Mise à jour le 6 juin 2023 : Mohamed a enfin obtenu d’être transféré. Brice, un autre prisonnier du QI de Bourg-en-Bresse s’était mis en grève de la faim et de la soif depuis une semaine, il a été placé au mitard. Un rassemblement a eu lieu le 3 juin devant la prison, et un autre aura lieu le samedi 10 juin 2023 à 16h pour le soutenir et réclamer son transfert. Il est aussi toujours utile de contacter l’administration pour affirmer votre soutien. Des news dans la dernière émission de l’envolée à écouter ici et un résumé plus récent à lire là. Suivez les news sur les réseaux, par exemple sur la page FB » Infosprisonsursaintetienne « .
« MOHAMED DEMANDE LA LEVÉE DE SON ISOLEMENT ET LA FIN DE SA DÉTENTION PROVISOIRE Sa compagne appelle à faire connaître cette histoire et à faire du bruit autour. Soyons nombreux et nombreuses à contacter la direction du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse à l’adresse ci-dessous pour manifester notre soutien à Mohamed et notre vigilance face à cette situation alarmante ! Centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse 20, chemin de la Providence, BP 90321 01011 Bourg-en-Bresse (Téléphone : 04.26.16.10.00)
En détention provisoire, Mohamed est enfermé au quartier d’isolement (QI) de Bourg-en-Bresse depuis quinze mois. Il subit l’acharnement de l’administration pénitentiaire (AP) : disparition d’affaires, « gestion équipée-menottée », refus de soins médicaux… Accusé sans aucun fondement d’être le meneur d’un récent mouvement collectif contre les brouilleurs de téléphones portables, il est en grève de la faim depuis plus d’un mois pour demander sa sortie du QI et la fin de sa détention provisoire. Après s’être heurtée au silence assourdissant des institutions – jusqu’à la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté –, la compagne de Mohamed a décrit les faits à l’antenne de L’Envolée le5 mai 2023 ; elle a aussi parlé des violences et du mépris subis par les proches de prisonniers. On peut écouter l’entretien complet ici, et lire la retranscription intégrale de cette prise de parole sur Expansive info ; en voici des extraits condensés.
« Mon mari est incarcéré – injustement – et, depuis plus de quinze mois, il a été placé au QI. Il y a maintenant trente jours, il a entamé une grève de la faim, et je suis la compagne qui l’épaule dans sa descente aux enfers. Ils l’ont mis à l’isolement parce que dans son dossier, il était qualifié de meneur – c’était en 2010 ! Là on est en 2023, il y a eu des mouvements d’émeutes dans la prison contre les brouilleurs qui ont été installés pour couper les réseaux de téléphones [portables]. La mutinerie a duré plusieurs jours. [L’administration a] dû faire intervenir les Eris [équipes régionales d’intervention et de sécurité] : c’est comme des gendarmes casqués avec des boucliers. Quasiment toute la promenade a participé à cette mutinerie. Mon mari est resté en retrait du début à la fin, mais le directeur du bâtiment a décidé que c’était lui le meneur, qu’il devait donc être placé à l’isolement pour la sécurité de l’établissement. Comme il n’a pas participé, ils disent que ce serait lui qui aurait dit à tout le monde d’aller casser des brouilleurs, de frapper les surveillants… et que tous les détenus l’auraient écouté ! Il a déjà été placé au QI, puis au bout de six mois, il a réintégré le bâtiment, où il y a des bagarres, comme dans toutes les prisons, parce que les détenus sont tous sur les nerfs. Et par exemple il y avait une bagarre dans le couloir ou en salle de muscu – comme tous les jours -, même si mon mari était en promenade à ce moment-là, ils lui ont dit : « on va vous remettre à l’isolement parce que depuis que vous avez intégré le bâtiment, il y a trop de bagarres, donc c’est vous qui envoyez les gens se battre. » C’est incroyable, mais c’est vraiment ce qu’ils ont dit.
Les conditions d’isolement, c’est simple : ils sont isolés de tout le monde. Les seules personnes qu’ils voient, c’est les surveillants du QI et du parloir – quand ils en ont – ou l’infirmier. Sinon ils ne croisent personne, ils sont coupés de tout. Même en promenade, ils ont les grilles – comme des animaux en cage, quoi ! Aucun brin de liberté. Normalement, les promenades en prison, il y a des murs et des barrières, mais c’est ouvert en haut. A l’isolement, c’est tout fermé, quadrillé. Quand [les surveillants] voient que des voisins se parlent à la fenêtre, ils les changent [de cellule] pour qu’il n’y ait aucun lien, qu’ils soient vraiment tout seuls. Quand ils vont au parloir, les surveillants bloquent toute la prison. Tous les détenus qui ont parloir sont bloqués, et ceux du QI viennent tout seuls, un par un ; ils ne croisent personne à part nous et les surveillants.
Le lynchage judiciaire a commencé dès son placement en détention, et là c’est une horreur. Ils le harcèlent, clairement. Mon mari, quand il a été transféré, ils lui ont volé ses affaires, les surveillants. A Noël, on a le droit de leur faire entrer des kilos de choses qu’il n’y a pas en prison. Je lui avais mis des gourmandises, et des sachets de tilleul, parce que depuis qu’il est à l’isolement, mon mari a des insomnies. Comme ça l’aidait un peu dehors, je lui avais acheté et fait rentrer au moins 200 paquets de tilleul, le sac était énorme. Je reçois un appel de mon mari : « Tu n’as pas mis les sachets de tilleul, comment je vais faire, t’abuse ! – Mohamed, je sais très bien que je te les ai mis, j’ai tout noté ! » On était en train de se prendre la tête ; son voisin à l’isolement l’a entendu et lui a dit : « Tout à l’heure au parloir, j’ai vu des sachets de thé bleus dans la poubelle. » Le brigadier de l’étage a fini par dire aux surveillants de rendre les sachets de thé. Ça peut paraître rien, un sachet de tilleul, mais c’est énorme pour quelqu’un qui est en train de serrer dans sa tête, qui est à l’isolement, et moi ça me fait plaisir de pouvoir lui apporter cette sérénité… et même ça, les surveillants arrivent à nous le casser. Ils créent des tensions avec les seules personnes qui sont là pour eux. Ils lui font subir un acharnement, c’est du harcèlement, en fait. Et moi, parce que je suis la femme de Mohamed, c’est pareil.
Une fois, on a été bloqués pendant une heure dans l’entrée de la prison pour une alarme. J’étais enceinte, et sur la fin, en plus ; j’avais nulle part où m’asseoir : à part un tapis roulant et des portiques, il y a rien du tout. Je me suis assise sur le tapis ; à aucun moment ils m’ont demandé si ça allait. Il y avait des personne âgées, un gars en béquilles, le pauvre, des enfants… mais ils s’en foutaient, comme si c’était bien fait pour nous, parce qu’on venait voir des détenus ; comme si on était des moins que rien. Le chef venait de temps en temps demander aux surveillants si tout allait bien, mais à aucun moment il nous a calculé.
Je vis à 1 h 40 de Bourg-en-Bresse, c’est pas rien quand t’es enceinte. Je suis allée au parloir jusqu’au huitième mois de grossesse, parce qu’il était au QI et qu’il avait besoin de me voir, sinon c’est encore plus dur. C’est les compagnes, les mères et les femmes qui lâchent rien, en fait. On est là, et on se bat même si c’est dur aussi pour nous.
