Catégorie : Textes de L’Envolée

  • Il y a un an, la prison tuait Romain Leroy

    Il y a un an, la prison tuait Romain Leroy

    Le 9 août 2022, Romain Leroy prisonnier longue peine, correspondant de l’Envolée, est mort. Il est mort d’une rupture de l’aorte. Il avait 38 ans.

    Notre ami et allié, ce papa et mari est parti pour toujours.

    Il est mort de la prison. (Le numéro 56 du journal en hommage à Romain est dispo ici).

    De transfert en transfert, il est passé par les prisons les plus sécuritaires de France. Quartier disciplinaire, isolement, acharnement… parce qu’il refusait de laisser la taule le broyer.

    En 2016 il décide de prendre la parole publiquement. Cette prise de parole, État et médias l’ont appelé « la mutinerie de Valence ». Sans ce mouvement collectif, personne n’aurait daigné tendre ne serait-ce qu’une oreille pour entendre la réalité des conditions carcérales. Lisez ou relisez ses déclarations au procès de cette révolte et cette lettre qu’il avait écrite à l’époque pour expliquer son geste.

    Sans vouloir être un héros, Romain voulait raconter, dénoncer et combattre les vrais drames de la taule, ceux qui sont vécus par tous les prisonnier·es, toutes les familles : le manque de soin, les morts suspectes, les difficultés de rapprochement familial, l’isolement, l’absence de respect des droits les plus élémentaires des prisonnier·es, etc.

    L’administration pénitentiaire n’a pas de cœur, c’est normal, mais elle a de la mémoire et la vengeance tenace. Jamais, elle n’a pu pardonner à Romain ces prises de parole.

    A chacune de ses interventions publiques, Adeline, sa compagne, raconte cette vengeance pénitentiaire (notamment dans cette émission). Elle l’a subie, elle aussi, au fil des ans ; mais sans relâche, elle continue de se battre.

    Nous pensons à elle aujourd’hui, ainsi qu’à leur petite fille qui n’aura connu son papa qu’à travers les barreaux.

    Nous pensons à Romain qui a su rester fier, droit, sincère, humain et vrai.

    Si l’administration l’a qualifié de « dangereux » c’est parce qu’il a contribué à faire entendre la vérité sur la prison et le sort réservé aux prisonnier·es longues peines.

    Nous le remercions pour cela et sommes fier·es d’avoir lutté à ses côtés.

    Malgré la censure, nous ne le répèterons jamais assez : la  prison tue !

    Le combat continue, y’a pas d’arrangement !

  • COMMENT RESTER CALME QUAND LA POLICE NOUS NARGUE ENCORE EN PLEIN DEUIL

    COMMENT RESTER CALME QUAND LA POLICE NOUS NARGUE ENCORE EN PLEIN DEUIL

    Cri du cœur d’une habitante des quartiers populaires

    Se faire insulter ou salir, frapper ou humilier, mourir d’une balle dans la tête ou étouffé... Voilà le lot de nos jeunes dans les quartiers. Nous, parents, grands frères, grandes sœurs à qui on demande aujourd’hui de faire des appels aux calme, nous avons tenté de dénoncer tout ça il y a dix-huit ans déjà, après la mort de Zied et Bouna, morts d’avoir été poursuivis par les flics. Ce que nous ressentions dans nos corps, c’étaient toutes les humiliations qui font mal au ventre, les contrôles perpétuels qui dérapent à tous les coups… et toutes les vies volées.

    Notre colère s’est exprimée de la même façon : des voitures brûlées, des pillages… C’était un prêté pour un rendu – même pas une vengeance à la mesure de notre douleur. Face à l’incompréhension d’une société qui nous traitait comme des laissés-pour-compte, des vauriens, c’était le moyen de se faire entendre. Nous sommes habitués dès notre plus jeune âge à être violentés par la police, la justice, l’omertà, et l’aveuglement volontaire des politiciens ; mais comment rester calme quand un ou une d’entre nous meurt dans la plus totale indifférence, quand des preuves  disparaissent des dossiers et que la police nous nargue encore en plein deuil pendant nos marches blanches ?

    Tout ça a été dénoncé à l’infini par des associations et des familles en colère, mais rien ! Non, rien contre les vrais bourreaux ! Des médailles distribuées aux policiers comme des bonbons, des mutations, des félicitations… bref un permis de tuer. En voyant ça à la télé, comment ne pas être en colère, comment ne pas se sentir aculés ? Toute la france est descendue dans la rue contre la réforme des retraites, mais elle s’est heurtée au mépris du gouvernement. Maintenant que ça pète, on voit bien qu’y a que le scandale qui fait parler des quartiers et de ce qu’il s’y passe ; mais derrière c’est le RAID, le GIGN et les blindés.

    Pourquoi piller les magasins ? Le RSA est censé nous tenir au calme en nous menaçant de nous le retirer à la moindre petite résistance… mais il est bouffé par l’inflation ! Alors on se sert ! Ces enfants voient leur maman ou leur papa bosser comme des chiens à nettoyer la crasse de bourgeois qui leur crachent à la gueule ! Ils t’embauchent à 1 300 euros par mois pour un taf qu’ils ne voudraient faire pour rien au monde et il faudrait être reconnaissants…

    Aujourd’hui c’est nos enfants qui vivent ça et qui se battent dans la rue – comment ça se fait ? Pourquoi toujours le même schéma, des années après ? Elles sont là, les vraies questions auxquelles il faut répondre ! Et pas par la répression, comme à chaque fois ! Vous allez leur demander d’arrêter, de tendre l’autre joue ? Alors on incrimine les parents, on dit que c’est de leur faute ; on menace, et encore une fois ça passe par le chantage et la peur ; mais n’oubliez pas nous étions déjà là en 2005.

    Ça réveille des douleurs enfouies.

    (écrit fin juin 2023 suite à la mort de Nahel, abattu par un policier).

    Note : la première illustration de cet article est une photo prise par Amadou Gaye en 1983, à Châtenay-Malabry, où Nacer M’Raïdi avait été grièvement blessé par la police. Source : Rengainez on arrive ! Chroniques des luttes contre les crimes racistes et sécuritaires, contre la hagra policière et judicière des années 1970 à aujourd’hui, livre de Mogniss H.Abdallah, publié en 2012 aux éditions LIbertalia.

  • AMNISTIE POUR LES INCULPÉS DE LA RÉVOLTE POPULAIRE !

    AMNISTIE POUR LES INCULPÉS DE LA RÉVOLTE POPULAIRE !

    Police, justice, prison : les maillons d’une même chaîne

    « Moi quand je fous le feu ça fait d’la lumière et j’y vois plus clair ! »
    Hafed Benotman, 2005

    Contrairement à ce que tous les commentateurs serinent à longueur d’émission, les feux de la révolte en cours nous disent beaucoup. Notamment sur le système police-justice-prison, qui est là avant tout pour enfermer les pauvres, notamment les jeunes prolétaires racisés – quand il ne les tue pas. Face aux arrestations de masse de ces derniers jours, se rendre dans les tribunaux qui ont commencé à juger les révoltés – et y porter la revendication d’une amnistie générale –, c’est le moins qu’on puisse faire.

    « Il y a chez eux une dynamique qui les dépasse. En réalité, ils n’obéissent à aucun raisonnement rationnel », assène le substitut du procureur de Nanterre après l’annonce des premières incarcérations. Au-delà d’un mépris social et d’un racisme hélas largement partagés, il est clair que lui a un intérêt direct à dépolitiser, désocialiser et animaliser les révoltés qu’il envoie au trou… puisque l’institution qu’il incarne est une des cibles de cette révolte populaire. On entend beaucoup parler des attaques de mairies, de commissariats et autres Lidl, moins de celles des maisons de justice, de la prison de Fresnes et de Réau, ou encore des bien mal nommés Services de probation et d’insertion pénitentiaire (Spip). A croire qu’« intoxiqués » à GTA ou pas, les gamins en révolte savent bien que la prison est faite pour eux – comme elle l’était pour leur parents qui ont connu le tournant sécuritaire des années 1980 et l’explosion de l’incarcération de masse. A croire que l’« insertion » n’est qu’un autre nom de la mise au travail de la jeunesse des quartiers populaires dans des conditions dégradantes.

    La brutalité d’hommes en armes quadrillant les rues n’est que l’expression la plus visible de la violence d’État. Après le policier, c’est le juge qui prend le relais ; et après le juge, le maton. C’est la chaîne pénale : police-justice-prison. Comme celle de la police, la violence des cours de justice s’abat tous les jours, tranquillement, sur les classes les plus pauvres et les plus stigmatisées des quartiers populaires. « Combien de Nahel n’ont pas été filmés ? »,peut-on lire sur des banderoles. De 2014 à 2019, la police a tué en moyenne 25 personnes par an ; depuis, le nombre des morts entre les mains des forces de l’ordre a encore bondi – jusqu’à 52 décès en 2021, et plus de 40 l’année dernière. Et combien d’autres morts en prison ? Impossible de le dire : là, il n’y a jamais d’images, évidemment. On pense à Sambaly, à Jawad, à Idir, à Alassane, à Jimony, à Taoufik, à Théo, à Gordana et tant d’autres. Prisonnier.e.s et proches le répètent à la radio ou dans notre journal depuis vingt ans : la violence des surveillants pénitentiaires s’abat tous les jours. Ils humilient ; certains tabassent, certains tuent derrière les hauts murs des prisons de France ; tout particulièrement dans les mitards et les quartiers d’isolement. Dans ces lieux, pas d’autres témoins que les caméras de surveillance, et les agents connaissent tous les angles morts. Comme les policiers, ils sont couverts par leur hiérarchie et acquittés par la justice.

