Étiquette : Lettres des proches

  • « Je m’efforce d’être debout face à la rudesse de la tâche ».

    « Je m’efforce d’être debout face à la rudesse de la tâche ».

    Sandra en grève de la faim contre l’assignation à résidence de sa famille.

    Kamel Daoudi est assigné à résidence depuis 2008. Forcé de déménager du jour au lendemain au gré des décisions ministérielles, séparé de ses proches, contraint de pointer chaque jour à la gendarmerie, il se débat dans un labyrinthe administratif. Le 14 septembre 2023, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a refusé de se prononcer sur le fond du dossier en rejetant sa requête pour des motifs de procédure. Face a cet énième refus qui mêle vengeance d’Etat et folie administrative, Sandra, la compagne de Kamel vient d’entamer une grève de la faim. Dans le texte qui suit elle exprime les raisons de son action, sa détermination et son refus d’être « considérée comme « une pauvre femme » assignée à rester dans l’ombre de son conjoint, spectatrice de la souffrance de ses enfants ».

    Mon mari a été condamné définitivement en décembre 2005 pour des soupçons d’appartenance à une « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Ce dossier repose essentiellement sur des aveux extorqués sous la torture. Mon mari a toujours nié les faits qu’on lui a reprochés. Il a exécuté intégralement sa peine.

    A cette peine a été adjointe, une peine complémentaire d’interdiction définitive du territoire français (IDTF). Cette IDTF est inapplicable car en cas d’expulsion vers son pays de naissance, l’Algérie, il serait exposé à des traitements dégradants et inhumains. L’expulsion étant impossible, le ministère de l’intérieur a décidé de l’assigner à résidence, en attendant son éloignement vers un autre pays.

    Ce 14 septembre 2023, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a refusé de se prononcer sur le fond de son dossier en rejetant sa requête pour des motifs de procédure. Cela signifie que la Cour Européenne laisse à l’État français toute latitude pour continuer à assigner mon mari sans limite dans le temps et sans se soucier des retombées sur l’ensemble de notre famille. Le gouvernement français concourt à le placer dans une situation inextricable lui interdisant toute vie privée et familiale. Je dois pour ma part pallier à toutes les injonctions du ministère sans jamais me rebeller ni contester leur bien-fondé.

    Comme la réhabilitation de Kamel est rendue impossible par les autorités administratives malgré ses attaches solides et profondes en France où il vit depuis l’âge de cinq ans, par voie de conséquence, celles-ci me privent – moi et mes enfants – de notre droit à la vie privée et familiale. Aucun pays n’acceptant son accueil, avec la réputation que l’État français a dressé de lui, l’administration s’acharne à nous pousser vers une impasse : son retour forcé en Algérie. Ce harcèlement continu sur quinze ans est épuisant pour toute la famille.

    Le ministère de l’intérieur interdit à mon mari de travailler. Mes enfants ne peuvent que constater l’incapacité de leur père à participer normalement à leur éducation et à leur épanouissement d’autant plus qu’il a été éloigné à plus de deux heures de route du foyer familial.

    Mes enfants doivent constamment s’adapter aux nouvelles contraintes liées à l’assignation de leur père. En quinze ans, ils ont dû arpenter les routes de France pour se rendre vers 7 lieux différents situés dans des départements aussi éloignés que la Creuse, la Haute-Marne, le Tarn, la Charente-Maritime ou le Cantal. Gérer le quotidien de deux adultes, une adolescente et trois jeunes enfants dans une chambre d’à peine dix mètres carrés relève d’une organisation extrêmement rigoureuse pour tenter de créer un climat sécurisant et apaisant malgré les circonstances. Chaque déplacement implique de fait, un isolement social.

    Cette situation d’enfermement à l’air libre crée une atmosphère anxiogène chez de jeunes enfants encore plus intense que pour l’incarcération d’un parent. En effet, un parent incarcéré peut susciter un espoir auprès de l’enfant qui sait que celui-ci sortira un jour tandis que dans le cas de l’assignation à résidence, l’enfant partage cet enfermement et n’a aucun espoir que la situation ne s’améliore. Je ne peux pas dire à mes enfants que le dénouement sera nécessairement politique.

