Catégorie : Lettres

  • « En France, la psychiatrie et la prison c’est la même chose »

    « En France, la psychiatrie et la prison c’est la même chose »

    On avait pas encore publié cette lettre écrite en 2020 par une personne enfermée à l’Hôpital Psychiatrique des Eaux Vives en région parisienne. Dans notre émission et notre journal, on parle rarement de ces lieux d’enfermement car on y a moins de contacts. Mais ces paroles nous rappellent bien que les HP sont aussi des prisons où on subit un enfermement contraint, encadré par la justice et où le quotidien est soumis à l’arbitraire d’une administration. Force à toutes les personnes psychiatrisées sous contrainte et leurs proches. Continuons de faire sortir la parole de ces lieux et de soutenir celles et ceux qui y sont enfermées.

    Salut l’Envolée,

    Déjà quand t’arrives ici en HP ça commence par le déshabillage et ça c’est humiliant. Y a l’isolement aussi qui est une forme de torture psy. Y en a beaucoup d’autres ici (des formes de tortures) comme la contention où ils te ligotent – le mot est faible, c’est comme une camisole.

    Y a une chambre qui s’appelle la cellule d’isolement et après y a une camisole chimique qui peut avoir lieu.

    Y a un autre truc qui s’appelle le patch et genre on t’immobilise et tu peux plus bouger, t’es attaché a un lit. Moi ils m’ont fait ça pendant 20 minutes, j’avais peur qu’ils m’abandonnent là. C’est tous leurs outils pour la torture.

    Quand t’arrives ici à l’hôpital le premier truc qu’ils te font c’est te mettre à poil pour vérifier que t’as pas de drogue ou quoi que ce soit. Et après ils te filent une tunique ou un pyjama où on se sent complètement à poil. Parce que les médecins et infirmières et les anciens patients, eux sont habillés. C’est humiliant et ça crée un truc par rapport aux autres patients, ça met une distance.

    J’trouve ça absurde qu’on condamne les gens parce qu’ils sont malades.

    À chaque fois que je suis hospitalisé ou interné, ma grand mère m’envoie des cartes postales. Et ça, ça fait très plaisir. Dès qu’on est enfermé, la première chose qu’on fait c’est rédiger un papier pour le juge ou écrire un papier à sa femme ou sa famille. J’ai vu des gens qui arrivaient là dedans (en hôpital psychiatrique), la première chose qu’ils faisaient c’était de rédiger un testament.

    Souvent le fait que les gens sont internés, on pense directement à la folie. Mais souvent c’est lié à des événements extérieurs  : situation économique, familiale ou de société.

    Ici, pour vous décrire comment ça se passe. T’as une petite chambre avec une petite table, une chaise et un lit. C’est pas un hôtel F1 c’est sûr.. Y a des toilettes mais y a pas de douche. Ici c’est mal isolé. Ma chambre donne sur un couloir. A gauche y a un côté où à une époque ils avaient mis tous les gens qui avaient attrapé le covid.

    À côté de ma chambre, y a la cellule d’isolement. Là, y a un mec qui a été, comment dire, peut être pas neutralisé, mais violenté par les infirmiers parce qu’il était réticent à leur obéir. Là, il est enfermé à l’isolement on sait pas pour combien de temps. Lui il crie derrière la porte qu’on le torture et il demande à voir les surveillants… J’essaye d’aller lui parler à travers la porte pour le rassurer. Je comprends qu’il soit pas bien.. Moi quand je suis arrivé ici, je me suis réveillé et je savais pas ce que je foutais là.

    La journée ici : normalement on te réveille à 7h pour aller à la douche. Mais moi j’ai obtenu de me lever à 8h. Et j’arrive pas utiliser leurs douches. L’hygiène c’est important c’est sûr, mais ici y a pas d’intimité. Y a une douche pour 20 personnes, je vais pas faire la queue en slip avec un savon.

    Le petit dej c’est un beurre président, confiture, du pain. C’est le premier truc qui se passe dans la journée. C’est un moment important.

    Jusqu’à midi on fait ce qu’on peut. Y en a qui lisent comme moi, d’autres qui sortent dans le parc parce qu’ils sont autorisés. Moi j’ai eu des permissions en ville, jpourrai rentrer chez moi si je voulais mais j’ai plus mes clés, mon portefeuille ou quoi. Ils m’ont tout pris, donc bon je reste là.

    La différence entre la psychiatrie et la prison. C’est qu’en prison t’as une peine, ça dure un certain temps. Ici en psychiatrie on a aucune idée de date de sortie. Et ça, c’est angoissant.

    C’est ce que j’essaye d’expliquer à ma responsable. Je comprends pas ce qu’ils veulent de moi. Je sais pas si je dois fermer ma gueule ou faire genre que je vais mieux. Apparemment il faudrait que je patiente. Le temps de comprendre ça, c’est déjà quelque chose.

    Moi ça me fait peur de rester ici jusqu’à la fin de ma vie. Ici je vois des vieux qui sont là depuis longtemps, je vois des gens qui sont là depuis 15 ans…

    En fonction de ton attitude quand t’arrives, d’abord t’as un entretien avec un médecin pendant 10 minutes qui évalue si on te met à l’isolement ou pas. Mais si t’arrives le week-end ou un jour férié y a pas de médecin disponible pour te recevoir, alors tu vas à l’isolement direct.

    Au début quand t’es à l’isolement, t’as le droit à 4 cigarettes par jour, en bâtiment fermé t’as 10 cigarettes, et en bâtiment ouvert, comme là où je suis, j’ai le droit de fumer comme je veux. Enfin en fonction de mes moyens donc je suis obligé de me limiter. Ici c’est la guerre des clopes, tout le monde en a besoin. Le troc marche pas mal à base de clopes.

    Quand t’es à l’isolement, la cigarette c’est un des trucs qui fait tenir. T’attends ta cigarette, t’essaies d’en profiter un maximum.

    La cuisine c’est un problème énorme ici. Dans tous les sens du terme. Y a beaucoup de gens qui ont des intoxications alimentaires parce que la chaîne du froid est pas respectée. Beaucoup de produits sont congelés ici et ils font pas attention.

    Ici y a un tout secteur qui s’appelle IS A 13, l’autre c’est l’ASM 13 (association mentale 13). En gros ici c’est l’hôpital psychiatrique du 13e arrondissement même s’il est en Essonne.

    Y a d’autres bâtiments dont je connais pas le nom, là où on n’a pas accès parce que c’est grillagé. Ça paraît plutôt inquiétant, on sent qu’il se passe des choses derrière la grille. Des fois y a des camions qui partent, y a aussi la police qui passe souvent dans les bâtiments fermés. Y a 2-3 jours une personne qui portait pas de masque a été contrôlée dehors, ils l’ont ramenée au bâtiment fermé parce qu’elle était sortie de psychiatrie quelques jours avant. Là ils viennent de la ramener en bâtiment « ouvert ».

    La première fois que ça m’est arrivé ce truc là d’enfermement, j’suis resté 1 mois et demi en bâtiment fermé.

    Ici on mange à 19h et après on me donne des médicaments. Après je m’endors direct, je fume une clope et jm’endors. À 21h30-45 on me redonne un somnifère qui est assez efficace et qui me permet de m’endormir. Et je me réveille le lendemain avec les gens à l’isolement qui tapent à la porte. Même si je dors, on me réveille a 21h30 pour me donner le somnifère. Ça m’a toujours fait halluciner mais je cherche plus à comprendre.

    Et c’est rien y a bien pire. J’ai vécu bien pire et je vois des cas où c’est très compliqué. Y des patients qui ont pas de visite, pas de courrier, pas de procédure pour faire appel devant la justice, qui ont toujours des médicaments ou qui sont dans des situations d’handicap qui les placent en situation de dépendance totale face à l’administration, à qui on parle comme à des demeurés. J’trouve ça inhumain comme ils traitent ces gens.

    Au niveau de la justice ici ça passe par le JLD. C’est le juge des libertés et détention. Simplement on arrive dans une salle d’attente. Ça m’est arrivé d’être convoqué au TGI pour des JLD de personnes que je connaissais. Le juge te dit selon tel article t’es vraiment malade mais il y connaît rien en médecine le juge. Le dernier JLD auquel j’ai assisté c’était dans une petite pièce. Y avait le juge, la greffière, le ministère public, mon avocat et moi. L’avocat m’a demandé ce qu’j’voulais, je lui ai demandé qu’on me libère. Je suis sorti de la pièce et j’ai reçu deux jours après par courrier des papiers me disant que j’étais prolongé.

    Le premier JLD j’ai pas pu y assister parce qu’ils m’ont placé à l’isolement à mon entrée à l’HP.

    On les voit quand ils sortent de la salle, ils sont tous copains. Le magistrat, l’avocate, la greffière, ils passent leur vie ensemble. L’avocate, le magistrat c’est plus à lui qu’elle a envie de plaire qu’à moi.

    En France la psychiatrie et la prison c’est la même chose.

    On continue de donner des nouvelles.

    Une personne enfermée aux Eaux-vives le 20.10.2020

  • Lettres reçues après la censure du journal 56 dans les prisons françaises

    Lettres reçues après la censure du journal 56 dans les prisons françaises

    Ces lettres sont arrivées après la sinistre nouvelle : le numéro 56 de L’Envolée est censuré par l’administration pénitentiaire, encore une fois. Pour rappel, le numéro 55 et le 52 avaient aussi eu le même traitement… Pour le 56, on en parle dans l’émission de fin janvier (que vous trouverez en cliquant ici).
    Passez le mot, dites nous si vous avez des retours des abonné.e.s de l’intérieur, ne les laissons pas seul.e.s face à l’administration pénitentiaire ! Et pour soutenir, abonnez-vous !

    23 janvier 2023, dans une prison française

    Salut L’Envolée, comment vous allez ? Bien j’espère. Moi ça peut aller, je lâche rien !
    Les matons sont venus reprendre le numéro 56 de L’Envolée, ils n’ont pas déboulé dans ma grotte mais ils ont ouvert la trappe de ma porte et ont réclamé le magazine. Ils m’ont montré une circulaire qui en gros disait qu’à cause de l’article qui pénave des matons qui sont passés en procès pour violence volontaire, le numéro 56 est censuré. Ils ont même réclamé les photocopies que le poto m’a envoyé qui n’avait rien à voir avec les matons ! C’était l’hommage à l’ami Romain, paix à son âme.

