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  • « C’est pas un « manque de soin », c’est un refus de soigner »

    « C’est pas un « manque de soin », c’est un refus de soigner »

    Retour sur la mort de Gordana à Fleury-Mérogis en 2012

    Nous avons appris par la presse qu’un médecin a été jugé le 15 novembre 2021 pour homicide involontaire sur une prisonnière de la MAF de Fleury-Mérogis. Cette prisonnière, c’est Gordana, décédée après avoir réclamé des soins en vain. Sylvia, qui anime l’émission de L’Envolée depuis des années, était incarcérée à Fleury en 2012. Le 19 novembre dernier, elle a raconté à l’antenne l’histoire comme elle l’a vécue (Écouter l’émission ici). Les prisonnières se sont révoltées. Si l’administration pénitentiaire ‒cette fois ‒ n’a pas pu complètement étouffer l’affaire, c’est grâce à leur ténacité. Quelques médias en ont parlé, et L’Envolée a relayé la parole des enfermées.

    Neuf ans (!) après, un médecin a fini par être jugé ; il risque tout au plus les quelques mois de sursis requis contre lui et une amende (verdict le 3 janvier). L’AP n’est même pas mise en cause : la justice n’a pas jugé utile de faire témoigner des prisonnières qui avaient dénoncé ce fatal refus de soins. Pourtant, ces récits montrent qu’au-delà du mépris du corps médical pour les prisonnier.e.s, c’est le système pénitentiaire lui-même qui a causé la mort de Gordana.

    « LES PRISONNIÈRES, ON EST ASSEZ SOLIDAIRES DANS DES MOMENTS COMME ÇA »
    Récit de Sylvia à l’émission L’envolée du 19 novembre 2021

    « On a vu un article sur le procès d’un médecin jugé pour « manque de soins » sur une femme décédée à Fleury-Mérogis en 2012. On a directement percuté que c’était de Gordana, morte dans la nuit du 1er novembre 2012, qu’ils parlaient. Dans cet article, on voit qu’un médecin est incriminé, mais il manque plein de gens, en fait, au procès !

    Commençons par le début : dans la journée, Gordana se plaint de douleurs à la poitrine, au thorax et au dos. C’est pas des plaintes, c’est vraiment des douleurs, elle est très fatiguée, elle est pas bien. Donc en promenade, on décide d’appeler la surveillante qui garde la cour ; on tape à la porte, ils ouvrent, on dit qu’elle est malade, que c’est grave, que dans son dossier médical il est connu qu’elle a des problèmes de cœur, et que ce serait bien qu’elle aille voir le docteur parce que c’est une alerte cardiaque mortelle. La surveillante referme la porte, les prisonnières retapent, insistent fortement… ils décident de faire remonter Gordana en cellule, qu’elle partage avec sa cousine.

    Toute la journée, elle reste enfermée, personne ne prend soin de venir l’aider. Les prisonnières, on est assez solidaires dans des moments comme ça… même si on s’aime pas, on est quand même solidaires, et quand y en a une d’entre nous qui est malade, on reste quand même humaines, et c’est le problème de tout le monde. Donc toutes les filles commencent à se rebeller et décident d’aller voir un gradé ‒ on va l’appeler Monsieur Piquet. Il explique que c’est certainement une crise d’angoisse et que s’il lui arrive quoi que ce soit, il en prendra l’entière responsabilité. Pourtant, apparemment, ce monsieur n’était pas au procès.

    Ensuite, comme on peut pas sortir de cellule, on frappe aux portes, ça frappe très tard et très fort ; ça prend les balayettes pour taper, ça met des coups de pied, ça crie aux fenêtres pour faire comprendre aux surveillants et aux gradés de garde qu’il y a un problème et qu’il faut agir. Il y a une surveillante ‒ on peut dire que son surnom c’était Spock ‒ qui passe dans le couloir quand ça tape aux portes en criant au désespoir, mais tout ce qu’elle trouve à dire, c’est : « Arrêtez de crier, c’est la fête des morts. » Elle est où, cette femme ? Elle est pas passée au procès.

    En France, y a pas beaucoup de prisons où y a un médecin de garde ; mais à Fleury-Mérogis, y en a un. C’est ce médecin de garde qui est incriminé. Il se décharge du fait qu’il s’occupait de deux hommes qui étaient malades, et c’est vrai qu’on en avait entendu parler. Donc il a diagnostiqué Gordana au téléphone, en disant que c’était pas très grave, que c’était effectivement une crise d’angoisse. Le souci, c’est que son dossier médical parle de problèmes cardiaques ; ça veut dire qu’il n’a même pas pris la peine d’ouvrir son dossier. Faut savoir que Fleury, c’est immense ; c’est tout un fonctionnement pour que ce docteur se déplace jusque là-bas, et à un moment, Gordana dit aux filles d’arrêter d’appeler les docteurs et de taper aux portes parce qu’elle est fatiguée. Donc ça s’arrête ; et le matin à 7 heures, elle est retrouvée morte dans leur cellule à l’ ouverture des portes.

    Suite à ça, y a eu des gros, gros mouvements à l’intérieur ; dont des refus de plateaux-repas. Ça peut paraître bête, mais c’est très significatif, un refus de plateau : ça veut dire que tu te mets en grève de la faim, et au bout de trois refus, le procureur de la république est obligé d’être au courant. Quand la presse a été prévenue, l’administration pénitentiaire se défendait en disant qu’il n’y avait que trois personnes qui refusaient le plateau. C’était évidemment complètement faux : y avait plus de 150 femmes qui le refusaient, prévenues comme condamnées. Après y a eu des refus de remonter de promenade avec des interventions des Éris [matons version robocop qui interviennent pour mater les prisonnier.e.s]. Les prévenues se sont alignées dans la cour en se tenant les mains. C’est assez symbolique, parce que c’est de cette façon que les Éris viennent en cours de promenade pour cerner les prisonniers ou prisonnières. Elles ont décidé de se mettre en ligne, et de prendre un briquet. Il y a pas de barreaux chez les femmes, à Fleury, donc c’est facile de jeter des trucs ; elles ont jeté des draps par les fenêtres et elles se sont entourées de draps en disant que si les Eris approchaient, elles s’immoleraient par le feu. Ça, c’était côté prévenues. Côté condamnées, elles ont fait un tas de draps au milieu de la cour et elles y ont mis le feu. Pour l’administration pénitentiaire, c’était très grave ; pour nous, c’était … pfff !

    Il y a eu 54 transferts disciplinaires. Ils disent tout le temps que Fleury est la plus grande prison de France, et effectivement, à l’époque il y avait 400 femmes ; 400 témoins de ce… de cet abattoir. Je sais pas comment appeler ça, mais pour moi c’est pas un « manque de soin ». Pour moi, c’est un refus de soigner.

    Dans les journaux, ils parlent pas des prisonnières entendues suite à la mort de Gordana, évidemment. Je trouve ça très triste. Ils banalisent la chose alors que Gordana avait sept enfants, en prison pour un petit délit… Je tenais à lui rendre hommage aujourd’hui. Son mari qui était incarcéré à Fresnes a appris la mort de sa femme dans des circonstances horribles. Quand on a contacté l’avocate de Gordana un an après sa mort, il y avait toujours pas eu d’autopsie. Et sans autopsie, pas d’enterrement…

    Le procureur requiert huit mois de prison avec sursis et 2 000 euros, et le médecin se défend en disant qu’il était submergé de travail et que la surveillante du moment a dit que c’était pas la peine de venir, qu’elle allait mieux. Elle s’est autoproclamée médecin ‒ avec ses réflexions de merde… En même temps, c’est pas qu’une question de diplôme. Quand t’es médecin, si t’es fatigué, mets-toi en repos. En plus il dit qu’il est de garde 24 heures ! On a l’UCSA [service médical de la prison] la journée, et un médecin de garde la nuit. L’après-midi, Gordana aurait dû aller à l’UCSA… ce médecin de garde, en fait, on s’en fout ! Et puis si c’est le même, il y a une lettre qui a été lue à l’antenne de l’Envolée à l’époque qui disait qu’il soignait les femmes comme de la merde. Je sais de quoi je parle, puisqu’on avait été amenées dans le bureau du directeur suite à cette lettre ! »

    A l’époque, des prisonnières et l’avocate de Gordana étaient intervenues à l’antenne de L’Envolée pour dénoncer le rôle du médecin et de la pénitentiaire dans la mort de Gordana. On peut lire des transcriptions plus complètes dans le n°34 (janvier 2013) du journal L’Envolée, disponible ici. En voici quelques extraits en écho au récit de Sylvia ci-dessus.

