Catégorie : Lettres

  • Lettre ouverte du QI: des décennies enfermé vingt trois heures par jour

    Lettre ouverte du QI: des décennies enfermé vingt trois heures par jour

    Cette lettre nous est arrivée très tard ; quand il nous écrit cette lettre, Francis est encore dans une cellule du quartier d’isolement de Saint Maur. Mais il a été transféré du jour au lendemain à la maison centrale d’Arles en début d’année. Depuis son arrivée, il y subit une « gestion équipée-menottée » : tous ses déplacements sont « encadrés » par des types cagoulés et armés, quand il est menotté dans le dos en prime.

    Francis est friand de correspondances, et propose de correspondre avec qui le voudrait. Si vous voulez lui faire signe, contactez-nous !

    Lettre ouverte de Francis Dorffer, du QI de Saint Maur, le 6 décembre 2021

    Me voilà, chers lecteurs ou auditeurs !

    Francis Dorffer, qui pendant 21 années s’est contenté d’écouter ou de lire ce que l’on publiait sur moi, le preneur d’otages ! Avez-vous seulement songé une seule fois à questionner pourquoi un détenu faisait, et enchaînait, six prises d’otage ? Pour un transfert ? Foutaises ! Ça, c’est la version BFMTV, ou C-News. Non, mesdames, messieurs. J’étais un gosse de seize ans incarcéré, et à 38 ans je suis toujours derrière les mêmes barreaux. Pourtant, je ne suis pas un tueur en série, et j’ai été condamné à 86 années de prison. Quand m’a t-on laissé ma chance ?


    Dès la première prise d’otage, ils ont ameuté les médias. Résultat, j’ai servi d’exemple à la justice.
    Dix ans !… De réclusion criminelle pour avoir retenu une psy pendant deux heures en 2006 !
    Je vivais un calvaire dans une cellule du quartier d’isolement d’une prison moyenâgeuse…
    Regardez-comparez ! Qui prend dix ans pour deux heures de retenue ? La psychologue, à l’époque, n’a même pas voulu porter plainte. Elle que j’avais retenue a senti et compris qu’il s’agissait pour moi de sonner l’alarme, crier au secours.

    Quinze ans plus tard, je le dis, je n’ai aucune haine.
    Aucun otage n’a jamais été blessé ni maltraité. Pourtant, moi, j’ai passé treize ans à l’isolement. Ça fait deux ans et demie que je dois passer mes mains dans une trappe pour être menotté, comme un fou dangereux. Est-ce cela qui va me responsabiliser ?

    J’ai eu un enfant. J’avais une compagne. On m’a retiré la vie ! J’entends par là : pour me stopper ! On m’a retiré le droit de les voir. On m’interdit d’aimer, à ma place, qu’auriez-vous fait ?
    Peut-être pire ? La haine vous aurait envahi et à cette heure vous pourriez tuer, ou vous tuer. je suis
    Pas moi. Je suis là, pour vous dire : avant de parler, juger…. Écoutez, réfléchissez : comment et pourquoi un homme comme moi est passé d’une petite peine de 5 ans, mineur, à moi, un prisonnier de 38 ans ? Je vous appelle à penser à ce qu’est la prison. À penser à comment vont ressortir des hommes qui, comme moi, ont passé des décennies enfermés vingt trois heures par jour. C’est ça, se réinsérer ? Se responsabiliser ?

    Pourquoi de jeunes détenus ressortent lobotomisés et font des actes terroristes ? On tue sans sommation ! On les a conditionnés. Au lieu de rester accrochés à la vie, certains préfèrent l’oublier et se laisser emporter dans la haine et la rage ! À ce jour, ne serait-ce pas plus utile que je me responsabilise en travaillant, en étant à l’extérieur, en travaillant, pour aller aider ces jeunes qui sont sur le point de déraper. Peut-être que mes mots face à des ados un peu rebelles les amèneraient à réfléchir !

    Après 21 années en prison, je vous le dit : la punition n’a pas de sens ! Ce n’est pas en restant enfermé 23 heures par jour que je vais mes responsabiliser et retenir quelque chose des erreurs que j’ai fait. Ça, le temps et la maturité me l’ont apporté. Alors s’il-vous-plaît, avant d’aller sur internet, puis commenter, parler… Une simple lettre pourrait vous éclairer. Je ne vous souhaite jamais de connaître la prison.

    Ne pensez pas qu’en prison on est bien, ou bien qu’on est amenés à devenir meilleurs. Cela est un trompe l’œil.

    Je suis enfermé. Condamné à rester figé. Et dans X temps, on me dira « vas-y, sort ! »
    Mais je suis l’exemple même que la détention ne rend pas meilleur, mais bien pire !
    La prison m’a éduqué de mes seize ans à aujourd’hui. De simple petit voleur je suis devenu un criminel que je n’étais pas à mon entrée en prison. Donc sérieusement, avant même ne serait-ce que avant de ne prononcer le mot prison, sachez que ça peut transformer des hommes en ce qu’il y a de plus mauvais. Laissez les détenus s’exprimer! Échangez, questionnez, et là alors vous serez à même de pouvoir essayer de comprendre que l’enfermement à long terme, pour des gens qui veulent vivre / respirer / se réinsérer, cela est inutile et contre-productif ! Je vous invite à poser les questions. Mais s’il-vous-plaît, ne jugez pas sans poser de questions. Pensez à votre avenir, car je suis aussi acteur de celui-ci !

    Et mon rôle est d’alerter et de prévenir vos enfants, vos amies ! Un acte, une action, ne résume pas un homme, et encore moins un enfant.

    Merci de m’avoir écouté ou lu. Je reste à la disposition de quiconque qui a des questions. Je suis à moi seul une prison ! J’y ai grandi et passé deux décennies.

    Prenez soin de vous mais aussi prenez soin de nous.

  • « On devrait plutôt dire « mort par enfermement », mais bon, quoi de neuf depuis l’abolition de la peine de mort ? »

    « On devrait plutôt dire « mort par enfermement », mais bon, quoi de neuf depuis l’abolition de la peine de mort ? »

    Voici une lettre écrite par plusieurs prisonniers de la taule de Caen et qui nous est parvenue en octobre dernier. Ils y reviennent sur la mort de Youssef, un codétenu, pour qu’il ne soit pas oublié. Ils rappellent également que la peine de mort n’a pas été abolie et que la prison tue. Et que, loin des regards et des médias, ce n’est que grâce aux prisonniers et aux proches que la mémoire de ces personnes existe et que la responsabilité de la prison et de l’administration pénitentiaire est dénoncée.

    CD de Caen

    Octobre 2021

    Salut l’Envolée,
     
    Notre codétenu Youssef s’est pendu dans sa cellule mardi 11 octobre.  Il avait 28 ans. C’est le 3ème suicide depuis avril. On devrait plutôt dire mort par enfermement mais bon, quoi de neuf depuis l’abolition de la peine de mort?
     