    Il suffit de côtoyer Kamel Daoudi pour être suspecté de terrorisme. En plein état d’urgence alors qu’un car de CRS stationnait chaque nuit pendant plus de deux mois, de 19h à 7h devant mon domicile, les plaques d’immatriculation d’amis qui me rendaient visite étaient systématiquement relevées devant eux afin qu’ils comprennent que cette maison était hautement surveillée. Beaucoup de connaissances se sont malheureusement pliées à cette intimidation.

    Avec la répétition de situations humiliantes, toute atteinte à notre intégrité et à notre réputation contribue à alimenter le supplice dit « de la goutte d’eau ». Après la chute de plusieurs milliers de gouttes, une simple petite goutte a le même effet que l’effondrement d’un immeuble sur votre front. Je m’efforce d’être debout malgré la rudesse de la tâche pour faire face à toutes les personnes méprisantes qui me perçoivent comme une personne peu respectable et peu fréquentable.

    Ce qui est désarmant dans ce retournement permanent du stigmate, c’est que les institutions censées protéger les citoyens me laissent livrée à mon sort. En 2017, quand un couple de voisins policiers fabulateurs a décidé de tout entreprendre pour me nuire en provoquant l’intervention abusive de la section de déminage de Toulouse, les autorités concernées dont l’IGPN n’ont pas cherché à circonscrire leurs méfaits. Il a fallu d’autres incidents et des mensonges répétés très « grossiers » de la part de ces agents de police pour que les autorités judiciaires décident enfin de neutraliser ce couple en classant leurs plaintes extravagantes, sans suite. En revanche ma plainte pour harcèlement et diffamation déposée antérieurement contre ces mêmes voisins n’a toujours pas abouti à ce jour. Ce prétendu « non-évènement » pour reprendre l’expression du commandant de police de l’époque, a eu pour conséquence mon arrêt de travail pour anxiété post-traumatique pendant près d’un an. Il faut s’imaginer le quotidien de mes enfants pendant cette période alors que je peinais à réaliser de simples tâches ménagères.

    Combien de femmes se seraient résignées à se séparer de leur conjoint devant toutes ces difficultés, combien d’enfants humiliés se seraient laissés déborder par une colère légitime ?

    Le ministère de l’Intérieur refuse d’acter que nous ne sommes plus le 23 avril 2008, date du premier arrêté d’assignation à résidence de Kamel. Il s’emploie à toujours mettre en avant la sécurité publique sans considérer l’évolution de la situation familiale depuis quinze ans. Pourtant l’assignation à résidence a des répercussions palpables sur mon quotidien.

    En 2009, mon époux a été condamné à six mois de prison ferme pour avoir quitté le périmètre de son assignation afin de m’accompagner à la clinique alors que j’étais enceinte de sept mois. Et en 2020, il a été condamné à un an ferme en première instance pour 25 minutes de retard à son couvre-feu tandis qu’il cuisinait dans un lieu associatif. A chaque fois, j’ai dû supporter les conséquences de ces tragédies qui résultent des conditions particulièrement sévères de son assignation à résidence. La moindre infraction peut ainsi être punie d’une peine allant jusqu’à trois ans de prison ferme.

    Qui pourrait se prévaloir, en quinze ans d’assignation, de ne jamais avoir le moindre retard pour les deux, trois ou quatre pointages quotidiens imposés au commissariat ? Je ne comprends plus l’énergie déployée par le ministère de l’intérieur pour broyer toute une famille au mépris des droits individuels les plus fondamentaux.

    Deux murs restent infranchissables :
    Décoller l’étiquette de Kamel, considéré comme « un homme dangereux » alors qu’il n’a commis aucune infraction depuis la fin de l’exécution de sa peine en 2008 ;
    Déconstruire des décisions de justice administrative fondées essentiellement sur des notes blanches pour obtenir sa réhabilitation en relevant par exemple son interdiction définitive du territoire.

    Ne pas tenir compte de l’évolution de la situation de Kamel en l’espace de plus de quinze ans n’est pas digne d’un État prétendant respecter les libertés individuelles fondamentales. Le ministère a-t-il seulement conscience qu’il ne s’agit plus simplement de la destinée de Kamel. J’ai des droits en tant que femme. Je ne suis pas uniquement l’épouse de Kamel. J’aspire à être considérée comme un individu à part entière.

