Nous sommes passés de personnes détenues à bétail. Certains diront aussi : cobayes. Nous ne sommes pas considérés comme des humains, ni des citoyens. Torture psychologique, psychique, voire même physique lors des fouilles à nu qui sont pourtant interdites et abusives. Je ne détaillerai pas concrètement car je ne suis pas un écrivain et pour ne pas vous fatiguer par une trop longue lecture, ni me perdre dans mes propos. Je souhaite, et nous souhaitons, attirer votre attention, à vous qui êtes dehors, car nous, à l’intérieur, nous sommes muselés, bâillonnés : la liberté d’expression en prison n’existe plus, alors que dehors des gens se battent et meurent pour cette dernière. Dans ces prisons dites modernes, chaque déplacement d’un détenu est accompagné par plusieurs surveillants. Minimum trois, voire cinq surveillants et plus, pour aller en promenade, au sport, à l’infirmerie, au parloir, etc. Toutes les portes nous sont fermées manuellement et électroniquement. Les escortes sont permanentes, l’oppression est constante. Nous sommes aussi des personnes, des humains : l’oppression, la frustration, la stigmatisation mises en place par la pénitentiaire, la sursécurité font que certains craquent parfois, et les rares fois où des violences sont commises sur le personnel, elles sont surmédiatisées par les syndicats FO et CGT pénitentiaire, nous faisant passer pour des gens dangereux, violents et mauvais aux yeux de la société. Mais nous, détenus, nous ne pouvons pas répondre face à ces accusations honteuses, voire certaines fois calomnieuses. J’affirme, et nous affirmons, que le peu de violence qu’il y a vient de ce système et de certains surveillants qui se bornent à l’appliquer outrageusement. Le mal-être est constant, grandissant, et les prisons sont au bord de l’implosion. Il est plus que temps de changer ce système archaïque. Les bâtiments sont neufs, et modernes, mais le fonctionnement et les règlementations internes sont indignes. Les années 1970-1980 sont finies, révolues, on est en 2017 ! La stigmatisation des communautés est systématique, le rassemblement des communautés ne leur convient pas. Par exemple, si je marche avec un détenu venant des DOM-TOM, c’est systématiquement parce que je cherche une lame ou un pic ; si je marche avec un détenu musulman, alors c’est que je suis sur la voie de la conversion. Si je marche avec un détenu venant du banditisme, alors c’est pour m’évader ou préparer un sale coup. Pour la pénitentiaire, chacun doit rester dans sa communauté. Cette montée vers le format carcéral américain va donner lieu à des gangs interracials. Moi par exemple, je ne suis pas sectaire, et j’aime partager avec les détenus qui n’appartiennent pas à la même communauté que moi – ce qui reste hors de question pour la pénitentiaire qui ne cherche qu’à nous parquer, et dans le même temps bafouer tous nos droits de citoyens français. Il y a tant à dire sur ces nouvelles prisons longues peines françaises, mais rien n’est aussi fou que de le vivre. J’ai commis des délits, parfois graves, j’ai des responsabilités, j’en paie la dette à la société. Étant privé de liberté, certes, je n’en reste pas moins un citoyen français avec ses droits. Madame, Monsieur, vous qui avez lu cette lettre, nous avons tout essayé pour nous faire entendre : recours administratifs, courriers au ministère, au Contrôleur des lieux de privation de liberté, à l’OIP, aux autorités responsables, des sit-in pacifiques, des mutineries, afin de dénoncer nos conditions de détention ; cela n’a rien changé, et parfois ça nous retombe dessus. Nous voudrions, si des personnes se sentent de nous aider, continuer à dénoncer les conditions de détention et les fonctionnements archaïques type QHS/QSR des établissements cités dans cette lettre. Alors multipliez les manifestations devant ces lieux et devant les ministères concernés. Avec médias à l’appui, comme eux le font systématiquement contre nous. Que les détenus se réveillent aussi, car cela ne va faire qu’empirer pour nos proches et nous-mêmes. Pour ma part, et ceux qui m’auront reconnu, je tiens à remercier L’Envolée, toutes les radios qui se préoccupent des détenus, ainsi que toutes les personnes qui se sont déplacées lors de mon jugement en appel à la mi-juin 2017. Je compte sur vous tous pour que cette lettre soit diffusée sur les radios, les réseaux sociaux, la télé même, les journaux ; qu’elle soit entendue et comprise de tous afin que la vérité éclate. Merci. »

    Romain L.

