Catégorie : Lettres

  • Récit d’une vraie-fausse évasion… et d’une vraie-vraie répression

    Récit d’une vraie-fausse évasion… et d’une vraie-vraie répression

    De notre envoyé spécial au QI (quartier d’isolement) de Strasbourg, juillet 2025 : comment les médias ont repris en chœur une mascarade policio-pénitentiaire… aussi ridicule que lourde de conséquences pour les prisonniers accusés à tort.

    Salut,
    Je vous écrit pour vous raconter la vraie histoire de la « tentative d’évasion déjouée » du 22 juillet au QI de la MA (maison d’arrêt) de Strasbourg qui a défrayé la chronique dans tous les médias de France, et qui s’apparente plus a une réelle mascarade montée de toutes pièces.

    Le 22 juillet tout se passait normalement au QI quand a 13h les surveillants ouvrent les portes les unes après les autres pour « contrôler » l’état des portes. En fait ils ont «  découvert » sur une, des traces de coupures et ont du coup contrôlé toutes les autres. Au total ils ont trouvé 3 portes «  sciées » : toutes de la même façon, dans le coin en bas a droite, proprement. Seul Hic, et pas des moindres, ces traces sont recouvertes par des traces de peinture.

    Je précise d’ores et déjà que les 3 détenus des cellules concernés ne se sont jamais vu, jamais parlé, et n’ont strictement rien à voir entre eux (un Djihadiste islamiste, un lié à l’extrême droite, et un trafiquant… les deux derniers purgeant des peines courtes avec des dates de sorties proches, 13 jours plus tard pour l’un deux….).

    Dans un premier temps il ne s’est rien passé de particulier, le service technique a posé une plaque de métal sur ces fameuses traces dans l’après midi même et basta. A ce moment précis PERSONNE n’imaginait qu’on allait oser parler d’une tentative d’évasion et que tout aller prendre autant d’ampleur. Il faut savoir que la MA de Strasbourg est réputé pour être dans un sale état, surpeuplée, y a des souris qui sont de passage dans les cellules, des fissures dans les murs, tout tombe en ruine un peu partout.

    En fin d’après midi voici que des gradés sortis de je ne sais où, accompagnés du directeur adjoint, ouvrent les portes des mecs concernés pour une « remontrance » comme a l’école primaire. Ils demandent aux mecs ce que c’est et pourquoi ils ont fait ça, les 3 leurs répondent naturellement qu’ils n’ont rien a voir, que y a de la peinture dessus donc c’est bien la preuve que eux n’ont pas pu faire ça, qu’il n’y a aucun intérêt a scier une porte (Pour aller a la douche en pleine nuit peut être ? Y a encore 15 portes avant la sortie..). Surtout que l’un sort en janvier, et un autre 13 jours plus tard…… (Faut vraiment être le roi des abrutis pour tenter de s’évader par la porte 13 jours avant sa libération !) Y en a 2 des 3 qui étaient dans leurs cellules seulement depuis quelques semaines.. enfin bref les surveillants bégayent car ils se rendent bien compte qu’il y a trop d’équations dans le problème qu’il essayent de résoudre.

    S’en suit une fouille des cellules concernées avec passage au Rayon X ou ils ne trouvent strictement rien pour appuyer leurs fabulations.

    Tout l’isolement prend un peu le truc a la rigolade et se permet quelques blagues a la gamelle vu l’aberration de la situation et tout le monde pense que ça va s’arrêter là.

    Mercredi 23 un des concernés arrive a échanger avec l’Auxi-peintre de l’étage a la fenêtre et lui demande si il avait déjà vu ses fameuses traces dans les portes et il lui répond : « C’est des grosses conneries, ils veulent vous niquer les gars, j’avais déjà remarqué ça en peignant la porte (d’un des 3) y a 2 ans et je l’ai montré au surveillant qui m’a répondu : «  On s’en bat les, couilles repeint par-dessus ». Voilà un argument de taille qui fait vraiment dire a tout le monde que c’est la fin de l’histoire.

    Sauf que le jeudi 24 au petit matin, les 3 concernés partent en garde a vue pour «  tentative d’évasion »  au comico de Strasbourg avec un beau cortège (toute la PJ mobilisée pour le transport et les auditions). Les GAV (gardes-à-vue) ont duré seulement 9h et les auditions en elles-mêmes entre 45min et 1h par tête, tellement qu’il n’y avait aucun éléments.
    Comment 3 personnes qui ne se sont jamais vu ni parlé et aux profils totalement différents, opposés voire même «  ennemis », peuvent avoir l’idée commune de s’évader en sciant la porte?
    Comment 2 personnes libérables dans les prochains mois voir les prochains jours peuvent prévoir de s’évader?
    Comment ils peuvent scier une porte et repasser de la peinture par dessus? Des 2 cotés de la porte en plus?

    Ils n’ont pas manqué de demander l’audition de l’auxi pour qu’ils puissent aussi témoigner et qui fut entendu le jour même.
    Une dinguerie, qui aurait pu rester une simple péripétie si la suite n’avait pas eu autant d’impact sur la détention et la vie des gens.

    Fin de GAV, affaire classées sans suite. Mais l’auxi ayant dit qu’il avait déjà déclaré ceci au surveillant et dit ce qu’on lui a répondu, a été déclassé le jour même ! En gros «  Ah t’as dis la vérité ? Bah tu vas plus bosser. »

    Le pire c’est que toutes cette histoire a été vendue (sûrement par un commissaire voulant se faire mousser…) et jetée en pâtures aux médias, les mecs sont même pas encore rentrés en cellules qu’ils passent déjà avec nom prénom et photo dans tous les médias de France. « Tentative d’évasion déjouée par l’AP » qu’ils osent dire, quelle blague !  (…) C’est repris de médias en médias sans qu’aucun ne vérifie l’info, c’était trop beau pour eux. En plein été quand y a rien a dire : « Un islamiste, un fasciste, et un narcotrafiquant » qui tentent de s’évader ! Wha la dinguerie. La réalité c’est que c’est sûrement le service technique qui a tenté un truc sur les portes il y a de ça des années, sûrement pour faire une trappe ou que sais-je, ils ont repeint par dessus 2 ou 3 fois et tout le monde a oublié. Jusqu’à ce fameux jour où il fallait des coupables…

    L’Auxi a donc été déclassé le jour même, un des trois (seulement un) est parti au mitard 30 jours pour «  tentative d’évasion », alors que ça a été classé sans suite par la justice elle même, et donc en toute illégalité. Et la meilleure c’est que 2 jours après ils ont commencé les transferts, le 28 juillet, 6 détenus ont été transférés, dont un concerné, qui sortirait dans 10 jours et qui après avoir fait le Tour de France des médias avec des graves accusations mensongères, a déposé plainte avec son avocat contre l’Administration et contre les médias qui relayent des conneries sans vérifier. Ils niquent leurs vies en racontant des conneries et sans devoir rendre des comptes a qui que ce soit. Quelle honte…. « Allez, on va le transférer, sinon on va avoir des problèmes… »

    A l’heure où je vous parle, tout le QI est fermé jusqu’en 2026 pour «  travaux ». Les 17 détenus ont été transférés parfois à des centaines de kilomètres. Tant pis pour ceux qui étaient du coin, qui bossaient, qui sortaient bientôt, pour les familles qui avaient les parloirs…

    On pense tous qu’il s’agit d’une mascarade orchestrée car tout le monde savait que ces traces de coupures n’étaient pas dues aux détenus et encore moins à ceux qui en ont été accusés. Certains surveillants sont au QI depuis 15 ans et ouvrent ces fameuses porte entre 5 et 10 fois par jour. Tout le monde savait ! Alors on se demande sérieusement si c’est pas un énorme coup de bluff pour toucher des subventions ou quoi pour remettre tout en état !  » Regardez, des détenus tentent de s’échapper, donnez nous vite les moyens de faire face ! « 

    Un des mis en cause a demandé une audience avec le capitaine, chef de l’étage en rentrant de GAV pour lui demander quel était ce bordel et comment on en arrive à la GAV alors que tous savaient qu’il n’avait rien à voir et que sa sortie était imminente. Le capitaine lui même s’est excusé (assez rare pour le souligner !) en disant qu’ils ont été complètement dépassés et que c’est le directeur adjoint qui s’en est mêlé, la DI (direction inter-régionale) et que c’est remonté jusqu’à la DAP (direction de l’administration pénitentiaire) qui a saisi le procureur, qu’ils ne pouvait rien faire à leur niveau malgré leurs conviction. En gros comme d’hab’ tout le monde se planque même devant les plus grande injustice.

