Catégorie : Lettres

  • Justice pour Angelo contre la vérité judiciaire – Activités suspendues, isolement étendu.

    Justice pour Angelo contre la vérité judiciaire – Activités suspendues, isolement étendu.

    Émission de l’Envolée du vendredi 21 mars 2025

    AU PROGRAMME :

    • Discussion avec Aurélie Garand : le 6 mars 2025, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a validé le meurtre de son frère Angelo par le GIGN.

    Depuis qu’Angelo a été tué en 2017 sous prétexte qu’il n’était pas retourné en prison après une permission de sortie, ses proches se battent pour faire entendre la vérité et réclamer justice (voir ici et ).

    Le lendemain du meurtre, le procureur affirmait qu’il allait établir « la vérité judiciaire ». Les proches ont saisi la justice et subi une série de non-lieux : malgré leur contre-enquête accablante, ils n’ont jamais eu accès à un procès public au cours duquel ils auraient pu confronter publiquement les tueurs et l’institution judiciaire qui les couvre. Aurélie dénonce l’article L435-1, permis de tuer pour les forces de l’ordre. La CEDH a rendu le 6 mars une décision légitimant ce meurtre et balayant d’un revers du droit la versions des proches. Alors Aurélie appelle à poursuivre le combat contre les violences policières et pénitentiaires, en mémoire des mort.e.s et pour les vivant.e.s.

     » La vérité judiciaire, c’est celle où l’on entend pas la parole des témoins, quand bien même c’est la famille, quand bien même c’est des Voyageurs. La vérité judiciaire telle qu’ils l’ont écrite, c’est que parce qu’Angelo fait partie de la communauté des gens du voyage, ça justifie sa mort. On est les premiers touchés depuis tout le temps, mais ça concerne tout le monde. (…) La mort d’Angelo ne regarde pas que nous, ça regarde tout le monde. (…) Plus que jamais le combat continue. Ce ne sont pas des faits divers, ce sont des faits politiques. »

    LETTRES DE PRISONNIER.E.S

    • Bambina raconte une journée malheureusement banale à la MAF des Baumettes. Blocage de la cabine téléphonique, mépris de la part des matonnes, fouille à nue, menace de CRI pour avoir monté le volume de sa radio… « La moindre petite erreur ils me la feront payer. J’essaie de faire la forte, mais j’ai l’impression de mourir chaque jour à petit feu. »
    • Fabrice, prisonnier Guadeloupéen déporté en métropole depuis quinze ans, évoque la cuisine de son pays avec nostalgie : « ça me manque depuis 15 ans, mais je garde espoir ». Il subit un acharnement continu : alors qu’il avait récemment dénoncé les insultes proférées par des matons de Vendin-le-Vieil, le chef de détention s’y met !
    • Depuis la centrale de Moulins, Kemi raconte les suspensions d’activités provoquées par de récentes Darmaneries, soumises à l’arbitraire local. Il évoque aussi l’extension flippante de l’isolement sous diverses formes : « Avec Darmanin on part à la catastrophe ».
    • Aurélie à Fresnes : suppression arbitraire de certaines activités, expertises psychiatriques dont les délais délirants nuisent aux prisonnier.e.s.

    • Brève : Retailleau et la droite s’allient pour faire passer une loi pour allonger l’enfermement en CRA à 210 jours ! Elle est passée au Sénat et sera discutée à l’Assemblée nationale) –> on en parle + bientôt !

    AGENDA :

    Le 30 mars à Paris : Manif contre les CRA, les expulsions et les frontières

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  • Solidarité avec Fabrice Boromée, qui subit brimades et insultes racistes à la centrale de Vendin-le-Vieil

    Solidarité avec Fabrice Boromée, qui subit brimades et insultes racistes à la centrale de Vendin-le-Vieil

    Nous relayons des nouvelles de Fabrice, prisonnier longue peine qui subit depuis longtemps l’acharnement de l’administration pénitentiaire*. Actuellement enfermé à la centrale ultra-sécuritaire de Vendin-le-Vieil, il dénonce dans une récente lettre les insultes racistes proférées par des matons. Il a saisi sans succès la direction de l’établissement, la direction régionale et la direction nationale. Dans un communiqué, ses proches reviennent sur son parcours et incitent à interpeller l’administration.

    (*Pour en savoir plus, vous pouvez réécouter l’émission l’Envolée du 28 février 2025)

    C. P. de Vendin-le-Vieil, le 25 février 2025,

    Salut, les amis !

    Je vous écris pour donner de mes nouvelles, et j’espère que vous allez bien. Moi, depuis mon arrivée à Vendin-le-Vieil le 27 juin 2022, je n’ai subi que des humiliations, du racisme et de la discrimination.

    Par exemple, le fait le plus marquant, c’est le 15 février 2025 lors de ma sortie de cellule à 8 heures du matin, je marchais dans le couloir, il y avait quatre surveillants, et un faisait des cris de singe et m’a traité de « sale nègre » et de « macaque ». Croyez-moi, j’ai mordu ma lèvre pour ne pas les frapper, vu que depuis l’âge de huit ans je fais de la boxe thaï, sachez-le.

    Mais ce n’est pas fini : quelques jours plus tard, ce même surveillant raciste m’a palpé lors de ma sortie de cellule, et a dit à son collègue : « ce nègre est dégueulasse », en essuyant ses mains sur son pantalon, sachez-le.

    La direction de Vendin et les chefs du QMC 3 couvrent ces matons dans leur racisme et leurs abus de pouvoir, et je trouve ça injuste. Il n’y a pas de justice pour les Noirs et les Guadeloupéens comme moi, les amis.

    Bon courage à vous tous et à tous les soldats qui se battent pour la liberté.