Quand il a commencé sa grève de la faim, il a fait un malaise ; l’infirmière est venue et a constaté qu’il n’avait plus de force. Il a refait un malaise, il a appelé, personne n’est venu. Ils sont venus au bout de trois heures. Le chef lui a dit : « De toute façon, on a reçu des directives strictes ; même si tu fais un malaise et que t’as besoin d’aller à l’hôpital, le week-end ou les jours fériés, on pourra pas te transférer à l’hôpital parce qu’il y a pas d’escorte disponible. » Il avait la gestion menottée et l’escorte : depuis qu’il a écrit à l’avocat, il ne les a plus pour tous les mouvements, mais toujours pour sortir de la prison : une voiture devant, une voiture derrière et une voiture de gendarmes. Il peut donc ne pas du tout avoir de soins. Samedi dernier, il a encore fait un malaise, il est resté par terre. Il a appelé les surveillants. Personne n’est venu. Il s’est relevé tout seul. Il a rampé jusqu’à son lit et il s’est allongé dessus.
[Sa revendication, c’est] la sortie du quartier d’isolement – et la sortie de prison, parce qu’il est en détention provisoire, et l’instruction est terminée ; donc il n’ont plus aucun argument. On sait très bien comment la détention provisoire est utilisée pour punir les gens. Dans cette histoire, il y a la responsabilité du directeur de l’AP, et aussi celle des juges. Si demain il arrive quelque chose à mon mari, ce sera de leur faute à eux. Il faut rendre cela public, faire du bruit… Mohamed a vu le docteur mardi dernier, il a perdu 12 kilos ! Il lui a fait un certificat de contre-indication de placement à l’isolement par rapport à son état de santé. Il a le certificat, il l’a donné, le docteur l’a donné au directeur. Quand il a eu le certificat, il a eu une petite once d’espoir : la sortie d’isolement, c’est rapide, parce que c’est une décision de la prison… Quand il a vu que c’était pas le cas, il a dit : « En fait, ils veulent pas me sortir de là ! »
J’en parle autour de moi, n’hésitez pas à relayer l’info, parce que s’ils se disent : « De toute façon il n’y a que nous qui savons », dans le pire des cas, s’il arrive quelque chose, c’est lui, quoi… Alors que si on fait du bruit pour dire : « Non, c’est votre faute ! Il est sous votre responsabilité ! Il fait la grève de la faim, c’est vous qui l’avez mis au QI, c’est vous qui ne voulez pas le sortir du QI, alors que vous savez son état de santé »…
Contre la censure de la parole des prisonnier.e.s, une discussion ensemble, une cantine partagée et un concert de Baro Syntax, Ratur,Sitou Koudadjé, et DJ Black Mirror, vendredi 21 avril à La Trotteuse à Pantin, métro Hoche à partir de 17h ! La prison tue, passe le mot !
Les matons fascistes de Nantes : deux communiqués vomitifs.
Une nouvelle lettre de Libre Flot du 30 mars, qui revient en long sur l’isolement, ce qu’il produit dedans puis dehors, quand on en sort. Cette lettre arrive juste avant une audience du 4 avril au tribunal administratif de Versailles suite aux recours qu’il a fait contre sa mise à l’isolement alors qu’il état en préventive. La mise à l’isolement était donc seulement un moyen pour le « faire craquer » ?
Une bonne nouvelle pour Vincenzo Vecchi : la Cour d’appel de Lyon déclare que le mandat d’arrêt européen à son encontre n’est pas applicable et refuse de le remettre aux autorités italiennes. Pourvu que ça dure !
Répression actuelle du mouvement social :
La répression brutale du mouvement contre la réforme des retraites et du weekend à Sainte Soline parviendra t-elle à diviser le mouvement ? Stratégie de la tension, division, terreur. Criminalisation des victimes, « en blesser 10 pour en faire fuir 1000 », en pire. Appel des Mutilé•e•s pour l’Exemple pour la marche du 9 avril à Toulouse ! Toutes les infos sur le site lesmutilespourlexemple.fr
La justice administrative des premières semaines sera t-elle bientôt relayée par des comparutions immédiates en masse ? Interdictions de manifester, arrestations préventives et arbitraires… 11 000 arrestations, le plus souvent sans suite, en tous cas pour le moment : la police tabasse, blesse, tue, arrête, met en GAV puis relâche avec des CRPC «comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ». Pour le moment…
Pour Alfredo Cospito, rendez-vous chaque mercredi à Euforie à Toulouse à 18h, et s’il venait à mourir, un rendez-vous est prévu le lendemain à 19h place Arnaud Bernard à Toulouse. De très nombreux rassemblements et points d’info sont tenus partout. Contre la prison et l’isolement, solidarité avec Alfredo Cospito !
Dans cette émission, on traite de la brutale répression en cours et on essaye de décortiquer la forme qu’elle prend, à quoi elle sert : la violence policière de rue ou des champs, adossée à ce qu’on appellera une « justice administrative ». Nous sommes obligés de traiter ensemble ce qui s’est passé à Sainte-Soline et ce qui se passe dans ce mouvement social. C’est le même monde qui est combattu ici et là et Darmanin a choisi de se saisir de l’un pour faire disparaitre l’autre. Sainte-Soline, la mise en scène du massacre annoncé semble être le point d’orgue et le point de retournement de l’opinion pour le ministère. Il nous dit à toutes et tous « je peux vous tuer ». Cette semaine la question se pose : cette stratégie de brutalité policière, cette stratégie de la tension, va-t-elle conduire à la dissociation escomptée par Darmanin ?
C’est important de traiter longuement de cette répression dans une émission contre les prisons pour plusieurs raisons évidentes : c’est un mouvement social contre la dégradation des conditions de vie sociale et environnementales, or on a un peu tendance à penser que ce sont bien la misère et des conditions de vie dégradées qui conduisent en prison tout le temps. Par ailleurs ce mouvement en particulier conduit et va conduire des gens en prison ; la limite politique des mouvements c’est bien souvent la peur de sa répression ; donc la comprendre c’est se donner quelques moyens d’y faire face ; de considérer « l’anti répression » comme un moment du mouvement, pas un après. Ce que les GJ avaient bien compris. Et puis enfin, pour une raison bien pratique : vous qui êtes dedans, quel regard pouvez-vous porter sur ce qui se passe à part sur BFM ? C’est donc à nous de tenter de combler les trous et d’essayer ainsi de construire un point de vue avec vous, de l’autre côté des murs.
L’Envolée est une émission radio pour en finir avec toutes les prisons. Elle donne la parole aux prisonniers, prisonnières et leurs proches & entretient un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur des prisons. C’est aussi un journal d’opinion de prisonniers, de prisonnières et de proches.
On manque de forces pour faire tourner l'émission radio comme on le souhaiterait en ce moment : que vous soyez prisonnier·e·s, proches, ou révolté·e·s contre l'enfermement et l'AP n'hésitez pas à nous contacteret à passer le mot !
Direct chaque vendredi de 19h à 20h30 sur FPP 106.3 en région parisienne. Rediffusions sur MNE 107.5 à Mulhouse, RKB 106.5 en centre-Bretagne lundi à 22h, Radio Galère 88.4 à Marseille le jeudi soir à 20h30, PFM à Arras et alentours 99.9 mardi à 21h30, Canal Sud 92.2 jeudi à 17h30 à Toulouse, L’Eko des Garrigues 88.5 à 12h le dimanche à Montpellier, Radio U 101.1 le dimanche à 16h30 à Brest, Radio d’Ici 106.6 à Annonay mardi à 21h30 et 105.7 FM & 97.0, à Saint-Julien-Molin-Molette dimanche à 20h, Radio FM 43 dimanche à 12h en Haute-Loire, 105.7 FM au Chambon-sur-Lignon, 102 FM à Yssingeaux et 100.3 FM au Puy-en-Velay, sur Radios libres en Périgord,en Dordogne, sur 102.3 FM à Coulounieix-Chamiers jeudi à 20het sur les webradios Pikez (dimanche à 11h) et Station Station (lundi à 13h), Podcasts disponibles sur toutes les plateformes !
