Catégorie : Lettres

  • « On meurt, nous détenu·e·s isolé·e·s, de mort lente, et parfois même brutale, dans les QI, sachez-le, et insurgez-vous »

    « On meurt, nous détenu·e·s isolé·e·s, de mort lente, et parfois même brutale, dans les QI, sachez-le, et insurgez-vous »

    Lettre de l’Infâme sur la soit-disant abolition de la peine de mort et les quartiers d’isolement, publié dans notre dernier bouquin « La Peine de mort n’a jamais été abolie ».

    Quartier d’isolement de Valence,
    14 juin 2021

    J’ai pris à la base 8 ans de prison… À la base ! Mais l’AP et ses bourreaux ont fait leur office ! Très rapidement, l’AP m’a envoyé dans ces cimetières à ciel ouvert que l’on appelle isolements ! Ces lieux où les viles canailles, tout comme les voyous certifiés bonhommes, perdent peu à peu la tête, la santé et trop souvent même la vie par des suicides inexpliqués, que j’estime être des assassinats ! Ce, tout simplement, pour avoir refusé de se faire avaler par une machine bien huilée que l’on nomme administration pénitentiaire !
    Alors, comment pouvoir espérer s’en sortir, avec une vraie volonté sincère pour se « ranger des voitures », quand on est envoyés dans ces bas-fonds de la prison que sont les QI ? Surtout quand on vit et subit l’inacceptable ?
    Qu’est-ce que l’inacceptable, me demanderez-vous ? L’inacceptable, c’est quand tu subis de la part de tes bourreaux des tentatives d’assassinats, car ils ont essayé par trois fois de me tuer véritablement.
    Par trois fois, ils n’y sont pas parvenus, mais j’y ai « laissé des plumes » : AVC, paralysie, membres cassés, etc. Ou encore, quand ces mêmes bourreaux te privent des choses basiques, comme le droit d’écrire vers l’extérieur, de lire, d’être soigné par un médecin. Ou encore te priver d’eau froide quand il y a la canicule, te priver de tes repas, arracher le peu de choses qui te connectent avec l’extérieur et/ou ta vie passée et/ou future, comme les courriers de tes proches, les photos de tes frères et sœurs, etc. Ou encore porter plainte contre toi, pour rallonger ta peine, et comme beaucoup sont des mange-pierres, demander des milliers d’euros de dommages et intérêts quand des mecs comme moi, à force de se faire rabaisser, insulter, frapper, etc., on décide de dire stop, de se rebeller et de se dire : moi, je tends pas l’autre joue !
    Mais tout ça a un prix ! Le prix de la honte ! Le prix que j’ai payé de ces années d’isolement. Financièrement, bien trop… une somme à 6 chiffres, et ce uniquement pour des surveillants ou des détenus-prévôts, car dans mon affaire d’assises, je n’ai pas de dommages et intérêts à payer aux victimes !

    Mais, bien plus que le côté financier, le prix de la honte, c’est celui de ma vie à moi ! Ma vie, en tant qu’homme, en tant qu’être humain !

    À cause de ces gens, de ce contexte mortifère de l’isolement strict, sécuritaire et sécurisé, du fait aussi qu’il n’y a aucun outil pour la réinsertion dans les QI où tu es malmené H24, au lieu d’avoir à effectuer 8 ans, j’en ai 30 sur papier à faire ! 30 ans ! Et, sur ces 30 ans, je ne sais pas combien j’en aurai fait au QI.
    Ces répercussions sont souvent des privations sensorielles d’un autre temps, abjectes, des pressions psychologiques terribles et constantes, et très souvent physiques-psychologiques telles que te mettre de longs moments tout nu au cachot ! Tu perds ainsi, dans cette configuration-là, en étant dépouillé de tes vêtements, ce qui fait en partie de toi un être humain civilisé, et tu te sens avili, d’une façon qu’il me serait impossible de vous décrire tellement je n’ai pas les mots pour exprimer ma peine, ma haine et mon dégoût.

    Imaginez, qu’à ma place, ce soit vous, vous qui lisez ces lignes, qui subissiez une telle chose !

    Imaginez, 8-10 personnes, parce qu’ils sont 8-10, alors physiquement plus fortes que vous, qui vous dépouillent manu militari dans une violence inouïe de vos vêtements, de tous vos vêtements, et vous laissent ainsi, des jours entiers, dans une cellule de cachot ! Quels sentiments alors ressentiriez-vous, surtout sachant que, même si ça s’est passé réellement, vous n’avez aucun moyen de vous faire justice légalement, pour faire condamner ces gens qui agissent telles des petites frappes de bas-étage ?!
    Et que ressentirez-vous si à un moment tout est fait pour vous priver, des années durant, de vos proches, donc, par effet boule de neige, de visites, et par ce même effet boule de neige, de courriers, et de ce fait aussi, de soutien tant financier que vestimentaire, entre autres choses ?

    Que dire aussi, si à ma place, ce soit vous qu’on prenait au saut du lit pour vous envoyer en psychiatrie, même si vous n’avez pas de problèmes de ce côté-ci, à vous qu’on piquait le cul avec des produits dont les noms bizarres ne vous diront probablement rien, mais qui auraient pour effets de vous faire oublier même le visage de vos proches, que vous n’ayez même pas conscience d’être en vie, à un point tel que vous pissez et chiez sur vous comme si c’était chose normale, et vous n’avez alors même pas l’envie, et encore moins le cerveau en vie, pour vous dire « il faut que je me nettoie » ?
    Que dire encore, si c’était à vous, madame, monsieur – si vous avez la force de vous relever et de vous remettre de tout cela – qu’on ne donne aucun « outil » pour envisager une réinsertion ? Sans de tels « outils » en QI, comment faire pour avoir un jour une perm’ ? Une condi ? Comment ne pas sombrer ?

    Surtout, sachez-le bien : au QI, toute volonté d’alerter sur de telles choses est quasi infaisable quand on n’a aucun soutien. Que ressentiriez-vous, si c’était à vous que de telles choses arrivaient ?


    Je ne vous le souhaite pas, mais gardez en tête que, ça comme le dit la formule pour la prévention sur le SIDA, la prison (tout comme le SIDA), ça n’arrive pas qu’aux autres ! Tous et toutes un jour vous pouvez devoir y faire face.
    Il faut que tout cela bouge ! Et pas demain, pas dans un mois, pas dans un an ! Mais tout de suite ! Mais, ça va faire quarante ans le 9 octobre 2021 que la peine de mort a été soi-disant abolie ! Quelle blague amère ! En toute honnêteté, elle n’a jamais été abolie ! Elle a juste pris d’autres formes, d’autres noms ! Une forme dans sa plus dure réalité : « la torture blanche », silencieuse. Deux principaux noms : quartiers d’isolement, et quartiers disciplinaires, pour leurs formes les plus dures, et les plus violentes ! On meurt, nous détenu·e·s isolé·e·s, de mort lente, et parfois même brutale, dans les QI, sachez-le, et SVP insurgez-vous en, levez-vous, poing tendu, pour dire stop ! Je veux pas faire dans la pleurnicherie, ni dans le mélo, mais sachez que tout ce que j’ai écrit ici, je l’ai subi de plein fouet, personnellement !