    La phase judiciaire de la répression des mouvements sociaux ne produit pas d’images révoltantes, mais elle n’en est pas moins violente pour autant. Le garde des sceaux Dupont-Moretti a d’ores et déjà sonné la mobilisation générale de la machine judiciaire pour écraser le mouvement. Il y a fort à parier que les chiffres de 2005 (800 révoltés avaient pris du ferme en trois semaines) et ceux des Gilets jaunes (1 500 peines ferme en cinq mois) seront largement dépassés. Sa circulaire à destination des parquets est d’ailleurs le décalque de celle qui visait le mouvement des Gilets jaunes  – avec la criminalisation des parents en prime. Le ministre encourage le recours à l’infraction de « participation à un groupement en vue de la préparation de violences », qui permet de condamner toute personne présente sur les lieux, en l’absence de tout autre élément à charge. Les procureurs sont invités à « déferrer » tout le monde systématiquement, même les mineurs. Ça va entraîner énormément d’incarcérations, car les sanctions pénales qui suivent un déferrement sont généralement plus lourdes et plus brutales. L’augmentation du recours aux comparutions immédiates est exponentielle depuis les grandes révoltes de 2005 ; et lors des mouvements sociaux, elles sont utilisées massivement.

    Le ministre demande aussi de faire remonter les chiffres tous les jours pour faire de la communication – pour éteindre le soupçon de cet introuvable « laxisme judiciaire » qui est invariablement invoqué par la droite et l’extrême droite. Car l’extrême droite armée est à l’offensive dans les médias comme dans les rues : les mêmes syndicats de policiers qui demandent « le respect de la présomption d’innocence » et « l’indépendance de la justice » pour leur collègue exigent en même temps que la justice s’automatise encore plus pour ceux qu’ils qualifient de « nuisibles », de « hordes sauvages », de « chienlit ». Pour les éradiquer, ils exigent une fois de plus les pleins pouvoirs, ils en appellent au « réarmement de la police ». Ce terme avait été utilisé par Marine Le Pen en 2017 après le viol de Théo par d’autres policiers fascistes. Juste avant, des flics avaient manifesté armés non loin de l’Elysée. Ils se chauffaient, à l’époque. Aux élections suivantes, ils manifestaient cette fois devant l’Assemblée nationale pour dénoncer ce chimérique « laxisme judiciaire ». Déjà ministre de l’Intérieur, Darmanin les avait rejoints pour les assurer de son soutien. Forts de ces victoires symboliques successives, les syndicat Alliance et Unsa ont prospéré et assumé leur orientation fasciste au cœur de la police, mais aussi dans l’administration pénitentiaire. Les menaces séditieuses de ces jours-ci sont la suite logique d’une négociation au long cours au cœur de l’État pour qu’il durcisse le régime et arme toujours plus ces hommes déjà en armes. Ce qu’il fait, d’ailleurs, en déployant le Raid et la BRI, qui tirent dans les rues.

    Face à cette prise d’otage de l’Etat et des rues par ces bandes armées, c’est ailleurs qu’il s’agit de construire un rapport de force. S’il y a bien un endroit où il faut se trouver, c’est dans les tribunaux et devant les prisons : pour dire à la justice qu’on n’est pas d’accord, et pour que les gens se sentent moins seuls face à une institution entièrement dirigée contre eux. Déjà des réunions, des collectifs, des rassemblements s’organisent pour faire face à l’immense répression policière et judiciaire que l’État va continuer à déployer. Il y a eu près de 4 000 arrestations en une semaine, et les premières perquisitions ont déjà eu lieu. Soyons nombreux et nombreuses dans les tribunaux et devant les prisons pour que l’autodéfense collective face à la justice fasse partie intégrante du mouvement.

    Il nous faut trouver la force et la détermination nécessaires pour exiger l’amnistie de tous les inculpés, c’est-à-dire l’abandon des poursuites à leur encontre et leur libération immédiate. Celles et ceux qui ont pris part au mouvement social contre la réforme des retraites, celles et ceux qui se mobilisent contre la dissolution des Soulèvement de la terre, les organisations de gauche et de défense des droits de l’homme peuvent trouver là le moyen de se solidariser en actes avec les révoltés. Dans la rue, la révolte populaire a déjà pris pour cible la chaîne pénale qui sert à enfermer principalement celles et ceux qui subissent de plein fouet la violence économique, tout en couvrant la violence de ses agents. Un tel mot d’ordre d’amnistie générale serait un premier pas pour gripper la machine judiciaire qui enferme chaque jour les enfants des colonisés, les étrangers et les pauvres des quartiers de France ; qui tous n’en peuvent plus d’être stigmatisés, emprisonnés et pris pour cibles.

    L’Envolée, 4 juillet 2023.

  • Interdiction de L’Envolée 56 en prison : le ministère persiste et signe ? Nous aussi !

    Interdiction de L’Envolée 56 en prison : le ministère persiste et signe ? Nous aussi !

    Communiqué du journal L’Envolée, trois fois censuré en deux ans.

    L’Envolée, c’est une émission de radio et un journal qui portent depuis 2001 la parole de ceux et celles qui subissent et affrontent l’enfermement. Pour la troisième fois en deux ans, le dernier numéro de notre journal a été officiellement interdit en prison par l’administration pénitentiaire et son ministère. Ce qui leur déplaît ? Que les prisonniers et prisonnières s’expriment, communiquent, et puissent recevoir un journal dans lequel la violence – trop souvent mortifère – du système carcéral est démontrée… Ce qui gêne l’administration, c’est qu’ils et elles racontent leurs bagarres et solidarités (voir les citations ci-dessous).

    Pourtant, les prisonnier·e·s ont théoriquement le droit de lire des journaux.
    Dans certaines prisons, le journal L’Envolée est régulièrement censuré au bon vouloir des matons ou leurs hiérarchies. Déjà en 2005 et 2006, l’administration pénitentiaire (AP) avait mené des procès contre L’Envolée, puis menacé de le refaire en 2013, 2018, 2020… Depuis 2021, c’est répétitif : le journal est distribué aux abonné·e·s, puis peu de temps après, il est officiellement interdit dans les prisons françaises et retiré aux concerné·e·s. Avec en bonus des coups de pression envers nos lecteurs et lectrices enfermé·e·s. Ainsi, les journaux numéros 52, 55 et maintenant 56 ont été interdits.

    Ce dernier numéro se voulait avant tout un hommage à notre correspondant et lecteur Romain Leroy, prisonnier longue peine, dont nous avons salué les combats et la solidarité. Il est mort en août 2022, des suites de problèmes de santé causés par la répression carcérale après des refus de soins. Cet hommage, il faut croire que l’AP refuse que ses compagnons de détention puissent le lire ? Cette décision nous motive d’autant plus : notre journal est un porte-voix pour les prisonnier·e·s, il est lu et discuté en prison, c’est pour ça qu’on le fait et qu’on continuera à le faire. Ils ne condamneront pas les prisonnier·e·s au silence !

    En somme, on reproche à L’Envolée d’écrire que la prison torture et tue, que les uniformes bénéficient d’un permis de tuer, que la censure existe en France, que c’est un pays de flics, qu’une guerre sociale est menée contre les pauvres, que le fascisme gagne du terrain et que l’institution judiciaire est complice. Mais surtout, on nous censure pour que les prisonniers, prisonnières et leurs proches ne puissent pas dire, écrire et lire ces réalités… qu’ils et elles connaissent trop bien.

    Nous ne pouvons laisser passer cette énième attaque contre une parole déjà si rarement publiée au-delà des murs. Des recours juridiques sont en cours contre cette censure infondée. Vous pouvez soutenir ces paroles en les faisant circuler, en rappelant leur existence, par tous les moyens, dedans et dehors. Depuis vingt ans, les abonnements payés par les gens qui ne sont pas en prison contribuent à financer les abonnements gratuits pour les enfermé·e·s. Donc pour soutenir L’Envolée, abonnez-vous !

    Aux prisonniers et prisonnières concerné-e-s, à leurs proches : contactez-nous pour nous dire si vous avez reçu le journal ou pas, donnez-nous des détails sur les circonstances (anonymement ou pas), afin d’alimenter notre recours. Vous pouvez aussi mener des recours individuels contre l’AP pour cette censure, contactez-nous, nous vous soutiendrons.

    Retrouvons-nous chaque semaine sur les ondes ou sur les plateformes de podcast en attendant le prochain journal !

    L’Envolée, début février 2023


    Contacter L’Envolée :
    Pour nous joindre : 07.53.10.31.95 (appels et textos).
    Pour écrire : Radio FPP – L’Envolée, 1 rue de la solidarité, 75019 Paris,
    contact@lenvolee.net  et sur instagram, twitter, facebook.

    Écouter L’Envolée :
    En direct tous les vendredis de 19 heures à 20h30 sur radio FPP, fréquence 106.3FM à paris et sur https://rfpp.net/
    Rediffusions sur une dizaine de radios locales. A réécouter sur lenvolee.net et sur toutes les plateformes de podcast.

    Lire L’Envolée :
    Pour lire en pdf le No56 censuré en prison, c’est ici.
    Les autres numéros sont consultables en ligne, en cliquant là.

    Voici les extraits de L’Envolée 56 qui ont particulièrement agacé l’AP :
    Dans la note qui circule en prison, le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire proclament l’interdiction du journal en prison et se justifient en citant des extraits. Ils confondent « violences systématiques » et « violences systémiques » des surveillants, ils censurent un texte déjà publié sur notre site internet, et surtout le ministre, ancien avocat « grand défenseur des prisonniers » déteste que l’on dise qu’il ne défend plus grand-chose, et finit par carrément censurer… un poème ! En gras, voici les passages attaqués. Nous les restituons dans leur contexte. Faites tourner !


