Catégorie : Entretiens

  • Justice pour Angelo contre la vérité judiciaire – Activités suspendues, isolement étendu.

    Justice pour Angelo contre la vérité judiciaire – Activités suspendues, isolement étendu.

    Émission de l’Envolée du vendredi 21 mars 2025

    AU PROGRAMME :

    • Discussion avec Aurélie Garand : le 6 mars 2025, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a validé le meurtre de son frère Angelo par le GIGN.

    Depuis qu’Angelo a été tué en 2017 sous prétexte qu’il n’était pas retourné en prison après une permission de sortie, ses proches se battent pour faire entendre la vérité et réclamer justice (voir ici et ).

    Le lendemain du meurtre, le procureur affirmait qu’il allait établir « la vérité judiciaire ». Les proches ont saisi la justice et subi une série de non-lieux : malgré leur contre-enquête accablante, ils n’ont jamais eu accès à un procès public au cours duquel ils auraient pu confronter publiquement les tueurs et l’institution judiciaire qui les couvre. Aurélie dénonce l’article L435-1, permis de tuer pour les forces de l’ordre. La CEDH a rendu le 6 mars une décision légitimant ce meurtre et balayant d’un revers du droit la versions des proches. Alors Aurélie appelle à poursuivre le combat contre les violences policières et pénitentiaires, en mémoire des mort.e.s et pour les vivant.e.s.

     » La vérité judiciaire, c’est celle où l’on entend pas la parole des témoins, quand bien même c’est la famille, quand bien même c’est des Voyageurs. La vérité judiciaire telle qu’ils l’ont écrite, c’est que parce qu’Angelo fait partie de la communauté des gens du voyage, ça justifie sa mort. On est les premiers touchés depuis tout le temps, mais ça concerne tout le monde. (…) La mort d’Angelo ne regarde pas que nous, ça regarde tout le monde. (…) Plus que jamais le combat continue. Ce ne sont pas des faits divers, ce sont des faits politiques. »

    LETTRES DE PRISONNIER.E.S

    • Bambina raconte une journée malheureusement banale à la MAF des Baumettes. Blocage de la cabine téléphonique, mépris de la part des matonnes, fouille à nue, menace de CRI pour avoir monté le volume de sa radio… « La moindre petite erreur ils me la feront payer. J’essaie de faire la forte, mais j’ai l’impression de mourir chaque jour à petit feu. »
    • Fabrice, prisonnier Guadeloupéen déporté en métropole depuis quinze ans, évoque la cuisine de son pays avec nostalgie : « ça me manque depuis 15 ans, mais je garde espoir ». Il subit un acharnement continu : alors qu’il avait récemment dénoncé les insultes proférées par des matons de Vendin-le-Vieil, le chef de détention s’y met !
    • Depuis la centrale de Moulins, Kemi raconte les suspensions d’activités provoquées par de récentes Darmaneries, soumises à l’arbitraire local. Il évoque aussi l’extension flippante de l’isolement sous diverses formes : « Avec Darmanin on part à la catastrophe ».
    • Aurélie à Fresnes : suppression arbitraire de certaines activités, expertises psychiatriques dont les délais délirants nuisent aux prisonnier.e.s.

    • Brève : Retailleau et la droite s’allient pour faire passer une loi pour allonger l’enfermement en CRA à 210 jours ! Elle est passée au Sénat et sera discutée à l’Assemblée nationale) –> on en parle + bientôt !

    AGENDA :

    Le 30 mars à Paris : Manif contre les CRA, les expulsions et les frontières

    L’abonnement au journal est gratuit pour les prisonniers
    et les prisonnières.

    En direct chaque vendredi de 19h à 20h30 sur FPP 106.3 en région parisienne.
    Rediffusions sur MNE 107.5 à Mulhouse, RKB 106.5 en centre-Bretagne lundi à 22h, Radio Galère 88.4 à Marseille le jeudi soir à 20h30, PFM à Arras et alentours 99.9 mardi à 21h30, Canal Sud 92.2 jeudi à 17h30 à Toulouse, L’Eko des Garrigues 88.5 à 12h le dimanche à Montpellier, Radio U 101.1 le dimanche à 16h30 à Brest, Radio d’Ici 106.6 à Annonay mardi à 21h30 et 105.7 FM & 97.0, à Saint-Julien-Molin-Molette dimanche à 20h, Radio FM 43 dimanche à 12h en Haute-Loire, 105.7 FM au Chambon-sur-Lignon, 102 FM à Yssingeaux et 100.3 FM au Puy-en-Velay, sur Radios libres en Périgord, en Dordogne,102.3 FM à Coulounieix-Chamiers jeudi à 20h, sur Radio Alto 94.8 FM sur le massif des Bauges jeudi à 21h, sur Jet FM 91.2FM à Nantes le lundi à 12h, et sur les webradios Pikez (dimanche à 11h) et Station Station (lundi à 13h).
    Et sur toutes les plateformes de podcast.

  • Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil : comment feront-ils plus invivable que l’invivable ?

    Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil : comment feront-ils plus invivable que l’invivable ?

    Emission de l’Envolée du vendredi 7 mars 2025

    REDIFFUSION SPÉCIALE

    Cette prison et sa jumelle de Vendin-le-vieil, inaugurées en 2013 et 2014 par Taubira, étaient conçues comme les plus sécuritaires de France. Le ministre des tribunaux et des prisons Darmanin vient d’annoncer la création de deux QHS (quartiers haute sécurité) géants dans ces deux taules. Il prévoit aussi que le régime d’isolement puisse être allongé à quatre ans, sur décision du ministre lui-même. Rappelons que quelques semaines d’un tel régime constituent déjà une torture psychique et physique, et que de trop nombreux-ses prisonnier.e.s le subissaient déjà pendant des années bien avant ces mesures.

    Au programme :

    • interview d’un prisonnier sorti de Condé
    • extraits de vidéos publiées par d’autres prisonniers de Condé pour dénoncer leurs conditions.

    Depuis 2013 des prisonniers qui y sont passés dénoncent les conditions inhumaines de ces taules, prévues pour mater des prisonniers qui purgent de très longues peines et que l’A.P. juge dangereux – surtout récalcitrants. Censés n’y passer que quelques mois, nombre d’entre eux y restent des années. Les prisonniers des centrales françaises avaient obtenu au fil des décennies quelques mesures pour survivre à leurs très longues peines : un peu plus de place, un peu plus d’espaces communs, un peu plus d’activités, d’intimité au parloir… A Condé et Vendin, ces conquis sont anéantis. Les prisonniers y sont enfermés par secteurs de 7 ou 8 personnes, dans des espaces minuscules, sans croiser les autres. Peu après l’ouverture de ces taules, les mobilisations des prisonniers leur avaient permis d’y obtenir quelques assouplissements et espaces communs.

    Dans les extraits de 2019 que nous réécoutons ce soir, un ancien prisonnier explique comment l’arrivée du directeur Chapu en 2016, puis le mouvement de grève des matons de mars 2019, ont conduits à resserrer un étau déjà mortifère. Instauration de fouille systématique des proches aux parloirs – bébés inclus. Provocations et harcèlement de la part des geôliers, couramment complétées de plaintes mensongères contre des prisonniers, qui subissent de nouveaux procès et sont condamnés à des peines complémentaires. Il déclare :

    « Avec le nouveau directeur, ce que des matons voulaient a été mis en place, c’est la politique de la terreur. »

    « C’est comme une boutique qu’il faut entretenir. Condé a la réputation d’être la centrale la plus sécuritaire de France. Donc si il y a rien qui se passe là-bas, les gens vont dire que tous ces moyens ne sont pas justifiés. C’est une prison où on est 7-8 dans l’aile, il y a trois surveillants pour ouvrir une porte à la fois, avec 5 caméras. Il y a plus de 250 surveillants pour 100 détenus.Niveau moyens humains et matériels, ils ont tout ce qu’il faut, ils peuvent pas se plaindre. Ils ne peuvent pas demander plus. Donc il faut qu’il se passe des choses pour justifier que cette prison soit la plus sécuritaire de France. Alors pour justifier ces moyens énormes, on va faire en sorte que ça se passe mal à l’intérieur… comment on va justifier tous ces moyens si ça se passe bien ? ».

    « C’est très difficile mentalement de savoir qu’on est dans un espace aussi réduit, c’est pas fait pour garder des gens à long termes, pendant des années. Ça brise un homme, mentalement c’est fait pour broyer un homme. Certes, la prison c’est difficile. Mais là ça a rien à voir, c’est de machines à broyer. »

    … Sa conclusion au sujet de ces gêoles déjà invivables nous invite à refuser que des QHS encore pire y soient construits.

    Plusieurs numéros du journal l’Envolée donnent aussi largement la paroles aux prisonniers de Condé et Vendin et à leurs proches : lire le n°50 publié en juin 2018 et le n°39 de mai 2014.

    L’abonnement au journal est gratuit pour les prisonniers
    et les prisonnières.

    En direct chaque vendredi de 19h à 20h30 sur FPP 106.3 en région parisienne.
    Rediffusions sur MNE 107.5 à Mulhouse, RKB 106.5 en centre-Bretagne lundi à 22h, Radio Galère 88.4 à Marseille le jeudi soir à 20h30, PFM à Arras et alentours 99.9 mardi à 21h30, Canal Sud 92.2 jeudi à 17h30 à Toulouse, L’Eko des Garrigues 88.5 à 12h le dimanche à Montpellier, Radio U 101.1 le dimanche à 16h30 à Brest, Radio d’Ici 106.6 à Annonay mardi à 21h30 et 105.7 FM & 97.0, à Saint-Julien-Molin-Molette dimanche à 20h, Radio FM 43 dimanche à 12h en Haute-Loire, 105.7 FM au Chambon-sur-Lignon, 102 FM à Yssingeaux et 100.3 FM au Puy-en-Velay, sur Radios libres en Périgord, en Dordogne,102.3 FM à Coulounieix-Chamiers jeudi à 20h, sur Radio Alto 94.8 FM sur le massif des Bauges jeudi à 21h, sur Jet FM 91.2FM à Nantes le lundi à 12h, et sur les webradios Pikez (dimanche à 11h) et Station Station (lundi à 13h).
    Et sur toutes les plateformes de podcast.

  • Paroles depuis le « parc d’attraction pénitentiaire » – Harcèlement raciste – A bas les CRA ! et récits d’enfermés

    Paroles depuis le « parc d’attraction pénitentiaire » – Harcèlement raciste – A bas les CRA ! et récits d’enfermés

    Emission de l’Envolée du vendredi 28 février 2025

    AU PROGRAMME :

    • Lettre de Skitter à la maison centrale de Moulins-Yzeure : froid en détention, transfert par M.O.S (« Mesure d’ordre et de sécurité »- l’étiquette pratique pour faire galérer les prisonnier.e.s)…
    • Lettre d’Aurélie à Fresnes : les experts psy, ces dangereux farceurs…
    • Lettre de Julien depuis le « parc d’attraction pénitentiaire de Toulouse-Seysses » : il rappelle 2-3 réalités sur les activités en détention, face à la dernière lubie réac’ et punitive médiatico-darmaniste qui a entraîné leur suspension subite dans de nombreuses prisons. Il parle aussi du SMPR et de refus d’aménagements de peine…
    • Des nouvelles de Fabrice Boromée qui subit brimades et insultes racistes de la part de surveillants à la prison ultra-sécuritaire de Vendin-le-Vieil : après avoir saisi à plusieurs reprises la hiérarchie pénitentiaire à ce sujet, rien ne change…
      Fabrice est un prisonnier guadeloupéen déporté en métropole, qui réclame son retour en Guadeloupe, près de ses proches, depuis 14 ans maintenant ! Suite à ses révoltes face à une administration sourde à ses demandes de rapprochement, il subit isolement et représailles. Nous revenons sur son parcours et appelons à la solidarité vis-à-vis de Fabrice (plus d’infos sur son parcours ici et ailleurs sur le site de l’Envolée).
    • Paroles, récits et discussion sur l’enferment des étranger.e.s, avec deux personnes sorties récemment du CRA (centre de rétention administrative) de Vincennes et des membres de l’assemblée « A bas les CRA ».
    • Mauvaise nouvelle et solidarité : cagnotte pour soutenir la famille de Najet dont un fils est incarcéré en préventive et loin de ses proches (voir ici).

    L’abonnement au journal est gratuit pour les prisonniers
    et les prisonnières.