    L’ami Fabrice, dit « Papillon »

    Fabrice est un prisonnier guadeloupéen enfermé depuis 2010 et déporté en métropole en 2011. Depuis, il réclame d’être transféré en Guadeloupe, auprès de ses proches qui ne peuvent pas venir lui rendre visite aussi loin. Il dénonce cette double peine qu’il subit, comme de nombreux autres prisonnier·e·s transférés des territoires colonisés, géographiquement lointains, dans des prisons de France. Fabrice a essayé de se faire entendre par tous les moyens. Ne recevant en réponse que mépris et répression, il est allé jusqu’à commettre, plusieurs fois, ce que l’administration pénitentiaire appelle des « prises d’otage » : il a retenu des membres du personnel dans l’espoir d’être enfin entendu. Depuis, matons, administration et institution judiciaire lui font payer ses actes de révolte par des représailles infinies.

    Alors que Fabrice était entré en prison pour une peine de huit ans, dans cet engrenage infernal, il a été condamné à une vingtaine d’années supplémentaires. Il a longtemps été enfermé en quartier d’isolement, ces lieux qui détruisent physiquement et psychiquement. Pendant des années, il n’a eu pour tout contact humain que celui de surveillants casqués, il a subi le menottage systématique, les escortes suréquipées et violentes, les repas jetés à travers une trappe, l’impossibilité de voir un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) dans des conditions décentes… Quand il a enfin été sorti de l’isolement, il a été placé au quartier maison centrale (QMC), c’est-à-dire dans un quartier de haute sécurité (QHS) moderne. Il y est encore aujourd’hui, et encore isolé.

    Ces conditions d’incarcération ont des conséquences graves sur la santé de Fabrice. Il a perdu l’ouïe d’une oreille à cause d’une grenade assourdissante jetée par des surveillants dans la douche où il était, il a souffert d’un grave ulcère à l’estomac, provoqué par le stress, le tout dans un contexte de refus de soin récurrent de la part de l’administration.

    À la prison de Vendin-le-Vieil, Fabrice subit depuis des mois injures et provocations racistes. Il en a fait part à la direction de l’établissement, à la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) Grand-Nord–Lille et à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). La DAP et la DISP ont répondu mais n’ont rien fait pour mettre un terme à ces agissements.

    Alors que ces provocations visent à le faire craquer, Fabrice demande à ce que le public soit informé de sa situation et le soutienne. N’hésitez pas : faites savoir à la DAP, à la DISP et à la direction de la prison que vous savez ce qu’il se passe, et exprimez votre désaccord avec cette situation.

    Des proches de Fabrice.

    Direction de l’administration pénitentiaire
    13, place Vendôme
    75042 Paris Cedex 1

    Copie à :
    Direction interrégionale des services pénitentiaires Grand-Nord–Lille
    123, rue Nationale
    59034 Lille Cedex

    Direction du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil,
    5, rue Léon-Droux,
    62880 Vendin-le-Vieil.

    Objet : insultes et brimades racistes au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil

    Madame, Monsieur,

    J’ai été informé·e par les médias d’insultes et de brimades racistes de la part de membres du personnel surveillant proférées régulièrement à l’encontre de M. Fabrice Boromée depuis que ce dernier est enfermé au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil.

    Ces agissements continuent alors que tous les niveaux hiérarchiques de l’administration pénitentiaire ont été saisis par Monsieur Boromée. Qui est donc garant de son intégrité ? Il est de votre responsabilité de faire cesser ces agissements.

    Pour rappel, l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 stipule que « l’injure commise envers une personne en raison de son origine ou de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » est passible de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende, dans la circonstance aggravante que « les faits mentionnés sont commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ».

    Je soutiens les demandes de Monsieur Boromée :
    – j’exige l’arrêt immédiat de tels actes dont le caractère illégal ne peut être nié ;
    – sans réaction de la hiérarchie, Monsieur Boromée est en danger au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil et doit être transféré immédiatement ;

    En vous priant de bien vouloir prendre en compte sa demande, cordialement,

  • Paroles depuis le « parc d’attraction pénitentiaire » – Harcèlement raciste – A bas les CRA ! et récits d’enfermés

    Paroles depuis le « parc d’attraction pénitentiaire » – Harcèlement raciste – A bas les CRA ! et récits d’enfermés

    Emission de l’Envolée du vendredi 28 février 2025

    AU PROGRAMME :

    • Lettre de Skitter à la maison centrale de Moulins-Yzeure : froid en détention, transfert par M.O.S (« Mesure d’ordre et de sécurité »- l’étiquette pratique pour faire galérer les prisonnier.e.s)…
    • Lettre d’Aurélie à Fresnes : les experts psy, ces dangereux farceurs…
    • Lettre de Julien depuis le « parc d’attraction pénitentiaire de Toulouse-Seysses » : il rappelle 2-3 réalités sur les activités en détention, face à la dernière lubie réac’ et punitive médiatico-darmaniste qui a entraîné leur suspension subite dans de nombreuses prisons. Il parle aussi du SMPR et de refus d’aménagements de peine…
    • Des nouvelles de Fabrice Boromée qui subit brimades et insultes racistes de la part de surveillants à la prison ultra-sécuritaire de Vendin-le-Vieil : après avoir saisi à plusieurs reprises la hiérarchie pénitentiaire à ce sujet, rien ne change…
      Fabrice est un prisonnier guadeloupéen déporté en métropole, qui réclame son retour en Guadeloupe, près de ses proches, depuis 14 ans maintenant ! Suite à ses révoltes face à une administration sourde à ses demandes de rapprochement, il subit isolement et représailles. Nous revenons sur son parcours et appelons à la solidarité vis-à-vis de Fabrice (plus d’infos sur son parcours ici et ailleurs sur le site de l’Envolée).
    • Paroles, récits et discussion sur l’enferment des étranger.e.s, avec deux personnes sorties récemment du CRA (centre de rétention administrative) de Vincennes et des membres de l’assemblée « A bas les CRA ».
    • Mauvaise nouvelle et solidarité : cagnotte pour soutenir la famille de Najet dont un fils est incarcéré en préventive et loin de ses proches (voir ici).