    « Cette censure [du no55] s’est accompagnée d’une répression des prisonnier·e·s abonné·e·s : fouilles de cellule, coups de pression et, à l’occasion, menaces. Le motif, cette fois-ci, c’est qu’il est inacceptable de faire aux prisonnier·e·s le récit véridique du procès des matons qui ont tué Sambaly Diabaté en 2016 à Saint-Martin-de-Ré. Pourquoi ? Parce que ce drame met une fois de plus en évidence le caractère systémique de la violence exercée par des surveillants. » (édito, page 3)

    « Les policiers ont tué vingt personnes depuis le début de l’année. Dernier motif à la mode : le refus d’obtempérer. Les matons continuent à se transmettre des techniques qui tuent. En cas de problème, même plus besoin de mentir, ils invoquent maintenant « l’effet tunnel ». » (édito, page 4)


    « Avec cette lettre motivée, je viens à vous qui êtes à l’extérieur afin de faire entendre nos voix. Je suis un des détenus longues peines de France actuellement incarcérés dans une des maisons centrales ou quartier maison centrale (QMC) telles que Valence, Réau, Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil. Ces nouvelles structures sont en fait des QHS (quartiers de haute sécurité) ou des QSR (quartier de sécurité renforcée). Les nouvelles prisons françaises sont copiées sur le format canadien et se dirigent vers l’américanisation. Ces systèmes pénitentiaires ultra durs sont basés sur des fonctionnements répressifs et pervers. Nous sommes passés de personnes détenues à bétail. Certains diront aussi « cobayes ». Nous ne sommes pas considérés comme des humains ni des citoyens. Torture psychologique, psychique, voire même physique lors des fouilles à nu qui sont pourtant interdites et abusives. Je souhaite, et nous souhaitons, attirer votre attention, à vous qui êtes dehors, car nous, à l’intérieur, nous sommes muselés, bâillonnés : la liberté d’expression en prison n’existe plus, alors que dehors des gens se battent et meurent pour cette dernière. » (p.10, Lettre de Romain Leroy, Maison centrale de Condé-sur-Sarthe, Juin 2017)

    « Si on leur met toute la journée la pression psychologique, au bout d’un moment, on peut pas garder tout pour soi ! C’est des êtres humains, ils éclatent… De toute façon, la prison tue. La prison, elle tue. Soit ils les tuent de leurs propres mains, soit ils leur font de la pression. Ils les tuent à petit feu jusqu’à les conduire à la mort parce que, voilà, c’est de l’acharnement ». (p.15, entretien avec Adeline, la compagne de Romain, après son décès, au sujet de son parcours carcéral et de leurs bagarres)


    « Je dis bonjour à L’Envolée
    Je voudrais qu’vous m’épauliez
    Je vais tout vous raconter
    Ça m’fait pas rigoler
    Oui, ça nous sert la gamelle
    Oui, ça nous prend pour des chiens
    Et t’as pas vu les matons
    Ils font les fachos toute l’année

    Moi, j’ai bien analysé
    Eux, ils n’aiment pas les Arabes
    J’me rappelle j’ai cantiné
    Et ils ont enlevé tout mon rabe »
    (p. 25, poème de Cocktail, maison d’arrêt de Caen, 11 juillet 2022)


     » … au prétexte d’une malheureuse animation à la prison de Fresnes achève de prouver que, maintenant qu’il est ministre des prisons, l’ex-avocat Superdupont-Moretti n’assure plus la défense de grand-chose – si ce n’est celle de positions fascistes. Au-delà de cette drague éhontée, il est important de rappeler que les animations telles que « Kohlantess » – et les polémiques qu’elles suscitent – masquent avant tout la violence pénitentiaire et la nature mortifère de la prison.« 
    (p.23, texte en réaction à la « polémique Kohlantess »)

  • Lettre d’Itziar extradée à Madrid – l’acharnement contre Kémi à Saint-Maur continue – fin du compte-rendu du procès des matons violents de Lille-Sequedin

    Lettre d’Itziar extradée à Madrid – l’acharnement contre Kémi à Saint-Maur continue – fin du compte-rendu du procès des matons violents de Lille-Sequedin

    Émission de L’Envolée du vendredi 28 octobre 2022
    • Lettre d’Itziar, écrite depuis une prison de Madrid dans laquelle en vient d’être extradée. Elle a réussi à ne pas se faire saisir le n°55 de L’Envolée en se moquant bien des maton·ne·s de Rennes avant de partir. Elle souligne que dans les prisons de l’État français comme celles de l’État espagnol, l’enfermement reste la même galère. Elle se réjouit enfin de la récente libération de Jakes Esnal et de Ion Kepa Parot, grâce à la mobilisation massive de la société basque depuis des années.

    • Lettre de Mickaël G., alias Kémi, datée du 13 septembre quelques jours avant son tabassage par les matons du QI de la centrale de Saint-Maur. Il ressent pourtant déjà très bien que la pression commence à monter et qu’on cherche à lui faire la misère. Il constate que ses courriers sont régulièrement bloqués, particulièrement ceux qui lui permettent d’avoir des informations concernant la mort de Romain Leroy, qui était l’un de ses amis de détention quand tous les deux étaient à Réau.

    • Lecture du communiqué public « Mickaël G. est en danger à la centrale de Saint-Maur« , publié ce vendredi 28 octobre par le Comité des proches de Mickaël G. concernant les conditions de détention insupportables qu’il subit. Le comité demande de le faire circuler au maximum ! On peut les contacter par mail : lesamisdemickaelg@gmail.com

    • Fin du compte-rendu du procès à Lille de matons qui ont passé à tabac un prisonnier, nu et seul dans sa cellule, le 3 janvier 2022 à la prison de Lille-Sequedin. On discute de la défense des matons qui, pour se protéger, évoquent cette nouvelle expression du soi-disant « effet-tunnel« , dont on avait déjà entendu parler à propos des matons qui ont tué Sambaly Diabaté, mais aussi suite à des personnes tuées par les keufs.

    • Discussion sur le budget 2023 du ministère des tribunaux et des prisons, toujours à la hausse.

    Musiques : Futuristiq, Réalité / Intouchable, Je ne dors plus (remix) / Lesram, Wesh enfoiré

    L’Envolée est une émission pour en finir avec toutes les prisons. Elle donne la parole aux prisonniers, prisonnières et leurs proches & entretient un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur des prisons. C’est aussi un journal d’opinion de prisonniers, de prisonnières et de proches.

    On manque de forces pour faire tourner l'émission radio comme on le souhaiterait en ce moment : que vous soyez prisonnier·e·s, proches, ou révolté·e·s contre l'enfermement et l'AP n'hésitez pas à nous contacter et à passer le mot !

    Direct chaque vendredi de 19h à 20h30 sur FPP 106.3 en région parisienne et MNE 107.5 à Mulhouse, RKB 106.5 en centre-Bretagne lundi à 22h, Radio Galère 88.4 à Marseille le jeudi soir à 20h30, PFM à Arras et alentours 99.9 mardi à 21h30, Canal Sud 92.2 jeudi à 17h30 à Toulouse, L’Eko des Garrigues 88.5 à 12h le dimanche à Montpellier, Radio U 101.1 le dimanche à 16h30 à Brest, Radio d’Ici 106.6 à Annonay mardi à 21h30 et 105.7 FM & 97.0, à Saint-Julien-Molin-Molette dimanche à 20h et sur les webradios Pikez (dimanche à 11h) et Station Station (lundi à 13h). Podcasts disponibles sur toutes les plateformes !

    Pour nous joindre : 07.53.10.31.95 (appels et textos). Pour écrire : Radio FPP – L’Envolée, 1 rue de la solidarité, 75019 Paris, ou encore à contact@lenvolee.net et sur instagram, twitter, facebook.

    L’abonnement au journal est gratuit pour les prisonniers et les prisonnières. Le numéro 55 est dispo et déjà censuré par l’Administration pénitentiaire ! Raison de plus pour le faire tourner !

    Notre bouquin pour troubler la fête du quarantième anniversaire de la prétendue abolition de la peine de mort est sorti ! Une manière parmi d’autres, que nous espérons nombreuses, de faire entendre quelques voix dissonantes dans l’écœurante auto-célébration du pouvoir.

    Ce livre réunit des paroles de prisonniers, de prisonnières et de proches publiées dans le journal depuis sa création en 2001 qui nous rappellent avec force qu’en réalité c’est seulement la guillotine qui a été supprimée en octobre 1981.

    Il est disponible dans toutes les bonnes librairies et sur la boutique de nos ami·e·s des éditions du bout de la ville.

    Il est gratuit pour toutes les personnes enfermées : écrivez-nous à contact@lenvolee.net pour que nous puissions le faire parvenir à vos proches emprisonné·e·s !

  • Pressions contre Kémi à Saint-Maur – procès de matons violents à Lille-Sequedin – résistances des prisonnières au CRA du Mesnil-Amelot

    Pressions contre Kémi à Saint-Maur – procès de matons violents à Lille-Sequedin – résistances des prisonnières au CRA du Mesnil-Amelot

    Émission de L’Envolée du vendredi 21 octobre 2022
    • Évasion collective de 9 prisonniers au CRA de Oissel, près de Rouen.
    • Des nouvelles de Kémi, qui continue à se prendre des pressions à la centrale Saint-Maur pour le pousser à bout. N’hésitez pas à appeler la prison de Saint-Maur pour leur dire d’arrêter, et vous pouvez passer par nous pour écrire à Kémi et lui envoyer de la force.
    • Retour sur le procès à Lille de matons qui ont passé à tabac un prisonnier, nu et seul dans sa cellule, le 3 janvier 2022 à la prison de Lille-Sequedin. Il s’est pris des coups de pied et de poings, a été strangulé, a été tiré par les bras menottés dans le dos, se prend des coups à chaque marche d’escalier dans lequel il est traîné. Il est laissé inerte au mitard et ne reçoit aucun soin pendant plusieurs jours. Les matons écrivent un faux CRI et vont essayer de faire passer le prisonnier pour fou et l’envoient 48h à l’UHSA. Le prisonnier et son codétenu témoin sont mis sous pression. La défense des matons pour se dédouaner repose sur un soi-disant « effet-tunnel« . L’AP les félicite et les matons n’ont eu aucune sanction administrative ; le délibéré du procès est prévu pour novembre.
    • Appel de plusieurs prisonnières enfermées au CRA du Mesnil-Amelot. Elles subissent des blocages dans la distribution des produits d’hygiène, de la nourriture et de l’argent. Elles n’ont aucun soin gynéco. Les punaises de lit prolifèrent dans le CRA. Le covid et la variole du singe aussi ; l’une des prisonnières ayant eu le covid a été mise en isolement chez les hommes. Elles subissent des fouilles des hommes de la PAF. Désormais un OPJ est présent en permanence dans le CRA. Mais la résistance et la complicité des prisonnières fait plaisir à entendre !

