Nous avons récemment publié des nouvelles de Rachide Boubala, 37 ans, initialement libérable en 2000 mais devenu un prisonnier longue peine: sortie prévue en 2038. Pas de peine d’assises mais une série de condamnations en correctionnelle non compressibles accumulées du fait même de son incarcération. Elles lui valent «ce CDI avec l’AP et la moitié de l’année passée au cachot», explique Catherine, sa compagne. Rachide peine à faire entendre publiquement les raisons de ses luttes. Les journalistes embarqués préfèrent de loin recracher la soupe des syndicats pénitentiaires : «La population détenue est de plus en plus vindicative»(Corse-Matin), «les matons sont lassés de venir travailler la boule au ventre»(Europe 1), «les transferts peuvent être obtenus sans prise d’otages, en faisant des demandes par courrier»(un maton de Clairvaux sur FranceinfoTV).

Depuis deuxans, Catherine suit Rachide dans sa tournée des taules de France et porte sa voix.

«Il avait obtenu en novembre 2012 son transfert à la maison centrale (MC) de Clairvaux au titre du rapprochement familial(moi) alors qu’il était à la MC d’Arles. En janvier 2013, on l’affecte au CP de Réau sans explication… de janvier 2013 à ce jour, toujours parce qu’il demande une affectation à Clairvaux, il a écumé les cachots de Réau, d’Annœullin et de Nancy-Maxéville. Le 30 décembre 2013, il a pris en otage un surveillant à Condé-sur-Sarthe avec un codétenu, Fabrice. Tous deux réclamaient un transfert.

Essentiellement pour échapper à l’enfer de cette prison et le faire savoir à l’extérieur.»

Aucun des deux n’ignore ce qu’il risque, mais cet acte désespéré, selon Rachide, «c’est pour que ça change, ça doit servir pour lui et les autres prisonniers»; ce n’est pas «un sport national» comme le prétend le syndicat UFAP. Le tribunal d’Alençon les condamne chacun à huitannées supplémentaires. Il est ensuite envoyé en transit à la maison d’arrêt (MA) de Rouen, deux mois, puis à la centrale de Saint-Martin-de-Ré.

«En exil sur cette île, il ne peut donc pas être plus à l’ouest de Clairvaux. Là-bas, Rachide obtient un travail en tant que peintre. En dix-sept ans, il a très peu eu l’occasion de travailler, et grâce à cet emploi, il s’est donné un but: financer notre prochain UVF».

Sauf que la distribution de quelques miettes, c’est encore trop pour le syndicat national pénitentiaire FO qui publie le 24mars un communiqué injurieux et mensonger contre Rachide, intitulé «Prime à la vermine et à la racaille» notamment pour exiger son déclassement au directeur. Or aucun règlement ni disposition du code de procédure pénale n’interdit à un prisonnier qui a commis une infraction au placard d’accéder à un travail. Après avoir appris l’existence du communiqué, Rachide exige des explications à un maton. Ce dernier ricane puis feint d’avoir été agressé. Bien chargé par le compte rendu d’incident, Rachide est envoyé au mitard puis transféré à la MA de Lyon-Corbas où d’autres matons syndiqués ou pas, mais bons camarades et revanchards, savent l’accueillir… A ce jour, quatre torchons haineux du SNP-FO et du SPS ont paru contre Rachide: ils le présentent comme une bête féroce, un fou dangereux qui n’a plus sa place en prison mais en psychiatrie, et se font passer pour les victimes d’un chantage de Rachide sur la direction. «Non sanctionnée, la démarche du syndicat a créé un climat de tension», comme le rélève l’OIP, «alors que Rachide n’avait été à l’origine d’aucun incident depuis son arrivée dans la prison. FO-pénitentiaire génère ainsi lui-même un incident du type de ceux qu’il prétend dénoncer. » Quand les matons parlent, les peines s’allongent…

Catherine ne va pas à Corbas car les déplacements sont longs et compliqués pour 90 minutes de parloir au maximum. Rachide est seul dans son cachot. Comme elle dit, c’est avec «toute sa tête» qu’il proteste en enduisant les murs du mitard de ses propres excréments –en référence au mode d’action des prisonniers irlandais du début des années 1980. Après la publication du tract, il a déclaré: «Faut-il que j’aille aux assises pour qu’ils comprennent?». Voilà la «violence gratuite» décrite par matons et médias!

Le 11avril, six prisonniers du centre de détention de Montmédy prenaient un surveillant moniteur de sport en otage pour exiger leur transfert vers d’autres prisons dans le cadre du rapprochement familial. Deux jours plus tard, un prisonnier du centre pénitentiaire de Réau faisait de même. Et ça ne cessera pas, car ils sont nombreux à n’avoir, comme Rachide, aucune perspective de sortie avant 2030. Dans un tel contexte, la vraie question n’est-elle pas: comment se fait-il qu’il n’y ait eu que sixprises d’otages depuis janvier2014?

Voici un extrait de l’interview de Catherine à l’émission Papillon de Saint-Etienne. A paraître dans le numéro 39 du journal ( juin prochain).