    Il était seul. Soudanais, sans papiers, sans famille ni amis pour le soutenir économiquement et émotionnellement. D’ailleurs, il était en détresse psychologique. C’est de soins dont il avait besoin! Il était difficile à vivre en cellule, il était sérieusement malade, ses codétenus n’ont jamais tenu plus de 4 heures avec lui. Alors ils ont fini par le mettre seul. Mais un mec comme ça tu ne peux pas le laisser seul. Dans sa cellule, les fenêtres étaient à deux mètres de haut, il ne voyait pas l’extérieur! Quand il avait refusé d’aller à la douche, la réponse du surveillant : « Va te laver espèce de gros porc! ». C’était comme ça tout le temps avec les matons, forcément un mec sans famille ni amis pour se soucier de lui… Il avait droit aux 20 balles que l’AP donne gracieusement aux détenus sans revenus. Pour les fringues, les produits d’hygiène et de première nécessité va falloir revenir ! Alors on le dépannait de temps en temps, sinon il ramassait les mégots par terre en promenade…

    Mais bon ça fait une bouche en moins à nourrir pour l’AP et puis un délinquant en moins …

    Ce matin là, le surveillant l’a vu par l’oeilleton à 6h15 du matin, pendu. Ils ont attendu 6h45 pour ouvrir la cellule. En 30 minutes ils auraient peut-être pu le sauver! Mais bon ça fait une bouche en moins à nourrir pour l’AP et puis un délinquant en moins.. Ça rentre dans les quotas et les stats alors tout va bien!

    On ne les laissera pas nous tuer à petit feu dans l’indifférence générale dans leurs prisons de merde

    On a parlé de lui à l’église et à la mosquée, on essaye de voir si il n’y a pas moyen de contacter de la famille quelque part.. Pas un mot dans les journaux, même locaux. C’est normal quand il n’y a personne pour s’approprier Youssef et demander des comptes! On a tenté d’écrire à Ouest France sans trop d’espoir. Nous on ne le laissera pas être oublié.
    Pour que plus personne ne tombe dans l’oubli. C’est pas parce qu’ils nous enferment loin de tous les regards qu’on va subir en silence! On ne les laissera pas nous tuer à petit feu dans l’indifférence générale dans leurs prisons de merde.
     

    Des détenus de la MA de Caen.

  • « Cette situation n’est pas due à un “manque de moyens”, mais à l’idéologie des magistrats »

    « Cette situation n’est pas due à un “manque de moyens”, mais à l’idéologie des magistrats »

    Envoyée à une mauvaise adresse, cette lettre de Daniel datée de juillet 2021 ne nous est parvenue qu’en octobre ; dommage, car ces réflexions et analyses limpides ont toute leur place aux côtés des lettres publiées dans le livre La peine de mort n’a jamais été abolie. Où commence la barbarie d’une peine ?, interroge Daniel. Il pose aussi la question de l’opportunité d’entamer une bataille juridique en déposant des requêtes à la commission de Strasbourg sur la notion de « peine inhumaine ».

    Par ailleurs, cette lettre nous arrive de Ensisheim ; on en profite pour rappeler que l’émission est désormais écoutable dans cette centrale d’Alsace sur les ondes de Radio MNE à Mulhouse. Merci à l’équipe !

    Maison centrale d’Ensisheim,

    le 5 juillet 2021,

    Bonjour aux Envoleurs (de L’Envolée),

    Je devais vous écrire, il y a longtemps déjà, mais bon, mieux vaut tard que jamais, alors voici.

    Un soir (sur je ne sais quelle station), il y a quelques mois, j’écoute (un bref instant) telle personne du monde libertaire (!) qui raconte qu’un jour il eut connaissance quel tel perpète était encore en taule après une quarantaine d’années où on l’y avait oublié. Il termina en précisant que si l’on avait donc aboli la peine de mort en France « pour mettre ça à la place (des quarante ans de cage), ce n’était pas la peine ».

    Ailleurs et jadis, Badinter aurait déclaré que s’il avait su alors que la perpète deviendrait sans fin, il aurait fixé une limite à cette peine de barbare.

    Il y a une quinzaine d’année (voire plus), j’ai tenté une requête à la Commission européenne des droits de l’homme (sic) à Strasbourg visant tel article de la convention (sic) selon lequel : « nul ne peut être condamné à un traitement ou une peine inhumaine ». Je posais ainsi la question gênante : est-ce que garder trente années et plus quelqu’un en taule est une « peine humaine » ? On ne pouvait que répondre : NON ! Aussi, ma requête a été rejetée (sous tel prétexte). Une amie de Suisse a tenté alors une même requête ; celle-ci a été évidemment rejetée aussi (sous tel ou tel prétexte).

    Octobre prochain : quarantième anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France (un siècle après le Portugal). On peut d’ores et déjà s’attendre à de forts méchants « débats » (truqués) où tel ou tel invité choisi réclamera le retour « immédiat » du coupage de tête ou de la taule à vie pour tous.

    Ma question sera alors la suivante : est-ce que vous seriez partant en tant qu’association pour tenter une requête à ladite commission de Strasbourg sur la notion de « peine inhumaine » ? Si l’OIP, l’Arapej, le Genepi et autres pouvaient s’associer à la démarche.

    Jadis, j’avais écrit à la Commission nationale consultative des droits de l’homme à Paris qui m’avait répondu que ce n’était pas à eux de s’occuper du sujet mais au contrôleur général des prisons… Mme Hazan, que j’avais alors contacté, m’avait fait savoir qu’elle avait parlé du sujet dans son rapport annuel, mais tout le monde sait l’impact en France de ce type de rapport… En début d’année 2021, j’ai écrit au même sujet à Badinter, à Dupond-Mor (deux fois), à sa porte-parole (Mme É. Masson) : aucune réponse de personne (sujet gênant ou courrier pas lu, ou…)

    À noter aussi que, sur ce sujet, tout le monde ment. Les Dernières Nouvelles d’Alsace par exemple déclarent qu’on (les perpètes) sortiraient de taule après 19 années, tel magistrat (à la télé, radio et autre) affirme que l’on sort tous après 22 ou 25 années de taule. Quand je suis arrivé dans ce camp, les perpète sortaient en général après 16 à 19 années de taule. De nos jours, après 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36… années (la plupart avaient 15 ans de sureté) et « 36 repassages » au centre national d’évaluation (sic). On est encore en cage. Si ça, c’est pas des peines barbares, qu’est-ce que c’est ?