    C’est abusé, dès que L’Envolée retransmet un procès de matons, ils censurent le numéro… Vous les touchez là où ça leur fait mal ! Par contre, quand un détenu craque et les bouscule c’est les premiers à faire en sorte que tout le pays soit au courant et en plus ils tournent le truc à leur sauce, se placent en victimes pour réclamer des chiens, des taseurs, et des nouvelles pompes pour mieux nous écraser la tronche au sol ! Sérieux, je me demande quel traumatisme ils ont vécu dans leur enfance pour être comme ça à l’âge adulte, ils se sont fait tchourave leur goûter à l’école par plus balèze qu’eux ? C’est quoi, leur problème ? Déjà, pour enfermer des êtres humains dans neuf mètres carrés, ‘faut vraiment être taré ! Y en a marre de l’oppression de l’administration pénitentiaire, j’en ai marre de devoir faire ma peine qui est quand même longue en fonction de leur humeur ! On veut juste faire notre peine sereinement et sortir retrouver nos proches quand on en a. Pourquoi ils s’acharnent à nous torturer l’esprit et le corps, pourquoi ils nous assassinent ? Les juges nous condamnent et l’AP nous amène à l’échafaud ! On est entre les mains de sadiques remplis de frustrations et au QI d’une huitre !!!

    Bref.. Ils vont bloquer mon courrier si je les vexe… On lâche rien !



    Du fond d’une geôle de l’hexagone, janvier 2023

    Salam, shalom, que la paix soit sur vous, « L’Envolée » !

    Un cocktail de sentiments lorsque l’on tourne les pages de ces magazines, amoncellement de bribes de vie, de vérité, maillage de papier ô combien résistant d’une solidarité à l’ombre, caisse de résonance de la voie des années car condamnés, ô combien détestés par cette infâme institution qui s’alimente de la souffrance humaine.

    « L’Envolée » à son corps défendant et comme cet oiseau noir d’une intelligence rare que l’on considère à tort être de mauvaise augure !

    « L’Envolée » tel un corbeau porte l’ingéniosité, l’abnégation de la « populace » mais aussi ce sentiment particulier que l’on ressent avant d’apprendre de tristes nouvelles, comme une « mauvaise augure ».

    Merci à L’Envolée car peu importe la dureté de l’information, savoir est le premier pas nécessaire sur la route de la lutte.

    Grosse force aux familles qui ont perdu des proches victimes de la violence non pas aveugle mais au contraire consciemment appliquée, dirigée contre les humains sur qui ne souffle plus le vent de la liberté.

    Refus d’accès aux soins, coups, leur système tue et ils le savent. Une pensée pour le frérot Théo Sahna, décédé à Fresnes et dont le récit du décès fait par l’administration pénitentiaire est totalement contredit par les témoins. 

    Que dire de plus : ils n’ont pas apprécié que je prenne le stylo, alors voilà, puisqu’ils nous lisent, qu’il n’y ait aucune ambiguïté : entendez le vertige, Kundera dit « la voix du vide » c’est ici la voix de l’ombre, de ceux que vous souhaitez cacher, dissimuler.

    Le silence fracassant des coups de pieds dans les portes, des mots, des idées, qui sortent de derrière vos murs et auquel chacun peut se rattacher. Le silence turbulent dont seule la privation de liberté a le secret. Vous voulez interdire, censurer car vous connaissez la puissance des mots qui reflètent la vérité. 

    Du fin fond d’un QI à tous ceux que l’on appelle « personne détenue » mais qui pour eux ne sont personne si ce n’est un numéro d’écrou et un pécule. 

    Je vous dit, les humains, ne lâchez rien, on est ensemble, ne lâchez rien ! 

    Un jour de plus, un jour de moins, mais un jour de trop.

    En deçà du réel

  • Deux lettres de la Maison d’Arrêt de Caen pour y dénoncer les conditions infâmes d’enfermement

    Deux lettres de la Maison d’Arrêt de Caen pour y dénoncer les conditions infâmes d’enfermement

    Une lettre et un poème qu’on a reçu de la maison d’arrêt de Caen qui décrivent les mêmes horreurs quotidiennes que doivent y subir les prisonniers. On les avait lues et discutées dans l’émission du 7 octobre 2022 (à réécouter ici). On peut lire ici le texte qu’avait fait sortir des prisonniers de cette taule il y a un an pour rendre hommage à Youssef, mort entre ces murs, et auquel il est fait référence dans la première de ces lettres. On y lit aussi un petit aperçu de la censure du dernier numéro du journal et du prétexte qu’elle a offert aux matons pour mettre la pression. On sait que c’est bien la merde dans toutes les maisons d’arrêt mais ça fout quand même bien les boules de lire les abus quotidiens de la matonnerie. Force et courage à eux !

    3 juillet 2022, MA de Caen

    Gros big up à l’Envolée !

    J’écris depuis la maison d’arrêt de Caen (Duparge), l’omerta carcérale fait loi ici, comme dans la majorité des prisons en France. Mais ici on est un peu plus gâtés, laissez moi vous en raconter quelques-unes:

    • Les suicides, les matons fachos-fachés qui y poussent. On oublie pas le poto Youssef mort au 3ème étage du bâtiment Grande Galerie qui a été poussé à bout!
    • Des parloirs sans boxes ni séparation. Aucune intimité pour les familles, les tables sont espacées de 50cm entres elles, on doit gueuler pour s’entendre, surveillés par une matonne de des caméras.
    • On a ni UVF ni parloirs familiaux pouvoir profiter de nos proches avec un minimum d’intimité.
    • Les matons qui ouvrent les fenêtres des coursives pour fumer, les pigeons entrent. Les coursives et les escaliers sont couverts de merde de pigeon. Il y en a partout, pratiquement jusque dans la gamelle!
    • Des cours de promenade dégueulasses, avec un robinet pour tout le monde avec un mini filet d’eau calcaireuse imbuvables quand elle n’est pas coupée.. Un pissoir par promenade surveillé par caméra, toujours bouché. Les auxiliaires font avec les moyens du bord et se retrouvent à devoir les vider avec une éponge et un seau, c’est inhumain.
    • Pas de frigo parce que l’installation électrique est vétuste, on a droit de cantiner une glacière électrique (49.99 euros) pour ceux qui en ont les moyens!
    • L’ouverture des cellules à des heures pas possible pour les fouilles. Parfois c’est à 23h et quand ça leur dit ils le font à 6h du matin.
    • Les cabines téléphoniques sont tout le temps en panne et fonctionnent à moitié quand elles ne le sont pas.
    • Les bâtiments aux normes de 1945, la mentalité des matons date visiblement de la même période. Il n’y a que l’uniforme qui change.

    Et puis comme dans d’autres prisons, la censure du journal du mois de juin… Arrivée un peu tardivement ce qui nous a permis tout de même de lire l’article de Libre Flot. Mais voilà, mi-juin la censure est tombée et une fouille a été demandée pour chaque détenu abonné. Quelle belle surprise de rentrer de promenade et de voir la cellule retournée, comme s’ils cherchaient un portable ou des stups! Mais merde vous êtes si dangereux que ça les potos ? Lol.

    J’ai su par ma femme que d’autres prisons ont suivi, que les censures étaient tombées. Ça vient de la CGT pénit’ ?

    C’est dommage qu’ici on capte pas l’émission de radio. Alors on verra pour le prochain journal si on finit pas tous au mitard.. LOL

    3 juillet 2022, MA de Caen

    Je dis bonjour à l’Envolée

    Je voudrais qu’vous m’épauliez

    Je vais tout vous raconter

    Ça m’fait pas rigoler

    Oui ça nous sert la gamelle

    Oui ça nous prend pour des chiens

    Et t’as pas vu les matons

    Ils font les fachos toute l’année

    Moi j’ai bien analysé

    Eux ils n’aiment pas les arabes

    J’me rappelle j’ai cantiné

    Et ils ont enlevé tout mon rabe

    J’avais pris des Malboro

    Et beaucoup de Philip Morris

    Ils m’ont dit que c’était trop

    Je ne m’appelle pas Boris

    Et attends y’a la promenade

    Où y’a vraiment rien à faire

    Nous on fabrique des ballons

    Pour le moment ça fera l’affaire

    Si jamais tu veux pisser

    Dans la promenade le pissoir

    La vie d’ma mère c’est bouché

    Et c’est vraiment dérisoire

    Oh putain le robinet

    Qui s’trouve à l’opposé

    Moi j’ai connu des chaleurs

    Où il nétait pas allumé

    Moi j’avais ma bouteille d’eau

    Je pouvais pas la descendre

    Ils sont vraiment déterminés

    Ils veulent nous réduire en cendre

    Car ceci n’est pas le pire

    Ils veulent nous faire peur

    Et y’en a pour qui ça marche

    Je remonte de promenade

    Des pigeons dans l’batiment

    Et ça nous sert la gamelle

    Accompagnée de leurs excréments

    (Texte non fini pour l’Envolée. Je vous l’envoie dans l’urgence des conditions de détention que nous subissons)

  • La séparation des « proches » au quotidien : lettres d’Emma.V

    La séparation des « proches » au quotidien : lettres d’Emma.V

    L’administration pénitentiaire appelle « proches » les personnes qui soutiennent les enfermés jour après jour… mais elle les en éloigne systématiquement, parfois pour des années. Incarcérée aux Baumettes, Emma.V raconte la souffrance continue de cette séparation ; les quelques bouffées d’oxygène apportées par les parloirs, les UVF (Unités de vie familiale), les relais parents-enfants ou les perm n’enlèvent rien à la violence du retour en cellule.


    « Deux ans que je serai loin de mes princesses, jamais je ne vais me remettre d’une telle souffrance »

    Lettre lue à l’émission du 7 janvier 2022.

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

    Le 10 décembre 2021

    Bonjour L’Envolée,

    Je reçois avec plaisir votre petite carte, le petit rayon de soleil de la journée. À chaque fois que je reçois l’un de vos courriers je vous réponds aussitôt. [Du courrier s’est mystérieusement égaré.] Je me souviens que la dernière fois que j’avais reçu votre lettre, elle est partie dès le lendemain… Imaginez ici, on n’est même pas libre d’écrire librement !

    Pour répondre à votre carte, bien sûr que le mois de décembre est très dur… Ici tu dois supporter l’insupportable. En ce moment mon moral est à la baisse. Mes filles me manquent terriblement. Elles sont venues me voir le 1er décembre au relai parents-enfants, la seule chose qu’ils ont fait de bien ici, c’est une salle adaptée avec des jeux… J’étais heureuse de les voir bien sûr, mais quel sentiment de haine envers moi-même. Elles ont tellement grandi, j’ai tout loupé, j’ai mal, tellement mal à l’intérieur.

    Et ici aucun travail, très peu de formation même aucune ! Peu d’activités. J’en peux plus vraiment, après ici ils te parlent de réinsertion.

    Ça, plus tout ce que tu vis et vois au quotidien, je sais que ça me laissera d’énormes blessures intérieures. Je vous remercie du fond du cœur pour votre force et votre soutien. Comment voulez-vous, avec tout ça, ne pas lâcher l’affaire ?

    Le 18 décembre, deux ans que je serai loin de mes princesses. Jamais je ne vais me remettre d’une telle souffrance.

    Voilà.

    À très vite de vous relire, et surtout passez de bonnes fêtes de Noël et de fin d’année si je ne vous relis pas avant.

    Emma.V



    « Ce qui me détruit c’est à chaque fois que je vois mes filles, voir à quel point elles ont grandi »

    Lettre lue à l’émission du 1er avril 2022.