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  • « Mes vêtements sont dans les grands cabas prêts à bouger »

    « Mes vêtements sont dans les grands cabas prêts à bouger »

    Lettre de Nathan, prisonnier longue peine enfermé depuis sa jeunesse en est à près de 40 transferts. L’administration pénitentiaire s’acharne pour lui faire payer ses révoltes et évasions et il empile les peines internes. Il raconte le traitement particulier des DPS (détenus particulièrement surveillés) qui continue même quand on perd ce statut. Il parle aussi de son isolement qui est prolongé depuis deux ans mais qu’il espère voir lever l’année prochaine.

    Centre pénitentiaire de Laon

    Le 6 décembre 2024

    La forme ou quoi, SDK wsh ?

    J’ai bien reçu votre courrier aujourd’hui, vous inquiétez pas pour le temps, car ici j’ai que ça à faire malheureusement d’attendre. Et puis la patience est une vertu pas vrai ?

    Je voulais faire une lettre de soutien à tous les braves, et on retire mes timbres c’est la galère.

    Moi ça va vous connaissez, ya pas le choix, la mentale, jsuis pas un faiblard. Le suicide c’est pas trop mon délire, on reste fort toute la haine intérieure me tient en forme.

    Les baluchonnages bah wé vous connaissez ça les amuse, mais tranquille je sais d’où je viens et où je vais, ya pas de souci avec ça vous en faites pas ! ^^

    MDR même moi je ne savais pas qu’il y avait une rate à Laon et jsavais même pas qu’il yvait une ville qui s’appelle Laon. Des barres c’est un peu la campagne ici, la misère. Ici au QI on est seulement cinq.

    MDR mes vêtements sont tous dans les grands cabas, prêts à bouger pour les baluchonnages. Ils sont parfois sportifs, parfois normal, ça dépend des équipes. Moi j’ai une escorte de niveau 3 (renforcée) à cause des évasions. Des fois c’est trois ou quatre véhicules d’Éris, parfois c’est les gendarmes cagoulés, gantés, armés, parfois police + motards, parfois surveillants et forces de l’ordre à l’appui. Ça varie, mais en vrai ils en font des caisses, ils se mitonnent de ouf.

    Wé mon écrou a changé, car pour un jugement j’ai bougé quelques jours plus au nord. J’ai repris deux ans pour un feu de cellule et des outrages, insultes envers les surveillants qui datent d’il y a 5-6 mois auparavant.

    Le QI (quartier d’isolement) j’y suis à cause des évasions, une prise d’otage et plein d’agressions plus ou moins graves. Depuis les mineurs en 2013 j’ai trois évasions et trois tentatives d’assassinat sur les bleus. Avant j’étais DPS en centrale, à Condé-sur-Sarthe à Alençon. Le DPS a sauté avec le temps, tant mieux, mais les mesures de sécurité qui me visent aujourd’hui sont toujours pareil, mais OKLM jnégocie pas avec les porcs, pas d’arrangement possible vous connaissez.

    Moi j’ai peut-être mes chances pour sortir du quartier d’isolement. Vers le 13 décembre 2024 max j’aurai la réponse, car l’administration pénitentiaire a sollicité la mainlevée de l’isolement parce que j’ai un bon comportement, et pour avoir accès à une « réinsertion dans la collectivité » aussi. Je vous tiendrai au courant, tout le monde est OK sauf la JAP (juge d’application des peines) qui n’est pas favorable. Mais pour l’instant ya qu’elle, et on attend la réponse de la DAP (direction de l’administration pénitentiaire) et ils ont jusqu’au 13 décembre pour donner des nouvelles. Aujourd’hui, le chef de détention m’a dit que c’était en bonne voie, car la DAP n’a pas encore répondu, donc j’garde espoir et j’y crois. J’attends la réponse mais s’ils renouvellent mon isolement c’est trois mois donc jusqu’au mois de mars 2025 minimum.

    Ici tu peux que patienter de voir et subir leurs décisions parfois contre-productives. Mais bon ça ils s’en foutent complet.

    Bon allez je vous laisse ici, j’espère que vous recevrez ma lettre et qu’elle vous fera plaisir. Ciao ciao, force à vous la famille !

    Nathan

  • « Comprendre l’inhumanité du système carcéral, c’est regarder l’autre côté des choses »

    « Comprendre l’inhumanité du système carcéral, c’est regarder l’autre côté des choses »

    Une lettre de Rédoine Faïd, actuellement en grève de la faim

    Rédoine Faïd s’est fait la belle de la prison ultrasécurisée de Réau le 1er juillet 2018 ; une « évasion de velours » – par hélicoptère en 7 minutes 33 ! – particulièrement humiliante pour l’administration pénitentiaire… Aux assises (voir L’Envolée n°58), avec sa famille, ils ont su profiter du procès de son évasion pour faire le procès de la prison. « Ma vraie carapace, c’est la dignité, a-t-il ainsi déclaré. On m’a mis dans la tête qu’il n’y avait pas d’espoir avec l’administration pénitentiaire. Mon défi, c’est de rester debout et vivant, ni plus ni moins. » Il a pris quatorze ans.

    Il est maintenant en grève de la faim pour exiger la fin du régime de détention inhumain qui lui est imposé (voir ici et ) ; nous publions ici une de ses lettres déjà parue par extraits dans le journal L’Envolée n°60.

    Quartier d’isolement, prison de Vendin-le-vieil,
    le 12 mars 2024.