    En France, à l’heure actuelle encore, il est interdit de se réinsérer. La preuve par les chiffres : près de 80 % des demandes de conditionnelle (moyennes, longues et trop longues peines) sont refusées. Cette situation n’est pas due par exemple à un « manque de moyen » (ou autre refrain) comme le croit et l’écrit l’analyse parue en mai dernier dans l’article du Monde diplomatique « Une justice au bord de l’implosion » (sic) mais cela est dû à l’idéologie à laquelle adhèrent les refuseurs. Le phénomène n’est pas nouveau, Badinter signale je ne sais plus où cette adhésion massive des magistrats à telle idéologie pour la période 39-45…

    Bref, je vous remercie de votre attention, recevez mes salutations.

    Daniel Dolard

  • « On meurt, nous détenu·e·s isolé·e·s, de mort lente, et parfois même brutale, dans les QI, sachez-le, et insurgez-vous »

    « On meurt, nous détenu·e·s isolé·e·s, de mort lente, et parfois même brutale, dans les QI, sachez-le, et insurgez-vous »

    Lettre de l’Infâme sur la soit-disant abolition de la peine de mort et les quartiers d’isolement, publié dans notre dernier bouquin « La Peine de mort n’a jamais été abolie ».

    Quartier d’isolement de Valence,
    14 juin 2021

    J’ai pris à la base 8 ans de prison… À la base ! Mais l’AP et ses bourreaux ont fait leur office ! Très rapidement, l’AP m’a envoyé dans ces cimetières à ciel ouvert que l’on appelle isolements ! Ces lieux où les viles canailles, tout comme les voyous certifiés bonhommes, perdent peu à peu la tête, la santé et trop souvent même la vie par des suicides inexpliqués, que j’estime être des assassinats ! Ce, tout simplement, pour avoir refusé de se faire avaler par une machine bien huilée que l’on nomme administration pénitentiaire !
    Alors, comment pouvoir espérer s’en sortir, avec une vraie volonté sincère pour se « ranger des voitures », quand on est envoyés dans ces bas-fonds de la prison que sont les QI ? Surtout quand on vit et subit l’inacceptable ?
    Qu’est-ce que l’inacceptable, me demanderez-vous ? L’inacceptable, c’est quand tu subis de la part de tes bourreaux des tentatives d’assassinats, car ils ont essayé par trois fois de me tuer véritablement.
    Par trois fois, ils n’y sont pas parvenus, mais j’y ai « laissé des plumes » : AVC, paralysie, membres cassés, etc. Ou encore, quand ces mêmes bourreaux te privent des choses basiques, comme le droit d’écrire vers l’extérieur, de lire, d’être soigné par un médecin. Ou encore te priver d’eau froide quand il y a la canicule, te priver de tes repas, arracher le peu de choses qui te connectent avec l’extérieur et/ou ta vie passée et/ou future, comme les courriers de tes proches, les photos de tes frères et sœurs, etc. Ou encore porter plainte contre toi, pour rallonger ta peine, et comme beaucoup sont des mange-pierres, demander des milliers d’euros de dommages et intérêts quand des mecs comme moi, à force de se faire rabaisser, insulter, frapper, etc., on décide de dire stop, de se rebeller et de se dire : moi, je tends pas l’autre joue !
    Mais tout ça a un prix ! Le prix de la honte ! Le prix que j’ai payé de ces années d’isolement. Financièrement, bien trop… une somme à 6 chiffres, et ce uniquement pour des surveillants ou des détenus-prévôts, car dans mon affaire d’assises, je n’ai pas de dommages et intérêts à payer aux victimes !

    Mais, bien plus que le côté financier, le prix de la honte, c’est celui de ma vie à moi ! Ma vie, en tant qu’homme, en tant qu’être humain !

    À cause de ces gens, de ce contexte mortifère de l’isolement strict, sécuritaire et sécurisé, du fait aussi qu’il n’y a aucun outil pour la réinsertion dans les QI où tu es malmené H24, au lieu d’avoir à effectuer 8 ans, j’en ai 30 sur papier à faire ! 30 ans ! Et, sur ces 30 ans, je ne sais pas combien j’en aurai fait au QI.
    Ces répercussions sont souvent des privations sensorielles d’un autre temps, abjectes, des pressions psychologiques terribles et constantes, et très souvent physiques-psychologiques telles que te mettre de longs moments tout nu au cachot ! Tu perds ainsi, dans cette configuration-là, en étant dépouillé de tes vêtements, ce qui fait en partie de toi un être humain civilisé, et tu te sens avili, d’une façon qu’il me serait impossible de vous décrire tellement je n’ai pas les mots pour exprimer ma peine, ma haine et mon dégoût.

    Imaginez, qu’à ma place, ce soit vous, vous qui lisez ces lignes, qui subissiez une telle chose !

    Imaginez, 8-10 personnes, parce qu’ils sont 8-10, alors physiquement plus fortes que vous, qui vous dépouillent manu militari dans une violence inouïe de vos vêtements, de tous vos vêtements, et vous laissent ainsi, des jours entiers, dans une cellule de cachot ! Quels sentiments alors ressentiriez-vous, surtout sachant que, même si ça s’est passé réellement, vous n’avez aucun moyen de vous faire justice légalement, pour faire condamner ces gens qui agissent telles des petites frappes de bas-étage ?!
    Et que ressentirez-vous si à un moment tout est fait pour vous priver, des années durant, de vos proches, donc, par effet boule de neige, de visites, et par ce même effet boule de neige, de courriers, et de ce fait aussi, de soutien tant financier que vestimentaire, entre autres choses ?

    Que dire aussi, si à ma place, ce soit vous qu’on prenait au saut du lit pour vous envoyer en psychiatrie, même si vous n’avez pas de problèmes de ce côté-ci, à vous qu’on piquait le cul avec des produits dont les noms bizarres ne vous diront probablement rien, mais qui auraient pour effets de vous faire oublier même le visage de vos proches, que vous n’ayez même pas conscience d’être en vie, à un point tel que vous pissez et chiez sur vous comme si c’était chose normale, et vous n’avez alors même pas l’envie, et encore moins le cerveau en vie, pour vous dire « il faut que je me nettoie » ?
    Que dire encore, si c’était à vous, madame, monsieur – si vous avez la force de vous relever et de vous remettre de tout cela – qu’on ne donne aucun « outil » pour envisager une réinsertion ? Sans de tels « outils » en QI, comment faire pour avoir un jour une perm’ ? Une condi ? Comment ne pas sombrer ?

    Surtout, sachez-le bien : au QI, toute volonté d’alerter sur de telles choses est quasi infaisable quand on n’a aucun soutien. Que ressentiriez-vous, si c’était à vous que de telles choses arrivaient ?