    Le grand ménage qu’ils on fait en transférant l’ensemble du QI sert d’ailleurs d’alibi pour eux, comme ça plus personne ne peut parler ni dire la vérité.

    Voilà voilà, dans tout cela des mecs se retrouvent avec des saloperies (où rien n’est vrai) écrites sur eux dans la presse, et certains juste avant la «  réinsertion », un autre au mitard pour 30 jours en toute illégalité et d’autres sans taff ou loin de leurs familles, tout ça pour rien.

    Précisons aussi que les 3 mecs en question ont gagné leurs tickets à vie pour l’isolement grâce à ça, il y aura toujours une trace « tentative d’évasion » quelque part dans leurs dossier alors qu’il ne s’est rien passé.

    Preuve s’il en fallait que l’AP font ce qu’ils veulent et font porter le chapeau pour tout et n’importe quoi a n’importe qui, même ceux a 10 jours de leurs libération. C’est juste incroyable. En plus d’être enfermé dans un endroit qualifié de «  torture blanche » par les médecins, de pas dormir tranquille car les Ninjas viennent régulièrement vous soulever cagoule et calibre en main pour vous fouiller sans aucun motif, on peut aussi se faire accuser de faits complètement dingues sans aucune preuve…

    Voilà pourquoi je vous écris car personne ne relayera ces paroles, les médias «  mainstream » balancent leurs saloperies où rien n’est vrai mais ne diront jamais qu’ils se sont trompé.

  • « On ne leur cédera pas un seul millimètre de notre dignité »

    « On ne leur cédera pas un seul millimètre de notre dignité »

    A la centrale de Vendin-le-Vieil, depuis des années, Rédoine Faïd a testé un régime d’isolement carcéral excpetionnellement dur, qui est appliqué depuis juillet 2025 à des dizaines d’autres prisonniers dans le fameux « quartier de lutte contre la criminalité organisée » (QLCO) (voir ici ou et encore ). À Vendin comme partout, les quartiers d’isolement (QI) et les QLCO ne sont que des variantes contemporaines des quartiers de haute sécurité (QHS), ces lieux de torture blanche théoriquement supprimés par Badinter en 1982 mais qui « ont toujours été là », comme il le souligne. Rédoine a réussi par deux fois ces derniers mois à faire condamner l’administration pénitentiaire pour les conditions qu’il endure. Pour ne pas modifier son régime d’isolement, ce qui aurait pu ouvrir la possibilité d’un assouplissement dans tout l’établissement, la direction l’a fait transférer au QI de Condé-sur-Sarthe… où il va pouvoir suivre les travaux de préparation d’un autre futur QLCO… Voici une lettre dans laquelle il analyse et dénonce la violence de ces régimes d’isolement, et d’une société qui les invente et les accepte.

    Centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil,
    Le 24 juillet 2025

    Bonjour L’Envolée,

    Je reprends le stylo pour dire les choses. Et il faut bien le dire : la prison d’aujourd’hui manque cruellement d’humanité. Elle ne propose pas de retour à la vie. L’empathie, cette beauté qui transcende la grisaille du monde carcéral, d’où sort la conscience de la retenue, a disparu, remplacée par le QLCO, cette usine à frustrations. Au grand jour ! Privation de lumière, harcèlement sécuritaire, mobilité réduite, hygiaphone qui vous prive de la chaleur de vos proches ou de votre conjoint… Qui peut bien autoriser ces méthodes tellement fascisantes à l’égard d’un être humain ?

    Nous ne sommes pas seulement isolés : on est coupés des nôtres, comme dans une salle d’attente où le temps ne passe pas, où l’heure du rendez-vous n’arrive jamais. L’ennui à l’isolement n’est pas qu’endémique, il est systémisé. Il est une mesure de rétorsion non écrite. Une arme administrative de destruction massive du genre humain qui vous tue à petit feu, sans laisser de trace – la signature des grands criminels. Dans ces conditions invivables, on n’a que le choix de se forcer à sortir seul se « promener » et faire du sport déraisonnablement. Souvent, on n’a pas envie. Mais face au danger physiologique qui guette, on se force. Notre cerveau et notre corps nous détestent, mais on s’en fout de tout dérégler. Nous sommes tous dans la survie. Il faut rester vivant, en bonne santé et vif d’esprit. Une priorité dans cet enfer. Les gens incarcérés à Vendin-le-Vieil sont des êtres très bousculés. C’est déjà un miracle que d’être encore debout en arrivant à Vendin, sachant qu’on arrive tous des QI des prisons de France où on a passé des années. Une femme ou un homme qui veut rester debout trouvera toujours un moyen. Parce que sa détermination est absolue… « La résistance est une renaissance », disait René Char. Nous sommes dans le combat pour rester vivants, mais aussi pour garder notre dignité.

    « Nous sommes dans le combat pour rester vivants. »

    Très franchement, je n’avais pas mesuré ce qu’était la dignité. Elle est un geste de consolation, de pudeur et de solidarité avec soi-même. Il faut écouter les êtres emprisonnés qui parlent de la dignité entre eux, comme s’ils ressentaient la même détresse, l’humiliation, les blessures qui leur ont été infligées. Des traumas qui sont eux aussi passés sous silence. On ne leur cédera pas un seul millimètre de notre dignité. Ce n’est pas négociable. À Vendin-le-Vieil, on doit affronter des ennemis impalpables, omniprésents : le confinement sévère des lieux et les effets du silence assourdissant. On nous dit que les QHS sont de retour, mais ils ont toujours été là. L’isolement, c’est le QHS ; ils ont juste changé l’appellation. C’est la même solitude, la même souffrance. Le QHS n’est pas une vie monastique, c’est une forme d’incarcération ultra-cruelle qu’on nous impose. Le rapport au temps, à la vie solitaire ou à l’enfermement provoque de graves troubles physiologiques qui deviennent irrémédiables sur la durée. Est-on entravés mentalement dans un espace clos ? L’isolement mène-t-il toujours à la réflexion ? Quand il est désiré, peut-être. Quand il est subi, c’est clairement impossible, du fait de la raréfaction des échanges, des stimuli cognitifs, de l’air et des mouvements. Une détention sans paroles dans un monde carcéral englouti par le silence, uniforme, submergé par le rien. Isolé. Sans secours. Sans connexions pour alerter ou prévenir. Il n’y a que la tension et l’appréhension. Le silence provoque en vous un déluge d’angoisse et de stress, sans droit de parole sur cette situation. Vous êtes condamné à vous taire.

