Catégorie : Lettres

  • « Y a aucun respect de la vie humaine » – Message de Fleury-Mérogis

    « Y a aucun respect de la vie humaine » – Message de Fleury-Mérogis

    On relaie un message envoyé par un prisonnier de Fleury-Mérogis qui dénonce les conditions de détention. A faire tourner au maximum !

    Nous, actuellement à Fleury-Mérogis, il y a tellement de violences de l’administration pénitentiaire, tellement de maltraitances, nos cellules sont remplies de cafards… Nos conditions de vies sont invivables, les cantines alimentaires, on se les fait voler, sans parler même des violences verbales, sans parler des menaces, sans parler des détenus qui peuvent pas se défendre, qui ont même pas la capacité de se plaindre. Concrètement, y a des surveillants ou drogués ou alcooliques complètement désœuvrés, qui savent même pas faire leur métier, ils sont agressifs, autoritaires. Là, à cette heure-ci, je suis dans une cellule, j’ai pas de fenêtre, je peux pas les fermer, j’ai pas de lumière, j’ai pas de cabine téléphonique – je suis obligé de trouver un téléphone de manière illégale pour appeler et pouvoir faire passer cette info.

    J’ai des cafards dans ma cellule, j’ai même pas accès à la douche. Moi-même qui suis handicapé, j’ai de gros problèmes de santé. À l’heure d’aujourd’hui dans la prison, pour ceux qui ont des problèmes de santé, il est très difficile d’avoir accès au médical. Mais, par contre quand vous arrivez au bout d’une heure, vous avez une ordonnance pour avoir des antipsychotiques, des neuroleptiques et des somnifères, ça on vous en donne directement. Sans parler de la violence pénitentiaire qu’on vous fait subir là, de toute façon quand vous demandez des choses, les surveillants, ils nous donnent aucune réponse. De toute façon, c’est simple, on peut sortir qu’une heure par jour ici, donc c’est comme ça la gestion des détenus. 

    Vous entendez le tapage de porte là ? C’est un détenu qui conteste ça fait trois heures qu’il conteste, ça fait trois heures qu’il demande juste à avoir du PQ – qu’on doit lui ramener. Le surveillant, il en a rien à foutre, il est dans son bureau, il répond pas. Le chef, moi ça fait cinq jours que je suis sans fenêtre, je peux pas les fermer, ça fait cinq jours que j’ai pas de lumière, ça fait cinq jours que j’ai pas de télé – alors que concrètement j’ai de l’argent sur mon pécule on peut pas me dire le contraire – ça fait cinq jours que j’ai pas de cabine et il m’a dit quoi le surveillant ? Il m’a dit « ben t’iras quand tu seras en promenade », mais en promenade, j’ai pas de cabine, je peux pas appeler.

    J’ai pas de moyens d’appeler mon avocat, j’ai pas de moyens de revendiquer mes droits. Quand je demande aux surveillants de manière normale à avoir accès à mes droits, j’ai aucune réponse cohérente. Donc concrètement, aujourd’hui, la population pénale, elle en peut plus. Là de plus en plus, y a des tests de stupéfiants et d’alcoolémie pour les surveillants qui sortent de détention mais si les gens s’informent, ils verront bien que les taux étaient positifs alors même qu’ils viennent de sortir de détention, ces surveillants-là, ils seront positifs aux stupéfiants ou à l’alcool, alors que bon…

    Nous, on demande la stricte application des normes européennes en matière de conditions de détention. On demande le respect de nos droits, le respect de notre vie humaine. On demande des caméras, comme ça on peut être sûr que l’intervention, elle sera être sécurisée, pour eux et nous-mêmes surtout. Surtout nous-mêmes parce que eux parlent de manque de moyens, mais si on leur donne des caméras, est-ce qu’ils voudront accepter de porter des caméras ? Étant donné qu’on connaît bien les pratiques illégales envers les détenus, on voit très bien les comportements…

    Nous, à cette heure-ci, on demande des lois, on demande que les politiques prennent à bras-le-corps le sujet. On nous dit à la télé, les surveillants parlent qu’il y a une surpopulation, ils parlent qu’il y a pas de moyens, ils parlent qu’ils sont en danger alors que c’est faux. On le sait très bien. Nous, on demande des caméras sur les surveillants, on demande des caméras sur les surveillants dans les quartiers dédiés tels que les UDV (Unité pour détenus violents) qui ne sont rien de moins que des QHS (Quartier haute sécurité), où là on met des violences et des piqûres ++, on demande des caméras aux surveillants des quartiers disciplinaires, afin de voir réellement qui acte la violence et qui est à même de condamner qui, et qui est à même de juger qui. On demande la stricte application de transferts pour les détenus qui ont eu des rapports disciplinaires dans certains établissements pénitentiaires afin de garantir l’intégrité pour eux-mêmes et pour l’intégrité physique des surveillants pénitentiaires afin que ce soit du 50/50, étant donné qu’à l’heure d’aujourd’hui, on ne peut pas contester le fait que la seule entité française de l’administration, c’est l’administration pénitentiaire, qui est la seule autorité à ne jamais être contestée, à ne jamais être surveillée, à ne jamais devoir répondre de leurs actes, alors qu’on sait très bien que nous, détenus, on le voit tous les jours : le taux de violence est énorme, et non pas de la part des détenus sur l’administration, mais bien de l’administration sur les détenus.

    Il y a tellement de choses qui sont inexplicables et qui sont même pas entendables pour les gens normaux qui sont dehors, qui n’ont pas commis de délit ou qui sont pas en prison… que c’est même pas entendable de les exprimer là en deux minutes. Ce serait même pas entendable. Pourtant toutes les familles de victimes, de détenus qui sont décédés au mitard, toutes les familles qui voient des détenus au parloir… Combien de gens ici par semaine à Fleury-Mérogis, on leur dit « mais non, votre fils n’est pas venu au parloir », « mais non, votre mari n’est pas venu », alors que le détenu on lui dit « non c’est papa qui est pas venu »… Des deux côtés, on leur dit la même chose, et il y a pas de parloir. Y a aucun respect de nous, y a aucun respect de la race humaine, y a aucun respect de la vie humaine, alors l’école du crime, bah tu l’apprends ici, tu l’apprends de la part du surveillant. Tu l’apprends de la part du surveillant quand il te dit « ferme ta gueule » quand il t’a volé tes cantines, quand il t’a fermé la porte… T’as appris une chose. T’as appris que l’autorité, elle garantit qu’une chose, la criminalité. Voilà ce que t’as appris. C’est pour ça qu’on demande des caméras afin de sécuriser autant la population pénale que l’administration pénitentiaire, afin de condamner les deux en cas de nécessité, et afin de garantir l’État de droit. Et on demande la stricte application du droit européen en matière de conditions de détention. Voilà.

  • TRIMER POUR DES MIETTES ET FERMER SA GUEULE : à propos du travail en prison

    TRIMER POUR DES MIETTES ET FERMER SA GUEULE : à propos du travail en prison

    Aurélie et Blanche racontent dans leurs lettres les conditions de travail déplorables, les cadences parfois infernales et la pression au rendement – le tout soumis à l’arbitraire de l’administration.


    Centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne,
    10 mai 2024


    Bonjour à tous,
    Depuis mardi 7 mai, 17 heures, on m’a suspendue de mon contrat de travail pour une suspicion de poux. Il s’est avéré que je n’avais rien. L’infirmière a vérifié : rien, je n’avais rien. On m’a suspendue trois jours. Trois jours pour ça, non payée, et tout ça pour une suspicion. Génial, ­Poitiers-Vivonne ! C’est pas comme si c’était la gale ou le covid. Puis-je me retourner contre la direction ? Dans l’attente d’avoir vos avis et témoignages, courage à toutes et tous, battez-vous,

    Aurélie

    Centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne,
    13 juin 2024


    Coucou,
    Alors, je suis à la buanderie depuis le 13 novembre 2023, sauf qu’en février la buanderie a pris feu. Du coup, les garçons s’occupent du linge de la maison d’arrêt pour hommes, qui est lavé à l’Esat de Vivonne. Et moi, je dois gérer le linge de la maison d’arrêt pour femmes (MAF) avec la machine à laver de la nurserie et celle du centre de détention pour femmes. Donc ce sont des machines comme à la maison. J’ai dû établir SEULE un planning et je gère seule ce linge. Je n’ai pas vraiment le droit d’être malade car, vous comprenez, « il ne faut pas prendre du retard sur le linge ». Ils ont trouvé cette solution car sinon mon poste sautait. Et puis, à l’Esat, le poids maximum à envoyer est de 500 kg par semaine.
    Je ne travaille que le matin, de 7 h 30 à 11 h 30. Mais quand les surveillantes arrivent en retard ou sont absentes, on me fait rattraper mes heures l’après midi, alors que je n’ai pas le droit de travailler les après-midi. Vive la détention !
    Alors comme il y a une machine à laver à la nurserie, eh bien je suis enfermée à clé car il y a une maman à la nurserie, donc pas de contact. C’est tout petit, pas de WC.
    Génial…
    J’ai envie d’arrêter, de tout claquer, car jongler, être enfermée, je ne peux plus. Puis les aller-retour à la buanderie quand il y a des arrivants, paquetage, indigent·e·s. Je dois gérer toute la MAF. Seule. Les travaux pour la buanderie n’ont pas encore commencé, pour sûr il y aura deux mois de travaux à réaliser.
    Courage à toutes et tous, à bientôt.

    Aurélie


    Centre pénitentiaire de Caen,
    21 mai 2024


    Bonjour L’Envolée,
    Cela a été dur dur ce mois de mai avec les deux surveillants qui ont perdu la vie ! Pas mal de blocages, pas de travail, pas d’activité, ni de parloir, ni de courrier… la totale. Cela a repris son cours mais avec méfiance. Ce n’est pas fini, ils attendent ce qu’on leur a promis ?
    Et la paie aussi était petite et les jours fériés n’ont pas arrangé les choses. Mais bon, ça va, j’ai le moral. Ce n’est pas facile tous les jours, mais je m’accroche. Dur, dur, le travail car les patrons des ateliers veulent du rendement, il y a que cela qui les intéresse. Si tu fais pas le rendement, tu es viré. Aucune pitié pour les anciens comme moi, on a plus 30 ou 40 ans, on ne peut plus faire le même travail. Alors, je galère tous les jours pour garder ma place, pas le choix. En plus, ils en ont profité pour revoir les prix en baisse sur la production. Où on va ? C’est ça, la réinsertion ? LOL MDR ! Au mois de mai, j’étais à moins 36 euros (on me l’a pas dit) mais on m’a dit qu’il fallait que je fasse mieux et qu’ils n’étaient pas là pour perdre de l’argent !
    Moi, ce que j’ai compris, c’est que si je faisais pas mieux, je perdrais ma place. Alors, je galère tous les jours pour faire mon taf. Tu rentres en cellule, tu es claqué, fatigué et t’as mal de partout. Tu n’as pas le droit d’être absent ni d’être malade ni de prendre un RDV pendant ton travail.
    Où on va, ici ? Il y a plein de détenus qui se plaignent mais qui ont peur de parler, peur des représailles et de se retrouver sans rien. Si moi j’en parle, c’est que j’en ai plus rien à foutre. J’ai déjà le vaguemestre et la direction sur le dos, du coup je ne suis plus à ça près. Je peux faire parvenir des témoignages mais sans nom car j’en ai déjà discuté avec les autres et ce n’est pas que dans mon atelier.
    On nous demande d’écrire avec la tablette au chef, au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), pour une demande de travail, de formation, bref, pour tout. Mais le problème : quand tu écris au SPIP, tu peux marquer que deux lignes, pas plus. Comment veux-tu expliquer tes problèmes en deux lignes ? Impossible. Et ici, beaucoup de personnes ne savent pas se servir de la tablette, du coup toutes les semaines je fais plusieurs cantines de plusieurs détenus + toutes les tablettes à remettre en service. Cela me prend beaucoup de temps, il devrait y avoir une personne payée pour cela mais bon, ça doit être dans un rêve peut-être. Je me plains pas, car j’aime aider les gens mais ce n’est pas une raison ! Il y a plein de choses à dire mais je manque de temps !

    Blanche

  • Au sujet du blocage des prisons par les surveillants en mai 2024 : paroles de prisonnier.e.s

    Au sujet du blocage des prisons par les surveillants en mai 2024 : paroles de prisonnier.e.s

    L’évasion de Mohamed Amra le 14 mai 2024, au cours de laquelle deux surveillants ont été tués, a choqué par sa brutalité et fait la une de tous les médias. En réaction, les matons ont bloqué la totalité des prisons pendant cinq jours. Un mouvement de blocage « œil pour œil, dent pour dent » qui, comme rarement, a assumé d’être une vengeance : tous les prisonnier·e·s de France devaient payer. Certain.e.s ont alors pris la parole pour raconter ce qu’ils et elles vivaient : voici quelques extraits de lettres lues à l’émission de radio l’Envolée, et de messages trouvés sur les réseaux sociaux.

    « Je suis incarcéré à […] Perpignan, à la maison d’arrêt. Ça fait deux jours que les surveillants bloquent la prison dans son intégralité.
    Aucun mouvement, aucune douche, aucun parloir, aucune promenade, aucune livraison de cantine. Même le courrier que l’on veut poster nous est refusé, les poubelles s’entassent dans les cellules. Les mots du chef : “Nous sommes en guerre contre vous.” J’ai peur. Nous avons tous peur et nous ne comprenons pas ces punitions collectives, bien que nous compatissions un minimum avec le tragique événement horrible qui s’est passé dans l’Eure. Aidez-nous, s’il vous plaît. Je ne sais pas vers qui me tourner, j’ai tout essayé. »

    (* Lettre lue dans son intégralité à l’antenne de l’Envolée le 21 juin 2024, à écouter ici).


    « Ils nous lèvent les douches, ils nous donnent le pain à 20 heures, ils nous privent de nos droits de minimum une heure de promenade par jour, ils nous privent de nos parloirs famille, ils nous privent de nos activités, école, stade, muscu, etc., ils nous privent de nos cantines. […] Toute l’année on doit subir, ils nous lèvent nos téléphones, notre fumette, nous parlent comme à des moins que rien, et on doit encore subir car des surveillants se sont fait tuer à 900 bornes d’ici. Perso, la promenade, je m’en bats les couilles, mais les parloirs et les cantines, c’est les seules choses qui nous font tenir dedans. »


  • Passer les fêtes au QI : lettres de Kémi

    Passer les fêtes au QI : lettres de Kémi

    Auteur du texte « Santa Muerte » sur la prison de Saint-Maur et le QI (quartier d’isolement), Kémi dit dans ces six lettres comment la dureté de l’isolement déteint sur son moral. Après un Noël 2021 solitaire, Kémi est enfin sorti du QI en janvier comme on peut le lire dans les deux dernières lettres. Cependant, à l’heure où nous publions ces lettres sur le site, l’AP (administration pénitentiaire) a déjà remis Kémi à l’isolement pendant l’été 2022.