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

    Le 13 mars 2022

    Coucou L’Envolée !

    La détention détruit, l’enfermement te rend fragile, nerveuse. Des fois tu exploses pour un rien. C’est dur très dur. Ce qui me détruit en particulier c’est à chaque fois que je vois mes filles. Voir à quel point elles ont grandi. J’ai laissé un bébé de quatre mois et elle va avoir trois ans en mai. Imaginez. J’ai tout loupé… et ça, ça fait mal.

    J’ai bien eu mon UVF le 26 février, tout s’est bien passé. C’est là que je m’aperçois que mon mari est vraiment courageux. Les trois petites sont assez dures. Avec leur papa c’est des princesses donc elles n’écoutent pas grand-chose. Elles me manquent tellement.

    J’ai écrit à ma fille une carte d’anniversaire, elle ne l’a jamais reçue ! C’est dégueulasse !

    Voilà je vous remercie beaucoup à chaque fois de me mettre un timbre. Je galère tout le temps à en trouver. C’est horrible d’être démunie !

    À très vite,

    Emma.V


    « Ma place, ma vie n’est vraiment pas d’être dans cette prison de merde »

    Lettre lue à l’émission du 10 juin 2022.

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes

    Ma première permission

    Avril 2022

    Après deux ans et quatre mois d’enfermement, j’ai pu bénéficier d’une journée de permission. La première. 9h-19h une vraie bouffée d’oxygène. Une grande remise en question également. Quand on passe une journée dehors et que l’on doit revenir, le soir, on se rend compte que la liberté n’a pas de prix. Ma place, ma vie n’est vraiment pas d’être dans cette prison de merde.

    La dérention nous fait prendre conscience de nos erreurs certes, mais on est H24 en stress, le bruit des clefs, toute cette souffrance à l’intérieur de ces murs, cette violence verbale et psychique c’est horrible.

    J’ai l’impression d’avoir tout perdu et pourtant mon mari est toujours là, seul avec nos trois petites princesses. Elles me manquent tellement.

    Mai 2022

    Chaque matin, dès 7h, on est dans le stress. Les bruits des clefs arrivent. Ce bruit de clefs restera gravé dans notre tête, un bruit pour lequel on restera marquées.

    À peine réveillées il faut sortir notre poubelle. Parfois, un peu d’humanité un « bonjour », parfois rien.

    Supporter l’insupportable

    Certaines surveillantes respectent notre sommeil, d’autres nous allument la lumière en plein sommeil lors de leurs rondes : 23h, 3h, 6h. Pire que de la torture.

    Je suis épuisée d’ici, ça crie tout le temps le soir jusqu’à pas d’heure. Les filles s’insultent pour une cigarette ou du tabac. Une fatigue intérieure tellement profonde…

    Emma.V

    Dessin d’Emma.V, le15 février 2022.
  • Mourir à petit feu : trois lettres de prisonnier·e·s longues peines

    Mourir à petit feu : trois lettres de prisonnier·e·s longues peines

    Trois prisonnier·e·s condamné·e·s à de longues peines disent le temps qui détruit leur vie et celle des autres prisonnier·e·s, ces peines interminables qui dissipent tout idée de « réinsertion », mais surtout, qui tuent à petit feu, anéantissent les facultés physiques et intellectuelles. Cesario en arrive même à interpeller les institutions de l’État pour revendiquer le droit à mourir – comme les dix prisonniers de la centrale de Clairvaux qui écrivaient le 16 janvier 2006 :

    "À ceux de l'extérieur osant affirmer que la peine de mort est abolie. Silence ! On achève bien les chevaux ! Nous, les emmurés vivants à perpétuité du centre pénitentiaire le plus sécuritaire de France (dont aucun de nous ne vaut un Papon), nous en appelons au rétablissement effectif de la peine de mort pour nous."

    La guillotine certes n’existe plus ; mais la peine de prison à vie, c’est-à-dire de prison jusqu’à la mort, l’a remplacée à coups « de mois qui paraissent être un an » comme l’écrit Céline ci-dessous, avec un tranchant tout aussi morbide. Ces courriers font hélas écho aux dits et écrits de prisonnier·e·s rassemblés dans le livre La peine de mort n’a jamais été abolie.


    « La vie continue, mais nous, on stagne au jour de notre incarcération »

    Lettre de Céline

    Publiée dans le numéro 55 de L’Envolée, et lue à l’antenne le 4 février 2022.

    Centre de détention de Rennes,

    Le 19 mars 2022

    Salut l’équipe,

    J’ai encore dix longues années à tenir dans ces lieux. J’en ai effectué que deux et demi sur les seize ans de départ. Je ne serai aménageable qu’en 2026. Le temps est long. Dans ces lieux, un mois paraît être un an, alors je mets à profit ce temps pour comprendre ce qui m’a conduit ici et pour « préparer » tant bien que mal ma sortie.

    Cela fait un an que je suis à Rennes (avant j’étais à la maison d’arrêt pour femmes de Limoges), le plus grand centre de détention pour femmes de France et apparemment d’Europe. Laissez-moi rire. L’administration pénitentiaire est pire que ce que j’ai connu en maison d’arrêt. Voilà deux semaines que j’attends pour enregistrer un numéro de téléphone, cinq mois d’attente et certainement plus pour un droit de visite. Des demandes sans réponses. On m’avait dit, avant mon transfert : « les numéros de téléphone suivent ». Et bien ici, non. Alors qu’à Fresnes, à Jullouville, à Poitiers, et j’en passe, ça suit. Quand je parle aux filles qui ont connu d’autres maisons d’arrêt, d’autres centres de détention, dès lors qu’on est condamné, on n’a plus besoin de fournir de factures pour enregistrer les numéros. Mais ici il le faut. C’est incompréhensible.

    En ce qui concerne le taf, il n’y a pas de travail pour toutes. Il y a une vingtaine de places au façonnage où l’on fait du travail à la pièce, coller des blocs sur des pochettes, plier des documents pour faire des pochettes à rabats ou des dossiers, faire des disques stationnement, enrouler des affiches pour des magasins, mettre des documents sous film. Il y a environ quarante places à la confection : draps, serviettes pour les prisons, uniformes pour les matons, matelas, et quelques commandes pour des entreprises privées. Ensuite, il y a les auxi pour le repas, le ménage, la désinfection. Ensuite, il y a la cuisine et deux ou trois filles pour les cantines. Il y a deux ou trois formations rémunérées. Pour les autres, ce sera soit l’indigence, soit des personnes à l’extérieur s’il nous en reste, quand elles peuvent et qu’elles nous font des virements.

    Comment s’intégrer dans notre famille quand on est au téléphone ?

    Il faut un projet pour la sortie, mais comment mettre un projet en route quand on n’a pas les formations nécessaires ? Comment se renseigner quand on n’a pas accès aux informations ? Quand je vois des filles qui sont là depuis dix, quinze, vingt ans, comment les réinsérer dans un monde qui a totalement changé ? Ces filles qui n’ont pas connu internet et les téléphones portables, comment vont elles être autonomes et se servir de ces technologies qui sont tellement importantes aujourd’hui et pour lesquelles elles ne connaissent rien ? Ça me fait peur pour elles, mais aussi pour moi : dans dix ans, tout aura changé. C’est la vie ! Comment s’intégrer dans notre famille quand on est au téléphone ?

    Dehors la vie continue, mais nous on stagne au jour de notre incarcération. Oui, la sortie me fait plus peur que de rester ici, mais pourtant j’ai un désir beaucoup plus grand d’être libre. C’est paradoxal et difficile à vivre.

    En ce qui concerne le CGLPL (Contrôleur général des lieux de privation de liberté), on se tourne vers eux mais si on sait que ça sert à rien, mais surtout parce qu’on ne sait pas vers qui se tourner pour revendiquer ce qui nous semble injuste, ignoble. Alors on écrit au CGLPL ou à l’OIP (Observatoire international des prisons). Si les gens savaient vraiment ce que l’on vit, ce que l’on paie, et le prix, ce que l’on touche… Même ça, est ce que ça aurait un impact ?

    Céline


    « Des vieux que l’on a laissés crever »

    Lettre lue à l’antenne le 10 juin 2022.

    Centre de détention de Bédenac,

    Mai 2022

    Bonjour,

    Je suis dans la prison où il y a eu pas mal de problèmes, avec des vieux que l’on a laissé crever. J’ai vu ce qu’il y a de pire. Et aujourd’hui encore, exemples :

    • un codétenu cardiaque, avec les poumons foutus, et un demi-cœur qui fonctionne, qui n’a aucun suivi depuis un an qu’il est ici
    • un autre, polytraumatisé, avec le cerveau d’un enfant enfermé sans suivi

    Et le pire, c’est que le SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) ne sert à rien, le médical c’est du n’importe quoi depuis que le médecin que l’on avait est parti. Pour savoir ce qu’il s’est passé, vous n’avez qu’à regarder sur le net : Bédenac, CGLPL, « maltraitrance sur les personnes âgées ». Je fais partie de principaux donneurs d’alerte au CGLPL, avec aussi l’ancien médecin du site. J’appelais tous les jours le CGLPL, et avec des courriers de suivi. Du coup, après cette visite de contrôle, du CGLPL, je vous explique pas, je suis très mal vu de la direction. Heureusement que les surveillants me comprennent, sauf deux ou trois qui n’ont rien compris. Mais si je devais recommencer, je le ferai car c’est inhumain ce qu’il se passe. On a été condamnés à la prison, pas à la peine de mort ! C’est que, ici, on peut se poser la question.

    Dans ce pays, il y a un sacré nombre de fachos !

    Vous savez, un autre exemple : un détenu qui me traite de « sale juif », qui fait des saluts nazis, des propos insultants sur les juifs. Et là, personne ne fait rien ! On le laisse faire. Pas besoin de se demander pour qui vote la direction de cette taule. Il ne fait pas bon être juif et étranger ici.

    En gros, c’est la merde totale, sauf les cellules et les bâtiments. En fait, c’est comme les bonbons à l’orange sanguine : l’emballage est beau, mais sans l’emballage c’est amer. C’est pour cela que je n’en peux plus. Je suis triste de cette vie et de ce monde qu’on laisse à nos enfants. On nous abreuve d’informations de guerre, de haine. Dans ce pays, il y a un sacré nombre de fachos ! Et tous ces gens qui crèvent dans le monde de faim, de la guerre, quelle honte !

    Je vous remercie pour votre réponse, à bientôt.


    « La peine de mort ayant été abolie en 1981, une peine de détention jusqu’à la mort a remplacé celle-ci dans les faits »

    Lettre de Cesario

    Lettre lue à l’antenne le 17 juin 2022.