    Il y a pourtant un énorme besoin de sociabilité, mais personne ne vous aide à sortir de la solitude. Une vie intérieure nourrie de silences et d’ombres qui sèment le flou et le doute en vous. Quel malheur que d’y être emprisonné. C’est une sorte d’alternance sans repères de journées incarcérées et de nuits enfermées dans l’insomnie permanente, qui confine à un sommeil mortuaire. On est perdus entre l’oubli et l’absurde, à une frontière qui menace de s’effacer : celle qui sépare civilisation et barbarie. Comment ne pas devenir dingue dans un centre pénitentiaire comme celui de Vendin-le-Vieil ? Par un processus de rétorsion, le directeur de cet établissement se permet de déstabiliser votre métabolisme intérieur, soi-disant pour vous rendre docile ; et la banalisation de telles agressions provoque des maladies mentales. Personne en prison n’assume d’avoir sciemment dégradé la neurologie d’un prisonnier : « il était bipolaire », « il était dépressif » ou le classique « il était déjà fou avant ».

    « Tout le monde devient une bombe à retardement. »

    La société ne sait quasiment rien sur la question. Ce sont des faits largement sous-estimés : la violence psychologique subie par des personnes détenues en situation de vulnérabilité physiologique et les maltraitances infligées par le milieu carcéral sont révoltantes et odieuses. Une impunité inimaginable, irresponsable. Les névroses sont nombreuses et très graves (phobies, angoisses, délires hallucinatoires, etc.). Il faut savoir que les psychoses, c’est médicalement autre chose : être suivi toute sa vie, se battre contre soi-même… Le QI et le mitard portent une lourde responsabilité dans ces déviances inhumaines et obscènes à l’encontre des personnes emprisonnées ; tout le monde devient une bombe à retardement en puissance. Autrement dit, tout le monde peut se laisser déborder par le seum qui s’invite au cœur de l’ennui et révèle la sauvagerie enfouie, la névrose injectée par ce système abject, par un trop plein d’agressivité inattendue où la violence apparaît dans son plus simple appareil, gratuite, injuste, aléatoire.

    Et paradoxalement, c’est la société qui sera aux premières loges pour assister à la chute. Là où on trouve le pire, et où un fait divers peut devenir un précipité de la violence ordinaire la plus abominable. La récidive, c’est ça. Et quand on empêche ces mecs en taule de changer ou de s’amender en les réduisant à de la merde, soyez sûrs qu’à leur sortie de prison ils respecteront les feux rouges, les pompiers et qu’ils diront « bonjour », « s’il vous plaît » et « au revoir » à la boulangère. Entendez bien que tout le monde sortira un jour de prison. Tout le monde. Et toutes ces bombes à retardement s’assiéront près de vous et de vos enfants dans le bus, le métro, le train, au cinéma… J’imagine aisément que vous préférez avoir près de vous des personnes calmes et apaisées. Logique. Alors, SVP, posez-vous donc la question : pourquoi les sortants de prison sont très violents, extrêmement agités ou complètement fracassés dans leur tête ? Les QLCO, les QI et les mitards ne font qu’accentuer cet état de fait. La société n’est pas dans le déni. Elle ne sait pas. Être à l’isolement, c’est la vie qui se traîne en équilibre fragile au-dessus d’un abîme de solitude, de détresse et d’indicibles chagrins. Le QHS est une esthétique de la dépression et de la cruauté administrative dont les pensionnaires sont tous des oubliés de l’existence, des invisibles et des infréquentables, où sourd le fracas de l’absurdité du monde carcéral. Le QHS est une plongée dans les entrailles d’un système répressif poisseux à l’humanité avilie, où la violence est toujours questionnée. On y passe des mois, des années, parfois une décennie et plus. On en revient brisé et blessé dans sa chair, résigné et cabossé, torturé par la solitude subie à outrance. On est coincé entre le monde des vivants et celui des morts.

    « Le QLCO est une sorte de génocide mental de la population carcérale. »

    Le QLCO est une sorte de génocide mental de la population carcérale. L’administration pénitentiaire se montre coupable, à travers ce régime à la noirceur absolue (sur le fond comme sur la forme), par des actes effroyables qui racontent l’enfermement dans sa violence cauchemardesque, et qui donnent matière à réflexion sur les causes de la récidive. Une détention sinistre, délabrée, où l’horizon assombri ne peut mener qu’au pire du pire. Le QLCO est un QHS géant à l’esthétique froide et inhumaine qui va industrialiser encore plus de violence et d’inégalités. Une fuite en avant dans l’oppression permanente. Un désastre humain sans précédent. Une absurdité schizophrénique caractérisant tellement la dérive du tout-sécuritaire hors-sol des caciques administratifs. Une non-réflexion dénuée de retenue, infusée, qui renvoie à la nature même de la justice, à la place des prisons dans notre société et à notre regard sur celles et ceux qui y vivent.
    La hideur morale accompagne souvent la déconfiture intellectuelle : il n’y a aucune réflexion politique et sociale dans ce décret anti-narco. C’est un énième contre-feu visant à faire diversion, à invisibiliser un défaitisme politique total sur la question de la consommation de la drogue en France. Et la cruauté du QLCO interroge sur la réaction de l’opinion – devenue hystérie collective – face à la criminalité et sa répression : c’est une sanction ? Une vengeance ? Une solution ? Le QLCO démontre clairement l’incapacité à régler le problème de la récidive. Cette brutalité nous révèle surtout combien la politique actuelle ne veut pas aider les personnes privées de liberté à retrouver une place dans la société.

    Pourtant, le narcotrafic provient de la misère sociale que ces enfants de la dèche ont retournée contre eux. Ce qui leur arrive aujourd’hui est une immense tragédie. De base, tous ces mecs étaient des défavorisés brisés par la vie, par la réalité désœuvrée des quartiers difficiles. Une ghettoïsation qui les a dévorés tout cru. Ils ne sont que le résultat de l’incompétence politique et de l’inertie sociale et culturelle de nos banlieues. Un vide tchernobylien.
    Ainsi, on nous montre à présent les « narco-racailles » comme des animaux « ensauvagés » qu’il faudrait encager à tout prix, en les réduisant à des silhouettes sans âme. Et donc, finalement, on les confine encore et encore dans ce sentiment lourd de celui qui se sent toujours enfermé. Un vivre-ensemble que l’on ne veut pas élargir à tous les vivants.
    On crache démagogiquement et on défèque publiquement sur les droits humains et les libertés fondamentales qu’on ne respecte plus. On ment aux avocates et aux avocats. On défie la magistrature. On snobe la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme). On renvoie outrancièrement la question humaine à son reflet angoissant, trouble, qu’il faut nettoyer par la force et par le populisme. Que nous est-il arrivé ?
    Jean-Paul Sartre, l’immense Robert Badinter, Michel Foucault, Serge Livrozet utilisaient le terme « abolition » pour définir leur lutte politique visant à supprimer totalement l’existence des QHS dans notre démocratie. Parce qu’ils avaient la conviction que piétiner l’humanité en prison, c’est fabriquer inévitablement la division, la haine convulsive et le désordre total dans la société. Ni plus ni moins.

    Rédoine

    Lettre initialement lue à l’antenne de l’Envolée radio le 5 septembre 2025 : écouter l’émission complète ici.

  • « Narco-prisons » : paroles de l’intérieur contre tous les QHS modernes

    « Narco-prisons » : paroles de l’intérieur contre tous les QHS modernes

    La loi « narcotrafic » et les « narcoprisons » ultrasécurisées ouvertes par Darmanin et sa clique font régulièrement la une et émerveillent plus d’un journaliste…Eh oui, le ministre des tribunaux et des prisons drague passionnément l’extrême droite sur le dos des prisonniers et prisonnières, cibles des politiques démago-sécuritaires les plus brutales. Fin juillet, à l’ouverture du premier « quartier de lutte contre la criminalité organisée » (QLCO) à Vendin-le-Vieil, ces médias aux ordres n’ont évidemment donné la parole qu’aux gardiens – mi-héros, mi-martyrs –, et à de malheureux riverains qui ont peur – mais de quoi ? Alors qu’on entend qu’ici et là, des prisonniers se mobilisent contre leur sort dans les quartiers d’isolement (QI), de trop rares voix s’élèvent pour critiquer ces QLCO, régimes d’isolement poussé à l’extrême. Il est essentiel de faire entendre la voix des emmuré-es vivants et de leurs proches, qui ont toutes les raisons de flipper sur ce qui se profile – et de vouloir y résister.