    « Je m’en suis pris à l’AP et maintenant j’en paie le prix fort »

    Lettre lue pendant l’émission du 10 décembre 2021.

    Maison centrale de Saint-Maur, quartier d’isolement,

    Novembre 2021

    Bonsoir chers auditeurs,

    Là il est 23 h et je tourne en rond dans ma cellule, donc je prends ma plume pour vous donner de mes nouvelles. La semaine dernière, j’ai enfin vu la directrice de Santa Muerte, elle a fait une demande de sortie d’isolement, mais je crois que c’était pour m’endormir car pour l’instant, j’y suis encore. En plus, j’ai appris par un pote qui a vu la cheffe et qui lui a dit que ce n’était pas pour tout de suite. Ils sont même pas capables de me le dire en face. Je vois rouge ! Pour les autres détenus, ça prend trois jours, et pour moi ça prend des plombes. J’avoue que mon moral baisse, car les fêtes arrivent, et j’me sens pas capable de les passer à l’isolement. Des envies de suicide me traversent l’esprit, j’essaie de rester combatif, mais imaginez deux ans de quartier d’isolement gratuit, et encore un Noël seul sans parloir, sans rien ni personne avec qui discuter. J’ai beaucoup de lettres qui me donnent leur soutien et je les en remercie, mais je supporte de moins en moins l’isolement social. 23H/24 dans 9 m² pendant deux ans, ça laisse des traces indélébiles. Mes enfants me manquent, le contact humain me manquent. Je regarde autour de moi et tout ce que je vois c’est le néant, le vide. Ce soir je regardais un film qui se passait en prison. Dans ce film, il y avait une scène qui m’a rappelé de mauvais souvenirs. C’est un type qui venait d’apprendre le décès de son papa, il avait l’autorisation d’aller aux obsèques, mais à la dernière minute l’administration pénitentiaire (AP) l’en a empêché. Ce qui m’est arrivé, et pour ça faire une prise d’otage en 2016 à la centrale d’Ensisheim en Alsace, ce qui m’a valu huit ans ferme en plus.

    Je regarde autour de moi et tout ce que je vois c’est le néant, le vide

    Depuis tout à l’heure, je suis partagé entre la douleur et la rage – la raison pour laquelle j’écris ce soir en espérant que ça me calme, mais je sais que je suis parti pour une nuit blanche. J’aimerais parler de choses joyeuses, mais j’ai le cœur et les pensées si sombres que cela m’est impossible. Je m’accroche et me dis que peut-être je sortirais de quartier d’isolement dans quelques jours, mais sans grande conviction.

    Je sais que j’ai commis des actes condamnables, mais ça fait dix ans que je suis en prison, et j’en ai encore onze ans sur le papier alors que je n’ai tué personne. Un violeur n’aurait même pas fait la moitié de ma peine. Alors que je n’ai que 32 ans. Je m’en suis pris à l’AP et maintenant j’en paie le prix fort. Ma vie est foutue, je n’ai plus d’avenir. Que vais-je faire à ma sortie après tant d’années passées derrière les barreaux. Dans quel état je vais être, avec toute cette haine et rage qu’ils ont placé en moi ? J’ai fait l’idiot, je l’assume, mais jamais je n’avais eu le cœur aussi noir. J’ai toute une vie à reconstruire car depuis mes 15 ans, je n’ai connu la liberté que pendant une année. Vous vous rendez compte ? J’ai passé plus de la moitié de ma vie en prison, mais on ne veut pas me donner une chance de me racheter. Je suis conditionnable en 2022, mais comment préparer ça dans de telles conditions d’incarcération ? C’est la prison et ses codes qui m’ont éduqué, j’ai appris la vie à l’école du crime. Pour la Justice française, je suis un cas perdu, mais c’est normal si l’AP ne fait rien pour m’aider à devenir autre chose qu’un numéro d’écrou. On me colle des avocats commis d’office, qui ne servent à rien car ils débutent ou que l’on ne peut pas leur donner 3000€ pour défendre nos droits. On nous parle de réinsertion, mais où est-elle ? Je vous pose la question, en prison il n’y a que la répression. Deux ans que je galère comme un chien à l’isolement gratuitement, tout ça parce que l’AP considère que je suis un danger. Mais un danger pour qui ? Je ne suis qu’un simple cambrioleur entouré de meurtriers et de violeurs, alors je suis un danger pour qui ? En bref je suis un danger car toutes les peines internes (23 ans que j’ai pris en plus), je les ai prises car je m’en suis pris à l’AP. Voilà ce qu’est l’administration française : violer nos enfants, on s’en fout, mais ne touchez pas à l’administration.

    Force et courage à toutes et tous, celles et ceux qui sont enfermé·e·s et leurs familles !

    Kémi


    « Je vais encore passer Noël au QI et ça me met un coup au moral »

    Maison centrale de Saint-Maur,

    Le 18 novembre 2021

    Salut L’Envolée,

    Merci pour votre carte, je vous mets un petit dessin avec cette lettre, un truc vite fait… En juin prochain ça fera dix ans que je suis en prison et libérable en 2032, avant ça j’étais en prison de mes 15 ans à mes 22 ans. Ces dix-sept dernières années, j’ai été libre un an avant de retomber en 2012, j’ai littéralement passé la moitié de ma vie en prison et pourtant j’ai que 32 ans ! C’est triste à dire mais c’est la prison qui m’a formé. Je fais partie de la communauté des gens du voyage donc la prison je connais depuis bébé, je suis venu au monde au parloir sérieux. Là le QI a été prolongé jusqu’au 4 février 2022, je vais encore passer Noël au QI et ça me met un coup au moral. Vous inquiétiez pas prenez votre temps pour répondre, je risque pas de bouger de là où je suis lol. Bon je vous laisse car faut que je nettoie la cellule car c’est le bordel.

    En attendant de vos nouvelles, prenez soin de vous les potos.

    Kémi

    Dessin de Kémi, le 18 novembre 2021.


    « Le père Noël est passé, l’AP m’a offert une X-box »

    Lettre lue pendant l’émission du 7 janvier 2022.

    Maison centrale de Saint-Maur, quartier d’isolement,

    Le 15 décembre 2021

    Bonjour l’équipe, bonjour à tous,

    Ce soir je prends la plume pour vous montrer toute la gratitude de ce que vous faites pour moi, mais surtout pour vous souhaitez de bonnes fêtes pour cette fin d’année 2021. Moi ça peut aller malgré le refus de ma sortie du QI. C’est bientôt les fêtes, alors j’essaie de me motiver pour essayer de rester positif, car mi-janvier la direction va faire une nouvelle demande. Je reste optimiste… qui sait ? Peut-être que la magie de Noël va frapper ? Quoiqu’il en soit, passez de bonnes fêtes avec vos proches car c’est important. Moi le père Noël est déjà passé, l’AP m’a offert une X-box et va m’apporter un colis de Noël ! Un vrai miracle de Noël MDR.

    Joyeux Noël, et bonnes fêtes à tous,

    Kémi


    « Comme vous devez vous en douter, j’ai passé des fêtes de merde »

    Lettre lue pendant l’émission du 7 janvier 2022.

    Maison centrale de Saint-Maur, quartier d’isolement,

    Le 28 décembre 2021

    Salut L’Envolée,

    Comme je le pensais, la demande de sortie du QI a été refusée, je suis dégoûté. Merci pour votre lettre avec le timbre et l’enveloppe que je viens de recevoir. Comme vous devez vous en douter, j’ai passé des fêtes de merde, seul dans mon 9 m² lol. Mi-janvier une nouvelle demande de sortie du QI va être faite mais bien sûr ça sera refusé 🙁 Sérieusement j’en ai marre d’être isolé, mon mental ne suit plus, je me bats pour ne pas baisser les bras mais c’est dur, surtout quand j’entends les autres détenus parler par la fenêtre de leur parloir ce qu’ils ont eu pour Noël, je t’avoue que ça m’a fait un truc en les entendant ! J’espère que 2022 sera une meilleure année pour moi.