    Agenda :

    L’Envolée est une émission pour en finir avec toutes les prisons. Elle donne la parole aux prisonniers, prisonnières et leurs proches & entretient un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur des prisons. C’est aussi un journal d’opinion de prisonniers, de prisonnières et de proches.

    On manque de forces pour faire tourner l'émission radio comme on le souhaiterait en ce moment : que vous soyez prisonnier·e·s, proches, ou révolté·e·s contre l'enfermement et l'AP n'hésitez pas à nous contacter et à passer le mot !

    Direct chaque vendredi de 19h à 20h30 sur FPP 106.3 en région parisienne et MNE 107.5 à Mulhouse, RKB 106.5 en centre-Bretagne lundi à 22h, Radio Galère 88.4 à Marseille le jeudi soir à 20h30, PFM à Arras et alentours 99.9 mardi à 21h30, Canal Sud 92.2 jeudi à 17h30 à Toulouse, L’Eko des Garrigues 88.5 à 12h le dimanche à Montpellier, Radio U 101.1 le dimanche à 16h30 à Brest, Radio d’Ici 106.6 à Annonay mardi à 21h30 et 105.7 FM & 97.0, à Saint-Julien-Molin-Molette dimanche à 20h et sur les webradios Pikez (dimanche à 11h) et Station Station (lundi à 13h). Podcasts disponibles sur toutes les plateformes !

    Pour nous joindre : 07.53.10.31.95 (appels et textos). Pour écrire : Radio FPP – L’Envolée, 1 rue de la solidarité, 75019 Paris, ou encore à contact@lenvolee.net et sur instagram, twitter, facebook.

    L’abonnement au journal est gratuit pour les prisonniers et les prisonnières. Le numéro 55 est dispo et déjà censuré par l’Administration pénitentiaire ! Raison de plus pour le faire tourner !

    Notre bouquin pour troubler la fête du quarantième anniversaire de la prétendue abolition de la peine de mort est sorti ! Une manière parmi d’autres, que nous espérons nombreuses, de faire entendre quelques voix dissonantes dans l’écœurante auto-célébration du pouvoir.

    Ce livre réunit des paroles de prisonniers, de prisonnières et de proches publiées dans le journal depuis sa création en 2001 qui nous rappellent avec force qu’en réalité c’est seulement la guillotine qui a été supprimée en octobre 1981.

    Il est disponible dans toutes les bonnes librairies et sur la boutique de nos ami·e·s des éditions du bout de la ville.

    Il est gratuit pour toutes les personnes enfermées : écrivez-nous à contact@lenvolee.net pour que nous puissions le faire parvenir à vos proches emprisonné·e·s !

  • Derrière Kohlantess, la violence de la prison

    Derrière Kohlantess, la violence de la prison

    Le tsunami d’extrême droite qui s’est déversé dans les médias et sur les réseaux sociaux au prétexte d’une malheureuse animation à la prison de Fresnes achève de prouver que maintenant qu’il est ministre des prisons, l’ex-avocat Superdupont-Moretti n’assure plus la défense de grand-chose – si ce n’est celle de positions fascistes. Au-delà de cette drague éhontée, il est important de rappeler que les animations telles que « Kohlantess » – et les polémiques qu’elles suscitent – masquent avant tout la violence pénitentiaire et la nature  mortifère de la prison.

    Cela fait plusieurs jours qu’on nous casse la tête parce qu’à Fresnes, un divertissement de deux heures a été organisé dans la cour de promenade de cette taule toute pourrie où les prisonniers vivent l’enfer tout le reste de l’année, entre l’insalubrité, les invasions de rats, la déshumanisation, l’entassement en surnombre, la masse de matons stagiaires qui passent dans cette usine carcérale… 

    L’information qui désinforme, vous connaissez ? Celle qui ne parle jamais de l’horreur de la taule mais se réveille une fois par an pour couvrir massivement un karting… L’extrême-droite se jette là-dessus direct ; les plus dégueulasses parlent de « l’argent du contribuable » parce que raconter que les prisonniers s’amusent avec les sous des pauvres, ça fait toujours recette. C’est toujours la même rengaine : les prisonniers seraient « mieux traités que les pauvres qui, eux, ne peuvent pas se payer le karting » ou que « les malheureux SDF ». Suprême hypocrisie de commentateurs grassement payés par les télés pour passer le plus clair de leur temps d’antenne à casser du sucre sur le dos des pauvres qui profiteraient des allocs sans rien foutre. Tour de passe-passe qui permet d’escamoter le fait que la prison, c’est principalement pour les pauvres. En les y stockant, les gouvernements transforment la question sociale en question carcérale. Et quand ce vieux mensonge de la « prison-Club Med » redevient viral, quand tant d’internautes bien planqués derrière leur clavier ne cessent de réclamer que les prisonniers en chient toujours plus, ils nous rappellent que le rôle central de la prison est bien de faire souffrir ; de faire souffrir des pauvres pour faire peur aux autres pauvres, et qu’ils se tiennent sages. C’est pour ça que la prison sera toujours sale, déshumanisante, surpeuplée et mortelle. Le discours « progressiste » prétend répondre aux attaques de l’extrême-droite au nom du prétendu rôle de réinsertion de la prison ; c’est du vent. La prison ne réinsère pas ; les animations à grand spectacle qui y sont organisées non plus. Elles masquent la violence pénitentiaire, une fois de plus.

    Le 1er novembre 2012, Gordana est morte à la prison de Fleury-Mérogis suite à un défaut de soins. Une semaine après, jour pour jour, un défilé de mode devait se tenir dans le gymnase de la prison. C’était prévu depuis longtemps, mais les prisonnières voulaient qu’il soit annulé pour respecter leur deuil… La direction n’en a tenu aucun compte. On a pu entendre aux informations qu’un défilé de mode était organisé à la prison de Fleury-Mérogis – mais dans tous les médias, pas un mot sur les femmes qui se sont rebellées pendant plus d’une semaine pour faire connaître la vérité sur la mort de Gordana par manque de soins ; sur leurs blocages de cellules, de promenade, leur grève de la faim, leur tabassage en masse par les Eris, sur leurs transferts disciplinaires à mille bornes de chez elles, sur leur douleur, sur leurs souffrances… Non, tout le monde parlait de cette « fabuleuse initiative » pour distraire les prisonnières… La bonne blague…

    Autre exemple plus récent : fin septembre 2020, au sortir du premier confinement, en pleine pandémie, les syndicats pénitentiaires et les force de l’ordre décident d’organiser un match de boxe entre eux au gymnase de la prison de la Santé, sans masques bien sûr …. Trop fun ! A ce moment-là, les prisonniers n’avaient pas droit aux masques parce que ça cachait leur visage ! Pas droit non plus au gel hydroalcoolique, des fois qu’ils auraient eu l’idée de l’ingurgiter pour se saoûler la gueule. Le caprice de ces Rocky en uniforme a ramené le Covid en taule : des prisonniers ont été contaminés alors que les activités avaient été brutalement suspendues et les parloirs supprimés, puis rétablis – mais avec Plexiglas. 

    Bref, c’est pas le Club Med, c’est de la propagande, c’est comme ça les arrange. Les médias se scandalisent aujourd’hui d’un Kohlantess qui n’a concerné qu’un nombre infime de prisonniers. Déjà, les femmes n’y ont pas eu accès, et une infime partie des prisonniers sélectionnés par l’AP a pu y participer, maximum deux heures. Détail révélateur : loin de se dresser contre le raz-de-marée démagogique qui a salué l’événement, les organisateurs n’ont rien trouvé de mieux à faire que de hurler avec les loups en supprimant la vidéo au prétexte qu’un participant avait un profil trop lourd à leurs yeux. Le gentil animateur n’est qu’un juge de plus.

    Reste à espérer que les pouvoirs publics ne se jettent pas sur l’occasion comme à leur habitude pour faire passer de nouvelles lois scélérates dégradant encore un peu plus les conditions de vie des enfermés. Quant aux internautes qui relaient ce discours, qu’ils prennent garde : ils pourraient bien eux aussi se retrouver à manger la gamelle un de ces jours… Il n’y a pas les « « honnêtes gens » d’un côté et les « méchants voyous  » de l’autre, il y a une institution répressive dont le rôle est de maintenir un ordre social inégalitaire. Comme le disait la chanson de Trust, en taule, « il y aura toujours une place pour toi et ton fils ». A bon entendeur…

    L’envolée, le 23 Août 2022

  • L’AMI ROMAIN LEROY EST MORT

    L’AMI ROMAIN LEROY EST MORT

    Prisonnier longue peine, correspondant de l’Envolée, Romain Leroy est mort le 9 août 2022 d’une rupture de l’aorte. Il avait 38 ans. Pourquoi le principal vaisseau sanguin du corps se fissure-t-il quand on est jeune et en bonne santé ? Depuis quatorze ans, Romain vivait dans le climat sécuritaire suffocant des maison centrales. En 2016, il avait dénoncé cette oppression avec quelques autres prisonniers longues peines ; d’abord par des sit-in, des recours et des lettres publiques. Puis, devant l’indifférence générale, ils ont subtilisé les clés des matons, ouvert toutes les cellules et mis à sac l’ensemble du Quartier maison centrale (QMC) de la prison de Valence. Romain a déclaré lors du procès de cette mutinerie : « c’est moi qui passe en jugement, mais ce que je dis, c’est au nom de toutes les longues peines de France » (Un compte-rendu de ce procès à écouter ici ou lire là). Lourdement condamné, il a subi un traitement particulièrement dur de l’administration pénitentiaire (AP). Transféré dans les prisons de Condé-sur-Sarthe, Réau et Arles, il a finalement été envoyé à Moulins en août 2021. Pendant six mois, les matons l’y ont réveillé toutes les deux heures, toutes les nuits. A deux reprises il s’est vu attribuer, puis retirer un travail pour des motifs fallacieux. Tout récemment il avait été changé de bâtiment pour subir un régime « portes fermées » (vingt-trois heures sur vingt-quatre en cellule), puis mis au mitard.

