Au mois de mai 2012, les syndicats pénitentiaires de la prison d’Annœullin signalaient à l’AFP des incidents survenus au quartier maison centrale (QMC): «une rébellion de trois détenus». Frédéric Charlet, secrétaire régional adjoint de l’UFA P-UNSA justice de Lille, décrivait ainsi les faits:
«Mercredi, trois détenus du QMC [où sont enfermés des détenus purgeant des longues peines] se sont retranchés dans un atelier où ils se trouvaient sur place pour se défendre. Une douzaine d’agents ont dû s’équiper pour intervenir, les trois détenus finissant par être réintégrés en cellule après de longues discussions. La scène donnait l’impression d’une vraie guérilla. L’un des protagonistes, considéré comme dangereux et ayant déjà provoqué de graves incidents dans de précédents établissements, a été placé à l’isolement…»
Le vocabulaire des syndicats, relayé par les dépêches de l’AFP –qui servent ensuite de support à tous les médias: télés, radios, journaux– tire l’événement du côté du fait divers spectaculaire; Pas un mot sur les causes du mouvement, exagération des faits… La même sauce que pour le mouvement de quatre prisonniers à Vezin-le-Coquet, présenté comme une «mini-émeute» –dans laquelle des bouteilles de shampoing en plastique deviennent des armes dangereuses… Comme Christophe Khider nous l’expliquait dans le numéro 32 du journal, Annœullin est une prison toute récente, et son QMC en est encore à une phase expérimentale. Le privé chapeaute tout ce qui ne relève pas de l’administratif ou du sécuritaire, et cela pose des problèmes même à l’AP –c’est dire! En fait, de nombreux problèmes ont été dénoncés par les prisonniers du QMC: activités, travail, salle de sport, horaires des promenades, prix des cantines, équipements…
Alors que nous tentons d’attirer le regard sur ces nouvelles prisons (partenariat public-privé), que nous tentons de comprendre l’avenir de la détention qui est en train de se dessiner (cf le numéro 39 spécial Condé-sur-Sarthe et QHS modernes), voici la pétition que des prisonniers du QMC d’Annoeullin avait fait parvenir en 2012. Elle est parue il y a plus d’un an dans le journal.
A l’époque, elle avait pu être -un tout petit peu- entendue uniquement parce qu’elle avait été portée par des prisonniers que les syndicats désignaient comme dangereux.
« Ici les conditions de travail sont devenues totalement hors de contrôle, et sans aucun moyen de se défendre légalement. Themis, société privée qui loue les locaux réservés au travail, et qui est censée assurer des emplois aux détenus de la centrale, se contente, au vu et au su de l’administration pénitentiaire, d’exploiter et de truquer, au nom du profit. Par exemple, le travail à la pièce est devenu interdit par la loi; pourtant nous, nous sommes payés à la pièce et nous travaillons à la pièce. L’astuce de Themis pour duper les lois est d’imprimer des fiches de paie horaires avec des aberrations du genre 100 euros pour dix-huit heures ou quatre-vingt-dix heures pour 245 euros net! Themis a trouvé le moyen de tricher avec le consentement de l’administration pénitentiaire, qui n’est pas capable de gérer et de faire respecter les lois, tout ça sous prétexte du privé qui, lui, est rentré dans le tout-au-profit. Cela donne lieu à des journées sans travail et à des scènes dignes du pathétique. Nous avons commencé un travail à la pièce: des lingettes pour lunettes par caisses de mille; nous avons eu plusieurs réunions, entretiens avec les responsables pénitentiaires, avec ceux du privé pour avoir des tarifs humains et responsables. Ils nous ont augmentés à 40 euros les mille lingettes, pliées, mises dans une pochette fermée et conditionnées en paquets de dix, puis en caisses de mille. Dix heures de travail à un rythme soutenu. Dès que Themis a remarqué qu’il y perdait un peu, ils ont prétexté que les lingettes étaient bloquées en Chine, puis au Japon… Puis ils nous ont amené des cartons de linge à plier: le tarif était en forte baisse, 25euros les mille pièces triées, pliées, conditionnées en cartons de cent. Cela a duré trois semaines; Themis a trouvé que leurs profits n’étaient pas assez conséquents, donc ils nous ont amené des pièces en carton sur lesquelles on devait scotcher une étiquette, et les conditionner en paquets de soixante puis en caisses. C’était payé 9,17euros les mille… Tout est prétexte à empêcher les détenus de travailler dès qu’ils ont dépassé un seuil fixé par Themis, avec des comportements incroyables: un responsable Themis qui vient récupérer des pochettes et le scotch, soi-disant pour les compter, nous empêchant de travailler. Il nous promet de revenir une fois travail fait, et il s’en va; ainsi, nous restons à un seuil de paye acceptable pour Themis, soit 20 euros par jour, taxés par Themis, puis par l’administration pénitentiaire, qui nous laissent le minimum. 13% à Themis, 30% à l’administration pénitentiaire: le peu d’argent gagné, Themis le reprend en nous vendant à la cantine des produits alimentaires dont les prix sont majorés de 20%. Au final, nous sommes sous-payés, les conditions de travail sont inhumaines, et le privé Themis nous paye au lance-pierre et nous vend des produits hors de prix. Drôle de manière de nous inciter à la réinsertion, nous détenus et pères de famille qui devons soutenir nos proches… »
Les détenus du QMC
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