    Bref je vous souhaite à tous une bonne année 2022 et tout ce qui va avec. Hâte d’avoir le nouveau numéro de L’Envolée, bon, il est 3h30 du matin, je vais en rester là car je vais aller faire dodo.

    En attendant de vos nouvelles,

    Prenez soin de vous les potos,

    Kémi

    Dessin de Kémi, le 8 décembre 2021.


    « Enfin la victoire ! »

    Maison centrale de Saint-Maur, en transit au quartier arrivants,

    Janvier 2022

    Enfin la victoire !

    Après deux ans d’isolement gratuit, mon avocate et moi avons gagné au tribunal administratif contre l’AP. Ça fait un mois que je suis sorti du QI, je vais faire la  »formation menuiserie ».

    Ça fait bizarre, après deux ans, de retrouver une détention  »ordinaire »… J’ai encore du mal à me repérer mais tout va bien.

    Aux détenus de France au QI et à leurs familles : ne lâchez rien. Avec un avocat et du calme on peut les faire plier. La preuve : je suis un preneur d’otage, un DPS (détenu particulièrement signalé), un détenu  »difficile », et pourtant mon avocate a gagné un recours, elle les a eus à leur propre jeu ! 

    Je circule en détention normale, je vais où je veux… 

    Gardez la force et le courage !

    Voilà, Kémi est enfin sorti du QI !

    Merci à tout le monde, on reste en contact régulier pour se donner des news ! 

    Kémi


    « Les deux ans de QI que j’ai fait gratuit m’ont rendu plus fort, en vrai »

    Lettre lue pendant l’émission du 4 février 2022.

    Maison centrale de Saint-Maur, quartier arrivants,

    Janvier 2022

    Bonjour à tous,

    Bonne nouvelle : ça fait une semaine que je suis enfin sorti du QI ! Pour l’instant je suis en observation au quartier arrivants depuis une semaine. Encore une, et après ils me disent si je reste à cet étage et bosser comme « auxi peintre » (ça veut dire repeindre les cellules) ou s’ils me jettent dans le bâtiment B dans la jungle. Moi, je veux rester à mon étage, y a pas vingt détenus et c’est que des anciens. Après deux ans de QI gratuit, j’ai besoin de calme, car je sais qu’au bâtiment B je vais m’embrouiller, et obligé quelqu’un va me tester. Et je veux pas retourner au QI. On verra bien, si je vais au B, je vais me mélanger avec personne, parce que sinon je vais en corriger un. Ici au A, je suis posé, je joue au rami avec les anciens, c’est calme, c’est tranquille, c’est ça qu’il me faut. Mais bon, avec mon dossier, ils vont me mettre au B, ils me donneront pas une chance de réinsertion, l’AP on connaît, ça fait dix piges que je les côtoie tous les jours. Je me tiens à carreaux, mais l’AP regarde que mon passé, sans compter sur les histoires que l’ancienne directrice de Saint-Maur m’a faites. Là je profite à fond, c’est pas grave, les deux ans de QI. Les deux ans de QI que j’ai fait gratuit m’ont rendu plus fort en vrai.

    Là j’écoute un peu de son, et je me sens bien. Je suis plus au QI, ça fait trop chelou. Surtout la promenade. Bon là ça caille, donc je sors pas trop, mais j’hallucine quand j’y vais. Je peux marcher dans une vraie grande promenade. Bon je vous laisse, je vous tiens au jus et encore merci à vous, vous êtes des vrais, on lâche rien, y a pas d’arrangement !

    Kémi


  • Interview de Thierry, prisonnier du mouvement social suite à la mort de Nahel

    Interview de Thierry, prisonnier du mouvement social suite à la mort de Nahel

    Thierry a été arrêté le 28 juin 2023 à Saint-Étienne pendant la première nuit de révolte qui a suivi la mort de Nahel, tué par la police. Amené tout droit au trou, Thierry en est sorti trois mois plus tard. Il a alors raconté dans une interview son arrestation, son procès et sa détention. Son récit est malheureusement exemplaire de la répression judiciaire qui s’est abattue massivement sur ce mouvement social il y a un an. Voici certains extraits condensés, dans lesquels il raconte la violence des policiers, les dangereux conseils des avocats commis d’office et la roublardise des juges.

    « Ils ont tiré au Flash-Ball au petit bonheur la chance. »

    « On était à une manifestation contre les violences policières suite à la mort de Nahel qui avait eu lieu la veille, et on nous a proposé de rejoindre des émeutes le soir. On y est allés avec un groupe de copains. Quand ça a commencé à allumer des feux, tout de suite, deux hélicos et 60 policiers sont arrivés, et ça a commencé à courir de tous les côtés. La BAC (brigade anticriminalité) était planquée dans un buisson. Les éclairages publics étaient éteints, il faisait tout noir, on n’y voyait rien… les flics non plus. Ils ont tiré au Flash-Ball au petit bonheur la chance. Ils ont eu mon cousin, qui est tombé ; je l’ai aidé à se relever et je me suis retrouvé avec trois Flash-Ball pointés vers ma tête. Ils m’ont dit : « Mets-toi au sol. » J’ai fait remarquer que j’avais déjà les mains levées. Ça leur a pas plu : ils m’ont plaqué violemment au sol – en se permettant de me retirer mon cache-cou et ma casquette – et m’ont dit : « On t’a eu, de toute façon. » Ça faisait un moment qu’ils voulaient m’avoir, suite aux nombreuses manifestations que j’ai faites dans la Loire depuis 2018. J’ai fait les Gilets jaunes, plein de mouvements sociaux… Ils me l’avaient dit : « On va te faire tomber. »

    Quand ils nous ont arrêtés, moi et mon cousin, ils nous ont insultés – ça m’a pas étonné… Un mec de la BAC m’a mis un coup de genou au moment d’entrer dans la voiture. Tout le long du trajet, l’un d’eux s’est amusé à me mettre sa lampe torche dans les yeux jusqu’au commissariat en me disant : « J’espère que ça te fait du bien ! » Là, ils me sortent un mortier et me disent qu’ils vont retrouver mes empreintes dessus. « – Faites tous les tests que vous voulez, y aura pas mes empreintes dessus. J’ai jamais touché de mortier de ma vie ! » […] Ils voulaient me coller un jet de bouteille aussi. J’ai passé quarante-huit heures en garde à vue. […] J’ai demandé à voir un médecin et un avocat : je les ai vus au bout de neuf heures. J’avais un bleu causé par le coup de genou d’un agent de la BAC lors de l’arrestation : je ne sais même pas si c’est stipulé dans le rapport du médecin qui m’a vu en garde à vue.

