La séparation des « proches » au quotidien : lettres d’Emma.V

L’administration pénitentiaire appelle « proches » les personnes qui soutiennent les enfermés jour après jour… mais elle les en éloigne systématiquement, parfois pour des années. Incarcérée aux Baumettes, Emma.V raconte la souffrance continue de cette séparation ; les quelques bouffées d’oxygène apportées par les parloirs, les UVF (Unités de vie familiale), les relais parents-enfants ou les perm n’enlèvent rien à la violence du retour en cellule.


« Deux ans que je serai loin de mes princesses, jamais je ne vais me remettre d’une telle souffrance »

Lettre lue à l’émission du 7 janvier 2022.

Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

Le 10 décembre 2021

Bonjour L’Envolée,

Je reçois avec plaisir votre petite carte, le petit rayon de soleil de la journée. À chaque fois que je reçois l’un de vos courriers je vous réponds aussitôt. [Du courrier s’est mystérieusement égaré.] Je me souviens que la dernière fois que j’avais reçu votre lettre, elle est partie dès le lendemain… Imaginez ici, on n’est même pas libre d’écrire librement !

Pour répondre à votre carte, bien sûr que le mois de décembre est très dur… Ici tu dois supporter l’insupportable. En ce moment mon moral est à la baisse. Mes filles me manquent terriblement. Elles sont venues me voir le 1er décembre au relai parents-enfants, la seule chose qu’ils ont fait de bien ici, c’est une salle adaptée avec des jeux… J’étais heureuse de les voir bien sûr, mais quel sentiment de haine envers moi-même. Elles ont tellement grandi, j’ai tout loupé, j’ai mal, tellement mal à l’intérieur.

Et ici aucun travail, très peu de formation même aucune ! Peu d’activités. J’en peux plus vraiment, après ici ils te parlent de réinsertion.

Ça, plus tout ce que tu vis et vois au quotidien, je sais que ça me laissera d’énormes blessures intérieures. Je vous remercie du fond du cœur pour votre force et votre soutien. Comment voulez-vous, avec tout ça, ne pas lâcher l’affaire ?

Le 18 décembre, deux ans que je serai loin de mes princesses. Jamais je ne vais me remettre d’une telle souffrance.

Voilà.

À très vite de vous relire, et surtout passez de bonnes fêtes de Noël et de fin d’année si je ne vous relis pas avant.

Emma.V



« Ce qui me détruit c’est à chaque fois que je vois mes filles, voir à quel point elles ont grandi »

Lettre lue à l’émission du 1er avril 2022.

Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

Le 13 mars 2022

Coucou L’Envolée !

La détention détruit, l’enfermement te rend fragile, nerveuse. Des fois tu exploses pour un rien. C’est dur très dur. Ce qui me détruit en particulier c’est à chaque fois que je vois mes filles. Voir à quel point elles ont grandi. J’ai laissé un bébé de quatre mois et elle va avoir trois ans en mai. Imaginez. J’ai tout loupé… et ça, ça fait mal.

J’ai bien eu mon UVF le 26 février, tout s’est bien passé. C’est là que je m’aperçois que mon mari est vraiment courageux. Les trois petites sont assez dures. Avec leur papa c’est des princesses donc elles n’écoutent pas grand-chose. Elles me manquent tellement.

J’ai écrit à ma fille une carte d’anniversaire, elle ne l’a jamais reçue ! C’est dégueulasse !

Voilà je vous remercie beaucoup à chaque fois de me mettre un timbre. Je galère tout le temps à en trouver. C’est horrible d’être démunie !

À très vite,

Emma.V


« Ma place, ma vie n’est vraiment pas d’être dans cette prison de merde »

Lettre lue à l’émission du 10 juin 2022.

Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes

Ma première permission

Avril 2022

Après deux ans et quatre mois d’enfermement, j’ai pu bénéficier d’une journée de permission. La première. 9h-19h une vraie bouffée d’oxygène. Une grande remise en question également. Quand on passe une journée dehors et que l’on doit revenir, le soir, on se rend compte que la liberté n’a pas de prix. Ma place, ma vie n’est vraiment pas d’être dans cette prison de merde.

La dérention nous fait prendre conscience de nos erreurs certes, mais on est H24 en stress, le bruit des clefs, toute cette souffrance à l’intérieur de ces murs, cette violence verbale et psychique c’est horrible.

J’ai l’impression d’avoir tout perdu et pourtant mon mari est toujours là, seul avec nos trois petites princesses. Elles me manquent tellement.

Mai 2022

Chaque matin, dès 7h, on est dans le stress. Les bruits des clefs arrivent. Ce bruit de clefs restera gravé dans notre tête, un bruit pour lequel on restera marquées.

À peine réveillées il faut sortir notre poubelle. Parfois, un peu d’humanité un « bonjour », parfois rien.

Supporter l’insupportable

Certaines surveillantes respectent notre sommeil, d’autres nous allument la lumière en plein sommeil lors de leurs rondes : 23h, 3h, 6h. Pire que de la torture.

Je suis épuisée d’ici, ça crie tout le temps le soir jusqu’à pas d’heure. Les filles s’insultent pour une cigarette ou du tabac. Une fatigue intérieure tellement profonde…

Emma.V

Dessin d’Emma.V, le15 février 2022.

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