Paroles de l’intérieur contre tous les QHS modernes
La loi « narcotrafic » et les « narcoprisons » ultrasécurisées ouvertes par Darmanin et sa clique font régulièrement la une et émerveillent plus d’un journaliste…Eh oui, le ministre des tribunaux et des prisons drague passionnément l’extrême droite sur le dos des prisonniers et prisonnières, cibles des politiques démago-sécuritaires les plus brutales. Fin juillet, à l’ouverture du premier « quartier de lutte contre la criminalité organisée » (QLCO) à Vendin-le-Vieil, ces médias aux ordres n’ont évidemment donné la parole qu’aux gardiens – mi-héros, mi-martyrs –, et à de malheureux riverains qui ont peur – mais de quoi ? Alors qu’on entend qu’ici et là, des prisonniers se mobilisent contre leur sort dans les quartiers d’isolement (QI), de trop rares voix s’élèvent pour critiquer ces QLCO, régimes d’isolement poussé à l’extrême. Il est essentiel de faire entendre la voix des emmuré-es vivants et de leurs proches, qui ont toutes les raisons de flipper sur ce qui se profile – et de vouloir y résister.
Adoptée le 29 avril 2025 dans un effrayant consensus contre « les-grands-méchants-narcos-qui-nous-menacent-tous », la loi « narcotrafic » permet en fait une extension tous azimuts des pouvoirs de la police, de la justice et de l’administration pénitentiaire, et la poursuite de l’enfermement massif de la population. Elle satisfait les revendications des surveillants en limitant les extractions par la généralisation de la visioconférence en détention. Tant pis pour la nette dégradation des moyens de se défendre face à la justice ; ou même de se soigner. La vidéosurveillance par drone à l’intérieur des cellules est également prévue – en attendant la surveillance généralisée. La loi consolide aussi le statut de « collaborateur de justice » – anciennement « repenti » –, c’est-à-dire de poukave. Elle complique et rallonge les procédures de demande de mise en liberté (DML), alourdit la qualification de certains actes, comme l’« association de malfaiteurs » qui devient un crime, et crée de nouveaux délits, comme le « concours à une organisation criminelle ». Elle renforce la répression contre les rassemblements devant les établissements pénitentiaires. Elle va dans le sens de l’allongement général des peines, notamment par l’augmentation des circonstances aggravantes et la réduction des possibilités de confusions de peines.
Dans les QLCO, les prisonniers seront surveillés quasiment en permanence, coupés du monde et privés de presque tout contact humain – très peu de parloirs, et toujours derrière un hygiaphone dont la vitre empêche tout contact physique avec les visiteurs qui, pour la plupart, auront déjà fait des centaines de kilomètres jusqu’à ces taules plantées au milieu de nulle part. Leurs appels téléphoniques seront réduits à quatre heures par semaine, et écoutés en permanence. Ils n’auront pas droit aux UVF, ces « unités de vie familiale » où il est possible de partager une relative intimité avec leurs proches. Ils ne pourront pas travailler dans la prison comme « auxi » pour subvenir à leurs besoins, ni voir le moindre brin d’herbe dans des « promenades » complètement bétonnées. Après chaque contact avec l’extérieur, ils subiront systématiquement le viol de leur intimité lors des fouilles à nu. Chaque prisonnier ne pourra en fréquenter que 2 à 4 autres, et sera encadré par des matons en nombre, surarmés et toujours mieux payés… Ce régime doit s’appliquer à des condamnés, mais aussi à des prisonniers en détention provisoire, qui peuvent y rester quatre ans – au bon vouloir du garde des sceaux. Le régime de torture blanche imposé depuis des années à Salah Abdeslam sans que cela suscite l’indignation des humanistes, mais aussi à Rédoine Faïd, victime de la vengeance de l’administration pénitentiaire depuis son évasion spectaculaire de Réau, va maintenant être étendu à des dizaines, puis des centaines de prisonniers. L’objectif est clairement de tenir toutes les détentions par la peur : qui va subir ce régime ? Jusqu’où ces mesures vont-elles s’étendre, et à qui ?
Cette politique pénitentiaire particulièrement agressive entend balayer tout ce que les prisonnier-es avaient acquis au fil des luttes. Dans les années 1960 et 1970, ils se sont massivement révoltés pour l’amélioration de leurs conditions de survie, pour un peu plus de sociabilité, puis contre les QHS (quartiers de haute sécurité) ancêtres des QLCO. Par une large médiatisation de leurs revendications, soutenus par une partie de la gauche, ces mouvements avaient obtenu la fermeture des QHS. Qu’à cela ne tienne : un coup de peinture, quelques barreaux en moins, et ce fut l’invention des QI (quartiers d’isolement), que les prisonnier-es n’ont cessé de dénoncer comme des lieux de torture blanche. L’Envolée relaie depuis les années 2000 la parole de prisonnier-es qui dénoncent toutes sortes d’extensions de l’isolement dans les détentions : par le mode de fonctionnement des prisons modernes, par l’instauration du régime « portes fermées » là où les cellules restaient auparavant ouvertes une partie de la journée, par l’instauration des QMC (quartier maison centrale) et des prisons de haute sécurité de Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-vieil, déjà ouverts dans les années 2010 pour mater les prisonniers jugés récalcitrants… Face au déploiement de tant de régimes mortifères, c’est plus que jamais le moment de faire vivre la mémoire de ces luttes, de faire circuler la parole de ceux et celles qui les dénoncent et qui résistent.
Pensées, force, courage et détermination aux prisonnier-es et à leurs proches qui subissent ces régimes. N’hésitez pas à nous contacter et à prendre la parole !