Pour nous joindre : 07.53.10.31.95(appels et textos). Pour écrire : Radio FPP – L’Envolée, 1 rue de la solidarité, 75019 Paris, contact@lenvolee.net et surinstagram, twitter, facebook.
L’abonnement au journal est gratuit pour les prisonniers et les prisonnières. Le n° 56 vient de sortir, abonnez vous et vos proches enfermés !
Lettre du Gros, enfermé au centre de détention de Muret : il a appris qu’il avait une leucémie et galère à se faire soigner malgré la gravité de sa maladie
Réactions après la publication d’une « étude épidémiologique sur la santé mentale des détenus libérés » de la Fédération Régionale de Recherche en Santé Mentale
Débat autour de l’annonce de la « revalorisation du statut » des matons par le ministère des tribunaux et des prisons
Musique : Organise – Asake, La Caccia Alle Stregue (La Violenza) – Alfredo Bandelli, I Fought The Law – The Jolly Boys, Prison Song – Carlton Williams
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Lettre anonyme qui témoigne de la saisie du numéro 56 : « C’est abusé, dès que L’Envolée retransmet un procès de matons, ils censurent le numéro… Vous les touchez là où ça leur fait mal ! »
Lettre d’En deçà du réel : « Vous voulez interdire, censurer [L’Envolée] car vous connaissez la puissance des mots qui reflètent la vérité. »
Christine raconte les initiatives dans toute la France pour empêcher les constructions de nouvelles prisons. Le dernier « plan prison » prévoit la construction de 15 000 nouvelles places. Depuis plusieurs années, des collectifs s’organisent pour les contrer, comme les rencontres pour partager la niak et les idées : rendez-vous à Toulouse ce weekend, et ce printemps à Entraigues mi-avril ! On peut aussi retrouver le collectif Crève la taule 84 dans leurs émissions de V’la la gamelle sur radio Aïoli, sans oublier l’émission anticarcérale des potes de Marseille, sur radio Galère, La Courte Échelle
Un an depuis la mort de Théo Sahna à Fresnes : un message de sa veuve et un retour sur sa mort suspecte qui reste sans réponse, comme tant d’autres. La prison tue, encore et toujours. De plus en plus de familles se battent contre la violence d’état et imposent le sujet.
C’est le retour de la chronique santé et prison de Coco autour de la Journée de solidarité avec les personnes trans, non-binaires et intersexes incarcéré.e.s, le 22 janvier.
Musique : Smells Like Teen Spirit – Blue Mode, Kwaku the Traveller – Black Sherif, Méthode Rouge – Vïrus x Al’Tarba, Soledad – El Combo de los Galleros, Prison Song – Carlton Williams, Arrête Mal Parlé – Fair Nick Star.
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Nous relayons ce communiqué diffusé à l’occasion du 10 décembre, la « journée internationale des droits de l’homme ». Le livre de Kamel Daoudi, « je suis libre, dans le périmètre que l’on m’assigne », est dispo par ici. (gratuit pour les enfermé·e·s, contactez-nous !)
En cette journée internationale des droits humains, cette tribune souhaite dénoncer l’impact sur sur tout un chacun, des mesures d’assignation à résidence prises par les autorités françaises au travers de la situation individuelle paroxystique de Kamel Daoudi, assigné à résidence et obligé de pointer plusieurs fois par jour au commissariat depuis maintenant plus de 14 ans. Ces privations lui interdisent la possibilité de travailler et de vivre normalement avec sa famille, le plongeant ainsi dans une situation de précarité économique et sociale évidente. Nous dénonçons ce qui apparaît très clairement comme un régime de privation de liberté constitutif d’une atteinte à l’état de droit.
Cet état de privation de liberté a été soumis à la discrétion de l’autorité publique, sans limite dans letemps, ni intervention du juge de la liberté et de la détention (JLD). En somme, Kamel Daoudi pourrait rester sous ce régime de privation de liberté jusqu’à la fin de sa vie. Condamné pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste en France pour un projet qui lui a été imputé qu’il a toujours contesté, il a purgé sa peine de prison, et reste pourtant sous le coup d’une interdiction définitive de territoire français inapplicable. Une privation de liberté contrôlée par l’administration sans limite de temps. Ce genre de cas permet à l’administration de priver ou restreindre la liberté de personnes de manière illimitée dans le temps.
Kamel Daoudi déchu de sa nationalité française en 2002 est considéré par la France comme un étranger mais ne peut pas expulsé du territoire, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ayant donné suite à la requête de M. Daoudi en prononçant l’impossibilité pour la France de l’éloigner vers l’Algérie (son pays de naissance qu’il a quitté à l’âge de 5 ans).
En effet, M. Daoudi y risque des traitements dégradants et inhumains au sens de la convention européenne des droits humains. Par ailleurs, toute sa famille réside en France et il n’a plus aucune attache avec son pays de naissance depuis plus de 42 ans. Kamel Daoudi est donc assigné à résidence administrative depuis le 25 avril 2008, subissant l’application d’un régime d’exception permettant à l’administration, sans aucune intervention du JLD, « jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de [son] éloignement. » (L.561-1 du CESEDA). Cette « perspective raisonnable d’exécution de son éloignement » n’étant pas possible au vu de la décision de la CEDH, cela confère à ce régime d’assignation à résidence un caractère perpétuel. Kamel Daoudi pourrait donc rester jusqu’à la fin de sa vie dans ce régime de privation de liberté. Une décision prise sur des motifs flous à interprétation large. Cette décision d’assignation à résidence repose sur le CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile) et s’appuie sur la notion de « trouble à l’ordre public », une notion à très large spectre d’interprétation et potentiellement arbitraire.
Amnesty international dénonce depuis des années l’assignation à résidence de Kamel Daoudi, alors que la justice n’a plus rien à lui reprocher. Cette situation porte atteinte à ses droits fondamentaux, y compris son droit à travailler ou son droit à la vie privée et familiale.Cette situation est en outre maintenue par le ministère de l’intérieur maintenant Kamel au milieu d’enjeux politiques dépassant largement sa personne. Plus largement, cette notion de « trouble à l’ordre public » peut tout à fait, selon les interprétations s’appliquer à des militant.e.s œuvrant contre les intérêts du gouvernement en place. La frontière est fine pour que les motifs fondant l’application de ces régimes de privation de libertés soient applicables à d’autres situations pouvant être jugées par l’autorité publique comme risquant de troubler l’ordre public.
L’assignation à résidence n’est pas le seul dispositif de contrôle et de surveillance, elle fait partie d’un arsenal juridique répressif qui va de la perquisition administrative, jusqu’à l’interdiction de paraître dans certains lieux. Des exemples récents nous l’ont encore montré, des décisions de ce type ont été prises contre des militants écologistes lors de la COP 21, des syndicalistes ou encore des supporters de football. Une décision qui s’inscrit dans un mouvement d’intégration des régimes d’exception dans le droit commun.