    Dans une prison du sud de la France, quartier d’isolement,

    Mai 2022

    À mesdames et messieurs les représentants de la nation française, élu·e·s aux élections législatives de juin 2022,

    Je rédige ce courrier depuis la cellule d’un quartier d’isolement d’un centre pénitentiaire du sud de la France. J’ai écrit précédemment plusieurs courriers aux différents ministres de la Justice successifs. Au dernier en poste aussi, après la visite qu’il a effectué dans cet établissement quelques semaines en arrière, sans un regard sur ce quartier d’isolement situé à 50 mètres à peine de son parcours balisé ! J’écris donc ce jour à ceux qui véritablement s’intéressent et s’investissent réellement dans la défense des droits et conditions de vie en détention, comme l’OIP-SF et le trimestriel Dedans-dehors, que je lis depuis de nombreuses années. Si ma lettre paraît, vous en prendrez connaissance. La CGLPL recevra une copie de ce courrier. Nous sommes actuellement 501 détenus condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité en France. Pour certains, les plus anciens, la fin de vie est proche mais leur état physique ne leur permet pas une libération, ils attendent la mort dans les « EPHAD » pénitentiaires.

    Tous savent, et moi le premier, que je n’ai désormais plus aucune perspective d’avenir en liberté

    Pour d’autres, dont je fais partie, nous sommes encore en bonne santé apparente. Mon cas personnel est tout de même atypique. Condamné en 1988 à la réclusion criminelle à perpétuité pour des faits datant de 1986. Je fus libéré deux fois en libération conditionnelle, en 2007 puis une seconde fois en mars 2019. En novembre 2019 j’étais à nouveau réincarcéré et je viens de voir ma conditionnelle révoquée en totalité. Sans rentrer dans les détails, tous savent, et moi le premier, que je n’ai désormais plus aucune perspective d’avenir en liberté. À 62 ans et trente-huit années de détention effectives, je souhaite comme certains autres détenus ayant mon profil de peine, que nous soient accordé le droit de partir en bon état, en utilisant un procédé létal et légal de fin de vie. Je suis encore en capacité de faire ce choix, et vous élus du peuple, êtes en capacité de faire adopter une loi le permettant. La peine de mort ayant été abolie en 1981, une peine de détention jusqu’à la mort a remplacé celle-ci dans les faits.

    Vous pouvez l’ignorer, mais c’est un fait établi dont personne ne parle. N’attendez pas comme d’habitude qu’un très grave fait divers intramuros vous oblige, sous la pression médiatique, à vous pencher sur ce dossier de la fin de vie des très, très longues peines. J’en terminerai en citant Cioran :

    "Je ne vis que parce qu'il est en mon pouvoir de mourir quand bon me semblera : sans l'idée de suicide, je me serais tué depuis toujours."

    Salutations à toutes et tous,

    Cesario

  • Expérimentations sécuritaires et violences pénitentiaires : lettres sur le QI et le mitard

    Expérimentations sécuritaires et violences pénitentiaires : lettres sur le QI et le mitard

    Le QI (quartier d’isolement) et le mitard sont les parties de la prison les plus propices aux violences pénitentiaires. Francis Dorffer explique comment les QI deviennent de plus en plus invivables, au rythme de la diffusion progressive des nouvelles logiques sécuritaires. Beaucoup de morts en prison ont lieu à l’isolement ou au mitard, comme le dit Kémi dans une lettre écrite le 29 mai 2022 à l’occasion de la journée nationale contre les violences pénitentiaires. Anonyme, une quatrième lettre revient sur le caractère systémique des violences contre les prisonnier·e·s, spécialement au QI.


    « À chaque transfert, je recommence le circuit de la mort à zéro »

    Lettre de Francis Dorffer

    Nous avons publié au début de l’année une lettre ouverte de Francis écrite en décembre 2021 depuis Saint-Maur. Transféré à Arles, il continue à y subir la gestion toujours plus sécuritaire des QI. Cette première lettre a été lue à l’antenne le 18 mars 2022.

    Maison centrale d’Arles, quartier d’isolement,

    Le 15 février 2022

    Aujourd’hui en prison, on n’y fait plus attention, mais la sécurité prend une place de plus en plus énorme et déshumanise tout. Depuis un certain temps, au nom de la sécurité, on a laissé tomber toute forme de sympathie ou même d’humanité. Depuis bientôt trois ans, je vis à l’isolement enfermé 24 heures par jour. C’est par une trappe dans la porte que je dois passer mes mains pour être menotté dans le dos, par des casqués équipés de boucliers, pour sortir de cellule. Comment me sentir bien ? Comment résister et ne pas tomber dans la haine, dans la violence ? Je résiste sans dire un mot. Malgré les années qui sont passées, à chaque transfert, je recommence le circuit de la mort à zéro.

    Exemple : ici, on m’a mis dans une cellule dite « de force », où la fenêtre ne s’ouvre presque pas, les toilettes et le lavabo sont dans du béton, il n’y a aucun meuble à part une table en ferraille attachée au sol. Et le pire, je suis menotté à chaque sortie de cellule par des surveillants qui me tiennent par chaque bras. Imaginez un rendez-vous ! La personne vous voit arriver avec cinq surveillants équipés comme des robots ! Super, les entretiens menottés dans le dos. Au dentiste les menottes me rongent la peau car je suis assis dessus, et je me casse les poignets. Je pense que les directions qui prennent ce genre de mesures contre moi ne se rendent même plus compte qu’ils participent à un acharnement et cela commence à me ronger.

    Je vis en détention depuis vingt-deux ans. J’ai passé plus de temps en prison qu’à l’extérieur, j’ai été condamné à une peine qui est la plus longue infligée en France. En tout, quatre-vingt-six années de détention ont été prononcées contre moi et j’ai encore un jugement en attente. Pour ceux qui ont du mal à y croire, qu’ils contactent mes avocats ou qu’ils regardent sur le net.

    Quand j’entends que la France est un pays fondateur des droits de l’homme, ça me dégoûte. Et mes droits, ils sont où ? Ah, je suis un taulard, donc je peux m’asseoir dessus ? Les gens pensent : « il est en prison, il l’a bien mérité », mais non ! J’ai pas mérité d’être condamné à autant. J’ai pas versé une seule goutte de sang. Dans mes prises d’otages, je n’ai pas frappé une seule fois un otage ! Pourtant on m’a condamné comme si j’avais tué cent fois, et c’est ma quinzième année de détention au QI, et actuellement j’en suis à la troisième d’un trait. Menotté et baluchonné chaque année, car à chaque fois on me dit : « reste tranquille et on va enlever les menottes », arrivé quelques mois on me met les menottes devant, puis paf on me transfère ailleurs et arrivé dans une nouvelle prison on me dit :

    "On te connaît pas, donc on repart sur le menottage dans le dos, si tu reste tranquille on verra pour te les mettre devant !"

    Que la France arrête de faire semblant d’être un pays humain et surtout qui respecte les droits de l’homme. Ça fait 22 ans que je suis en prison et chaque jour on m’attache comme un chien ! C’est ça, se réinsérer, les gens ! En les attachant dans le dos ! En les éloignant de leurs familles, en les laissant des années au QI, en les laissant sans rien. Bref, ce que je sais, c’est que c’est pas comme ça qu’ils vont me casser !

    Force et courage à tous, soyez forts, et si besoin écrivez-moi, je répondrai.

    Francis Dorffer


    En direct des abattoirs français

    Lettre de Francis Dorffer

    Nous avons publié au début de l’année une lettre ouverte de Francis écrite en décembre 2021 depuis Saint-Maur. Transféré à Arles, il continue à y subir la gestion toujours plus sécuritaire des QI. Cette seconde lettre a été lue à l’antenne le 18 mars 2022.

    Maison centrale d’Arles, quartier d’isolement,

    Le 20 février 2022

    Aujourd’hui, la prison a pris un tournant ultra-sécuritaire. C’est de plus en plus inquiétant : en 2022 le budget pénitentiaire a voté 145 millions d’euros rien que pour le volet sécuritaire ! Quand le budget pour les alternatives à la prison s’élèvent à 300000 euros ! Ou la prévention de la récidive : 90 millions ! C’est hallucinant. À ces deux catégories, on n’arrive même pas au budget alloué pour la sécurité. Alors que les deux sont essentiels. Sur le terrain, la hausse de l’hyper-sécuritaire se fait ressentir chaque jour un peu plus.

    Quand on se penche un peu sur les quartiers d’isolement… Pour être concret : il y a quinze ans, j’étais en QI dans des maisons d’arrêt. Il n’y avait pas de système de trappes aux portes. Aujourd’hui, 90% des QI sont munis au moins partiellement de ces trappes ! Et ce qu’il se passe, c’est que dans beaucoup de QI, vu qu’il y a ces trappes aux portes, les agents n’ouvrent quasiment plus les portes. La facilité de venir seul et de distribuer le courrier, les cantines ! Voire dans certains cas, les repas. Et l’humain disparaît petit à petit. Même des audiences sont faites par les trappes ! Et je ne suis pas une exception. Des détenus traités comme moi, il y en a de plus en plus… Il faut que ça cesse ! On a pas le droit de laisser des êtres humains comme ça ! Le contact avec les surveillants ne fait plus que le bruit de la ferraille des menottes et le claquement des boucliers, chaque jour depuis trois ans. Et je vous le dit, il y a des centaines de détenus qui vivent ça. Mais les pauvres ont tellement laissé le temps passer que pour eux, c’est normal ! C’est devenu banal de laisser les gens mourir à petit feu comme ça.

    Et quand il y a des incidents, on relance les vieux débats, les manques de moyens, etc. Non ! Stop ! Aujourd’hui le directeur d’une prison peut placer un prisonnier au QI, le faire menotter, lui imposer des agents équipés casqués avec boucliers, lui imposer des heures de sortie (1 heure du matin !), le mettre en position animale ! Et après ils vont dire : « regardez, le mec est violent ». On fabrique des bombes humaines et quand elles explosent on se demande comment c’est arrivé. Non, vraiment, stop ! Il est temps de traiter les détenus comme des humains et de leur laisser l’espoir, la vie est déjà assez compliqué pour nous. Il faut que ça cesse ! Venez voir !

    Merci à tous,

    Francis Dorffer


    Le mitard et l’isolement

    Lettre de Kémi

    Kémi écrit dans cette lettre, lue à l’émission du 20 mai 2022, qu’il est sorti d’isolement peu de temps avant, en janvier 2022. Cependant, l’AP a depuis décidé de l’y remettre au courant de l’été 2022...

    Maison centrale de Saint-Maur,

    Mai 2022

    Bonjour à tous,

    Je vous écris de la centrale de Saint-Maur, je m’appelle Mickaël, j’ai 33 ans et ça fait dix ans que je suis en cellule, et il me reste encore dix ans sur le papier, tout ça pour vous dire que je connais bien le mitard et l’isolement. D’ailleurs, récemment je suis sorti de l’isolement après un bref séjour de deux ans, le mitard je connais que trop bien aussi malheureusement, j’ai même connu les fameux 45 jours fermes de cachot ! Un mois et demi enfermé dans 3 m² avec rien, même la radio ils font galérer pour nous la donner !