    Bonjour,

    Comprendre l’inhumanité du système carcéral, c’est regarder l’autre côté des choses, qui vous fait prendre conscience de ce que c’est, de ce qu’on ne veut pas. Mais il ne se passe rien de significatif parce que ce ne sont pas des moyens ou des réformes qui pourront changer les choses. C’est une tâche collective qui incombe à la société toute entière, dont chacun doit être partie prenante et qui repose sur un changement d’état d’esprit, un renoncement à deux principes ancrés dans notre culture : la haine, ou peur de la différence culturelle, et la souffrance, ou humiliation nécessaire à l’expiation. Deux dispositions mentales qui ancrent l’opinion collective et hystérique dans des stéréotypes rigides transmis de génération en génération, gravés dans l’inconscient collectif, qui ont provoqué dans notre histoire les pires catastrophes, mais que le monde actuel ne parvient pas à dépasser pour tendre vers la différence, vers cet « universellement humain » dont on parle beaucoup mais que l’on a tant de mal à faire vivre, pour lequel il faudrait faire le contraire de ce qui se fait : le faire sortir des gonds, des mots, pour le faire exister dans la réalité.

    L’absurdité carcérale est longue et étroite comme un cercueil, on ne peut s’en échapper sans elle. Elle est toujours là, en permanence, elle flotte autour de nous comme une odeur persistante. Et on peut sentir l’odeur de l’absurdité carcérale chez les personnes privées de liberté. Et chaque personne privée de liberté a sa propre odeur. On ne connaît pas réellement la sienne et on a parfois peur qu’elle soit pire que celle des autres. Parce que l’absurdité est une souffrance et une torture. On parle avec un détenu dont la souffrance a une odeur de cendre et de charbon et voilà que soudain il faut un bond en arrière parce qu’il a senti le relent affreux de votre propre souffrance. On épie en cachette des personnes privées de liberté dont la souffrance gît à l’intérieur d’eux, troués comme un tapis usé et mité dont plus personne n’aura plus jamais besoin.

    On ne peut voir sur eux qu’elles (ou ils) ont eu une souffrance, et l’on n’ose pas leur demander comment elles ou ils ont fait pour traverser l’absurdité carcérale sans que leur visage en porte ni cicatrice ni marque profonde. On les soupçonne d’avoir trouvé un raccourci secret et d’avoir revêtu l’apparence de la mort bien avant l’heure.

    La prison nous montre la détresse des êtres qui se déshumanisent dans une indifférence excessive, qui leur fait la peau. Un long fleuve d’ennui absurde, sans but précis, qui nous coule dans la dépravation. Les personnes privées de liberté subissent les ouvrages de la nature humaine et de l’abandon de façon disproportionnée. Il en va de même pour les personnes enfermées dans les mitards et les QI, ces cellules d’extermination sociale que l’on ne veut pas abolir. Être au mitard ou au QI d’une prison en France se vit comme une plongée immersive dans un marécage d’acier et de larmes. Une fabrique de la souffrance où l’ennui est un droit qui s’exerce dans l’invisibilité totale. Un abîme de lassitude dévasté par le temps et le silence, où aucun espace de liberté n’existe. Une opacité qui occulte la souffrance subie par les êtres qu’on y enferme. Voir l’explosion des tourments de l’âme au quotidien, ses voisins qui deviennent fous… Une expérience du désastre. Au grand jour. Un huis clos où chacun, dans un angle intimiste, vit cloîtré dans sa mélancolie. Des instantanés de misère humaine qui sondent les êtres, où la solitude est en embuscade, où le temps se bloque. Comme un voyage en enfer où les nuits ne sont plus des nuits et où les jours vous consument. Une impression de vivre plusieurs fuseaux horaires différents. Une agressivité de toutes parts qui vous fait prendre conscience que votre vie est en jeu… on ne se sent pas à sa place malgré le temps qui passe. Y a-t-il un endroit en prison où on se sent à sa place, en réalité ?

    La prison ne doit pas être un endroit où la vie ne doit pas exister. L’isolement cognitif et sensoriel est une mort lente, une torture physique et mentale qui désoriente, qui punit et qui peut tuer. Des divagations désespérées qui explosent en cascade, comme des ruptures d’existence qui cinglent ce quotidien de cachot, un confinement lourd, cruel et extrême qui fend la vie à la hache de votre désespérance. Un cauchemar permanent qui relève de la terreur et des ténèbres. Ça tape trop fort sur tout le monde. Le curseur oppressif de ce mode de confinement sévère et trop élevé, irresponsablement et volontairement mal réglé. Pourquoi les êtres enfermés se foutent en l’air ? Parce que cette oppression carcérale a assombri totalement leur horizon. Une dimension du désespoir encore plus concrète et plus effrayante lorsqu’elle est représentée au mitard ou au QI. Sachez qu’il n’y absolument aucun fil conducteur qui aide à se prémunir contre ce labyrinthe mental tendu. Un monde froid où le désespoir et la mort se confondent, qui concourt à la dépravation de soi, à la destruction des sens et la perdition de l’âme.

    Cet état des lieux – caché dans la pénombre de l’institution – nous fait mesurer l’indifférence profonde des gens à l’état des lieux et des gens qui sont emprisonnés, ou qui y travaillent. Et cette opinion publique sera toujours hostile au changement, à l’humanisation de ces conditions. Et dénoncer, cela se révélera plus dangereux qu’utile ; l’essentiel est donc d’agir, non de plaire. Car on le sait, les mesures riches en portée humaine affrontent toujours bien des résistances. Et toutes les rigueurs absurdes et ridicules que j’ai évoquées illustrent les difficultés à mettre en œuvre les avantages qui apaiseraient la microsociété carcérale.

    Les mots, les revues, les débats et les discussions sont des armes incroyables qui projettent une lumière, une visibilité sur ce que l’on ne veut pas. Et il ne faut pas avoir peur de le dire : « la plus grande sagesse c’est de n’avoir peur de rien » (Pasolini).

    Du cran et du courage, voilà tout : c’est ça la conviction.

    Force à toi, le monde.

    Rédoine

    Pour en lire plus :
    Récit du procès de l’évasion de Réau du 1er juillet 2018, dans le journal l’Envolée n°58, p.4-5.
    Lettre de Rédoine Faïd : « Chaque témoignage bouleverse ce qu’on pensait déjà savoir sur les abus de pouvoir. » (5 décembre 2024)
    Lettre de Rédoine Faïd : « Nos droits fondamentaux sont niés, attaqués en permanence » (25 juin 2024).