    Il me semble aussi que chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer ; il s’agit d’un principe essentiel. Marteler sans aucun élément sérieux que Kamel continue d’être dangereux, alors qu’il se comporte de manière exemplaire dans des conditions déshumanisantes, ne peut suffire à sacrifier la vie de nos enfants en les privant de l’amour et de la présence de leur père. Être considérée comme « une pauvre femme » assignée à rester dans l’ombre de son conjoint, spectatrice de la souffrance de mes enfants, ne peut suffire à me réduire au silence.

    Mes droits et ceux de mes enfants, tous ressortissants français sont inaliénables.

    Durant toutes ces années notre famille a beaucoup trop souffert d’un ostracisme décomplexé, d’une violence institutionnelle assumée et d’un isolement qui n’est plus supportable. Ce qui est inhumain, ce n’est pas seulement de laisser Kamel dans cette situation sans fin mais de me mépriser en tant que femme et de laisser grandir mes enfants en leur faisant croire que leur quotidien relève de la normalité.

    Sandra, Aurillac, le 18 septembre 2023.

  • Tuer pour diviser : répression des rues et répression des champs – Nouvelles de Kémi, Alfredo Cospito, Libre Flot, Kamel Daoudi et Vincenzo Vecchi

    Tuer pour diviser : répression des rues et répression des champs – Nouvelles de Kémi, Alfredo Cospito, Libre Flot, Kamel Daoudi et Vincenzo Vecchi

    Émission du 30 mars 2023

    Actualité de la prison et de la justice :

    • Une lettre de Kémi, à l’isolement à la centrale d’Arles
    • Alfredo Cospito toujours en grève de la faim contre son régime d’isolement en Italie
    • Kamel Daoudi maintenu dans le nomansland administratif de l’assignation à résidence
    • Les matons fascistes de Nantes : deux communiqués vomitifs.
    • Une nouvelle lettre de Libre Flot du 30 mars, qui revient en long sur l’isolement, ce qu’il produit dedans puis dehors, quand on en sort. Cette lettre arrive juste avant une audience du 4 avril au tribunal administratif de Versailles suite aux recours qu’il a fait contre sa mise à l’isolement alors qu’il état en préventive. La mise à l’isolement était donc seulement un moyen pour  le « faire craquer » ? 
    • Une bonne nouvelle pour  Vincenzo Vecchi : la Cour d’appel de Lyon déclare que le mandat d’arrêt européen à son encontre n’est pas applicable et refuse de le remettre aux autorités italiennes. Pourvu que ça dure !

    Répression actuelle du mouvement social :

    Agenda :

    • Appel à se rassembler à Entraigues pour trois jours d’échanges contre le béton et la prison : les 8, 9et 10 avril. Plus d’infos : https://valleesenlutte.org/spip.php?article480
    • Marche des mutilés le 9 avril prochain. Appel à leur cagnotte en ligne et à la cagnotte Vanessa qu’on accueillait à l’antenne la semaine dernière. 
    • Repas en hommage à Alassane Sangaré, mort le 24 nov 2022 à la prison de Fleury-Mérogis samedi 15 avril à partir de 17h30 à la salle Georges Duhamel à Créteil. Débat suivi du repas.
    • Pour Alfredo Cospito, rendez-vous chaque mercredi à Euforie à Toulouse à 18h, et s’il venait à mourir, un rendez-vous est prévu le lendemain à 19h place Arnaud Bernard à Toulouse. De très nombreux rassemblements et points d’info sont tenus partout. Contre la prison et l’isolement, solidarité avec Alfredo Cospito ! 

    Dans cette émission, on traite de la brutale répression en cours et on essaye de décortiquer la forme qu’elle prend, à quoi elle sert : la violence policière de rue ou des champs, adossée à ce qu’on appellera une « justice administrative ».  Nous sommes obligés de traiter ensemble ce qui s’est passé à Sainte-Soline et ce qui se passe dans ce mouvement social. C’est le même monde qui est combattu ici et là et Darmanin a choisi de se saisir de l’un pour faire disparaitre l’autre. Sainte-Soline, la mise en scène du massacre annoncé semble être le point d’orgue et le point de retournement de l’opinion pour le ministère. Il nous dit à toutes et tous « je peux vous tuer ». Cette semaine la question se pose : cette stratégie de brutalité policière, cette stratégie de la tension, va-t-elle conduire à la dissociation escomptée par Darmanin ? 