Papillon : Quelles sont les raisons du transfert de Rachide à Condé-sur-Sarthe ?

C: Pour l’AP, Rachide a un profil récalcitrant à l’autorité […]il ne supporte pas les surveillants qui ne font pas leur boulot de manière impartiale, qui n’ont pas compris quelle était leur place, ceux qui veulent dicter au directeur comment il doit gérer son établissement, et ceux qui font la loi quand une tête de détenu ne leur revient pas. Pour ça, Rachide a pris des condamnations supplémentaires pour outrages, menaces, violences aggravées, volontaires, feu de cellule, dégradation de biens. De fil en aiguille, on arrive à 2031 et 2039 après deux semaines à Condé… Quand il y a un compte rendu d’incident, c’est toujours le prisonnier qui saute sur le surveillant. On ne dit jamais pourquoi on en arrive à un incident. Le détenu n’a aucun moyen de se défendre. De toute façon, Rachide ne s’est jamais fait représenter, il n’a jamais fait appel des condamnations. Les commissions de discipline, les débats contradictoires, il refuse d’y assister. C’est sa manière de dire: «Faites ce que vous avez à faire, moi j’ai fait ce que j’avais à faire.»

P : Pourquoi l’AP ne donne-t-elle pas suite à sa demande de transfert à la centrale de Clairvaux?

C: Je répète ce qu’ils m’ont dit: «On ne remet pas un détenu aussi rapidement de là où il vient. On ne peut pas imposer Rachide à un directeur intérimaire». Certains directeurs ne conviendraient pas à la gestion de Rachide. On m’a aussi dit que «Ce n’est pas possible d’avoir plusieurs détenus avec un même profil dans un établissement».

P : Rachide a déjà purgé dix-sept ans, il est libérable en 2038. Qui va aller le visiter jusqu’à cette date?

C: Je suis la seule proche de Rachide. Le rapprochement, c’est aussi pour être dans sa région, c’est ses racines, et c’est là qu’il pense qu’il va pouvoir s’apaiser. A moins qu’il ne développe son réseau social, comme on dit aujourd’hui, mais ce qui est difficilement possible. En dix-sept ans, il n’a eu qu’un parloir exceptionnel, et j’ai été son premier permis de visite. J’ai rencontré Rachide car j’étais intervenante en prison, et avec les activités que je mettais en place, il commençait à sortir de son trou car il ne communiquait plus avec personne. Des surveillants ont commencé à vouloir freiner le truc. Mais un gradé est intervenu dans un sens plus positif. D’autres intervenants ont quant à eux porté des jugements de valeur; la rancune est parfois tenace… Le monde de Rachide et le mien sont différents, et ils ne doivent pas se rejoindre. Quand il est trop loin de moi et que je ne peux pas y aller, il relance la machine pour être rapproché. Son moyen de pression, c’est d’aller au quartier disciplinaire et de répandre ses excréments chaque jour dans sa cellule. Au bout d’un moment, les surveillants ne peuvent plus y accéder. […]A Nancy, tous ses repas du jour étaient distribués en même temps pour l’approcher le moins possible. J’avais des nouvelles tous les dix jours quand on voulait bien le sortir de sa cellule. C’est son arme fatale, il n’en a pas d’autres, mais ça ne marche plus car ce n’est pas le ministère qui respire l’odeur. Quand je l’ai connu, il y a deux ans, il avait une perspective autour de 2014. Il se trouve que depuis, se sont rajoutés plus de dix ans. 2038, moi ça me projette loin, je ne suis pas toute jeune non plus. Je ne le connaîtrai jamais vivant dehors, donc j’accompagne quelqu’un avec qui je ne vivrai jamais, en dehors de deux ou trois jours passés en appartement UVF. […] Après, le fait que je sois là ne change rien à sa vie en détention. Rachide dit: «J’ai plus rien à perdre, un mois de plus de moins ça change rien.» Il ne se laisse pas faire, ne tend pas la joue pour recevoir une autre claque, c’est sa personnalité, son caractère –ou alors il faut le cachetonner. En 2038, il aura presque 60ans. Pour le moment, malgré six mois de l’année au cachot, il est en excellente santé et a de la chance de s’en sortir physiquement et moralement. Sauf que s’il arrête son combat c’est là qu’il tombera. S’il commençait à ne plus répondre, il comprendrait qu’il meurt, qu’il se liquéfie. Comme je dis: «Laissez-le, c’est son instinct de survie, sinon il s’écroule.» En plus ce n’est pas fini, il a encore des affaires qui l’attendent au coin du bois. Il faudrait qu’il reste dix ans tranquille pour demander un aménagement de peine. Il faut sensibiliser les gens sur les longues peines. […]Rachide s’est pris huit ans dans la gueule pour défendre une cause, pas pour que ça serve à rien. C’est pas Robin des Bois ni Che Guevara mais il essaie de faire bouger le système.

1 réponse sur “Rachide Boubala, parcours d’un longue peine de Condé

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