  • « Chaque témoignage bouleverse ce qu’on pensait déjà savoir sur les abus de pouvoir. »

    « Chaque témoignage bouleverse ce qu’on pensait déjà savoir sur les abus de pouvoir. »

    De la prison ultrasécuritaire de Vendin-le-Vieil, véritable machine à broyer les prisonniers, Rédoine Faïd a écrit cette lettre peu de temps avant de commencer une grève de la faim le 10 décembre 2024, pour réclamer la levée de son isolement et des mesures hygiaphone, et pour exiger le respect de son droit à recevoir des visites en unité de vie familiale (UVF). En réaction aux paroles de prisonniers et prisonnières parues dans le no61 du journal L’Envolée, il développe depuis sa cellule d’isolement une critique sociale sans concessions, mais pleine d’empathie.

    Bonjour L’Envolée,

    Toujours un plaisir de lire votre mag, surtout découvrir le quotidien injuste des personnes emprisonnées. Malheureusement, il n’y a rien de surprenant. Quelle triste période vit-on. Cela en devient terrifiant. Chaque témoignage bouleverse ce qu’on pensait déjà savoir sur les abus de pouvoir… Ces cris d’alarme qui n’activent aucun SAMU ! A croire que la souffrance est inaudible, qu’elle incarne uniquement l’absurdité de la condition humaine. Dans tous les cas, je me reconnais dans ces récits désespérés. Je me sens proche d’eux. Et je commence à ne plus croire aux institutions. Ce petit monde de l’entre-soi où l’humanité et l’intégrité sont inexistantes, où personne ne semble fiable, où chacune et chacun trace sa petite carrière… Une politique qui s’apparente clairement à la recherche de privilèges. Qui permet à tous les opportunistes de se réaliser. Et ce, quoi qu’il en coûte à tout le monde. Et à la société, qu’on aveugle. On coupe le son de la réalité, quitte à nous faire vriller par le fond.

    Parce que l’injustice et les abus sont et resterons des éléments mutiques, opaques.

    Je commence aussi à croire de moins en moins à la politique. Comme toutes les françaises et les français, je me pose des questions. Je m’en désintéresse petit à petit. Cela ne m’inspire que de la méfiance. Et le changement, ça sera pas pour demain, je pense.

    Par contre, je croirai toujours en l’humain, ce matériau qu’est la bonté. L’énergie de l’empathie, tu la trouves chez les gens de conviction. Et donc, les gens sans bonté ne m’intéressent pas. Parce qu’ils sont insensibles. Ce sont des humains dérangés, mais qui sont aux manettes. Il est là le vrai déséquilibre social. Celui qui divise, nous divise, et fracasse tout. Il est temps, grand temps, de revenir aux fondamentaux de la lutte des classes pour dénoncer les mécanismes de domination qui se déploient partout, sans une once d’humanité.

    Force à vous toutes et tous,

    Rédoine

  • Rédoine Faïd en grève de la faim : « Nos droits fondamentaux sont niés, attaqués en permanence »

    Rédoine Faïd en grève de la faim : « Nos droits fondamentaux sont niés, attaqués en permanence »

    Depuis son évasion de la prison de Réau en 2018, Rédoine Faïd subit les représailles de l’administration pénitentiaire qui lui impose des conditions de détention inhumaines (voir l’Envolée n°58 et n°60). Après une série de recours en justice restés infructueux, il s’est mis en grève de la faim ce 10 décembre 2024 bien que son état de santé soit déjà fragilisé.

    Il demande la fin de l’isolement strict auquel il est soumis depuis douze ans, la levée de la « mesure hygiaphone » qui lui interdit depuis six ans tout contact physique avec ses proches qu’il ne voit au parloir qu’à travers une vitre, et le respect de son droit à les recevoir en UVF (unités de vie familiale).

    Comme d’habitude, les médias n’ont évidemment tendu leurs micros qu’aux syndicats de surveillants et autre sources pénitentiaires. Pleinement solidaires avec toutes les revendications de Rédoine Faïd comme avec celles de tous les prisonniers en lutte à l’isolement, il nous semble important de donner le plus large écho possible à la parole du principal intéressé. C’est pourquoi nous republions ici un courrier déjà paru dans le No 60 de L’Envolée ; d’autres suivront. Dans cette lettre, il décrit l’inhumanité carcérale – poussée à l’extrême dans les quartiers d’isolement et les mitards -, souligne ce qu’elle dit de notre monde, et lance un appel à ce que tout le monde s’intéresse à ce qui se passe derrière les murs – parce que ça nous concerne tous et toutes.

    Bonjour,

    Rencontrer des gens qui parlent des prisons, et de celles et ceux qui y sont enfermées, c’est rare. La désinformation, l’ignorance et la malhonnêteté ont réussi à détourner l’opinion publique, créant de fait un désintéressement abyssal de la société à l’égard des personnes emprisonnées. On nous invisibilise. On nous vole même notre statut de laissés-pour-compte… Ce n’est que réquisitoires à notre encontre. Des appels ouverts à plus de dureté. À croire qu’ils se sont autopersuadés de leur baratin : la taule est un Club Med !

    Il y a de la colère et de la souffrance en prison. Cela se traduit par de l’agitation, mais surtout par des dégâts irréversibles sur la santé mentale qui fout le camp. Tout le monde – absolument tout le monde – tire la sonnette d’alarme. On est en face d’un dysfonctionnement sanitaire sans précédent dans les prisons françaises. Un état des lieux de la santé mentale qui est sans cesse reporté, qui fait peur, que personne ne veut assumer : il dévoile l’absurdité, les troubles sévères de l’enfermement, le taux de suicide (et de tentatives !), l’ennui systématique qui rend fou (et qui tue aussi), la conscience qui se désintègre. C’est bien connu, les modes de confinement trop poussés s’assimilent à de la maltraitance mentale. Les mecs deviennent dingues, putain !