    Je ne vous le souhaite pas, mais gardez en tête que, ça comme le dit la formule pour la prévention sur le SIDA, la prison (tout comme le SIDA), ça n’arrive pas qu’aux autres ! Tous et toutes un jour vous pouvez devoir y faire face.
    Il faut que tout cela bouge ! Et pas demain, pas dans un mois, pas dans un an ! Mais tout de suite ! Mais, ça va faire quarante ans le 9 octobre 2021 que la peine de mort a été soi-disant abolie ! Quelle blague amère ! En toute honnêteté, elle n’a jamais été abolie ! Elle a juste pris d’autres formes, d’autres noms ! Une forme dans sa plus dure réalité : « la torture blanche », silencieuse. Deux principaux noms : quartiers d’isolement, et quartiers disciplinaires, pour leurs formes les plus dures, et les plus violentes ! On meurt, nous détenu·e·s isolé·e·s, de mort lente, et parfois même brutale, dans les QI, sachez-le, et SVP insurgez-vous en, levez-vous, poing tendu, pour dire stop ! Je veux pas faire dans la pleurnicherie, ni dans le mélo, mais sachez que tout ce que j’ai écrit ici, je l’ai subi de plein fouet, personnellement !

    C’est une réalité. Je suis tombé en prison en 2000, j’avais alors 17 ans 1⁄2 ! J’aurais dû en sortir, max – si j’avais fait ma peine « plein pot » sans RPS ni rien – en 2008 ! On est en 2021, et je suis encore dedans ! Et ma date de libération actuelle est 2030 ! Faute à qui ? À moi ? Non ! Comment une telle chose a-t-elle pu se produire ? Faute à mes geôliers et aux prévôts ! Mes plus belles années parties en fumée à cause de gens mauvais ! Je reprendrais les mots d’un grand monsieur que je ne connais pas personnellement, mais qui, pour moi, est une véritable source de courage au vu de son parcours carcéral et de son refus de se laisser broyer par ce système carcéral et judiciaire, tout comme répressif, qui n’est autre que monsieur Laurent Jacqua qui, un jour de mars 2006 a écrit ceci, retenez-bien : « Sachez, pour votre gouverne, que sur un arrêt de jugement, on trouve la mention suivante : « Au nom du peuple français ». C’est donc en votre nom que sont appliquées toutes ces détentions « spéciales ». C’est aussi en votre nom que les prisonniers subissent la torture blanche dans tous les quartiers d’isolement de France ! Maintenant que vous le savez, l’acceptez-vous ? »
    À cela, je rajouterais humblement : et si c’était vous qui subissiez de telles choses, l’accepteriez-vous ? Hein ?!
    Quoi qu’il en soit, moi, bien qu’ayant subi l’indicible, je suis encore là sur le front ! Et fais et ferai toujours face et front, la tête haute, à mes bourreaux !
    De manière pacifique en 1er lieu et, s’il faut protéger ma vie, par tout moyen légal et/ou illégal, afin de survivre et de ne pas mourir de leurs mains !
    Pour terminer, bien que j’ai perdu bien des gens de ma famille – car la prison a détruit mes liens familiaux –, bien que j’ai physiquement, en 21 ans de cabane, sacrément morflé, que tout le monde sache que je suis encore bel et bien présent, encore debout, et ne laisserai jamais, ô non jamais, rien ni personne me tuer, me rabaisser au rang de « chose », ni faire de moi une marionnette de l’AP !
    Y a pas d’arrangements, et y en aura jamais ! Courage à vous toutes les lionnes incarcérées, les loups incarcérés, les p’tits gremlins incarcérés, et à toutes celles et ceux enfermés partout ailleurs où on enferme en France – genre CRA et compagnie – qui ne se laissent pas marcher sur la tête par ce système meurtrier et assassin, destructeur et déshumanisant. Force, courage et détermination à vous toutes et tous !
    Je suis rien ni personne ! Car, en prison, on est tous et toutes des détenu·e·s anonymes parmi les anonymes.


    Au fait… moi c’est l’Infâme, juste pour info, pour celles et ceux qui me connaissent ! Un anonyme parmi tant d’autres. Et je veux survivre à la prison, pour vivre enfin, en toute liberté… un jour.

    L’infâme

    Notre bouquin pour troubler la fête du quarantième anniversaire de la prétendue abolition de la peine de mort est sorti ! Une manière parmi d’autres, que nous espérons nombreuses, de faire entendre quelques voix dissonantes dans l’écœurante auto-célébration du pouvoir.

    Ce livre réunit des paroles de prisonniers, de prisonnières et de proches publiées dans le journal depuis sa création en 2001 qui nous rappellent avec force qu’en réalité c’est seulement la guillotine qui a été supprimée en octobre 1981.

    Il est disponible dans toutes les bonnes librairies et sur la boutique de nos ami.e.s des éditions du bout de la ville.

    Il est gratuit pour toutes les personnes enfermées : écrivez-nous à contact@lenvolee.net pour que nous puissions le faire parvenir à vos proches emprisonné.e.s !

  • Lettre du QI de Bois d’Arcy et notes de lecture

    Lettre du QI de Bois d’Arcy et notes de lecture

    Libre Flot nous écrit de plus en plus régulièrement et c’est avec un très grand plaisir que nous lisons ses lettres par lesquelles il échange avec les émissions de radio hebdomadaires. Il revient ici sur une discussion ayant suivi la lecture de sa dernière lettre. Il propose ensuite, constatant un manque de discussion théorique à l’antenne, quelques réflexions à partir de sa lecture du livre « Pour elles toutes » de Gwenola Ricordeau et invite celles et ceux qui seraient intéressés à rebondir et poursuivre la conversation. Un grand salut à lui !

    Quartier d’isolement de Bois d’Arcy

    Le 23 octobre 2021

    Salut à vous,

    C’est encore moi ! Je vous écrit de plus en plus souvent dirait-on… La différence de situation entre le moment d’écriture et celui de la lecture imposé par la surveillance de la correspondance donne envie de vous envoyer une mise à jour. Concernant mes dents, les soins progressent. Ce qui s’était barré à été refait et si mon prochain rendez-vous n’est pas reporté, je devrai pouvoir me réjouir bientôt d’avoir tous les trous de mes chicots bouchés. Ici, en ce qui concerne les caries, les soins sont privilégiés plutôt que l’arrachage.

    Alors comme ça, il y a moquerie et raillerie à propos de la lecture difficile de ses petits camarades ? AhAhAh ! Il est vrai que c’était particulièrement mal lu ;p mais je tiens à assumer ma part (importante) de responsabilité dans cette histoire. Ne relisant pas, il est possible qu’il y ait des erreurs et surtout, en général, je ne prends pas soin de mon écriture (non non là je m’applique), ce qui transforme la lecture en déchiffrage. J’écris souvent cite et mal, je pourrais dire comme un pied, et le mauvais. (D’ailleurs, le membre opposé à la main d’écriture est le pied d’appui. Surement le meilleur outil pour écrire à celleux qui soutiennent). Mes courriers étant pensés comme une communication interpersonnelle plutôt que pour être lus à la radio, sont remplies de digressions et de remarques qui mériteraient peut-être d’être omises. Il pourrait être judicieux de trier ce qui y est écrit. Tri dont je laisse, bien entendu, à vos yeux extérieurs, le soin d’effectuer.