    « Mon avocat a servi à rien, je conseille de pas écouter les avocats commis d’office »

    On va pas se mentir : mon avocat a un peu servi à rien. Il a même pas demandé le report de la comparution immédiate ; sa défense était basée sur le fait de reconnaître les faits : selon lui, la juge serait plus indulgente… C’est totalement faux ! Au contraire, ils peuvent dire : « Lui-même l’a reconnu, donc on peut lui coller ça sur le dos ! » […] Je conseille de pas écouter les avocats commis d’office ; mieux vaut essayer de se défendre tout seul – ou alors choisir son avocat. J’ai dit : « Je vais pas avouer le tir, le jet de bouteille… des trucs que j’ai pas faits ! – Non, mais au moins, tu avoues que tu étais sur place. » Je suis pas un pro des procès, donc j’ai écouté ce que me disait cet avocat commis d’office… mais pendant mon audition, l’OPJ [officier de police judiciaire] avait parlé d’embuscade en réunion1. Le vendredi, il nous a envoyés devant le procureur en disant qu’après, on rentrait chez nous… On a été transférés au tribunal en fourgon cellulaire. […] On a vu le juge [des libertés et de la détention] qui a décidé de me placer en détention provisoire au vu de mon passé. Mon cousin a tout de suite été remis en liberté, vu que c’est sa première histoire. Je suis resté en prison jusqu’au lundi, où on est passés en comparution immédiate. […]

    Au procès, la juge nous a pas fait de cadeaux : je m’attendais vraiment pas à ce qu’ils racontent notre passé – que mes enfants étaient placés, que moi j’avais été placé en foyer et famille d’accueil… On est pas là pour juger le passé des gens ! Elle a parlé de notre consommation de stupéfiants, elle a tenté de nous mettre plus bas que terre, et ça s’est vu dans l’article du journal local – et avec la circulaire de Moretti qui disait qu’il fallait faire des exemples… J’ai essayé de parler du pourquoi des émeutes, mais la juge m’a rétorqué, en mode je la saoule : « Faut pas croire qu’il est en liberté [le flic tueur]. Faut laisser faire la justice… »
    L’avocat des policiers a dit qu’ils voulaient nous coller les tirs de mortier, mais qu’ils ne pouvaient pas parce que c’était tout éteint : il n’y avait pas de lumière dans la rue… Alors ils ont ressorti une histoire pour laquelle je devais être jugé plus tard […] : le procès aurait dû avoir lieu le 26 septembre, ils l’ont finalement inclus dans l’audience du 3 juillet.

    « Remets ton casque et retourne avec tes collègues, j’ai pas envie de te parler. »

    Quand je suis arrivé au tribunal le lundi, je pensais pas qu’il y aurait autant de monde ; en fait, je pensais qu’il allait y avoir personne ! Et quand je suis sorti début octobre, j’ai vu sur des lives Facebook qu’il y avait même du monde dehors ! Quand je suis rentré dans la salle d’audience, que j’ai vu ma copine, que j’ai vu des amis, ça m’a fait du bien. Le tribunal a condamné mon cousin à dix-huit mois avec sursis, avec obligation de soin par rapport aux stupéfiants, obligation de formation ou travail ; et ils m’ont collé six mois ferme et douze avec sursis. Et 500 € chacun pour trois policiers, donc 1 500 € chacun à payer solidairement : s’il y en a un qui a pas la possibilité de payer, c’est l’autre qui payera 3 000 balles. Ça, c’est pour… comment ils ont appelé ça ? Soutien psychologique, je crois.

    Après la fin du procès, quand j’ai été redescendu dans les cellules du tribunal, le commissaire de police est gentiment venu me voir et m’a dit : « J’espère que ça te servira de leçon. » J’ai gentiment répondu : « Remets ton casque et retourne avec tes collègues, j’ai pas envie de te parler. » »

    L’intégralité de cette interview a été diffusée dans les émissions radio L’Envolée du 29 décembre 2023 et du 19 janvier 2024 et sur le blog Infos prisons Saint-Etienne (cliquer ici).

    1. L’avocat commis d’office a fait le jeu du tribunal : si Thierry n’avait pas reconnu sa présence dans une « embuscade », le dossier était vide. ↩︎
  • CI-GÎT l’«ÉTAT DE DROIT». TOUTES NOS CONDOLÉANCES.

    CI-GÎT l’«ÉTAT DE DROIT». TOUTES NOS CONDOLÉANCES.

    BADINTER EST MORT, MAIS PAS LA PEINE DE MORT.

    Des prisonniers du centre de détention de Montmédy nous ont adressé une lettre ouverte suite à l’annonce du décès de celui dont le nom reste associé à l’abolition de la guillotine.

    « Pour comprendre Robert Badinter, il suffit de remonter le cours de son histoire » dit un des nombreux éloges parus dans la presse. Pour comprendre que la peine de mort n’a jamais été abolie, en revanche, il faut écouter les prisonniers et les prisonnières. Alors que les hommages se multiplient, nous donnons ici la parole à celles et ceux que la justice et la prison ont continué et continuent de tuer.

    Nous vous invitons aussi à lire ou relire dans ce livre que nous avons publié d’autres paroles de prisonnier.es qui dénoncent cette prétendue abolition.

    Communiqué des détenus de Montmédy (55)

    CI-GÎT l’«ÉTAT DE DROIT». TOUTES NOS CONDOLÉANCES.

    Le décès tardif de Badinter a provoqué certains éloges qui eussent gagné à s’exprimer en privé.

    Mais d’une manière plus surprenante et plus scandaleuse que de coutume, les médias à tendance gauchiste passive choisissent l’admiration esthétique du plus contestable «socialiste» bourgeois plutôt que le silence ou les injures qui, depuis l’application de la théorie du «droit pénal de l’ennemi» dans le droit français, se trouvent seuls moralement justifiés.

    Entendons-nous: avec l’«abolition de la peine capitale», ce qui était jusqu’alors la part honteuse, occulte de la proclamé démocratie française (torture, assassinats extrajudiciaires, perpétuité réelle…) va être exhibée aux gens du pays, sapant dans ses profondeurs cet «État de droit» qui justifierait qu’on tolère le régime.

    le 16 février 2024.

  • « En France, la psychiatrie et la prison c’est la même chose »

    « En France, la psychiatrie et la prison c’est la même chose »

    On avait pas encore publié cette lettre écrite en 2020 par une personne enfermée à l’Hôpital Psychiatrique des Eaux Vives en région parisienne. Dans notre émission et notre journal, on parle rarement de ces lieux d’enfermement car on y a moins de contacts. Mais ces paroles nous rappellent bien que les HP sont aussi des prisons où on subit un enfermement contraint, encadré par la justice et où le quotidien est soumis à l’arbitraire d’une administration. Force à toutes les personnes psychiatrisées sous contrainte et leurs proches. Continuons de faire sortir la parole de ces lieux et de soutenir celles et ceux qui y sont enfermées.

    Salut l’Envolée,

    Déjà quand t’arrives ici en HP ça commence par le déshabillage et ça c’est humiliant. Y a l’isolement aussi qui est une forme de torture psy. Y en a beaucoup d’autres ici (des formes de tortures) comme la contention où ils te ligotent – le mot est faible, c’est comme une camisole.

    Y a une chambre qui s’appelle la cellule d’isolement et après y a une camisole chimique qui peut avoir lieu.

    Y a un autre truc qui s’appelle le patch et genre on t’immobilise et tu peux plus bouger, t’es attaché a un lit. Moi ils m’ont fait ça pendant 20 minutes, j’avais peur qu’ils m’abandonnent là. C’est tous leurs outils pour la torture.

    Quand t’arrives ici à l’hôpital le premier truc qu’ils te font c’est te mettre à poil pour vérifier que t’as pas de drogue ou quoi que ce soit. Et après ils te filent une tunique ou un pyjama où on se sent complètement à poil. Parce que les médecins et infirmières et les anciens patients, eux sont habillés. C’est humiliant et ça crée un truc par rapport aux autres patients, ça met une distance.

    J’trouve ça absurde qu’on condamne les gens parce qu’ils sont malades.