    En direct chaque vendredi de 19h à 20h30 sur FPP 106.3 en région parisienne.
    Rediffusions sur MNE 107.5 à Mulhouse, RKB 106.5 en centre-Bretagne lundi à 22h, Radio Galère 88.4 à Marseille le jeudi soir à 20h30, PFM à Arras et alentours 99.9 mardi à 21h30, Canal Sud 92.2 jeudi à 17h30 à Toulouse, L’Eko des Garrigues 88.5 à 12h le dimanche à Montpellier, Radio U 101.1 le dimanche à 16h30 à Brest, Radio d’Ici 106.6 à Annonay mardi à 21h30 et 105.7 FM & 97.0, à Saint-Julien-Molin-Molette dimanche à 20h, Radio FM 43 dimanche à 12h en Haute-Loire, 105.7 FM au Chambon-sur-Lignon, 102 FM à Yssingeaux et 100.3 FM au Puy-en-Velay, sur Radios libres en Périgord, en Dordogne,102.3 FM à Coulounieix-Chamiers jeudi à 20h, sur Radio Alto 94.8 FM sur le massif des Bauges jeudi à 21h, sur Jet FM 91.2FM à Nantes le lundi à 12h, et sur les webradios Pikez (dimanche à 11h) et Station Station (lundi à 13h).
    Et sur toutes les plateformes de podcast.

  • Interview de Thierry, prisonnier du mouvement social suite à la mort de Nahel

    Interview de Thierry, prisonnier du mouvement social suite à la mort de Nahel

    Thierry a été arrêté le 28 juin 2023 à Saint-Étienne pendant la première nuit de révolte qui a suivi la mort de Nahel, tué par la police. Amené tout droit au trou, Thierry en est sorti trois mois plus tard. Il a alors raconté dans une interview son arrestation, son procès et sa détention. Son récit est malheureusement exemplaire de la répression judiciaire qui s’est abattue massivement sur ce mouvement social il y a un an. Voici certains extraits condensés, dans lesquels il raconte la violence des policiers, les dangereux conseils des avocats commis d’office et la roublardise des juges.

    « Ils ont tiré au Flash-Ball au petit bonheur la chance. »

    « On était à une manifestation contre les violences policières suite à la mort de Nahel qui avait eu lieu la veille, et on nous a proposé de rejoindre des émeutes le soir. On y est allés avec un groupe de copains. Quand ça a commencé à allumer des feux, tout de suite, deux hélicos et 60 policiers sont arrivés, et ça a commencé à courir de tous les côtés. La BAC (brigade anticriminalité) était planquée dans un buisson. Les éclairages publics étaient éteints, il faisait tout noir, on n’y voyait rien… les flics non plus. Ils ont tiré au Flash-Ball au petit bonheur la chance. Ils ont eu mon cousin, qui est tombé ; je l’ai aidé à se relever et je me suis retrouvé avec trois Flash-Ball pointés vers ma tête. Ils m’ont dit : « Mets-toi au sol. » J’ai fait remarquer que j’avais déjà les mains levées. Ça leur a pas plu : ils m’ont plaqué violemment au sol – en se permettant de me retirer mon cache-cou et ma casquette – et m’ont dit : « On t’a eu, de toute façon. » Ça faisait un moment qu’ils voulaient m’avoir, suite aux nombreuses manifestations que j’ai faites dans la Loire depuis 2018. J’ai fait les Gilets jaunes, plein de mouvements sociaux… Ils me l’avaient dit : « On va te faire tomber. »

    Quand ils nous ont arrêtés, moi et mon cousin, ils nous ont insultés – ça m’a pas étonné… Un mec de la BAC m’a mis un coup de genou au moment d’entrer dans la voiture. Tout le long du trajet, l’un d’eux s’est amusé à me mettre sa lampe torche dans les yeux jusqu’au commissariat en me disant : « J’espère que ça te fait du bien ! » Là, ils me sortent un mortier et me disent qu’ils vont retrouver mes empreintes dessus. « – Faites tous les tests que vous voulez, y aura pas mes empreintes dessus. J’ai jamais touché de mortier de ma vie ! » […] Ils voulaient me coller un jet de bouteille aussi. J’ai passé quarante-huit heures en garde à vue. […] J’ai demandé à voir un médecin et un avocat : je les ai vus au bout de neuf heures. J’avais un bleu causé par le coup de genou d’un agent de la BAC lors de l’arrestation : je ne sais même pas si c’est stipulé dans le rapport du médecin qui m’a vu en garde à vue.

    « Mon avocat a servi à rien, je conseille de pas écouter les avocats commis d’office »

    On va pas se mentir : mon avocat a un peu servi à rien. Il a même pas demandé le report de la comparution immédiate ; sa défense était basée sur le fait de reconnaître les faits : selon lui, la juge serait plus indulgente… C’est totalement faux ! Au contraire, ils peuvent dire : « Lui-même l’a reconnu, donc on peut lui coller ça sur le dos ! » […] Je conseille de pas écouter les avocats commis d’office ; mieux vaut essayer de se défendre tout seul – ou alors choisir son avocat. J’ai dit : « Je vais pas avouer le tir, le jet de bouteille… des trucs que j’ai pas faits ! – Non, mais au moins, tu avoues que tu étais sur place. » Je suis pas un pro des procès, donc j’ai écouté ce que me disait cet avocat commis d’office… mais pendant mon audition, l’OPJ [officier de police judiciaire] avait parlé d’embuscade en réunion1. Le vendredi, il nous a envoyés devant le procureur en disant qu’après, on rentrait chez nous… On a été transférés au tribunal en fourgon cellulaire. […] On a vu le juge [des libertés et de la détention] qui a décidé de me placer en détention provisoire au vu de mon passé. Mon cousin a tout de suite été remis en liberté, vu que c’est sa première histoire. Je suis resté en prison jusqu’au lundi, où on est passés en comparution immédiate. […]

    Au procès, la juge nous a pas fait de cadeaux : je m’attendais vraiment pas à ce qu’ils racontent notre passé – que mes enfants étaient placés, que moi j’avais été placé en foyer et famille d’accueil… On est pas là pour juger le passé des gens ! Elle a parlé de notre consommation de stupéfiants, elle a tenté de nous mettre plus bas que terre, et ça s’est vu dans l’article du journal local – et avec la circulaire de Moretti qui disait qu’il fallait faire des exemples… J’ai essayé de parler du pourquoi des émeutes, mais la juge m’a rétorqué, en mode je la saoule : « Faut pas croire qu’il est en liberté [le flic tueur]. Faut laisser faire la justice… »
    L’avocat des policiers a dit qu’ils voulaient nous coller les tirs de mortier, mais qu’ils ne pouvaient pas parce que c’était tout éteint : il n’y avait pas de lumière dans la rue… Alors ils ont ressorti une histoire pour laquelle je devais être jugé plus tard […] : le procès aurait dû avoir lieu le 26 septembre, ils l’ont finalement inclus dans l’audience du 3 juillet.

    « Remets ton casque et retourne avec tes collègues, j’ai pas envie de te parler. »

    Quand je suis arrivé au tribunal le lundi, je pensais pas qu’il y aurait autant de monde ; en fait, je pensais qu’il allait y avoir personne ! Et quand je suis sorti début octobre, j’ai vu sur des lives Facebook qu’il y avait même du monde dehors ! Quand je suis rentré dans la salle d’audience, que j’ai vu ma copine, que j’ai vu des amis, ça m’a fait du bien. Le tribunal a condamné mon cousin à dix-huit mois avec sursis, avec obligation de soin par rapport aux stupéfiants, obligation de formation ou travail ; et ils m’ont collé six mois ferme et douze avec sursis. Et 500 € chacun pour trois policiers, donc 1 500 € chacun à payer solidairement : s’il y en a un qui a pas la possibilité de payer, c’est l’autre qui payera 3 000 balles. Ça, c’est pour… comment ils ont appelé ça ? Soutien psychologique, je crois.

    Après la fin du procès, quand j’ai été redescendu dans les cellules du tribunal, le commissaire de police est gentiment venu me voir et m’a dit : « J’espère que ça te servira de leçon. » J’ai gentiment répondu : « Remets ton casque et retourne avec tes collègues, j’ai pas envie de te parler. » »

    L’intégralité de cette interview a été diffusée dans les émissions radio L’Envolée du 29 décembre 2023 et du 19 janvier 2024 et sur le blog Infos prisons Saint-Etienne (cliquer ici).

    1. L’avocat commis d’office a fait le jeu du tribunal : si Thierry n’avait pas reconnu sa présence dans une « embuscade », le dossier était vide. ↩︎
  • SOUTIEN AUX PRISONNIERS EN GRÈVE DE LA FAIM AU QI DE BOURG EN BRESSE !

    SOUTIEN AUX PRISONNIERS EN GRÈVE DE LA FAIM AU QI DE BOURG EN BRESSE !

    Mise à jour le 6 juin 2023 : Mohamed a enfin obtenu d’être transféré. Brice, un autre prisonnier du QI de Bourg-en-Bresse s’était mis en grève de la faim et de la soif depuis une semaine, il a été placé au mitard. Un rassemblement a eu lieu le 3 juin devant la prison, et un autre aura lieu le samedi 10 juin 2023 à 16h pour le soutenir et réclamer son transfert. Il est aussi toujours utile de contacter l’administration pour affirmer votre soutien.
    Des news dans la dernière émission de l’envolée à écouter ici et un résumé plus récent à lire .
    Suivez les news sur les réseaux, par exemple sur la page FB  » Infosprisonsursaintetienne « .

    « MOHAMED DEMANDE LA LEVÉE DE SON ISOLEMENT
    ET LA FIN DE SA DÉTENTION PROVISOIRE
    Sa compagne appelle à faire connaître cette histoire et à faire du bruit autour. Soyons nombreux et nombreuses à contacter la direction du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse à l’adresse ci-dessous pour manifester notre soutien à Mohamed et notre vigilance face à cette situation alarmante !
    Centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse
    20, chemin de la Providence, BP 90321
    01011 Bourg-en-Bresse
    (Téléphone : 04.26.16.10.00)

    En détention provisoire, Mohamed est enfermé au quartier d’isolement (QI) de Bourg-en-Bresse depuis quinze mois. Il subit l’acharnement de l’administration pénitentiaire (AP) : disparition d’affaires, « gestion équipée-menottée », refus de soins médicaux… Accusé sans aucun fondement d’être le meneur d’un récent mouvement collectif contre les brouilleurs de téléphones portables, il est en grève de la faim depuis plus d’un mois pour demander sa sortie du QI et la fin de sa détention provisoire. Après s’être heurtée au silence assourdissant des institutions – jusqu’à la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté –, la compagne de Mohamed a décrit les faits à l’antenne de L’Envolée le 5 mai 2023 ; elle a aussi parlé des violences et du mépris subis par les proches de prisonniers. On peut écouter l’entretien complet ici, et lire la retranscription intégrale de cette prise de parole sur Expansive info  ; en voici des extraits condensés.

    « Mon mari est incarcéré – injustement – et, depuis plus de quinze mois, il a été placé au QI. Il y a maintenant trente jours, il a entamé une grève de la faim, et je suis la compagne qui l’épaule dans sa descente aux enfers. Ils l’ont mis à l’isolement parce que dans son dossier, il était qualifié de meneur – c’était en 2010 ! Là on est en 2023, il y a eu des mouvements d’émeutes dans la prison contre les brouilleurs qui ont été installés pour couper les réseaux de téléphones [portables]. La mutinerie a duré plusieurs jours. [L’administration a] dû faire intervenir les Eris [équipes régionales d’intervention et de sécurité] : c’est comme des gendarmes casqués avec des boucliers. Quasiment toute la promenade a participé à cette mutinerie. Mon mari est resté en retrait du début à la fin, mais le directeur du bâtiment a décidé que c’était lui le meneur, qu’il devait donc être placé à l’isolement pour la sécurité de l’établissement. Comme il n’a pas participé, ils disent que ce serait lui qui aurait dit à tout le monde d’aller casser des brouilleurs, de frapper les surveillants… et que tous les détenus l’auraient écouté ! Il a déjà été placé au QI, puis au bout de six mois, il a réintégré le bâtiment, où il y a des bagarres, comme dans toutes les prisons, parce que les détenus sont tous sur les nerfs. Et par exemple il y avait une bagarre dans le couloir ou en salle de muscu – comme tous les jours -, même si mon mari était en promenade à ce moment-là, ils lui ont dit : « on va vous remettre à l’isolement parce que depuis que vous avez intégré le bâtiment, il y a trop de bagarres, donc c’est vous qui envoyez les gens se battre. » C’est incroyable, mais c’est vraiment ce qu’ils ont dit.

    Les conditions d’isolement, c’est simple : ils sont isolés de tout le monde. Les seules personnes qu’ils voient, c’est les surveillants du QI et du parloir – quand ils en ont – ou l’infirmier. Sinon ils ne croisent personne, ils sont coupés de tout. Même en promenade, ils ont les grilles – comme des animaux en cage, quoi ! Aucun brin de liberté. Normalement, les promenades en prison, il y a des murs et des barrières, mais c’est ouvert en haut. A l’isolement, c’est tout fermé, quadrillé. Quand [les surveillants] voient que des voisins se parlent à la fenêtre, ils les changent [de cellule] pour qu’il n’y ait aucun lien, qu’ils soient vraiment tout seuls. Quand ils vont au parloir, les surveillants bloquent toute la prison. Tous les détenus qui ont parloir sont bloqués, et ceux du QI viennent tout seuls, un par un ; ils ne croisent personne à part nous et les surveillants.