    C’est une réalité. Je suis tombé en prison en 2000, j’avais alors 17 ans 1⁄2 ! J’aurais dû en sortir, max – si j’avais fait ma peine « plein pot » sans RPS ni rien – en 2008 ! On est en 2021, et je suis encore dedans ! Et ma date de libération actuelle est 2030 ! Faute à qui ? À moi ? Non ! Comment une telle chose a-t-elle pu se produire ? Faute à mes geôliers et aux prévôts ! Mes plus belles années parties en fumée à cause de gens mauvais ! Je reprendrais les mots d’un grand monsieur que je ne connais pas personnellement, mais qui, pour moi, est une véritable source de courage au vu de son parcours carcéral et de son refus de se laisser broyer par ce système carcéral et judiciaire, tout comme répressif, qui n’est autre que monsieur Laurent Jacqua qui, un jour de mars 2006 a écrit ceci, retenez-bien : « Sachez, pour votre gouverne, que sur un arrêt de jugement, on trouve la mention suivante : « Au nom du peuple français ». C’est donc en votre nom que sont appliquées toutes ces détentions « spéciales ». C’est aussi en votre nom que les prisonniers subissent la torture blanche dans tous les quartiers d’isolement de France ! Maintenant que vous le savez, l’acceptez-vous ? »
    À cela, je rajouterais humblement : et si c’était vous qui subissiez de telles choses, l’accepteriez-vous ? Hein ?!
    Quoi qu’il en soit, moi, bien qu’ayant subi l’indicible, je suis encore là sur le front ! Et fais et ferai toujours face et front, la tête haute, à mes bourreaux !
    De manière pacifique en 1er lieu et, s’il faut protéger ma vie, par tout moyen légal et/ou illégal, afin de survivre et de ne pas mourir de leurs mains !
    Pour terminer, bien que j’ai perdu bien des gens de ma famille – car la prison a détruit mes liens familiaux –, bien que j’ai physiquement, en 21 ans de cabane, sacrément morflé, que tout le monde sache que je suis encore bel et bien présent, encore debout, et ne laisserai jamais, ô non jamais, rien ni personne me tuer, me rabaisser au rang de « chose », ni faire de moi une marionnette de l’AP !
    Y a pas d’arrangements, et y en aura jamais ! Courage à vous toutes les lionnes incarcérées, les loups incarcérés, les p’tits gremlins incarcérés, et à toutes celles et ceux enfermés partout ailleurs où on enferme en France – genre CRA et compagnie – qui ne se laissent pas marcher sur la tête par ce système meurtrier et assassin, destructeur et déshumanisant. Force, courage et détermination à vous toutes et tous !
    Je suis rien ni personne ! Car, en prison, on est tous et toutes des détenu·e·s anonymes parmi les anonymes.


    Au fait… moi c’est l’Infâme, juste pour info, pour celles et ceux qui me connaissent ! Un anonyme parmi tant d’autres. Et je veux survivre à la prison, pour vivre enfin, en toute liberté… un jour.

    L’infâme

    Notre bouquin pour troubler la fête du quarantième anniversaire de la prétendue abolition de la peine de mort est sorti ! Une manière parmi d’autres, que nous espérons nombreuses, de faire entendre quelques voix dissonantes dans l’écœurante auto-célébration du pouvoir.

    Ce livre réunit des paroles de prisonniers, de prisonnières et de proches publiées dans le journal depuis sa création en 2001 qui nous rappellent avec force qu’en réalité c’est seulement la guillotine qui a été supprimée en octobre 1981.

    Il est disponible dans toutes les bonnes librairies et sur la boutique de nos ami.e.s des éditions du bout de la ville.

    Il est gratuit pour toutes les personnes enfermées : écrivez-nous à contact@lenvolee.net pour que nous puissions le faire parvenir à vos proches emprisonné.e.s !

  • Lettre du QI de Bois d’Arcy et notes de lecture

    Lettre du QI de Bois d’Arcy et notes de lecture

    Libre Flot nous écrit de plus en plus régulièrement et c’est avec un très grand plaisir que nous lisons ses lettres par lesquelles il échange avec les émissions de radio hebdomadaires. Il revient ici sur une discussion ayant suivi la lecture de sa dernière lettre. Il propose ensuite, constatant un manque de discussion théorique à l’antenne, quelques réflexions à partir de sa lecture du livre « Pour elles toutes » de Gwenola Ricordeau et invite celles et ceux qui seraient intéressés à rebondir et poursuivre la conversation. Un grand salut à lui !

    Quartier d’isolement de Bois d’Arcy

    Le 23 octobre 2021

    Salut à vous,

    C’est encore moi ! Je vous écrit de plus en plus souvent dirait-on… La différence de situation entre le moment d’écriture et celui de la lecture imposé par la surveillance de la correspondance donne envie de vous envoyer une mise à jour. Concernant mes dents, les soins progressent. Ce qui s’était barré à été refait et si mon prochain rendez-vous n’est pas reporté, je devrai pouvoir me réjouir bientôt d’avoir tous les trous de mes chicots bouchés. Ici, en ce qui concerne les caries, les soins sont privilégiés plutôt que l’arrachage.

    Alors comme ça, il y a moquerie et raillerie à propos de la lecture difficile de ses petits camarades ? AhAhAh ! Il est vrai que c’était particulièrement mal lu ;p mais je tiens à assumer ma part (importante) de responsabilité dans cette histoire. Ne relisant pas, il est possible qu’il y ait des erreurs et surtout, en général, je ne prends pas soin de mon écriture (non non là je m’applique), ce qui transforme la lecture en déchiffrage. J’écris souvent cite et mal, je pourrais dire comme un pied, et le mauvais. (D’ailleurs, le membre opposé à la main d’écriture est le pied d’appui. Surement le meilleur outil pour écrire à celleux qui soutiennent). Mes courriers étant pensés comme une communication interpersonnelle plutôt que pour être lus à la radio, sont remplies de digressions et de remarques qui mériteraient peut-être d’être omises. Il pourrait être judicieux de trier ce qui y est écrit. Tri dont je laisse, bien entendu, à vos yeux extérieurs, le soin d’effectuer.