    « ON A AU MOINS RÉUSSI À FAIRE SORTIR L’INFO »
    Lettre de Sylvie

    Maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, le 8 novembre 2012

    Depuis la veille à 16 h 30, soutenue par sa codétenue, Gordana signale aux surveillantes qu’elle va mal. Douleur à la poitrine et fourmillements dans le bras gauche. Les surveillantes disent qu’il n’y a plus de médecin. Mais ont-elles appelé l’Ucsa ? À 22 heures, elles se re-signalent. Gordana va de plus en plus mal. [] À 23 heures, un chef monte, ouvre la cellule. Gordana redonne ses symptômes. Toujours mal dans la poitrine, et ce bras gauche qui ne bouge presque plus. Le médecin n’étant pas disponible, ce ne doit être qu’une crise d’angoisse. Le chef prendra ses responsabilités s’il se passe quelque chose ! Eh bien le pire est arrivé. On a laissé une femme angoissée au chevet d’une mourante. Cela s’appelle « non-assistance à personne en danger ». Il fallait l’amener aux urgences.

    Dès le vendredi après-midi, l’AP s’est passé le mot : ce n’est pas de leur faute, c’est le médical, s’il y a enquête. S’ils ne se sentaient pas coupables ou s’ils ne tentaient pas de se dédouaner, ils n’auraient eu aucune raison de communiquer avec nous. Cela a touché toute la maison d’arrêt des femmes. Vendredi après-midi, nous avons bloqué la promenade. Calmement, solidaires (un moment rare depuis que je suis en prison). Toutes les filles sont restées. [] Madame Herry, la directrice, est sortie en promenade. J’ai été lui parler. Voilà son discours, et sa défense bien préparée : « C’est pas nous, c’est le médical. » …et un chef de me préciser que depuis 1994, le médical est dissocié de l’AP. OK, mais qui détient les clés ? Qui est capable de réagir devant des situations d’urgence ? [] De plus, toutes celles qui ont pu ont fait sortir l’info. Les médias en ont parlé, et l’AP – alors que le matin elle avait dit que rien ne s’était passé aux journaleux qui avaient appelé –, bien sûr, a dû faire un communiqué. Nous avons bloqué gentiment. Pas d’émeute. Mais la violence est la seule réponse que l’AP a su opposer à notre souffrance. Trois détenues, pieds et poings liés, ont été transférées, escortées par les Éris. Plus de blocage. De toute façon, l’info est sortie. Maintenant, vous et moi on sait que des cas comme cela, il y en a au moins un par semaine. Les médias n’en parlent pas. Là, on a au moins réussi à faire sortir l’info. [] »

    Sylvie

    « LES SITUATIONS D’URGENCE SONT MORTELLES EN DÉTENTION »
    Extraits de l’interview de maître Crosnier, avocate des proches de Gordana, réalisée fin 2012


    Me Crosnier : Forcément, la pénitentiaire est couverte, puisque leur seule obligation, c’est d’avertir le médecin et de décrire tant bien que mal les symptômes. Gordana avait déjà averti le juge d’instruction et le juge des libertés qu’elle avait des antécédents cardiaques.[…] Les surveillantes n’ont pas une formation médicale qui leur permette d’appréhender si la situation est dangereuse pour la détenue ou pas. La description des symptômes est quand même parlante : douleur au bras et à la poitrine, a priori, n’importe qui arrive à comprendre qu’on est face à un accident cardiaque. Il y a tellement d’intermédiaires et il se passe tellement de temps entre le moment où la personne appelle à l’aide et l’arrivée des secours que les situations d’urgence sont mortelles en détention. Quand je suis arrivée en détention pour voir le mari à Fresnes, j’ai été prise à partie par un gradé de sa division qui m’a dit : « Ne vous en prenez pas à la pénitentiaire. » J’ai eu droit à une mise en garde à Fresnes [alors que Gordana est morte à Fleury-Mérogis]. Arriver à mettre en cause la responsabilité pénale de la pénitentiaire, c’est compliqué : ils se bordent en appelant le médecin. C’est sûr que le plus facile, c’est de s’en prendre au médecin, puisque c’est lui qui a la capacité de sauver la personne. C’est lui qui intervient en bout de chaîne, mais il n’est pas responsable de cette organisation. Je ne suis pas certaine que ce soit la partie médicale qui a organisé ce mode de fonctionnement quand il y a urgence. [Sa codétenue] s’est associée à la plainte, mais je ne sais pas si elle ira jusqu’à une constitution de partie civile. Après sa déposition devant la brigade de Fleury, quand j’ai annoncé que j’étais aussi son avocate, on m’a répondu : « Oui, enfin, vous savez… Maître… déjà, les dépositions de personnes incarcérées sous X … » Voilà le crédit qu’on apporte à la déposition de la personne qui est le premier témoin. Il y a forcément un a priori sur ses déclarations. […] En outre, il y avait d’autres filles du couloir qui tenaient absolument à être auditionnées parce qu’elles avaient entendu la cocellulaire appeler à l’aide plusieurs fois. La seule fille qui le sera finalement, c’est, comme par hasard, celle qui n’a rien entendu. Incohérence supplémentaire, les déclarations des surveillantes signalent bien des appels au secours… Il y a plusieurs détenues qui m’ont écrit pour être simple témoin, pour que leurs voix soient entendues et non pas pour porter plainte. La dernière lettre que j’ai reçue d’une de mes clientes de la MAF signalait : « Il y a des détenues qui vous ont écrit, sauf que les courriers ont été bloqués. » Parce qu’elles aussi, elles dénoncent la difficulté d’accès aux soins : il y a un seul médecin la nuit pour toute la maison d’arrêt des hommes et des femmes de Fleury. J’ai des clients qui attendent six, huit mois pour avoir une paire de lunettes en détention, et c’est nous avocats qui les leur apportons, glissées dans les cheveux pour pouvoir passer les portiques. Sans parler de tout ce qui est gynécologique, etc. J’ai des comptes rendus d’histoires qui se sont passées à la MAF qui sont très inquiétants, sur des avortements qui auraient été provoqués, non consentis. On explique aussi à ces femmes qu’avoir un enfant en détention, c’est vraiment pas le bon endroit.

  • « Cette situation n’est pas due à un “manque de moyens”, mais à l’idéologie des magistrats »

    « Cette situation n’est pas due à un “manque de moyens”, mais à l’idéologie des magistrats »

    Envoyée à une mauvaise adresse, cette lettre de Daniel datée de juillet 2021 ne nous est parvenue qu’en octobre ; dommage, car ces réflexions et analyses limpides ont toute leur place aux côtés des lettres publiées dans le livre La peine de mort n’a jamais été abolie. Où commence la barbarie d’une peine ?, interroge Daniel. Il pose aussi la question de l’opportunité d’entamer une bataille juridique en déposant des requêtes à la commission de Strasbourg sur la notion de « peine inhumaine ».

    Par ailleurs, cette lettre nous arrive de Ensisheim ; on en profite pour rappeler que l’émission est désormais écoutable dans cette centrale d’Alsace sur les ondes de Radio MNE à Mulhouse. Merci à l’équipe !

    Maison centrale d’Ensisheim,

    le 5 juillet 2021,

    Bonjour aux Envoleurs (de L’Envolée),

    Je devais vous écrire, il y a longtemps déjà, mais bon, mieux vaut tard que jamais, alors voici.

    Un soir (sur je ne sais quelle station), il y a quelques mois, j’écoute (un bref instant) telle personne du monde libertaire (!) qui raconte qu’un jour il eut connaissance quel tel perpète était encore en taule après une quarantaine d’années où on l’y avait oublié. Il termina en précisant que si l’on avait donc aboli la peine de mort en France « pour mettre ça à la place (des quarante ans de cage), ce n’était pas la peine ».

    Ailleurs et jadis, Badinter aurait déclaré que s’il avait su alors que la perpète deviendrait sans fin, il aurait fixé une limite à cette peine de barbare.

    Il y a une quinzaine d’année (voire plus), j’ai tenté une requête à la Commission européenne des droits de l’homme (sic) à Strasbourg visant tel article de la convention (sic) selon lequel : « nul ne peut être condamné à un traitement ou une peine inhumaine ». Je posais ainsi la question gênante : est-ce que garder trente années et plus quelqu’un en taule est une « peine humaine » ? On ne pouvait que répondre : NON ! Aussi, ma requête a été rejetée (sous tel prétexte). Une amie de Suisse a tenté alors une même requête ; celle-ci a été évidemment rejetée aussi (sous tel ou tel prétexte).

    Octobre prochain : quarantième anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France (un siècle après le Portugal). On peut d’ores et déjà s’attendre à de forts méchants « débats » (truqués) où tel ou tel invité choisi réclamera le retour « immédiat » du coupage de tête ou de la taule à vie pour tous.