    La personne est enfermée. Par essence, c’est dur ! Tu viens dans un monde méconnu, où tout est inversé. Le déséquilibre s’impose en toi. La maturité fait défaut parce que ton psychisme est heurté violemment. Ça peut te casser, a minima te fragiliser, te faire te replier dans le mutisme. Tu perds ta légèreté, tes acquis, ta confiance en toi. Chaque être emprisonné ressent une solitude qui résonne en permanence, qui inquiète. Et qui expose au déchaînement, aussi.

    Impossible d’expliquer tout ce bordel : les gens sont condamnés à l’errance mentale, à vivre reclus dans leur tête. Clairement, c’est comme si on t’arrachait à vif les neurones. Il y a, en fait, plus de réponses que de questions. Alors comment et qui pour allumer la mèche de l’humanité et de l’empathie dans les prisons de France ? Personne. La prison est un drame social. Une réalité humaine que l’on ne veut pas sonder dans sa profondeur, mais réduire au silence. À quoi sert la taule si elle te cabosse ?

    Au placard, trouver une forme de paix est une lutte de chaque instant, surtout au QI et au mitard où la détention est dévastatrice, convulsive, insupportable. Tu en ressors dévitalisé. Le mitard, le QI effacent l’émotion. Un hymne à la dépravation de soi. Une confusion mentale extrême qui peut parfois mettre ta vie en danger, qui marque une rupture, un chaos.

    Où sont les droits humains au QI (quartier d’isolement) ? La vérité, c’est que la vertu humaine a volé en éclats, dans un sommet de non-dits et de faux-semblants. Nos droits fondamentaux sont niés, attaqués en permanence. On est de plus en plus confrontés à des questions existentielles. On côtoie les limites. L’humain est rarement respecté, la règle étant qu’il est simplement ignoré. Il n’y a personne pour remédier à la merditude des choses. Et mon inquiétude s’exprime pour une humanité qui ne serait plus humaine (en tout cas, de moins en moins…). Une humanité calcinée dans son intériorité, mélange de déraison et de stupéfaction. C’est comme regarder le reflet de leur inhumanité. Cette lucidité questionne l’éthique (la leur), le trauma que cela provoque, autant que le sentiment d’impuissance : « C’est à partir de l’injustice que vous mesurez peut-être ce qu’est la justice », clamait Robert Badinter.

    On voit ce qui se passe, ce qui déconne. Mais rares sont celles et ceux qui prennent position, sortent de chez eux, et agissent. L’égalité constitue toujours un défi. Et il n’y a pas de plus grand chagrin que de porter une histoire non racontée à l’intérieur de soi.

    « Écris plus vite que ton souffle
    Plus vite que tes mains
    Ne laisse pas les mots te dépasser
    Ne te retourne pas »
    Désarroi des âmes errantes, Venus Khoury-Ghata

    Force et courage à toutes et tous.

    Rédoine

  • « Y a aucun respect de la vie humaine » – Message de Fleury-Mérogis

    « Y a aucun respect de la vie humaine » – Message de Fleury-Mérogis

    On relaie un message envoyé par un prisonnier de Fleury-Mérogis qui dénonce les conditions de détention. A faire tourner au maximum !

    Nous, actuellement à Fleury-Mérogis, il y a tellement de violences de l’administration pénitentiaire, tellement de maltraitances, nos cellules sont remplies de cafards… Nos conditions de vies sont invivables, les cantines alimentaires, on se les fait voler, sans parler même des violences verbales, sans parler des menaces, sans parler des détenus qui peuvent pas se défendre, qui ont même pas la capacité de se plaindre. Concrètement, y a des surveillants ou drogués ou alcooliques complètement désœuvrés, qui savent même pas faire leur métier, ils sont agressifs, autoritaires. Là, à cette heure-ci, je suis dans une cellule, j’ai pas de fenêtre, je peux pas les fermer, j’ai pas de lumière, j’ai pas de cabine téléphonique – je suis obligé de trouver un téléphone de manière illégale pour appeler et pouvoir faire passer cette info.

    J’ai des cafards dans ma cellule, j’ai même pas accès à la douche. Moi-même qui suis handicapé, j’ai de gros problèmes de santé. À l’heure d’aujourd’hui dans la prison, pour ceux qui ont des problèmes de santé, il est très difficile d’avoir accès au médical. Mais, par contre quand vous arrivez au bout d’une heure, vous avez une ordonnance pour avoir des antipsychotiques, des neuroleptiques et des somnifères, ça on vous en donne directement. Sans parler de la violence pénitentiaire qu’on vous fait subir là, de toute façon quand vous demandez des choses, les surveillants, ils nous donnent aucune réponse. De toute façon, c’est simple, on peut sortir qu’une heure par jour ici, donc c’est comme ça la gestion des détenus. 

    Vous entendez le tapage de porte là ? C’est un détenu qui conteste ça fait trois heures qu’il conteste, ça fait trois heures qu’il demande juste à avoir du PQ – qu’on doit lui ramener. Le surveillant, il en a rien à foutre, il est dans son bureau, il répond pas. Le chef, moi ça fait cinq jours que je suis sans fenêtre, je peux pas les fermer, ça fait cinq jours que j’ai pas de lumière, ça fait cinq jours que j’ai pas de télé – alors que concrètement j’ai de l’argent sur mon pécule on peut pas me dire le contraire – ça fait cinq jours que j’ai pas de cabine et il m’a dit quoi le surveillant ? Il m’a dit « ben t’iras quand tu seras en promenade », mais en promenade, j’ai pas de cabine, je peux pas appeler.