    Le lynchage judiciaire a commencé dès son placement en détention, et là c’est une horreur. Ils le harcèlent, clairement. Mon mari, quand il a été transféré, ils lui ont volé ses affaires, les surveillants. A Noël, on a le droit de leur faire entrer des kilos de choses qu’il n’y a pas en prison. Je lui avais mis des gourmandises, et des sachets de tilleul, parce que depuis qu’il est à l’isolement, mon mari a des insomnies. Comme ça l’aidait un peu dehors, je lui avais acheté et fait rentrer au moins 200 paquets de tilleul, le sac était énorme. Je reçois un appel de mon mari : « Tu n’as pas mis les sachets de tilleul, comment je vais faire, t’abuse ! – Mohamed, je sais très bien que je te les ai mis, j’ai tout noté ! » On était en train de se prendre la tête ; son voisin à l’isolement l’a entendu et lui a dit : « Tout à l’heure au parloir, j’ai vu des sachets de thé bleus dans la poubelle. » Le brigadier de l’étage a fini par dire aux surveillants de rendre les sachets de thé. Ça peut paraître rien, un sachet de tilleul, mais c’est énorme pour quelqu’un qui est en train de serrer dans sa tête, qui est à l’isolement, et moi ça me fait plaisir de pouvoir lui apporter cette sérénité… et même ça, les surveillants arrivent à nous le casser. Ils créent des tensions avec les seules personnes qui sont là pour eux. Ils lui font subir un acharnement, c’est du harcèlement, en fait. Et moi, parce que je suis la femme de Mohamed, c’est pareil.

    Une fois, on a été bloqués pendant une heure dans l’entrée de la prison pour une alarme. J’étais enceinte, et sur la fin, en plus ; j’avais nulle part où m’asseoir : à part un tapis roulant et des portiques, il y a rien du tout. Je me suis assise sur le tapis ; à aucun moment ils m’ont demandé si ça allait. Il y avait des personne âgées, un gars en béquilles, le pauvre, des enfants… mais ils s’en foutaient, comme si c’était bien fait pour nous, parce qu’on venait voir des détenus ; comme si on était des moins que rien. Le chef venait de temps en temps demander aux surveillants si tout allait bien, mais à aucun moment il nous a calculé.

    Je vis à 1 h 40 de Bourg-en-Bresse, c’est pas rien quand t’es enceinte. Je suis allée au parloir jusqu’au huitième mois de grossesse, parce qu’il était au QI et qu’il avait besoin de me voir, sinon c’est encore plus dur. C’est les compagnes, les mères et les femmes qui lâchent rien, en fait. On est là, et on se bat même si c’est dur aussi pour nous.

    Quand il a commencé sa grève de la faim, il a fait un malaise ; l’infirmière est venue et a constaté qu’il n’avait plus de force. Il a refait un malaise, il a appelé, personne n’est venu. Ils sont venus au bout de trois heures. Le chef lui a dit : « De toute façon, on a reçu des directives strictes ; même si tu fais un malaise et que t’as besoin d’aller à l’hôpital, le week-end ou les jours fériés, on pourra pas te transférer à l’hôpital parce qu’il y a pas d’escorte disponible. » Il avait la gestion menottée et l’escorte : depuis qu’il a écrit à l’avocat, il ne les a plus pour tous les mouvements, mais toujours pour sortir de la prison : une voiture devant, une voiture derrière et une voiture de gendarmes. Il peut donc ne pas du tout avoir de soins. Samedi dernier, il a encore fait un malaise, il est resté par terre. Il a appelé les surveillants. Personne n’est venu. Il s’est relevé tout seul. Il a rampé jusqu’à son lit et il s’est allongé dessus.

    [Sa revendication, c’est] la sortie du quartier d’isolement – et la sortie de prison, parce qu’il est en détention provisoire, et l’instruction est terminée ; donc il n’ont plus aucun argument. On sait très bien comment la détention provisoire est utilisée pour punir les gens. Dans cette histoire, il y a la responsabilité du directeur de l’AP, et aussi celle des juges. Si demain il arrive quelque chose à mon mari, ce sera de leur faute à eux. Il faut rendre cela public, faire du bruit… Mohamed a vu le docteur mardi dernier, il a perdu 12 kilos ! Il lui a fait un certificat de contre-indication de placement à l’isolement par rapport à son état de santé. Il a le certificat, il l’a donné, le docteur l’a donné au directeur. Quand il a eu le certificat, il a eu une petite once d’espoir : la sortie d’isolement, c’est rapide, parce que c’est une décision de la prison… Quand il a vu que c’était pas le cas, il a dit : « En fait, ils veulent pas me sortir de là ! »

    J’en parle autour de moi, n’hésitez pas à relayer l’info, parce que s’ils se disent : « De toute façon il n’y a que nous qui savons », dans le pire des cas, s’il arrive quelque chose, c’est lui, quoi… Alors que si on fait du bruit pour dire : « Non, c’est votre faute ! Il est sous votre responsabilité ! Il fait la grève de la faim, c’est vous qui l’avez mis au QI, c’est vous qui ne voulez pas le sortir du QI, alors que vous savez son état de santé »

  • « IL Y A LA LOI DU SILENCE »

    « IL Y A LA LOI DU SILENCE »

    Témoignage d’un ancien surveillant de la prison de Saint-Martin-de-Ré.

    L’Envolée a enquêté sur la prison centrale de Martin-de-Ré à la demande de Jean-Christophe Merlet, prisonnier qui a subi là-bas des violences de la part de surveillants pénitentiaires, et de la famille de Sambaly Diabaté, prisonnier mort entre les mains des surveillants de cette même prison.

    Nous avons interrogé un surveillant pénitentiaire démissionnaire. Une fois n’est pas coutume. Ce n’est en effet pas dans nos habitudes, mais l’utilité de ce témoignage pour les personnes concernées nous a convaincu qu’il était opportun de le publier. Pierrick Legendre répond ici à nos questions sur les violences commises par des personnels de Saint-Martin-de-Ré sur un prisonnier malade, Jean-Christophe Merlet, ainsi que sur les faits qui ont conduit à la mort de Sambaly Diabaté le 9 août 2016. Cet entretien dont nous publions ici quelques extraits met en lumière certains mécanismes qui régissent l’administration pénitentiaire et confirme, sans surprise, que les violences pénitentiaires sont systémiques. Le corporatisme et le silence y sont érigés en lois.


    Vous vous appelez Pierrick Legendre ; vous étiez surveillant pénitentiaire ?

    Oui, tout à fait : pendant vingt-trois ans, j’ai exercé dans la fonction publique auprès de l’administration pénitentiaire.

    Saint-Martin-de-Ré est une centrale que vous connaissez bien ?

    Oui, j’y étais de début 2000 à courant 2015, 2016. Puis suite à une sanction disciplinaire, j’ai été déplacé d’office sur la maison d’arrêt (MA) de Niort pendant deux années ; et je suis revenu à Saint-Martin en juillet 2017 avec déjà le projet de démissionner, ce que j’ai fait en novembre 2017. […]

    C’est aussi une prison qui a fait parler d’elle dans les années 2010 à cause d’une équipe de surveillants particulièrement redoutés – de la direction comme des prisonniers : l’équipe 4. Vous étiez surveillant là-bas à ce moment-là ?

    Oui. Effectivement, sous un premier directeur, on a eu pas mal de soucis avec une équipe de surveillants trop zélés qui avaient été nommés « droits dans leur bottes » par les syndicalistes qui ont pris parti pour eux à l’époque, et qui se trouvaient comme par hasard en permanence sur les interventions avec force et violence. On appellera ça comme on veut, mais c’était systématique. Mais ça ne fait pas partie des missions de provoquer les personnels féminins, et aussi  et particulièrement  la population pénale. […] Les piliers de l’équipe, sont partis tranquillement à la retraite. Mais il y en a qui ont été forgés à leur esprit. Ils ont fait tache d’huile, disons.

    Vous avez travaillé sous la direction de Mme Manaud-Bénazéraf ; c’était comment, de travailler sous cette direction ?

    Décevant, parce que tout le monde personnels et détenus était content de voir partir l’ancienne équipe de direction. Elle a repris la suite de M. Cheminée, mais ça n’a pas été un renouveau positif. Elle était pas beaucoup sur le dialogue non plus. Elle a pérennisé ce qui était en place sous l’ancienne hiérarchie.

    Vous connaissez Jean-Christophe Merlet ; vous étiez surveillant quand il était prisonnier à Saint-Martin. M. Merlet a été roué de coups par des surveillants en 2016 ; il a porté plainte, et vous avez accepté de témoigner.

    Oui, j’ai croisé M. Merlet sur les coursives quand j’exerçais du côté caserne. Concernant les violences sur M. Merlet, je n’étais pas présent ; par contre, j’ai pu constater des attitudes à son égard qui n’étaient pas particulièrement… on va dire que c’est quelqu’un qui n’était pas aimé de la direction ni des surveillants. On va dire qu’on a pas été très aidant avec ce détenu qui, du fait de son handicap, avait des problèmes pour se déplacer : il avait été placé au deuxième étage, sachant qu’il n’y a pas d’ascenseur. Rien que les déplacement quotidiens vers une infirmerie, une cour de promenade ou une cabine téléphonique lui posaient des soucis. Y avait sûrement plus judicieux.

    Ça, c’est de la responsabilité de la direction ?

    Oui, tout à fait. Et par le biais des infirmières, qui auraient pu en justifier la nécessité…

    A l’époque, la direction de l’établissement vous avait demandé des renseignements sur ce prisonnier ?

    Oui, ce personnage étant issu du milieu des motards, dont je suis moi-même assez proche, la hiérarchie a essayé de tirer le fil dans ce sens-là ; mais j’ai refusé, et ça c’est vite retourné contre moi, et contre lui après ma démission.

    Ça arrive souvent qu’une direction demande des renseignements à ses personnels en plus de tous les dispositifs d’écoute et de lecture des courriers ?

    Oui, ça se demande souvent ; officiellement, mais pas de manière écrite.

    M. Merlet a aussi porté plainte contre Mme Manaud-Bénazeraf pour des faits d’acharnement à son encontre, comme ceux que nous venons d’évoquer, et pour avoir couvert son personnel concernant les violences commises à l’encontre de M. Merlet.

    C’est sûr qu’elle est quand même actrice par le fait de diriger son personnel à l’époque. Mais en tant que directrice, le problème, c’est que c’est pas elle qui est sur le terrain : c’est des directives qui étaient données par la sous-directrice du quartier caserne, Mme D., c’est plutôt elle qui aurait la responsabilité, qui avait des courriers directement ; parce que Mme Manaud était numéro 1, et je sais pas si elle avait beaucoup de notions sur Merlet à l’époque.

    Y avait eu le passage à tabac, qui faisait tache.

    Pour elle, c’est un parmi d’autres ; c’est dramatique mais c’est comme ça. […]

    Pour Jean-Christophe Merlet, son tabassage est prémédité.

    Sans certitude aucune, mais il y a eu un incident ce jour-là entre le personnel et Merlet sur un litige d’ailleurs un peu sombre, ou trouble. En revanche, la proximité entre M. Merlet et M. Diabaté, et certaines prises de positon qu’il a pu avoir, ont pu irriter ; et peut-être qu’il y a eu un surdosage d’agressivité de la part de certains personnels.

    Selon Jean-Christophe Merlet, si les surveillants leur en ont voulu, à lui et à Sambaly Diabaté, c’est en rapport avec des histoires de trafic…

    C’est probable. Quand il y a trafic entre un personnel et des détenus, le problème, c’est pourquoi on commence à balancer l’autre, et qui a balancé qui… parce que normalement, ça arrange bien tout le monde : le détenu est content d’avoir ce qui rentre, et le personnel est content d’avoir le retour du trafic. Mais certainement qu’il y en a eu. […] Moi, j’étais dans le collimateur aussi, parce que mes connaissances communes avec M. Merlet gênaient, et mes prises de position par rapport à l’inconfort dans lequel il était mis gênaient aussi. Ils auraient bien aimé que ce soit moi, sur le trafic ; je sais que j’ai eu le téléphone sur écoute un moment, mais ça a rien donné.

    Comment ça s’est passé quand vous avez été interrogé pour M. Merlet ?

    J’ai été convoqué à la gendarmerie. Ils sont très conscients de la problématique pour M. Merlet, ils ont pris note qu’il y avait eu des manquements et que certaines personnes avaient essayé de mettre des zones d’ombres et qu’on a positionné des lampistes à certaines places pour essayer d’adoucir la responsabilité de certaines personnes qui sont relativement intouchables ; et il y a la loi du silence…

    [Ndlr : Lampiste = subalterne au poste le plus modeste, à qui on fait souvent endosser injustement les responsabilités]

    Quand vous dites : « Il y a la loi du silence »… le corporatisme est très fort, les personnels se couvrent et il est impossible d’avoir des preuves ou de les récupérer quand il y a ce genre d’altercation. C’est parole contre parole, et on sait que la parole d’un prisonnier ou de sa famille ne vaut pas lourd face à la parole de surveillants…

    Il faut savoir que les personnels ont un code de déontologie concernant le secret professionnel. On n’a pas le droit de communiquer des informations concernant ce qui se passe à l’intérieur des prisons. Fondamentalement, quand on fait un peu opposition aux pratiques de l’administration et qu’on remet en cause ces choses-là, on s’expose à des sanctions en interne ; on essaie de faire pression sur les personnels pour acheter la tranquillité du système.