    Toujours est-il que le moment jovial suscité par cette lecture et plus spécifiquement la remarque amusante et amusée, qu’il faudrait « taper sur les doigts » du lecteur, m’a fait réagir. Sans aucune intention de faire le rabat-joie ou des reproches, je tiens à vous partager la réflexion qui m’a traversé.

    Cette remarque anodine, comme un réflexe ou une habitude linguistique liant l’idée de la punition, qui semblerait alors légitime, à un « mauvaise » action est apparu ans mon esprit sous le terme « culture de la punition ». L’écho de ce terme à celui de « culture du viol » permet de définir cet automatisme punitif, grâce à un parallèle avec le patriarcat, comme une construction sociale. Ainsi, comme toutes les constructions sociales, celle-ci, (dont le but est de faire paraitre la punition comme une réponse évidente et nécessaire par le biais de tous les moyens coercitifs possible (comme par exemple l’éducation ou une représentation hégémonique)), a réussi un ancrage mental même chez les plus fervant-e-s de ses détracteurices.

    J’espère sincèrement que vous ne prendrez pas ça comme une leçon de morale car ce n’est vraiment pas le cas. Ce parallèle, je ne l’avais jamais vu auparavant ou je n’y avais jamais prêté attention. Autant ça fait de nombreuses années que je n’enjoint plus les personnes qui me débectent à aller avoir des rapports sexuels avec leurs génitrices ou autres « joyeusetés » du même acabit (même « pour rire » avec des ami-e-s), autant je ne m’étais jamais posé la question quant aux faits de promettre aux potes de leur « taper sur les doigts ». Je voulais simplement vous partager le cheminement de ma pensée (et ce n’est que le début… désolé mes murs sont pas réactifs à mes réflexions et puis, vous êtes l’élément déclencheur…).

    J’ai assez rapidement émis l’hypothèse que l’origine de ce rapprochement d’idée n’était pas étrangère au livre que j’étais en train de finir de lire (« Pour elles toutes » de Gwenola Ricordeau). Je me suis alors fait la remarque qu’il n’y avait que peu de discussion sur le concept d’abolitionnisme à l’antenne. Remarque qui peut très bien être faite à tort n’ayant pas le recul nécessaire sur l’émission ayant eu accès à la radio que peu de temps avant l’été. De fil en aiguille, je me suis dit que ça pourrait être cool d’avoir des propositions de lectures ou des retours, etc. Est-ce intéressant ? selon moi, oui. Est-ce une bonne idée ? J’en suis moins sur. La lecture étant une activité solitaire, je ne sais pas si elle est beaucoup pratiquée en dehors des QI et si cette idée intéresseraient des gent-e-s. De plus, le temps relativement court des émissions est souvent déjà trop court pour l’amputer pour ça. Peut-être dans le journal ?

    En écrivant cela j’imagine déjà la scène [si ce n’est pas comme ça que ça se passerait, je m’excuse de vous faire jouer un rôle qui n’est pas le vôtre] : un petit sourire en coin pour accompagner votre réponse : « L’envolée c’est votre émission, votre journal… » (sous-)entendu c’est ce que nous en faisons tout-e-s ensemble alors, mon petit bonhomme, si tu veux quelque chose, fais que ça existe (DIY)… Et voilà comment je me retrouve « piégé » à mon propre jeu, en toute autonomie… Bon je n’ai aucunement la volonté de tenir une chronique littéraire (je me voyais plutôt en profiter) mais il serait plutôt malvenu de ma part d’être demandeur de quelque chose sans y mettre la main à la pâte…

    Bien que n’ayant pas l’habitude de cet exercice et que je ne sais pas trop comment je vais m’y prendre, je vais donc vous joindre une brève présentation de ce livre qui m’a amener cette réflexion, un peu comme on pose un bouquin sur une étagère vide. On verra par la suite si d’autres personnes y voient un intérêt et posent les leurs ou si ça prend juste de la place pour rien. Qu’en pensez-vous ? Hésitez pas à me dire si je suis hors propos.

    Sur ce je vous laisse, je vais poser mon Q sur le lit et me dévorer un autre bouquin, plus léger, gouter au sable épicé dans les dunes. Demain je m’attèle à la présentation.

    Au plaisir de vous lire et de vous avoir dans les oreilles,

    Merci pour le soutien que vous nous apportez,

    Salutations & Respects

    POUR ELLES TOUTES

    De Gwenola Ricordeau Chez Lux Editeur

    * Ce livre qui se veut à l’intersection du féminisme et de l’abolitionnisme pénal, a, selon moi, le mérite de prendre en compte d’autres angles d’approche tels les origines sociales et ethniques, le dedans et le dehors, les mouvements et luttes queers et LGBTQ, les privilèges, la société etc. Ce qui – le plus à un carrefour assez large, enrichi par le fait que l’autrice « navigue » entre France, Etats-Unis et Canada.

    * Un panel plutôt complet de sujets y est abordé, bien classé dans différents chapitres clairement définis : 1. Abolitionnisme Pénal 2. Victimisation des femmes et son traitement pénal 3. Femmes judiciarisées 4. Femmes aux portes des prisons 5. Abolitionnisme pénal et féminisme 6. S’émanciper du système pénal et construire l’autonomie.

    * Les y sont traités avec un équilibre savamment dosé. Nous ne sommes ni dans un survol superficiel ni dans une analyse longue, ultra poussée qui complexifierait la lecture. (Pour une étude plus approfondie, une liste de références nous est proposé). L’autrice nous initie, ici, aux arguments principaux de ces luttes, tout en offrant ses critiques constructives à leurs sujets.

    * Bien qu’étant clair dans ses idées et opposée au recours pénal, elle est conscient que toutes les personnes n’ont pas accès aux mêmes options pour se défendre et ne les critique donc pas pour leur choix, quand il a semblé nécessaire.

    *Sans se limiter à la dénonciation de l’inefficacité du mécanisme pénal, il y est exposé une brève description d’ »alternatives » : la justice réparatrice, la justice restaurative et, plus encore, la justice transformatrice.

    * J’ai, personnellement, vu ce livre comme une introduction bienvenue à l’abolitionnisme pénal avec ses pistes de réflexion très importantes sur les options autres. Pour d’autres, peut-être, ce livre sera un introduction aux principes féministes ? Toujours est-il que l’on peut y trouver un première marche, une base d’appui vers une réflexion et/ou un engagement personnel et/ou collectif.