    À chaque fois que je suis hospitalisé ou interné, ma grand mère m’envoie des cartes postales. Et ça, ça fait très plaisir. Dès qu’on est enfermé, la première chose qu’on fait c’est rédiger un papier pour le juge ou écrire un papier à sa femme ou sa famille. J’ai vu des gens qui arrivaient là dedans (en hôpital psychiatrique), la première chose qu’ils faisaient c’était de rédiger un testament.

    Souvent le fait que les gens sont internés, on pense directement à la folie. Mais souvent c’est lié à des événements extérieurs  : situation économique, familiale ou de société.

    Ici, pour vous décrire comment ça se passe. T’as une petite chambre avec une petite table, une chaise et un lit. C’est pas un hôtel F1 c’est sûr.. Y a des toilettes mais y a pas de douche. Ici c’est mal isolé. Ma chambre donne sur un couloir. A gauche y a un côté où à une époque ils avaient mis tous les gens qui avaient attrapé le covid.

    À côté de ma chambre, y a la cellule d’isolement. Là, y a un mec qui a été, comment dire, peut être pas neutralisé, mais violenté par les infirmiers parce qu’il était réticent à leur obéir. Là, il est enfermé à l’isolement on sait pas pour combien de temps. Lui il crie derrière la porte qu’on le torture et il demande à voir les surveillants… J’essaye d’aller lui parler à travers la porte pour le rassurer. Je comprends qu’il soit pas bien.. Moi quand je suis arrivé ici, je me suis réveillé et je savais pas ce que je foutais là.

    La journée ici : normalement on te réveille à 7h pour aller à la douche. Mais moi j’ai obtenu de me lever à 8h. Et j’arrive pas utiliser leurs douches. L’hygiène c’est important c’est sûr, mais ici y a pas d’intimité. Y a une douche pour 20 personnes, je vais pas faire la queue en slip avec un savon.

    Le petit dej c’est un beurre président, confiture, du pain. C’est le premier truc qui se passe dans la journée. C’est un moment important.

    Jusqu’à midi on fait ce qu’on peut. Y en a qui lisent comme moi, d’autres qui sortent dans le parc parce qu’ils sont autorisés. Moi j’ai eu des permissions en ville, jpourrai rentrer chez moi si je voulais mais j’ai plus mes clés, mon portefeuille ou quoi. Ils m’ont tout pris, donc bon je reste là.

    La différence entre la psychiatrie et la prison. C’est qu’en prison t’as une peine, ça dure un certain temps. Ici en psychiatrie on a aucune idée de date de sortie. Et ça, c’est angoissant.

    C’est ce que j’essaye d’expliquer à ma responsable. Je comprends pas ce qu’ils veulent de moi. Je sais pas si je dois fermer ma gueule ou faire genre que je vais mieux. Apparemment il faudrait que je patiente. Le temps de comprendre ça, c’est déjà quelque chose.

    Moi ça me fait peur de rester ici jusqu’à la fin de ma vie. Ici je vois des vieux qui sont là depuis longtemps, je vois des gens qui sont là depuis 15 ans…

    En fonction de ton attitude quand t’arrives, d’abord t’as un entretien avec un médecin pendant 10 minutes qui évalue si on te met à l’isolement ou pas. Mais si t’arrives le week-end ou un jour férié y a pas de médecin disponible pour te recevoir, alors tu vas à l’isolement direct.

    Au début quand t’es à l’isolement, t’as le droit à 4 cigarettes par jour, en bâtiment fermé t’as 10 cigarettes, et en bâtiment ouvert, comme là où je suis, j’ai le droit de fumer comme je veux. Enfin en fonction de mes moyens donc je suis obligé de me limiter. Ici c’est la guerre des clopes, tout le monde en a besoin. Le troc marche pas mal à base de clopes.

    Quand t’es à l’isolement, la cigarette c’est un des trucs qui fait tenir. T’attends ta cigarette, t’essaies d’en profiter un maximum.

    La cuisine c’est un problème énorme ici. Dans tous les sens du terme. Y a beaucoup de gens qui ont des intoxications alimentaires parce que la chaîne du froid est pas respectée. Beaucoup de produits sont congelés ici et ils font pas attention.

    Ici y a un tout secteur qui s’appelle IS A 13, l’autre c’est l’ASM 13 (association mentale 13). En gros ici c’est l’hôpital psychiatrique du 13e arrondissement même s’il est en Essonne.

    Y a d’autres bâtiments dont je connais pas le nom, là où on n’a pas accès parce que c’est grillagé. Ça paraît plutôt inquiétant, on sent qu’il se passe des choses derrière la grille. Des fois y a des camions qui partent, y a aussi la police qui passe souvent dans les bâtiments fermés. Y a 2-3 jours une personne qui portait pas de masque a été contrôlée dehors, ils l’ont ramenée au bâtiment fermé parce qu’elle était sortie de psychiatrie quelques jours avant. Là ils viennent de la ramener en bâtiment « ouvert ».

    La première fois que ça m’est arrivé ce truc là d’enfermement, j’suis resté 1 mois et demi en bâtiment fermé.

    Ici on mange à 19h et après on me donne des médicaments. Après je m’endors direct, je fume une clope et jm’endors. À 21h30-45 on me redonne un somnifère qui est assez efficace et qui me permet de m’endormir. Et je me réveille le lendemain avec les gens à l’isolement qui tapent à la porte. Même si je dors, on me réveille a 21h30 pour me donner le somnifère. Ça m’a toujours fait halluciner mais je cherche plus à comprendre.

    Et c’est rien y a bien pire. J’ai vécu bien pire et je vois des cas où c’est très compliqué. Y des patients qui ont pas de visite, pas de courrier, pas de procédure pour faire appel devant la justice, qui ont toujours des médicaments ou qui sont dans des situations d’handicap qui les placent en situation de dépendance totale face à l’administration, à qui on parle comme à des demeurés. J’trouve ça inhumain comme ils traitent ces gens.

    Au niveau de la justice ici ça passe par le JLD. C’est le juge des libertés et détention. Simplement on arrive dans une salle d’attente. Ça m’est arrivé d’être convoqué au TGI pour des JLD de personnes que je connaissais. Le juge te dit selon tel article t’es vraiment malade mais il y connaît rien en médecine le juge. Le dernier JLD auquel j’ai assisté c’était dans une petite pièce. Y avait le juge, la greffière, le ministère public, mon avocat et moi. L’avocat m’a demandé ce qu’j’voulais, je lui ai demandé qu’on me libère. Je suis sorti de la pièce et j’ai reçu deux jours après par courrier des papiers me disant que j’étais prolongé.

    Le premier JLD j’ai pas pu y assister parce qu’ils m’ont placé à l’isolement à mon entrée à l’HP.

    On les voit quand ils sortent de la salle, ils sont tous copains. Le magistrat, l’avocate, la greffière, ils passent leur vie ensemble. L’avocate, le magistrat c’est plus à lui qu’elle a envie de plaire qu’à moi.

    En France la psychiatrie et la prison c’est la même chose.

    On continue de donner des nouvelles.

    Une personne enfermée aux Eaux-vives le 20.10.2020

  • Lettres reçues après la censure du journal 56 dans les prisons françaises

    Lettres reçues après la censure du journal 56 dans les prisons françaises

    Ces lettres sont arrivées après la sinistre nouvelle : le numéro 56 de L’Envolée est censuré par l’administration pénitentiaire, encore une fois. Pour rappel, le numéro 55 et le 52 avaient aussi eu le même traitement… Pour le 56, on en parle dans l’émission de fin janvier (que vous trouverez en cliquant ici).
    Passez le mot, dites nous si vous avez des retours des abonné.e.s de l’intérieur, ne les laissons pas seul.e.s face à l’administration pénitentiaire ! Et pour soutenir, abonnez-vous !