    Adoptée le 29 avril 2025 dans un effrayant consensus contre « les-grands-méchants-narcos-qui-nous-menacent-tous », la loi « narcotrafic » permet en fait une extension tous azimuts des pouvoirs de la police, de la justice et de l’administration pénitentiaire, et la poursuite de l’enfermement massif de la population. Elle satisfait les revendications des surveillants en limitant les extractions par la généralisation de la visioconférence en détention. Tant pis pour la nette dégradation des moyens de se défendre face à la justice ; ou même de se soigner. La vidéosurveillance par drone à l’intérieur des cellules est également prévue – en attendant la surveillance généralisée. La loi consolide aussi le statut de « collaborateur de justice » – anciennement « repenti » –, c’est-à-dire de poukave. Elle complique et rallonge les procédures de demande de mise en liberté (DML), alourdit la qualification de certains actes, comme l’« association de malfaiteurs » qui devient un crime, et crée de nouveaux délits, comme le « concours à une organisation criminelle ». Elle renforce la répression contre les rassemblements devant les établissements pénitentiaires. Elle va dans le sens de l’allongement général des peines, notamment par l’augmentation des circonstances aggravantes et la réduction des possibilités de confusions de peines.

    Dans les QLCO, les prisonniers seront surveillés quasiment en permanence, coupés du monde et privés de presque tout contact humain – très peu de parloirs, et toujours derrière un hygiaphone dont la vitre empêche tout contact physique avec les visiteurs qui, pour la plupart, auront déjà fait des centaines de kilomètres jusqu’à ces taules plantées au milieu de nulle part. Leurs appels téléphoniques seront réduits à quatre heures par semaine, et écoutés en permanence. Ils n’auront pas droit aux UVF, ces « unités de vie familiale » où il est possible de partager une relative intimité avec leurs proches. Ils ne pourront pas travailler dans la prison comme « auxi » pour subvenir à leurs besoins, ni voir le moindre brin d’herbe dans des « promenades » complètement bétonnées. Après chaque contact avec l’extérieur, ils subiront systématiquement le viol de leur intimité lors des fouilles à nu. Chaque prisonnier ne pourra en fréquenter que 2 à 4 autres, et sera encadré par des matons en nombre, surarmés et toujours mieux payés… Ce régime doit s’appliquer à des condamnés, mais aussi à des prisonniers en détention provisoire, qui peuvent y rester quatre ans – au bon vouloir du garde des sceaux. Le régime de torture blanche imposé depuis des années à Salah Abdeslam sans que cela suscite l’indignation des humanistes, mais aussi à Rédoine Faïd, victime de la vengeance de l’administration pénitentiaire depuis son évasion spectaculaire de Réau, va maintenant être étendu à des dizaines, puis des centaines de prisonniers. L’objectif est clairement de tenir toutes les détentions par la peur : qui va subir ce régime ? Jusqu’où ces mesures vont-elles s’étendre, et à qui  ?

    Cette politique pénitentiaire particulièrement agressive entend balayer tout ce que les prisonnier-es avaient acquis au fil des luttes. Dans les années 1960 et 1970, ils se sont massivement révoltés pour l’amélioration de leurs conditions de survie, pour un peu plus de sociabilité, puis contre les QHS (quartiers de haute sécurité) ancêtres des QLCO. Par une large médiatisation de leurs revendications, soutenus par une partie de la gauche, ces mouvements avaient obtenu la fermeture des QHS. Qu’à cela ne tienne : un coup de peinture, quelques barreaux en moins, et ce fut l’invention des QI (quartiers d’isolement), que les prisonnier-es n’ont cessé de dénoncer comme des lieux de torture blanche. L’Envolée relaie depuis les années 2000 la parole de prisonnier-es qui dénoncent toutes sortes d’extensions de l’isolement dans les détentions : par le mode de fonctionnement des prisons modernes, par l’instauration du régime « portes fermées » là où les cellules restaient auparavant ouvertes une partie de la journée, par l’instauration des QMC (quartier maison centrale) et des prisons de haute sécurité de Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-vieil, déjà ouverts dans les années 2010 pour mater les prisonniers jugés récalcitrants… Face au déploiement de tant de régimes mortifères, c’est plus que jamais le moment de faire vivre la mémoire de ces luttes, de faire circuler la parole de ceux et celles qui les dénoncent et qui résistent.

    Pensées, force, courage et détermination aux prisonnier-es et à leurs proches qui subissent ces régimes. N’hésitez pas à nous contacter et à prendre la parole !

    « Chapitre 2 « Tout le monde au cachot » : texte publié en mars 2025 par L’Envolée suite à l’annonce de l’ouverture des QLCO.

    Grève de la faim de Rédoine Faïd contre le régime qu’il subit à Condé-sur-Sarthe (décembre 2024).

    – Sur le régime d’isolement « 41 bis » en Italie, funeste inspiration de Darmanin, et sur la grève de la faim d’Alfredo Cospito qui le subit : émission radio l’Envolée du 10 mars 2023.

    Taules de haute sécurité : histoire d’une lutte à mener », article du journal CQFD au sujet des luttes contre ce régime qui a été « qualifié il y a plus de vingt ans de «  cruel, inhumain et dégradant  » par Amnesty International. »

    « Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil : comment feront-ils plus invivable que l’invivable ? » : dans l’émission radio l’Envolée en mars 2025, rediffusions de paroles de prisonniers de Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-vieil.

    « Avec le nouveau directeur, ce que des matons voulaient a été mis en place, c’est la politique de la terreur. C’est comme une boutique qu’il faut entretenir. Condé a la réputation d’être la centrale la plus sécuritaire de France. Donc si il y a rien qui se passe là-bas, les gens vont dire que tous ces moyens ne sont pas justifiés. C’est une prison où on est 7, 8 dans l’aile, il y a trois surveillants pour ouvrir une porte à la fois, avec 5 caméras. Il y a plus de 250 surveillants pour 100 détenus.Niveau moyens humains et matériels, ils ont tout ce qu’il faut, ils peuvent pas se plaindre. Ils ne peuvent pas demander plus. Donc il faut qu’il se passe des choses pour justifier que cette prison soit la plus sécuritaire de France. Alors pour justifier ces moyens énormes, on va faire en sorte que ça se passe mal à l’intérieur… comment on va justifier tous ces moyens si ça se passe bien ?  C’est très difficile mentalement de savoir qu’on est dans un espace aussi réduit, c’est pas fait pour garder des gens à long termes, pendant des années. Ça brise un homme, mentalement c’est fait pour broyer un homme. Certes, la prison c’est difficile. Mais là ça a rien à voir, c’est de machines à broyer. »

    – Numéro 39 du journal l’Envolée, dossier spécial sur l’ouverture de la prison de Condé-sur-Sarthe (2014) : lire l’édito et le sommaire ici ou télécharger le journal complet .

    – Contre les QMC (Quartiers maison centrale), paroles de Romain et Philippe :

    Extrait du journal l’Envolée n°56 de novembre 2022 :
    Dès que les QMC (quartiers maison centrale) ont été ouverts au début des années 2010 au sein des centres pénitentiaires, des prisonniers les ont dénoncés. Ils cumulent l’horreur des anciens QHS (quartiers de haute sécurité, prétendument fermés depuis les années 1980) et celle des nouvelles maisons d’arrêt. Tout propres, tout neufs, ces quartiers sont surtout dotés de moyens considérables pour imposer un isolement absolu aux prisonniers. Il y a, entre autres, des caméras et des doubles sas partout. Les mouvements à l’intérieur de la détention sont surencadrés et les rencontres entre prisonniers réduites au minimum. Évidemment, plus l’isolement est fort, plus il devient difficile de construire une résistance collective… et même de respirer.