    La France devrait fermer ces lieux sombres, sérieux

    L’isolement en France c’est quoi ? C’est ni plus ni moi que les QHS (quartiers de haute sécurité) des temps modernes ! On est 23H/24 enfermés en cellule, impossible de voir à quoi ressemble ton voisin de cellule, et si tu parles à la fenêtre faut faire très attention à tes propos et avec qui tu les tiens pour éviter que l’AP te colle une étiquette chelou sur ton dos ! Si tu t’énerves faut être préparé car ils entrent dans ta cellule avec le bouclier et les tenues pare-coups, et te sautent dessus, donc quitte à faire du mitard, autant y aller pour une raison valable…

    Ça peut paraître brutal, mais en vrai vous êtes loin de la vérité, c’est encore plus brutal. Je m’exprime pas très bien, mais c’est des abattoirs à détenus. Regardons la vérité des choses, la plupart du temps, quand un détenu perd la vie, c’est soit au mitard, soit à l’isolement, ou alors par un incendie dans la cellule…

    L’isolement et le mitard en France, ce sont des lieux où l’on se sert des détenus comme des cobayes, ils essayent de vous shooter avec des médocs, ou alors ils te piquent, c’est la camisole de force par injection, c’est des oufs ! La France devrait fermer ces lieux sombres, sérieux, vous ne pouvez pas imaginer ce qui s’y passe !

    Oui c’est vrai, à l’isolement, on a le droit à la télé et aux cantines mais si tu bosses pas et que t’as pas de soutiens à l’extérieur tu fais comment ? Rares sont les quartiers d’isolement où tu peux bosser, la télé n’est pas gratuite, c’est 20€ par mois, et même si t’as la télé tu peux passer plusieurs années à l’isolement coupé de tout, si tu commences à parler à ta télé et que tu attends une réponse, ben, pose-toi les bonnes questions !

    J’ai vécu une nuit au mitard en 2014 où je me suis battu pour ma vie, merci à mes voisins qui ont fait le bordel

    J’ai personnellement côtoyé l’isolement, j’ai passé plusieurs années dans ces mouroirs. Le mitard c’est pareil, on doit rester sur nos gardes 24H/24. Pour tout vous dire, j’ai vécu une nuit au mitard en 2014 où je me suis battu pour ma vie, et merci à mes voisins qui ont fait le bordel quand ils ont entendu la bagarre dans ma cellule, à cette époque j’étais le détenu à briser voir plus après une prise d’otage dont j’ai été l’auteur, quand on joue avec l’AP, on joue sa vie !

    Bref, j’espère que ces quelques mots permettront de voir un peu ce qu’est l’isolement et le mitard… Force, courage et honneur pour tout·e·s les détenu·e·s de France et leurs familles !

    Mickaël, AKA Kémi


    « S’adapter, ne pas s’habituer »

    Lettre d’un lecteur anonyme de L’Envolée

    Cette lettre a été lue à l’émission du 17 juin 2022.

    Dans une prison de France, quartier d’isolement,

    Juin 2022

    Salam, peace à toute la populace,

    Je suis un lecteur assidu de L’Envolée, un révolté de nature, qui au fur et à mesure vire entre haine et dégoût. Innocent ? Nan, sûrement pas, et alors ? Non coupable ? Ça dépend des points de vue. Plus de sept ans de détention, six ans d’isolement ininterrompu, réclusion criminelle à perpétuité, la trentaine, nice to meet you.

    Je suis en ce moment dans une cellule d’isolement. Force à tous ceux qui sont dans ce cas. La fenêtre s’ouvre à peine suffisamment pour passer la main, ni un oiseau ni un singe et, malgré tout le respect que j’ai pour eux, j’ai l’impression d’être un animal dans un zoo. Drôle de situation quand un directeur vient vous accueillir à votre arrivée en disant : « alors, c’est vous ? », avec le regard que l’on pourrait porter sur un lion domestiqué ou non domestiqué dans une cage.

    Ces bleus, ces humains qui ne le sont que très peu au quotidien, agents et acteurs d’un racisme structuré

    S’adapter, ne pas s’habituer. J’ai vu au cours des années des détenus flancher psychologiquement, répondre à la violence institutionnelle (quand elle n’est qu’institutionnelle, ce qui est extrêmement rare), par la violence physique, souvent contre eux-mêmes, trop souvent contre eux-mêmes d’ailleurs. À l’égard des bleus, parfois ces bleus, ces humains qui ne le sont que très peu au quotidien, agents et acteurs d’un racisme structuré, nous les noirs ris de leurs blagues racistes de leurs collègues. Ces gens, ces bleus, très souvent instables, qui laissent libre cours à leur base instable à l’ombre de ce système panoptique, où force n’est pas à la loi, puisque ces lois ils les bafouent en permanence et que le détenu qui aurait l’outrecuidance de s’emparer de ces lois pour tenter de se défendre (je dis bien tenter) est immédiatement estampillé procédurier et les vexations ne font que se multiplier.

    Que dire des piqûres ? De la camisole chimique ? Que dire des décès ? Des meurtres maquillés en suicides ? De l’instrumentalisation de la bassesse humaine ? De l’utilisation des détenus contre d’autres détenus ?

    Et lorsque l’on a dit tout cela, que dire des QI ? J’y suis depuis six ans. On m’accuse d’être un roc, de ne pas faiblir, de ne pas craquer, d’être trop peu impacté après toutes ces années. Qu’on se le dise, je n’ai pas l’intention d’abdiquer : routine exigeante émaillée d’effractions de la part de soldats, plus exactement de marionnettes de l’injustice.

    L’instrumentalisation d’événements au profit du tout sécuritaire… Des débats contradictoires pour donner à tout cela un semblant de cadre légal. Pour ma part, je dis une chose simple quant à ces débats. Dire à son empoisonneur : « je connais ta recette » est inutile, puisqu’il ajoutera toujours un nouvel ingrédient à son poison. Lorsqu’on nous empoisonne, la meilleure façon de ne pas mourir, c’est d’arrêter de manger. Il faut donc ne plus accepter de subir. Stimulez votre intellect, maintenez votre physique en bon état, résistez de la manière la plus adaptée à votre situation… peu importe la manière et peu importe cette situation.

    Un grand salam à L’Envolée que je lis depuis longtemps, à qui je n’ai jamais écrit. C’était une présentation, peut-être que d’autres courriers suivront. Dans tous les cas, je ne souhaite pas que mon identité soit donnée si ce courrier devait être publié. Un grand big up de l’ombre pour les gens à la lumière, prenez soin de vous, je vous souhaite de sortir dans le meilleur état possible.

  • « Rejetée et refusée ! » Lettre de J.

    « Rejetée et refusée ! » Lettre de J.

    Nous avons publié dans le numéro 54 du journal et en ligne une lettre de J. qui expliquait que son ancienne co-détenue Kristina avait été enfermée en centre de rétention administrative (CRA) dès sa sortie de taule, puis assignée à résidence dans le département des Alpes-de-Haute-Provence. Étrangères, Kristina et J. demandent toutes deux l’asile en France, mais elles sont sous le coup d’une interdiction de territoire français (ITF), contre laquelle elles ont fait un recours. Depuis, les nouvelles sont mauvaises : leurs demandes d’asile et leurs recours respectifs contre l’interdiction de territoire ont été rejetés et refusés, comme l’explique J. dans une lettre lue à l’antenne le 4 mars 2022, publié dans le numéro 55, et reproduite ci-dessous.

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

    Le 22 février 2022

    Salut L’Envolée,

    Comment vous allez ? Je m’excuse de ne pas vous avoir répondu plus tôt. Il s’est passé tellement de choses que je n’étais pas d’humeur à écrire. Je me suis beaucoup isolée cette fois, mais maintenant je vais mieux ! 🙂

    Bon, concernant ma demande d’asile, elle a été rejetée aussi bien pour moi que pour Kristina. J’ai fait appel à la CNDA (Cour nationale du droit d’asile), maintenant j’attends une nouvelle date pour avoir une nouvelle audience. Quand à l’ITF, ils l’ont maintenue.

    L’audience a été terrible et le juge a été très sarcastique. Pour te donner une idée, il a commencé l’audience en disant : « Madame c’est marrant… tu apportes 30 kg de cocaïne en France et tu demandes l’asile ? » Donc, à partir de là, tu sais déjà !

    En décembre je suis descendue au CD0 (rez-de-chaussée du centre détention) et en janvier je suis montée au CD1. Le CD1 est très bien, parce que c’est portes ouvertes donc je peux me promener dans tout l’étage et le temps passe plus vite.

    Kristina va bien, mais après que l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides, devant lequel on passe pour la première audience d’une demande d’asile) a refusé notre demande d’asile, ils l’ont forcée à signer à nouveau dans le commissariat deux fois par semaine et elle ne peut pas quitter le département 04. C’est à cause de cela que je n’ai plus de parloirs.

    Il y a un grand manque d’information parmi les organisations françaises, c’est le bordel franchement !

    Comme nous avons fait appel avec la CNDA, la CNDA n’a pas prévenu la mairie… alors ils ont stipulé ces obligations pensant qu’elle n’avait pas fait appel. Du coup Kristina essaie de rentrer en contact avec la mairie pour régler ça.

    Cela fait trois ans que je n’ai pas dormi ailleurs que dans ma cellule

    Ce qui est bien avec toutes ces histoires, c’est que je suis au CD1 et début janvier j’ai eu un UVF (Unité de vie familiale) avec Kristina pendant 24 heures. C’était très bien et en même temps très étrange. Bizarre car cela fait trois ans que je n’ai pas dormi ailleurs que dans ma cellule. Les appartements UVF sont grands et comme j’ai l’habitude des 9 m², je pensais que tout était grand et j’ai fini par laisser tous les robinets ouverts ! À Kristina de les éteindre. MDR !

    Concernant la sortie des parcs des Calanques [organisée par la prison], la juge d’application des peines me l’a également refusée à cause de ma confirmation de l’ITF, disant que je m’enfuirais ! Cela n’a aucun sens, sachant que j’ai fait une demande d’asile.

    Ma vie entre novembre et fin décembre était basée sur le « rejetée et refusée » !

    Merci beaucoup pour toutes les lettres que vous m’avez envoyées, même si je n’ai pas répondu, cela fait du bien de savoir qu’il y a des gens qui pensent à nous.

    À bientôt ! 🙂

    J.

  • Hospitalisé et en grève de la faim : lettres de Libre Flot

    Hospitalisé et en grève de la faim : lettres de Libre Flot

    Le 27 février 2022, Libre Flot a entamé une grève de la faim contre son incarcération et sa mise en isolement. Il a exposé ses raisons dans un texte que l’on peut relire ici, puis dans un message publié au 17e jour de sa grève de la faim. Le 24 mars, il a été hospitalisé à l’Établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF), autrement dit une prison-hôpital. Le 29 mars, l’AP (administration pénitentiaire) a enfin levé son régime d’isolement, mais il restait incarcéré et dans un état de grande faiblesse.