  • Toutes les luttes mènent à Boboch’

    C4Epd4XWAAA04Lj (Tant qu’il y aura la Justice, il n’y aura pas de paix)

    Tout y est : « Des banlieues à feu et à sang », « en ébullition »,  « la sécession de certains quartiers », « un risque de partition », et une dernière, en mode métaphore animalière : « les émeutiers marquent leur territoire »… La presse qui elle-même en avait un peu marre des affaires de pantins présidentiables se jette sur l’os et plonge la France dans l’angoisse avec son nouveau feuilleton policier. Objectif simple : ne surtout pas dire que ce qu’il se joue depuis le viol de Théo lors d’un « contrôle policier » est aussi,  une remise en cause inédite de la justice.

    Mêle-toi de tes affaires

    La gauche flippe, comme à son habitude quand elle doit gérer cet « électorat traditionnel »… qu’elle a perdu depuis longtemps. Elle claque des genoux d’un nouveau 2005, et plus encore de vraiment perdre ces élections déjà perdues. Ben oui, à force d’être déjà « en état d’urgence permanent » depuis deux ans, elle peut même plus sortir cette arme de dissuasion des masses – comme ses confrères de droite l’avaient fait en 2005. Alors Hollande tente un truc : il fait son Obama de dernière minute en posant pour la photo à l’hosto à côté de Théo ; on n’avait pas vu ça pour les proches d’Adama… Le FN, par le biais de son porte parole, voudrait quant à lui « interdire les troubles publics pour l’avenir »… Au delà du fait que cette phrase n’a aucun sens, c’est un très très gros mensonge. Il trépigne, le petit mari de Marine. Tout son parti fait des rêves humides de contagion brûlante. Il est déçu quand un expert quelconque – mesurant l’opinion qu’il fabrique – explique que « pour l’instant, c’est le thème de la lutte contre le terrorisme qui paraît le plus important quand on évoque les fonctions régaliennes auprès des français »On en a tellement fait en deux ans sur le terrorisme qu’il faut y aller franco pour revenir au petit quotidien sécuritaire. Marine Le Pen – entre des larmes de crocodile sur la Prom’  pour les victimes de l’attentat de Nice et un Vendée Globe sauce PNL dans son clip de campagne –, revient à ses premières amours : la défense de la police qu’il « faut armer moralement et matériellement ». Vous noterez l’usage du ré, alors qu’on a vu des flics cagoulard et armés manifester tout l’hiver, pénétrant même le périmètre interdit du palais de l’Élysée… Et puis, pour la route, histoire que nos amis les bêtes n’aient pas l’impression de travailler pour rien, elle y va d’un « 40 000 places de prison supplémentaires ».

    Fillon, trop empêtré dans la révélation de son petit biz’ familial, nous envoie son Ciotti de proximité pour faire du lien social sécuritaire. Ce sont des gamins qui mettent le feu à des poubelles – et jamais à une petite fille soit dit en passant, laquelle n’a jamais été sauvée par des flics, en prime – et tiennent tête à la police d’occupation ? Qu’à cela ne tienne : on se voit déjà « abaisser la majorité pénale à 16 piges », relancer « des tribunaux correctionnels pour mineurs », multiplier les centre éducatifs fermés. Une spéciale à Luis Voguel, maire LR de Melun : « ce n’est pas un hasard si ces incidents se déroulent en pleines vacances scolaires. Il faut lutter contre le décrochage scolaire dans ces quartiers »… Un truc que t’as pas capté, mon petit Louis ? S’il y a bien un moment pour décrocher de l’école, c’est les vacances, que tu vives dans un ghetto de riche ou dans un ghetto de pauvre. Quant à Macron – le pseudo outsider aux dents déjà longues –, il profite des légers problèmes de ses collègues de droite pour dégainer. Lui qui trouve le moyen d’être en tête des sondages alors qu’il n’avait rien poucav’ jusque là de son programme, il nous balance enfin un programme de… 15 000 places de prison supplémentaires ! Il reprend et cite officiellement le rapport que notre actuel ministre des tribunaux et des prisons, JJ Urvoas, avait sorti en septembre dernier. Pas bien original, l’Emmanuel, qui rajoute pour la saveur, une pincée de «tolérance zéro pour la délinquance » et une remise en cause du «principe d’automaticité de l’aménagement des peines inférieures à deux ans ». Comme si il n’y avait pas déjà des milliers de gens qui purgent des peines de moins de deux ans, en préventive par exemple.