    Plus de contenu sur les QMC : journal L’Envolée n°34, 38, 39, 40.

    – Lettre de Libre Flot, enfermé en quartier d’isolement :

    Références :

    • la plupart des lettres lues ou reproduites ici sont publiées dans le livre « La peine de mort n’a jamais été abolie », envoyé gratuitement aux prisonnier.e.s qui le demandent !
    • L’illustration en début d’article est une affiche de la campagne contre les QHS au tournant des années 1980.
  • Du quartier arrivant jusqu’au CNE : brutalité pénitentiaire – Solidarité Kanaky – Justice de gôôôche ??!

    Du quartier arrivant jusqu’au CNE : brutalité pénitentiaire – Solidarité Kanaky – Justice de gôôôche ??!

    Émission de l’Envolée du vendredi 4 avril

    AU PROGRAMME :

    • ACTU DE LA BRUTALITÉ JUDICIAIRE

    Lecture d’un communiqué de Solidarité Kanaky qui revient sur la solidarité mise en place pour les prisonnier.e.s kanaks déporté.e.s en France : ceux et celles du mouvement social contre le dégel du corps électoral, mais aussi les autres nombreux prisonniers de droit commun déportés. Solidarité Kanaky revendique le rapatriement de tous les déporté.e.s qui le souhaitent et la libération de tous les prisonniers kanaks réprimés lors des révoltes.

    Surprise : la justice serait de gauche et indépendante ?! On discute de l’instrumentalisation par l’extrême droite et ses alliés au gouvernement, qui crient au « laxisme » de la justice contre les « voyous », et s’offusquent de la soi-disant dureté de la condamnation de M.Le Pen.
    On rappelle juste que, de gauche comme de droite extrême, la justice est une machine à broyer les classes populaires et les étranger.e.s, que le bloc bourgeois de tous bords kiffe l’institution judiciaire, qui met en oeuvre le surenfermement de plus en plus brutal de la population.

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  • Solidarité avec Fabrice Boromée, qui subit brimades et insultes racistes à la centrale de Vendin-le-Vieil

    Solidarité avec Fabrice Boromée, qui subit brimades et insultes racistes à la centrale de Vendin-le-Vieil

    Nous relayons des nouvelles de Fabrice, prisonnier longue peine qui subit depuis longtemps l’acharnement de l’administration pénitentiaire*. Actuellement enfermé à la centrale ultra-sécuritaire de Vendin-le-Vieil, il dénonce dans une récente lettre les insultes racistes proférées par des matons. Il a saisi sans succès la direction de l’établissement, la direction régionale et la direction nationale. Dans un communiqué, ses proches reviennent sur son parcours et incitent à interpeller l’administration.

    (*Pour en savoir plus, vous pouvez réécouter l’émission l’Envolée du 28 février 2025)

    C. P. de Vendin-le-Vieil, le 25 février 2025,

    Salut, les amis !

    Je vous écris pour donner de mes nouvelles, et j’espère que vous allez bien. Moi, depuis mon arrivée à Vendin-le-Vieil le 27 juin 2022, je n’ai subi que des humiliations, du racisme et de la discrimination.

    Par exemple, le fait le plus marquant, c’est le 15 février 2025 lors de ma sortie de cellule à 8 heures du matin, je marchais dans le couloir, il y avait quatre surveillants, et un faisait des cris de singe et m’a traité de « sale nègre » et de « macaque ». Croyez-moi, j’ai mordu ma lèvre pour ne pas les frapper, vu que depuis l’âge de huit ans je fais de la boxe thaï, sachez-le.

    Mais ce n’est pas fini : quelques jours plus tard, ce même surveillant raciste m’a palpé lors de ma sortie de cellule, et a dit à son collègue : « ce nègre est dégueulasse », en essuyant ses mains sur son pantalon, sachez-le.

    La direction de Vendin et les chefs du QMC 3 couvrent ces matons dans leur racisme et leurs abus de pouvoir, et je trouve ça injuste. Il n’y a pas de justice pour les Noirs et les Guadeloupéens comme moi, les amis.

    Bon courage à vous tous et à tous les soldats qui se battent pour la liberté.

    L’ami Fabrice, dit « Papillon »

    Fabrice est un prisonnier guadeloupéen enfermé depuis 2010 et déporté en métropole en 2011. Depuis, il réclame d’être transféré en Guadeloupe, auprès de ses proches qui ne peuvent pas venir lui rendre visite aussi loin. Il dénonce cette double peine qu’il subit, comme de nombreux autres prisonnier·e·s transférés des territoires colonisés, géographiquement lointains, dans des prisons de France. Fabrice a essayé de se faire entendre par tous les moyens. Ne recevant en réponse que mépris et répression, il est allé jusqu’à commettre, plusieurs fois, ce que l’administration pénitentiaire appelle des « prises d’otage » : il a retenu des membres du personnel dans l’espoir d’être enfin entendu. Depuis, matons, administration et institution judiciaire lui font payer ses actes de révolte par des représailles infinies.

    Alors que Fabrice était entré en prison pour une peine de huit ans, dans cet engrenage infernal, il a été condamné à une vingtaine d’années supplémentaires. Il a longtemps été enfermé en quartier d’isolement, ces lieux qui détruisent physiquement et psychiquement. Pendant des années, il n’a eu pour tout contact humain que celui de surveillants casqués, il a subi le menottage systématique, les escortes suréquipées et violentes, les repas jetés à travers une trappe, l’impossibilité de voir un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) dans des conditions décentes… Quand il a enfin été sorti de l’isolement, il a été placé au quartier maison centrale (QMC), c’est-à-dire dans un quartier de haute sécurité (QHS) moderne. Il y est encore aujourd’hui, et encore isolé.

    Ces conditions d’incarcération ont des conséquences graves sur la santé de Fabrice. Il a perdu l’ouïe d’une oreille à cause d’une grenade assourdissante jetée par des surveillants dans la douche où il était, il a souffert d’un grave ulcère à l’estomac, provoqué par le stress, le tout dans un contexte de refus de soin récurrent de la part de l’administration.

    À la prison de Vendin-le-Vieil, Fabrice subit depuis des mois injures et provocations racistes. Il en a fait part à la direction de l’établissement, à la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) Grand-Nord–Lille et à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). La DAP et la DISP ont répondu mais n’ont rien fait pour mettre un terme à ces agissements.

    Alors que ces provocations visent à le faire craquer, Fabrice demande à ce que le public soit informé de sa situation et le soutienne. N’hésitez pas : faites savoir à la DAP, à la DISP et à la direction de la prison que vous savez ce qu’il se passe, et exprimez votre désaccord avec cette situation.

    Des proches de Fabrice.

    Direction de l’administration pénitentiaire
    13, place Vendôme
    75042 Paris Cedex 1

    Copie à :
    Direction interrégionale des services pénitentiaires Grand-Nord–Lille
    123, rue Nationale
    59034 Lille Cedex

    Direction du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil,
    5, rue Léon-Droux,
    62880 Vendin-le-Vieil.

    Objet : insultes et brimades racistes au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil

    Madame, Monsieur,

    J’ai été informé·e par les médias d’insultes et de brimades racistes de la part de membres du personnel surveillant proférées régulièrement à l’encontre de M. Fabrice Boromée depuis que ce dernier est enfermé au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil.

    Ces agissements continuent alors que tous les niveaux hiérarchiques de l’administration pénitentiaire ont été saisis par Monsieur Boromée. Qui est donc garant de son intégrité ? Il est de votre responsabilité de faire cesser ces agissements.