    Les directions couvrent leurs personnels ?

    Si on ne couvre pas, on en assume aussi les conséquences, donc en fait c’est pas qu’elles couvrent leur personnel, c’est que les manquements de ces personnels, on va forcément leur en imputer une part de responsabilité, alors…

    Prisonnier à Saint-Martin, Sambaly Diabaté est mort le 9 août 2016 d’une asphyxie, suite à l’intervention de surveillants. Vous en avez entendu parler en interne ?

    Oui. Même n’ayant plus de carte ni de mandat syndical sur la fin de mon exercice, j’avais encore beaucoup d’informations qui me remontaient parce que j’essayais encore de défendre un peu les personnels. L’affaire Diabaté, j’en ai donc entendu parler en interne par des collègues qui se sont confiés. J’étais pas là, mais je sais qui était à quel endroit, et les choses qui auraient pu être cachées, et les tentatives pour se défausser des gestes qui ont été faits, et qui n’auraient pas dû. Je sais par des conversations qui ont été tenues dans des bureaux par du personnel que le début de l’intervention part d’une altercation dans le bureau de G., premier surveillant. Ce personnel est un gradé de service, il est premier surveillant, il est pas juste surveillant, donc il gère l’équipe ce jour-là en détention. Ce que je sais, c’est que le problème part d’un entretien entre le détenu Diabaté et ce premier surveillant, où le détenu Diabaté a mordu la main de ce personnel gradé. S’ensuit tout ce qu’on sait derrière, ou pas. En tout cas, l’intervention en question sur le détenu, les personnels qui étaient là ce jour et qui ont vécu la situation se demandaient pourquoi G. en a pas parlé… Après tout, quand on se fait mordre, y a rien de mal à avoir mis un coup en retour. Ça reste de la légitime défense. Si on se fait mordre une main, qu’on pousse la personne ou qu’on mette une gifle, qu’importe ; ça reste un droit.

    Le surveillant G. n’a donc rien dit, et ne figure même pas dans la procédure.

    Oui, alors qu’il devrait y figurer, mais il y a eu un flou artistique sur le pourquoi du décès. Ils savaient pas de quel manière le décès avait eu lieu ; on sait maintenant que c’est par asphyxie.… mais à ce moment-là, la question était : « Est-ce que c’était suite à une commotion due à ce coup-là ou à un autre ? »… Parce qu’apparemment, y en a pas eu qu’un… Il y a un collègue à qui on reproche d’avoir porté un coup au sol alors qu’il est arrivé dans les derniers et qu’a priori, il a même pas touché au détenu. Actuellement révoqué, il est en demande de réhabilitation puisque les langues se sont un peu déliées en garde à vue ; les gens sont revenus sur leurs propos.

    Pendant les gardes à vue qui ont lieu bien plus tard, c’est ça ?

    Oui, parce que la police est pas idiote non plus ; y a un moment, quand les gens sont un peu trop précis, à la virgule près, ils se disent : « Bon… »

    « Un détenu qui a été menotté dans le dos avec un bâillon dans la bouche, positionné au sol dans un camion, à plat ventre avec une, voire plusieurs personnes sur le dos pour l’immobiliser. Voilà exactement ce qui c’est passé. »

    Les dépositions étaient identiques, vous voulez dire ?

    Oui c’était du copié-collé, manipulé, téléphoné, ce qu’on veut, et dans ces cas-là, on se doute bien qu’il y a quelque chose à cacher ; et en plus, malheureusement il y a eu deux suicides. Bizarrement, ces deux personnes qui se sont donné la mort se trouvaient sur cette intervention-là, et ils étaient tous les deux mis en examen. Il y a fort à parier qu’il y a un effet de cause à conséquence. Pour ceux qui étaient là ce jour-là… ils ont peu de choix : soit aller dans le sens des collègues et prendre les mêmes risques, soit dire la vérité et se mettre tous les collègues à dos, et même une partie de la hiérarchie.

    Pendant cette intervention, Sambaly Diabaté était bâillonné.

    Oui, ça c’est sûr ; ce qui a été clairement défini, c’est qu’il y a eu un bâillon de positionné et que le détenu est mort asphyxié. C’est M. R. qui l’a bâillonné, il l’a déclaré aux forces de l’ordre ; mais bizarrement, il est toujours en activité. Donc on a transporté du bâtiment caserne au quartier disciplinaire (QD), à la citadelle, un détenu qui a été menotté dans le dos avec un bâillon dans la bouche, positionné au sol dans un camion, à plat ventre avec une, voire plusieurs personnes sur le dos pour l’immobiliser. Voilà exactement ce qui c’est passé. Ce qui est marrant, c’est que des personnes présentes sur l’intervention occupaient des postes qui ne justifiaient pas leur présence sur les lieux, mais ils n’ont pourtant jamais été inquiétés. Il y un personnel connu de tout le monde qui a encore défrayé la chronique dernièrement, […] et qui connaît beaucoup de monde au niveau de la direction régionale. Lui, il était au poste de surveillance des promenades, poste qu’il ne devait pas quitter, car il y a au bas mot entre 80 et 130 détenus sur la cour de promenade ; pourtant, il a participé à l’intervention, ce qui a été relevé par tout le monde, et ça n’a inquiété aucune personne de l’administration de savoir qu’une personne qui ne devait logiquement pas avoir accès à l’intervention puisqu’elle était en poste et qu’on ne peut quitter ce poste sans relève… il n’a pas été inquiété. […] Pour avoir tenu le poste de surveillant de promenade, je sais que sur les horaires où il y a des détenus sur la promenade, il faut savoir que rien que pour des commodités d’ordre personnel il faut demander à un collègue de venir prendre le poste.

    Quand on vous apprend les techniques d’immobilisation, vous le savez, que le bâillon c’est interdit ?

    Oui, ça ne doit pas être pratiqué. C’est officiellement stipulé. Même les strangulations sont proscrites. Il y a une formation technique « intervention et menottage » une fois par an. C’est un peu sommaire et redondant, mais tout le monde y passe – au même titre qu’au stand de tir, où on répète aux agents le droit d’usage d’ouverture du feu, les circonstances, sur quel commandement, etc. D’ailleurs, dans l’affaire Diabaté, les reproches qui sont aussi faits à la première surveillante, c’est de ne pas avoir géré son intervention et d’avoir laissé faire des gestes interdits. Elle aussi, elle a fait deux tentatives de suicide.

    A quel moment et au bout de combien de temps vous considérez qu’une personne est immobilisée ?

    Tout dépend de la personne. L’objectif, c’est de neutraliser le détenu avec l’usage strictement nécessaire de la force. En Allemagne et aux Etats-Unis, je crois que le placage au sol avec menottage dans le dos et pression est proscrit justement parce qu’il y a des risques d’étouffement et de malaise cardio-vasculaire. […]

  • «  Viens vite avant qu’ils me tuent  »

    «  Viens vite avant qu’ils me tuent  »

    Entretien avec Oumou Diabaté, sœur de Sambaly, mort en 2016 à la centrale de Saint-Martin-de-Ré.

    Le 9 août 2016, Sambaly Diabaté meurt étouffé dans un fourgon cellulaire, bâillonné, menotté dans le dos, avec un voire plusieurs matons sur lui. L’Envolée avait été informé de la mort de Samba en août 2016 par Gaëtan, correspondant du journal et lui-même prisonnier à la prison centrale de Saint-Martin-de-Ré. En mars 2020, un autre prisonnier, Jean-Christophe Merlet nous a contacté. Il était présent au début des événements qui ont conduit à la mort de Samba ; et l’acharnement qu’il subit de la part de la pénitentiaire est lié à sa volonté de témoigner. En effet, depuis des années il a tenté de retrouver la famille Diabaté pour lui livrer son témoignage sur cette terrible journée du 9 août 2016. C’est aujourd’hui chose faite et c’est grâce à lui si nous sommes à présent en contact avec Oumou, la soeur de Samba. Elle souhaite sortir de l’isolement dans lequel plonge toute lutte contre l’administration pénitentiaire, ce monstre tout puissant de silence et de mensonges. Voici l’entretien qu’elle nous a accordé et que vous pouvez aussi écouter dans l’émission de L’Envolée radio du 19 mars 2021. Ce témoignage est particulièrement important dans une période où, familles et proches de prisonnier.e.s se mobilisent partout en France, pour faire émerger les violences pénitentiaires ; des violences qui sont au cœur de la gestion sécuritaire de toutes les prisons.


    Audio de l’entretien avec Oumou, la soeur de Samba

    Bonjour Oumou merci de nous répondre. Vous êtes la sœur de Sambaly Diabaté, prisonnier à Saint-Martin-de-Ré en 2016, qui est mort lors d’une altercation avec les surveillants en août 2016.

    Oui, le 9 août 2016. Mon frère a été emprisonné en 2010. Au début, il était à Rochefort, puis à Nantes et à Saint-Martin, puis il a été transféré a Fresnes. Il a demandé à retourner à Saint-Martin pour que je puisse le voir souvent, comme d’habitude, pour m’éviter de faire un long trajet. Nous sommes une fratrie de huit, dont Samba était le dernier. Il a pris dix ans de prison. Sur Saint-Martin, il a eu pas mal de soucis avec les gardiens. Je pense que Samba connaissait pas mal de choses sur les gardiens ; c’est devenu un problème pour lui. Pour l’empêcher de parler, c’était toujours des bagarres, toujours des problèmes ; il été toujours contrôlé, toujours sous pression. Je suis intervenue plusieurs fois à ce sujet. La dernière fois, c’était très grave : j’étais partie en vacances, et à mon retour j’ai retrouvé sur mon répondeur plus de 20 messages de mon frère.

    Il vous avait appelé de la cabine de la prison ?

    Oui, de la cabine, en me disant : «  Viens vite avant qu’ils me tuent ». Je suis arrivée le 3, et j’ai appelé dès que j’ai vu les messages : je n’arrivais pas à les joindre pour prendre un parloir. Il m’a rappelé le soir et il m’a dit qu’il venait d’avoir ma maman, et que maman lui avait dit que j’étais de retour de vacances. Il m’a rappelé, et ce jour-là il m’a dit : « Les gardiens, ils sont en face et ils se moquent de moi, je suis gravement malade. Viens vite. » Je lui ai dit : « Mais t’as quoi ? » Il m’a dit : « Viens, j’ai été empoisonné. » Je suis allée le voir le 5 août, et quand je suis arrivée il était en punition à la Citadelle. Ils m’ont fait attendre quinze, vingt minutes. La directrice est venue me voir en me disant qu’il fallait pas que je m’inquiète, mais que mon frère allait être accompagné de gardiens habillés avec des casques et des tenues militaires, parce qu’il était agité.

    C’était les Eris (Equipes régionales d’intervention et de sécurité) ?

    Oui, c’est ça. J’ai demandé : « Pourquoi il est accompagné par ces gens-là ? » Ils m’ont dit que c’était parce qu’il était un peu agité, et la dame m’a pris plus de trente minutes en me racontant qu’il était agité, qu’il s’était converti… J’ai dit : « Mais il est né musulman et pratiquant ! » Ils m’ont accompagnée, j’ai encore attendu dix minutes, et là je vois mon frère qui arrive, qui a perdu plus de 20 kilos… Je l’ai pas reconnu.

    Vous ne l’aviez pas vu depuis combien de temps ?

    Trois semaines. Il a perdu 20 kilos en trois semaines !
    Quand j’ai vu ces messieurs qui l’accompagnaient, aussitôt j’ai hurlé et je suis tombée. Les gardiens qui me disent : « Qu’est-ce qui se passe ? »… mon frère s’est jeté sur moi, on s’est pris dans les bras. Je lui ai demandé : « Qu’est ce qui t’arrive ? » Il m’a dit : « Heureusement que t’es venue, parce que je vais pas tarder à mourir. », j’ai dit : « Pourquoi ? Et pourquoi t’as maigri comme ça ? » Il a soulevé son haut : il n’avait plus de ventre. Il avait attaché son pantalon avec ses deux chaussettes.

    Tellement il était devenu trop grand ?

    Oui, il tenait plus, donc il a pris ses deux chaussettes et il les a nouées pour ne pas perdre son pantalon. C’est là que j’ai vu que c’était grave, quelqu’un qui pesait plus de 100 kilos qui perd du poids comme ça, brusquement. Il m’a dit : « La dernière fois, j’ai mangé la gamelle, et depuis je suis pas bien : je fais tout sur moi. » J’ai hurlé, j’ai demandé aussitôt que la directrice vienne le voir.

    C’était Manaud-Bénazeraf, la directrice ?