    Toujours est-il que le moment jovial suscité par cette lecture et plus spécifiquement la remarque amusante et amusée, qu’il faudrait « taper sur les doigts » du lecteur, m’a fait réagir. Sans aucune intention de faire le rabat-joie ou des reproches, je tiens à vous partager la réflexion qui m’a traversé.

    Cette remarque anodine, comme un réflexe ou une habitude linguistique liant l’idée de la punition, qui semblerait alors légitime, à un « mauvaise » action est apparu ans mon esprit sous le terme « culture de la punition ». L’écho de ce terme à celui de « culture du viol » permet de définir cet automatisme punitif, grâce à un parallèle avec le patriarcat, comme une construction sociale. Ainsi, comme toutes les constructions sociales, celle-ci, (dont le but est de faire paraitre la punition comme une réponse évidente et nécessaire par le biais de tous les moyens coercitifs possible (comme par exemple l’éducation ou une représentation hégémonique)), a réussi un ancrage mental même chez les plus fervant-e-s de ses détracteurices.

    J’espère sincèrement que vous ne prendrez pas ça comme une leçon de morale car ce n’est vraiment pas le cas. Ce parallèle, je ne l’avais jamais vu auparavant ou je n’y avais jamais prêté attention. Autant ça fait de nombreuses années que je n’enjoint plus les personnes qui me débectent à aller avoir des rapports sexuels avec leurs génitrices ou autres « joyeusetés » du même acabit (même « pour rire » avec des ami-e-s), autant je ne m’étais jamais posé la question quant aux faits de promettre aux potes de leur « taper sur les doigts ». Je voulais simplement vous partager le cheminement de ma pensée (et ce n’est que le début… désolé mes murs sont pas réactifs à mes réflexions et puis, vous êtes l’élément déclencheur…).

    J’ai assez rapidement émis l’hypothèse que l’origine de ce rapprochement d’idée n’était pas étrangère au livre que j’étais en train de finir de lire (« Pour elles toutes » de Gwenola Ricordeau). Je me suis alors fait la remarque qu’il n’y avait que peu de discussion sur le concept d’abolitionnisme à l’antenne. Remarque qui peut très bien être faite à tort n’ayant pas le recul nécessaire sur l’émission ayant eu accès à la radio que peu de temps avant l’été. De fil en aiguille, je me suis dit que ça pourrait être cool d’avoir des propositions de lectures ou des retours, etc. Est-ce intéressant ? selon moi, oui. Est-ce une bonne idée ? J’en suis moins sur. La lecture étant une activité solitaire, je ne sais pas si elle est beaucoup pratiquée en dehors des QI et si cette idée intéresseraient des gent-e-s. De plus, le temps relativement court des émissions est souvent déjà trop court pour l’amputer pour ça. Peut-être dans le journal ?

    En écrivant cela j’imagine déjà la scène [si ce n’est pas comme ça que ça se passerait, je m’excuse de vous faire jouer un rôle qui n’est pas le vôtre] : un petit sourire en coin pour accompagner votre réponse : « L’envolée c’est votre émission, votre journal… » (sous-)entendu c’est ce que nous en faisons tout-e-s ensemble alors, mon petit bonhomme, si tu veux quelque chose, fais que ça existe (DIY)… Et voilà comment je me retrouve « piégé » à mon propre jeu, en toute autonomie… Bon je n’ai aucunement la volonté de tenir une chronique littéraire (je me voyais plutôt en profiter) mais il serait plutôt malvenu de ma part d’être demandeur de quelque chose sans y mettre la main à la pâte…

    Bien que n’ayant pas l’habitude de cet exercice et que je ne sais pas trop comment je vais m’y prendre, je vais donc vous joindre une brève présentation de ce livre qui m’a amener cette réflexion, un peu comme on pose un bouquin sur une étagère vide. On verra par la suite si d’autres personnes y voient un intérêt et posent les leurs ou si ça prend juste de la place pour rien. Qu’en pensez-vous ? Hésitez pas à me dire si je suis hors propos.

    Sur ce je vous laisse, je vais poser mon Q sur le lit et me dévorer un autre bouquin, plus léger, gouter au sable épicé dans les dunes. Demain je m’attèle à la présentation.

    Au plaisir de vous lire et de vous avoir dans les oreilles,

    Merci pour le soutien que vous nous apportez,

    Salutations & Respects

    POUR ELLES TOUTES

    De Gwenola Ricordeau Chez Lux Editeur

    * Ce livre qui se veut à l’intersection du féminisme et de l’abolitionnisme pénal, a, selon moi, le mérite de prendre en compte d’autres angles d’approche tels les origines sociales et ethniques, le dedans et le dehors, les mouvements et luttes queers et LGBTQ, les privilèges, la société etc. Ce qui – le plus à un carrefour assez large, enrichi par le fait que l’autrice « navigue » entre France, Etats-Unis et Canada.

    * Un panel plutôt complet de sujets y est abordé, bien classé dans différents chapitres clairement définis : 1. Abolitionnisme Pénal 2. Victimisation des femmes et son traitement pénal 3. Femmes judiciarisées 4. Femmes aux portes des prisons 5. Abolitionnisme pénal et féminisme 6. S’émanciper du système pénal et construire l’autonomie.

    * Les y sont traités avec un équilibre savamment dosé. Nous ne sommes ni dans un survol superficiel ni dans une analyse longue, ultra poussée qui complexifierait la lecture. (Pour une étude plus approfondie, une liste de références nous est proposé). L’autrice nous initie, ici, aux arguments principaux de ces luttes, tout en offrant ses critiques constructives à leurs sujets.

    * Bien qu’étant clair dans ses idées et opposée au recours pénal, elle est conscient que toutes les personnes n’ont pas accès aux mêmes options pour se défendre et ne les critique donc pas pour leur choix, quand il a semblé nécessaire.

    *Sans se limiter à la dénonciation de l’inefficacité du mécanisme pénal, il y est exposé une brève description d’ »alternatives » : la justice réparatrice, la justice restaurative et, plus encore, la justice transformatrice.

    * J’ai, personnellement, vu ce livre comme une introduction bienvenue à l’abolitionnisme pénal avec ses pistes de réflexion très importantes sur les options autres. Pour d’autres, peut-être, ce livre sera un introduction aux principes féministes ? Toujours est-il que l’on peut y trouver un première marche, une base d’appui vers une réflexion et/ou un engagement personnel et/ou collectif.