    Non-assistance à personne en danger ?

    Les moments partagés avec Adeline, sa compagne, et leur fille, sont alors de rares respirations pour Romain. Lors d’un UVF (parloir familial de soixante-douze heures) fin juillet 2022, dès le vendredi Romain se sent mal. Il éprouve une grosse douleur à la poitrine. Adeline appelle à l’interphone les matons qui répondent qu’« aucun personnel médical ne peut intervenir en UVF ; s’il sort maintenant, c’est retour cellule jusquà lundi, où il verra un médecin de la détention. » Sachant qu’il ne pourra pas voir de médecin du week-end, Romain et Adeline préfèrent rester ensemble à l’UVF.

    Le dimanche matin, il est au plus mal, il ne peut même plus se lever. Adeline appelle à nouveau les surveillants à 6 heures en demandant d’appeler les secours ; même réponse : « Si ça ne va pas, on le remonte en cellule et il verra un docteur lundi ». Elle exige alors de sortir en urgence de l’UVF pour appeler elle-même le Samu depuis le parking de la prison. Romain est pris en charge et hospitalisé dans un état critique. Pendant son hospitalisation en réanimation, la pénitentiaire tente encore quelques coup bas, mais Adeline peut demeurer auprès de lui grâce au personnel médical. Il reste dix jours entre la vie et la mort, et puis son cœur lâche.

    Acharnement post mortem

    Le lendemain de sa mort, Adeline en informe la prison de Moulins. Loin de lui présenter ses condoléances, le directeur lui demande fissa le certificat de décès pour pouvoir « procéder à la levée d’écrou et au rendu du corps ». Romain est enterré le samedi 13 août entouré de ses proches.

    Depuis, Adeline tente de récupérer quelques affaires qui ont une valeur sentimentale et de donner le reste à des compagnons de détention indigents. Elle sait par les familles d’autres prisonniers que la cellule de Romain à été vidée dès le lendemain de sa mort.

    Pendant trois jours, au gré des dizaines de coups de fil qu’elle passe, les différents services de la prison invoquent divers prétextes pour ne pas lui rendre les affaires : « en attente d’éléments internes », « problème de succession vu la dette de Romain à la société », « besoin d’un certificat d’hérédité ». Elle obtient finalement un rendez-vous pour la semaine suivante (le mardi 24 août). Espérons que la direction de Moulins et son petit personnel en resteront là côté froide mesquinerie. Adeline, elle, compte continuer le combat contre la prison, pour Romain, pour l’accès au soin des prisonniers longues peines.

    Y a pas d’arrangement

    Une fois de plus, la prison a tué. Encore une fois, une veuve et une gamine n’ont pas même le temps de pleurer car elle doivent mener un bras de fer avec l’administration. Vengeance bureaucratique contre un prisonnier à qui l’AP ne peut pardonner d’avoir crié haut et fort son refus d’être enterré vivant ? Simple défaut de soins comme il y en a tous les jours en détention ? Ou les deux ?

    Quoi qu’il en soit, une fois de plus, un prisonnier est sorti de prison les pieds devant. Si toutes les morts en prison nous révoltent, la mort de Romain nous touche tout particulièrement. En 2017, lors de son procès suite à la révolte contre le QMC de Valence, nous l’avions entendu expliquer son geste à la barre, digne et déterminé, exigeant que l’on entende enfin le sort fait aux prisonniers longues peines. Quelques mois plus tard, nous avions reçu et publié une lettre d’une grande justesse. Pendant des années, nous avons relayé le combat qu’Adeline mène sans relâche pour que l’AP cesse de traiter prisonnier.e.s et proches comme des bêtes. Depuis des années, ensemble, ils ont fait vivre une vérité que nous continuerons de répéter toutes les semaines à l’émission radio de l’Envolée : y a pas d’arrangement.

    L’Envolée, août 2022

    À relire et ré-écouter :

    Pour entendre des interventions lors desquelles Adeline dénonce la misère faite à Romain et à d’autres prisonniers : ré-écouter les émissions l’Envolée du 13 novembre 2020, 14 janvier 2022, 28 janvier 2022, 1er juillet 2022…

  • Le numéro 55 du journal interdit en prison : lisez et relayez l’article incriminé !

    Le numéro 55 du journal interdit en prison : lisez et relayez l’article incriminé !

    Des prisonniers et des proches nous ont informés que dans plusieurs prisons, des surveillants sont intervenus pour confisquer le dernier numéro de L’Envolée : le no 55, paru en mai 2022 ; ils sont même allés jusqu’à la fouille de cellule en cas de refus… Nous découvrons ainsi qu’une note interne de la direction de l’administration pénitentiaire (AP) interdit – au nom du garde des Sceaux – la lecture de ce numéro à toutes les personnes détenues à cause de l’article « Distribution de permis de tuer au tribunal de La Rochelle » ; il contiendrait en effet des « propos diffamatoires à l’égard de l’AP […], ainsi qu’à l’encontre des personnels pénitentiaires dont elle assure la formation ».

    Cet article, que nous republions ici, n’est pourtant que le récit du procès auquel nous avons assisté au tribunal de La Rochelle fin du novembre 2021. Sept surveillants y étaient jugés pour leur responsabilité dans la mort par étouffement de Sambaly Diabaté en août 2016 à la prison de Saint-Martin-de-Ré. La note de l’AP pointe certains passages où elle voit « des propos alléguant que l’administration pénitentiaire enseigne à ses personnels des gestes professionnels portant atteinte à la dignité de la personne humaine, qualifiés par l’auteur de l’article d’ « arsenal habituel » et d’ « horreur tellement banale et généralisée » tels que « étranglement, pliage, pose de bâillon »… »
    Les auteurs de cette note s’inquiètent en outre de la gratuité du journal pour les prisonniers et prisonnières et de sa « large diffusion » qui seraient « de nature à engendrer un retentissement important auprès des personnes détenues ».

    C’est la deuxième fois en deux ans qu’un numéro de L’Envolée est ainsi interdit en détention ; le précédent – le n°52 – avait en prime fait l’objet d’une plainte pour diffamation – dont on reste sans nouvelles à ce jour. Ce qui avait alors justifié l’interdiction, c’était tout un dossier… qui portait déjà sur les violences pénitentiaires et les morts « suspectes ». C’est on ne peut plus clair : l’AP entend faire taire celles et ceux qui osent soutenir que les pratiques de ses agents mettent en danger l’intégrité physique des personnes dont ils ont la charge – alors que c’est hélas une évidence pour tous les premiers concernés –, et que cette violence est constitutive de la prison. Ces interdictions à répétition et leur pénible cortège de saisies en cellule visent également à mettre la pression aux abonné·e·s de l’intérieur et à dissuader les autres enfermé·e·s d’entrer en relation avec L’Envolée ou de recevoir le journal. Il est scandaleux que nos abonné·e·s subissent de telles intimidations, et nous étudions tous les recours envisageables avec nos avocats.

    L’équipe tient à exprimer son inquiétude à propos de ces mesures « sécuritaires » : il s’agit en fait bel et bien de censurer un organe de presse qui entend servir de porte-voix aux prisonniers et aux prisonnières et leur permettre d’échanger informations et points de vue. Si le journal ne pouvait plus rentrer en détention, il perdrait toute raison d’être, et les personnes enfermées se verraient privées d’un des rares moyens dont elles disposent pour dénoncer ce qu’elles subissent derrière des murs toujours plus impénétrables.

    Il n’y a pas de « diffamation » dans cet article : il montre simplement comment l’administration pénitentiaire et la justice travaillent main dans la main pour protéger les surveillants les plus violents, même quand ils tuent un homme. Nous vous demandons de le relayer le plus massivement possible. La machine d’État ne fera pas taire L’Envolée ; elle ne réduira pas au silence les prisonniers et les prisonnières, qui ont raison de se révolter.

    Distribution de permis de tuer
    au Tribunal de La Rochelle :

    Procès des surveillants responsables de la mort de Sambaly Diabaté
    à la centrale de Saint-Martin-de-Ré

    Du 29 novembre au 1er décembre 2021, nous étions au tribunal correctionnel de La Rochelle pour soutenir la famille de Sambaly Diabaté au procès des matons responsables de sa mort à la prison de Saint-Martin-de-Ré le 9 août 2016. Sept surveillants devaient répondre de chefs d’accusation dérisoires au regard des faits, de l’homicide involontaire à la non-assistance à personne en danger.
    Sambaly est mort d’asphyxie après une agonie de trente-cinq minutes, les pieds entravés, les mains menottées dans le dos, bâillonné avec une serviette, écrasé sous le poids de quatre ou cinq matons en permanence quand il n’était pas transporté à l’horizontale. Le procès – inédit puisque des matons devaient pour une fois répondre de la mort d’un prisonnier – nous a confirmé une nouvelle fois qu’avant même l’arrivée d’un quelconque appareil ouvertement fasciste au pouvoir, arbitraire, déshumanisation, brutalité et permis de tuer sont déjà bien installés, et particulièrement derrière les hauts murs des prisons.