    Pour rappel, l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 stipule que « l’injure commise envers une personne en raison de son origine ou de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » est passible de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende, dans la circonstance aggravante que « les faits mentionnés sont commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ».

    Je soutiens les demandes de Monsieur Boromée :
    – j’exige l’arrêt immédiat de tels actes dont le caractère illégal ne peut être nié ;
    – sans réaction de la hiérarchie, Monsieur Boromée est en danger au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil et doit être transféré immédiatement ;

    En vous priant de bien vouloir prendre en compte sa demande, cordialement,

  • Paroles depuis le « parc d’attraction pénitentiaire » – Harcèlement raciste – A bas les CRA ! et récits d’enfermés

    Paroles depuis le « parc d’attraction pénitentiaire » – Harcèlement raciste – A bas les CRA ! et récits d’enfermés

    Emission de l’Envolée du vendredi 28 février 2025

    AU PROGRAMME :

    • Lettre de Skitter à la maison centrale de Moulins-Yzeure : froid en détention, transfert par M.O.S (« Mesure d’ordre et de sécurité »- l’étiquette pratique pour faire galérer les prisonnier.e.s)…
    • Lettre d’Aurélie à Fresnes : les experts psy, ces dangereux farceurs…
    • Lettre de Julien depuis le « parc d’attraction pénitentiaire de Toulouse-Seysses » : il rappelle 2-3 réalités sur les activités en détention, face à la dernière lubie réac’ et punitive médiatico-darmaniste qui a entraîné leur suspension subite dans de nombreuses prisons. Il parle aussi du SMPR et de refus d’aménagements de peine…
    • Des nouvelles de Fabrice Boromée qui subit brimades et insultes racistes de la part de surveillants à la prison ultra-sécuritaire de Vendin-le-Vieil : après avoir saisi à plusieurs reprises la hiérarchie pénitentiaire à ce sujet, rien ne change…
      Fabrice est un prisonnier guadeloupéen déporté en métropole, qui réclame son retour en Guadeloupe, près de ses proches, depuis 14 ans maintenant ! Suite à ses révoltes face à une administration sourde à ses demandes de rapprochement, il subit isolement et représailles. Nous revenons sur son parcours et appelons à la solidarité vis-à-vis de Fabrice (plus d’infos sur son parcours ici et ailleurs sur le site de l’Envolée).
    • Paroles, récits et discussion sur l’enferment des étranger.e.s, avec deux personnes sorties récemment du CRA (centre de rétention administrative) de Vincennes et des membres de l’assemblée « A bas les CRA ».
    • Mauvaise nouvelle et solidarité : cagnotte pour soutenir la famille de Najet dont un fils est incarcéré en préventive et loin de ses proches (voir ici).

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  • « Mes vêtements sont dans les grands cabas prêts à bouger »

    « Mes vêtements sont dans les grands cabas prêts à bouger »

    Lettre de Nathan, prisonnier longue peine enfermé depuis sa jeunesse en est à près de 40 transferts. L’administration pénitentiaire s’acharne pour lui faire payer ses révoltes et évasions et il empile les peines internes. Il raconte le traitement particulier des DPS (détenus particulièrement surveillés) qui continue même quand on perd ce statut. Il parle aussi de son isolement qui est prolongé depuis deux ans mais qu’il espère voir lever l’année prochaine.

    Centre pénitentiaire de Laon

    Le 6 décembre 2024

    La forme ou quoi, SDK wsh ?

    J’ai bien reçu votre courrier aujourd’hui, vous inquiétez pas pour le temps, car ici j’ai que ça à faire malheureusement d’attendre. Et puis la patience est une vertu pas vrai ?

    Je voulais faire une lettre de soutien à tous les braves, et on retire mes timbres c’est la galère.

    Moi ça va vous connaissez, ya pas le choix, la mentale, jsuis pas un faiblard. Le suicide c’est pas trop mon délire, on reste fort toute la haine intérieure me tient en forme.

    Les baluchonnages bah wé vous connaissez ça les amuse, mais tranquille je sais d’où je viens et où je vais, ya pas de souci avec ça vous en faites pas ! ^^

    MDR même moi je ne savais pas qu’il y avait une rate à Laon et jsavais même pas qu’il yvait une ville qui s’appelle Laon. Des barres c’est un peu la campagne ici, la misère. Ici au QI on est seulement cinq.

    MDR mes vêtements sont tous dans les grands cabas, prêts à bouger pour les baluchonnages. Ils sont parfois sportifs, parfois normal, ça dépend des équipes. Moi j’ai une escorte de niveau 3 (renforcée) à cause des évasions. Des fois c’est trois ou quatre véhicules d’Éris, parfois c’est les gendarmes cagoulés, gantés, armés, parfois police + motards, parfois surveillants et forces de l’ordre à l’appui. Ça varie, mais en vrai ils en font des caisses, ils se mitonnent de ouf.

    Wé mon écrou a changé, car pour un jugement j’ai bougé quelques jours plus au nord. J’ai repris deux ans pour un feu de cellule et des outrages, insultes envers les surveillants qui datent d’il y a 5-6 mois auparavant.

    Le QI (quartier d’isolement) j’y suis à cause des évasions, une prise d’otage et plein d’agressions plus ou moins graves. Depuis les mineurs en 2013 j’ai trois évasions et trois tentatives d’assassinat sur les bleus. Avant j’étais DPS en centrale, à Condé-sur-Sarthe à Alençon. Le DPS a sauté avec le temps, tant mieux, mais les mesures de sécurité qui me visent aujourd’hui sont toujours pareil, mais OKLM jnégocie pas avec les porcs, pas d’arrangement possible vous connaissez.

    Moi j’ai peut-être mes chances pour sortir du quartier d’isolement. Vers le 13 décembre 2024 max j’aurai la réponse, car l’administration pénitentiaire a sollicité la mainlevée de l’isolement parce que j’ai un bon comportement, et pour avoir accès à une « réinsertion dans la collectivité » aussi. Je vous tiendrai au courant, tout le monde est OK sauf la JAP (juge d’application des peines) qui n’est pas favorable. Mais pour l’instant ya qu’elle, et on attend la réponse de la DAP (direction de l’administration pénitentiaire) et ils ont jusqu’au 13 décembre pour donner des nouvelles. Aujourd’hui, le chef de détention m’a dit que c’était en bonne voie, car la DAP n’a pas encore répondu, donc j’garde espoir et j’y crois. J’attends la réponse mais s’ils renouvellent mon isolement c’est trois mois donc jusqu’au mois de mars 2025 minimum.

    Ici tu peux que patienter de voir et subir leurs décisions parfois contre-productives. Mais bon ça ils s’en foutent complet.

    Bon allez je vous laisse ici, j’espère que vous recevrez ma lettre et qu’elle vous fera plaisir. Ciao ciao, force à vous la famille !

    Nathan

  • « Comprendre l’inhumanité du système carcéral, c’est regarder l’autre côté des choses »

    « Comprendre l’inhumanité du système carcéral, c’est regarder l’autre côté des choses »

    Une lettre de Rédoine Faïd, actuellement en grève de la faim

    Rédoine Faïd s’est fait la belle de la prison ultrasécurisée de Réau le 1er juillet 2018 ; une « évasion de velours » – par hélicoptère en 7 minutes 33 ! – particulièrement humiliante pour l’administration pénitentiaire… Aux assises (voir L’Envolée n°58), avec sa famille, ils ont su profiter du procès de son évasion pour faire le procès de la prison. « Ma vraie carapace, c’est la dignité, a-t-il ainsi déclaré. On m’a mis dans la tête qu’il n’y avait pas d’espoir avec l’administration pénitentiaire. Mon défi, c’est de rester debout et vivant, ni plus ni moins. » Il a pris quatorze ans.