  • 10 mois en prison pour des inculpés du 8/12 : Lettre du QI & libérations sous contrôle

    10 mois en prison pour des inculpés du 8/12 : Lettre du QI & libérations sous contrôle

    Nous reproduisons ci-dessous le communiqué des Comités du 8 décembre publié le 28 octobre, agrémenté de deux liens qui actualisent la situation depuis. Vous trouverez ensuite le lien vers une énorme lettre de Libre Flot, qui est toujours au quartier d’isolement (à lire absolument!), et des contributions des deux derniers libérés de cette histoire, enfin dehors, sous contrôle judiciaire.

    10 mois derrière les barreaux pour des inculpé.es du 8 décembre

    Le 8 décembre 2020, plusieurs perquisitions ont eu lieu aux quatre coins de la France, menant à l’arrestation de neuf personnes. Après 96h de garde à vue dans les locaux de la DGSI, sept d’entre-elleux sont mis.es en examen pour « association de malfaiteurs à caractère terroriste en vue de la préparation d’un crime d’atteinte aux personnes dépositaires de l’autorité publique ». Cinq de ces personnes sont alors incarcéré.es, tout.es sous le statut de « détenu.es particulièrement surveillé.es » (DPS). Fin avril 2021, après cinq mois de privation de liberté, deux d’entre elleux sont libéré.es. Très récemment, à la mi-octobre 2021 suite à une demande de mise en liberté, un autre compagnon est libéré sous contrôle judiciare, bien que le parquet ait fait appel, en vain. Un autre accusé a été libéré sous contrôle judiciaire très peu après.

    Un des prévenus est placé à l’isolement depuis son arrestation le 8 décembre 2020, c’est-à-dire privé de tout contact avec d’autres détenus. Son isolement dure depuis dix mois et a été reconduit pour trois mois supplémentaires le 8 septembre 2021. Cette situation doit cesser au plus vite. Pour en témoigner, nous reproduisons ici une lettre qu’il a écrite depuis sa cellule d’isolement cet été.

    Concernant les mis.es en examen, les faits qui leur sont reprochés sont flous, les liens entre elleux également, certain.es ne s’étant jamais rencontré.es auparavant. Le scénario de la DGSI1 semble avoir été pré-écrit et être le résultat d’une construction policière à visée politique, avec la création de figures de coupables idéaux et d’une structure pyramidale.

    Ces arrestations interviennent dans un contexte politique de criminalisation croissante des mouvements sociaux. Le recours à l’accusation d’association de malfaiteurs est toujours plus utilisée pour casser les collectifs militants et écraser les luttes.

    Nous assistons depuis plusieurs années à une surenchère législative : loi sécurité globale, loi séparatisme, décrets Darmanin2, loi SILT3… L’autorité administrative prend le pas sur le judiciaire. Avec la mise en œuvre d’une forme de justice prédictive, désormais tout le monde est présumé coupable, et les personnes sont jugées sur des intentions et des présomptions d’intention.

    Par ailleurs, nous observons également un énième changement de doctrine de la France sur la question kurde, avec l’arrestation de militant.es kurdes en mars 2021 et la criminalisation des personnes ayant combattu au Rojava4, considérées un temps comme alliées dans la lutte contre Daesh et à nouveau perçues comme des « ennemi.es de l’intérieur » et des terroristes.

    La criminalisation des opposant.es politiques par le biais de l’accusation d’association de malfaiteurs donne lieu à des écoutes et des techniques de surveillance intrusives. L’interdiction d’entrer en contact avec d’autres mis.e.s en cause rend impossible toute solidarité entre elleux et les prive de relations intimes et précieuses avec leurs proches. Les notes blanches5, outil de l’antiterrorisme et des renseignements territoriaux, deviennent monnaie courante, empêchant les prévenu.es et leur défense d’avoir accès au contenu de leur dossier en intégralité.

    Nous dénonçons également les conditions d’incarcération en France, régulièrement épinglées par les arrêts de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) :

    – quartiers disciplinaires où les conditions de détention opaques échappent au droit commun et violent les conventions internationales

    – conditions d’incarcération d’exception

    – recours à l’isolement comme moyen de pression

    – morts suspectes dans les quartiers disciplinaires

    – surpopulation carcérale

    L’Etat déclenche un grand « plan prison », soi-disant pour désengorger les prisons surpeuplées (construction de huit nouvelles prison sur le territoire, livrables en 2027, impliquant un coût faramineux), laissant croire qu’il se soucierait de la dignité des prisonnier.es, alors que ses visées sont avant tout économiques et répressives, et que l’on voit le nombre de prisonnier.es augmenter d’année en année.

    Les conditions d’arrestation et de détention, pour nos camarades comme pour toutes les personnes mises à l’ombre, sont aussi déplorables que scandaleuses.

    Les déplacements lors des arrestations du 8 décembre 2020 sont conditionnés : les prévenu.es sont encagoulé.es et entravé.es (camisole immobilisant les bras le long du corps via des sangles). Par la suite, on rapporte l’absence d’avocat.e pendant de très longues heures, la privation de sommeil et de nourriture, des interrogatoires lunaires portant plus sur des opinions et orientations politiques que sur des faits. Toutes ces méthodes constituent un non-respect de la présomption d’innocence. Cela a également un impact sur les proches, qui, démuni.es, ne savent vers qui se tourner, tétanisé.es par la peur.

    Nos camarades ont tou.tes été placé.es en détention sous le statut DPS : deux surveillant.es sont mobilisé.es à chaque déplacement, voire un.e gradé.e, compliquant l’accès aux soins, aux douches, aux parloirs ; pas d’accès aux activités collectives ni au travail ; brimades ; fouille corporelle intégrale avant et après chaque parloir ; changements de cellule ou de bâtiment, alors même que les habitudes et la routine sont cruciales pour la santé mentale des détenu.es.

    Notre camarade toujours maintenu à l’isolement subit non seulement toutes ces privations, mais est également cantonné en promenade seul, dans une cour de 20 mètres carrés recouverte par un grillage. Son accès aux soins est entravé, notamment concernant ses demandes de consultation auprès du médecin, du dentiste et du psychologue. Les conséquences sur sa santé mentale sont délétères, puisqu’il subit des pertes de repères spatio-temporels et des pertes de mémoire. Son isolement est renouvelé tout les trois mois depuis son incarcération, soit depuis dix mois, les nombreux recours et demandes de référés ont tous été rejeté sans plus d’arguments.

    Nous exigeons la libération immédiate de nos camarades et la fin de la détention provisoire pour tous. Nous demandons également que l’ensemble des prévenu.es aient accès à tous les éléments du dossier, la fin de la mise à l’isolement comme outil de répression pour broyer les détenus et la fin de la criminalisation des militants politiques et des poursuites contre elleux.