    Le rendu du procès est tombé le 27 janvier 2022. Trois peines de douze à vingt-quatre mois de sursis ont été prononcées contre les surveillants qui ont directement étouffé Sambaly, reconnus coupables d’un « homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence » : Pascal Rinjeonnaud, deux ans ferme avec sursis simple, Stéphane Lefebvre, dix-huit mois avec sursis simple, et Remy Cormier, dix-huit mois avec sursis simple également, peuvent continuer leur sale boulot à Saint-Martin-de-Ré. Seul accusé de « violences volontaires », Jean-Paul Ducorneau prend un an avec sursis simple assorti d’une interdiction d’exercer et de porter une arme pendant cinq ans. Les trois accusés de « non-assistance » sont purement et simplement relaxés.


    Au pays de la matonnerie…

    Saint-Martin-de-Ré est une très vieille prison, un ancien bagne insulaire au large de la proprette ville bourgeoise de La Rochelle. Là-bas, on est surveillant de génération en génération : dans le coin, juges, flicaille et matonnerie ont coutume de laver leur sale linge en famille. Le tribunal correctionnel de la ville, qui d’ordinaire prononce des peines purgées pour une grande part à Saint-Martin et « confie » donc en flux continu des prisonniers à ses surveillants, est aussi celui qui statue sur les affaires internes à la prison – dans l’écrasante majorité des cas, pour rajouter des peines intérieures. La détermination des proches de la victime et le suicide de deux des nombreux surveillants qui avaient assisté à l’intervention fatale ont dû contribuer à ce que la justice se saisisse de cette affaire, histoire de pas trop avoir l’air de s’en moucher du coude. Comment croire en effet que les violences commises à la centrale ne parviennent jamais jusqu’aux oreilles des flics et des juges ?


    En 2011 déjà, le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) signalait qu’une bande de matons particulièrement brutaux faisaient la loi sans se soucier de la direction ni du règlement intérieur. Dans le documentaire À l’ombre de la République sorti en 2012, on voyait Letanoux, le directeur de l’époque, déclarer face caméra qu’effectivement sévissait à Saint-Martin-de-Ré une équipe de surveillants incontrôlables. De retour en 2017, le CGLPL pointait encore « un personnel en poste violent et aux propos inadmissibles ».
    C’est dans ce contexte nauséabond de racisme sans fard et de toute-puissance des porte-clefs que Sambaly Diabaté a été tué.


    Des chiens de garde enragés

    Le 9 août 2016, extrait de sa cellule, Sambaly Diabaté refuse de passer sous le portique de sécurité. Georges Guéneau – premier surveillant, dit « Gros-Georges » par ses collègues – l’agrippe par l’épaule pour le forcer à passer. Sambaly résiste. Gros-Georges, 90 kg – contre les 73 de Sambaly à l’autopsie – le plaque au mur avant de le précipiter au sol avec l’aide de ses collègues. Tout le monde se met sur le dos du prisonnier récalcitrant. Alors que le Gros tente une clef d’étranglement, Sambaly le mord à la main pour se dégager ; c’est le point de départ d’un interminable déferlement de violence qui se soldera par la mort de Sambaly Diabaté une demi-heure plus tard.

    Des prisonniers témoins de cette première scène ont décrit les nombreux coups portés à Sambaly déjà immobilisé au sol tandis que Gros-George était emmené à l’infirmerie. Aucun d’entre eux ne sera entendu à la barre. Il n’y a que la parole des agents de la pénitentiaire qui vaille ; c’est la seule respectable, forcément vierge de tout mensonge. Les bandes vidéo qui auraient permis d’y voir plus clair ont commodément disparu – malencontreux incident des plus fréquents dans ce genre de circonstances. À la barre, les matons nient tout naturellement avoir porté le moindre coup, préférant insister sur la peine qu’ils ont eu à maîtriser un prisonnier déchaîné – si, si, même a plusieurs contre un ! Et puis surtout, surtout, la hantise de se faire mordre à leur tour ; ils ne voient plus en lui qu’un enragé.
    On va pas se mentir : ce n’est évidemment pas la trouille qui les animait, mais bien la rancune corporatiste. Il fallait venger George Guéneau, supérieur hiérarchique dont il vaut mieux se faire bien voir, d’autant qu’il est vraiment pas commode et foutrement balaise. Soit dit en passant, on aurait bien aimé l’entendre, « le gros Georges », mais personne n’a jugé bon de le convoquer au tribunal pour qu’il donne sa version… C’est un des – nombreux – grands absents de ce procès.


    Pour bien faire comprendre à Sambaly que mordre, c’est mal, l’ingénieux surveillant Pascal Rinjeonneaud, genou planté entre les omoplates de Sambaly, prend une initiative : il ordonne qu’on lui ramène des chiottes une serviette sale qui sert d’essuie-mains ; il la passe dans la bouche du prisonnier, fait le tour de sa tête et la tire à deux mains jusque derrière sa nuque. Il ne relâchera son emprise que quelques dizaines de minutes plus tard à cause des crampes, le temps d’essayer de remplacer par du scotch ses pauvres mains endolories. Mais il renonce vite à son bricolage, et serre de plus belle.
    Non seulement il ne conteste pas les faits, mais quand chacune des parties présentes lui demande de répéter, il confirme, tenant toutefois à préciser qu’il préfère qu’on parle de « mors » plutôt que de « bâillon » ; drôle de nuance, comme pour bien préciser qu’il traite en animal le détenu dont il a la charge. Grand naïf, il ignorait alors que le bâillonage était interdit. Et à la question : « comment pouviez-vous être certain que M. Diabaté pouvait encore respirer ? », il répond sans se démonter qu’il vérifiait régulièrement, par « contrôle visuel », que les narines n’étaient pas obstruées. Il va jusqu’à prétendre que s’il a bien pris soin de lui enrouler la serviette autour de la tête, c’était pour le protéger contre les chocs éventuels. Ni regrets, ni excuses – même feintes. Sale type. Médiocre et glaçante incarnation du fascisme.


    Les surveillants Rémi Cormier et Stéphane Lefebvre
    qui comparaissent avec lui, se sont quant à eux « occupés des mains et des jambes » de Sambaly et l’ont transporté à l’horizontale après lui avoir passé les entraves, accentuant d’autant sa suffocation. Ils l’ont trimballé comme un vulgaire sac de gravats un étage plus bas pour le jeter dans la tristement célèbre lingerie de Saint-Martin : une pièce dépourvue de caméras de surveillance, éloignée des regards et des oreilles, où nombre de prisonniers racontent avoir subi des tabassages en règle. Plutôt que de le relever, ils le remettent à terre et l’y maintiennent de tout leur poids. On peut supposer sans mal qu’ils en profitent pour faire pleuvoir les coups – mais en experts, sans laisser trop de traces. Le surveillant Sébastien Lété, qui avait prêté la main à Rinjonnaud dans sa tentative de scotchage, s’est donné la mort quelques temps après avoir été mis en cause par l’instruction.

    Un coup de pompe en passant

    C’est là qu’intervient Jean-Paul Ducorneau. Il bosse aux UVF. Son bureau est au même niveau que la lingerie ; appelé pour emmener Gros-Georges aux urgences pour sa morsure, il dit être passé par là parce que c’est un raccourci. Mais la pièce est exiguë, et l’espace est presque entièrement occupé par le corps du prisonnier et ses bourreaux accroupis sur lui. Ducorneau doit enjamber la tête de Sambaly. Tout le monde soutient mordicus qu’il lui assène alors un violent coup de pied, ce qu’il n’a cessé de nier tout au long de la procédure.
    C’est le seul à comparaître pour « violences volontaires », et on comprend bien vite que la clique s’est mise d’accord pour le charger dans les heures qui ont suivi, quand personne ne savait encore exactement de quoi Sambaly était mort. Si les autopsies avaient conclu à un décès consécutif à des coups, la Rangers de Jean-Paul aurait pu commodément porter le chapeau. En plus, il n’appartient pas au même syndicat que le reste de l’équipe.


    On va pas se mentir : il a bien dû lâcher un coup de pompe en passant, façon de montrer patte bien blanche aux collègues « du terrain », ou du moins de les assurer de sa discrétion. Ce qui est certain, c’est que Sambaly n’est pas mort des coups qu’il a reçus. Et que Ducorneau est le seul à avoir fait l’objet d’une sanction administrative. Il n’a plus jamais bossé depuis sa suspension. Dépression, arrêts maladie… et il a encore l’air bien cachetonné. C’est aussi le seul à faire appel du jugement, et bien que la défense des accusés veuille en faire un lâche qui crie au complot pour mieux fuir ses responsabilités, il maintient ses accusations : les tueurs ont bricolé une version commune, ils l’ont choisi comme bouc émissaire, et leur syndicat a pesé de tout son poids pour avaliser leur version. Si la mise en cause de Jean-Paul est réglée comme du papier à musique, le reste des témoignages s’avère beaucoup plus approximatif.
    Entre contradictions, trous de mémoire et mensonges manifestes, chacun fait de son mieux pour minimiser sa propre implication.
    Il s’agit quand même de faire avaler au tribunal qu’il n’y avait pas moyen d’imaginer que Sambaly était en train d’agoniser entre leurs mains, et que c’est un prisonnier bien vivant qu’ils ont ensuite « remis » à l’équipe du mitard.