    Il est maintenant en grève de la faim pour exiger la fin du régime de détention inhumain qui lui est imposé (voir ici et ) ; nous publions ici une de ses lettres déjà parue par extraits dans le journal L’Envolée n°60.

    Quartier d’isolement, prison de Vendin-le-vieil,
    le 12 mars 2024.

    Bonjour,

    Comprendre l’inhumanité du système carcéral, c’est regarder l’autre côté des choses, qui vous fait prendre conscience de ce que c’est, de ce qu’on ne veut pas. Mais il ne se passe rien de significatif parce que ce ne sont pas des moyens ou des réformes qui pourront changer les choses. C’est une tâche collective qui incombe à la société toute entière, dont chacun doit être partie prenante et qui repose sur un changement d’état d’esprit, un renoncement à deux principes ancrés dans notre culture : la haine, ou peur de la différence culturelle, et la souffrance, ou humiliation nécessaire à l’expiation. Deux dispositions mentales qui ancrent l’opinion collective et hystérique dans des stéréotypes rigides transmis de génération en génération, gravés dans l’inconscient collectif, qui ont provoqué dans notre histoire les pires catastrophes, mais que le monde actuel ne parvient pas à dépasser pour tendre vers la différence, vers cet « universellement humain » dont on parle beaucoup mais que l’on a tant de mal à faire vivre, pour lequel il faudrait faire le contraire de ce qui se fait : le faire sortir des gonds, des mots, pour le faire exister dans la réalité.

    L’absurdité carcérale est longue et étroite comme un cercueil, on ne peut s’en échapper sans elle. Elle est toujours là, en permanence, elle flotte autour de nous comme une odeur persistante. Et on peut sentir l’odeur de l’absurdité carcérale chez les personnes privées de liberté. Et chaque personne privée de liberté a sa propre odeur. On ne connaît pas réellement la sienne et on a parfois peur qu’elle soit pire que celle des autres. Parce que l’absurdité est une souffrance et une torture. On parle avec un détenu dont la souffrance a une odeur de cendre et de charbon et voilà que soudain il faut un bond en arrière parce qu’il a senti le relent affreux de votre propre souffrance. On épie en cachette des personnes privées de liberté dont la souffrance gît à l’intérieur d’eux, troués comme un tapis usé et mité dont plus personne n’aura plus jamais besoin.

    On ne peut voir sur eux qu’elles (ou ils) ont eu une souffrance, et l’on n’ose pas leur demander comment elles ou ils ont fait pour traverser l’absurdité carcérale sans que leur visage en porte ni cicatrice ni marque profonde. On les soupçonne d’avoir trouvé un raccourci secret et d’avoir revêtu l’apparence de la mort bien avant l’heure.

    La prison nous montre la détresse des êtres qui se déshumanisent dans une indifférence excessive, qui leur fait la peau. Un long fleuve d’ennui absurde, sans but précis, qui nous coule dans la dépravation. Les personnes privées de liberté subissent les ouvrages de la nature humaine et de l’abandon de façon disproportionnée. Il en va de même pour les personnes enfermées dans les mitards et les QI, ces cellules d’extermination sociale que l’on ne veut pas abolir. Être au mitard ou au QI d’une prison en France se vit comme une plongée immersive dans un marécage d’acier et de larmes. Une fabrique de la souffrance où l’ennui est un droit qui s’exerce dans l’invisibilité totale. Un abîme de lassitude dévasté par le temps et le silence, où aucun espace de liberté n’existe. Une opacité qui occulte la souffrance subie par les êtres qu’on y enferme. Voir l’explosion des tourments de l’âme au quotidien, ses voisins qui deviennent fous… Une expérience du désastre. Au grand jour. Un huis clos où chacun, dans un angle intimiste, vit cloîtré dans sa mélancolie. Des instantanés de misère humaine qui sondent les êtres, où la solitude est en embuscade, où le temps se bloque. Comme un voyage en enfer où les nuits ne sont plus des nuits et où les jours vous consument. Une impression de vivre plusieurs fuseaux horaires différents. Une agressivité de toutes parts qui vous fait prendre conscience que votre vie est en jeu… on ne se sent pas à sa place malgré le temps qui passe. Y a-t-il un endroit en prison où on se sent à sa place, en réalité ?

    La prison ne doit pas être un endroit où la vie ne doit pas exister. L’isolement cognitif et sensoriel est une mort lente, une torture physique et mentale qui désoriente, qui punit et qui peut tuer. Des divagations désespérées qui explosent en cascade, comme des ruptures d’existence qui cinglent ce quotidien de cachot, un confinement lourd, cruel et extrême qui fend la vie à la hache de votre désespérance. Un cauchemar permanent qui relève de la terreur et des ténèbres. Ça tape trop fort sur tout le monde. Le curseur oppressif de ce mode de confinement sévère et trop élevé, irresponsablement et volontairement mal réglé. Pourquoi les êtres enfermés se foutent en l’air ? Parce que cette oppression carcérale a assombri totalement leur horizon. Une dimension du désespoir encore plus concrète et plus effrayante lorsqu’elle est représentée au mitard ou au QI. Sachez qu’il n’y absolument aucun fil conducteur qui aide à se prémunir contre ce labyrinthe mental tendu. Un monde froid où le désespoir et la mort se confondent, qui concourt à la dépravation de soi, à la destruction des sens et la perdition de l’âme.

    Cet état des lieux – caché dans la pénombre de l’institution – nous fait mesurer l’indifférence profonde des gens à l’état des lieux et des gens qui sont emprisonnés, ou qui y travaillent. Et cette opinion publique sera toujours hostile au changement, à l’humanisation de ces conditions. Et dénoncer, cela se révélera plus dangereux qu’utile ; l’essentiel est donc d’agir, non de plaire. Car on le sait, les mesures riches en portée humaine affrontent toujours bien des résistances. Et toutes les rigueurs absurdes et ridicules que j’ai évoquées illustrent les difficultés à mettre en œuvre les avantages qui apaiseraient la microsociété carcérale.

    Les mots, les revues, les débats et les discussions sont des armes incroyables qui projettent une lumière, une visibilité sur ce que l’on ne veut pas. Et il ne faut pas avoir peur de le dire : « la plus grande sagesse c’est de n’avoir peur de rien » (Pasolini).

    Du cran et du courage, voilà tout : c’est ça la conviction.

    Force à toi, le monde.

    Rédoine

    Pour en lire plus :
    Récit du procès de l’évasion de Réau du 1er juillet 2018, dans le journal l’Envolée n°58, p.4-5.
    Lettre de Rédoine Faïd : « Chaque témoignage bouleverse ce qu’on pensait déjà savoir sur les abus de pouvoir. » (5 décembre 2024)
    Lettre de Rédoine Faïd : « Nos droits fondamentaux sont niés, attaqués en permanence » (25 juin 2024).

  • « Chaque témoignage bouleverse ce qu’on pensait déjà savoir sur les abus de pouvoir. »

    « Chaque témoignage bouleverse ce qu’on pensait déjà savoir sur les abus de pouvoir. »

    De la prison ultrasécuritaire de Vendin-le-Vieil, véritable machine à broyer les prisonniers, Rédoine Faïd a écrit cette lettre peu de temps avant de commencer une grève de la faim le 10 décembre 2024, pour réclamer la levée de son isolement et des mesures hygiaphone, et pour exiger le respect de son droit à recevoir des visites en unité de vie familiale (UVF). En réaction aux paroles de prisonniers et prisonnières parues dans le no61 du journal L’Envolée, il développe depuis sa cellule d’isolement une critique sociale sans concessions, mais pleine d’empathie.