    1. Direction Générale de la Sécurité Intérieure

    2. Décrets Darmanin : trois décrets du ministère de l’Intérieur, publiés le 04 décembre 2020, visent à élargir les possibilités de fichage dans le cadre d’enquêtes menées par la police, la gendarmerie ou encore de la part de l’administration. Concrètement, les fichiers de prévention des atteintes à la sécurité publique visaient initialement « les personnes susceptibles de prendre part à des activités terroristes ou d’être impliquées dans des actions de violences collectives », une définition large qui permet d’y intégrer, outre des individus présentant une « radicalisation du comportement », des personnes ayant pris part à « des manifestations illégales » ou à des « actes de violence ou de vandalisme lors de manifestations sportives ». Désormais, ces fichiers permettront également d’enregistrer des informations concernant des personnes morales ou des groupements, comme des associations. De plus, le champ de ces fichiers a été élargi aux atteintes « à l’intégrité du territoire ou des institutions de la République » et à la « sûreté de l’Etat (…) qui relève des activités susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation », précisent les décrets.  Source : La Quadrature du Net

    3. Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme

    4. Territoire autonome situé au Kurdistan syrien

    5. Ordinaires rapports des services de renseignement, non signés, n’indiquant pas la source de leurs informations, parfois extrêmement vagues et abstraites ou fondées sur de simples rumeurs et autres dénonciations vindicatives. Source : La Quadrature du Net

    https://paris-luttes.info/et-de-quatre-15463
  • « La guillotine a été retirée mais les morts continuent à affluer sans que personne ne se pose de questions !!! »

    « La guillotine a été retirée mais les morts continuent à affluer sans que personne ne se pose de questions !!! »

    Mickaël, qui nous écrit régulièrement, réagit ici à notre dernier livre « La Peine de mort n’a jamais été abolie ».

    La peine de mort ? Pour moi, elle n’a jamais été abolie, même si on ne coupe plus de têtes.
    Aujourd’hui l’AP tue à petit feu les détenus en les brisant psychologiquement, ou pire, en faisant passer des décès pour des suicides qui n’en sont pas… La guillotine a été retirée mais les morts continuent à affluer sans que personne ne se pose de questions !!!


    Pour ma part, l’AP a déjà essayé de me suicider au mitard en 2014, c’est mes voisins de cellule qui m’ont sauvé en hurlant quand ils ont tous entendu le bordel dans ma cellule. Car Dieu merci je sais me défendre. Et ce jour-là, je m’attendais à un truc de l’AP, mais pas aussi violent…


    Alors oui, on ne coupe plus de têtes ! Mais on pend les détenu(e)s, c’est une réalité, et ce n’est pas prêt de changer… En même temps, avec ce que l’on nous fait subir, la guillotine serait plus humaine, c’est mon avis d’expérience perso qui parle…
    Après, il n’y a pas que la mort physique qui existe en prison. Il y a la mort psychologique, de l’âme. Perso, psychologiquement, je suis déjà un peu mort, et encore une fois je remercie L’Envolée : ils m’ont empêché de mourir pour de bon !!!


    Enfermer des personnes plusieurs décennies, c’est pire que de se faire trancher la tête.

    Au bout d’un certain temps, l’enfermement ne sert à rien, si ce n’est à attiser la haine et pousser les gens à l’extrême.

    Et il y a ceux qui se suicident vraiment. La prison est inhumaine et sans pitié.

    On entend partout que l’on est bien loti en prison, mais ceux qui ne connaissent pas la prison, je les invite à venir passer trois mois entre ces murs et ses mains de tortionnaires, je vous mets ma main à couper que certains se suicideraient dès les trente premiers jours…

    Alors NON !! La peine de mort n’a jamais été abolie…

    Force, honneur et courage à toutes et tous les prisonniers de France et leurs familles.


    Mickaël Gilgenmann alias Kémi

  • « Côté Covid, on est plus en danger que dehors ! »

    « Côté Covid, on est plus en danger que dehors ! »

    On a appris qu’un grand nombre de nouveaux cas de covid ont été dépistés à Saint-Maur. Correspondant régulier de L’Envolée, Mickaël revient sur les conditions d’enfermement et d’hygiène déplorables de cette taule et rappelle que si les familles subissent toujours plus de mesures de contrôle, les matons vont et viennent à leur guise.

    Cluster à Saint-Maur

    Plus de quarante cas à Saint-Maur, et la plupart n’ont pas de parloirs – alors comment ont-ils été infectés ? L’AP fait-elle ce qu’il faut pour tester les matons ? Sont-ils vaccinés ou pas ? Moi je suis vacciné deux doses mais c’est fou le nombre de nouveaux cas par jour ! Les matons nous contaminent, et nous on peut rien faire même juridiquement alors que certains hauts gradés ne portent pas le masque… côté covid, on est plus en danger que dehors !

    Y a un détenu qui ne sort jamais de sa cellule, donc comment il a pu l’attraper si ce n’est pas par le biais des matons ? Moi, perso, je me lave dans ma cellule car les douches ne sont pas désinfectées, et on nous donne même pas de quoi nettoyer la cellule. Il faut cantiner, mais quand t’as pas d’argent, tu fais comment pour désinfecter ta cellule ? Je tire la sonnette d’alarme sur les conditions d’hygiène pour améliorer et pour éviter le covid à Santa Muerte.

    Force courage et honneur à toutes et tous qui sont détenus, et courage pour les contaminés,

    Mickaël

  • «  J’ai l’impression d’être un oiseau en cage »

    «  J’ai l’impression d’être un oiseau en cage »

    J. nous écrit des Baumettes pour continuer l’échange sur les allers-retours CRA-prison et sur l’acharnement des préfectures et des juges contre les personnes étrangères.

    Centre pénitentiaire des Baumettes, maison d’arrêt des femmes,

    Octobre 2021

    Salut L’Envolée, comment ça va ?

    Je vais essayer d’écouter l’émission mais 23 heures, c’est trop tard : MDR, à cette heure-là je suis déjà évanouie dans mon lit.

    [Mon ex-codétenue], chaque semaine je lui parle : elle va très bien, et maintenant elle n’a plus besoin de signer tous les jours au commissariat. Avant-hier elle m’a envoyé un colis plein de photos de ma famille et de mes amis, j’étais tellement contente !

    Je suis toujours à la MAF, j’ai déjà écrit au chef [pour aller au CD], j’ai déjà fait mon dossier d’orientation avec ma Spip, mais je ne sais pas ce qui se passe ! Je ne comprends pas !

    J’aurai le résultat de l’Ofpra au bout de quinze jours. D’abord ils écouteront mes motivations pour vouloir rester [en France], et ensuite, dans les quinze jours, ils m’enverront une réponse.

