Communiqué du journal L’Envolée, trois fois censuré en deux ans.
L’Envolée, c’est une émission de radio et un journal qui portent depuis 2001 la parole de ceux et celles qui subissent et affrontent l’enfermement. Pour la troisième fois en deux ans, le dernier numéro de notre journal a été officiellement interdit en prison par l’administration pénitentiaire et son ministère. Ce qui leur déplaît ? Que les prisonniers et prisonnières s’expriment, communiquent, et puissent recevoir un journal dans lequel la violence – trop souvent mortifère – du système carcéral est démontrée… Ce qui gêne l’administration, c’est qu’ils et elles racontent leurs bagarres et solidarités (voir les citations ci-dessous).
Pourtant, les prisonnier·e·s ont théoriquement le droit de lire des journaux.
Dans certaines prisons, le journal L’Envolée est régulièrement censuré au bon vouloir des matons ou leurs hiérarchies. Déjà en 2005 et 2006, l’administration pénitentiaire (AP) avait mené des procès contre L’Envolée, puis menacé de le refaire en 2013, 2018, 2020… Depuis 2021, c’est répétitif : le journal est distribué aux abonné·e·s, puis peu de temps après, il est officiellement interdit dans les prisons françaises et retiré aux concerné·e·s. Avec en bonus des coups de pression envers nos lecteurs et lectrices enfermé·e·s. Ainsi, les journaux numéros 52, 55 et maintenant 56 ont été interdits.
Ce dernier numéro se voulait avant tout un hommage à notre correspondant et lecteur Romain Leroy, prisonnier longue peine, dont nous avons salué les combats et la solidarité. Il est mort en août 2022, des suites de problèmes de santé causés par la répression carcérale après des refus de soins. Cet hommage, il faut croire que l’AP refuse que ses compagnons de détention puissent le lire ? Cette décision nous motive d’autant plus : notre journal est un porte-voix pour les prisonnier·e·s, il est lu et discuté en prison, c’est pour ça qu’on le fait et qu’on continuera à le faire. Ils ne condamneront pas les prisonnier·e·s au silence !
En somme, on reproche à L’Envolée d’écrire que la prison torture et tue, que les uniformes bénéficient d’un permis de tuer, que la censure existe en France, que c’est un pays de flics, qu’une guerre sociale est menée contre les pauvres, que le fascisme gagne du terrain et que l’institution judiciaire est complice. Mais surtout, on nous censure pour que les prisonniers, prisonnières et leurs proches ne puissent pas dire, écrire et lire ces réalités… qu’ils et elles connaissent trop bien.
Nous ne pouvons laisser passer cette énième attaque contre une parole déjà si rarement publiée au-delà des murs. Des recours juridiques sont en cours contre cette censure infondée. Vous pouvez soutenir ces paroles en les faisant circuler, en rappelant leur existence, par tous les moyens, dedans et dehors. Depuis vingt ans, les abonnements payés par les gens qui ne sont pas en prison contribuent à financer les abonnements gratuits pour les enfermé·e·s. Donc pour soutenir L’Envolée, abonnez-vous !
Aux prisonniers et prisonnières concerné-e-s, à leurs proches : contactez-nous pour nous dire si vous avez reçu le journal ou pas, donnez-nous des détails sur les circonstances (anonymement ou pas), afin d’alimenter notre recours. Vous pouvez aussi mener des recours individuels contre l’AP pour cette censure, contactez-nous, nous vous soutiendrons.
Retrouvons-nous chaque semaine sur les ondes ou sur les plateformes de podcast en attendant le prochain journal !
L’Envolée, début février 2023
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Pour écrire : Radio FPP – L’Envolée, 1 rue de la solidarité, 75019 Paris,
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En direct tous les vendredis de 19 heures à 20h30 sur radio FPP, fréquence 106.3FM à paris et sur https://rfpp.net/
Rediffusions sur une dizaine de radios locales. A réécouter sur lenvolee.net et sur toutes les plateformes de podcast.
Lire L’Envolée :
Pour lire en pdf le No56 censuré en prison, c’est ici.
Les autres numéros sont consultables en ligne, en cliquant là.