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    Les mots sont salement importants

    Nous, pendant ce temps là, on ne va pas trop jouer – comme trop d’autres – à lire dans la boule de cristal. Mais on va quand même rappeler une obsession : les mots sont lourds de sens.

    Nous avons la brutale impression d’être replongés dans n’importe quel numéro de l’Envolée écrit entre 2005 et 2008 : dans le discours dominant, les enfants deviennent des « barbares» ; les manifestants, des « casseurs » ; les familles en deuil, des « boutte-feu victimaires » ; les tués par la police, des « délinquants au lourd casier judiciaire » ; les questions sociales, « des problèmes migratoires ou religieux » ; les quartiers populaires et misérables, des « zones de non droit » ; un viol lors d’une arrestation un « accident regrettable »… Alors, en toute logique, il faudrait que l’État puisse intervenir à la naissance, ou aux frontières, ou les deux, pour « prévenir la délinquance ».

    Tout cela, on le sait. Mais il y a un endroit où nous devons nous méfier, pour ne pas se faire à notre tour les agents de ces sournois glissements de sens : il n’y a pas « des violences policières », mais bien « la violence de la police ». Comme il n’y a pas « des violences faites aux femmes », mais bien « la violence patriarcale ». L’emploi du pluriel induit toujours – même involontairement – qu’il s’agit d’une succession d’actes isolés, individuels. Des bavures. Des dérapages, en somme. À l’inverse, dire : « la violence » et y ajouter « de la police », c’est affirmer qu’elle est structurelle, c’est à dire que l’ordre social en a besoin pour se maintenir, qu’elle est en un pilier, qu’elle est à la fois voulue et nécessaire. En un mot, elle est politique. Il ne peut donc pas être question de « moraliser » la police. La raison d’être de la police, c’est de produire la violence exigée par l’État pour se maintenir ; elle se doit d’être raciste, patriarcale, au service de la bourgeoisie.

    « Le contrôle qui s’opérait dans le rapport au travail s’étend dorénavant dans toutes les séquences de vie par la militarisation de l’espace. De l’exploitation ouvrière à l’asservissement des banlieues, les procédés sont les mêmes : c’est l’incorporation de la domination par les corps, où le policier joue dorénavant le rôle du contremaître. Le quadrillage par les mouchards, la hiérarchisation parallèle, les assignations sans motif, les insultes racistes qui étaient le lot quotidien de « l’usine de la terreur » dénoncée par les ouvriers de l’époque sont les mêmes mécanismes qui opèrent maintenant dans les « quartiers de la peur », comme le dit très justement le texte de Hugues  Bazin. « Résister à cette domination, c’est analyser l’humiliation avant tout comme une question politique décisive ». (1)

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    La rue c’est important, le tribunal c’est primordial

    Et malheureusement – et ce n’est pas pour le plaisir de jouer sur les mots – il faudrait qu’on parvienne à appliquer ce même type d’analyse à la justice. La justice, dans les faits, ce n’est pas qu’un mot, ce n’est pas un concept ou un idéal : c’est avant tout une institution. C’est à dire un rapport de force qui s’est institutionnalisé, l’état des rapports sociaux du moment, inscrit dans le marbre de la loi. La Justice sanctionne et valide l’ordre social dominant à un instant précis. La justice ne peut être pour Théo, ou pour Adama. La justice n’est là que pour l’État, et c’est bien normal : c’est sa seule raison d’être. Nul besoin de philosopher, d’ergoter sur la pertinence du concept-même de « justice », de se demander si elle est une étoile à poursuivre dans ce monde ou dans l’au-delà des croyants, ou encore quelle forme elle pourrait prendre dans un « monde post-révolutionnaire ». Ici et maintenant, la justice, ce sont des tribunaux, des peines de prison, des juges, des procs, des matons.