    Ma question sera alors la suivante : est-ce que vous seriez partant en tant qu’association pour tenter une requête à ladite commission de Strasbourg sur la notion de « peine inhumaine » ? Si l’OIP, l’Arapej, le Genepi et autres pouvaient s’associer à la démarche.

    Jadis, j’avais écrit à la Commission nationale consultative des droits de l’homme à Paris qui m’avait répondu que ce n’était pas à eux de s’occuper du sujet mais au contrôleur général des prisons… Mme Hazan, que j’avais alors contacté, m’avait fait savoir qu’elle avait parlé du sujet dans son rapport annuel, mais tout le monde sait l’impact en France de ce type de rapport… En début d’année 2021, j’ai écrit au même sujet à Badinter, à Dupond-Mor (deux fois), à sa porte-parole (Mme É. Masson) : aucune réponse de personne (sujet gênant ou courrier pas lu, ou…)

    À noter aussi que, sur ce sujet, tout le monde ment. Les Dernières Nouvelles d’Alsace par exemple déclarent qu’on (les perpètes) sortiraient de taule après 19 années, tel magistrat (à la télé, radio et autre) affirme que l’on sort tous après 22 ou 25 années de taule. Quand je suis arrivé dans ce camp, les perpète sortaient en général après 16 à 19 années de taule. De nos jours, après 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36… années (la plupart avaient 15 ans de sureté) et « 36 repassages » au centre national d’évaluation (sic). On est encore en cage. Si ça, c’est pas des peines barbares, qu’est-ce que c’est ?

    En France, à l’heure actuelle encore, il est interdit de se réinsérer. La preuve par les chiffres : près de 80 % des demandes de conditionnelle (moyennes, longues et trop longues peines) sont refusées. Cette situation n’est pas due par exemple à un « manque de moyen » (ou autre refrain) comme le croit et l’écrit l’analyse parue en mai dernier dans l’article du Monde diplomatique « Une justice au bord de l’implosion » (sic) mais cela est dû à l’idéologie à laquelle adhèrent les refuseurs. Le phénomène n’est pas nouveau, Badinter signale je ne sais plus où cette adhésion massive des magistrats à telle idéologie pour la période 39-45…

    Bref, je vous remercie de votre attention, recevez mes salutations.

    Daniel Dolard

  • [Visuels à imprimer] 40 ans que la peine de mort… existe encore !

    [Visuels à imprimer] 40 ans que la peine de mort… existe encore !

    Ces 13 visuels ont été conçus pour la sortie de notre livre « La Peine De Mort N’a Jamais Été Abolie » paru aux Éditions du bout de la Ville. Une manière parmi d’autres, que nous souhaitons nombreuses, de rappeler que le 9 octobre 2021, ça fera 40 ans que la peine de mort existe encore (c’est la guillotine qui a été abolie !). Ce sont les prisonniers et les prisonnières qui le disent, et ce sont hélas les mieux placé.e.s pour le savoir.

    Au moment où l’État français se gargarise de cette « grande victoire humaniste », il s’agit pour nous de troubler un peu la fête en exposant au grand jour la mascarade de la prétendue abolition. Nous aimerions que fleurissent dans les rues ces dits et écrits de prison, tous extraits du livre. Nous vous invitons donc à imprimer, afficher, faire passer ces paroles des premiers et premières concerné.e.s… Faites tourner sans modération, dans tous les formats possibles !

    Campagne d’affichage « La peine de mort n’a jamais été abolie »

    Vous trouverez dans ce dossier tous les visuels, prêts pour une impression A3, au format PDF : AFFICHES
    Si urgent, ou si vous aimeriez des stickers, contactez-nous à contact@lenvolee.net

  • « On comprend pourquoi certains prisonniers ont préféré demander à leurs proches de ne pas venir pour leur épargner cette humiliation »Communiqué des femmes de prisonniers de Condé sur Sarthe et du Syndicat PRP

    « On comprend pourquoi certains prisonniers ont préféré demander à leurs proches de ne pas venir pour leur épargner cette humiliation »Communiqué des femmes de prisonniers de Condé sur Sarthe et du Syndicat PRP

    Communiqué des femmes de prisonniers de Condé sur Sarthe et du Syndicat PRP

    Suite au premier parloir à Condé-sur-Sarthe depuis le blocage

    Ce mercredi 27 mars 2019, nous avons enfin pu voir nos proches, nos frères, nos maris. Cela faisait trois semaines ; trois semaines d’inquiétude. Depuis trois semaines, nous n’avions de leurs nouvelles que par des coups de fil de quelques minutes. Et ces nouvelles  étaient angoissantes. Depuis trois semaines, nos proches ont subi la violence sourde de la grève des matons.

    En bloquant la prison de Condé-sur-Sarthe, les matons ont rajouté de l’isolement à l’isolement. Construite pour enfermer des hommes condamnés à des « peines infaisables » durant une vie entière, cette prison est déjà ultrasecurisée. L’enfer vécu par nos proches, que nous avons déjà dénoncé, nous a été confirmé, durant nos parloirs. Pendant trois semaines, ils ont été enfermés dans leur cellule toute la journée : pas de promenade, pas d’accès au travail -donc moins de moyens pour cantiner le mois prochain. Ils ne recevaient de la nourriture qu’une fois par jour (une baguette et une boîte de thon, et pour certain une portion de riz pour trois jours). Il n’y avait pas non plus de cantine (le magasin interne de la prison où les prisonniers peuvent acheter de la nourriture ou des cigarettes… à des tarifs plus élevés qu’à l’extérieur). Certains ont eu droit à leurs cigarettes, mais pas tous. Pour certains, les télés, plaques de cuisson ou encore table et fer à repasser ont été confisqués. Il y a aussi eu des coupures d’électricité, d’eau et de chauffage. Enfin, les poubelles se sont entassées dans les cellules, car les déchets n’étaient pas récupérés… Ils ont été enfermés par les Eris (le GIGN de la prison) qui ont appliqué leur pratique (encore plus) brutale durant ces trois semaines : comment supporter de se faire livrer sa seule gamelle de la journée par une personne cagoulée, qui d’habitude nous frappe et nous envoie au mitard lorsqu’on exprime nos désaccords face à l’administration ? Les Eris ont passé à tabac ceux qui dénonçaient la situation.

    Lorsqu’enfin le blocage devait cesser, ils ont subi l’humiliation supplémentaire d’une fouille intégrale de la prison. Après leur avoir fait vivre l’enfer, les matons osent s’étonner d’une « certaine froideur et de l’incompréhension de la part des détenus, car ils se considèrent eux aussi comme victimes ».

    On doit le dire, on est arrivées pour ce parloir un peu inquiètes. L’administration pénitentiaire a accepté l’ensemble des mesures sécuritaires demandées par les syndicats de matons fascisants. La presse relayait que les moments collectifs vont être encore plus limités et vont renforcer l’isolement de nos proches (fermeture des espaces communs, locaux réaménagés pour limiter les regroupements, les Eris vont rester dans l’établissement encore longtemps). Des grilles vont être installées à la place des barreaux actuels limitant les possibilités de yoyo (grâce aux yoyos, les prisonniers peuvent se filer des objets de cellule en cellule – durant le blocage ce fut essentiel : nos proches ont été solidaires entre eux en s’échangeant cigarettes ou bouffe grâce aux yoyos car ils étaient bloqués en cellule 24h sur 24).

    Les mesures sécuritaires sont déjà mises en place avec des conséquences désastreuses. Alors que la situation était déjà intolérable avant le blocage, elle empire… Les Eris continuent à tourner dans l’établissement en soutien aux matons. Les espaces collectifs sont fermés : pas d’accès aux cuisines collectives et aucune possibilité d’y récupérer la nourriture stockée qui a été jetée, pas d’accès aux machines à laver… Le matériel confisqué n’a toujours pas été rendu entrainant pour certains l’impossibilité de se faire à manger.

    On était inquiètes, car on se demandait comment nos proches seraient : dans quel état de stress ? Ne seront-ils pas trop marqués par ces trois semaines d’isolement ?

    On était inquiète pour nous-mêmes  aussi ; nous qui vivons les peines de nos proches par procuration, sans être passés devant un juge. La semaine dernière, les matons ont cherché à faire monter la pression sur les réseaux quand on revendiquait notre droit à voir nos proches. Mais ils avaient disparu vendredi dernier, lorsqu’on est venues devant Condé-sur-Sarthe. Ils ne nous avaient pas laissées entrer, mais au moins, ils n’étaient pas venus à la confrontation. Reste qu’ils avaient annoncé des fouilles des familles pour la reprise des parloirs ce mercredi.