    Peu avant et pendant son hospitalisation à l’EPSNF, Libre Flot a envoyé plusieurs textes pour donner de ses nouvelles, réagir à certaines émissions qu’il avait écoutées et revenir sur les raisons qui poussent l’État à s’acharner contre lui. Nous reproduisons ces textes ci-dessous.

    Libre Flot a interrompu sa grève de la faim au bout de trente-six jours, et il a obtenu une libération pour « raison médicale » deux jours après. Il est donc dehors, mais toujours en attente de son jugement. Toutes les infos sur les sept personnes mises en cause en même temps que lui, aujourd’hui en liberté surveillée, sont à lire .


    « Merci pour le bordel qui, vous l’avez prouvé, peut être joyeux »

    Lettre lue à l’émission du 1er avril 2022.

    Maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, quartier d’isolement,

    Le 19 mars 2022

    Salut l’équipe,

    Juste un rapide coucou en passant, qui ne reflète pas la gratitude à l’égard du soutien que vous m’apportez. Merci pour cette émission que vous m’avez en grande partie dédiée et pour le bordel qui, vous l’avez prouvé, peut être joyeux. Une petite rectification : hier, je n’ai pas eu d’entretien avec le directeur des détentions. Nous nous sommes juste croisés et avons échangé quelques mots dans le couloir à mon retour de l’UCSA (Unité de consultations et de soins ambulatoires).

    Je voudrais remercier Pierrot pour son introduction et pour son analyse fine. Le rapprochement avec la situation en Ukraine, les volontaires, est quelque chose que je ressens depuis un bout de temps mais que je n’avais pas encore mis par écrit. Ça m’a fait plaisir d’entendre son constat, judicieux.

    Bien qu’en toute franchise, j’ai été ravi de toute cette attention qui me touche réellement, je suis un peu désolé d’avoir tant empiété sur le temps initialement prévu pour les « Grands frères » de Guadeloupe. Mais je n’ai aucun doute que vous transmettrez sous peu leur parole. Je les salue et leur envoie toute ma détermination, ainsi qu’à tou·te·s les enfermé·e·s.

    Salutations & respects,

    Libre Flot


    « À vous, volontaires internationalistes qui partez combattre en faveur de l’autodéfense de l’Ukraine »

    Lettre lue à l’émission du 25 mars 2022.

    Maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, quartier d’isolement,

    Le 21 mars 2022

    À vous, volontaires internationalistes qui partez combattre en faveur de l’autodéfense de l’Ukraine,

    L’actualité en Ukraine et les engagements individuels de certain·e·s résonnent étrangement avec les engagements des volontaires contre Daesh. Je ne m’adresse pas aux militant·e·s d’extrême droite, aux idéologies basées sur la haine de l’autre, mais à vous, volontaires internationalistes qui partez combattre en faveur de l’autodéfense de l’Ukraine par amour de la vie. À vous qui aujourd’hui êtes encensé·e·s par les médias et les politiques, sachez ceci : si vous êtes des militant·e·s politiques, vous êtes les potentiel·le·s terroristes de demain car, à votre retour, tout comme moi qui ai rejoint les Unités de protection du peuple (YPG) et combattu les barbares daeshiens, cette expérience sera une épée de Damoclès que la DGSI et le gouvernement feront planer au-dessus de vos têtes. Vous serez sûrement épié·e·s et surveillé·e·s, toute votre vie pourra être redessinée, réécrite, réinterprétée et de simples blagues pourront devenir des éléments à charge lorsque ces institutions auront décidé de vous instrumentaliser pour répondre aux besoins de leur agenda politique.

    Depuis le 27 février, je suis en grève de la faim pour que l’on cesse de me traiter comme les terroristes contre lesquels j’ai combattu et ce, dans l’indifférence des médias et des politiques, sous une chape de plomb semblable à une pierre tombale. Je finirai par ces mots d’anarchistes ukrainien·ne·s :

    "Liberté aux peuples, mort aux empires !"

    Libre Flot


    « J’espère que la violence absurde, bornée et illégitime que je subis se sache et puisse prendre fin »

    Lettre lue à l’émission du 1er avril 2022.

    EPSNF,

    Le 26 mars 2022

    Salut à vous,

    Je me suis aperçu qu’à l’émission d’hier, vous n’avez pas été informé de mon transfert en hospitalisation à l’EPSNF en date du 24 mars. Je suis toujours dans un statut d’isolement, et reste 24H/24 dans ma cellule car mon cœur n’est pas fiable pour sortir. Je suis toujours en grève de la faim, sous perfusion de sérum physiologique et branché en permanence à un électrocardiogramme pour sonner l’alarme en cas de crise cardiaque. On me donne aussi quelques vitamines.

    En tous cas, le personnel est sympa et bienveillant, même s’iels ne sont pas là et n’ont pas le temps de papoter. C’est agréable en plus de voir des gen·te·s souriant·e·s, être considéré comme autre chose qu’un détenu.

    Le personnel de la pénitentiaire d’ici a réussi a faire ramener mon poste de radio, et cc’est vraiment pas du luxe. Je peux continuer à écouter mes émissions héhé, dont la vôtre. Car même si là, il y a la télé gratos, je n’arrive toujours pas à trouver quoi que ce soit à regarder. Toujours la même chose en boucle, des pubs, et la même chose encore et encore, du superficiel, de l’abrutissement.

    Du coup, ça va, bouquins, radio, méditasiestes en grandes quantités.

    Voilà pour mes nouvelles, j’espère que la censure ou tout du moins le silence médiatique va cesser, et que la violence absurde, bornée et illégitime que je subis se sache et puisse prendre fin.

    Libre Flot


    « Hier c’était rude, aucune énergie »

    Lettre lue à l’émission du 1er avril 2022.

    EPSNF,

    Le 27 mars 2022

    Salut,

    Pfff ! Hier c’était rude. Aucune énergie. Même lire était au-delà de mes forces. J’ai pu recevoir une visite : une seule personne avec pass sanitaire. Trop bien, mais je n’ai pas pu en profiter pleinement vu mon état. J’espère qu’aujourd’hui je serai au moins apte à bouquiner. J’ai cru comprendre que j’allais enfin, après tant de temps, pouvoir écrire, téléphoner, voir une personne, aimer. Quelle hâte !

    Salutations & respects,

    Libre Flot

  • Semi-liberté et fin de peine : lettres de DD

    Semi-liberté et fin de peine : lettres de DD

    DD est en fin de peine depuis des mois, mais l’administration pénitentiaire (AP) et les surveillant·e·s continuent à la faire poireauter en repoussant sans cesse sa libération en conditionnelle, par toutes sortes de contraintes juridiques, financières et de déplacements (pour le logement et le travail). Elle a donc peur de retomber dans le piège du traitement lourd qui lui est prescrit. Comme souvent, sa fin de peine est un combat harassant contre l’AP, notamment contre les CAP (commissions d’applications des peines) et des Spip (services pénitentiaires d’insertion et de probation) qui ont un pouvoir discrétionnaire sur la date de sortie des prisonnier·e·s, au « comportement » ou à la tête du client. Les surveillant·e·s mettent des bâtons dans les roues en collant des CRI (comptes-rendus d’incident) aux fin de peine. Aucune des promesses de sortie de l’AP n’a été tenue – pas même celle de mi-juillet mentionnée dans la dernière lettre, ce qui prolonge encore son enfermement de quelques semaines. Ces lettres ont été respectivement lues lors des émissions du 6 mai, du 20 mai et du 8 juillet 2022.

    DD est enfin sortie de prison, au mois d’août 2022.


    « J’ai eu l’impression de passer à l’abattoir »

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

    Le 19 avril 2022

    Chère Envolée,

    J’ai bien reçu votre retour sur ma lettre du covid. En ce moment j’ai le moral à zéro à cause de ma CPIP (Conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation) qui a fait n’importe quoi et à cause d’elle ma permission des 18, 19 et 20 avril ne m’a pas été accordée. Et en plus elle m’a fait passer en débat contradictoire avec un dossier en carton ! Elle a fait n’importe quoi et je suis grave vénère contre elle ! Je suis passée en débat contradictoire devant l’officier de la prison (c’est lui qui te connaît le mieux), la JAP (juge d’application des peines), le procureur et d’autres personnes qui ne servent à rien à part « apprendre le métier de JAP ». Bref, j’ai eu l’impression de passer à l’abattoir… Je m’explique : la juge te déballe à la figure toutes les conneries que tu as fait dans ta vie, donc déjà je m’attendais pas à ça, j’ai déjà été jugée, j’estime qu’il n’était pas nécessaire de me rappeler tout ça. […]

    Je ne suis pas sûre mais je crois que c’est la première fois que je vous écris une lettre où je suis autant en colère. La vérité je n’en peux plus et je suis à la limite de demander à mon psy-addictolo qu’il me represcrive du xanax, ce qui serait vraiment dommage puisque cela fait environ quatre mois que j’ai arrêté. En plus, je trouve, que ce soit l’éducatrice ou la CPIP, qu’ils m’ont trop fait croire que j’allais aller en semi et j’y ai tellement cru que ça fait drôle. En ce moment même je devrais être avec la mère et mes fils et ma perm a été refusée parce que j’ai bu un pastis, un verre de vin et un digestif, ça me met la haine car au lieu de t’encourager parce que tu fais de gros progrès, ces connards font tout le contraire et là j’ai tellement la haine que cette juge (JAP) je te jure qui si je la revois, je vais pas hésiter à lui jeter tout mon venin à la figure. Il n’y a que l’officier de la détention qui a dit que je ne pouvais pas mieux faire et que j’avais fait de très beaux progrès. Voilà, j’en ai ras le bol !

    DD


    « C’est à chaque fois à cause de la prison que j’ai envie de prendre des médocs »

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

    Le 4 mai 2022

    Salut L’Envolée,

    Là, il est 10h30 et j’ai le moral à zéro… donc évidemment j’ai envie de prendre plein de benzo pour dormir et donc oublier, mais je n’ai pas ce qu’il faut, peut-être cet aprem incha allah car je suis au bout du rouleau. Je me rends compte que c’est à chaque fois à cause de la prison que j’ai envie de prendre des médocs, mais c’est aussi grâce à cette détention que désormais la drogue est derrière moi. C’est malheureux mais il m’aura fallu ça pour que je comprenne plein de choses importantes de la vraie vie. Car je serai peut-être morte aujourd’hui si j’étais restée dehors à faire que des conneries, donc quelque part ça aura été positif.

    […] J’attends la réponse de la JAP le 9 mai prochain pour savoir si je vais en semi puis ensuite max fin juin j’aurai mon appartement thérapeutique, mais je vous jure que si elle me refuse la semi je demande à mon médecin qu’il me represcrive du xanax.