Plusieurs régimes d’exception ont été mis en place ces dernières années et ceux-ci ont donné lieu à une transposition de cette législation d’urgence dans le droit commun. L’état d’urgence en réaction aux attentats de 2015 et prorogé plusieurs fois jusqu’en 2017 a permis l’entrée en vigueur de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme reprenant de façon substantielle, ce régime d’exception.
La situation exceptionnelle et excessive à laquelle sont confrontés Kamel Daoudi et sa famille est devenue la règle pour un ensemble de décisions de privations ou de restrictions de libertés potentiellement applicables à toute personne vivant sur le territoire français, étrangère ou française.
* * *
Nous dénonçons donc à travers cette situation l’ensemble des atteintes à l’état de droit produit par la délégation de l’exécution des peines à l’autorité publique. Par son lien étroit avec les enjeux politiques, l’autorité publique ne peut être en aucun cas garante d’une justice équitable. Nous considérons que l’assignation à résidence est une privation de liberté et qu’une personne sous le joug d’une telle décision doit être en mesure de voir les conditions de cette privation, contrôlées par le Juge des Libertés et des Détentions. Nous dénonçons l’ensemble des dérives juridiques de la lutte contre le terrorisme, imprégnant les personnes d’une tache indélébile de nature à justifier toute forme d’atteinte à leurs libertés fondamentales.
Nous dénonçons l’entrée dans le droit commun et la massification de ces décisions privatives de libertés souvent basées sur le principe flou de « trouble à l’ordre public » de plus en plus appliquées à n’importe quelle personne française ou étrangère exerçant des droits fondamentaux comme celui de manifester et bien d’autres.
Collectif de Défense des Libertés Publiques France, le 10 décembre 2022
Émission de l’Envolée du vendredi 25 novembre 2022
Rencontre avec Aurélie Garand, autrice de « Depuis qu’ils nous ont fait ça » qui est sorti en librairie le jour de l’émission ! Son frère Angelo a été abattu par le GIGN pour ne pas avoir réintégré la prison après une permission de sortie d’une journée au titre du « maintien des liens familiaux », le combat judiciaire a été vite balayé, mais Aurélie continue à se battre « pour les vivants » ! Dans son livre, elle décrit l’engrenage carcéral dans lequel était piégé son frère, tombé dès l’enfance dans les mains de la justice, qui a multiplié les petites peines de prison et n’était plus, aux yeux de l’État, qu’un délinquant, un problème à régler.
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Notre bouquin pour troubler la fête du quarantième anniversaire de la prétendue abolition de la peine de mort est sorti ! Une manière parmi d’autres, que nous espérons nombreuses, de faire entendre quelques voix dissonantes dans l’écœurante auto-célébration du pouvoir.
Ce livre réunit des paroles de prisonniers, de prisonnières et de proches publiées dans le journal depuis sa création en 2001 qui nous rappellent avec force qu’en réalité c’est seulement la guillotine qui a été supprimée en octobre 1981.
Il est disponible dans toutes les bonnes librairies et sur la boutique de nos ami·e·s des éditions du bout de la ville.
Il est gratuit pour toutes les personnes enfermées : écrivez-nous à contact@lenvolee.net pour que nous puissions le faire parvenir à vos proches emprisonné·e·s !
Le livre d’Aurélie Garand est bientôt partout en librairies ! On en profite pour vous inviter aux prochaines présentations de son livre, mais aussi à la Cantine de soutien au Réseau d’Entraide Vérité et Justice à Paris ! Important : le livre est gratuit pour les enfermé⸱e⸱s, contactez-nous !
Pour + d’infos, cliquez sur l’image !
« Quand quelqu’un essaye de s’évader de prison, les matons ont le droit de lui tirer dessus. Pour Angelo, il faut croire qu’ils ont laissé le GIGN prendre le relais. Après l’avoir laissé sortir, ils ont raconté partout que c’était un évadé, mais moi j’appelle ça un déserteur. Il ne voulait pas crever dans leur prison de morts.Toute sa vie d’adulte, il aura été un condamné. Depuis qu’ils nous ont fait ça, ils n’ont plus le contrôle sur lui. Il n’est plus un numéro d’écrou. Bientôt, il ne sera même plus un numéro de dossier en cours. Il restera pour toujours Angelo Garand, mon frère. »
Le 30 mars 2017, Angelo Garand, qui appartient à la communauté des Voyageurs, est abattu de cinq balles par une équipe du GIGN sur le terrain de ses parents, dans le Loir-et-Cher. L’équipe intervenait pour le ramener à la prison de Poitiers-Vivonne où il purgeait une peine pour vol : quelques semaines plus tôt, il n’était pas rentré de la permission de sortie d’une journée qui lui avait été accordée. Il n’était pas armé.
La famille Garand sait que les membres du GIGN mentent quand ils invoquent la légitime défense. Aurélie prend publiquement la parole, quelques heures plus tard, pour le hurler à la face du monde. Commence alors pour elle et les siens un combat âpre et désespéré pour que la vérité soit reconnue par la justice. Cinq ans plus tard, tous les recours sont épuisés : les tueurs ne seront jamais inquiétés, leur version des faits pour toujours reconnue.
Aurélie Garand, quant à elle, habite toujours sur le terrain de ses parents, à une dizaine de mètres à peine de la remise où Angelo « a été exécuté ». Elle est convaincue que la mort de son frère n’est que l’aboutissement d’une trajectoire tracée depuis bien longtemps : tombé dès l’enfance dans les mains de la justice, pris dans « l’engrenage carcéral », il a multiplié depuis les petites peines de prison et n’était plus, aux yeux de l’État, qu’un délinquant, un problème à régler. Mais son destin tragique remonte peut-être à plus loin encore, dans la construction ancestrale de la figure du Voyageur, coupable et perdu d’avance.
Elle signe un texte sec, fiévreux, d’une pudeur bouleversante, qui mêle récit de lutte et souvenirs de sa « vie d’avant », qui rend un hommage exigeant à son frère et à sa communauté,qui affirme un point de vue acéré sur la justice, la prison, les violences d’État, et qui prône avec force l’indispensable solidarité entre « tous ceux qui sont pris dans la cible ».
Samedi 26 novembre 2022, 12 h, à la cantine des Pyrénées,77 rue de la Mare,Paris XX : Repas de soutien au Réseau d’entraide Vérité et justice suivi d’une rencontre avec Aurélie Garand, Awa Gueye et Fatou Dieng qui ont toutes trois perdu leur frère dans les mains des forces de l’ordre et luttent depuis contre les violences d’État.
Long entretien téléphonique avec Kamel Daoudi, assigné à résidence depuis 2008, qui nous raconte cette forme particulière d’enfermement à l’extérieur, entre vengeance d’Etat, arbitraire administratif et dispositif destiné à s’étendre. Cela fait vingt et un ans que Kamel est enfermé. D’abord, sept ans de détention dont quatre de préventive pour une fumeuse association de malfaiteurs à visée terroriste pour laquelle il a toujours nié toute participation (il était pendant son incarcération correspondant régulier du journal), puis quatorze à l’air libre mais sous assignation. Forcé de déménager du jour au lendemain au gré des décisions ministérielles, séparé de ses proches, contraint de pointer chaque jour à la gendarmerie, il se débat dans un labyrinthe administratif. Le 22 juin dernier, la cour d’appel de Paris a rejeté une nouvelle requête en relèvement de son interdiction définitive du territoire français, le condamnant à continuer de supporter l’absurdité de sa situation.