    Qu’allaient-ils encore nous réserver ? Juste des palpations ? Qu’allaient-ils faire avec les enfants et les nourrissons ? Par précaution, pour ne pas traumatiser les petits, certaines d’entre nous ont préféré y aller seules pour ce premier parloir.

    En arrivant, on constate rapidement que les matons ont la haine contre nous : ils ont  saccagé l’abri famille. Dès l’arrivée dans le sas, on comprend qu’ils feront tout pour nous humilier. Il y a des flics en renfort. Avec les matons, ils sont une vingtaine, et le directeur adjoint de la prison est là, alors que nous sommes moins de quinze… Ils nous font aligner contre le mur. Les enfants sont tous palpés, et pour les nourrissons, il faut leur enlever la couche devant un flic. Les adultes finissent tous en sous-vêtements ; on nous demande même de secouer nos culottes et soutiens-gorge. Le directeur adjoint force les flics à fouiller un vieux monsieur qui avait été initialement dispensé de l’humiliation. On comprend pourquoi certains prisonniers ont préféré demander à leurs proches de ne pas venir pour leur épargner cette humiliation. Le directeur adjoint se charge de mettre la pression sur certaines familles, leur demandant de gérer leur mari « agressif » (qui ne le serait pas après  trois semaines dans ces conditions ?) sous peine de se voir supprimer leur parloir.

    De nouveau, nous dénonçons les conditions d’incarcération de nos proches. Nous dénonçons l’existence même de la prison de Condé-sur-Sarthe, qui applique des peines de mise à mort sociale. Nous dénonçons l’isolement qu’ils subissent et les humiliations qui se cachent derrière les mesures « sécuritaires ». Nous ne pouvons accepter que nous, famille et proches, qui n’avons jamais condamnées, nous subissions aussi l’enfermement, et que nous soyons fouillées par des matons.

    Toujours aussi déterminés, nous resterons toujours solidaires avec nos proches ! Et avec les autres prisonniers qui ont subi des blocages, comme à Seysse, où ils ont refusé de remonter de promenade !

    Le syndicat PRP et des femmes de prisonniers de Condé-sur-Sarthe

    Sur un mur de la ville de Seysses (31)

  • Appel national à perturber la justice quotidienne le mardi 5 mars 2019

    Appel national à perturber la justice quotidienne le mardi 5 mars 2019

    Nous relayons ici un appel émanant d’une assemblée des environs de Toulouse dont nous partageons, évidemment, l’analyse !

    Appel national à perturber la justice quotidienne le mardi 5 mars 2019 

    « Depuis le début du mouvement des Gilets jaunes la répression s’abat avec une grande violence. La répression, c’est d’abord la police qui blesse, mutile, tue (comme Zineb Redouane à Marseille le 2 décembre), et qui a arrêté plus de 8 000 personnes en trois mois.

    C’est aussi la justice, qui a condamné 1 800 personnes dont plusieurs centaines dorment aujourd’hui en prison. Nous ne les oublions pas ! Mais la justice ce n’est pas seulement la répression du mouvement social.

    La justice, c’est cette machine qui chaque jour, dans le silence des salles d’audience à peine troublé par le froufrou des robes bordées d’hermines des magistrats, condamne les pauvres. Ce sont le paternalisme, le racisme et le mépris de classe du juge qui « mène les débats » et prononce la peine. C’est cette mécanique qui chaque jour broie des centaines de vies sans que l’on s’en émeuve.

    Ces vies broyées, ce sont d’abord et en immense majorité celles des pauvres. Les petits délits sont désormais le plus souvent jugés en comparution immédiate : des prévenu.e.s comparaissent en sortant directement de garde à vue (parfois de 48 h), n’ayant pas de temps pour préparer leur défense ; des procès bâclés, et dans la majorité des cas des condamnations plus lourdes.

    Tandis que des Sarkozy ou des Fillon se la coulent douce, les Gilets jaunes condamnés ont fait les frais de ce dispositif ; mais il touche plus généralement des pauvres tâchant de s’en sortir.

    Dans un monde où l’argent est roi, comment vivre quand, pour beaucoup, toute opportunité de travailler légalement a depuis longtemps disparu ?

    Parce que la justice ne fonctionne si efficacement que grâce au silence dans lequel elle s’exerce, nous appelons à aller, partout en France, le mardi 5 mars, assister aux audiences près de chez vous, qu’elles concernent ou non des Gilets jaunes. Notre simple présence transformera le déroulement des audiences et pourra en atténuer le résultat.

    Amnistie pour toutes les personnes inculpées du mouvement social!

    Solidarité avec toutes les prisonnières et tous les prisonniers !

    L’assemblée du Mas d’Azil (avec ou sans gilet)

  • EMISSION DU 25 JANVIER 2019

     

        • Communiqué : de prisonniers du CRA de Mesnil Amelot
        • Appel : de deux prisonniers du CRA de Mesnil Amelot
        • Appel : de deux prisonniers du CRA de Plaisir
        • Appel : de trois prisonnières du CRA de Mesnil
        • Brèves : soutiens et manifs à l’extérieur

    A voir, le site des copains/copines de l’émission contre les CRA (chaque dernier vendredi du mois) : abaslescra.noblogs.org


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  • « C’est ça, la justice ? Eh ben vivent les gilets jaunes, ils ont raison ! » comparutions immédiates, Paris, 14 janvier

    Des Gilets jaunes face à la justice de classe, 3ème épisode : Comparutions immédiates suite à l’acte IX le 14 janvier 2019

     Ce lundi 14 janvier 2019, l’activité de la 24e chambre était exclusivement consacrée à la répression d’un mouvement social qui dure depuis plus de deux mois maintenant. L’audience a duré jusqu’à 22 heures, et des Gilets jaunes passaient aussi en comparution immédiate dans deux autre salles. Tous les inculpés qui ont demandé un renvoi l’ont obtenu. Le délit fourre-tout qui a servi lors des précédentes comparutions immédiates à condamner des gens sans rien dans le dossier – la fameuse « participation à un groupement, etc. » – a peut-être montré ses limites. En effet, dans certaines audiences en renvoi, le tribunal a relaxé des personnes accusées de ce seul délit car le groupement en vue de commettre des dégradations suppose des faits matériels, qui souvent n’étaient pas caractérisés (voir notre article ici). La seule présence là où il y a des « dégradations » ou des « destructions »ne suffit  pas toujours pour inculper quelqu’un ; alors quand les dossiers sont vraiment trop vides, le parquet se sert notamment du délit de « violence », d’un emploi plus facile, car il repose sur une pièce unique : le PV du flic interpellateur, qui n’a qu’à confirmer au parquet par téléphone que le prévenu est bien coupable des faits – v’là l’identification ! Bref le parquet multiplie les chefs d’accusations ; comme ça, si les avocats obtiennent la relaxe pour certains, il en reste encore assez pour prononcer une sanction pénale. Et puis le proc’ a bien rappelé – jurisprudence à l’appui – qu’il n’est pas nécessaire que le projectile ait atteint sa cible supposée pour qu’il y ait « violence envers une personne dépositaire de l’autorité publique ». Le jet du moindre objet dans la direction de CRS, baqueux et autres gendarmes mobiles, et même une insulte, un doigt ou un bras d’honneur suffisent à caractériser la violence ».

    Interpellé à 15 heures avenue Hoche, J.B. G. (24 ans) est accusé de « violences volontaires sans ITT sur personnes dépositaires de l’autorité publique non identifiées », mais dont « la fonction ne pouvait être ignorée ». On les reconnaît à quoi, alors ? à leurs sales gueules ? Il avait du matériel de protection sur lui : lunettes, masque antipoussière et gants – nettoyeur ferroviaire pour 1 100 euros par mois, il sortait du travail. La cour lui trouve des antecedents : il a été condamné pour degradations… à l’âge de 13 ans ! Et puis il a eu un rappel à la loi suite à l’acte V. Le proc requiert quatre mois avec sursis et un an d’interdiction sur Paris. Il prend deux mois avec sursis et cinq ans de mise à l’épreuve …pour « le protéger de sa sensibilité à la foule » ! Ils le mettent aussi tricard à Paris pendant un an.