    Oui, c’était elle ; je lui ai demandé de venir avec une feuille et un stylo, que mon frère lui explique ce qui se passait, et j’ai dit que je voulais qu’il soit tout de suite hospitalisé, le plus rapidement possible. Elle m’a dit que c’était vendredi, et que c’était pas possible ; j’ai répondu que si c’était pas possible, moi je resterais dans la cellule avec mon frère, que je ne bougerais pas d’ici. Mon frère était couché sur ma jambe et il expliquait tout ce qu’il s’était passé avec les gardiens : qu’avant qu’il soit empoisonné, il a été assommé dans la salle de sport. De dos, quelqu’un l’a assommé, il est tombé dans les pommes un moment, et quand il s’est relevé il y avait plus personne autour de lui. Ça l’a inquiété. Il a dit aux gardiens d’arrêter, ou sinon il allait tout dire ce qu’il savait… mais quoi ? Moi, je lui ai conseillé de tout expliquer. Il a dit à la directrice qu’il avait été empoisonné parce qu’il savait trop de choses. Madame Manaud a tout écrit, tout ce qu’il a dit, et elle m’a promis que le lundi il serait hospitalisé. Elle m’a dit que je n’avais pas le droit de dormir ici. Le lundi j’ai essayé de les joindre en vain, et mardi je les ai eus au téléphone. J’avais parloir l’après-midi, sauf que la dame m’a dit au téléphone qu’il allait mieux aujourd’hui ; mais au moment où elle m’a dit ça, mon frère était mort.

    Ça, vous l’avez su par le rapport d’autopsie ?

    Voilà. Et moi, quand j’ai fini mon travail, au moment où je me changeais, j’ai reçu un coup de téléphone de la citadelle qui m’appelait pour me dire que mon frère venait de mourir. J’ai dit : « Mourir comment ? Il n’a pas été hospitalisé… Il était un peu malade, mais comment ? ». Aussitôt, je suis allée là-bas. Mme Aras a téléphoné, elle a discuté un peu avec moi.

    C’est la procureur de la Rochelle?

    Oui, elle m’a téléphoné au bureau du directeur de la Cidatelle. Il y avait aussi Mme Arbonneieux, qui pleurait.

    Qui est-ce ?

    C’était pas une surveillante, elle était… je sais pas bien, c’était quelqu’un qui recevait souvent mon frère, comme une assistante sociale qui s’occupe des détenus. De temps en temps, les détenus avaient des entretiens avec elle ; donc cette dame m’a dit qu’elle avait vu mon frère plusieurs fois et qu’il était très respectueux. Elle dit qu’elle avait [jamais] vu un détenu aussi respectueux. Elle est vivante, on peut la contacter, elle répétera la même chose devant tout le monde.

    Elle n’a pas témoigné?

    Dans le dossier, je vous dis, il y a plein de gens qui n’y sont pas et qui devraient y être. Pourquoi ? Je ne sais pas.

    Pour bien comprendre : vous allez à la prison le mardi, vous êtes reçue par la directrice… et ensuite ?

    Le corps était parti en hélicoptère quand je suis arrivée ; il n’était plus sur place. L’autopsie a montré qu’il était mort par étouffement. Il y a eu deux autopsies qui précisent qu’il a été étouffé. Comment et pourquoi, je sais pas. Avec un de mes frères, on a été convoqués par Mme Aras, mais le dossier est en cours. Aujourd’hui nous en sommes là.

    Vous avez des avocats?

    Oui, on a un avocat et une avocate : Me Castaing et Me Gouache.

    Il vient d’y avoir une qualification en « homicide involontaire », et avez fait un pourvoi en cassation pour obtenir la qualification de « violences volontaires ayant entraîné la mort ?

    Oui. Nous, on veut prouver que ça a été prémédité. Si deux gardiens se sont suicidés, c’est qu’il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas.

    Pour résumer, il y a une dizaine de mis en cause et deux des surveillants mis cause se sont donné la mort. Il y a aussi des personnels de direction mis en cause ?

    La direction, pour le moment, ils n’ont pas été convoqués, je ne sais pas pourquoi. Il y en a même certains qui ont changé de service, qui travaillent sur Paris maintenant… il y a eu beaucoup de bouleversements après le décès.

    Ils se protègent entre eux. IIs sont mutés pour pas rester sous les feux des projecteurs… Il y a donc des personnes qui devraient être dans le dossier mais qui n’y sont pas.

    Oui, il y en a. Je sais pas bien, mais il manque des gens, et ils sont protégés par leur syndicat… mais protégés jusqu’à quand ?

    La loi du silence fonctionne bien. Donc là, vous êtes en attente ?

    Oui, on attend de savoir comment ça va se passer. Depuis son décès, notre famille est perdue : notre maman a perdu plus de trente kilos. Elle ne mange plus. C’était son petit dernier, qu’elle voyait pas souvent. Elle était venue le voir en prison en 2015 ; elle s’apprêtait à revenir, et là on l’appelle pour lui dire… Il a pas pu lui dire adieu. Le lundi, il l’a appelé pour lui dire : « Maman, je sais qu’on va plus se revoir. Je vais mourir, il vont pas tarder à me tuer. Je te demande pardon, Maman. » Et le lendemain il a été tué.

    A l’époque, il y a des prisonniers qui ont témoigné ?

    Oui, beaucoup. On a eu des témoignages, il y a même des prisonniers qui ont subi des agressions après avoir témoigné ; y en a aussi qui ont refusé de témoigner, et qui ont été libérés. Je suis au courant de pas mal de choses… mais bon, on verra.

    En 2016, Gaetan, qui était prisonnier à Saint-Martin, nous avait écrit pour dire qu’il y avait eu un mort et que c’était la faute de l’AP, de l’administration de cette prison sordide gouvernée par les syndicats. Après s’être pris un compte rendu d’incident (CRI), il avait été placé à l’UHSA (unité hospitalière spécialement aménagée) où il avait été cachetonné ; après, il avait du mal à écrire. A l’époque, on avait pas réussi à trouver votre contact pour vous faire passer ce témoignage et vous mettre en lien avec les autres familles qui se battent dans des histoires similaires…
    Il était pourtant pas fou…

    Samba est mort d’une clé d’étranglement dans le fourgon cellulaire, c’est ça ?

    Oui, dans le fourgon du transfert au quartier disciplinaire, ils se sont assis sur son thorax ; il était bâillonné.

    C’est portant complètement interdit, les bâillons… Vous savez pourquoi il a été placé au QD ?

    Non, mais il y était déjà quand je l’ai vu le vendredi. Ils l’ont fait revenir de l’autre côté pour en finir avec lui, je pense. Ce n’est pas du hasard ; pour moi, c’était prémédité. Je l’ai vu le vendredi et il me l’a dit ! Il me l’a dit plus de dix fois. Il savait que sa vie était menacée. Il était torturé psychologiquement, ils lui disaient : « Ah, il s’est converti, il a le Coran, il dit Allah Akbar », et tout ça… mais on va où ? Tous les jours, il y a l’appel du muezzin dans les mosquées, qui dit « Allah Akbar » ! On va où ? Dire Allah Akbar, c’est pas la fin du monde !

    Oui, ils sont vraiment fous avec ça.

    Dans la bible on parle de la grandeur de Dieu, de Jésus… Ils ont leur façon de faire, les musulmans ont leur façon de faire, dans ce monde, si on s’accepte pas entre nous, que chacun ne peut pas vivre librement, que chacun ne peut pas pratiquer sa religion librement, on va où ? Tout ce que tu fais, c’est mal vu. On finira par se regarder et se tuer pour ça. Ce sera la guerre civile dans le monde ou quoi.

    On est en contact avec vous grâce à un prisonnier qui s’appelle J.-C. Merlet. il était prisonnier en même temps que Samba ; ils se connaissaient très bien. Christophe a assisté au début de l’altercation entre Samba et les surveillants. Il a été lui-même passé à tabac trois semaines après la mort de Samba, et il estime que c’est lié à la mort de Samba. Depuis toutes ces années, il a essayé de vous retrouver pour témoigner, pour vous parler de votre frère… c’est aujourd’hui chose faite grâce à un courrier qui vous a été envoyé. C’est important d’avoir des témoignages, d’avoir la version des prisonniers, parce que celle des surveillants sera toujours bien huilée… Quoique là, ils ne se protègent pas ; pas tous, en tout cas.

    Non, ils se sont déchirés, aujourd’hui.

    Le samedi 20 mars, il y a une manifestation contre les violences d’état : les violences policières et pénitentiaires. Il y aura beaucoup de familles et de collectifs de morts de la police et de la prison.

    C’est bien. Il faut ; à un moment, ça va péter, ça m’intéresse d’entrer en contact avec ces familles, parce qu’on est tous dans le même combat. Il est important qu’on soit tous en contact, ensemble, pour faire un soutien général. Nous, on lâchera pas. Merci beaucoup pour ce que vous faites.

    On le fait pour nous, pour vous, pour tous ceux qui sont enfermés ; parce qu’on sait que ça n’arrive pas qu’aux autres.

    Oui, parce qu’il y a pas mal de monde dans cette situation. Ceux qu’on sait, et aussi ceux qu’on ne connaît pas.

  • « Tu chantes pas, tu manges pas » : une Prisonnière au CRA de Mesnil-Amelot raconte les humiliations sexistes et racistes par les keufs (extrait de l’émission du 9 Octobre)

    « Tu chantes pas, tu manges pas » : une Prisonnière au CRA de Mesnil-Amelot raconte les humiliations sexistes et racistes par les keufs (extrait de l’émission du 9 Octobre)

    Au centre de rétention administrative (CRA, prison pour sans papier) de Mesnil Amelot, alors qu’une prisonnière est tombée malade suite à une infection (dû au rationnement de serviettes hygiéniques), les prisonnières ont dû lutter pour faire intervenir les pompiers. Elles dénoncent les multiples insultes et harcèlements – traitées notamment de « putes » par les flics- et aussi l’humiliation lorsqu’ils les forcent à chanter « joyeux anniversaire » au chef du centre sous peine de ne pas manger. Elles dénoncent aussi la nourriture périmée qui leur est donnée, qui s’ajoute au froid dans lequel elles vivent. Voici une retranscription de l’émission de l’Envolée du 9 octobre dans lequel une prisonnière raconte tout ça (d’abord publié sur abaslescra.noblogs.org https://abaslescra.noblogs.org/tu-chantes-pas-tu-manges-pas-temoignage-des-prisonnieres-du-cra-du-mesnil-amelot/).

    « – Bonjour madame

    Bonjour, déjà merci de ton appel, est ce que tu vas bien ?

    – Oui ça va un peu malgré le stress et tout .

    Tu voulais nous parler de choses précises aujourd’hui ?

    – Ouais ouais ce que je vis depuis 2 jours là, ça a commencé avant hier et ça m’a un peu bouleversée, ça m’a rendue triste et donc c’est pourquoi je voulais le partager avec certaines personnes aussi.

    N’hésite pas vas y on t’écoute.

    – En fait ici sur le CRA des filles, parce que nous sommes aussi avec des filles qui parlent pas français – il y a les albanaises et tout- nous vivons avec elles. Alors il y a de cela 2 jours, il y a une albanaise qui est venue me voir, comme elle parle pas français, elle, elle parle anglais… bah bien que je parle pas trop français je me débrouille quand même. Elle est venue me dire qu’elle avait ses règles et elle voulait avoir des bandes hygiéniques. Elle me dit si je peux l’accompagner à la police pour aller demander des bandes hygiéniques. Là je l’ai accompagnée, arrivées là bas on a trouvé une dame, je lui ai dit voilà, la demoiselle elle a ses règles elle voulait avoir les bandes hygiéniques et la police lui a remis juste 2 bandes. Elle a négocié elle a dit avec 2 bandes qu’est-ce que je vais faire avec ? Et la police l’a grondé. La fille elle a eu peur, on est rentrées. Après dans la journée elle a utilisé les 2 serviettes, ça n’a pas suffi. Donc elle est venue me voir elle a demandé si j’en avais aussi. Moi non plus j’en avais pas. Du coup elle a pris son habit, elle a pris sa blouse, elle l’a déchiré, elle a utilisé ça comme serviette. Sans se rendre compte qu’il y avait des problèmes avec ça. Et comme la femme, elle est trop fragile elle a attrapé des infections. Elle a commencé à avoir trop mal au niveau du bas ventre et au niveau de la hanche. Elle pleurait tellement fort, elle est venue me dire « je me sens pas bien, j’ai trop trop trop mal », du coup elle est tombée par terre elle a commencé à crier très fort et comme dans notre bâtiment, il y a un bouton là quand vous appuyez directement ça sonne chez la police. Moi j’ai sonné et on a essayé d’appeler la police. La police nous a répondu « nous ne sommes pas là pour vos conneries, donc démerdez vous là bas ». C’est la réponse qu’ils nous ont donnés. Et du coup la fille elle a commencé à pleurer. Au départ on croyait que non ça va passer, c’est juste une douleur, comme on avait pas aussi les antidouleurs rien du tout. Elle pleurait, elle pleurait et plus le temps avançait, la fille elle devenait pale et elle avait une forte fièvre je voyais aussi ses yeux commencer déjà à changer et tout le monde était paniqué. On savait plus quoi faire. Elle pleurait tellement, elle était par terre, elle a commencé à faire… comment appeler ça…

    Des convulsions ?