Musiques : Daniel Waro – La Mauvaise réputation / Lee Perry – Kotch up Dub / Vîrus – Impressions de promenade / La Rumeur – Un chien dans la tête / Charles Wright – Express Yourself / Carlton Williams – Prison Song
L’Envolée est une émission pour en finir avec toutes les prisons. Elle donne la parole aux prisonniers, prisonnières et leurs proches & entretient un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur des prisons. C’est aussi un journal d’opinion de prisonniers, de prisonnières et de proches.
On manque de forces pour faire tourner l'émission radio comme on le souhaiterait en ce moment : que vous soyez prisonnier·e·s, proches, ou révolté·e·s contre l'enfermement et l'AP n'hésitez pas à nous contacteret à passer le mot !
Direct chaque vendredi de 19h à 20h30 sur FPP 106.3 en région parisienne et MNE 107.5 à Mulhouse, RKB 106.5 en centre-Bretagne lundi à 22h, Radio Galère 88.4 à Marseille le jeudi soir à 20h30, PFM à Arras et alentours 99.9 mardi à 21h30, Canal Sud 92.2 jeudi à 17h30 à Toulouse, L’Eko des Garrigues 88.5 à 12h le dimanche à Montpellier, Radio U 101.1 le dimanche à 16h30 à Brest, Radio d’Ici 106.6 à Annonay mardi à 21h30 et 105.7 FM & 97.0, à Saint-Julien-Molin-Molette dimanche à 20h et sur les webradios Pikez (dimanche à 11h) et Station Station (lundi à 13h). Podcasts disponibles sur toutes les plateformes !
Pour nous joindre : 07.53.10.31.95(appels et textos). Pour écrire : Radio FPP – L’Envolée, 1 rue de la solidarité, 75019 Paris, ou encore àcontact@lenvolee.net et surinstagram, twitter, facebook.
Notre bouquin pour troubler la fête du quarantième anniversaire de la prétendue abolition de la peine de mort est sorti ! Une manière parmi d’autres, que nous espérons nombreuses, de faire entendre quelques voix dissonantes dans l’écœurante auto-célébration du pouvoir.
Ce livre réunit des paroles de prisonniers, de prisonnières et de proches publiées dans le journal depuis sa création en 2001 qui nous rappellent avec force qu’en réalité c’est seulement la guillotine qui a été supprimée en octobre 1981.
Il est disponible dans toutes les bonnes librairies et sur la boutique de nos ami·e·s des éditions du bout de la ville.
Il est gratuit pour toutes les personnes enfermées : écrivez-nous à contact@lenvolee.net pour que nous puissions le faire parvenir à vos proches emprisonné·e·s !
Des prisonniers et des proches nous ont informés que dans plusieurs prisons, des surveillants sont intervenus pour confisquer le dernier numéro de L’Envolée :le no 55, paru en mai 2022 ; ils sont même allés jusqu’à la fouille de cellule en cas de refus… Nous découvrons ainsi qu’une note interne de la direction de l’administration pénitentiaire (AP) interdit – au nom du garde des Sceaux – la lecture de ce numéro à toutes les personnes détenues à cause de l’article « Distribution de permis de tuer au tribunal de La Rochelle » ; il contiendrait en effet des « propos diffamatoires à l’égard de l’AP […], ainsi qu’à l’encontre des personnels pénitentiaires dont elle assure la formation ».
Cet article, que nous republions ici, n’est pourtant que le récit du procès auquel nous avons assisté au tribunal de La Rochelle fin du novembre 2021. Sept surveillants y étaient jugés pour leur responsabilité dans la mort par étouffement de Sambaly Diabaté en août 2016 à la prison de Saint-Martin-de-Ré. La note de l’AP pointe certains passages où elle voit « des propos alléguant que l’administration pénitentiaire enseigne à ses personnels des gestes professionnels portant atteinte à la dignité de la personne humaine, qualifiés par l’auteur de l’article d’ « arsenal habituel » et d’ « horreur tellement banale et généralisée » tels que « étranglement, pliage, pose de bâillon »… » Les auteurs de cette note s’inquiètent en outre de la gratuité du journal pour les prisonniers et prisonnières et de sa « large diffusion » qui seraient « de nature à engendrer un retentissement important auprès des personnes détenues ».
C’est la deuxième fois en deux ans qu’un numéro de L’Envolée est ainsi interdit en détention ; le précédent – le n°52 – avait en prime fait l’objet d’une plainte pour diffamation – dont on reste sans nouvelles à ce jour. Ce qui avait alors justifié l’interdiction, c’était tout un dossier… qui portait déjà sur les violences pénitentiaires et les morts « suspectes ». C’est on ne peut plus clair : l’AP entend faire taire celles et ceux qui osent soutenir que les pratiques de ses agents mettent en danger l’intégrité physique des personnes dont ils ont la charge – alors que c’est hélas une évidence pour tous les premiers concernés –, et que cette violence est constitutive de la prison. Ces interdictions à répétition et leur pénible cortège de saisies en cellule visent également à mettre la pression aux abonné·e·s de l’intérieur et à dissuader les autres enfermé·e·s d’entrer en relation avec L’Envolée ou de recevoir le journal. Il est scandaleux que nos abonné·e·s subissent de telles intimidations, et nous étudions tous les recours envisageables avec nos avocats.
L’équipe tient à exprimer son inquiétude à propos de ces mesures « sécuritaires » : il s’agit en fait bel et bien de censurer un organe de presse qui entend servir de porte-voix aux prisonniers et aux prisonnières et leur permettre d’échanger informations et points de vue. Si le journal ne pouvait plus rentrer en détention, il perdrait toute raison d’être, et les personnes enfermées se verraient privées d’un des rares moyens dont elles disposent pour dénoncer ce qu’elles subissent derrière des murs toujours plus impénétrables.
Il n’y a pas de « diffamation » dans cet article : il montre simplement comment l’administration pénitentiaire et la justice travaillent main dans la main pour protéger les surveillants les plus violents, même quand ils tuent un homme. Nous vous demandons de le relayer le plus massivement possible. La machine d’État ne fera pas taire L’Envolée ; elle ne réduira pas au silence les prisonniers et les prisonnières, qui ont raison de se révolter.
Distribution de permis de tuer au Tribunal de La Rochelle :
Procès des surveillants responsables de la mort de Sambaly Diabaté à la centrale de Saint-Martin-de-Ré
Du 29 novembre au 1er décembre 2021, nous étions au tribunal correctionnel de La Rochelle pour soutenir la famille de Sambaly Diabaté au procès des matons responsables de sa mort à la prison de Saint-Martin-de-Ré le 9 août 2016. Sept surveillants devaient répondre de chefs d’accusation dérisoires au regard des faits, de l’homicide involontaire à la non-assistance à personne en danger. Sambaly est mort d’asphyxie après une agonie de trente-cinq minutes, les pieds entravés, les mains menottées dans le dos, bâillonné avec une serviette, écrasé sous le poids de quatre ou cinq matons en permanence quand il n’était pas transporté à l’horizontale. Le procès – inédit puisque des matons devaient pour une fois répondre de la mort d’un prisonnier – nous a confirmé une nouvelle fois qu’avant même l’arrivée d’un quelconque appareil ouvertement fasciste au pouvoir, arbitraire, déshumanisation, brutalité et permis de tuer sont déjà bien installés, et particulièrement derrière les hauts murs des prisons.