    Le 5 mai 2022

    J’ai lu les parties de mes lettres que vous avez lues à la radio et je les trouve bien choisies, elles représentent exactement ce que je vis ! Vous me direz, c’est normal c’est moi qui les ai écrites, lol ! Sinon les perm j’ai fait une croix dessus car là ma mère est à l’hosto jusqu’au 9 juin […]. J’espère que si j’ai ma semi, les week-end je pourrai aller la voir, j’ai demandé à avoir un week-end sur deux chez ma mère. Par contre, les cellules de la semi sont aux anciennes Baumettes, donc douches communes et cellules à l’ancienne, mais bon ça c’est pas grave tant que je goûte à la liberté !

    Encore aujourd’hui je n’ai pas trop le moral, mais je pense que ce sera comme ça tant que je n’aurai pas le délibéré de la JAP… Je suis complètement éteinte, je n’ai envie de rien sinon bien sûr de la liberté. […]

    Sinon, ma CPIP s’est plantée je ne serai pas payée si je vais travailler [dans une association]. Vu que je serai en semi je ne toucherai toujours pas mon AAH (allocation adulte handicapée) à taux plein, donc ça risque d’être difficile… mais j’ai un tout petit peu d’argent de côté. Mais vu que je suis sous curatelle, vous avez compris, ça va être la galère ! Enfin celle-ci se termine en 2023 donc j’espère que je vais pouvoir l’arrêter car ça aussi c’est infantilisant, mais j’avais été obligée pour que mon père se porte garant pour me prendre un appart.

    Je vous laisse, prenez soin de vous.

    DD


    « Il faut que je sorte au plus vite de cet enfer qu’est la prison »

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

    Le 24 juin 2022,

    Salut L’Envolée,

    Je n’en peux plus, il faut que je sorte au plus vite de cet enfer qu’est la prison, c’est pourquoi je vais prendre une avocate avec l’aide juridictionnelle pour qu’elle contacte la CPIP et la JAP pour convenir d’un aménagement de peine, qui a déjà été accordé lors de mon débat contradictoire le 12 avril dernier où je demandais la semi qui m’a été refusée, mais la libération dans un appartement thérapeutique que j’ai presque trouvé m’a été accordée donc je vais me faire aider par une avocate afin d’être libre, disons mi-juillet 2022. Amen.

    Le 25 juin 2022,

    Salut L’Envolée.

    Comme vous le voyez j’écris pas très souvent en ce moment. J’ai eu deux CRI (comptes-rendus d’incident), un dans la « salle d’attente » du SMPR où il y a aussi les mecs et il y en a un qui m’a descendu un yoyo avec du tabac car j’étais en chien de tabac et une surveillante sortie de nulle part est venue me prendre le tabac alors je l’ai insultée. Et une autre à cause de ma cellule dont je suis censée avoir la clef mais celle-ci ne fonctionne plus donc je suis obligée de demander à la matonne de me fermer la porte et celle-ci ne l’a pas fait tout de suite alors que j’avais des cigarettes dans la cellule et en prison les clopes c’est le nerf de la guerre donc j’ai flippé parce qu’elle ne me l’a pas fermée de suite, et je l’ai insultée. Voilà quoi, je vais de nouveau passer au prétoire, à moins que je sois libérée avant ce qui serait le top.

    Bon, je vous laisse, je vous donnerai des nouvelles après mes deux RDV et si comme je l’espère grâce à ma nouvelle avocate je sors vite, je vous contacterai sur le numéro que vous m’avez laissé. Biz et mille mercis !

    DD

  • Refus de perm par l’AP : lettres de DD

    Refus de perm par l’AP : lettres de DD

    Cette année, DD a écrit régulièrement à L’Envolée, retraçant le parcours de la combattante qu’elle a dû se taper pour obtenir une première permission. Elle a raconté comment l’AP (Administration pénitentiaire) a tenté de saboter ce moment et comment elle a dû se battre pendant des mois pour en obtenir d’autres, à cause d’une altercation avec un surveillant décidé à lui pourrir son retour de permission en lui collant un CRI (compte rendu d’incident). En plus d’être pénibles, les provocations des surveillant·e·s sont pour l’AP un moyen d’arrêter de donner des perm, et même d’empêcher l’obtention d’une libération conditionnelle. DD explique en détail le labyrinthe des CAP (Commissions d’applications des peines), entre CRI, passages au prétoire (le tribunal interne de la prison) et injonctions des CPIP (Conseiller·e·s d’insertion et de probation). La première lettre a été lue lors de l’émission du 11 février 2022, la suivante pendant l’émission du 18 mars 2022, et la troisième le 1er avril 2022.


    « La CPIP a dit à ma mère que j’aurai droit à un test d’alcoolémie en rentrant de perm »

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

    Le 12 janvier 2022

    Salut L’Envolée,

    J’ai bien reçu votre lettre qui m’a fait grave plaisir. Je veux bien que vous m’envoyiez votre journal et si, comme vous me le dites, il y a d’autres personnes ok pour m’écrire, ce sera avec plaisir !

    Sinon, demain je passe à la CAP pour une permission. J’ai demandé trois jours, mais ma CPIP m’a fait passer un mot où elle me dit qu’elle ne sera d’accord que pour une journée car à ma dernière perm où j’ai revu mon fils (le grand) que je n’avais pas vu depuis onze ans, je me suis un peu « lâchée ». J’étais tellement heureuse et je l’avoue, j’avais aussi un peu bu. Donc, j’ai pris sur moi et j’ai écrit à ma CPIP, en lui demandant qu’elle m’accorde au moins deux jours car une seule journée c’est carrément trop court ! J’espère vraiment que c’est ce qu’elle va faire. Challa, au moins deux journées que j’ai le temps de profiter. En plus, après une perm on est confinées dix jours, avec une seule heure de promenade par jour, j’vous dis pas comment c’est dur !

    Sinon, à cause du covid, on n’a plus aucune activité.

    Par contre, j’ai une bonne nouvelle, j’ai complètement arrêté le xanax, je n’en prends plus du tout et je me sens beaucoup mieux dans mes baskets et je dors aussi beaucoup mieux.

    Bon, je vais mettre la radio à 88.4 [pour la rediffusion de L’Envolée sur Radio Galère] en espérant que je capte… Au fait, dans l’enveloppe il n’y avait que votre lettre, ils m’ont levé l’enveloppe avec le timbre ces chiens !

    Ici c’est toujours pareil, brouilleurs à fond, pas d’activités et toujours les fenêtres pour le deuxième, troisième et quatrième

    Le 13 janvier 2022

    Salut L’Envolée, je reviens de mon rdv avec la psychologue, ça m’a un peu fait « bouger » car cela fait longtemps que je ne sors plus en promenade. D’ailleurs ce week-end je vais me forcer à y aller histoire de marcher car en presque trois ans j’ai pris trente kilo, ce qui est énorme ! Mais bon, ici on ne fait rien, on mange mal, bref tout ce qu’il faut pour grossir. Faut dire que je compense mon manque d’affection (la famille, les amis, etc.) par la bouffe.

    Plus vite je sors de ce trou à rats, mieux ce sera ! Ici c’est toujours pareil, brouilleurs à fond, pas d’activités et toujours les fenêtres pour le deuxième, troisième et quatrième. Heureusement moi ça ne me concerne plus car je suis au CD1 [Centre de détention, 1er étage], mais je sais qu’il y a beaucoup de filles qui ont cassé les fenêtres et vous savez pas quoi, la détention les leur fait payer ! Un truc de ouf !

    Partir le matin pour revenir le soir même puis être enfermée pendant dix jours à cause du covid : fait chier, merde !

    Le 14 janvier 2022

    J’ai signé une perm de seulement une journée. La vérité j’suis dégoûtée. Enfin, c’est bizarre comme sentiment, car je suis à la fois contente de sortir une journée mais je suis écœurée que ce soit si court. Partir le matin pour revenir le soir même puis être enfermée pendant dix jours à cause du covid : fait chier, merde !

    Je viens d’appeler ma mère et la CPIP lui a dit que j’aurai droit à un test d’alcoolémie en rentrant. Putain, j’ai trop la haine ! Et lundi jour de ma perm, en fait, au lieu d’être trop heureuse de sortir, je vais avoir la haine et je ne vais même pas apprécier cette putain de journée. Ras l’bol !

    Par contre, je sais que je vais boire un peu et c’est normal mais quand je retourne à la prison il faut que mon taux d’alcoolémie soit à 0,00. De toutes façons je ne compte pas être ivre ! Je vais boire un petit apéro, 1 ou 2 verres de vin à table puis un digestif comme un colonel ou un Irish coffee sur la Corniche. Tout ça pour dire que je vais pas me torcher à la bière ! Lol.

    Vaut mieux que ça se passe bien sinon je peux dire adieu à mes perm… Mais, enfin, savoir que je vais les voir et être obligée de les quitter si tôt, c’est un véritable crève cœur !

    Je me suis bien sûr énervée, du coup j’ai encore eu un CRI. Bref, arrivée en cellule j’ai bouché l’œilleton pour être tranquille.

    Le 17 janvier 2022

    Ça fait deux heures que je suis revenue de ma perm qui s’est très bien passée. Par contre, l’AP a été dégueulasse, je m’explique. Ma mère m’avait acheté des produits pour les cheveux et donné une écharpe et je suis tombée sur un vrai connard qui m’a tout levé même mes cigarettes mais c’est pas le pire. Je me suis bien sûr énervée (je sais, ça ne sert à rien mais c’est plus fort que moi !) du coup j’ai encore eu un CRI. Bref, arrivée en cellule j’ai bouché l’œilleton pour être tranquille et à la ronde entre 19h00 et 19h30 quand la surveillante est passée, elle a allumé plusieurs fois la lumière et tapé à la porte et j’ai fait exprès de ne pas répondre alors que je pensais qu’ils allaient revenir, vérifier si j’étais morte ou vivante. Mais non, ils n’en ont rien à foutre, ils ne sont pas revenus et ça me choque grave ! Il y a des filles et des mecs qui se suicident et ils ne reviennent même pas voir comment je vais, j’hallucine carrément !

    Si demain le chef me fait redescendre au CD0 où les portes sont fermées (en gros, c’est comme la MAF, maison d’arrêt pour femmes), je vais très très mal le vivre donc challa que non, sinon je vais péter un plomb ! Putain, quand je suis dégoûtée comme ça, j’ai qu’une envie c’est me défoncer mais t’inquiètes ce n’est pas ce que je vais faire. Ça aurait été avant j’aurais même fait une TS [tentative de suicide] ! J’ai la rage, j’en peux plus de cette prison de merde !

    Étant donné mon confinement, je risque d’être tentée de reprendre du xanax ou du valium

    Le 18 janvier 2022

    Salut, je suis confinée et comme je vous l’ai dit je n’ai qu’une heure de promenade par jour et vous allez être choqués : la surveillante m’a oublié. Du coup, pas de promenade… c’était trop tard. J’ai donc demandé d’aller à l’UCSA (Unité de consultations et de soins ambulatoires) histoire de me sortir de ma cellule et de voir du monde mais je n’sais pas si ça va être accepté. Je risque de passer toute la journée dans ma cellule, super ! De toute façon, ici les détenues n’ont jamais raison : ou tu fermes ta gueule ou tu prends un CRI comme ça m’est arrivé hier.