    S. a été interpelé place de l’Étoile à 15 heures. Il bosse comme frigoriste à Marseille pour 1 500 euros par mois. Il est accusé de « participation à un groupement » et de « violence et dégradations ». C’est vrai qu’il a été arrêté avec plein de matos dans son sac… mais il fait partie des Street medics. Il rejette les accusations en bloc, explicant qu’en manif, son boulot, c’est exfiltrer les personnes blessées pour les soigner. Il autorise la fouille de son portable, qui atteste de sa présence à plusieurs actes des gilets jaunes par de nombreux messages appelant à se rendre aux rassemblements « sans haine ni violence ». En fin de mission d’interim depuis deux semaines, il déclare ne pas vouloir travailler tant que « ça bougera pas » : grève générale du travail. « Les aides sociales, elles, ne seront pas en grève ! », ironise le président. Eh oui, Jupiter son maître l’a bien rappelé : « Trop de nos concitoyens (ont oublié) le sens de l’effort … cet engagement qui fait qu’on a rien dans la vie si on a pas cet effort. »

    R. a été arrêté avenue de Wagram dans l’après-midi ; peintre en bâtiment au chômage depuis un an, il est venu de Bourgogne pour participer au mouvement. On l’accuse de « participation à un groupement », « jet de projectile sans ITT », « violence sur personnes dépositaires… » Il a craché dans l’œil du flic qui l’a arrêté : trois jours d’ITT (Condé, ouvre l’œil, et le bon !), et d’« outrage ». Après avoir lancé : « Mort aux condés », il leur a montré son cul : « J’étais à cours d’inspiration » ! Le « transport d’une bombe de gaz lacrymogène » lui est également reproché. Il avait picolé. Quand il leur a montré son cul, les flics ont décidé de le serrer, alors ils lui ont mis la bombe lacrymo dans son sac – d’où les insultes et le crachat. Il a déjà été condamné. Du coup le proc requiert douze mois avec mandat de dépôt et un an d’interdiction sur Paris. Il se mange cinq mois avec mandat de depôt : « la prison le protégera de l’alcool » – alors qu’il avait déjà entamé une procédure de suivi médical – et un an tricard à Paris.

    J. est accusé de « participation », « destruction du bien d’autrui » (un scooter), « possession de cagoule, sérum physiologique et gants ». Son avocat dépose des conclusions de nullité de la procédure. La fiche d’interpellation ne mentionne ni les circonstances de son interpellation, ni les faits qui lui sont reprochés. Les keufs ont monté le dossier après la fouille de son sac dans lequel ils ont trouvé le matos de protection, et un briquet – censé avoir servi à incendier le scooter. La nullité de la procédure est reconnue.

    P. vient de l’Essonne. Marié, père de trois enfants, il est accusé de « participation à un groupement », « violence sans ITT » : il aurait jeté une canette et une batterie de cigarette électronique sur les keufs !

    Les flics lui ont notifié un rappel à la loi à la fin de sa GAV ; son avocat déclare donc qu’il n’a rien a faire devant cette cour. Renvoi au 6 février 2019. D’ici là, un contrôle judiciaire lui interdit de se présenter à Paris le samedi.

    F.A est marié, il a deux enfants. Il gagne 2 000 euros comme chef de chantier en chaudronnerie après avoir débuté comme manœuvre. R. G. gagne 2 071 euros comme plombier. Marié, il a une fille ; la famille a dû quitter un logement insalubre pour se réfugier chez les parents de R. G. avec ses deux frères et sa sœur, qu’ils aident financièrement. Voisins en Seine-et-Marne, ils sont venus ensemble à la manifestation. Ils étaient déjà venus à d’autres manifestations des gilets jaunes. Leurs chefs d’inculpation sont quasi identiques : « participation à un groupement », « violences et dégradations » et « violences sans ITT envers une personne dépositaire de l’autorité publique » : le jet d’une bouteille vide pour F. A., d’un fumigène pour R.G. Ils contestent les faits : ils ont décidé de rentrer quand ça a commencé à chauffer, et c’est là qu’ils se sont fait choper. Le proc les déclare coupables des différents chefs d’inculpations et requiert trois et six mois ferme assortis d’un an d’interdiction de présence à Paris après le discours maintenant habituel sur le matériel de protection qui peut aussi être « offensif » ; « C’est bien le problème : comment séparer les manifestants – qui ont le droit de s’exprimer – des casseurs ? »

    A ce moment, cinq verdicts ont été rendus, il y a déjà eu une suspension d’audience lorsqu’un changement de ton vient troubler le ronronnement de cette 24ème chambre. L’avocat de permanence en charge de ce dossier est un pénaliste, plus offensif :

    « Alors il faudrait peut-être interdire aux gens de sortir de chez eux, car on peut aussi manifester en province ; en fait, c’est de cela dont il est question ! »

    Il revient sur le vide du dossier : un PV d’interpellation et une nouvelle confirmation par téléphone que c’est bien le prévenu l’auteur des faits : « Celui qui interpelle constate les faits, remplit le PV et le confirme. Quelle est la place pour la défense ? Aucune. C’est la liberté de manifester qui est en jeu ! La participation à un attroupement est un délit politique, on ne peut la condamner en comparution immédiate. Par une voie détournée, on ’délictualise’ une action politique. Les policiers « victimes » de violence ne sont pas identifiés ? Sans victime, pas de violences ! Le fait qu’ils (ses clients) aient des accessoires de protection défensifs ne témoigne pas de la volonté d’en découdre. Il faut entendre la voix de ceux qui contestent les conditions de l’interpellation, d’autant plus que les violences (policières) avaient été préalablement annoncées par le ministre ! »

    S’adressant au président, il conclut :

    « Qu’est-ce qu’on vous demande ? De les condamner parce qu’ils ont manifesté ; ce qu’on vous demande est très dangereux ! »

    Ses clients prennent quand même trois mois avec sursis et trois mois ferme. Dans ses plaidoiries suivantes, cet avocat commencera par dire qu’il a « entendu le message de la cour » et se limitera désormais à une défense axée sur les aspects techniques des dossiers. Couché !

    Arrêtée place de l’Étoile à 15h20, M. L. C. vient de l’Eure ; elle a trois enfants, dont une fille encore à sa charge. Elle alterne périodes de chômage et missions d’intérim en tant qu’aide-soignante. Dans le cadre du « retour à l’emploi », elle touche entre 900 et 1200 euros par mois. Elle est déjà venue manifester à Paris quatre fois. Elle est accusée de « participation », de « violence » , du jet d’une bouteille et du « port d’un masque à cartouche et d’un gilet jaune. » Le masque à gaz, c’est parce qu’elle est asthmatique ? « -En ce cas, elle aurait mieux fait de rester chez elle », rétorque le président. Un flic zélé a écrit sur le PV d’interpellation qu’elle a été reconnue grâce « à un sac à dos rouge et un pull turquoise facilement identifiable. » Présent dans la salle, son mari fournit une vidéo : l’interpellation a été filmée par LCI. On voit cette femme sac au dos, son manteau à capuche fermé. Pas moyen que les flics aient vu le fameux « pull turquoise facilement identifiable » qui lui aurait valu d’être arrêtée. Encore un dossier monté par les condés a posteriori – à grands renforts de mensonges. Comme le dira poliment son avocat :  « le comportement des policiers n’est pas fidèle à la réalité. » Le proc s’en fout : « Il faut croire la police, car quel intérêt auraient ces fonctionnaires à mentir ? ». Il demande un mois avec sursis. Relaxe de la participation au groupement, 1 000 euros d’amende avec sursis pour les violences.

    D.M. a été arrêté en début de soirée avenue d’Iéna. Chef de chantier, il habite à Chatenay-Malabry et gagne 2 200 euros par mois ; il a une fille âgée de 22 mois. Il est accusé de « participation à un groupement » et de « projection d’un sapin sur un véhicule de police pour interrompre sa progression ». Il n’y a rien dans sa fouille : un téléphone et quelques euros. Pris de panique lors d’un mouvement de foule, il est parti en courant, virant au passage un sapin qui se trouvait sur sa route. On visionne les images d’une caméra de vidéosurveillance : on voit le prévenu courir et écarter un sapin, comme il a dit. En totale contradiction avec le PV des condés, la voiture de la BAC arrive dans son dos ! C’est un véhicule banalisé, sans gyrophare. Le proc demande une amende. Relaxe.

    B., L., G. et M. : quatre copains venus ensemble de l’Eure pour manifester à Paris ; Ils sont intérimaire cariste, mécanicien auto, mécanicien auto en interim et soudeur chaudronnier en apprentissage. L’un d’eux habite chez ses parents, qu’il aide financièrement. Le parquet leur reproche la « participation à un groupement » et le fait qu’ils étaient munis de « gants, masques et 25 fumigènes ». Les quatre demandent le renvoi, et l’obtiennent : ils passeront le 6 février 2019. D’ici là, interdiction de se montrer à Paris le samedi. On apprend au passage que 50 arrêtés préfectoraux ont été prononcés dans l’Eure ; toute manifestation est de fait interdite sur l’ensemble du department, et que c’est une des raisons de leur venue à Paris… Rien à voir, évidemment, avec le déplacement « imprévu » de Macron dans ce département pour lancer son « grand débat » !