Le rendu du procès est tombé le 27 janvier 2022. Trois peines de douze à vingt-quatre mois de sursis ont été prononcées contre les surveillants qui ont directement étouffé Sambaly, reconnus coupables d’un « homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence » : Pascal Rinjeonnaud, deux ans ferme avec sursis simple, Stéphane Lefebvre, dix-huit mois avec sursis simple, et Remy Cormier, dix-huit mois avec sursis simple également, peuvent continuer leur sale boulot à Saint-Martin-de-Ré. Seul accusé de « violences volontaires », Jean-Paul Ducorneau prend un an avec sursis simple assorti d’une interdiction d’exercer et de porter une arme pendant cinq ans. Les trois accusés de « non-assistance » sont purement et simplement relaxés.
Au pays de la matonnerie…
Saint-Martin-de-Ré est une très vieille prison, un ancien bagne insulaire au large de la proprette ville bourgeoise de La Rochelle. Là-bas, on est surveillant de génération en génération : dans le coin, juges, flicaille et matonnerie ont coutume de laver leur sale linge en famille. Le tribunal correctionnel de la ville, qui d’ordinaire prononce des peines purgées pour une grande part à Saint-Martin et « confie » donc en flux continu des prisonniers à ses surveillants, est aussi celui qui statue sur les affaires internes à la prison – dans l’écrasante majorité des cas, pour rajouter des peines intérieures. La détermination des proches de la victime et le suicide de deux des nombreux surveillants qui avaient assisté à l’intervention fatale ont dû contribuer à ce que la justice se saisisse de cette affaire, histoire de pas trop avoir l’air de s’en moucher du coude. Comment croire en effet que les violences commises à la centrale ne parviennent jamais jusqu’aux oreilles des flics et des juges ?
En 2011 déjà, le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) signalait qu’une bande de matons particulièrement brutaux faisaient la loi sans se soucier de la direction ni du règlement intérieur. Dans le documentaire À l’ombre de la République sorti en 2012, on voyait Letanoux, le directeur de l’époque, déclarer face caméra qu’effectivement sévissait à Saint-Martin-de-Ré une équipe de surveillants incontrôlables. De retour en 2017, le CGLPL pointait encore « un personnel en poste violent et aux propos inadmissibles ». C’est dans ce contexte nauséabond de racisme sans fard et de toute-puissance des porte-clefs que Sambaly Diabaté a été tué.
Des chiens de garde enragés
Le 9 août 2016, extrait de sa cellule, Sambaly Diabaté refuse de passer sous le portique de sécurité. Georges Guéneau – premier surveillant, dit « Gros-Georges » par ses collègues – l’agrippe par l’épaule pour le forcer à passer. Sambaly résiste. Gros-Georges, 90 kg – contre les 73 de Sambaly à l’autopsie – le plaque au mur avant de le précipiter au sol avec l’aide de ses collègues. Tout le monde se met sur le dos du prisonnier récalcitrant. Alors que le Gros tente une clef d’étranglement, Sambaly le mord à la main pour se dégager ; c’est le point de départ d’un interminable déferlement de violence qui se soldera par la mort de Sambaly Diabaté une demi-heure plus tard.
Des prisonniers témoins de cette première scène ont décrit les nombreux coups portés à Sambaly déjà immobilisé au sol tandis que Gros-George était emmené à l’infirmerie. Aucun d’entre eux ne sera entendu à la barre. Il n’y a que la parole des agents de la pénitentiaire qui vaille ; c’est la seule respectable, forcément vierge de tout mensonge. Les bandes vidéo qui auraient permis d’y voir plus clair ont commodément disparu – malencontreux incident des plus fréquents dans ce genre de circonstances. À la barre, les matons nient tout naturellement avoir porté le moindre coup, préférant insister sur la peine qu’ils ont eu à maîtriser un prisonnier déchaîné – si, si, même a plusieurs contre un ! Et puis surtout, surtout, la hantise de se faire mordre à leur tour ; ils ne voient plus en lui qu’un enragé. On va pas se mentir : ce n’est évidemment pas la trouille qui les animait, mais bien la rancune corporatiste. Il fallait venger George Guéneau, supérieur hiérarchique dont il vaut mieux se faire bien voir, d’autant qu’il est vraiment pas commode et foutrement balaise. Soit dit en passant, on aurait bien aimé l’entendre, « le gros Georges », mais personne n’a jugé bon de le convoquer au tribunal pour qu’il donne sa version… C’est un des – nombreux – grands absents de ce procès.
Pour bien faire comprendre à Sambaly que mordre, c’est mal, l’ingénieux surveillant Pascal Rinjeonneaud, genou planté entre les omoplates de Sambaly, prend une initiative : il ordonne qu’on lui ramène des chiottes une serviette sale qui sert d’essuie-mains ; il la passe dans la bouche du prisonnier, fait le tour de sa tête et la tire à deux mains jusque derrière sa nuque. Il ne relâchera son emprise que quelques dizaines de minutes plus tard à cause des crampes, le temps d’essayer de remplacer par du scotch ses pauvres mains endolories. Mais il renonce vite à son bricolage, et serre de plus belle. Non seulement il ne conteste pas les faits, mais quand chacune des parties présentes lui demande de répéter, il confirme, tenant toutefois à préciser qu’il préfère qu’on parle de « mors » plutôt que de « bâillon » ; drôle de nuance, comme pour bien préciser qu’il traite en animal le détenu dont il a la charge. Grand naïf, il ignorait alors que le bâillonage était interdit. Et à la question : « comment pouviez-vous être certain que M. Diabaté pouvait encore respirer ? », il répond sans se démonter qu’il vérifiait régulièrement, par « contrôle visuel », que les narines n’étaient pas obstruées. Il va jusqu’à prétendre que s’il a bien pris soin de lui enrouler la serviette autour de la tête, c’était pour le protéger contre les chocs éventuels. Ni regrets, ni excuses – même feintes. Sale type. Médiocre et glaçante incarnation du fascisme.
Les surveillants Rémi Cormier et Stéphane Lefebvre qui comparaissent avec lui, se sont quant à eux « occupés des mains et des jambes » de Sambaly et l’ont transporté à l’horizontale après lui avoir passé les entraves, accentuant d’autant sa suffocation. Ils l’ont trimballé comme un vulgaire sac de gravats un étage plus bas pour le jeter dans la tristement célèbre lingerie de Saint-Martin : une pièce dépourvue de caméras de surveillance, éloignée des regards et des oreilles, où nombre de prisonniers racontent avoir subi des tabassages en règle. Plutôt que de le relever, ils le remettent à terre et l’y maintiennent de tout leur poids. On peut supposer sans mal qu’ils en profitent pour faire pleuvoir les coups – mais en experts, sans laisser trop de traces. Le surveillant Sébastien Lété, qui avait prêté la main à Rinjonnaud dans sa tentative de scotchage, s’est donné la mort quelques temps après avoir été mis en cause par l’instruction.
Un coup de pompe en passant
C’est là qu’intervient Jean-Paul Ducorneau. Il bosse aux UVF. Son bureau est au même niveau que la lingerie ; appelé pour emmener Gros-Georges aux urgences pour sa morsure, il dit être passé par là parce que c’est un raccourci. Mais la pièce est exiguë, et l’espace est presque entièrement occupé par le corps du prisonnier et ses bourreaux accroupis sur lui. Ducorneau doit enjamber la tête de Sambaly. Tout le monde soutient mordicus qu’il lui assène alors un violent coup de pied, ce qu’il n’a cessé de nier tout au long de la procédure. C’est le seul à comparaître pour « violences volontaires », et on comprend bien vite que la clique s’est mise d’accord pour le charger dans les heures qui ont suivi, quand personne ne savait encore exactement de quoi Sambaly était mort. Si les autopsies avaient conclu à un décès consécutif à des coups, la Rangers de Jean-Paul aurait pu commodément porter le chapeau. En plus, il n’appartient pas au même syndicat que le reste de l’équipe.