    C’est important de traiter longuement de cette répression dans une émission contre les prisons pour plusieurs raisons évidentes : c’est un mouvement social contre la dégradation des conditions de vie sociale et environnementales, or on a un peu tendance à penser que ce sont bien la misère et des conditions de vie dégradées qui conduisent en prison tout le temps. Par ailleurs ce mouvement en particulier conduit et va conduire des gens en prison ; la limite politique des mouvements c’est bien souvent la peur de sa répression ; donc la comprendre c’est se donner quelques moyens d’y faire face ; de considérer « l’anti répression » comme un moment du mouvement, pas un après. Ce que les GJ avaient bien compris. Et puis enfin, pour une raison bien pratique : vous qui êtes dedans, quel regard pouvez-vous porter sur ce qui se passe à part sur BFM ? C’est donc à nous de tenter de combler les trous et d’essayer ainsi de construire un point de vue avec vous, de l’autre côté des murs.

    L’Envolée est une émission radio pour en finir avec toutes les prisons. Elle donne la parole aux prisonniers, prisonnières et leurs proches & entretient un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur des prisons. C’est aussi un journal d’opinion de prisonniers, de prisonnières et de proches.

    On manque de forces pour faire tourner l'émission radio comme on le souhaiterait en ce moment : que vous soyez prisonnier·e·s, proches, ou révolté·e·s contre l'enfermement et l'AP n'hésitez pas à nous contacter et à passer le mot !

    Direct chaque vendredi de 19h à 20h30 sur FPP 106.3 en région parisienne. Rediffusions sur MNE 107.5 à Mulhouse, RKB 106.5 en centre-Bretagne lundi à 22h, Radio Galère 88.4 à Marseille le jeudi soir à 20h30, PFM à Arras et alentours 99.9 mardi à 21h30, Canal Sud 92.2 jeudi à 17h30 à Toulouse, L’Eko des Garrigues 88.5 à 12h le dimanche à Montpellier, Radio U 101.1 le dimanche à 16h30 à Brest, Radio d’Ici 106.6 à Annonay mardi à 21h30 et 105.7 FM & 97.0, à Saint-Julien-Molin-Molette dimanche à 20h, Radio FM 43 dimanche à 12h en Haute-Loire, 105.7 FM au Chambon-sur-Lignon, 102 FM à Yssingeaux et 100.3 FM au Puy-en-Velay, sur Radios libres en Périgord, en Dordogne, sur 102.3 FM à Coulounieix-Chamiers jeudi à 20h et sur les webradios Pikez (dimanche à 11h) et Station Station (lundi à 13h), Podcasts disponibles sur toutes les plateformes !

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  • « IL N’A PAS PRIS PERPÈTE, IL A ÉTÉ CONDAMNÉ À MORT ! »

    « IL N’A PAS PRIS PERPÈTE, IL A ÉTÉ CONDAMNÉ À MORT ! »

    Adil, mort par refus de soins à Séquedin : on oublie pas !

    Adil est mort le 12 février 2016 à la maison d’arrêt de Lille-Séquedin suite à un refus de soins délibéré. En décembre 2021, le médecin de la prison est passé au tribunal pour « homicide involontaire ». C’est le seul de tous les coresponsables de ce drame à avoir été inquiété. Anne était la compagne d’Adil ; sans son combat et sa parole, ce énième décès causé par la prison aurait été passé sous silence comme tant d’autres. Après le procès, elle a écrit un texte qui a été lu à l’antenne de L’Envolée. Nous le publions ici. Ce courageux combat des proches pour connaître la vérité – et pour la faire connaître ! – est capital.

    Lettre de Anne :

    Il aura fallu attendre presque six ans pour arriver au procès de ce médecin. Ça a été une journée compliquée. Mélange de sentiments : colère, haine et tristesse.