    A. vient de Castres. Il a été interpellé place de l’Etoile dans l’après-midi. Il devait passer en début d’audience, mais son avocat a demandé un délai pour récupérer à la fouille le portable de son client car il contient une vidéo susceptible de l’innocenter. Accusé « de violence sans ITT sur personne dépositaire de l’autorité publique non identifiée », il aurait jeté pavés et bouteilles. Il nie catégoriquement les faits : vêtu d’un manteau clair et d’une écharpe, il était face au cordon de CRS qu’il filmait. On le voit sur la vidéo qu’il veut montrer… mais qui a disparu de son téléphone. Il explique qu’il avait accepté la fouille de son téléphone à condition d’être présent, ce qui lui a été refusé. « Que voulez-vous dire ? » lui demande le président. « Rien : il y avait cette vidéo, les policiers ont ouvert mon téléphone et elle n’est plus là. » Il demande que soient visionnées les images des caméras de vidéosurveillance, mais comme elles n’ont pas été portées au dossier, sa requête est rejetée. Le proc requiert six mois ferme ; il en prendra cinq avec sursis, et cinq ans de mise à l’épreuve. Il est défendu par l’avocat qui a déjà dénoncé plus tôt le caractère politique de cette cour aux ordres. Comme il a « compris le message de la cour », il s’en tient strictement aux aspects techniques du dossier. Son client n’était pas équipé et le PV d’interpellation ne décrit aucun fait délictueux. Une vidéo disparue, pas moyen d’avoir accès aux autres ou d’obtenir une confrontation avec ses accusateurs, confirmation de l’identité de prévenu uniquement par telephone…

    « Même avec des dossiers imparfaits, la cour condamne dans des audiences ou il n’y a aucune place pour la défense ! On marche sur le droit. »

    Le président et le procureur s’entendent bien : quand ce dernier a un trou de mémoire ou s’il n’arrive pas à trouver ses mots, c’est le président qui vient gentiment à son secours. Là, c’est au tour du procureur d’aller au carton. Il vole au secours des keufs – pourtant bien peu malmenés au cours de ces audiences. Les PV sont imparfaits ? Les procédures aussi ? Il faut s’en contenter car c’est la parole des policiers – qu’on ne peut se permettre de mettre en doute, puisqu’ils nous protègent ! Et il entonne le couplet de la fatigue, des insultes et des coups qui pleuvent sur eux… Ils souffrent du fait qu’on ne dénonce jamais que leurs violences à eux, qui sont la conséquence de leur fatigue… Sans doute y a-t-il eu une ou deux fautes, mais n’auraient-ils pas droit eux aussi à la légitime defense ? Rien d’étonnant, le représentant du ministère public est dans son rôle. Le président arrive à la rescousse, lyrique : « Et il sont là aussi, ces policiers que vous accusez de mensonges… ils sont présents, ils protègent ces bâtiments jusqu’à une heure tardive, malgré la fatigue ! »

    Du coup, il décrète une deuxième interruption de séance histoire de se remettre de ses émotions.

    D. est accusé de « participation », de « violences volontaires », de « construction de barricades » et de la « dégradation » d’un kiosque à journaux et d’une enseigne de parking. La mairie de Paris s’est portée partie civile. Maçon au chômage en formation par Pôle emploi, il touche 1 100 euros par mois. Il a trois enfants, et il est sourd d’une oreille. Il demande un report pour préparer sa defense, qu’il obtient, mais assorti d’un contrôle judiciaire qui lui interdit de venir à Paris le samedi.

    A. a 19 ans. Avec son CAP d’installateur thermique, il est au chômage. On l’accuse de « participation à un groupement », de « violence volontaire sans ITT » et de s’être « masqué le visage avec un bandana ». Il reconnaît avoir jeté des projectiles en direction des gendarmes : une pierre et un fumigène, en réaction à la violence dont il venait d’être témoin : les flics avaient gazé « des personnes tranquilles », il avait vu un CRS taper « une personne qui ne courait pas »… « Les policiers ont mal agi ; je venais pacifiquement et ce que j’ai vu m’a énervé. »

    Pendant toute l’audience, la cour – président et assesseurs- n’a pas arrêté d’essayer de tirer les vers du nez des prévenus sous couvert de compréhension ou d’empathie. Pour aller encore plus loin dans la collusion entre le parquet et une cour qui s’applique à alimenter les réquisitions du procureur, un juge demande carrément au prévenu : « Avant de venir, avez-vous pensé à cette violence, à jeter des objets sur les forces de l’ordre ? » – histoire de voir s’il n’y a pas moyen de lui mettre une préméditation sur le dos. Le président, lui, loue le professionnalisme des flics tout en expliquant au prévenu qu’il « ne fait pas progresser la cause qu’il défend en se montrant violent à l’encontre de la police ». Mais de préméditation, y en a pas : c’est juste « la violence qui engendre la violence ». B.A. décrit la nasse policière place de l’Etoile. Son avocate l’appuie en lui demandant de raconter, « comme vous l’avez fait à moi, ce que vous avez vu. » Après un silence, il se met à sangloter : « Y a des choses qui sont pas normales aujourd’hui. Y avait une personne sur la place qui a pris un tir de Flashball là (il montre sa joue)… elle s’est pas relevée. », l’avocate insiste : « Et votre œil ? Que vous est- il arrivé ? » Il raconte qu’il a « séparé deux gilets jaunes qui voulaient se battre entre eux » pendant la manifestation. Il en a revu un plus tard, mais sous le gilet jaune… c’était un flic en civil qui est venu lui mettre deux droites ! Il a effectivement l’œil tuméfié. Le président lui demande s’il a porté plainte, tandis que le proc s’étonne que ces violence policières dont on parle tant ne soient jamais mentionnées dans les PV ! Ben voyons… L’avocate le calme direct :

    « Il faut arrêter cette hypocrisie de la justice et du parquet par rapport aux violences policières ! Elles existent, mais bien sûr qu’aucun policier ne les mentionnera jamais dans son procès-verbal ! Il ne faut pas le bercer d’illusion (son client) : sa plainte n’aboutira pas. Il y a des citoyens violentés, et combien de policiers seront traduits devant les tribunaux ? Pas beaucoup ! Il faut entendre les larmes de ce jeune homme traumatisé par cette manifestation, il faut entendre ce phénomène de masse qui dure maintenant depuis neuf semaines. Les violences policières sont là, elles existent, il faut que l’hypocrisie s’arrête ! »

    Le proc demande trois mois avec sursis. B. A. est condamné à un mois avec sursis.

    Comme P. est polonais, il comparaît assisté par une interprète. Il est accusé de « violences volontaires sans ITT sur, etc. », et de « rébellion ». Il a armé son poing et il a foncé sur deux CRS sans jamais les atteindre car il a été plaqué au sol avant et menotté. Il déclare ne se rappeler de rien du fait qu’il était saoûl. Six mois avec sursis requis, il en prend trois.

    Marié, 2 enfants, habitant Malakoff, D. M. fait de la mise en rayon à Auchan pour 1 300 euros par mois. Il est accusé de « violences volontaires sans ITT… », de « rébellion », et d’« d’outrage », car il a traité les flics qui l’arrêtaient de « bande de bâtards ! » Il reconnaît avoir relancé un palet de lacrymo en direction des flics parce qu’il s’en était « trop pris pendant des heures » ; les keufs, eux, disent que c’est un jet de pierre. C’est la même avocate qui défend ces quatre derniers dossiers. Elle interpelle de nouveau la cour : « Il faut arrêter ! Quand il y a contradiction, c’est toujours en faveur de la police… Là, il y a même contradiction entre le PV et la fiche d’interpellation : on reproche deux choses différentes à mon client, un jet de pierre et le fait d’avoir provoqué les flics. » Le proc requiert cinq mois avec sursis, il en prendra trois.

    Pendant toute l’audience, le président du tribunal a énoncé les actes d’accusations déclarant en qu’ils s’étaient déroulés « Lors de la manifestation violente dite des gilets jaunes ». Le mot est lâché : les manifestations des gilets jaunes sont violentes ; violentes parce que spontanées, portées par leur seul(e)s participant(e)s ; violentes comme en réponse à la violence économique – orchestrée par l’état – d’une société de plus en plus dure avec les plus fragiles, et dans laquelle les fortunes accumulées par une infime minorité dépassent, de très, très loin l’entendement et la décence ; violentes enfin en réponse à la répression qu’elles subissent, à la violence policière, aux mutilations.