    23 janvier 2023, dans une prison française

    Salut L’Envolée, comment vous allez ? Bien j’espère. Moi ça peut aller, je lâche rien !
    Les matons sont venus reprendre le numéro 56 de L’Envolée, ils n’ont pas déboulé dans ma grotte mais ils ont ouvert la trappe de ma porte et ont réclamé le magazine. Ils m’ont montré une circulaire qui en gros disait qu’à cause de l’article qui pénave des matons qui sont passés en procès pour violence volontaire, le numéro 56 est censuré. Ils ont même réclamé les photocopies que le poto m’a envoyé qui n’avait rien à voir avec les matons ! C’était l’hommage à l’ami Romain, paix à son âme.

    C’est abusé, dès que L’Envolée retransmet un procès de matons, ils censurent le numéro… Vous les touchez là où ça leur fait mal ! Par contre, quand un détenu craque et les bouscule c’est les premiers à faire en sorte que tout le pays soit au courant et en plus ils tournent le truc à leur sauce, se placent en victimes pour réclamer des chiens, des taseurs, et des nouvelles pompes pour mieux nous écraser la tronche au sol ! Sérieux, je me demande quel traumatisme ils ont vécu dans leur enfance pour être comme ça à l’âge adulte, ils se sont fait tchourave leur goûter à l’école par plus balèze qu’eux ? C’est quoi, leur problème ? Déjà, pour enfermer des êtres humains dans neuf mètres carrés, ‘faut vraiment être taré ! Y en a marre de l’oppression de l’administration pénitentiaire, j’en ai marre de devoir faire ma peine qui est quand même longue en fonction de leur humeur ! On veut juste faire notre peine sereinement et sortir retrouver nos proches quand on en a. Pourquoi ils s’acharnent à nous torturer l’esprit et le corps, pourquoi ils nous assassinent ? Les juges nous condamnent et l’AP nous amène à l’échafaud ! On est entre les mains de sadiques remplis de frustrations et au QI d’une huitre !!!

    Bref.. Ils vont bloquer mon courrier si je les vexe… On lâche rien !



    Du fond d’une geôle de l’hexagone, janvier 2023

    Salam, shalom, que la paix soit sur vous, « L’Envolée » !

    Un cocktail de sentiments lorsque l’on tourne les pages de ces magazines, amoncellement de bribes de vie, de vérité, maillage de papier ô combien résistant d’une solidarité à l’ombre, caisse de résonance de la voie des années car condamnés, ô combien détestés par cette infâme institution qui s’alimente de la souffrance humaine.

    « L’Envolée » à son corps défendant et comme cet oiseau noir d’une intelligence rare que l’on considère à tort être de mauvaise augure !

    « L’Envolée » tel un corbeau porte l’ingéniosité, l’abnégation de la « populace » mais aussi ce sentiment particulier que l’on ressent avant d’apprendre de tristes nouvelles, comme une « mauvaise augure ».

    Merci à L’Envolée car peu importe la dureté de l’information, savoir est le premier pas nécessaire sur la route de la lutte.

    Grosse force aux familles qui ont perdu des proches victimes de la violence non pas aveugle mais au contraire consciemment appliquée, dirigée contre les humains sur qui ne souffle plus le vent de la liberté.

    Refus d’accès aux soins, coups, leur système tue et ils le savent. Une pensée pour le frérot Théo Sahna, décédé à Fresnes et dont le récit du décès fait par l’administration pénitentiaire est totalement contredit par les témoins. 

    Que dire de plus : ils n’ont pas apprécié que je prenne le stylo, alors voilà, puisqu’ils nous lisent, qu’il n’y ait aucune ambiguïté : entendez le vertige, Kundera dit « la voix du vide » c’est ici la voix de l’ombre, de ceux que vous souhaitez cacher, dissimuler.

    Le silence fracassant des coups de pieds dans les portes, des mots, des idées, qui sortent de derrière vos murs et auquel chacun peut se rattacher. Le silence turbulent dont seule la privation de liberté a le secret. Vous voulez interdire, censurer car vous connaissez la puissance des mots qui reflètent la vérité. 

    Du fin fond d’un QI à tous ceux que l’on appelle « personne détenue » mais qui pour eux ne sont personne si ce n’est un numéro d’écrou et un pécule. 

    Je vous dit, les humains, ne lâchez rien, on est ensemble, ne lâchez rien ! 

    Un jour de plus, un jour de moins, mais un jour de trop.

    En deçà du réel

  • Deux lettres de la Maison d’Arrêt de Caen pour y dénoncer les conditions infâmes d’enfermement

    Deux lettres de la Maison d’Arrêt de Caen pour y dénoncer les conditions infâmes d’enfermement

    Une lettre et un poème qu’on a reçu de la maison d’arrêt de Caen qui décrivent les mêmes horreurs quotidiennes que doivent y subir les prisonniers. On les avait lues et discutées dans l’émission du 7 octobre 2022 (à réécouter ici). On peut lire ici le texte qu’avait fait sortir des prisonniers de cette taule il y a un an pour rendre hommage à Youssef, mort entre ces murs, et auquel il est fait référence dans la première de ces lettres. On y lit aussi un petit aperçu de la censure du dernier numéro du journal et du prétexte qu’elle a offert aux matons pour mettre la pression. On sait que c’est bien la merde dans toutes les maisons d’arrêt mais ça fout quand même bien les boules de lire les abus quotidiens de la matonnerie. Force et courage à eux !

    3 juillet 2022, MA de Caen

    Gros big up à l’Envolée !

    J’écris depuis la maison d’arrêt de Caen (Duparge), l’omerta carcérale fait loi ici, comme dans la majorité des prisons en France. Mais ici on est un peu plus gâtés, laissez moi vous en raconter quelques-unes:

    • Les suicides, les matons fachos-fachés qui y poussent. On oublie pas le poto Youssef mort au 3ème étage du bâtiment Grande Galerie qui a été poussé à bout!
    • Des parloirs sans boxes ni séparation. Aucune intimité pour les familles, les tables sont espacées de 50cm entres elles, on doit gueuler pour s’entendre, surveillés par une matonne de des caméras.
    • On a ni UVF ni parloirs familiaux pouvoir profiter de nos proches avec un minimum d’intimité.
    • Les matons qui ouvrent les fenêtres des coursives pour fumer, les pigeons entrent. Les coursives et les escaliers sont couverts de merde de pigeon. Il y en a partout, pratiquement jusque dans la gamelle!
    • Des cours de promenade dégueulasses, avec un robinet pour tout le monde avec un mini filet d’eau calcaireuse imbuvables quand elle n’est pas coupée.. Un pissoir par promenade surveillé par caméra, toujours bouché. Les auxiliaires font avec les moyens du bord et se retrouvent à devoir les vider avec une éponge et un seau, c’est inhumain.
    • Pas de frigo parce que l’installation électrique est vétuste, on a droit de cantiner une glacière électrique (49.99 euros) pour ceux qui en ont les moyens!
    • L’ouverture des cellules à des heures pas possible pour les fouilles. Parfois c’est à 23h et quand ça leur dit ils le font à 6h du matin.
    • Les cabines téléphoniques sont tout le temps en panne et fonctionnent à moitié quand elles ne le sont pas.
    • Les bâtiments aux normes de 1945, la mentalité des matons date visiblement de la même période. Il n’y a que l’uniforme qui change.