On va pas se mentir : il a bien dû lâcher un coup de pompe en passant, façon de montrer patte bien blanche aux collègues « du terrain », ou du moins de les assurer de sa discrétion. Ce qui est certain, c’est que Sambaly n’est pas mort des coups qu’il a reçus. Et que Ducorneau est le seul à avoir fait l’objet d’une sanction administrative. Il n’a plus jamais bossé depuis sa suspension. Dépression, arrêts maladie… et il a encore l’air bien cachetonné. C’est aussi le seul à faire appel du jugement, et bien que la défense des accusés veuille en faire un lâche qui crie au complot pour mieux fuir ses responsabilités, il maintient ses accusations : les tueurs ont bricolé une version commune, ils l’ont choisi comme bouc émissaire, et leur syndicat a pesé de tout son poids pour avaliser leur version. Si la mise en cause de Jean-Paul est réglée comme du papier à musique, le reste des témoignages s’avère beaucoup plus approximatif. Entre contradictions, trous de mémoire et mensonges manifestes, chacun fait de son mieux pour minimiser sa propre implication. Il s’agit quand même de faire avaler au tribunal qu’il n’y avait pas moyen d’imaginer que Sambaly était en train d’agoniser entre leurs mains, et que c’est un prisonnier bien vivant qu’ils ont ensuite « remis » à l’équipe du mitard.
Une macabre mise en scène
À Saint-Martin, le quartier disciplinaire (QD), se trouve dans « La Citadelle », un bâtiment situé à 500 mètres de la détention « normale ». Les transferts doivent en théorie se faire en fourgon cellulaire. Ce coup-là, ce sera en véhicule utilitaire – une pratique hors cadre de plus. L’équipe attend donc l’arrivée du véhicule pendant un bon quart d’heure à la lingerie. Ils y poursuivent leur vengeance, maintenant leur prise fatale sur Sambaly : les membres entravés et sans cesse tirés en arrière, le thorax compressé, la bouche déchirée par le « mors ». Il ne vient jamais l’idée à personne, pendant ces longues minutes, de faire retirer le bâillon ou de desserrer l’étau. Une gradée – finalement acquittée – est dépêchée sur place par le chef de détention pour « garantir la régularité de la procédure ». Elle témoigne de la brutalité de la scène, qui l’a choquée sur le moment. Mais elle a vite été rappelée à l’ordre : « Remue-toi, la gradée, bouge tes fesses ! Va chercher les clés, mérite tes galons ! » Elle bosse au greffe de la prison, normalement… elle rapporte qu’elle n’aurait eu aucune autorité si elle avait voulu interrompre l’opération ; mais elle n’a rien tenté. Elle se rappelle juste avoir croisé le regard de Sambaly sans parvenir alors, prétend-elle, à comprendre l’effrayante lueur qu’elle a vue dans ses yeux, et qui continue à la hanter cinq ans plus tard : ce qu’elle prenait pour de la fureur, sans doute était-ce de la détresse. Peut-être même qu’il l’appelait à l’aide ? Alors elle se dit traumatisée… mais elle a continué à bosser à la prison. Et décidément impuissante, elle a trouvé le moyen de foirer ses deux suicides.
À l’arrivée du fourgon, Sambaly est une nouvelle fois transporté à l’horizontale et « chargé » à même le sol. Il n’y a que quarante centimètres pour manœuvrer entre les rangées de sièges, mais trois des bourreaux parviennent à s’y caler pour que la pression ne se relâche jamais sur le prisonnier. Pendant le transport, il leur est apparu « plus calme » qu’auparavant. Certains l’ont même cru « endormi », parce qu’il « avait l’air de ronfler ». Arrivés à la Citadelle, ils « déchargent » Sambaly du Transit et le « déposent » sur la coursive. Certains surveillants de l’équipe du QD qui devait prendre le relais ont témoigné au cours de la procédure du « calme extrême » du prisonnier, qui contrastait avec l’intense agitation de la bande du fourgon. Avant un placement en QD, le prisonnier est systématiquement fouillé par les tauliers du mitard. Nouvelle anomalie : ce sont ses transporteurs qui vont assurer la fouille. Sambaly est inerte. Ils lui baissent son froc. Ils constatent la présence de matières fécales le long de ses cuisses. Ils traînent une nouvelle fois son corps jusque dans la cellule du QD. Rejouant une procédure vicelarde mais habituelle, ils l’allongent face contre terre, la tête sous le lit scellé : si le « détenu » tente de se rebiffer quand on le désentrave, il s’assomme tout seul contre le sommier de béton. Ils retirent les entraves qu’ils remplacent par du scotch. Mais tout ça n’est qu’une sinistre farce, puisque Sambaly est déjà mort.
Et la mise en scène continue. Ce n’est qu’une demi-heure après le « placement en cellule » du prisonnier que la nouvelle équipe en charge s’inquiète enfin de son immobilité et appelle les secours. Côté tueurs, ça commence à claquer des genoux, d’autant qu’ils se font salement remonter les bretelles au débriefing – d’usage : « Les mecs, va falloir trouver un truc, sinon ça pue les assiettes [les assises]. » Alors ça torche une version commune à l’arrache. Christophe Monier était un de ces nombreux fonctionnaires du QD qui ont assisté à la macabre « fouille à nu ». Il s’est donné la mort la veille de sa convocation par le juge d’instruction.
Réunion de famille
D’ordinaire, les tribunaux n’ont pas à gérer les morts de la prison, pas plus que ceux de la police. Les instructions judiciaires sont vite closes, quand il y en a. Dans l’écrasante majorité des cas, c’est au sein même des détentions que ça se règle : un « suicide » de plus. Alors c’est peu dire qu’on n’a pas l’habitude d’assister au théâtre judiciaire sur le banc des parties civiles : il a fallu aux proches de Sambaly, et à sa sœur Oumou en particulier, des années de bagarre acharnée pour qu’un procès leur soit concédé – fait rarissime, on le répète. Mais pas un procès pour meurtre, faut pas exagérer. Pas question de porter l’affaire devant les assises ou de dépayser l’instruction. Des audiences calibrées pour que les protagonistes encore en vie s’en tirent à bon compte, tout en perpétuant la fiction d’une Justice impartiale au service des victimes. On allait gérer ça en famille. Plus élargie que d’habitude certes, mais en famille tout de même, puisque le tribunal de La Rochelle n’est en fait qu’une annexe de la prison de Saint-Martin-de-Ré (ou l’inverse ?). Au point que la procureure est déjà celle qui avait envoyé Sambaly à Saint-Martin il y a quelques années. Un temps, elle donne le change, fait mine de traiter les accusés avec sa sévérité habituelle et surjoue son empathie pour les parties civiles. Quant au juge et à ses assesseurs, ils somnolent sévère en singeant paresseusement la quête de la vérité…
On va pas se mentir : on n’a décidément rien à attendre des tribunaux. Ni justice – si le terme a un sens –, ni vérité. La vraie mission du tribunal est limpide : reconduire la puissance de l’institution pénitentiaire et son droit de vie et de mort sur ceux et celles qu’elle nomme – pas pour rien – ses « détenus ». Quitte à gronder un peu certains de ses agents trop enthousiastes, pour la forme. Alors dans ce procès, c’est à nous de débusquer la vérité sous les mensonges criants des tueurs en réunion. Une fois n’est pas coutume, le seul raté de la machine sera venu des expertises (et même des contre-expertises réclamées par une défense insatisfaite des premières conclusions de la science). Aucun doute pourtant : Sambaly est mort d’un étouffement, dû à l’effet conjoint de l’obstruction des voies respiratoires, de l’extension vers l’arrière des membres entravés et de la compression du thorax ; les ronflements qu’il émettait dans le fourgon étaient des râles agoniques ; les traces sur ses cuisses prouvent que ses sphincters s’étaient relâchés avant son arrivée à la Citadelle. L’expert se montre inflexible malgré les tentatives de déstabilisation de Winter, avocat spécialisé dans la défense des matons et des flics violents : Sambaly est bien mort dans le fourgon. Les surveillants du QD ont assisté à la fouille d’un défunt, et c’est un cadavre qui a été placé au mitard.