  • 10 mois en prison pour des inculpés du 8/12 : Lettre du QI & libérations sous contrôle

    10 mois en prison pour des inculpés du 8/12 : Lettre du QI & libérations sous contrôle

    Nous reproduisons ci-dessous le communiqué des Comités du 8 décembre publié le 28 octobre, agrémenté de deux liens qui actualisent la situation depuis. Vous trouverez ensuite le lien vers une énorme lettre de Libre Flot, qui est toujours au quartier d’isolement (à lire absolument!), et des contributions des deux derniers libérés de cette histoire, enfin dehors, sous contrôle judiciaire.

    10 mois derrière les barreaux pour des inculpé.es du 8 décembre

    Le 8 décembre 2020, plusieurs perquisitions ont eu lieu aux quatre coins de la France, menant à l’arrestation de neuf personnes. Après 96h de garde à vue dans les locaux de la DGSI, sept d’entre-elleux sont mis.es en examen pour « association de malfaiteurs à caractère terroriste en vue de la préparation d’un crime d’atteinte aux personnes dépositaires de l’autorité publique ». Cinq de ces personnes sont alors incarcéré.es, tout.es sous le statut de « détenu.es particulièrement surveillé.es » (DPS). Fin avril 2021, après cinq mois de privation de liberté, deux d’entre elleux sont libéré.es. Très récemment, à la mi-octobre 2021 suite à une demande de mise en liberté, un autre compagnon est libéré sous contrôle judiciare, bien que le parquet ait fait appel, en vain. Un autre accusé a été libéré sous contrôle judiciaire très peu après.

    Un des prévenus est placé à l’isolement depuis son arrestation le 8 décembre 2020, c’est-à-dire privé de tout contact avec d’autres détenus. Son isolement dure depuis dix mois et a été reconduit pour trois mois supplémentaires le 8 septembre 2021. Cette situation doit cesser au plus vite. Pour en témoigner, nous reproduisons ici une lettre qu’il a écrite depuis sa cellule d’isolement cet été.

    Concernant les mis.es en examen, les faits qui leur sont reprochés sont flous, les liens entre elleux également, certain.es ne s’étant jamais rencontré.es auparavant. Le scénario de la DGSI1 semble avoir été pré-écrit et être le résultat d’une construction policière à visée politique, avec la création de figures de coupables idéaux et d’une structure pyramidale.

    Ces arrestations interviennent dans un contexte politique de criminalisation croissante des mouvements sociaux. Le recours à l’accusation d’association de malfaiteurs est toujours plus utilisée pour casser les collectifs militants et écraser les luttes.

    Nous assistons depuis plusieurs années à une surenchère législative : loi sécurité globale, loi séparatisme, décrets Darmanin2, loi SILT3… L’autorité administrative prend le pas sur le judiciaire. Avec la mise en œuvre d’une forme de justice prédictive, désormais tout le monde est présumé coupable, et les personnes sont jugées sur des intentions et des présomptions d’intention.

    Par ailleurs, nous observons également un énième changement de doctrine de la France sur la question kurde, avec l’arrestation de militant.es kurdes en mars 2021 et la criminalisation des personnes ayant combattu au Rojava4, considérées un temps comme alliées dans la lutte contre Daesh et à nouveau perçues comme des « ennemi.es de l’intérieur » et des terroristes.

    La criminalisation des opposant.es politiques par le biais de l’accusation d’association de malfaiteurs donne lieu à des écoutes et des techniques de surveillance intrusives. L’interdiction d’entrer en contact avec d’autres mis.e.s en cause rend impossible toute solidarité entre elleux et les prive de relations intimes et précieuses avec leurs proches. Les notes blanches5, outil de l’antiterrorisme et des renseignements territoriaux, deviennent monnaie courante, empêchant les prévenu.es et leur défense d’avoir accès au contenu de leur dossier en intégralité.

    Nous dénonçons également les conditions d’incarcération en France, régulièrement épinglées par les arrêts de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) :

    – quartiers disciplinaires où les conditions de détention opaques échappent au droit commun et violent les conventions internationales

    – conditions d’incarcération d’exception

    – recours à l’isolement comme moyen de pression

    – morts suspectes dans les quartiers disciplinaires

    – surpopulation carcérale

    L’Etat déclenche un grand « plan prison », soi-disant pour désengorger les prisons surpeuplées (construction de huit nouvelles prison sur le territoire, livrables en 2027, impliquant un coût faramineux), laissant croire qu’il se soucierait de la dignité des prisonnier.es, alors que ses visées sont avant tout économiques et répressives, et que l’on voit le nombre de prisonnier.es augmenter d’année en année.

    Les conditions d’arrestation et de détention, pour nos camarades comme pour toutes les personnes mises à l’ombre, sont aussi déplorables que scandaleuses.

    Les déplacements lors des arrestations du 8 décembre 2020 sont conditionnés : les prévenu.es sont encagoulé.es et entravé.es (camisole immobilisant les bras le long du corps via des sangles). Par la suite, on rapporte l’absence d’avocat.e pendant de très longues heures, la privation de sommeil et de nourriture, des interrogatoires lunaires portant plus sur des opinions et orientations politiques que sur des faits. Toutes ces méthodes constituent un non-respect de la présomption d’innocence. Cela a également un impact sur les proches, qui, démuni.es, ne savent vers qui se tourner, tétanisé.es par la peur.

    Nos camarades ont tou.tes été placé.es en détention sous le statut DPS : deux surveillant.es sont mobilisé.es à chaque déplacement, voire un.e gradé.e, compliquant l’accès aux soins, aux douches, aux parloirs ; pas d’accès aux activités collectives ni au travail ; brimades ; fouille corporelle intégrale avant et après chaque parloir ; changements de cellule ou de bâtiment, alors même que les habitudes et la routine sont cruciales pour la santé mentale des détenu.es.

    Notre camarade toujours maintenu à l’isolement subit non seulement toutes ces privations, mais est également cantonné en promenade seul, dans une cour de 20 mètres carrés recouverte par un grillage. Son accès aux soins est entravé, notamment concernant ses demandes de consultation auprès du médecin, du dentiste et du psychologue. Les conséquences sur sa santé mentale sont délétères, puisqu’il subit des pertes de repères spatio-temporels et des pertes de mémoire. Son isolement est renouvelé tout les trois mois depuis son incarcération, soit depuis dix mois, les nombreux recours et demandes de référés ont tous été rejeté sans plus d’arguments.

    Nous exigeons la libération immédiate de nos camarades et la fin de la détention provisoire pour tous. Nous demandons également que l’ensemble des prévenu.es aient accès à tous les éléments du dossier, la fin de la mise à l’isolement comme outil de répression pour broyer les détenus et la fin de la criminalisation des militants politiques et des poursuites contre elleux.