    Colère, parce que je me suis pris en pleine tête le mépris et l’indifférence de ce « médecin ». Il n’a cessé de se défendre en insistant qu’[Adil] était un détenu particulièrement surveillé (DPS), qu’il fallait le GIPN pour l’escorte. Mais peu importe le poids de ses erreurs passées, quand Adil le suppliait de l’aider, de le soigner, en bref, de faire son métier, il ne pesait plus que 53 kg pour 1m80. Il était à bout de force, et sûrement pas dangereux. La procureure a insisté sur le fait que ce drame était dû à l’égo démesuré de ce monstre !Précision : le mardi avant son décès, Adil a fait un malaise. En discutant avec un surveillant, le régulateur du Samu avait suspecté ce qui allait être la cause du décès d’Adil trois jours plus tard ! Malheureusement, le médecin de Séquedin a pris la communication et il a réaffirmé au médecin régulateur qu’Adil était un simulateur…

    Haine, parce qu’au travers des différents témoignages, j’ai pu une nouvelle fois imaginer la douleur, le désespoir qu’Adil a dû subir des jours, des semaines entières. J’aurais voulu lui crier ma haine, lui dire tout ce que j’ai perdu. Ma vie s’est arrêtée ce 12 février, nos projets envolés. Il me prive d’un homme aimant, protecteur, respectueux. Voilà ce qu’était Adil pour moi.

    Tristesse, parce que rien ne pansera cette plaie au cœur que j’ai depuis le 12 février 2016. Je suis triste, écœurée ; parce que oui, il aurait pu être sauvé. Et l’ensemble des avocats ont souligné ma présence sans faille à chaque parloir. Je n’en tire aucune fierté : à l’ombre du pénitencier, Adil était mon soleil, et nos projets nous faisaient croire en des jours meilleurs ! Même s’il avait pris perpète je serais restée. C’était comme ça, on était unis. Il n’a pas pris perpète, il a été condamné à mort ! Chaque soir, quand je ferme les yeux, je revois Adil allongé sans vie sur le sol de cette cellule. Il a fermé les yeux à tout jamais dans cet endroit.

    J’aurais voulu lui dire plein de choses. Mais quand je suis arrivée a la barre, j’ai été incapable de dire quoi que soit. Je n’ai fait que pleurer.

    Douze mois de prison avec sursis ont été requis contre lui, douze mois… douze mois pour la vie d’un homme. Il n’a pas fait exprès ? Mais il n’a rien fait pour l’éviter. Ma victoire sera d’avoir réussi à l’amener devant ce tribunal. Lors de ma dernière visite a la morgue, j’ai promis à Adil d’aller jusqu’au bout, de lui rendre justice. Et même si j’ai fait cette promesse à un corps froid, immobile, je me devais de la tenir.

    Délibéré le 9 février 2022.

    Anne, compagne d’Adil Taychi

    Des réactions à l’antenne de l’Envolée suite à la lecture du texte d’Anne :

    Comme pour Gordana, morte à Fleury Merogis en 2012, comme pour Yassin mort à Villefranche en janvier 2022, l’administration pénitentiaire (AP) a laissé mourir quelqu’un à l’intérieur alors que tout le monde voyait que son état de santé se dégradait. Ces histoires, trop nombreuses, on n’en entend parler que quand des codétenus lancent l’alerte, que des proches se battent pour la vérité, que des avocats se bougent…

    Rappelons ce qu’Anne disait en septembre 2017*. En février 2016, à son arrivée au parloir, elle est convoquée par un gradé qui lui explique qu’Adil est en très mauvaise santé ; des codétenus doivent aider Adil à descendre jusqu’au parloir ; les matons lui disent : « Si t’es pas en état, t’auras pas de parloir. » lls essaient de faire croire à Anne que c’est un parloir fantôme**, elle insiste pour voir Adil. Lors du parloir, il crache du sang, s’évanouit devant elle… elle appuie sur la sonnette d’urgence, les matons lui mettent des coups à terre et le traînent en disant : « Tu simules pour t’évader. » Ils font évacuer les parloirs, et disent à Anne : « Si tu veux qu’on soigne Adil, il faut que tu t’en ailles. » Il meurt deux jours plus tard, sans avoir été soigné, après avoir vomi du sang toute la journée. C’est parce qu’Anne a insisté pour le voir au parloir et parce qu’ils avaient communiqué avant par téléphone (même si c’est interdit) qu’elle a pu connaître son état de santé et le défaut de soin. C’est seulement pour ça qu’elle a une autre version que celle des matons et qu’elle sait la vérité.