    Le 22 novembre, c’est une audience à Aix-en-Provence [pour faire appel contre l’interdiction du territoire français (ITF)]. Mais la demande d’asile a plus de poids que l’ITF, donc si l’Ofpra accepte ma demande ils sont obligés de retirer l’ITF.

    Ils ont eu la capacité de retirer la fleur séchée que tu m’as envoyée. Je suis dégoûtée ! 🙁

    Merci beaucoup de m’avoir expliqué les vices de procédure [lors du transfert prison-CRA], et j’aimerais bien votre contact si je vais au CRA.

    Les brouilleurs sont toujours allumés, avec les fenêtres j’ai l’impression d’être un oiseau en cage. En fait je crois que l’oiseau a encore plus d’air et de ventilation que nous n’en avons ici !

    Bisous,

  • « Plus je voyais arriver l’heure de rentrer, plus la boule au ventre me prenait »

    « Plus je voyais arriver l’heure de rentrer, plus la boule au ventre me prenait »

    Nadia écrit régulièrement à L’Envolée, comme encore récemment au sujet d’un décès aux Baumettes. Au bout de plus de dix-huit ans de placard, elle a enfin obtenu une première perme. Dans la lettre qui suit, elle raconte ce moment poignant et souligne l’absurdité des discours officiels sur la réinsertion.

    Centre pénitentiaire de Fresnes, maison d’arrêt des femmes,

    le 11 octobre 2021

    Bonjour,

    J’ai reçu votre lettre aujourd’hui ; merci beaucoup, c’est très gentil.

    La réinsertion ? Un bien grand mot, évidemment. Mon Dieu, Rennes… une prison avec l’odeur des cellules… Chaque cellule a l’odeur des personnes qui sont décédées en nombre. Incroyable mais vrai : quand j’y étais chaque semaine il y avait un décès.

    Évidemment, quand j’ai passé ma [première] journée [de permission] sur Marseille, crois-moi que ça a été un choc total. Je devais sortir deux jours, puis la juge et la Spip de Marseille m’ont donné qu’une journée, de 9 heures à 19 heures.

    Alors « bonjour » cette journée ! Déjà, je suis prévenue par le gradé que je rentrerai de permission avec rien, juste deux paquets de cigarettes. Super ! il est gentil… moi je ne fume pas, donc pas de cigarettes.

    Je suis partie au greffe, j’ai signé ma journée, puis on m’a accompagnée à la porte où mon fils aîné de 29 ans S. m’attendait. Pour mon passage de demande de permission, La Spip lui avait fait faire et rectifier au moins dix lettres différentes pour que ça soit tourné comme elle le voulait… imagine un peu !

    Alors me voilà à la sortie, à la porte où les personnes attendent pour entrer au parloir. C’est un samedi, il y a beaucoup de monde, et mon fils attend avec sa compagne devant l’entrée. Quand ils ont ouvert la porte, le choc de mon grand qui m’a prise dans ses bras avec un gros câlin, et bien sûr l’émotion a pris le dessus. Il sait trouver les mots, puis me présente sa compagne que je ne connaissais pas. Et j’ai mes deux autres fils qui attendent sur le parking où j’arrive : M. mon fils de 26 ans et mon fils G. qui a eu 20 ans cet été. Lui, ça fait dix-huit ans qu’il vit avec sa maman en détention. Alors oui, l’émotion est à son comble. Mes tous petits sont devenus de grands gaillards ; j’ose même pas te dire le choc avec mes trois garçons.

    Nous décidons d’aller boire un café au rond-point de la Castellane. Nous prenons le temps d’échanger sur de nombreux sujets. Oui, ce n’est pas facile du tout pour moi, mais je fais avec. Puis nous avons fait le marché juste tout au long, chacun d’entre eux me demande ce que je désire. Ma belle-fille m’achète une robe, mon fils M. une chaîne avec un cœur, G. le bracelet puis le grand un autre bracelet. Et j’ai ma montre Guess sur moi qui n’a plus de pile, alors S. s’est renseigné pour me mettre une pile à ma montre, qui s’est remise à fonctionner.

    On a marché à travers Marseille jusqu’au Vieux Port. Midi était déjà là, puis mes enfants m’ont demandé ce que je voulais manger. Je n’ai fait que leur répondre que je ne savais pas. Alors S. s’est arrêté sur le Vieux Port dans un restaurant où il y avait de tout, donc ça m’a laissé le choix de prendre une bonne viande, que je consomme entre bleu et saignant. Ce que j’ai eu, puis il y avait une demi-bouteille d’eau pétillante de Corse, ça me fait rappeler tous mes voyages et mon domicile là-bas (eh oui ma mère est Corse).

    Puis nous avons repris les véhicules et nous sommes allés vers la place David, le parking devant les plages qui bordent la mer en allant vers la Pointe Rouge. Là nous avons encore beaucoup marché au bord de l’eau, puis G. le plus courageux s’est baigné, mais l’eau est assez sale là-bas. Et nous nous sommes arrêtés chez un débit de boissons glacier. Nous avons consommé autre chose que du café ! Mon fils S. me dit : « [en prison] tu n’as bu que de l’eau et du café ? »

    Là j’ai pris deux boules de glace et un coca, et eux des choses que je ne connaissais pas, t’imagines un peu.

    Plus je voyais arriver l’heure de rentrer, plus la boule au ventre me prenait. Je peux pas te dire combien c’est dur. J’ai appelé ma fille de 28 ans qui est sur Montpellier et celle de 17 ans 1/2 qui elles aussi auraient aimé être là. Mais ça sera pour une autre permission.

    Voilà, nous nous sommes rapprochés des Baumettes, et un peu plus haut, il y a un petit coin avec des bancs et des gens qui jouaient aux boules de pétanque. Nous avons continué à parler de tout, puis nous avons évoqué la date de la prochaine permission. Depuis j’ai été transférée le 16 septembre 2021 alors que cette permission était prévue pour les 18 et 19 septembre ; donc quand je rentre, je redépose une permission. Si vous voulez, on pourra se voir.

    L’enfer s’est invité dans ma vie il y a plus de dix-huit ans, et j’espère que tout se passera bien pour que je puisse enfin en sortir. Tu sais à quoi ressemble une prison avec toutes ces années ? À des salles de torture entre quatre murs. Torture morale, physique et psychologique. Ils sont pas là pour nous aider à nous réinsérer mais pour nous détruire. Les personnes qui ont une tête, ils n’aiment pas ; elles prennent plus que tout le monde, je te le dis.