    1. Direction Générale de la Sécurité Intérieure

    2. Décrets Darmanin : trois décrets du ministère de l’Intérieur, publiés le 04 décembre 2020, visent à élargir les possibilités de fichage dans le cadre d’enquêtes menées par la police, la gendarmerie ou encore de la part de l’administration. Concrètement, les fichiers de prévention des atteintes à la sécurité publique visaient initialement « les personnes susceptibles de prendre part à des activités terroristes ou d’être impliquées dans des actions de violences collectives », une définition large qui permet d’y intégrer, outre des individus présentant une « radicalisation du comportement », des personnes ayant pris part à « des manifestations illégales » ou à des « actes de violence ou de vandalisme lors de manifestations sportives ». Désormais, ces fichiers permettront également d’enregistrer des informations concernant des personnes morales ou des groupements, comme des associations. De plus, le champ de ces fichiers a été élargi aux atteintes « à l’intégrité du territoire ou des institutions de la République » et à la « sûreté de l’Etat (…) qui relève des activités susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation », précisent les décrets.  Source : La Quadrature du Net

    3. Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme

    4. Territoire autonome situé au Kurdistan syrien

    5. Ordinaires rapports des services de renseignement, non signés, n’indiquant pas la source de leurs informations, parfois extrêmement vagues et abstraites ou fondées sur de simples rumeurs et autres dénonciations vindicatives. Source : La Quadrature du Net

    https://paris-luttes.info/et-de-quatre-15463
  • « La guillotine a été retirée mais les morts continuent à affluer sans que personne ne se pose de questions !!! »

    « La guillotine a été retirée mais les morts continuent à affluer sans que personne ne se pose de questions !!! »

    Mickaël, qui nous écrit régulièrement, réagit ici à notre dernier livre « La Peine de mort n’a jamais été abolie ».

    La peine de mort ? Pour moi, elle n’a jamais été abolie, même si on ne coupe plus de têtes.
    Aujourd’hui l’AP tue à petit feu les détenus en les brisant psychologiquement, ou pire, en faisant passer des décès pour des suicides qui n’en sont pas… La guillotine a été retirée mais les morts continuent à affluer sans que personne ne se pose de questions !!!


    Pour ma part, l’AP a déjà essayé de me suicider au mitard en 2014, c’est mes voisins de cellule qui m’ont sauvé en hurlant quand ils ont tous entendu le bordel dans ma cellule. Car Dieu merci je sais me défendre. Et ce jour-là, je m’attendais à un truc de l’AP, mais pas aussi violent…


    Alors oui, on ne coupe plus de têtes ! Mais on pend les détenu(e)s, c’est une réalité, et ce n’est pas prêt de changer… En même temps, avec ce que l’on nous fait subir, la guillotine serait plus humaine, c’est mon avis d’expérience perso qui parle…
    Après, il n’y a pas que la mort physique qui existe en prison. Il y a la mort psychologique, de l’âme. Perso, psychologiquement, je suis déjà un peu mort, et encore une fois je remercie L’Envolée : ils m’ont empêché de mourir pour de bon !!!


    Enfermer des personnes plusieurs décennies, c’est pire que de se faire trancher la tête.

    Au bout d’un certain temps, l’enfermement ne sert à rien, si ce n’est à attiser la haine et pousser les gens à l’extrême.

    Et il y a ceux qui se suicident vraiment. La prison est inhumaine et sans pitié.

    On entend partout que l’on est bien loti en prison, mais ceux qui ne connaissent pas la prison, je les invite à venir passer trois mois entre ces murs et ses mains de tortionnaires, je vous mets ma main à couper que certains se suicideraient dès les trente premiers jours…

    Alors NON !! La peine de mort n’a jamais été abolie…

    Force, honneur et courage à toutes et tous les prisonniers de France et leurs familles.


    Mickaël Gilgenmann alias Kémi

  • « Côté Covid, on est plus en danger que dehors ! »

    « Côté Covid, on est plus en danger que dehors ! »

    On a appris qu’un grand nombre de nouveaux cas de covid ont été dépistés à Saint-Maur. Correspondant régulier de L’Envolée, Mickaël revient sur les conditions d’enfermement et d’hygiène déplorables de cette taule et rappelle que si les familles subissent toujours plus de mesures de contrôle, les matons vont et viennent à leur guise.

    Cluster à Saint-Maur

    Plus de quarante cas à Saint-Maur, et la plupart n’ont pas de parloirs – alors comment ont-ils été infectés ? L’AP fait-elle ce qu’il faut pour tester les matons ? Sont-ils vaccinés ou pas ? Moi je suis vacciné deux doses mais c’est fou le nombre de nouveaux cas par jour ! Les matons nous contaminent, et nous on peut rien faire même juridiquement alors que certains hauts gradés ne portent pas le masque… côté covid, on est plus en danger que dehors !

    Y a un détenu qui ne sort jamais de sa cellule, donc comment il a pu l’attraper si ce n’est pas par le biais des matons ? Moi, perso, je me lave dans ma cellule car les douches ne sont pas désinfectées, et on nous donne même pas de quoi nettoyer la cellule. Il faut cantiner, mais quand t’as pas d’argent, tu fais comment pour désinfecter ta cellule ? Je tire la sonnette d’alarme sur les conditions d’hygiène pour améliorer et pour éviter le covid à Santa Muerte.

    Force courage et honneur à toutes et tous qui sont détenus, et courage pour les contaminés,

    Mickaël

  • «  J’ai l’impression d’être un oiseau en cage »

    «  J’ai l’impression d’être un oiseau en cage »

    J. nous écrit des Baumettes pour continuer l’échange sur les allers-retours CRA-prison et sur l’acharnement des préfectures et des juges contre les personnes étrangères.

    Centre pénitentiaire des Baumettes, maison d’arrêt des femmes,

    Octobre 2021

    Salut L’Envolée, comment ça va ?

    Je vais essayer d’écouter l’émission mais 23 heures, c’est trop tard : MDR, à cette heure-là je suis déjà évanouie dans mon lit.

    [Mon ex-codétenue], chaque semaine je lui parle : elle va très bien, et maintenant elle n’a plus besoin de signer tous les jours au commissariat. Avant-hier elle m’a envoyé un colis plein de photos de ma famille et de mes amis, j’étais tellement contente !

    Je suis toujours à la MAF, j’ai déjà écrit au chef [pour aller au CD], j’ai déjà fait mon dossier d’orientation avec ma Spip, mais je ne sais pas ce qui se passe ! Je ne comprends pas !

    J’aurai le résultat de l’Ofpra au bout de quinze jours. D’abord ils écouteront mes motivations pour vouloir rester [en France], et ensuite, dans les quinze jours, ils m’enverront une réponse.

    Le 22 novembre, c’est une audience à Aix-en-Provence [pour faire appel contre l’interdiction du territoire français (ITF)]. Mais la demande d’asile a plus de poids que l’ITF, donc si l’Ofpra accepte ma demande ils sont obligés de retirer l’ITF.