    – Oui. Et elle pleurait tellement fort j’ai eu peur. Après il y a une des amies ici, on l’avait rapatriée il y a pas longtemps, elle m’a appelé, j’étais tellement paniquée, je lui ai expliqué la situation, elle m’a dit « attends d’abord je t’envoie le numéro des pompiers ». C’est elle qui nous a envoyé le numéro des pompiers. On a essayé de contacter les pompiers, mais on leur a dit, dès que vous êtes là, il faut pas dire aux flics que c’est nous qui vous avons fait un signe parce que ça risque de nous créer des problèmes. Effectivement les pompiers sont arrivés, à la porte d’abord, il y a eu un peu de discussion, apparemment la police ne voulait pas que les pompiers rentrent à l’intérieur pour prendre la retenue. Et à la fin les pompiers ils ont réussi à les convaincre parce que les pompiers ils sont entrés à l’intérieur ils ont pris la fille ils ont vérifié l’état de sa tension, elle était déjà en baisse, ils ont remarqué aussi qu’elle avait une forte fièvre, la fille était vraiment KO. Ils ont pris la fille et ils sont partis avec. Et puis la police est venue. Déjà les portes de ma chambre sont déjà cassées donc ça fait déjà 3 jours que je dors… on dirai que… je suis congelée en fait. Premièrement on mange pas bien et aussi tu dors dans le froid, j’imagine la suite de ma santé avec la crise sanitaire, comment je vais m’en sortir ? Donc j’ai l’impression que je vais aussi tomber malade. Et du coup les flics ils sont venus nous voir « Ouais les filles c’est vous qui avez appelé les pompiers? On va voir. » Directement ils se sont approchés de moi, ils ont commencé à m’agresser en me disant « toi tu parles français mieux que les autres c’est à dire c’est toi qui est allé appeler les pompiers » j’ai dit « mais comment ? C’est pas moi qui ai appelé les pompiers c’est la fille elle-même, c’est elle-même qui avait mal et savait ce qu’elle sentait dans son corps. Moi je suis pas dans son corps pour sentir ce qu’elle elle sent, c’est elle qui a appelé les pompiers. » Et directement une policière s’est approchée de moi, elle a voulu me gifler, j’ai esquivé, je suis rentrée dans ma chambre.

    « ok vous serez poursuivie : 3 ans de prison si vous faites pas le test. »

    Vers 4h, ils sont venus dans ma chambre comme la porte est déjà cassée, comme toutes les portes sont déjà cassées, donc il y a même pas moyen qu’elle frappe à la porte, elle rentre, elle m’a réveillé à 4h et j’ai sursauté sur le lit il y avait déjà l’un des… [problème de téléphone] je ne comprenais rien de ce qu’il voulaient me faire en fait… Le policier il était dehors et la dame elle est rentée, elle m’a réveillé elle dit « demain tu dois te présenter au greffe » j’ai dit «  bah pour quelle raison ? » « Tu n’as aucun droit de me poser des questions, demain tu te présentes au greffe. » Je lui demande « mais pourquoi ? » elle me dit « Tu dois faire le test parce qu’il y a un vol prévu pour toi » je lui ai dit « non je vais pas faire le test » « si tu oses refuser tu vas voir, de toute façon tu verras ce qu’on va te faire. » Le matin effectivement vers 10h comme ça, les gens de l’hôpital m’appellent : « mademoiselle il faut passer à l’infirmerie. » Je suis pas partie, j’ai essayé d’appeler les garçons, les amis qui sont dans l’autre CRA, ils me disent « non il faut pas y aller ». Je suis pas allé non plus. Après quelques minutes comme ça je vois qu’ils ont envoyé 4 policiers qui sont venus. Ils me disent « madame vous êtes appelée à l’infirmerie. » Comme j’ai refusé de partir du coup je vois l’un d’eux dit : « ok vous serez poursuivie : 3 ans de prison si vous faites pas le test. » J’ai pas répondu à ça et dans la nuit encore ils sont venus là ou j’étais et ils ont commencé à me traumatiser. Il y en a un là qui m’a bousculé. Elle me dit « comme tu veux pas y aller, que ca fait 2 fois que tu as refusé le vol, tu seras escortée parce que tu dois faire le test. » J’ai dit « non c’est ma santé si je ne veux pas faire le test, je ne vais pas, je ne vais pas, de toute façon je suis pas en train de présenter les symptômes du Covid ». Ils ont commencé à parler n’importe quoi, comme ils voulaient parler et c’était fini.

    Aujourd’hui quand on est allé manger, vers 18h (aujourd’hui on a fini à 19h), nous sommes rentrées à l’intérieur du réfectoire comme on fait souvent, des lignes : vous montrez les cartes et puis vous vous asseyez. Du coup on voit la policière elle se lève et elle nous dit « Avant de manger vous devez d’abord chanter. » Chanter ? Chanter quoi encore ? Elle nous dit comme quoi ouais aujourd’hui c’est l’anniversaire de leur chef et nous sommes obligées de chanter. J’ai dit « est-ce que chanter pour votre chef c’est obligatoire? »

    Elle me dit « si tu chantes pas tu manges pas ».

    C’est à dire on a commencé à prendre une personne par personne. C’est à dire vous rentrez à l’intérieur vous chantez 3 fois joyeux anniversaire, 3 fois, et puis vous partez manger. Si vous refusez on ne vous donne pas à manger. Il y a le même fille là qui était malade, celle qui avait été emmenée à l’hôpital elle ne se sentais pas bien, elle n’a pas la force de chanter et la policière lui a exiger de chanter, la fille elle dit : « j’ai très mal, je ne peux pas chanter ». Directement on a refusé de la nourrir. Jusqu’à présent la fille est est dans la maison [la chambre] et comme on a l’habitude de prendre le pain pour rentrer avec dans la chambre, ils ont remarqué que quand on prenait le pain on va donner à la fille. Ils ont refusé de nous donner même le pain … [problème de téléphone] quand la nuit elle est trop longue. Parfois la nourriture qu’on nous donne on arrive pas à manger, c’est pas du tout bon alors quand on te donne le pain ca va t’aider durant la nuit tu peux avoir faim. Ça peut t’aider, tu peux manger, tu bois de l’eau, tu dors et la nuit passe. Mais comme notre amie elle est malade, le pain là on allait amener avec nous, comme ça on peut partager avec l’autre. Mais eux ils disent non il faut pas prendre de pain parce que ils savent que au cas ou on prenait le pain on va le donner à la fille. Ça fait depuis le matin que la fille n’a pas mangé vous exigez aux gens de chanter pour votre anniversaire, vous vous êtes bien alors que nous nous sommes stressées la nuit on dots pas on ne sait pas comment on va s’en sortir. Oui on a fait des erreurs chaque personnes fait des erreurs dans la vie et toute personne à le droit à un deuxième chance…

    […]

    Je suis avec deux autres ici.

    Et ça va ? Elles ont le moral ?

    Bah on essaie un peu d’être fortes, on essaie. On a pas le choix, seulement la fille elle m’inquiète beaucoup parce que on a donné des médicaments qu’elle doit prendre ce soir mais elle n’a rien mangé, comment elle va s’en sortir ? Elle n’a rien mangé elle est devenue pale. Déjà ici je n’ai pas de pull, déjà je porte que seuls deux habits que je suis venue avec depuis que je suis venue en France. Je suis venue avec que deux habits parce que je fuyais chez moi avec la guerre qui était là bas je fuyais, je n’avais que deux habits et toutes les portes sont cassées ce qui fait qu’il fait très très très froid. Ça fait deux mois et quinze jours que j’utilise les même draps non lavés et c’est déjà troué. Donc j’arrive même pas à me couvrir comment je vais continuer à vivre comme Ça ?

    Elles nous ont racontées ce matin que la femme malade a été libérée hier soir, suite à l’intervention des pompiers. C’est grâce à leur lutte collective que cela a pu arriver !

    Lien vers l’émission du vendredi 9 Octobre en entier:

    Vous pouvez appeler et soutenir les personnes enfermées dans les taules pour sans papier.

    Rassemblement vendredi 16 Octobre 2020 à 16h30 au RER A Joinville le Pont pour manifester devant le centre de rétention de Vincennes en solidarité avec les personnes enfermées en CRA.

  • Interview d’un prisonnier d’Ile de France

    Interview d’un prisonnier d’Ile de France

    Transcription condensée de l’interview d’un prisonnier d’une maison d’arrêt d’Île-de-France à l’émission du 8 avril 2020.

    lue à l’antenne le 8 Avril 2020

    Peux tu nous raconter comment ça se passe depuis le début du confinement ?

    Quinze jours avant le confinement, la direction de l’administration pénitentiaire est venue nous voir pour nous dire qu’on avait plus accès au parloir familial ; qu’on verrait plus nos familles. Il y a eu des gens qui ont mal pris la chose, parce que les surveillants, eux, ont accès quotidiennement à la prison ; ils rentrent sans masques, sans gants, et ils sortent tous les jours. On s’est dit : « pourquoi interdire les familles alors que les surveillants font la même chose ? » Après, on a pris sur nous : on a compris que c’était pour éviter la contamination au sein de la détention. Y a eu quelques mouvements de protestation, on nous a dit qu’on allait nous donner une promenade le matin, une promenade l’après-midi ; et c’est tout ce qu’on a eu, quoi. On a rien eu d’autre.

    Les crédits de téléphone promis par la ministre de la justice Madame Belloubet, on les a jamais vus. Ils sont toujours pas arrivés. Et même avec ces crédits, au final y a une cabine pour cent détenus. Donc vous voyez bien : si tout le monde se met à aller à la cabine, ben la cabine, ça devient… une zone de contamination, quoi ! Donc on évite… on essaie de trouver des petits téléphones pour continuer à parler à nos familles ; moi, depuis le confinement, j’ai pas été une seule fois à la cabine téléphonique. C’est vraiment le truc à pas faire. Vous prenez tous le même appareil ; vous parlez, vous postillonnez sur l’appareil téléphonique et derrière, y en a un autre qui le prend et qui fait la même chose… Y a aucune désinfection juste après ; donc c’est pas une mesure utile. Ceux qui ont la chance d’avoir un téléphone, y sont bien lotis, en attendant d’avoir des parloirs ; et ceux qui en ont pas, ben ils ont pas de nouvelles de leur famille, à l’extérieur ils s’inquiètent… Nous, on essaie quand même d’aider certaines personnes, de passer des messages à leur familles, de les prévenir qu’ils vont bien… mais si y avait pas un peu de solidarité entre les détenus, franchement, ce serait la catastrophe.

    Les mesures de la ministre, c’est une grande blague générale. Quarante euros pour le téléphone : personne l’utilise, et y faut éviter, au contraire… Ensuite vous avez quarante euros pour les personnes qui n’ont pas d’argent, donc nous ça nous change rien du tout… Voilà, quoi ! A part ça, des réductions de peine : ils enlèvent deux mois en fin de peine, mais nous ça nous concerne pas parce qu’on est en détention provisoire, donc pas jugés ; avec la présomption d’innocence, logiquement on aurait plus de chances d’être auprès de notre famille en attendant notre jugement… moi, dans mon cas, mon dossier est fermé, j’ai ma femme et mes enfants dehors qui sont seuls ; s’ils ont un problème, je peux même pas être là, je peux même pas les aider ni faire des courses pour eux, ni rien du tout. Ma famille, si quelqu’un est contaminé… en gros, on peut laisser nos proches mourir à l’extérieur sans avoir eu l’occasion de les voir une dernière fois.

    Et sur les libérations, concrètement, vous voyez venir quelque chose ?

    Non ; j’ai des contacts avec le bâtiment d’en face, y a toujours autant de monde. Ils relâchent les gens auxquels il reste moins de deux mois, mais sa mesure, elle a rien changé parce que dans la loi, quand il vous reste moins d’un an, vous pouvez avoir le bracelet électronique, ou être sous contrôle judiciaire à l’extérieur, où il faut aller signer au commissariat en attendant votre fin de peine. Donc là, des gens à qui y reste moins de deux mois, y a déjà plus personne, en fait ; Cette mesure et les autres, c’est un effet d’annonce pour la presse et l’opinion publique, mais  sans plus. Au sein de la détention, personne ne voit le changement.

    Entre ce qu’ils disent à la télé sur la détention et ce qu’on vit à l’intérieur, c’est le jour et la nuit. Sincèrement, c’est pas du tout ça ! Ce qu’ils disent qu’ils ont donné, c’est jamais arrivé ; des masques, on en a pas, du gel hydroalcoolique on en a pas, on a pas de gants ; et on est plus nombreux en promenade maintenant qu’avant le confinement, en fait. Ça, on a pas compris. En cellule, on est plusieurs sans aucune protection, donc il suffit qu’y en ait un qui a le virus et tout le monde l’attrape. On a aucune aide, aucun soin. Vous pouvez appeler l’infirmerie : faut écrire un mot, ils vous appellent peut-être le mois d’après… mais entretemps, on sait pas si vous êtes encore là.