Défense des tueurs et proc main dans la main
Les tueurs le savent, et leurs avocats aussi ; alors ils ne s’attardent pas trop sur les étranges pièces à conviction fournies à la gendarmerie dans un premier temps, mais qui n’apparaissent dans quasiment aucun témoignage : des « pages de Coran » qu’aurait brandies le prisonnier et un « pic » dont il aurait tenté de faire usage. Inventer des preuves de dangerosité et d’agression, c’est une pratique habituelle dans ce genre d’affaires mais cette fois, c’était vraiment trop mal fait…
Le ténor Winter préfère donc ergoter sur l’heure de la mort. C’est le gros caillou dans les Rangers de la défense, alors il faut à tout prix jeter le doute sur les conclusions de l’expert. Brushing impeccable et œil bleu marine pour grand numéro de flûte : « J’ai vu dans une vidéo YouTube… un ami réanimateur m’a dit… » Selon sa petite enquête perso pour contrecarrer l’avis de trois experts, impossible de savoir à quel moment exact le prisonnier est mort. Et puis il manque du monde dans la procédure (ça, en revanche, c’est pas faux…) : où sont les innombrables surveillants qui ont été témoins de la scène ? Où sont les matons du QD qui ont fini par récupérer Sambaly – toujours vivant selon le baveux –, les médecins de la prison qui ont mis si longtemps à arriver, les pompiers intervenus bien trop tard pour tenter de le ranimer ? Il est formel : ses clients n’ont pas tué. Et si certains de leurs gestes peuvent sembler disproportionnés aux yeux des profanes, ils sont à mettre sur le compte de « l’effet tunnel » bien connu des professions soumises au stress : le temps s’est comme accéléré, et ils étaient tellement obsédés par « l’exécution de leur mission » (sic) que leur discernement a pu s’altérer au point de les empêcher de percevoir la dangerosité de leurs actes. En bon défenseur de syndicalistes, il charge au passage l’encadrement déficient, le manque de moyens et de personnels, les procédures trop floues et inadaptées aux « réalités du terrain », le manque de formation continue… Devant le péril, livrés à eux-même, ses clients ont dû improviser pour sauver leur peau, contraints d’utiliser un bâillon de fortune faute de mieux. Et puis,chacun d’eux ne s’est occupé que d’une partie du corps : un bras, une jambe, la tête… Cynique tour de passe-passe : d’ordinaire retenue comme facteur aggravant, la réunion devient dans sa plaidoirie une circonstance atténuante… Si tout le monde tue un peu, personne ne tue vraiment. Il demande évidemment la relaxe ; et surtout, par pitié, que ces fonctionnaires exemplaires déjà durement atteints par ce terrible accident ne se voient pas privés de poursuivre leur sacerdoce à la prison de Saint-Martin-de-Ré…
Quand c’est le tour de la proc, les maigres illusions qu’auraient pu susciter son attitude s’envolent aussi sec : elle n’est pas là pour défendre la partie civile, mais bien l’institution. Reprenant sans trop se fouler l’essentiel de l’argumentaire de la défense, elle va donc tout faire pour réhabiliter la sainte trinité police-justice-prison. Et elle n’hésite pas pour ça à dérouler un raisonnement des plus pervers. Car accrochez-vous bien : elle commence par nous dire sans trembler que « la prison tue » ! Si Sambaly est mort, c’est la faute à la prison. S’il a été traité comme un chien tout du long, c’est parce que l’institution carcérale déshumanise ; les prisonniers, mais aussi les surveillants. Les accusés ont traité un problème. Pas un être humain, et pas en êtres humains, mais c’est parce qu’ils sont formatés ainsi. Alors à moins de remettre la prison elle-même en question, le tribunal ne doit pas les punir trop durement… La proc’ se félicite d’ailleurs que l’instruction ait choisi de juger l’affaire en correctionnelle ; prêter à ces fonctionnaires une quelconque intention de donner la mort – et même leur attribuer la moindre « violence volontaire » au-delà du « lâche » coup de pompe de Ducorneau – aurait été odieux. Tout au plus peut-on leur reprocher de ne pas avoir su prendre le temps, à chaque étape, de réévaluer la situation pour adapter leurs gestes en conséquence. Mais ils étaient hélas aveuglés par le fameux « effet tunnel ».
Dans les tribunaux : ni vérité, ni justice
On ne va pas se mentir : ces gestes, certes proscrits, leur ont tout de même été enseignés à l’école de la matonnerie de Fleury ; ils font partie de leur arsenal habituel à Saint-martin comme ailleurs : étranglement, pliage, pose de bâillon, transport menotté à l’horizontale. Bref, c’est l’horreur, mais une horreur tellement banale et généralisée qu’il est bien normal qu’elle se répète là aussi. Et rien de surprenant non plus à ce que tout le monde dans ce tribunal travaille dans le même sens pour innocenter des meurtriers : dilution de la responsabilité, altération du jugement, automaticité des pratiques ; un homme a trouvé la mort, c’est malheureux, nouvelle couche d’écœurante compassion pour ses proches… mais au fond personne ne l’a tué.
L’avocat des parties civiles ne peut plus faire grand-chose. La mécanique a ronronné trop tranquillement les jours précédents pour prétendre encore lui opposer une quelconque résistance à ce stade. La famille de Sambaly espérait entendre de la bouche même des tueurs quelques bouts de vérité, et trouver là un peu d’apaisement. Elle n’aura eu droit qu’à la litanie de leurs mensonges, encouragée par un tribunal nécessairement complice. Les rôles ont pu sembler inversés : pour une fois, ce sont les matons qui sont accusés, c’est la famille du prisonnier qui est partie civile. Mais ça s’arrête là. Pour la justice, un prisonnier reste un prisonnier, c’est-à-dire pas tout à fait un être humain : sa dignité, son intégrité, et jusqu’à sa vie ne pèseront jamais grand-chose face à l’institution et à ses agents ; pas question d’en faire une victime.
Quand la parole est accordée à la sœur de Sambaly, elle fixe les tueurs l’un après l’autre, cherchant à accrocher leur regard fuyant, et dit son plus grand souhait : « Je voudrais que ces gens n’aient plus jamais le droit de travailler. Je suis dame de cantine, j’ai peut-être même nourri certains de vos enfants ; si un petit tombe malade à cause de la nourriture que je lui ai donnée, je suis renvoyée le jour même, et c’est normal. Je ne peux pas comprendre que vous ayez tué mon frère et que vous soyez encore à Saint-Martin. »