    Ils ont eu la capacité de retirer la fleur séchée que tu m’as envoyée. Je suis dégoûtée ! 🙁

    Merci beaucoup de m’avoir expliqué les vices de procédure [lors du transfert prison-CRA], et j’aimerais bien votre contact si je vais au CRA.

    Les brouilleurs sont toujours allumés, avec les fenêtres j’ai l’impression d’être un oiseau en cage. En fait je crois que l’oiseau a encore plus d’air et de ventilation que nous n’en avons ici !

    Bisous,

  • « Plus je voyais arriver l’heure de rentrer, plus la boule au ventre me prenait »

    « Plus je voyais arriver l’heure de rentrer, plus la boule au ventre me prenait »

    Nadia écrit régulièrement à L’Envolée, comme encore récemment au sujet d’un décès aux Baumettes. Au bout de plus de dix-huit ans de placard, elle a enfin obtenu une première perme. Dans la lettre qui suit, elle raconte ce moment poignant et souligne l’absurdité des discours officiels sur la réinsertion.

    Centre pénitentiaire de Fresnes, maison d’arrêt des femmes,

    le 11 octobre 2021

    Bonjour,

    J’ai reçu votre lettre aujourd’hui ; merci beaucoup, c’est très gentil.

    La réinsertion ? Un bien grand mot, évidemment. Mon Dieu, Rennes… une prison avec l’odeur des cellules… Chaque cellule a l’odeur des personnes qui sont décédées en nombre. Incroyable mais vrai : quand j’y étais chaque semaine il y avait un décès.

    Évidemment, quand j’ai passé ma [première] journée [de permission] sur Marseille, crois-moi que ça a été un choc total. Je devais sortir deux jours, puis la juge et la Spip de Marseille m’ont donné qu’une journée, de 9 heures à 19 heures.

    Alors « bonjour » cette journée ! Déjà, je suis prévenue par le gradé que je rentrerai de permission avec rien, juste deux paquets de cigarettes. Super ! il est gentil… moi je ne fume pas, donc pas de cigarettes.

    Je suis partie au greffe, j’ai signé ma journée, puis on m’a accompagnée à la porte où mon fils aîné de 29 ans S. m’attendait. Pour mon passage de demande de permission, La Spip lui avait fait faire et rectifier au moins dix lettres différentes pour que ça soit tourné comme elle le voulait… imagine un peu !

    Alors me voilà à la sortie, à la porte où les personnes attendent pour entrer au parloir. C’est un samedi, il y a beaucoup de monde, et mon fils attend avec sa compagne devant l’entrée. Quand ils ont ouvert la porte, le choc de mon grand qui m’a prise dans ses bras avec un gros câlin, et bien sûr l’émotion a pris le dessus. Il sait trouver les mots, puis me présente sa compagne que je ne connaissais pas. Et j’ai mes deux autres fils qui attendent sur le parking où j’arrive : M. mon fils de 26 ans et mon fils G. qui a eu 20 ans cet été. Lui, ça fait dix-huit ans qu’il vit avec sa maman en détention. Alors oui, l’émotion est à son comble. Mes tous petits sont devenus de grands gaillards ; j’ose même pas te dire le choc avec mes trois garçons.

    Nous décidons d’aller boire un café au rond-point de la Castellane. Nous prenons le temps d’échanger sur de nombreux sujets. Oui, ce n’est pas facile du tout pour moi, mais je fais avec. Puis nous avons fait le marché juste tout au long, chacun d’entre eux me demande ce que je désire. Ma belle-fille m’achète une robe, mon fils M. une chaîne avec un cœur, G. le bracelet puis le grand un autre bracelet. Et j’ai ma montre Guess sur moi qui n’a plus de pile, alors S. s’est renseigné pour me mettre une pile à ma montre, qui s’est remise à fonctionner.

    On a marché à travers Marseille jusqu’au Vieux Port. Midi était déjà là, puis mes enfants m’ont demandé ce que je voulais manger. Je n’ai fait que leur répondre que je ne savais pas. Alors S. s’est arrêté sur le Vieux Port dans un restaurant où il y avait de tout, donc ça m’a laissé le choix de prendre une bonne viande, que je consomme entre bleu et saignant. Ce que j’ai eu, puis il y avait une demi-bouteille d’eau pétillante de Corse, ça me fait rappeler tous mes voyages et mon domicile là-bas (eh oui ma mère est Corse).

    Puis nous avons repris les véhicules et nous sommes allés vers la place David, le parking devant les plages qui bordent la mer en allant vers la Pointe Rouge. Là nous avons encore beaucoup marché au bord de l’eau, puis G. le plus courageux s’est baigné, mais l’eau est assez sale là-bas. Et nous nous sommes arrêtés chez un débit de boissons glacier. Nous avons consommé autre chose que du café ! Mon fils S. me dit : « [en prison] tu n’as bu que de l’eau et du café ? »

    Là j’ai pris deux boules de glace et un coca, et eux des choses que je ne connaissais pas, t’imagines un peu.

    Plus je voyais arriver l’heure de rentrer, plus la boule au ventre me prenait. Je peux pas te dire combien c’est dur. J’ai appelé ma fille de 28 ans qui est sur Montpellier et celle de 17 ans 1/2 qui elles aussi auraient aimé être là. Mais ça sera pour une autre permission.

    Voilà, nous nous sommes rapprochés des Baumettes, et un peu plus haut, il y a un petit coin avec des bancs et des gens qui jouaient aux boules de pétanque. Nous avons continué à parler de tout, puis nous avons évoqué la date de la prochaine permission. Depuis j’ai été transférée le 16 septembre 2021 alors que cette permission était prévue pour les 18 et 19 septembre ; donc quand je rentre, je redépose une permission. Si vous voulez, on pourra se voir.

    L’enfer s’est invité dans ma vie il y a plus de dix-huit ans, et j’espère que tout se passera bien pour que je puisse enfin en sortir. Tu sais à quoi ressemble une prison avec toutes ces années ? À des salles de torture entre quatre murs. Torture morale, physique et psychologique. Ils sont pas là pour nous aider à nous réinsérer mais pour nous détruire. Les personnes qui ont une tête, ils n’aiment pas ; elles prennent plus que tout le monde, je te le dis.

    Et puis ce prof qui s’est suicidé, j’y crois pas. J’étais au quartier disciplinaire avec une tentative de suicide au cachot, et le dimanche matin l’officier vient me voir et me dit : « Quand je suis arrivé et qu’on m’a dit qu’il y avait un suicide, j’ai eu peur que ce soit vous. »

    Mais avec tous ceux que j’ai vu partir : paix à leurs âmes à tous.

    Mille bisous à tout le monde les vaillants de la chaîne L’Envo. Je ne peux pas écouter la radio depuis mon départ au CNE.

    Nadia