    C’est immonde de laisser quelqu’un mourir d’un ulcère à l’estomac, dans une souffrance aussi intense. Un ulcère, ça se soigne. Comment on peut dire à quelqu’un qui crache du sang qu’il simule ? Ça révèle à quel point ils sont en guerre contre les prisonniers. Ça nous rappelle amèrement comment les matons qui ont tué Sambaly Diabaté pensaient qu’il s’était déféqué dessus pour les emmerder… alors qu’il était mort ! Les matons s’improvisent médecins pour décréter qu’un prisonnier simule, alors qu’évidemment ils n’ont aucune formation médicale. Et le médecin, lui, n’a pas l’air très compétent.

    La compagne d’Adil et la sœur de Sambaly ont fait preuve d’une force incroyable. Le fait qu’il y ait procès est une victoire. Pour ramener un médecin ou un maton devant un tribunal, c’est pas comme quand un flic porte plainte ! Pour faire éclater la vérité, pour que ça ne soit pas classé sans suite comme tant d’autres autres histoires, c’est un vrai combat. Anne se sera battue six ans pour qu’un procès ait lieu ! Comme après la mort de Gordana ou de Sambaly : les procès viennent de se tenir ! Pour les proches c’est des années de galère. Pour ces matons et médecins, quand la justice daigne les inculper, pas de comparution immédiate ! La plupart d’entre nous attendons nos procès en taule, alors qu’eux comparaissent libres et continuent d’exercer en attente du jugement dans la plus totale indifférence des faits qui leur sont reprochés.

    Et puis seul le médecin comparaissait ; il manquait beaucoup de gens à ce procès : des surveillants, une direction et des témoins. Ce moment aurait dû exister pour la famille, pour qu’elle entende la vérité. Dans ses dépositions, la directrice de la prison a chargé le médecin en disant qu’elle prenait des nouvelles d’Adil et que le docteur lui répondait : « Il simule, des examens sont en cours ». Certains surveillants auraient même voulu extraire Adil pour le faire soigner. Le médecin, lui, s’est défendu en rejetant la faute sur l’AP. Même si les médecins ne sont plus payés par l’AP depuis les années 90, ils restent des collabos des matons. Il s’est aussi défendu en parlant d’« erreur de diagnostic », mais il pensait qu’Adil simulait et était dangereux. Quel est le rapport entre la supposée dangerosité et une erreur de diagnostic ? En quoi la supposée dangerosité d’un prisonnier excuse-t-elle le refus de le soigner alors qu’il est à l’agonie ? Si un médecin pense systématiquement que son patient ment, il doit changer de métier. S’il se range systématiquement à l’opinion des surveillants, alors il est un maton, pas un médecin. Le scandale, c’est aussi qu’ambulanciers et urgences ne peuvent pas intervenir d’eux mêmes en prison : à chaque fois il faut que le service médical ou l’AP valide. Ça leur donne un contrôle total sur ce qui se passe, y compris quand il y a violence des matons, quand ils sont en train de pousser quelqu’un à bout.

    Suite à la plaidoirie de l’avocat de la famille, celui du médecin est tombé dans les pommes, du coup il a eu trois semaines de délai pour peaufiner sa plaidoirie -un luxe, alors que des étrangers en CRA sont jugés pour les révoltes au Mesnil Amelot sans êtres présents, sans visio, sans contact avec leur avocat ! Le droit est toujours utilisé contre notre gueule. Les droits de la défense, c’est pour les policiers et les matons accusés de violence, pour les bourgeois qui passent au tribunal. Pour les autres, on en entend jamais parler.

    La procureur a demandé douze mois avec sursis : c’est ridicule. Nous ne souhaitons la prison à personne, mais ce médecin devrait au moins être interdit d’exercice. Début février, le médecin a carrément été relaxé, donc la justice confirme aux matons et aux médecins qu’ils peuvent laisser mourir des gens, leur refuser des soins, qu’il ne va rien leur arriver. Si la justice ne reconnaît pas les responsabilités, nous connaissons la vérité. Racontons-la partout et intéressons-nous aux suites : appel, tentative de saisir l’ordre des médecins…

    Notes :

    * Vous pouvez réécouter ici un entretien de septembre 2017 où Anne revient longuement sur l’histoire, ou le lire dans le journal l’envolée n°47.

    ** On parle de « parloir fantôme » lorsque le prisonnier ne souhaite pas s’y rendre, ou lorsque le visiteur n’est pas venu.

  • ÉMISSION DU 1er MAI 2020 :                  les prisonnier.es face au confinement, semaine 7 : proches et prisonnier.es tiennent le cap.