    Donc à l’intérieur tout le monde est angoissé : les gens qui voient plus leurs familles sont stressés, tout le monde a peur, donc la tension monte. Des jeunes ont déjà bloqué, il y a déjà eu une mutinerie, et je pense que si ça continue ça va aller crescendo.

    Tu me disais que les entrants sont très vite mis en cellule avec tout le monde ?

    Exactement ; un ami à moi était sorti sous contrôle judiciaire, et en fait, les entrants passent pas une quatorzaine isolés pour éviter de ramener le virus. Ils les font monter directement. Vous êtes déjà en détention, quelqu’un vient de l’extérieur, on vous le met directement avec vous, sachant que vous êtes déjà deux, vous vous retrouvez à trois avec un contaminé potentiel. Ici on est tous les uns sur les autres, donc si y a une personne contaminée, en une semaine vous avez tout le bâtiment qui risque de l’être. J’ai l’impression qu’ils font l’inverse de ce qui devrait être fait.

    Les libérations, c’est un mensonge total. Ceux qui devaient être libérés passaient en commission d’aménagement de peine, quand il leur restait moins d’un an… ben maintenant les commissions sont annulées !  Les Spip, ceux qui s’occupent des dossiers, ne travaillent plus à cause du confinement ; automatiquement, ça fait qu’il y a plus de gens qui restent en prison. En fait, y a rien qui a été fait ; y a des surveillants qui se sont acheté leurs propres masques eux-mêmes à la pharmacie ; y a zéro masques, pas de gel hydroalcoolique, pas de gants. L’administration a vraiment rien fait, elle laisse les gens à l’intérieur et laisse pourrir la situation.

    Vous êtes informés par l’administration s’il y a des gens malades, des gens mis en quarantaine ?

    Ah, non, non, ici vous avez aucune information ; vous allez voir passer des blouses blanches avec un détenu ; vous savez qu’il est contaminé, mais ils le disent surtout pas. On sait pas où ils partent ; on les voit plus, après. Il y a deux personnes contaminées dans le bâtiment dans lequel je suis ; on sait pas leur état, on sait même pas s’ils sont bien pris en charge ou pas. Ici y a pas de lits, y a pas de réanimation, y a pas de traitement, y a rien du tout. Si vous êtes contaminé, c’est vous et votre chance, quoi. Ils veulent pas nous le dire, mais on sait qu’il y a des contaminés, et le problème, c’est que surveillants et détenus, personne n’a fait le test ; ce qu’il aurait fallu, c’est faire des tests ; ceux qui sont contaminés, les mettre d’un côté en isolement total, ainsi que les personnels de l’administration ; et ceux qui sont pas contaminés, on peut les laisser dans un régime plus souple : promenade, toujours pas de parloirs, mais bon… quand même, on met à l’écart les gens contaminés – comme ils devraient faire à l’extérieur aussi… mais y a pas de tests. Du coup tout le monde est suspicieux, tout le monde est en stress, en panique, et tout le monde a peur pour sa vie ; parce que là, en fait, ils mettent la vie des gens en danger. On peut avoir commis des choses, on reste des êtres humains, mais les droits de l’homme sont pas appliqués dans la maison d’arrêt ; c’est malheureux à voir. Il y a des détenus qui ont commencé à porter plainte pour non-assistance à personne en danger. On est en danger, on a même pas de masques, on a rien du tout. Je comprends que c’est pour le personnel médical en priorité ; c’est normal. Ici, à 20 heures, tous les détenus applaudissent par la fenêtre pour soutenir le personnel médical ; mais on aimerait bien au moins… peut-être rester seul en cellule, pour éviter d’être avec quelqu’un de contaminé. On demande pas plus que les gens dehors. On a peur pour nos vies. On attend, en espérant qu’ils trouvent des solutions concrètes pour les détenus ; qu’ils essaient au moins de faire quelque chose, peut-être six mois pour les petits délits : délits routiers, gilets jaunes… les personnes pas dangereuses en fin de peine. Dans tous les cas elles vont sortir, alors qu’elles sortent dans six mois ou dans huit mois, vu l’état actuel des choses…

    On a pas à risquer votre vie. On reste des citoyens français. On est des pères de famille ; D’autres ont leurs grands-parents qui ont le virus, dehors ; ils sont ici et ils peuvent vraiment rien faire. Faut comprendre la réaction des détenus quand ils manifestent. C’est notre droit. On a le droit de manifester qu’on ne respecte pas notre protection.

  • « LES GENS VOULAIENT PASSER PAR-DESSUS LA POLICE »

    Entretien réalisé le 5 juin 2019 avec Jean, Gilet jaune de Saint-Etienne, à sa sortie de Fresnes où il a été incarcéré un mois. Initialement publié dans le numéro 50 du journal l’Envolée.

    Comment tu t’es retrouvé embarqué dans ces histoires de Gilets jaunes ?

    J’étais un esclave du système et je voyais qu’il y avait de plus en plus de gens qui souffraient de ce système et qui étaient détruits par lui ; quand j’ai vu que les Gilets jaunes prenaient une dérive un peu plus contre le système capitaliste, plutôt que sur la taxation de l’essence, ça devenait intéressant pour moi. J’ai eu l’impression de l’émergence de quelque chose : un mouvement hors syndicats, hors partis politiques… ça émergeait naturellement du plus profond des entrailles du peuple, et ça m’a attiré.

    Tu avais déjà milité avant ?

    Jamais. Après, j’ai des convictions politiques ; mais je me suis jamais mis dans un parti ou autre.

    T’es allé sur les ronds-points, aux manifs…

    En fait, j’ai fait les deux ! Au début, j’ai fait les ronds-points ; ce que je trouvais intéressant, c’est qu’il y avait un échange social et culturel : tout le monde se parlait à cœur ouvert, on retrouvait le dialogue entre citoyens… alors que maintenant la société fait que dans le bus, tout le monde a son casque, on se parle pas, on se regarde pas, on se connaît pas… Là, sur ces ronds-points, j’avais l’impression qu’on se redécouvrait… tout le monde était sans étiquette ! j’aimais beaucoup discuter avec les gens, parce que t’arrivais à faire prendre conscience de certaines choses, le pourquoi du comment, pourquoi on supprime l’ISF au moment où on augmente l’essence, que ça représente à peu près la même somme d’argent… tout ça, c’est des prises de conscience qui se sont passées sur les ronds-points. En général, quand t’es de gauche, tu discutes avec des gens de gauche. C’est très appauvrissant, parce que forcément, t’es cloisonné dans une idéologie existante. Pareil pour les milieux d’extrême-droite. Là, y avait tout le monde ! De droite, de gauche, des gens qui vivaient la misère ; y avait de tout, et c’était ça qui était vachement intéressant. La manif du 17 novembre, je m’y suis pas intéressé ; j’ai fait la suivante, et après j’ai fait celle de début décembre à Paris, et ainsi de suite.

    Tu as donc fait la fameuse manif du 1er décembre, qui a fait un peu peur au pouvoir…

    Pour moi, c’était pas vraiment une manif… ça avait vraiment un air révolutionnaire ! Après novembre, dès la première manif, y a eu une répression vraiment énorme de la police, avec beaucoup de violence ; même dans ma ville de Saint-Etienne, j’ai pu le voir : pour disperser, y avait pas de dialogue, rien, ça tirait dans le tas et ça balançait des lacrymos à tout-va, ça attrapait les gens par les cheveux, enfin j’avais jamais vu ça, ni à la télé ni rien. Je m’imaginais même pas que c’était possible que nos très chers policiers puissent être violents comme ça. Je pense que c’est ça qui a déclenché l’énervement du 1er décembre : il y avait des consignes de répression dans toute la France, les gens l’ont mal vécu et ils se sont énervés, quoi. Après, ça a été la politique de la peur, les policiers te tiraient dessus, ils te disaient : « Rentrez chez vous, vous avez rien à faire dans la rue ! » T’avais l’impression qu’on gênait vraiment… Moi, à ce moment-là, je continue à y aller, je prends l’exemple de mai 68 et je me dis que les gens ont pas eu peur, ont essayé de contrôler leur peur ; ils ont rien lâché, et c’est comme ça qu’ils ont obtenu des miettes… du système, quoi ! Et je pensais qu’en continuant à rien lâcher, on aurait fini par avoir des miettes !

    Des miettes, ou un petit bout du gâteau ?

    Faut pas rêver ! Les parts du gâteau, elles sont réservées aux actionnaires du CAC 40 ; nous, les ouvriers, les gens d’en bas, on peut espérer que des miettes, mais ce serait déjà bien qu’on en ait quelques-unes ! On a juste bloqué la machine un moment. On l’a empêché d’avancer, mais c’est pas ça qui va sauver l’avenir de nos enfants, sauver l’avenir des ouvriers. Maintenant que les gens ont peur et qu’ils sont tous rentrés chez eux – parce que c’est ça, hein, c’est pas que les gens sont satisfaits ! … Eh ben la machine, elle continue.

    Tu peux nous raconter ta montée à Paris ?

    En allant sur Paris le 8 décembre, je me suis fait arrêter parce que je transportais des fumigènes. On était pas partis depuis vingt minutes qu’on se prenait une fouille intégrale du bus de deux heures, véhicule et passagers. Moi, j’avais ramené un sac de fumigènes, parce que j’en ai toujours vu dans les manifs de la CGT, des cheminots, dans les stades de foot… on en voit partout. Ils m’ont saisi le matériel, et je suis encore en attente de ce procès pour possession et transport d’engins pyrotechniques. Mais ça ne les a pas empêchés de s’appuyer dessus pour le procès qui m’a amené en prison ! Y avait pas de jugement, rien du tout, juste une note où ça disait : « Il a été contrôlé à telle date, il est en attente de décision du procureur », et ça les a pas empêchés d’en parler à mon jugement, et de s’appuyer sur le fait que j’étais en pseudo-récidive.

    Vous étiez en groupe ?

    J’étais avec des potes, mais c’était cosmopolite : on est montés avec des roannais qui avaient organisé un bus parce que la voiture ça coûte trop cher. Là, 25 balles aller-retour c’était presque donné. Ce départ de province pour Paris, c’était du jamais vu. On a dû passer 7 ou 8 check-points ! A tous les péages, tous les carrefours, ils te fouillaient et te refouillaient. Les premiers te laissaient casque, masque et matériel défensif, tu vois, et plus tu te rapprochais de Paris, plus ils t’en enlevaient !

    Ça, c’était le 8 décembre ?

    Oui, c’est là où j’ai vraiment vu la machine répressive à 100% ! Ils avaient sorti les chiens, les chevaux qui faisaient office de voltigeurs parce qu’ils avaient pas encore remis les voltigeurs d’actualité ; les chevaux galopaient et paf, ils te mettaient des coups de matraque ; y avait aussi les blindés de la gendarmerie… Ils avaient presque doublé les effectifs de police par rapport aux premières manifs, et là on a vraiment senti qu’il y avait quelque chose qui basculait.

    Castaner voulait montrer qu’il reprenait la main ; vis-à-vis des médias et des gouvernements étrangers, aussi, parce que que la semaine d’avant, c’était pas passé loin !

    C’est vraiment pas passé loin, parce que début décembre, j’ai vu des policiers partir en courant en laissant casque et bouclier… de peur, quoi ! On voyait la peur sur leur visage, parce que… y avait des mères et pères de famille… tout le monde avait envie d’aller chercher Macron avec les fourches et les piques ! Les gens voulaient passer par-dessus la police pour aller le chercher. Ça puait la révolution ! C’était vraiment impressionnant. Les deux dates : la première pour la ferveur populaire, la deuxième pour la répression. Et encore plus dans la province, peut-être. Même les syndicats ont été complètement dépassés… Je connais beaucoup de gens qui sont impliqués dans les organisations syndicales ; fin décembre, je suis allé les voir, je leur ai dit : « Mais les gars, c’est quand que vous allez vous réveiller ? Vous voyez pas qu’il se passe quelque chose ? Les gens comme vous, faut qu’y soient dans la rue aussi ! » Ah, ben non… » au début, dans leur tête, manipulés par les médias, ils croyaient que c’étaient des extrémistes de droite qui étaient dans ces mouvements… Moi je disais : « Y a plus d’extrême-droite, y a plus d’extrême-gauche, c’est le peuple, point barre ! On s’en fout ! » Diviser pour mieux régner, c’est vraiment le b. a. -b.a de la domination, et arrêtez de vous faire avoir au premier croche-patte, quoi ! On s’en fout que le gars va voter à droite, à gauche, s’il est musulman… On s’en bat les couilles, de ça ! On est tous pareils, en fait ! Y a pas d’autre clivage que celui qui nous sépare de la classe dominante !