    Comme on peut le lire dans des compte rendus quotidiens publiés sur le net, ces jours-ci au tribunal de Bobigny, les bourreaux en robe noire n’ont  de cesse de le répéter quand ils condamnent lourdement les « émeutiers » : « La procureure rappelle encore une fois son amour pour les policiers, elle affirme à demi-mots son envie de faire des exemples » (2) (3) (4). Ils sont là pour ne pas faire le lien entre ce qui se passe dans la rue et le viol de Théo, ou l’assassinat d’Adama, ou tous les contrôles et humiliations que nous subissons tous les jours. Son travail, c’est précisément de dissocier ces histoires.

    Réclamer la justice – surtout à l’État –, l’appeler de ses vœux, l’invoquer, la prier, n’a donc finalement pas grand sens. Mais l’observer, la pointer, l’attaquer, non seulement ça a du sens, mais c’est de toute première nécessité. C’est là que s’enterrent les mouvements, c’est là que se réaffirme constamment la domination. Il n’y a de justice que de classe (comme la lutte). Il faudrait donc précisément taffer à l’empêcher de faire son travail, pour une fois, contrairement à ce que les chiens de garde de journalistes font dire à Théo sur son lit d’hôpital.

    Le rassemblement du samedi 11 février est historique à ce titre-là : des milliers de gens se sont rassemblés devant le tribunal du 93. Devant cette cité judiciaire où nous sommes des centaines de milliers à avoir été « entendus », c’est à dire humiliés, rabaissés, condamnés. Et encore plus nombreux à y avoir assisté à l’exécution semi-publique d’un gamin, d’un poto, d’un camarade… Ou bien encore à l’acquittement d’un flic qui a tué ou mutilé. Ce n’est pas par hasard que si peu de commentaires médiatiques ont insisté sur ce point fondamental : le rassemblement avait lieu devant un tribunal ! Pas dans Paname intra-muros mais en banlieue ; pas devant un commissariat ou devant l’assemblée nationale : devant un tribunal.

    « Tout le monde déteste la police » (car elle nous déteste tous) est devenu un slogan jouissif et largement partagé. Et si on se mettait à crier aussi « Tout le monde déteste la justice » (qui, elle, n’a même pas besoin de nous détester pour nous éliminer socialement) ? La rue c’est important, le tribunal c’est primordial. C’est là que la machine étatique nous individualise, nous met à l’ombre, nous vole nos proches, brise nos solidarités. C’est donc là avant tout qu’il faut se montrer solidaires. Et pourquoi pas, parfois, la bloquer. « En attendant mieux, nous demandons que les émeutiers soient acquittés. Pour qu’à leur quotidien déjà injuste ne s’ajoute pas la mort sociale ! La Justice arrive bien à acquitter des policiers qui ont tué », comme l’écrit Hanane Karimi dans un post FB repris par Street Press (5).

    Si vraiment quelque-chose a changé depuis 2005 et si, comme l’affirment certains témoignages à chaud de la journée du 11, le mouvement du printemps dernier a permis de partager quelques évidences, alors il est plus que jamais nécessaire de se rendre en masse dans et devant les tribunaux. À Bobigny, et partout ailleurs en France.

    Police partout ? Justice pareil.

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    #ToutleMondeDétestelaJustice

    #TMDJ

    L’Envolée

     

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  • ÉMISSION DE L’ENVOLÉE DU 06 JANVIER 2017

     

    • Courriers : Damien (MA de Fleury-Mérogis), Kamel (poème)
    • Invités : Les potes et frères d’Adama Traoré sont venus parler de leurs frères, des événements récents et de la mobilisation à Beaumont-sur-Oise.

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    • Tel : Christine nous raconte un peu sa sortie depuis dix jours et sa « liberté » retrouvée après quatre années de prison et de bagarre au quotidien avec l’administration pénitentiaire.
    • Invitée : Loubna, sortie de prison depuis cinq mois, condamnée pour avoir défendu un gamin face à la police.

    Zics : Demi Portion – Marre ; Dead Prez – Fuck the Law ; Berurier Noir – Manifeste ; Al & Casey – L’hiver est long


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