    ÉMISSION DU 1er MAI 2020 : les prisonnier.es face au confinement, semaine 7 : proches et prisonnier.es tiennent le cap.

    L’Envolée – émission du 1er Mai 2020 (1h30)
    • Clin d’œil : Olivier parle des QMC, prisons les plus sécuritaires de France, pendant le procès de la mutinerie de Valence en 2016.
    • Contaminations covid-19 en prison, on touche du bois : pas de cluster jusqu’ici. Mais toujours pas de parloirs !
    • Point sur le peu d’informations qui circule sur le retour des parloirs avec le déconfinement : mépris des familles et des prisonnier.e.s alors que le maintien du lien familial est impératif et urgent.
    • Retour sur les difficultés rencontrées lors des recours actuels et le climat dans les tribunaux, sous cette « justice de confinement ».
    • Topo sur la situation de Jean Christophe Merlet, prisonnier handicapé dont l’état de santé se dégrade. Nous attendons sa libération, bien que la période aurait déjà dû la rendre effective: acharnement de l’administration pénitentiaire ?
    • Lettre des proches à la ministre des tribunaux et des prisons : mise en danger des personnes privées de liberté, plus de 150 proches se sont mobilisé.e.s pour la signer (contactez-nous pour participer !)
    • Billet d’humeur : face à la répression en banlieue et dans les quartiers populaires, colère et parallèle avec les révoltes de 2005.
    • Des nouvelles des prisons pour étrangers. A Lille : blocage pour soins et tests, transfert des personnes considérées comme « meneuses » à Metz. Une cinquantaine de personnes expulsées vers la Roumanie ce jeudi, des prisonniers Mesnil-Amelot et de Lille. Pressions pendant le Ramadan.
    • Lecture de témoignages de prisonniers du CRA de Vincennes.
    • Début d’un tour du monde des révoltes et mouvements en prison : traitement des prisonnier.e.s palestinien.ne.s, gros mouvements des prisonnier.e.s argentin.e.s (lecture du manifeste des prisonnières et ex prisonnières d’Ezeiza) et brièvement aux États Unis.



    Billet d’humeur :
    C’EST PAS LA GUERRE SANITAIRE,
    C’EST LA GUERRE DES FLICS CONTRE LES JEUNES
    Comptez pas sur les grands frères pour éteindre le feu en banlieue

    2020 : le Coronavirus arrive. Confinement oblige, les quartiers sont déserts. Comme partout en France, les centaines de morts annoncés chaque jour font flipper même les petits qui sont habituellement posés tranquilles en bas des tours. Ils restent à la maison, où ils sont parfois dix à s’entasser les uns sur les autres dans un f2 ; donc effectivement, de temps en temps, un bol d’air s’impose… mais les flics s’emballent. Ils règnent en maîtres absolus dans les tristes rues désertées, mettent les bouchées doubles, collent des amendes même quand les consignes sont respectées. Insultes, humiliations, violences, torture… ils vont parfois jusqu’à tuer. Depuis le début du confinement, cinq personnes sont mortes suite à des contrôles d’attestation, et on ne compte plus les vidéos de contrôles abusifs ; les autorités détournent le regard comme si c’était normal. Quinze ans après les émeutes de 2005 en banlieue, c’est toujours le même mépris, le même aveuglement volontaire ; toujours le même permis de tuer.

    Samedi 18 avril, un jeune homme roule à moto à Villeneuve-la-Garenne. D’après les témoins, à un feu tricolore, le deux roues arrive à la hauteur d’une voiture de flics banalisée et un des flics ouvre la portière du côté du motard, le blessant grièvement à la jambe. La portière comme arme par destination – s’il s’agissait d’un citoyen lambda. Des centaines de vidéos montrent les moments qui ont suivi ce drame : on entend les gens dire aux flics qu’ils ont merdé, que c’est grave ; la colère gronde de partout. Le bruit court que le gars aurait perdu sa jambe…

    C’est la goutte qui fait déborder le vase. Y a plus de Covid-19, plus de confinement. Plus que le ras-le-bol de subir – et on retourne quinze ans en arrière : la france crâme. C’est pas la guerre sanitaire, c’est la guerre des flics contre les jeunes. Comme en 2005, la presse reste très discrète, les grands médias préfèrent gloser en boucle sur le déconfinement du 11 mai. Une fois de plus, on dirait que les jeunes des quartiers populaires peuvent bien crever. Au lendemain des affrontements, le ministère de l’Intérieur indique dans un communiqué de presse que “des médiateurs sont déployés par la commune de Villeneuve-la-Garenne”.