    Une macabre mise en scène

    À Saint-Martin, le quartier disciplinaire (QD), se trouve dans « La Citadelle », un bâtiment situé à 500 mètres de la détention « normale ». Les transferts doivent en théorie se faire en fourgon cellulaire. Ce coup-là, ce sera en véhicule utilitaire – une pratique hors cadre de plus. L’équipe attend donc l’arrivée du véhicule pendant un bon quart d’heure à la lingerie. Ils y poursuivent leur vengeance, maintenant leur prise fatale sur Sambaly : les membres entravés et sans cesse tirés en arrière, le thorax compressé, la bouche déchirée par le « mors ».
    Il ne vient jamais l’idée à personne, pendant ces longues minutes, de faire retirer le bâillon ou de desserrer l’étau. Une gradée – finalement acquittée – est dépêchée sur place par le chef de détention pour « garantir la régularité de la procédure ». Elle témoigne de la brutalité de la scène, qui l’a choquée sur le moment. Mais elle a vite été rappelée à l’ordre : « Remue-toi, la gradée, bouge tes fesses ! Va chercher les clés, mérite tes galons ! » Elle bosse au greffe de la prison, normalement… elle rapporte qu’elle n’aurait eu aucune autorité si elle avait voulu interrompre l’opération ; mais elle n’a rien tenté. Elle se rappelle juste avoir croisé le regard de Sambaly sans parvenir alors, prétend-elle, à comprendre l’effrayante lueur qu’elle a vue dans ses yeux, et qui continue à la hanter cinq ans plus tard : ce qu’elle prenait pour de la fureur, sans doute était-ce de la détresse. Peut-être même qu’il l’appelait à l’aide ? Alors elle se dit traumatisée… mais elle a continué à bosser à la prison. Et décidément impuissante, elle a trouvé le moyen de foirer ses deux suicides.

    À l’arrivée du fourgon, Sambaly est une nouvelle fois transporté à l’horizontale et « chargé » à même le sol. Il n’y a que quarante centimètres pour manœuvrer entre les rangées de sièges, mais trois des bourreaux parviennent à s’y caler pour que la pression ne se relâche jamais sur le prisonnier. Pendant le transport, il leur est apparu « plus calme » qu’auparavant. Certains l’ont même cru « endormi », parce qu’il « avait l’air de ronfler ». Arrivés à la Citadelle, ils « déchargent » Sambaly du Transit et le « déposent » sur la coursive. Certains surveillants de l’équipe du QD qui devait prendre le relais ont témoigné au cours de la procédure du « calme extrême » du prisonnier, qui contrastait avec l’intense agitation de la bande du fourgon. Avant un placement en QD, le prisonnier est systématiquement fouillé par les tauliers du mitard. Nouvelle anomalie : ce sont ses transporteurs qui vont assurer la fouille. Sambaly est inerte. Ils lui baissent son froc. Ils constatent la présence de matières fécales le long de ses cuisses. Ils traînent une nouvelle fois son corps jusque dans la cellule du QD. Rejouant une procédure vicelarde mais habituelle, ils l’allongent face contre terre, la tête sous le lit scellé : si le « détenu » tente de se rebiffer quand on le désentrave, il s’assomme tout seul contre le sommier de béton. Ils retirent les entraves qu’ils remplacent par du scotch. Mais tout ça n’est qu’une sinistre farce, puisque Sambaly est déjà mort.


    Et la mise en scène continue. Ce n’est qu’une demi-heure après le « placement en cellule » du prisonnier que la nouvelle équipe en charge s’inquiète enfin de son immobilité et appelle les secours. Côté tueurs, ça commence à claquer des genoux, d’autant qu’ils se font salement remonter les bretelles au débriefing – d’usage : « Les mecs, va falloir trouver un truc, sinon ça pue les assiettes [les assises]. » Alors ça torche une version commune à l’arrache. Christophe Monier était un de ces nombreux fonctionnaires du QD qui ont assisté à la macabre « fouille à nu ». Il s’est donné la mort la veille de sa convocation par le juge d’instruction.


    Réunion de famille

    D’ordinaire, les tribunaux n’ont pas à gérer les morts de la prison, pas plus que ceux de la police. Les instructions judiciaires sont vite closes, quand il y en a. Dans l’écrasante majorité des cas, c’est au sein même des détentions que ça se règle : un « suicide » de plus. Alors c’est peu dire qu’on n’a pas l’habitude d’assister au théâtre judiciaire sur le banc des parties civiles : il a fallu aux proches de Sambaly, et à sa sœur Oumou en particulier, des années de bagarre acharnée pour qu’un procès leur soit concédé – fait rarissime, on le répète. Mais pas un procès pour meurtre, faut pas exagérer. Pas question de porter l’affaire devant les assises ou de dépayser l’instruction. Des audiences calibrées pour que les protagonistes encore en vie s’en tirent à bon compte, tout en perpétuant la fiction d’une Justice impartiale au service des victimes. On allait gérer ça en famille. Plus élargie que d’habitude certes, mais en famille tout de même, puisque le tribunal de La Rochelle n’est en fait qu’une annexe de la prison de Saint-Martin-de-Ré (ou l’inverse ?). Au point que la procureure est déjà celle qui avait envoyé Sambaly à Saint-Martin il y a quelques années. Un temps, elle donne le change, fait mine de traiter les accusés avec sa sévérité habituelle et surjoue son empathie pour les parties civiles. Quant au juge et à ses assesseurs, ils somnolent sévère en singeant paresseusement la quête de la vérité…

    On va pas se mentir : on n’a décidément rien à attendre des tribunaux. Ni justice – si le terme a un sens –, ni vérité. La vraie mission du tribunal est limpide : reconduire la puissance de l’institution pénitentiaire et son droit de vie et de mort sur ceux et celles qu’elle nomme – pas pour rien – ses « détenus ». Quitte à gronder un peu certains de ses agents trop enthousiastes, pour la forme. Alors dans ce procès, c’est à nous de débusquer la vérité sous les mensonges criants des tueurs en réunion. Une fois n’est pas coutume, le seul raté de la machine sera venu des expertises (et même des contre-expertises réclamées par une défense insatisfaite des premières conclusions de la science). Aucun doute pourtant : Sambaly est mort d’un étouffement, dû à l’effet conjoint de l’obstruction des voies respiratoires, de l’extension vers l’arrière des membres entravés et de la compression du thorax ; les ronflements qu’il émettait dans le fourgon étaient des râles agoniques ; les traces sur ses cuisses prouvent que ses sphincters s’étaient relâchés avant son arrivée à la Citadelle. L’expert se montre inflexible malgré les tentatives de déstabilisation de Winter, avocat spécialisé dans la défense des matons et des flics violents : Sambaly est bien mort dans le fourgon. Les surveillants du QD ont assisté à la fouille d’un défunt, et c’est un cadavre qui a été placé au mitard.


    Défense des tueurs et proc main dans la main

    Les tueurs le savent, et leurs avocats aussi ; alors ils ne s’attardent pas trop sur les étranges pièces à conviction fournies à la gendarmerie dans un premier temps, mais qui n’apparaissent dans quasiment aucun témoignage : des « pages de Coran » qu’aurait brandies le prisonnier et un « pic » dont il aurait tenté de faire usage. Inventer des preuves de dangerosité et d’agression, c’est une pratique habituelle dans ce genre d’affaires mais cette fois, c’était vraiment trop mal fait…


    Le ténor Winter préfère donc ergoter sur l’heure de la mort. C’est le gros caillou dans les Rangers de la défense, alors il faut à tout prix jeter le doute sur les conclusions de l’expert. Brushing impeccable et œil bleu marine pour grand numéro de flûte : « J’ai vu dans une vidéo YouTube… un ami réanimateur m’a dit… » Selon sa petite enquête perso pour contrecarrer l’avis de trois experts, impossible de savoir à quel moment exact le prisonnier est mort. Et puis il manque du monde dans la procédure (ça, en revanche, c’est pas faux…) : où sont les innombrables surveillants qui ont été témoins de la scène ? Où sont les matons du QD qui ont fini par récupérer Sambaly – toujours vivant selon le baveux –, les médecins de la prison qui ont mis si longtemps à arriver, les pompiers intervenus bien trop tard pour tenter de le ranimer ? Il est formel : ses clients n’ont pas tué. Et si certains de leurs gestes peuvent sembler disproportionnés aux yeux des profanes, ils sont à mettre sur le compte de « l’effet tunnel » bien connu des professions soumises au stress : le temps s’est comme accéléré, et ils étaient tellement obsédés par « l’exécution de leur mission » (sic) que leur discernement a pu s’altérer au point de les empêcher de percevoir la dangerosité de leurs actes.
    En bon défenseur de syndicalistes, il charge au passage l’encadrement déficient, le manque de moyens et de personnels, les procédures trop floues et inadaptées aux « réalités du terrain », le manque de formation continue… Devant le péril, livrés à eux-même, ses clients ont dû improviser pour sauver leur peau, contraints d’utiliser un bâillon de fortune faute de mieux. Et puis,chacun d’eux ne s’est occupé que d’une partie du corps : un bras, une jambe, la tête… Cynique tour de passe-passe : d’ordinaire retenue comme facteur aggravant, la réunion devient dans sa plaidoirie une circonstance atténuante… Si tout le monde tue un peu, personne ne tue vraiment.
    Il demande évidemment la relaxe ; et surtout, par pitié, que ces fonctionnaires exemplaires déjà durement atteints par ce terrible accident ne se voient pas privés de poursuivre leur sacerdoce à la prison de Saint-Martin-de-Ré…

    Quand c’est le tour de la proc, les maigres illusions qu’auraient pu susciter son attitude s’envolent aussi sec : elle n’est pas là pour défendre la partie civile, mais bien l’institution. Reprenant sans trop se fouler l’essentiel de l’argumentaire de la défense, elle va donc tout faire pour réhabiliter la sainte trinité police-justice-prison. Et elle n’hésite pas pour ça à dérouler un raisonnement des plus pervers. Car accrochez-vous bien : elle commence par nous dire sans trembler que « la prison tue » ! Si Sambaly est mort, c’est la faute à la prison. S’il a été traité comme un chien tout du long, c’est parce que l’institution carcérale déshumanise ; les prisonniers, mais aussi les surveillants. Les accusés ont traité un problème. Pas un être humain, et pas en êtres humains, mais c’est parce qu’ils sont formatés ainsi. Alors à moins de remettre la prison elle-même en question, le tribunal ne doit pas les punir trop durement… La proc’ se félicite d’ailleurs que l’instruction ait choisi de juger l’affaire en correctionnelle ; prêter à ces fonctionnaires une quelconque intention de donner la mort – et même leur attribuer la moindre « violence volontaire » au-delà du « lâche » coup de pompe de Ducorneau – aurait été odieux. Tout au plus peut-on leur reprocher de ne pas avoir su prendre le temps, à chaque étape, de réévaluer la situation pour adapter leurs gestes en conséquence. Mais ils étaient hélas aveuglés par le fameux « effet tunnel ».

