Le numéro 57 de L’Envolée journal est finalement dispo un peu partout ! 32 pages, 2 euros pièce (mais on vous conseille de vous abonner!) Les points de distrib’ sont dispos ici !

édito : Et une, et deux, et trois censures !

Le ministère de la Justice a interdit fin janvier 2023 la diffusion du journal en détention (le n°56, cette fois), et saisi des exemplaires dans les cellules des abonné·e·s. C’est la troisième fois en deux ans : le ministère avait déjà interdit la diffusion du n° 52 en janvier 2021 à cause d’un dossier consacré au décès de plusieurs prisonnier·e·s, et au printemps 2022, une note nationale avait privé tou·te·s les prisonnier·e·s de la lecture du n° 55 en raison de « propos diffamatoires à l’égard de l’administration pénitentiaire » ; il s’agissait encore de passages dénonçant le caractère mortifère de la prison. Éternel retour… Les offensives de la censure – officielle ou officieuse –, c’est toute l’histoire de l’AP avec L’Envolée.
Qu’on se batte contre la torture blanche des quartiers d’isolement, qu’on dénonce le mythe de l’impossible « réinsertion » après la peine, qu’un média de gauche enquête sur les conditions indignes de telle ou telle prison, au fond, le maton de base, il s’en tamponne le coquillard : c’est pas lui qui est visé, c’est son administration, c’est le droit, voire la société… Lui, il peut se dire qu’il y est pour rien. Mais dénoncer les fouilles abusives, l’arbitraire des placements au mitard, attaquer les violences des collègues, écrire que la violence et la déshumanisation sont les fondements structurels de la prison, ça, ça les froisse, les bichons.

C’est pas d’hier qu’on le dit ; et ça leur a jamais plu, comme en témoignent les censures, retenues de journaux et plaintes qui émaillent l’histoire de L’Envolée depuis sa création en 2001. La nouveauté, c’est que cette vérité de base, « la prison tue », commence à émerger de plus en plus dans le débat public, et que des liens se tissent avec celles et ceux qui dénoncent d’autres violences d’État – notamment celles des policiers. La nouvelle bordée de censures administratives dont notre petit canard fait l’objet prend un poids particulier au moment où l’on voit, d’un côté, des familles s’organiser pour se battre suite à la mort d’un proche en prison, et de l’autre, des syndicats de matons obtenir toujours plus de reconnaissance et de moyens. Quand les porteurs d’uniformes d’obédience fasciste sont de plus en plus influents et organisés. Bien sûr qu’ils n’ont jamais aimé que ce qu’ils font au fin fond des quartiers d’isolement ou des mitards soit révélé et dénoncé ; mais ils se sont donné de plus en plus de moyens de faire pression pour pas que ça se sache.


Année après année, les syndicats de matons se sont mis à durcir leurs mouvements et à leur donner toujours plus d’ampleur. Ce qu’ils réclamaient à grands coups de blocages de prisons – qui sont autant de moments de liberté volés aux prisonnier·e·s et à leurs proches –, c’est finalement SuperDupont-Moretti qui le leur a accordé en ce début d’année 2023 : la revalorisation de leur statut, c’est-à-dire son alignement sur celui de leurs grands frères policiers. Ça y est ! Ils sont fonctionnaires de catégorie B, ce qui veut dire avant tout plus d’oseille à la fin du mois ! Quant aux équipements, il ne leur manque plus que les armes à feu : ils ont déjà obtenu toutes celles qui sont réputées non-létales. Côté testostérone, ils se sentent d’autant plus soutenus par l’État que leurs modèles policiers sont lâchés dans les rues avec la mission de brutaliser, de mutiler, et pourquoi pas de tuer s’il le faut pour terroriser celles et ceux qui se révoltent – et aussi, bien sûr, les éternels boucs émissaires. Et puis le droit de toujours plus se passer du juge pour punir directement à coup d’amendes et pour inscrire des délits au casier judiciaire témoignent de l’extension constante du pouvoir judiciaire de la police. Les matons voudraient de la même manière pouvoir influer plus ouvertement sur les « parcours pénitentiaires », notamment en prenant plus de poids dans les prétoires.