Voici les extraits de L’Envolée 56 qui ont particulièrement agacé l’AP :
Dans la note qui circule en prison, le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire proclament l’interdiction du journal en prison et se justifient en citant des extraits. Ils confondent « violences systématiques » et « violences systémiques » des surveillants, ils censurent un texte déjà publié sur notre site internet, et surtout le ministre, ancien avocat « grand défenseur des prisonniers » déteste que l’on dise qu’il ne défend plus grand-chose, et finit par carrément censurer… un poème ! En gras, voici les passages attaqués. Nous les restituons dans leur contexte. Faites tourner !
« Cette censure [du no55] s’est accompagnée d’une répression des prisonnier·e·s abonné·e·s : fouilles de cellule, coups de pression et, à l’occasion, menaces. Le motif, cette fois-ci, c’est qu’il est inacceptable de faire aux prisonnier·e·s le récit véridique du procès des matons qui ont tué Sambaly Diabaté en 2016 à Saint-Martin-de-Ré. Pourquoi ? Parce que ce drame met une fois de plus en évidence le caractère systémique de la violence exercée par des surveillants. » (édito, page 3)
« Les policiers ont tué vingt personnes depuis le début de l’année. Dernier motif à la mode : le refus d’obtempérer. Les matons continuent à se transmettre des techniques qui tuent. En cas de problème, même plus besoin de mentir, ils invoquent maintenant « l’effet tunnel ». » (édito, page 4)
« Avec cette lettre motivée, je viens à vous qui êtes à l’extérieur afin de faire entendre nos voix. Je suis un des détenus longues peines de France actuellement incarcérés dans une des maisons centrales ou quartier maison centrale (QMC) telles que Valence, Réau, Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil. Ces nouvelles structures sont en fait des QHS (quartiers de haute sécurité) ou des QSR (quartier de sécurité renforcée). Les nouvelles prisons françaises sont copiées sur le format canadien et se dirigent vers l’américanisation. Ces systèmes pénitentiaires ultra durs sont basés sur des fonctionnements répressifs et pervers. Nous sommes passés de personnes détenues à bétail. Certains diront aussi « cobayes ». Nous ne sommes pas considérés comme des humains ni des citoyens. Torture psychologique, psychique, voire même physique lors des fouilles à nu qui sont pourtant interdites et abusives. Je souhaite, et nous souhaitons, attirer votre attention, à vous qui êtes dehors, car nous, à l’intérieur, nous sommes muselés, bâillonnés : la liberté d’expression en prison n’existe plus, alors que dehors des gens se battent et meurent pour cette dernière. » (p.10, Lettre de Romain Leroy, Maison centrale de Condé-sur-Sarthe, Juin 2017)
« Si on leur met toute la journée la pression psychologique, au bout d’un moment, on peut pas garder tout pour soi ! C’est des êtres humains, ils éclatent… De toute façon, la prison tue. La prison, elle tue. Soit ils les tuent de leurs propres mains, soit ils leur font de la pression. Ils les tuent à petit feu jusqu’à les conduire à la mort parce que, voilà, c’est de l’acharnement ». (p.15, entretien avec Adeline, la compagne de Romain, après son décès, au sujet de son parcours carcéral et de leurs bagarres)
« Je dis bonjour à L’Envolée
Je voudrais qu’vous m’épauliez
Je vais tout vous raconter
Ça m’fait pas rigoler
Oui, ça nous sert la gamelle
Oui, ça nous prend pour des chiens
Et t’as pas vu les matons
Ils font les fachos toute l’année
Moi, j’ai bien analysé
Eux, ils n’aiment pas les Arabes
J’me rappelle j’ai cantiné
Et ils ont enlevé tout mon rabe »
(p. 25, poème de Cocktail, maison d’arrêt de Caen, 11 juillet 2022)
» … au prétexte d’une malheureuse animation à la prison de Fresnes achève de prouver que, maintenant qu’il est ministre des prisons, l’ex-avocat Superdupont-Moretti n’assure plus la défense de grand-chose – si ce n’est celle de positions fascistes. Au-delà de cette drague éhontée, il est important de rappeler que les animations telles que « Kohlantess » – et les polémiques qu’elles suscitent – masquent avant tout la violence pénitentiaire et la nature mortifère de la prison.«
(p.23, texte en réaction à la « polémique Kohlantess »)
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