    L’acte IX de ce samedi 12 janvier est particulièrement instructif à cet égard. Nous étions quelques-uns à avoir rejoint le cortège à Bastille vers midi. Après une traversée de Paris tranquille, nous arrivons en vue de l’Arc de triomphe ; là, les quelques personnes qui faisaient partie du « service d’ordre » orientent le cortège vers la rue Saint-honoré. On est plusieurs à aller tout droit pour arriver sur la place de l’Etoile par l’avenue Friedland, et on se rend assez vite compte que la place n’est qu’une immense nasse. Nous décidons alors de repartir par le même chemin ; il est plus de 14 heures. Les CRS bloquent alors la rue : « Vous pouvez entrer, mais pas sortir : on a des ordres. » Les gens sont tranquilles, mais après un bon moment, ça commence à sentir fort la lacrymo et on entend plusieurs détonations. Forcément, ça s’agite un peu plus – les gens veulent sortir, invectivent les CRS : « Vous mettez le peuple en danger, vous nous exposez au gaz ! », « Pourquoi vous faites ça ? Vous travaillez pour qui ? ». Obéissant à la consigne et confiants dans leur intelligence, les condés les repoussent vers le centre de la place. On pousse aussi, et finalement une quarantaine de personnes sortent de la nasse. Quand on a un plan de Paris sous les yeux et qu’on regarde l’heure des premières interpellations, on comprend que la préfecture a créé un point de fixation sur la partie de la place qui va de l’avenue Hoche à l’avenue de Wagram et que le gros de leur effectif était par là. Après, ils se sont déployés pour nettoyer la place, selon le témoignage de personnes rencontrées au Palais. Evidemment, ceux qui ont emmené le cortège rue Saint-honoré suivaient sans le savoir les souhaits de la préfecture. Après avoir joué sans grand succès, la carte de l’opposition manifestant honnête/méchant casseur pour diviser le mouvement, le gouvernement développe l’argument légaliste : une manifestation doit être déclarée et encadrée, ce qui était le cas de cette dernière. Si la préfecture a permis à toute la traversée de Paris de se dérouler sans incident majeur, on peut penser que c’était dans le but de jeter le gros du cortège au cœur du dispositif policier. Là, comme sur un stand de pêche au canards, les condés n’ont plus qu’à prélever les manifestant.e.s pour les livrer à la machine judiciaire. Et tant pis pour l’écologie : ils pêchent aussi à la grenade !

     Dans toute sa complexité, ce mouvement est fort de sa spontanéité et de son caractère horizontal. Pour l’affaiblir et le dénaturer, le pouvoir lui tend deux pièges. Le premier – un peu gros – est celui d’un grand débat dont les sujets sont choisis par un gouvernement qui en a déjà défini les limites en annonçant que pas mal de choses, et notamment la question centrale de la redistribution des richesses, ne bougeraient pas. Le deuxième, c’est celui de la légalité. Alors que la question de la désignation de représentants du mouvement avait été évacuée par le refus de déléguer à nouveau sa vie et ses choix, elle revient par la fenêtre : La ou les personnes qui déclarent une manifestation et en négocient le parcours avec la préf – on a vu le résultat – se sentent forcément responsables de la manifestations et l’encadreront. De là à s’en déclarer les représentants légitimes, il n’y a qu’un pas – mais c’est la légitimité de l’ennemi, celle du droit, de la loi… Après les violences policières et les mutilations subies dans la rue, les audiences au tribunal nous rappellent à quel point la loi et la justice sont les armes de l’adversaire. Comme l’a dit un parent d’un des accusés pendant une suspension de séance :

    « C’est ça, la justice ? Eh ben vivent les gilets jaunes, ils ont raison ! »

  • EMISSION DU 11 JANVIER 2019

     

        • Brèves : Nouvel an et feux d’artifices devant les prisons ; évasion à Fresnes ; réouverture de la Santé
        • Textes: Communiqués des CRA de Vincennes et de Mesnil-Amelot
        • Appel : Grèves de la faim dans plusieurs CRA : appels de Mesnil Amelot, Oissel (Rouen) et Vincennes

    A voir, le site des copains/copines de l’émission contre les CRA (chaque dernier vendredi du mois) : abaslescra.noblogs.org


    Zics : Casey – Pas à vendre / Nakk – lls disent / Arsenik – Une saison blanche et sèche / ATK ft. Zoxea – Attaque à mic armé


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  • DES GILETS JAUNES FACE A LA JUSTICE… DE CLASSE, suite : de l’intérêt de refuser la comparution immédiate

    DES GILETS JAUNES FACE A LA JUSTICE… DE CLASSE, suite : de l’intérêt de refuser la comparution immédiate, exemples à Paris le 07 janvier 2019

    Ce lundi 7 janvier au palais de justice des batignolles à Paris, nous avons assisté à des audiences en renvoie ; c’est à dire que les personnes qui comparaissaient ont été arrêtées lors des actes II et III et qu’elles ont alors refusé le passage en comparution immédiate et obtenu de ce fait un délais pour préparer leur défense.

    Deux inculpés qui n’avaient pas eu le temps de préparer leur défense ont obtenu un nouveau renvoi ; ils passeront le 16 avril devant la 24e chambre. Le contrôle judiciaire dont ils font l’objet a été assoupli pour qu’ils puissent voir leur avocat à Paris. Quatre personnes ont comparu avec l’aide d’un avocat, cinq autres se sont présentées sans.

    Le chef d’inculpation principal était pour tous d’avoir « participé sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation caractérisée d’un ou plusieurs faits matériels de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou de dégradations de biens ».

    Ce délit a été créé par Sarkozy dans la loi du 2 mars 2010 dans le but de « renforç[er] la lutte contre les violence de groupe et la protection des personnes chargées d’une mission de service public ». Le parquet a assaisonné ce fond de sauce d’épices variées, selon le cas : rébellion, dégradations, port d’arme, coups et blessures sur personnes dépositaires de l’autorité publique.

    Avant de rendre compte plus précisément de chacune des affaires, une évidence s’impose néanmoins : cette audience en renvoi montre une fois de plus la nécessité de refuser les comparutions immédiates. Bien sûr, des peines sont toute de même prononcées ; bien sûr, la relaxe n’est toujours pas la norme (alors que les dossiers le permettraient) ; bien sûr, la justice continue ici aussi son travail d’éradication du mouvement ; bien sûr, il est toujours difficile d’énoncer des vérités générales dans le cadre des procès… mais force est de constater qu’à dossier équivalent, la sentence est souvent plus « clémente » qu’en comparution immédiate.

    Le chef d’inculpation principal est toujours le même, c’est la fameuse « participation à un groupement », résurgence de la loi anticasseurs -qu’Edouard Philippe voudrait encore durcir, si c’est encore possible. En comparution immédiate, pour des faits identiques -ou plutôt pour une absence similaire de ces dits « faits » – quasiment tous les inculpés prennent des peines de prisons ferme ou avec sursis. Ce jour,  lors des audiences de renvoie, sans être forcément des flèches, les avocats ont pu faire le taf, c’est à dire qu’ils ont pu démontrer le vide des dossiers, qui souvent ne contenaient que la fiche d’interpellation et le PV d’ambiance de la police.

    L’un d’entre eux a même -dingue…- osé s’en prendre à cette loi en expliquant le contexte de sa création et le fait qu’elle est maintenant utilisée pour arrêter « tout le monde et n’importe qui » – destin classique de toutes les lois sécuritaires, qui ciblent d’abord l’« ennemi public » du moment pour être acceptées, avant de s’appliquer progressivement au plus grand nombre.

    Le président reconnaît lui-même qu’en comparution immediate, c’est une justice d’abattage qui s’applique : « Maintenant que l’ambiance est apaisée, dit-il, il faut examiner les faits »

    Les relaxes sont dues au fait que la simple présence sur les lieux d’une manifestation ne constitue pas un « fait matériel » suffisant pour caractériser un intention quelconque. Encore une fois, en comparution immédiate ces dernières semaines, cela suffit bien souvent aux juges comme « fait matériel ». Très paternaliste, le juge se contente ici d’expliquer qu’une manifestation doit être declarée… et puis qu’il faut savoir rentrer chez soi. « On interdit pas ici le fait de manifester, mais il faut rester dans le cadre défini. » D’ailleurs, s’il y a pu y avoir des violences policières, elles étaient légitimées par l’ambiance, la fatigue… et puis le policier, c’est un être humain, lui aussi ! Il a le droit de craquer ! Pareil pour les erreurs de procédure… comme si on pouvait renvoyer dos à dos la violence de l’État et la réaction populaire !