    Des clivages, il y en a, mais à ce moment-là, ils commencent à bouger, parce que les gens sont eux-mêmes dépassés. Tout le monde fait du chemin dans sa tête. C’est d’ailleurs pour ça que le gouvernement durcit encore sa réponse. En janvier, ça commence à être dur, des milliers de gens ont déjà été blessés, trois mille ont été gardés à vue. Toi, tu continues à sortir dans la rue ?

    Ouais, ouais, je continue à monter à Paris, comme pour l’appel national, c’était au mois de mars, le 16, le jour du Fouquet’s ! Au fur et à mesure des manifs, plus t’en prends plein la gueule gratuitement, -ou même pas gratuitement : des fois, t’as envie d’aller au contact-, mais plus t’en prends plein la gueule, plus tu t’extrémises ! Tu finis par vouloir presque la mort du fonctionnaire qui est en face de toi ! Quand j’ai vu les images de femmes qui se faisaient traîner par les cheveux, d’enfants qui se faisaient gazer dans un parc de ma ville, quand tu vois qu’une femme se prend une grenade par sa fenêtre et qu’elle en meurt, quand tu vois des handicapés jetés de leur fauteuil roulant, ça te met la haine, la hargne, et c’est ce cheminement qui s’est passé pour moi.

    Le fait que les policiers aient toute latitude pour blesser et éborgner les manifestants, d’un côté ça énerve et ça renforce la détermination, mais de l’autre ça terrifie des gens – et c’est normal !

    Personne n’a envie de finir en prison pour de la merde ! Moi, j’ai vu, dans mon voisinage : on est beaucoup dans mon bâtiment ; au début, sur le parking, y avait énormément de gilets jaunes sur les pare-brise, mais au fur et à mesure que le mouvement se faisait réprimer, y en a eu de moins en moins… j’ai commencé à discuter avec mes voisins pour demander comment ça se faisait, s’ils étaient contents des réponses de Macron, et la réponse de tous, ça a été la même : « Non, on a juste peur ! On est père de famille, mère de famille, on voudrait que les choses changent, mais on a pas envie de perdre un oeil ou une main, on a pas en vie de finir en prison, on a pas envie de se faire tabasser ! »

     Tu peux nous raconter ton arrestation ?

    C’était le 1er mai, et pour moi c’était une date clé, historique, où on aurait peut-être pu faire quelque chose – et c’est vrai que j’y suis monté avec un peu de matériel ! Dès le début du rassemblement, vers une heure et demie ça commençait déjà à partir en cacahuète, et dans le bain de foule, j’ai fini par me faire arrêter. Au faciès, parce que j’étais habillé en noir et que j’avais un masque à gaz. Ils m’ont attrapé par le sac à dos, par derrière, ils m’ont jeté par terre, et après ils m’ont traîné sur 20 mètres jusque derrière leurs lignes, j’ai eu le dos tout éraflé, et après j’ai eu droit au pied sur la tête, etc. Mais bon, je savais bien qu’une fois que tu t’es fait attraper, ça sert à rien de faire le gangster ou de te rebeller, parce que tu ramasses plus ! Tu vas prendre outrage, ou autre, autant de pierres pour la justice, pour t’écraser ! Une fois attrapé, je savais que c’était cuit ! Fallait juste que je serre les fesses et les dents et que je sois très poli et très gentil, et c’est ce que j’ai fait.

    Ils t’ont mis quoi comme chef d’accusation ?

    Ils m’ont collé « groupement en vue de commettre des violences » contre les policiers et des dégradations matérielles… en l’occurrence, par la possession d’un masque à gaz qu’ils appellent « de guerre » parce qu’il y a deux cartouches, d’un casque militaire, de gants coqués.

    Et ton avocat ?

    Mon avocat, c’était un peu un charlot, même s’il a réussi à me faire sortir… Il devait venir me voir le matin de mon procès, il est pas venu, du coup j’ai pu l’apercevoir dans la salle d’audience trois minutes où il m’a glissé quelques mots à l’oreille, mais on a pas pu préparer de défense.

    Tu te fais arrêter, mettre en garde à vue au 36 quai des Orfèvres, et tu es déferré devant le juge qui te propose la comparution immédiate ?

    Avant ça, y a eu quelques magouilles aussi. Au moment du renouvellement de ma garde à vue, l’OPJ me dit : « écoute, j’ai encore deux ou trois questions à te poser avant de te laisser sortir, mais par contre, si tu prends un avocat, je suis obligé de te prolonger de 24 heures ; sinon, dans deux heures je te libère. » Naïf que je suis, j’ai accepté, j’ai répondu à ses questions, pour ensuite être prolongé et déferré. Ils m’ont mis une carotte devant le nez, et j’ai voulu la croquer, mais je suis passé à côté.

     Tu refuses la comparution immédiate…

    Je demande un report pour préparer ma défense, voir avec un avocat et le collectif anti-répression comment je pouvais me défendre ; le juge a estimé que j’étais trop dangereux et qu’il fallait que j’aille en prison. Ils m’ont incarcéré à Fresnes.

    Tu avais des garanties de représentation ?

    J’ai deux boulots dont un CDI et un où je suis chef d’entreprise ; je suis marié, père de famille. Niveau garanties, j’étais au max, quoi ! Ça a surpris même mon avocat qu’ils me mettent en prison !

    Dans le dossier, y avait déjà l’histoire de décembre ; pour le juge, tu faisais partie des gens qui remontent inlassablement sur Paname, genre « tant qu’il sera en préventive, y nous fera pas chier dehors. »

    C’est ça ; comme ça, le week-end prochain, il sera pas dans nos rues, et le suivant non plus. Sauf qu’en prison, je peux rencontrer des gens à qui je peux faire passer le message ! Et il est bien passé, en prison, justement !

    Raconte-nous ton arrivée là-bas…

    Ils nous ont amenés à 2 heures du matin à Fresnes, au quartier Arrivants… On rentre tout de suite dans le bain, ils commencent par te faire des prises d’empreintes, ta photo, ils te donnent ta carte, ils te prennent ta fouille qu’ils mettent sous clé, et après, première fouille intégrale, tout nu, lever les pieds, etc. Et ça y est, t’es parti dans la machine carcérale, quoi.

    Et ce que tu découvres en prison, c’est conforme à ce à quoi tu t’étais préparé ?

    Non, c’est pire ! Comment t’es traité, les conditions d’hygiène, les conditions de détention, elles sont bien pires que ce qu’on imagine… Aux Arrivants, y te donnent une brochure : sur les photos les cellules sont propres, y a une douche dans la cellule… quand t’arrives à Fresnes, tu te rends vite compte que c’est juste une brochure publicitaire ! Photo non contractuelle ! Mon premier codétenu, aux Arrivants, il était là pour la même chose que moi ; il avait pris une interdiction d’aller à Paris suite à une manif, il a bravé l’interdiction en disant : « Moi, je suis un citoyen, j’ai le droit d’aller manifester ! » Il s’est fait arrêter et il a pris quatre mois de prison ferme… J’ai eu de la chance : je suis tombé sur un codétenu qui avait les mêmes valeurs, les mêmes idéaux que moi.

    Tu y restes trois semaines et demie ; tu vas en promenade, tu descends, tu croises des gens, tu discutes… Comment c’est reçu, cette histoire de Gilets jaunes, à Fresnes ?

    Ben, eux, y nous voyaient comme des révolutionnaires, des résistants… ils ont montré beaucoup de respect pour nous, ceux qui sont là pour d’autres raisons ! Y comprennent pas que nous, on fasse pas de l’argent ! Pour eux, si tu vas en prison, c’est parce que t’as fait de l’argent. Faut que ça vaille le coup, financièrement. Moi, je leur disais qu’ils étaient complètement broyés par le système ; que l’argent, c’est futile, que c’est pas ce qui compte ; ce qui compte, c’est de nourrir sa famille. Mais on est dans un système où l’argent est roi. Y en avait, si, qui étaient là pour des gros deals et qui ont réussi à gagner des millions. Mais c’est pas la majorité. Moi je leur disais : « C’est vous qui êtes les premiers Gilets jaunes, les gens des quartiers – la plupart des gens en prison, c’est des gens des quartiers – parce que c’est vous qui avez subi en premier la répression policière, c’est vous qui subissez de plein fouet la misère sociale, économique… Vous êtes les premiers gilets jaunes ! » Mais franchement ! Mon codétenu au quartier, quand j’ai quitté les arrivants et qu’ils m’ont mis en division… eh ben il m’a tout donné ! Il partageait sa bouffe avec moi, il partageait sa fume avec moi, il partageait tout avec moi… Bon état d’esprit !

    Tu te disais quoi de la prison et de ceux qui y sont, avant d’y aller?

    Pour moi, c’était des gens qui méritaient d’y être ; s’ils y étaient, c’était sûrement pour une bonne raison. Je vais pas mentir. Quand tu connais pas… Le fait d’être allé en prison, ça a vraiment changé mon point de vue. Je vois plus les détenus comme avant. Je me rends compte que c’est pas du tout ce que je m’imaginais. Y a une solidarité énorme entre les détenus –enfin pas tous, parce qu’il y a des fous, aussi, en prison- mais y a une solidarité… Avec les yoyos, un gars qui manque de bouffe, ça lui envoie de la bouffe, un qui manque de clopes ça lui envoie des clopes… vraiment un esprit de solidarité.

    Et en tant que Gilet jaune, l’administration te traitait comment ?

    Aucune différence, sauf au cas par cas : certains matons te disaient : « Moi je suis Gilet jaune, je vous soutiens à 100% », et arrivaient à te passer des cigarettes en cellule d’attente, ou à être plus sympas avec toi. Mais c’est une minorité. Et puis c’est comme des policiers qui se disent Gilets jaunes, mais ça les empêchera pas de te mettre des coups de matraque tous les samedis. Le devoir avant tout, c’est les ordres… Au bout d’un moment, les gars, faut avoir une conscience ! Moi je travaille en maison de retraite ; les ordres, c’est de rationner la bouffe, la viande, mais je suis humain : j’en mets toujours un peu plus ; je me mets à leur place… j’essaie d’améliorer les recettes qu’on nous impose pour respecter les coûts, aussi ; pour donner un peu plus de plaisir aux personnes âgées quand elles mangent. Et pourtant j’ai des ordres, je pourrais perdre mon boulot. Après c’est pas le même boulot. Les matons, quand y signent, c’est pas une vocation sociale, c’est pas pour aider les détenus mais pour mater les détenus.

    Au bout de trois semaines et demie de détention, tu passes devant le juge…

    En gros, c’était plus un procès d’intentions qu’autre chose. On m’a reproché d’être habillé en noir : ils voulaient absolument m’assimiler au black bloc. En fait, ils voulaient m’entendre dire : « Je suis un black bloc. » Au final, le procureur a réclamé neuf mois de prison ferme et le juge m’a donné neuf mois de prison avec sursis. Mon avocat était complètement perché. Il a plaidé dix-huit minutes sur vingt à propos de Trump, du capitalisme… Moi j’étais complètement dépité. Il m’a même rappelé le lendemain pour me dire qu’il était désolé, qu’il était dépressif en ce moment, qu’il avait perdu sa grandmère… Non, je te jure ! Mais, j’ai jamais aucun regret, et je prends la prison comme une expérience sociale et une élévation intellectuelle ; ça m’a permis de voir des choses que j’aurais peut-être pas connues dans ma petite vie de bon travailleur. J’ai pu voir l’envers du décor et me rendre compte de qui étaient ces gens en prison, qui étaient les matons… C’est la vie, j’ai payé ma dette à la société, et j’ai vu ce que c’était, j’ai vu l’enfer de la prison. C’est pas les détenus, c’est la surpopulation, l’hygiène… L’enfermement, à côté de ça, c’est rien, tu le vis bien, mais tous ces traitements un peu inhumains… même si on est pas torturés, on est quand même traités comme des chiens. Je l’ai vu, et je dis respect, force et honneur à tous les détenus de France qui subissent tout ça.

    Tu as gardé des liens avec l’intérieur ?

    Y a des camarades de prison qui sont ni des black blocs ni rien, qui étaient là pour des stups ou autres, avec qui j’ai gardé des contacts, et on aimerait bien se revoir à l’extérieur, histoire de pouvoir se parler en dehors d’une prison, tu vois ? Et même si on se revoit pas, ça restera une expérience et un enrichissement.

     La prison ne semble pas t’avoir traumatisé…

    Ils m’ont pas non plus démotivé ! Je suis père de famille, et j’ai toujours envie de changer les choses pour créer un monde plus libertaire, plus social… Le cancer de notre monde, c’est le capitalisme. Je me suis même retrouvé une famille politique, du coup ! Avant je savais pas m’étiqueter, et là je sais clairement que je suis anarchiste. Maintenant que je m’y suis intéressé, je vois que ça me correspond tout à fait, et c’est les idéaux pour lesquels je me bats depuis des années sans jamais mettre de mot dessus. Bon, je reste quand même assez croyant et catholique, mais l’un n’empêche pas l’autre, hein !