    Bonjour L’Envolée,

    Toujours un plaisir de lire votre mag, surtout découvrir le quotidien injuste des personnes emprisonnées. Malheureusement, il n’y a rien de surprenant. Quelle triste période vit-on. Cela en devient terrifiant. Chaque témoignage bouleverse ce qu’on pensait déjà savoir sur les abus de pouvoir… Ces cris d’alarme qui n’activent aucun SAMU ! A croire que la souffrance est inaudible, qu’elle incarne uniquement l’absurdité de la condition humaine. Dans tous les cas, je me reconnais dans ces récits désespérés. Je me sens proche d’eux. Et je commence à ne plus croire aux institutions. Ce petit monde de l’entre-soi où l’humanité et l’intégrité sont inexistantes, où personne ne semble fiable, où chacune et chacun trace sa petite carrière… Une politique qui s’apparente clairement à la recherche de privilèges. Qui permet à tous les opportunistes de se réaliser. Et ce, quoi qu’il en coûte à tout le monde. Et à la société, qu’on aveugle. On coupe le son de la réalité, quitte à nous faire vriller par le fond.

    Parce que l’injustice et les abus sont et resterons des éléments mutiques, opaques.

    Je commence aussi à croire de moins en moins à la politique. Comme toutes les françaises et les français, je me pose des questions. Je m’en désintéresse petit à petit. Cela ne m’inspire que de la méfiance. Et le changement, ça sera pas pour demain, je pense.

    Par contre, je croirai toujours en l’humain, ce matériau qu’est la bonté. L’énergie de l’empathie, tu la trouves chez les gens de conviction. Et donc, les gens sans bonté ne m’intéressent pas. Parce qu’ils sont insensibles. Ce sont des humains dérangés, mais qui sont aux manettes. Il est là le vrai déséquilibre social. Celui qui divise, nous divise, et fracasse tout. Il est temps, grand temps, de revenir aux fondamentaux de la lutte des classes pour dénoncer les mécanismes de domination qui se déploient partout, sans une once d’humanité.

    Force à vous toutes et tous,

    Rédoine

  • Rédoine Faïd en grève de la faim : « Nos droits fondamentaux sont niés, attaqués en permanence »

    Rédoine Faïd en grève de la faim : « Nos droits fondamentaux sont niés, attaqués en permanence »

    Depuis son évasion de la prison de Réau en 2018, Rédoine Faïd subit les représailles de l’administration pénitentiaire qui lui impose des conditions de détention inhumaines (voir l’Envolée n°58 et n°60). Après une série de recours en justice restés infructueux, il s’est mis en grève de la faim ce 10 décembre 2024 bien que son état de santé soit déjà fragilisé.

    Il demande la fin de l’isolement strict auquel il est soumis depuis douze ans, la levée de la « mesure hygiaphone » qui lui interdit depuis six ans tout contact physique avec ses proches qu’il ne voit au parloir qu’à travers une vitre, et le respect de son droit à les recevoir en UVF (unités de vie familiale).

    Comme d’habitude, les médias n’ont évidemment tendu leurs micros qu’aux syndicats de surveillants et autre sources pénitentiaires. Pleinement solidaires avec toutes les revendications de Rédoine Faïd comme avec celles de tous les prisonniers en lutte à l’isolement, il nous semble important de donner le plus large écho possible à la parole du principal intéressé. C’est pourquoi nous republions ici un courrier déjà paru dans le No 60 de L’Envolée ; d’autres suivront. Dans cette lettre, il décrit l’inhumanité carcérale – poussée à l’extrême dans les quartiers d’isolement et les mitards -, souligne ce qu’elle dit de notre monde, et lance un appel à ce que tout le monde s’intéresse à ce qui se passe derrière les murs – parce que ça nous concerne tous et toutes.

    Bonjour,

    Rencontrer des gens qui parlent des prisons, et de celles et ceux qui y sont enfermées, c’est rare. La désinformation, l’ignorance et la malhonnêteté ont réussi à détourner l’opinion publique, créant de fait un désintéressement abyssal de la société à l’égard des personnes emprisonnées. On nous invisibilise. On nous vole même notre statut de laissés-pour-compte… Ce n’est que réquisitoires à notre encontre. Des appels ouverts à plus de dureté. À croire qu’ils se sont autopersuadés de leur baratin : la taule est un Club Med !

    Il y a de la colère et de la souffrance en prison. Cela se traduit par de l’agitation, mais surtout par des dégâts irréversibles sur la santé mentale qui fout le camp. Tout le monde – absolument tout le monde – tire la sonnette d’alarme. On est en face d’un dysfonctionnement sanitaire sans précédent dans les prisons françaises. Un état des lieux de la santé mentale qui est sans cesse reporté, qui fait peur, que personne ne veut assumer : il dévoile l’absurdité, les troubles sévères de l’enfermement, le taux de suicide (et de tentatives !), l’ennui systématique qui rend fou (et qui tue aussi), la conscience qui se désintègre. C’est bien connu, les modes de confinement trop poussés s’assimilent à de la maltraitance mentale. Les mecs deviennent dingues, putain !

    La personne est enfermée. Par essence, c’est dur ! Tu viens dans un monde méconnu, où tout est inversé. Le déséquilibre s’impose en toi. La maturité fait défaut parce que ton psychisme est heurté violemment. Ça peut te casser, a minima te fragiliser, te faire te replier dans le mutisme. Tu perds ta légèreté, tes acquis, ta confiance en toi. Chaque être emprisonné ressent une solitude qui résonne en permanence, qui inquiète. Et qui expose au déchaînement, aussi.

    Impossible d’expliquer tout ce bordel : les gens sont condamnés à l’errance mentale, à vivre reclus dans leur tête. Clairement, c’est comme si on t’arrachait à vif les neurones. Il y a, en fait, plus de réponses que de questions. Alors comment et qui pour allumer la mèche de l’humanité et de l’empathie dans les prisons de France ? Personne. La prison est un drame social. Une réalité humaine que l’on ne veut pas sonder dans sa profondeur, mais réduire au silence. À quoi sert la taule si elle te cabosse ?

    Au placard, trouver une forme de paix est une lutte de chaque instant, surtout au QI et au mitard où la détention est dévastatrice, convulsive, insupportable. Tu en ressors dévitalisé. Le mitard, le QI effacent l’émotion. Un hymne à la dépravation de soi. Une confusion mentale extrême qui peut parfois mettre ta vie en danger, qui marque une rupture, un chaos.

    Où sont les droits humains au QI (quartier d’isolement) ? La vérité, c’est que la vertu humaine a volé en éclats, dans un sommet de non-dits et de faux-semblants. Nos droits fondamentaux sont niés, attaqués en permanence. On est de plus en plus confrontés à des questions existentielles. On côtoie les limites. L’humain est rarement respecté, la règle étant qu’il est simplement ignoré. Il n’y a personne pour remédier à la merditude des choses. Et mon inquiétude s’exprime pour une humanité qui ne serait plus humaine (en tout cas, de moins en moins…). Une humanité calcinée dans son intériorité, mélange de déraison et de stupéfaction. C’est comme regarder le reflet de leur inhumanité. Cette lucidité questionne l’éthique (la leur), le trauma que cela provoque, autant que le sentiment d’impuissance : « C’est à partir de l’injustice que vous mesurez peut-être ce qu’est la justice », clamait Robert Badinter.

    On voit ce qui se passe, ce qui déconne. Mais rares sont celles et ceux qui prennent position, sortent de chez eux, et agissent. L’égalité constitue toujours un défi. Et il n’y a pas de plus grand chagrin que de porter une histoire non racontée à l’intérieur de soi.

    « Écris plus vite que ton souffle
    Plus vite que tes mains
    Ne laisse pas les mots te dépasser
    Ne te retourne pas »
    Désarroi des âmes errantes, Venus Khoury-Ghata

    Force et courage à toutes et tous.

    Rédoine