    Sinon, hier soir j’ai un peu écouté Radio Galère et ça avait l’air cool mais j’étais crevée et je me suis endormie, dommage.

    Étant donné mon confinement, je risque d’être tentée de reprendre du xanax ou valium (c’est la même merde), et je ne veux pas. Ça a été tellement long avant que je n’en prenne plus.

    P.-S. : demain après-midi je sors en promenade, je me suis faite collègue avec une gitane qui ne sait ni lire, ni écrire, donc je lui ai fait plusieurs courriers qu’il faut qu’elle signe. Comme je vous l’ai dit, si je peux, j’aide. Et puis nous sommes toutes dans le même bateau, c’est très important, je pense, de s’entraider.

    Sinon, je ne me souviens plus si je vous en ai parlé mais un médecin m’a dit que j’avais un problème au cœur, mais je ne sais pas encore ce que j’ai, tout ce que j’espère ce qu’on va pouvoir me soigner. Je suis très vite essoufflée. Alors, depuis que j’ai arrêté le xanax, ça va un tout petit peu mieux mais ce n’est pas ça. J’ai été deux fois à l’hosto [pour des examens médicaux].

    DD


    « Et la CPIP ose me dire que ce n’est pas une punition »

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

    Le 15 février 2022

    Salut L’Envolée,

    J’ai bien reçu votre lettre et ce n’est pas grave si elle a mis un peu de temps. Ma dernière permission était carrément trop courte ! Mais finalement je n’ai été confinée qu’une journée car tant que ça dépasse pas 24 heures on est pas confinée dix jours. Mais ma perm du mois de mars a été annulée. Alors ma CPIP a dit à ma mère que c’était à cause du CRI, sauf que quand j’ai été signé la cause était que j’avais bu de l’alcool à mes deux dernières perm. Ça me met la haine car même si j’ai bu je ne suis pas rentrée ivre, c’est tout ce qui compte non ?! À la limite ils ont qu’à nous faire souffler dans un éthylotest !

    Sinon, quand t’es confinée, tu restes dans cellule et tu peux cantiner. Pour les clopes et même le reste, vous avez raison car il y a des surveillants cools qui te laissent rentrer avec et d’autres non, donc tu ne sais pas quoi faire et tu essayes… Pour le CRI je vais passer au prétoire, alors déjà que j’ai été punie de perm, j’espère qu’ils ne vont pas en rajouter !

    Le 24 février 2022

    Salut, il est 7 heures, il y a deux jours le chef m’a appelée pour me faire signer le CRI. Je passe au prétoire le 1er mars 2022 et j’espère que je ne vais pas aller au cachot. Déjà qu’ils m’ont puni en me retirant ma perm famille, ils vont pas en rajouter ! J’avais fait un mot à ma CPIP en lui disant qu’il n’y avait pas de loi interdisant l’alcool et écoute bien ce qu’elle m’a répondu :

    « Le juge a refusé votre perm en raison du CRI au retour de votre dernière perm, ainsi que pour la consommation d’alcool pendant votre perm. Il a estimé qu’au regard de votre fragilité en terme d’addictions que les perm se déroulent sans prise de produits ou d’alcool. Avant votre dernière perm cet élément vous avait été communiqué par la CPIP et aussi à votre mère. L’objectif madame DD n’est pas de vous punir mais de préparer au mieux votre sortie et limiter tout risque de récidive. Comme évoqué ensemble, les faits commis l’ont été alors que vous étiez alcoolisée ainsi le but est d’éviter ces alcoolisations pendant vos perm pour ne pas vous mettre en situation de risque et que vous restiez maître de votre comportement. »

    Ça me met trop la haine car j’ai bu un pastis, un verre de vin et un digestif donc à ma rentrée de perm et même avant j’étais loin d’être ivre. Et elle ose me dire que le but n’est pas de me punir, mais moi je n’y vois qu’une punition de merde qui me met encore plus les nerfs ! Bref AP de merde ! Bon, j’ai la haine là, je vais écrire de nouveau à ma CPIP pour lui dire que je n’étais pas alcoolisée à ma rentrée de perm. À+

    Hier j’ai pas assuré j’ai pris mes douze valium

    Le 25 février 2022

    Salut, il est 5h27 je me lève et j’ai hâte qu’il soit 8h00 pour que les portes s’ouvrent et que j’aille chercher mon traitement. Depuis lundi je n’ai pas pris le valium, mais là comme j’ai mon traitement pour tout le week-end, je vais me retrouver avec douze valium donc il faut que j’assure et que je n’en prenne pas du tout, mais j’ai confiance je vais y arriver.

    Le 26 février 2022

    Coucou il est 12h56, hier j’ai pas assuré j’ai pris mes douze valium donc aujourd’hui j’ai la tête dans l’cul, ça m’apprendra. Ce que je vais faire maintenant c’est d’aller chercher mon traitement même le week-end, de cette façon je suis sûre de ne plus en prendre car quand j’y vais tous les jours, je dis à l’infirmière qu’elle ne me donne pas les valium et ça me facilite la tâche.

    Donc, comme je vous l’ai dit, pas de perm au mois de mars, donc j’attends de voir ma connasse de CPIP pour lui demander si au mois d’avril ce sera possible, car si elle s’y oppose, la juge va automatiquement refuser. Challa que j’ai ma perm au mois d’avril de trois jours j’espère. Bon, je vous laisse car il faut que je me prépare pour aller en promenade. À+

    Le 28 février 2022

    Il est 12h47 et je pense que cet aprem je vais descendre en promenade prendre un peu le soleil. Demain je passe au prétoire, pourvu que je n’ai qu’un avertissement car le cachot non merci ! De toute façon j’en a parlé à ma psychologue et elle m’a dit ce qu’il fallait que je dise ou que je ne dise pas. En tous cas, sachez-le, maintenant je vais faire le canard car je tiens trop à mes perm ! Dire qu’au mois de mars je devais y aller, je suis dégoûtée ! Maintenant il n’y a plus qu’à espérer qu’elle me laisse celle du mois d’avril ; mais bon je pense que si elle me laisse sortir en avril ce ne sera qu’une journée… Ils ont vraiment rien compris !

    Je reviens du prétoire et je suis confinée pendant huit jours

    Le 1er mars 2022

    Salut, j’ai la trouille de me retrouver au cachot et j’ai pas non plus envie d’être confinée sans TV, je flippe et c’est normal, challah que j’aie que du sursis. J’ai un avocat commis d’office, j’espère qu’il me servira à quelque chose. Bon je dois aller me préparer, à+

    Coucou, il est 10h55, je reviens du prétoire et je suis confinée pendant huit jours sans TV et je crois sans téléphone. J’ai une heure de promenade le matin de 7h45 à 8h45, une misère quoi. Enfin, j’espère que ça va vite passer. À+

    Il est 14h29, à 13h30 je devais aller à un ciné-débat, mais comme je suis confinée je n’y ai pas le droit, dégoûtée car ça m’aurait intéressée. Enfin à 15h30 j’ai RDV avec mon éducatrice spécialisée et j’y vais ; je vais leur demander un maximum de RDV pour être le moins possible dans ma putain de cellule. Heureusement que j’ai la chaîne hi-fi ! C’est toujours ça, je me sens moins seule. À+

    Il est 19h18 et je m’emmerde grave ! En fait, je crois que le plus difficile ça va être le soir car il n’y a rien à faire sans la TV, une fois que tu as dîné, tu te fais chier et le temps est long. Bref, du coup je suis confinée, donc depuis aujourd’hui je reprends le valium, au moins ça me fait dormir un peu. À+

    Le 2 mars 2022

    Salut, il est 6h24, ça va j’ai bien dormi. J’écoute la radio, mais je sens que ça va être long jusqu’à 8h30, heure à laquelle je vais au SMPR (Service médico-psychologique régional). Bref, vivement mardi prochain que je sois déconfinée. À+

    Bon je vous envoie la lettre. Ciao. Biz.

    DD

    P.-S. : Putain ils m’ont mis la promenade de 7h45 à 8h45 et à 8h30 je dois aller au SMPR et vous savez pas quoi ? La surveillante me demande de choisir entre les deux ! Mais je veux aller aux deux. Bon ben finalement je me suis arrangée j’irais à l’UCSA à 9h30, ouf !


    « Comme à chaque fois, les surveillants exagèrent grave ce qu’ils nous reprochent »

    Centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes,

    Le 11 mars 2022

    Alors déjà, à mon retour de perm d’une seule journée, je n’ai pas été confinée car ma perm n’a pas dépassé la journée, sinon tu es confinée dix jours. Et pour mon CRI, il n’a pas été annulé, et en plus quand la cheffe m’a appelé pour me le lire, comme à chaque fois, les surveillants exagèrent grave ce qu’ils nous reprochent. Du coup ma perm du mois de mars a été annulée, trop dégoûtée ! Ma mère se fait opérer début mai et sera en rééducation jusqu’en juillet, donc si je ne vais pas en perm au mois d’avril, je ne pourrai pas y aller avant longtemps. Ma CPIP m’a dit que je demande tout de même une perm au mois d’avril mais que ce serait la juge qui déciderait. Sauf que si ma CPIP s’y oppose, la juge va la suivre et là, ça serait l’horreur car ma famille me manque trop ! Je suis donc passée au prétoire le mois dernier et en plus de l’annulation de ma perm j’ai eu huit jours de confinement sans TV. Heureusement que j’ai la chaîne hi-fi ! Mais c’était grave difficile !

    Et pour le valium je l’ai pris pendant le confinement comme ça, ça me permettait d’être plus détendue et de faire des siestes, mais là, j’ai tout arrêté et définitivement ! Le médecin voulait me les descendre petit à petit mais je lui ai dit : « non, j’arrête tout d’un coup », et ça se passe très très bien.

    Le 16 mars 2022

    Salut L’Envolée,

    Je me remets à vous écrire car déjà, j’en ai envie et ensuite parce que j’ai de bonnes nouvelles qui je l’espère vont se concrétiser. Alors, j’ai vu ma CPIP qui m’a parlé de semi-liberté, ils ont fait huit cellules de semi pour les femmes car avant il n’y en avait qu’une. Alors, je passe en CAP le 13 avril pour une perm, puis je passe aussi pour ma semi. Donc je sortirai de 8h à 17h et j’irai dans une association où j’aurais des activités matin et après-midi et le midi on déjeune tous ensemble. […] Par contre, il va falloir que je sois forte [à propos des drogues], mais mes fils me la donnent cette force. […] J’ai 48 ans, j’ai fait le tour de la question [des drogues], maintenant il est temps que je passe à autre chose comme à ma famille. Je les aime trop pour les décevoir de nouveau. A+

    DD