    2005 : Zied et Bouna, deux gamins assassinés impunément par les flics. A l’époque, on est beaucoup à s’être battus à coup de pierres face aux armes des condés qui n’hésitaient pas à nous tirer dessus à balles réelles. Sarkonar – le ministre de la Justice de l’époque – voulait passer la population de ces endroits où on crève assassiné par la police au Karcher. On est aussi beaucoup à avoir été incarcérés après ces combats de rue, pour incendie de véhicule, lancer de cocktails Molotov, jet de projectiles divers sur les bleus depuis les fenêtres – au bout de ces trois semaines intenses, il restait presque plus un seul micro-ondes dans le quartier ! On est beaucoup à pas avoir oublié les images de la télé qui disait que ça faisait les gros titres dans le monde entier : “Ça brûle dans les quartiers populaires de France.” Ceux qui ont vécu ça, on les appelle maintenant les “grands frères”… et c’est eux, devenus “médiateurs”, que la mairie de Villeneuve-la-Garenne “déploie” pour apaiser ceux qui ont vu l’un des leurs volontairement blessé par la police ?

    Comment imaginer une seconde que ceux qui ont vécu cette époque iront calmer leurs mômes ou leurs petits frangins ? Ce serait hypocrite de chercher à juguler la juste colère de ceux qui savent qu’ils ne sont jamais entendus et qui veulent simplement que la vérité éclate. Ils peuvent tout au plus endurer la souffrance de les voir revivre la même guerre qu’eux à quinze ans d’intervalle… et leur dire de faire attention à eux, et de faire attention les uns aux autres. Ne pas se laisser faire, c’est ne pas se laisser mourir, et c’est ce que font ces jeunes pleins de courage. Quelle insolence de la part de ces costumes-cravates. Comme si les anciens n’avaient pas de cœur ! Qu’ils sachent que Zied et Bouna restent les petits frères de toute une génération. Les autorités s’en doutent probablement, puisqu’elles lancent en même temps des poursuites contre les parents des jeunes émeutiers, comme déjà en 2005. Oui, on a grandi ; mais pas oublié, ni pardonné.


    FACE AU COVID-19 EN PRISON : AMNISTIE GENERALE !

    Depuis 2001, L’Envolée, c’est une émission et un journal pour en finir avec toutes les prisons faits par d’anciens prisonniers et prisonnières et des proches pour relayer la parole des enfermé.e.s.
    L’abonnement au journal est gratuit pour les prisonniers et prisonnières qui en font la demande. L’épidémie de Coronavirus a de lourdes conséquences en prison. C’est pourquoi, face à la gravité de la situation, nous avons décidé de produire un bulletin d’information quotidien de vingt minutes, que vous pouvez écouter chaque jour de la semaine sur la FM, les plateformes de podcast et sur lenvolee.net, en plus de l’émission du vendredi qui est maintenue.

    Les émissions sont diffusées toute la semaine sur les ondes des radios : FPP (région parisienne, 106.3), Canut (Lyon 102.2), MNE (Mulhouse 107.5), Campus (Clermont-Ferrand 93.3), Clé des Ondes (Bordeaux 90.10), La Locale (Saint Girons 97.3), Prun’ (Nantes 92.0), Jet FM (Nantes 91.2), Galère (Marseille 88.4), Campus (Grenoble 90.8), Campus (Dijon 92.2), Panik (Bruxelles 105.4), St Affrique (Montauban 96.7), Dio (Saint Étienne 89.5), RKB (Guingamp 106.5), Vassivière (Royère 88.6), Canal Sud (Toulouse 92.2).
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    Il est plus que jamais nécessaire de ne pas laisser les prisonniers et les prisonnières seuls face à l’arbitraire de l’administration et de faire entendre leur voix. Nous relayons les actions collectives et individuelles dont vous nous informez ainsi que des témoignages directs sur la situation à l’intérieur. Tenez-nous au courant par tous les moyens à votre disposition. Nous diffuserons les messages vocaux et les textos de prisonniers et de prisonnières que vous nous enverrez. Nous lirons également les messages que les proches privés de parloir nous demanderont de passer.


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