    Et puis ce prof qui s’est suicidé, j’y crois pas. J’étais au quartier disciplinaire avec une tentative de suicide au cachot, et le dimanche matin l’officier vient me voir et me dit : « Quand je suis arrivé et qu’on m’a dit qu’il y avait un suicide, j’ai eu peur que ce soit vous. »

    Mais avec tous ceux que j’ai vu partir : paix à leurs âmes à tous.

    Mille bisous à tout le monde les vaillants de la chaîne L’Envo. Je ne peux pas écouter la radio depuis mon départ au CNE.

    Nadia

  • «J’ai l’impression d’être dans un bagne, un abattoir à détenus »

    «J’ai l’impression d’être dans un bagne, un abattoir à détenus »

    Avant l’été, Kémi a raconté dans un courrier – lu à l’antenne – le prolongement de son isolement et les matons qui veulent l’empêcher de parler à ses voisins par la fenêtre. Voici une nouvelle lettre de lui, écrite en septembre alors que son isolement allait encore être prolongé et que les gardiens continuaient de lui faire la misère.

    Quartier d’isolement de la maison centrale de Saint-Maur,

    septembre 2021

    Santa Muerte

    Encore au quartier d’isolement (QI), je tourne en rond dans ma cellule ; on me laisse entendre un possible retour en détention, mais je n’y crois plus… J’écoute du son en cellule et je me reconnais dans certaines phrases du genre « les matons sont des collabos », ou « en détention faut être un lion »… Moi, pour l’instant, je suis un agneau au QI, c’est les matons qui dirigent ma vie, même quand je mets le son pour m’évader un peu, certains me disent : « Eteins ou on coupe le courant. » J’ai l’impression d’être dans un bagne, un abattoir à détenus… Mes enfants me manquent, mon frère, sa femme et leurs enfants me manquent ; tout ce que j’ai, c’est des photos.

    Les gens ici au QI n’ont pas de conversation, donc je reste seul dans mon coin et je pense, pense sans arrêt ; pas toujours à de bonnes choses, mais que voulez-vous, c’est mon quotidien, ma vie est dure mais je fais tout pour tenir, même si souvent c’est dur, très dur même ! La solitude me pèse un truc de ouf… les parloirs me manquent … Parfois je me surprends à parler tout seul, c’est vous dire comme le QI peut abattre même les plus durs d’entre nous !

    Mikael – Kémi

  • « Sans aucune surprise, mon isolement a été prolongé »

    « Sans aucune surprise, mon isolement a été prolongé »

    Libre Flot nous a fait parvenir une nouvelle lettre depuis le quartier d’isolement de Bois d’Arcy. Nous avons publié un premier texte qu’il avait écrit sur l’isolement carcéral dans le numéro 53 du journal. Il revient dans celle-ci plus longuement sur les émissions radio qu’il écoute (ça nous fait toujours plaisir d’avoir des retours de l’intérieur) et les dernières nouvelles de l’été alors que son isolement est encore prolongé, au nom de la sacro sainte sécurité du personnel. Un grand salut à lui !

    Quartier d’Isolement de Bois d’Arcy

    12 septembre 2021

    Salut à vous,

    Depuis deux semaines, c’est un vrai plaisir que de vous retrouver le vendredi soir. Je me suis aperçu avec quelle virtuosité vous arriviez à reformuler discrètement certains propos d’intervenants afin de leur faire voir différemment certaines problématiques sans pour autant créer de frictions ou les froisser. Il est vrai que, quelquefois, les personnes peuvent avoir des propos que je qualifierais de « limite », mais c’est toujours avec tact que vous recontextualisez les faits et apportez une approche plus ouverte et bienveillante sans leur jeter la pierre, conscient·e·s que lorsqu’on a le nez enfoncé dans ses problèmes, il est nettement plus difficile d’être apte à se mettre à la place des autres. Bravo ! Bon, j’arrête là pour les éloges. 🙂

    Je tiens aussi à vous remercier pour les salutations dont vous ne manquez pas de me gratifier. J’avoue que ce « petit rien », que j’aurais pu penser futile autrefois, apporte ce je-ne-sais-quoi d’humanité qui fait cruellement défaut en ces murs et parvient à dessiner un sourire sincère sur mon visage tout en trouvant un chemin pour un semblant d’émoi à cet être où toute émotion semblait mise en stand-by… Un souffle chaud sur la brise d’un feu de camp qu’on croyait éteint…

    Ouh là, tant de lyrisme, envolée lyrique, oserais-je dire…

    La semaine dernière, vous évoquiez mes cours de kurde, où, oui, je reste très assidu. Mais seul, on fait ce que l’on peut, je progresse donc uniquement à l’écrit, surtout du vocabulaire et de la conjugaison (un peu de grammaire aussi). Mais bien évidemment, ça a ses limites. Mon livre manuel a étrangement le même accent que moi 🙂 Il va falloir que je me force à lire et à formuler des phrases à voix haute à destination des murs… Faudrait aussi que je me procure des livres en kurde, style des romans pour adolescents. Les seules voix kurdes que j’arrive à entendre (et c’est un livre pour moi), c’est celle de votre confrère du samedi matin de l’émission Les Visages du Kurdistan, et celle de ses intervenant·e·s… Hélas, je ne suis pas encore apte à comprendre. Quelques rares fois, j’ai tous les mots mais pas le temps ou la rapidité d’esprit de l’assimiler en une phrase concrète, l’ordre des mots étant différent du français ou de l’anglais. Bref, faut que je fasse gaffe, bien que n’étant pas doué dans l’apprentissage des langues, j’adore analyser leur construction et je pourrais en parler pendant longtemps si je n’y prends garde. Surtout le kurde qui est si imagé… Voyez, je recommence. Si vous avez l’occase de croiser l’animateur, offrez-lui de silaven germ (de « chaleureuses salutations ») de ma part.

    Mis à part cela, vous êtes peut-être déjà au courant que, sans aucune surprise, mon isolement a été prolongé. Encore une fois pour assurer la sécurité du personnel. Ce même personnel qui déclare n’avoir aucun souci avec la gestion de ma détention. Mais bon, on ne va pas s’attarder quinze ans sur ce qu’on sait déjà n’être que des fadaises, un simulacre de procédure officielle légale où l’autoritarisme arbitraire de l’AP est main dans la main avec le ministère de la « justice » dans une farandole guillerette à piétiner les droits des détenus.

    Pourtant, après neuf mois dans cet espace réduit et sécurisant, j’avais cru que pour un membre de l’espèce humaine, il était temps que je sorte à l’air libre…

    Fin juin, j’avais parvenir à des ami.es un deuxième texte sur l’isolement. Les vacances sont passées par là, mais il ne devrait pas tarder à vous parvenir.