    J’ai pas de moyens d’appeler mon avocat, j’ai pas de moyens de revendiquer mes droits. Quand je demande aux surveillants de manière normale à avoir accès à mes droits, j’ai aucune réponse cohérente. Donc concrètement, aujourd’hui, la population pénale, elle en peut plus. Là de plus en plus, y a des tests de stupéfiants et d’alcoolémie pour les surveillants qui sortent de détention mais si les gens s’informent, ils verront bien que les taux étaient positifs alors même qu’ils viennent de sortir de détention, ces surveillants-là, ils seront positifs aux stupéfiants ou à l’alcool, alors que bon…

    Nous, on demande la stricte application des normes européennes en matière de conditions de détention. On demande le respect de nos droits, le respect de notre vie humaine. On demande des caméras, comme ça on peut être sûr que l’intervention, elle sera être sécurisée, pour eux et nous-mêmes surtout. Surtout nous-mêmes parce que eux parlent de manque de moyens, mais si on leur donne des caméras, est-ce qu’ils voudront accepter de porter des caméras ? Étant donné qu’on connaît bien les pratiques illégales envers les détenus, on voit très bien les comportements…

    Nous, à cette heure-ci, on demande des lois, on demande que les politiques prennent à bras-le-corps le sujet. On nous dit à la télé, les surveillants parlent qu’il y a une surpopulation, ils parlent qu’il y a pas de moyens, ils parlent qu’ils sont en danger alors que c’est faux. On le sait très bien. Nous, on demande des caméras sur les surveillants, on demande des caméras sur les surveillants dans les quartiers dédiés tels que les UDV (Unité pour détenus violents) qui ne sont rien de moins que des QHS (Quartier haute sécurité), où là on met des violences et des piqûres ++, on demande des caméras aux surveillants des quartiers disciplinaires, afin de voir réellement qui acte la violence et qui est à même de condamner qui, et qui est à même de juger qui. On demande la stricte application de transferts pour les détenus qui ont eu des rapports disciplinaires dans certains établissements pénitentiaires afin de garantir l’intégrité pour eux-mêmes et pour l’intégrité physique des surveillants pénitentiaires afin que ce soit du 50/50, étant donné qu’à l’heure d’aujourd’hui, on ne peut pas contester le fait que la seule entité française de l’administration, c’est l’administration pénitentiaire, qui est la seule autorité à ne jamais être contestée, à ne jamais être surveillée, à ne jamais devoir répondre de leurs actes, alors qu’on sait très bien que nous, détenus, on le voit tous les jours : le taux de violence est énorme, et non pas de la part des détenus sur l’administration, mais bien de l’administration sur les détenus.

    Il y a tellement de choses qui sont inexplicables et qui sont même pas entendables pour les gens normaux qui sont dehors, qui n’ont pas commis de délit ou qui sont pas en prison… que c’est même pas entendable de les exprimer là en deux minutes. Ce serait même pas entendable. Pourtant toutes les familles de victimes, de détenus qui sont décédés au mitard, toutes les familles qui voient des détenus au parloir… Combien de gens ici par semaine à Fleury-Mérogis, on leur dit « mais non, votre fils n’est pas venu au parloir », « mais non, votre mari n’est pas venu », alors que le détenu on lui dit « non c’est papa qui est pas venu »… Des deux côtés, on leur dit la même chose, et il y a pas de parloir. Y a aucun respect de nous, y a aucun respect de la race humaine, y a aucun respect de la vie humaine, alors l’école du crime, bah tu l’apprends ici, tu l’apprends de la part du surveillant. Tu l’apprends de la part du surveillant quand il te dit « ferme ta gueule » quand il t’a volé tes cantines, quand il t’a fermé la porte… T’as appris une chose. T’as appris que l’autorité, elle garantit qu’une chose, la criminalité. Voilà ce que t’as appris. C’est pour ça qu’on demande des caméras afin de sécuriser autant la population pénale que l’administration pénitentiaire, afin de condamner les deux en cas de nécessité, et afin de garantir l’État de droit. Et on demande la stricte application du droit européen en matière de conditions de détention. Voilà.

  • TRIMER POUR DES MIETTES ET FERMER SA GUEULE : à propos du travail en prison

    TRIMER POUR DES MIETTES ET FERMER SA GUEULE : à propos du travail en prison

    Aurélie et Blanche racontent dans leurs lettres les conditions de travail déplorables, les cadences parfois infernales et la pression au rendement – le tout soumis à l’arbitraire de l’administration.


    Centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne,
    10 mai 2024


    Bonjour à tous,
    Depuis mardi 7 mai, 17 heures, on m’a suspendue de mon contrat de travail pour une suspicion de poux. Il s’est avéré que je n’avais rien. L’infirmière a vérifié : rien, je n’avais rien. On m’a suspendue trois jours. Trois jours pour ça, non payée, et tout ça pour une suspicion. Génial, ­Poitiers-Vivonne ! C’est pas comme si c’était la gale ou le covid. Puis-je me retourner contre la direction ? Dans l’attente d’avoir vos avis et témoignages, courage à toutes et tous, battez-vous,

    Aurélie

    Centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne,
    13 juin 2024


    Coucou,
    Alors, je suis à la buanderie depuis le 13 novembre 2023, sauf qu’en février la buanderie a pris feu. Du coup, les garçons s’occupent du linge de la maison d’arrêt pour hommes, qui est lavé à l’Esat de Vivonne. Et moi, je dois gérer le linge de la maison d’arrêt pour femmes (MAF) avec la machine à laver de la nurserie et celle du centre de détention pour femmes. Donc ce sont des machines comme à la maison. J’ai dû établir SEULE un planning et je gère seule ce linge. Je n’ai pas vraiment le droit d’être malade car, vous comprenez, « il ne faut pas prendre du retard sur le linge ». Ils ont trouvé cette solution car sinon mon poste sautait. Et puis, à l’Esat, le poids maximum à envoyer est de 500 kg par semaine.
    Je ne travaille que le matin, de 7 h 30 à 11 h 30. Mais quand les surveillantes arrivent en retard ou sont absentes, on me fait rattraper mes heures l’après midi, alors que je n’ai pas le droit de travailler les après-midi. Vive la détention !
    Alors comme il y a une machine à laver à la nurserie, eh bien je suis enfermée à clé car il y a une maman à la nurserie, donc pas de contact. C’est tout petit, pas de WC.
    Génial…
    J’ai envie d’arrêter, de tout claquer, car jongler, être enfermée, je ne peux plus. Puis les aller-retour à la buanderie quand il y a des arrivants, paquetage, indigent·e·s. Je dois gérer toute la MAF. Seule. Les travaux pour la buanderie n’ont pas encore commencé, pour sûr il y aura deux mois de travaux à réaliser.
    Courage à toutes et tous, à bientôt.