    De fait, les quelques nuances que nous introduisons ici, ne doivent pas masquer l’essentiel, à savoir la continuité de la violence d’Etat : violence policière dans la rue, rigueur des condamnations devant les tribunaux. Les rouages de l’appareil répressif tournent à plein régime pour qu’il y ait de moins en moins de monde dans la rue. Depuis janvier plus qu’en décembre encore, le gouvernement assume : il veut blesser, abîmer, terroriser les participants et tente par tous les moyens de retourner la population contre le mouvement. Jusqu’ici, malgré un travail assidu notamment des tribunaux  il n’est pas parvenu à trier le bon grain de l’ivraie -ce qui est déjà exceptionnel-, il s’agit donc de continuer à l’en empêcher.

    #SolidariteDansLesTribunaux

    Les quatre qui avaient des défenseurs

    R. a été arrêté lors de l’acte III, il est accusé de « participation… » et de « dégradations ». Son avocat dépose des conclusions de nullité car les condés ont rajouté une page au PV de fin de notification de garde à vue. Le président joint l’incident au fond. Le procureur demande six mois avec sursis. Relaxe.

    Arrêté à midi boulevard Haussmann pendant l’acte III, C. B. est accusé de « participation », de « dégradations » et de « port d’arme de catégorie D ». Le procureur requiert dix mois dont six avec sursis ; il est condamné à 300 euros d’amende pour le port d’arme et relaxé pour les deux autres chefs d’inculpation.

    Interpelé très tôt sur les Champs lors de l’acte II, D. Y. est accusé de « participation », de « dégradations », de « violence volontaire sur personnes identifiées comme représentants de l’ordre public ». La ville de Paris se porte partie civile pour les degradations : une pierre lancée sur un kiosque à journaux. Pour l’acte II, au fait de « participer à un groupement » s’ajoute une circonstance aggravante : « en dehors de l’espace autorisé » -il faut rappeler que l’ensemble des Champs était totalement bouclé par les condés. Pour y pénétrer, il fallait accepter une vérification d’identité et ue foille en règle ; le fait d’être « en dehors » attestait donc pour les juges de la volonté « d’en découdre ». Le procureur demande quatre mois fermes ; le gars est condamné à 105 heures de TIG assorties d’une obligation de soins –et quatre mois de sursis si les TIG ne sont pas effectués. Pas d’indemnités pour la partie civile.

    Arrêté à 15h45 rue la Boêtie au cours de l’acte III, B. M. est accusé de « participation », et du port de « pierres, lunette, masque et protège-tibias ». La procureur demande des TIG et l’interdiction de se présenter à Paris : il est relaxé.

    Les comparutions sans avocat

    A. a été arrêté au cours de l’acte II. Il est accusé de « participation », de « rébellion » et de « coups et blessures » : un des condés de la BAC qui l’ont arrêté s’est foulé le pouce – 10 jours d’ITT… et 1 500 euros de dommages et intérêts. A. n’a pas d’avocat, mais accepte d’être jugé. Le condé est présent, témoigne… et lui, il a son avocat. Larmoyant, le proc évoque les manifestations de janvier 2015 « où on embrassait et remerciait les policiers qui nous protègent » pour les opposer à « ces violences insurrectionnelles » où « ils sont pris pour cibles ». Dans la foulée, il requiert deux ans fermes. C. est condamné à six mois de sursis et cinq ans de mise à l’épreuve. Les dommages et intérêts du condé sont renvoyés au civil, mais C. doit tout de même verser 1 500 euros -en provision…

    R. a été interpelé au soir de l’acte II ; il est accusé de « participation » et de « rébellion ». Le procureur demande trois mois fermes. Il prend 105 heures de TIG assortis de trois mois de sursis s’ils ne sont pas effectués.

    L. a été arrêté pendant l’acte II, dans l’après-midi. Lui, il mérite une special dedicace : il s’est fait tirer dessus « par un lanceur de 40 mm » (le fameux LBD)… mais dans les jambes ! et ce côté « pro » des CRS, il a grave apprécié. Il connaît un peu la musique, faut dire : après cinq ans dans l’armée, il est rentré dans la pénitentiaire en 2003. Il a bossé en centrale en Alsace, en CD, et là, il est à Fresnes. Le maintien de l’ordre et ses conséquences, ça le connaît  : il a été dans les Eris (les matons cagoulés qui interviennent pour écraser les mouvements collectifs en prison) « d’où la cagoule, Monsieur le président » ! Des émeutes, il en maté 3, et il a eu « de la chance de ne pas avoir eu une main arrachée, ou perdu un œil ». Du coup, quand il vient manifester, il se protège bien : masque et lunettes. Six mois avec sursis requis ; il en prend quatre.

    Interpellé dans le 18ème lors de l’acte III, D. G. est accusé de « participation », de « déclarations imaginaires » et de « possession de pétards ». Arrivé du Havre à 20h30, il a été arrêté à 21h50. Le procureur requiert une amende avec sursis. Relaxe.

    Interpellée à 15h30 au cours de l’acte II. L. Y. est accusée de « participation », de « déclaration imaginaire », de « violence volontaire envers une personne détentrice de l’autorité, sans ITT ». Le flic aurait reçu de la peinture noire sur le visage, et il aurait du mal à s’en remettre ! Le procureur demande une amende avec sursis. Elle explique qu’elle voulait « voir et filmer ». Le président s’étonne : pourquoi faire, puisque « BFM retransmet tout en direct » ? Droite dans ses bottes, elle rétorque que  «  non, ce qui est montré ne correspond pas à la vérité : on ne voit pas les violences policières ! » 105 heures de TIG assortis de cinq mois de sursis s’ils ne sont pas effectués, et 150 euros d’amende pour fausse déclaration d’identité.

  • A Foix aussi, la justice envoie des Gilets jaunes en prison pour tuer le mouvement !

    Ce mercredi 2 janvier, le tribunal de Foix (09) faisait comparaître deux hommes de 25 et 30 ans, pour dégradation avec incendie au péage de Pamiers et « occupation non appropriée du domaine routier » dans la soirée du 31 décembre.

    Au vu du casier non vierge des deux prévenus, l’avocat de la défense Me Baby leur a conseillé d’accepter la comparution immédiate, estimant qu’il pouvait « faire appel à l’humanité du tribunal » pour leur éviter l’incarcération immédiate (mandat de dépôt).

    Autant pisser dans un violon…

    « Que l’on s’estime innocent ou coupable, il vaut mieux refuser la comparution immédiate. Être jugé tout de suite, à chaud, c’est courir le risque de prendre une peine « pour l’exemple », et se priver de l’aide d’avocats capables de défendre correctement le dossier – ne serait-ce que parce qu’ils auraient eu le temps de le lire. » Des gilets jaunes face à la justice…de classe

    Les deux prévenus sont précaires, l’un travailleur pauvre sans logement et l’autre intérimaire, et le tribunal ne va pas se priver de s’appuyer lourdement sur ce qu’il appel le « profil des accusés ». Ils ont tous deux quelques condamnations à leur casier pour larcins ou conduite sans permis. Procureur comme juge insistent en chœur sur « le niveau ras-des-pâquerettes des prévenus ». Ce à quoi un des deux rétorquera en fin d’audience « nous ne sommes pas des bêtes, nous ne nous arrêtons pas de penser ».

    La trentaine de soutiens dans la salle ne se montre pas révérencieuse face au tribunal et n’hésite pas à réagir. Une femme de l’assistance se fait sortir pour avoir répondu aux dires du procureur que l’usage du flashball était également une atteinte à la sécurité des personnes.
    Le procureur demande une peine de 8 à 9 mois de prison ferme pour les deux gilets jaunes.
    La défense n’était certes pas facile, les deux hommes ayant reconnu et raconté en détail les faits en garde à vue ; pour l’un d’entre eux après s’être fait mettre la pression par la police pour ne pas faire plonger son camarade seul.

    L’avocat opte pour une défense politique avec un discours sur la casse comme « moyen pour se faire entendre », n’hésitant pas à évoquer les faucheurs d’OGM ou même la ZAD de Notre-Dame-des-Landes comme exemple. Les derniers mots de l’avocat n’auront pas convaincu le tribunal : « donnez le message ferme qui convient, mais laissez la place à l’humanité » pour « laisser les condamnés retourner chez eux » . Raté !

    Les deux gilets jaunes ont été incarcérés mercredi soir, avec pour peine 3 mois de prison ferme et 6 mois de sursis avec obligation de travailler, plus 150 euros d’amende chacun. Encore une fois, la comparution immédiate a entraîné une condamnation sévère et envoyé les condamné dormir en prison.

    Solidarité avec les prisonniers et leurs proches et renforçons nos réflexes de défense avant, pendant et après les actions !

    Exemple de conseils de précautions avant les manifs ou blocage : Conseils contre la répression

    Pour  s’en sortir au mieux et ne pas aggraver son cas en garde à vue : Brochure GAV
    A propos de son téléphone, ce mouchard quand on est entre les mains de la police : Code PIN en GAV décryptage