    De mon côté, durant tout l’été ce fut la galère de recevoir les livres et les CD que me déposaient mes proches et hier encore, on a refusé à ma mère de m’en déposer… J’ai bon espoir de régler ça maintenant.

    Par contre, bonne nouvelle : mon régime végétarien est enfin réellement respecté. On arrête (sans mauvais jeu de mots) de me refourguer du poisson (et des fruits de mer). Il paraîtrait qu’après neuf mois de plaintes répétées, les cuisines n’avaient pas été prévenues.

    Côté médical, toujours pas de rendez-vous psy en vue… Une fois sur deux mes rendez-vous dentiste sautent − tout comme le premier soin qui fut effectué. Si ça continue, on va devoir repartir de zéro…

    Bon, j’arrête de me plaindre ! Certain·e·s sont dans des situations ô combien pires que la mienne.

    J’espère que, de votre côté, les choses se passent du mieux possible. J’attends de recevoir le livre que vous m’avez déjà envoyé.

    Merci encore pour le soutien que vous nous apportez à nous tou·te·s entre ces murs, victimes de la violence d’État contre les « pauvres », les « étranger·e·s », les « anorma·ux·le·s », les « indésirables », et les « politiquement gênant·e·s »…

    Salutations et Respect,

    Flo

  • « Cette peine de mort commuée en perpet’, c’est la destruction de l’individu »

    « Cette peine de mort commuée en perpet’, c’est la destruction de l’individu »

    lettre de Y., septembre 2021, Fresnes

    Y. avec qui nous sommes en contact depuis longtemps, a récemment été transféré en Ile de France d’où il capte l’émission radio du vendredi soir. Il revient sur la dernière émission et poursuit ainsi la discussion que nous recommençons chaque semaine avec les prisonniers et les prisonnières. De tels retours nous font forcément plaisir.

    Il y parle aussi de la soi-disante abolition de la peine de mort dont l’État français s’apprête à célébrer les quarante ans. Il dénonce les conditions de détention – le mitard, les privations, les exactions des matons – qui s’apparentent à « une mort lente et silencieuse ».

    « Coucou,

    Merci pour le coucou à la radio, j’étais content et ça fait super plaisir. J’ai écouté l’émission dans son intégralité. J’ai été très ému et certains témoignages m’ont bouleversé.

    L’affaire de Boris qui est à l’hôpital, son feu de cellule est la conséquence directe de l’administration pénitentiaire : quand tu es désespéré ou tu protestes, tu peux aller dans les extrêmes. Souvent nous sommes poussés à la faute.

    À la Maison d’Arrêt, j’ai failli en arriver là lors de ma mise à l’isolement pour accéder à l’UCSA (unité médicale en détention), là bas ils s’en foutent, ils te poussent même, c’est grave et dramatique. J’espère qu’il s’en sortira.

    J’ai écouté attentivement le témoignage téléphonique,je sais plus son nom, Sylvie je crois, elle est vraie et décrit parfaitement la condition de la plupart d’entre nous. Le plus compliqué pour nous, c’est de faire sortir l’info. Trop de souffrances dans nos prisons françaises, nous devrions prendre exemple sur certains de nos voisins.

    19 condamnations à la cour européenne des droits de l’homme, ce n’est pas rien et notre gouvernement ne réagit pas. Si, en construisant de nouvelles prisons! C’est tellement rentable, la prison est lucrative, tout le monde dit « ils coûtent tant etc. » mais jamais tu ne verras combien rapporte un détenu : travail à 2 euros brut / heure, TV, frigo, cantine, téléphone …. Nous sommes asservis, nous marchons en coupe réglée, l’un derrière l’autre, un aire de bagne remis au goût du jour par une mort lente et silencieuse !

    J’ai une phrase en tête de Neil Young, « il vaut mieux brûler franchement que mourir à petit feu ». Cette peine de mort commuée en perpet’, c’est la destruction de l’individu, ces peines n’ont aucun sens. Dois t on s’en féliciter de cette abolition ? Bien non, c’est les peines entières qu’il faut revoir, c’est de la souffrance 24/24 sans répit, les jours s’assemblent et se ressemblent, certains deviennent l’ombre d’eux mêmes, d’autres basculent dans la folie et beaucoup se suicident (1 tous les 3 jours). Je trouve cette situation alarmante. Un jour tout va prendre feu.

    Et maintenant ils sont équipés de flashball, les mutilations et bavures vont se multiplier dans les prochaines années.

    Il faut se battre pour nos droits, le respect et la dignité.

    Je prendrai le bouquin dès mon arrivée en CD car il doit être une mine d’information et de témoignages poignants. Elle décrit bien les parloirs, nos familles maltraitées. À la Maison d’Arrêt, avant le parloir, j’attends 20 minutes et après le parloir 25 minutes (45 minutes au total pour 45 minutes de parloir). Plus les fouilles à nu intégrales dont j’ai fait l’objet. En 5 ans et demi j’ai été le plus fouillé de la Maison d’Arrêt. Plus les fouilles de cellule avec des prétextes fallacieux, seulement parce que je leur tiens tête et je suis un minimum instruit et que je me bats contre leur système du tout sécuritaire ou l’humain est complètement annihilé.

    Le témoignage du CRA … whaaaa … c’est atroce ce qu’ils vivent. La société cache bien la vérité aux gens et après du vois la grosse Le Pen qui les fustigent, leur met tout sur le dos. Je sais pas de quoi ils profitent ces gens. Leurs conditions sont terribles et indignes de la France, « le pays des droits de l’homme ».

    Je passe bientôt au TGI pour un surveillant qui se pose en victime et le mitard où j’ai été torturé, menacé, sans soin, sans chauffage, à poil, j’ai du boire l’eau des chiottes pour pas clamser… Il n’a qu’un jour d’ITT, de plus ils ont merdé grave avec moi, ils ont trafiqué leur compte rendu d’incident, des connivences dans lesquelles cette maison d’arrêt excelle et qui perdurent. Je ne lâche rien. Je vais me battre avec mon avocate. Je compte sur votre soutien les potos, j’ai la FO pénitentiaire sur le dos, je les appelle les caliméros de la maison d’arrêt, ils font ce qu’ils veulent et le mensonge est leur crédo. C’est toujours eux les victimes,c’est dingue, bref, je ne lâche rien et j’irai jusqu’au bout.

    Je capte nikel la station. Mais en Division 2 à Fresnes, je me crois au 19ème siècle mais bon, je gère, j’ai le moral. Ils m’ont enfin mis la lumière en cellule, 5 jours dans une semi obscurité, ce n’est pas facile.

    Les parloirs en sous sol laisse tomber, c’est de la folie, rien d’agréable. »