Toutes les notes de censure du journal s’inquiétaient de sa gratuité et de sa « large diffusion » susceptible d’avoir « un retentissement important auprès des personnes détenues ». L’AP reconnaît ainsi que ce sont les échanges entre prisonnier·e·s à propos de certains actes brutaux – notamment quand ils ont été judiciairement reconnus – qui sont « de nature à engendrer un retentissement important » dans les prisons de France. Ce n’est ni le ton, ni le contenu des écrits qui « portent une atteinte grave à la crédibilité et à l’honneur » de l’AP, mais bien les faits eux-mêmes. Et c’est cela qui ne doit pas circuler en détention ! Ce qui semble inadmissible à l’AP, c’est l’existence même d’un outil de libre expression au service de celles et ceux qui sont déjà privé·e·s du droit de s’organiser, de contester et de parler publiquement. Car rappelons-le ici, le quotidien des prisonnier·e·s est rythmé par la censure à tous les niveaux, et régi par des règlements différents d’une prison à l’autre, et auxquels ils n’ont souvent même pas accès. La prison, c’est la vie censurée. Partout. Tout le temps.

La principale conséquence de ces interdictions à répétition, c’est de faire pression sur les abonné·e·s du journal : certain·e·s ont subi une fouille de cellule et ont été menacé·e·s d’une sanction disciplinaire. Il y a une volonté clairement affichée de les dissuader de le recevoir… et plus encore de lui écrire. Ça rappelle l’ambiance dans les boîtes à l’extérieur : les prisonnier·e·s revendicatifs sont traité·e·s comme des syndiqué·e·s, c’est-à-dire comme les relous de service qu’il faut isoler, harceler et transférer. Sauf que les prisonnier·e·s n’ont ni la reconnaissance symbolique des syndiqué·e·s, ni leur (relative) protection légale ; ils et elles ne subissent que la répression. En censurant L’Envolée, l’AP entend étouffer un peu plus la parole des personnes enfermées.
C’est un des derniers maillons de la chaîne de la délégitimation de leur parole. La censure est là pour les empêcher de se constituer en sujets politiques autonomes qui pensent, dénoncent et combattent le sort qui leur est fait. Pour faire enfin disparaître un des rares espaces où se rencontrent des paroles de l’intérieur et de l’extérieur qui construisent un point de vue anticarcéral : critiquer la société depuis ses prisons, ses lois, ses tribunaux. Pour ça, ce qui est très tendance, c’est le droit administratif : une simple note suffit à interdire un journal dans toutes les détentions. Aussi simple qu’un arrêté préfectoral interdisant tout rassemblement dans certaines zones … publié le lendemain de la manif. Bien sûr, on peut contester, il y a « des voies de recours », comme on dit : on peut déposer un « référé suspension », et on l’a fait (voir le texte du recours pages 5 à 7), mais les juges administratifs… c’est des juges, ils ont donc tendance à considérer qu’il n’y a pas le feu quand il s’agit de s’attaquer à leur propre ministère, et que rétablir la circulation d’un journal d’actualités pour les prisonnier·e·s, ce n’est pas une urgence. Circulez, y a rien à voir… et le traitement de l’affaire est renvoyé aux calendes grecques.

Conclusion : si par malchance le mouvement social actuel n’obtient pas la démission du gouvernement, la dissolution de la matonnerie et la subversion généralisée des rapports sociaux, il est fort possible qu’une nouvelle note du ministère vienne censurer le présent numéro. Dehors, continuez à soutenir le journal le plus censuré de France… Et dedans, lisez-le vite et faites tourner !

Sommaire de l’Envolée n°57 :

  • Edito : Et une, et deux, et trois censures
  • Un recours contre la censure du no 56
    Extraits du référé suspension déposé au tribunal administratif
  • Le bâillon, une vieille tradition ?
    Permanence d’une pratique mortelle et interdite
  • En prison, la vie toute entière est censurée
  • Lettre de L’Infâme, prisonnier à Valence
    Lettre de N., prisonnière aux Baumettes
  • Une conversation entre deux anciens prisonniers
    Nabil et Louis à propos de la censure à l’intérieur
  • 22 ans et toutes ses dents
    Retour sur les censures et les plaintes contre L’Envolée
  • À l’assaut des assos,
    la liberté d’association censurée à son tour

Le 57 est dispo en téléchargement ici (cliquez !)

Le journal coûte 2 euros dehors et il est gratuit pour les prisonniers et prisonnières.
Abonnez-vous en soutien (15euros par an) pour recevoir les futurs numéros, ou pour commander les 56 autres numéros : L’Envolée journal – FPP, 1 rue de la Solidarité – 75019 Paris ou contact@lenvolee.net

24 réponses sur “L’Envolée 57 est de sortie ! Spécial censure

  1. J’aimerais retrouver des textes que je vous ai fait parvenir en 2021-22 pour continuer avec vous à tout vous dévoiler de mes treize ans de prison.. merci

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