    Aurélie


    Centre pénitentiaire de Caen,
    21 mai 2024


    Bonjour L’Envolée,
    Cela a été dur dur ce mois de mai avec les deux surveillants qui ont perdu la vie ! Pas mal de blocages, pas de travail, pas d’activité, ni de parloir, ni de courrier… la totale. Cela a repris son cours mais avec méfiance. Ce n’est pas fini, ils attendent ce qu’on leur a promis ?
    Et la paie aussi était petite et les jours fériés n’ont pas arrangé les choses. Mais bon, ça va, j’ai le moral. Ce n’est pas facile tous les jours, mais je m’accroche. Dur, dur, le travail car les patrons des ateliers veulent du rendement, il y a que cela qui les intéresse. Si tu fais pas le rendement, tu es viré. Aucune pitié pour les anciens comme moi, on a plus 30 ou 40 ans, on ne peut plus faire le même travail. Alors, je galère tous les jours pour garder ma place, pas le choix. En plus, ils en ont profité pour revoir les prix en baisse sur la production. Où on va ? C’est ça, la réinsertion ? LOL MDR ! Au mois de mai, j’étais à moins 36 euros (on me l’a pas dit) mais on m’a dit qu’il fallait que je fasse mieux et qu’ils n’étaient pas là pour perdre de l’argent !
    Moi, ce que j’ai compris, c’est que si je faisais pas mieux, je perdrais ma place. Alors, je galère tous les jours pour faire mon taf. Tu rentres en cellule, tu es claqué, fatigué et t’as mal de partout. Tu n’as pas le droit d’être absent ni d’être malade ni de prendre un RDV pendant ton travail.
    Où on va, ici ? Il y a plein de détenus qui se plaignent mais qui ont peur de parler, peur des représailles et de se retrouver sans rien. Si moi j’en parle, c’est que j’en ai plus rien à foutre. J’ai déjà le vaguemestre et la direction sur le dos, du coup je ne suis plus à ça près. Je peux faire parvenir des témoignages mais sans nom car j’en ai déjà discuté avec les autres et ce n’est pas que dans mon atelier.
    On nous demande d’écrire avec la tablette au chef, au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), pour une demande de travail, de formation, bref, pour tout. Mais le problème : quand tu écris au SPIP, tu peux marquer que deux lignes, pas plus. Comment veux-tu expliquer tes problèmes en deux lignes ? Impossible. Et ici, beaucoup de personnes ne savent pas se servir de la tablette, du coup toutes les semaines je fais plusieurs cantines de plusieurs détenus + toutes les tablettes à remettre en service. Cela me prend beaucoup de temps, il devrait y avoir une personne payée pour cela mais bon, ça doit être dans un rêve peut-être. Je me plains pas, car j’aime aider les gens mais ce n’est pas une raison ! Il y a plein de choses à dire mais je manque de temps !

    Blanche

  • Au sujet du blocage des prisons par les surveillants en mai 2024 : paroles de prisonnier.e.s

    Au sujet du blocage des prisons par les surveillants en mai 2024 : paroles de prisonnier.e.s

    L’évasion de Mohamed Amra le 14 mai 2024, au cours de laquelle deux surveillants ont été tués, a choqué par sa brutalité et fait la une de tous les médias. En réaction, les matons ont bloqué la totalité des prisons pendant cinq jours. Un mouvement de blocage « œil pour œil, dent pour dent » qui, comme rarement, a assumé d’être une vengeance : tous les prisonnier·e·s de France devaient payer. Certain.e.s ont alors pris la parole pour raconter ce qu’ils et elles vivaient : voici quelques extraits de lettres lues à l’émission de radio l’Envolée, et de messages trouvés sur les réseaux sociaux.

    « Je suis incarcéré à […] Perpignan, à la maison d’arrêt. Ça fait deux jours que les surveillants bloquent la prison dans son intégralité.
    Aucun mouvement, aucune douche, aucun parloir, aucune promenade, aucune livraison de cantine. Même le courrier que l’on veut poster nous est refusé, les poubelles s’entassent dans les cellules. Les mots du chef : “Nous sommes en guerre contre vous.” J’ai peur. Nous avons tous peur et nous ne comprenons pas ces punitions collectives, bien que nous compatissions un minimum avec le tragique événement horrible qui s’est passé dans l’Eure. Aidez-nous, s’il vous plaît. Je ne sais pas vers qui me tourner, j’ai tout essayé. »

    (* Lettre lue dans son intégralité à l’antenne de l’Envolée le 21 juin 2024, à écouter ici).


    « Ils nous lèvent les douches, ils nous donnent le pain à 20 heures, ils nous privent de nos droits de minimum une heure de promenade par jour, ils nous privent de nos parloirs famille, ils nous privent de nos activités, école, stade, muscu, etc., ils nous privent de nos cantines. […] Toute l’année on doit subir, ils nous lèvent nos téléphones, notre fumette, nous parlent comme à des moins que rien, et on doit encore subir car des surveillants se sont fait tuer à 900 bornes d’ici. Perso, la promenade, je m’en bats les couilles, mais les parloirs et les cantines, c’est les seules choses qui nous font tenir dedans. »