Contre les régimes d’isolement, à (re)lire et (ré)écouter :
– « Chapitre 2 « Tout le monde au cachot » : texte publié en mars 2025 par L’Envolée suite à l’annonce de l’ouverture des QLCO.
– Grève de la faim de Rédoine Faïd contre le régime qu’il subit à Condé-sur-Sarthe (décembre 2024).
– Sur le régime d’isolement « 41 bis » en Italie, funeste inspiration de Darmanin, et sur la grève de la faim d’Alfredo Cospito qui le subit : émission radio l’Envolée du 10 mars 2023.
– Taules de haute sécurité : histoire d’une lutte à mener », article du journal CQFD au sujet des luttes contre ce régime qui a été « qualifié il y a plus de vingt ans de « cruel, inhumain et dégradant » par Amnesty International. »
– « Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil : comment feront-ils plus invivable que l’invivable ? » : dans l’émission radio l’Envolée en mars 2025, rediffusions de paroles de prisonniers de Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-vieil.
« Mentalement c’est fait pour broyer un homme« ,
paroles d’un prisonnier sorti de Condé-sur-Sarthe en 2019 :
« Avec le nouveau directeur, ce que des matons voulaient a été mis en place, c’est la politique de la terreur. C’est comme une boutique qu’il faut entretenir. Condé a la réputation d’être la centrale la plus sécuritaire de France. Donc si il y a rien qui se passe là-bas, les gens vont dire que tous ces moyens ne sont pas justifiés. C’est une prison où on est 7, 8 dans l’aile, il y a trois surveillants pour ouvrir une porte à la fois, avec 5 caméras. Il y a plus de 250 surveillants pour 100 détenus.Niveau moyens humains et matériels, ils ont tout ce qu’il faut, ils peuvent pas se plaindre. Ils ne peuvent pas demander plus. Donc il faut qu’il se passe des choses pour justifier que cette prison soit la plus sécuritaire de France. Alors pour justifier ces moyens énormes, on va faire en sorte que ça se passe mal à l’intérieur… comment on va justifier tous ces moyens si ça se passe bien ? C’est très difficile mentalement de savoir qu’on est dans un espace aussi réduit, c’est pas fait pour garder des gens à long termes, pendant des années. Ça brise un homme, mentalement c’est fait pour broyer un homme. Certes, la prison c’est difficile. Mais là ça a rien à voir, c’est de machines à broyer. »
– Numéro 39 du journal l’Envolée, dossier spécial sur l’ouverture de la prison de Condé-sur-Sarthe (2014) : lire l’édito et le sommaire ici ou télécharger le journal complet là.
– Contre les QMC (Quartiers maison centrale), paroles de Romain et Philippe :
Extrait du journal l’Envolée n°56 de novembre 2022 :
Dès que les QMC (quartiers maison centrale) ont été ouverts au début des années 2010 au sein des centres pénitentiaires, des prisonniers les ont dénoncés. Ils cumulent l’horreur des anciens QHS (quartiers de haute sécurité, prétendument fermés depuis les années 1980) et celle des nouvelles maisons d’arrêt. Tout propres, tout neufs, ces quartiers sont surtout dotés de moyens considérables pour imposer un isolement absolu aux prisonniers. Il y a, entre autres, des caméras et des doubles sas partout. Les mouvements à l’intérieur de la détention sont surencadrés et les rencontres entre prisonniers réduites au minimum. Évidemment, plus l’isolement est fort, plus il devient difficile de construire une résistance collective… et même de respirer.
Les prisonniers du QMC de Valence se sont mutinés le 27 novembre 2016 ; voici un extrait de ce qu’a dit l’un des accusés, Romain Leroy, à son procès :
« Quand on a une grosse peine, pour éviter un état colérique, la frustration, c’est normal d’avoir des espaces de promenade et pas que de la sécurité. Dans ces nouvelles prisons, c’est cinq surveillants à chaque ouverture de porte. Quand on nous fouille et qu’on nous écarte l’anus, la dignité l’emporte. […] C’est géré comme une prison de haute sécurité, on se croirait encore au QHS, dans ce système des années 1970-1980. […] Nous, on a des murs de 20 mètres, donc personne ne sait rien, et pour les longues peines de France, rien ne bouge. Pour nous, c’est comme pour les ouvriers qu’on licencie, qu’on jette sans rien leur demander et qui en viennent à prendre des patrons en otage, à détruire du matériel et à installer des bouteilles de gaz en menaçant de faire péter leur usine pour pouvoir se faire entendre ! Nous, c’est le même combat ! On est pareils ! […]
Pour moi, quand on a pris les clefs et ouvert les cellules, ce n’était pas un vol, mais le seul moyen de faire entendre la parole de nous, les longues peines de France. Le seul moyen d’avoir une tribune […] Ce que j’ai fait, j’ai dit que je l’avais fait, y a pas de problème, et je regrette rien. Ce qui est regrettable, c’est qu’on soit obligés d’en arriver là ! […] C’est moi qui passe en jugement, mais ce que je dis, c’est au nom de toutes les longues peines de France. Je suis libérable en 2038.
Je veux bien mettre un genou à terre, mais pas les deux. Je veux garder ma dignité. »

Plus de contenu sur les QMC : journal L’Envolée n°34, 38, 39, 40.
– Lettre de Libre Flot, enfermé en quartier d’isolement :

– « Je vous écris de Guantanamo 2004 » : Lettre de Gégé au quartier d’isolement de Fleury Mérogis, juillet 2004
– « Appel à l’opinion publique contre les QHS » :

Références :
- la plupart des lettres lues ou reproduites ici sont publiées dans le livre « La peine de mort n’a jamais été abolie », envoyé gratuitement aux prisonnier.e.s qui le demandent !
- L’illustration en début d’article est une affiche de la campagne contre les QHS au tournant des années 1980.
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