    Et puis comme dans d’autres prisons, la censure du journal du mois de juin… Arrivée un peu tardivement ce qui nous a permis tout de même de lire l’article de Libre Flot. Mais voilà, mi-juin la censure est tombée et une fouille a été demandée pour chaque détenu abonné. Quelle belle surprise de rentrer de promenade et de voir la cellule retournée, comme s’ils cherchaient un portable ou des stups! Mais merde vous êtes si dangereux que ça les potos ? Lol.

    J’ai su par ma femme que d’autres prisons ont suivi, que les censures étaient tombées. Ça vient de la CGT pénit’ ?

    C’est dommage qu’ici on capte pas l’émission de radio. Alors on verra pour le prochain journal si on finit pas tous au mitard.. LOL

    3 juillet 2022, MA de Caen

    Je dis bonjour à l’Envolée

    Je voudrais qu’vous m’épauliez

    Je vais tout vous raconter

    Ça m’fait pas rigoler

    Oui ça nous sert la gamelle

    Oui ça nous prend pour des chiens

    Et t’as pas vu les matons

    Ils font les fachos toute l’année

    Moi j’ai bien analysé

    Eux ils n’aiment pas les arabes

    J’me rappelle j’ai cantiné

    Et ils ont enlevé tout mon rabe

    J’avais pris des Malboro

    Et beaucoup de Philip Morris

    Ils m’ont dit que c’était trop

    Je ne m’appelle pas Boris

    Et attends y’a la promenade

    Où y’a vraiment rien à faire

    Nous on fabrique des ballons

    Pour le moment ça fera l’affaire

    Si jamais tu veux pisser

    Dans la promenade le pissoir

    La vie d’ma mère c’est bouché

    Et c’est vraiment dérisoire

    Oh putain le robinet

    Qui s’trouve à l’opposé

    Moi j’ai connu des chaleurs

    Où il nétait pas allumé

    Moi j’avais ma bouteille d’eau

    Je pouvais pas la descendre

    Ils sont vraiment déterminés

    Ils veulent nous réduire en cendre

    Car ceci n’est pas le pire

    Ils veulent nous faire peur

    Et y’en a pour qui ça marche

    Je remonte de promenade

    Des pigeons dans l’batiment

    Et ça nous sert la gamelle

    Accompagnée de leurs excréments

    (Texte non fini pour l’Envolée. Je vous l’envoie dans l’urgence des conditions de détention que nous subissons)

  • La séparation des « proches » au quotidien : lettres d’Emma.V

    La séparation des « proches » au quotidien : lettres d’Emma.V

    L’administration pénitentiaire appelle « proches » les personnes qui soutiennent les enfermés jour après jour… mais elle les en éloigne systématiquement, parfois pour des années. Incarcérée aux Baumettes, Emma.V raconte la souffrance continue de cette séparation ; les quelques bouffées d’oxygène apportées par les parloirs, les UVF (Unités de vie familiale), les relais parents-enfants ou les perm n’enlèvent rien à la violence du retour en cellule.


    « Deux ans que je serai loin de mes princesses, jamais je ne vais me remettre d’une telle souffrance »

    Lettre lue à l’émission du 7 janvier 2022.

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

    Le 10 décembre 2021

    Bonjour L’Envolée,

    Je reçois avec plaisir votre petite carte, le petit rayon de soleil de la journée. À chaque fois que je reçois l’un de vos courriers je vous réponds aussitôt. [Du courrier s’est mystérieusement égaré.] Je me souviens que la dernière fois que j’avais reçu votre lettre, elle est partie dès le lendemain… Imaginez ici, on n’est même pas libre d’écrire librement !

    Pour répondre à votre carte, bien sûr que le mois de décembre est très dur… Ici tu dois supporter l’insupportable. En ce moment mon moral est à la baisse. Mes filles me manquent terriblement. Elles sont venues me voir le 1er décembre au relai parents-enfants, la seule chose qu’ils ont fait de bien ici, c’est une salle adaptée avec des jeux… J’étais heureuse de les voir bien sûr, mais quel sentiment de haine envers moi-même. Elles ont tellement grandi, j’ai tout loupé, j’ai mal, tellement mal à l’intérieur.

    Et ici aucun travail, très peu de formation même aucune ! Peu d’activités. J’en peux plus vraiment, après ici ils te parlent de réinsertion.

    Ça, plus tout ce que tu vis et vois au quotidien, je sais que ça me laissera d’énormes blessures intérieures. Je vous remercie du fond du cœur pour votre force et votre soutien. Comment voulez-vous, avec tout ça, ne pas lâcher l’affaire ?

    Le 18 décembre, deux ans que je serai loin de mes princesses. Jamais je ne vais me remettre d’une telle souffrance.

    Voilà.

    À très vite de vous relire, et surtout passez de bonnes fêtes de Noël et de fin d’année si je ne vous relis pas avant.

    Emma.V



    « Ce qui me détruit c’est à chaque fois que je vois mes filles, voir à quel point elles ont grandi »

    Lettre lue à l’émission du 1er avril 2022.

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

    Le 13 mars 2022

    Coucou L’Envolée !

    La détention détruit, l’enfermement te rend fragile, nerveuse. Des fois tu exploses pour un rien. C’est dur très dur. Ce qui me détruit en particulier c’est à chaque fois que je vois mes filles. Voir à quel point elles ont grandi. J’ai laissé un bébé de quatre mois et elle va avoir trois ans en mai. Imaginez. J’ai tout loupé… et ça, ça fait mal.

    J’ai bien eu mon UVF le 26 février, tout s’est bien passé. C’est là que je m’aperçois que mon mari est vraiment courageux. Les trois petites sont assez dures. Avec leur papa c’est des princesses donc elles n’écoutent pas grand-chose. Elles me manquent tellement.

    J’ai écrit à ma fille une carte d’anniversaire, elle ne l’a jamais reçue ! C’est dégueulasse !

    Voilà je vous remercie beaucoup à chaque fois de me mettre un timbre. Je galère tout le temps à en trouver. C’est horrible d’être démunie !

    À très vite,

    Emma.V


    « Ma place, ma vie n’est vraiment pas d’être dans cette prison de merde »

    Lettre lue à l’émission du 10 juin 2022.

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes

    Ma première permission

    Avril 2022

    Après deux ans et quatre mois d’enfermement, j’ai pu bénéficier d’une journée de permission. La première. 9h-19h une vraie bouffée d’oxygène. Une grande remise en question également. Quand on passe une journée dehors et que l’on doit revenir, le soir, on se rend compte que la liberté n’a pas de prix. Ma place, ma vie n’est vraiment pas d’être dans cette prison de merde.

    La dérention nous fait prendre conscience de nos erreurs certes, mais on est H24 en stress, le bruit des clefs, toute cette souffrance à l’intérieur de ces murs, cette violence verbale et psychique c’est horrible.

    J’ai l’impression d’avoir tout perdu et pourtant mon mari est toujours là, seul avec nos trois petites princesses. Elles me manquent tellement.

    Mai 2022

    Chaque matin, dès 7h, on est dans le stress. Les bruits des clefs arrivent. Ce bruit de clefs restera gravé dans notre tête, un bruit pour lequel on restera marquées.

    À peine réveillées il faut sortir notre poubelle. Parfois, un peu d’humanité un « bonjour », parfois rien.

    Supporter l’insupportable

    Certaines surveillantes respectent notre sommeil, d’autres nous allument la lumière en plein sommeil lors de leurs rondes : 23h, 3h, 6h. Pire que de la torture.

    Je suis épuisée d’ici, ça crie tout le temps le soir jusqu’à pas d’heure. Les filles s’insultent pour une cigarette ou du tabac. Une fatigue intérieure tellement profonde…

    Emma.V

    Dessin d’Emma.V, le15 février 2022.