    Dans les tribunaux : ni vérité, ni justice

    On ne va pas se mentir : ces gestes, certes proscrits, leur ont tout de même été enseignés à l’école de la matonnerie de Fleury ; ils font partie de leur arsenal habituel à Saint-martin comme ailleurs : étranglement, pliage, pose de bâillon, transport menotté à l’horizontale. Bref, c’est l’horreur, mais une horreur tellement banale et généralisée qu’il est bien normal qu’elle se répète là aussi. Et rien de surprenant non plus à ce que tout le monde dans ce tribunal travaille dans le même sens pour innocenter des meurtriers : dilution de la responsabilité, altération du jugement, automaticité des pratiques ; un homme a trouvé la mort, c’est malheureux, nouvelle couche d’écœurante compassion pour ses proches… mais au fond personne ne l’a tué.

    L’avocat des parties civiles ne peut plus faire grand-chose. La mécanique a ronronné trop tranquillement les jours précédents pour prétendre encore lui opposer une quelconque résistance à ce stade. La famille de Sambaly espérait entendre de la bouche même des tueurs quelques bouts de vérité, et trouver là un peu d’apaisement. Elle n’aura eu droit qu’à la litanie de leurs mensonges, encouragée par un tribunal nécessairement complice. Les rôles ont pu sembler inversés : pour une fois, ce sont les matons qui sont accusés, c’est la famille du prisonnier qui est partie civile. Mais ça s’arrête là. Pour la justice, un prisonnier reste un prisonnier, c’est-à-dire pas tout à fait un être humain : sa dignité, son intégrité, et jusqu’à sa vie ne pèseront jamais grand-chose face à l’institution et à ses agents ; pas question d’en faire une victime.


    Quand la parole est accordée à la sœur de Sambaly, elle fixe les tueurs l’un après l’autre, cherchant à accrocher leur regard fuyant, et dit son plus grand souhait : « Je voudrais que ces gens n’aient plus jamais le droit de travailler. Je suis dame de cantine, j’ai peut-être même nourri certains de vos enfants ; si un petit tombe malade à cause de la nourriture que je lui ai donnée, je suis renvoyée le jour même, et c’est normal. Je ne peux pas comprendre que vous ayez tué mon frère et que vous soyez encore à Saint-Martin. »

    Pour le récit détaillé des audiences, écouter notre série de podcasts enregistrés à La Rochelle au cours du procès: https://lenvolee.net/delibere-des-matons-tueurs-de-samba/

  • L’Envolée journal n°55 est disponible !

    L’Envolée journal n°55 est disponible !

    Mai 2022 : un nouveau numéro du journal est disponible en librairies, infokiosques et autres lieux sympathiques (liste détaillée ici). On partage l’édito et le sommaire ci-dessous, et vous pouvez télécharger le journal en pdf. Abonnez-vous !

    ÉDITO

    C’est bien sympa de donner le droit de vote par correspondance aux prisonniers et prisonnières ; d’ailleurs, certains s’en sont saisis pour voter majoritairement Mélenchon, l’un des rares candidats qui ne leur a pas ouvertement craché au visage – même s’il n’a rien dit contre l’enfermement. Le vote a pu être une occasion pour pas mal de prisonniers de sortir de cellule un petit moment, mais ce droit n’est que la contrepartie hypocrite de l’interdiction absolue de s’organiser collectivement. « Certes, ce sont des détenus, mais il ne faut pas oublier que ce sont des citoyens », rappelle le directeur du centre pénitentiaire de Gradignan sans se rendre compte que ça en dit long sur la déshumanisation en prison ; il n’y a que lui et ses collègues pour oublier que c’est à des gens qu’il a à faire ; pauvres pour la plupart, racisés souvent, étrangers beaucoup, enfermés au sein d’une institution totalitaire entre les mains de matons souvent fascistes.

    LA PENSÉE UNIQUE C’EST L’ENFERMEMENT

    Dans les « débats » de cette dernière mascarade électorale, les prisonnier.e.s ont parfois été invoqués, mais toujours pour servir de carburant à la machine répressive. Les gouvernants s’alignent toujours plus sur les positions des plus autoritaires – voire des plus fascistes. Sous la diversité de leurs masques se cache le même visage : celui de propriétaires qui doivent faire accepter les attaques sociales et enfermer en masse pour défendre leur propriété et l’ordre en place. Populiste-fasciste ou libéraux-autoritaires font mine de s’opposer. Mais quel que soit le type de bourgeoisie qui accède au pouvoir, les objectifs économiques restent les mêmes : sans cesse maintenir le taux de profit des grandes entreprises dans un capitalisme en crise perpétuelle. Pour y arriver, y a pas trente-six solutions : pression sur les salaires, disparition du salariat et des droits qui vont avec, privatisation des derniers services publics.

    Dès lors, prisons et tribunaux sont les armes essentielles du bloc bourgeois : la justice n’est pas là pour « rendre justice », elle est là pour appliquer leur loi et la prison sert à stocker toujours plus de pauvres : le nombre de prisonniers a doublé en quarante ans. Elle met aussi la pression à tous les autres chômeurs – avec ou sans papiers. Et cette « armée de réserve du capital », comme disait l’autre, sert à son tour à maintenir la pression sur celles et ceux qui ont un taf. Si tu refuses du travail, si tu as des revendications, y a du monde qui attend pour prendre ta place. L’État ne poursuit pratiquement que des faits qui découlent de la misère… et aussi, à la marge, quelques contestataires, syndicalistes et militants qui prétendent encore défendre la solidarité et l’émancipation. En augmentant les capacités d’enfermement, les constructions de nouvelles prison en cours font peser une menace sur celles et ceux qui vivent autrement que dans les normes, par choix ou par obligation. Évidemment, il n’y a pas eu un seul candidat pour s’offusquer du dernier – colossal – programme de construction de nouvelles prisons.

    L’EXTRÊME DROITE, C’EST PAS QUE DES IDÉES, C’EST DES PRATIQUES !

    Macron a fait du bon boulot pour qu’on le déteste : l’intégration de l’état d’urgence antiterroriste dans le droit commun, suivi de deux ans d’état d’urgence sanitaire, le vote de lois racistes comme la loi Asile et immigration ou la loi « contre le séparatisme ». Cette dernière ne peut que nourrir l’image apocalyptique d’une France au bord de l’implosion, traversée de prétendus désirs de sécession. Darmanin a même utilisé le mot d’« ensauvagement »… tout est dit : dans son camp les délinquants sont des animaux – et souvent des animaux venus de zones non tempérées. Et puis le gouvernement par ordonnance, l’explosion des amendes, l’extension du pouvoir administratif, l’assignation à résidence pour raison sanitaire, les yeux crevés, le tout sur fond de casse du droit du travail… Tout ça, c’est tellement brutal qu’Emmanuel a réussi l’exploit de « normaliser » Marine par comparaison elle qui prétend encore être « antisystème ». Certains arrivent à y croire, au point d’oublier que les Le Pen, c’est avant tout une histoire d’héritage, idéologique bien sûr, mais aussi en termes de ressources : un appareil politique, des amis nazis, un patrimoine financier, des réseaux d’entrepreneurs, de militaires… L’héritière d’un agent des services spéciaux militant de l’Algérie française et tortionnaire aime bien les petits chats ? Ça nous fait une belle jambe !

    Le fascisme prospère toujours sur la déception et les défaites des mouvements sociaux, comme lors de l’écrasement du mouvement des Gilets jaunes. Pas mal de gens se disent que finalement, c’est pas si grave. Derrière leur « tout sauf Macron », leur « Marine on a jamais essayé », leur « tous pourris, alors mieux vaut voter pour l’original que pour la copie », il y a ce répugnant calcul que les coups de matraques pleuvront en priorité sur d’autres côtes et d’autres nez. Que les Flashball ne viseront plus que les yeux des arabes, des noirs, des roms, des étrangers.

    LES UNIFORMES EN VEULENT TOUJOURS PLUS

    Ce gouvernement a demandé aux condés de briser des vies à un rythme rarement atteint jusque-là : en manif, dans les quartiers populaires. Leurs maîtres ont rarement autant dit à leurs chiens de garde combien ils sont nécessaires à leur survie. Lorsqu’en mai 2021, des milliers de condés ont manifesté devant l’assemblée nationale pour vociférer contre le prétendu « laxisme de la justice à l’égard des agresseurs de policiers » et réclamer des peines automatiques, c’est presque toute la classe politique qui s’est précipitée devant les caméras : le RN bien sûr, mais aussi Yannick Jadot (EELV), Fabien Roussel (PC), Valérie Pécresse (LR), et enfin, last but not least, le ministre de l’intérieur Darmanin Himself ! Alors forcément, ils ont pris la confiance – au point de convoquer quelques mois plus tard, le 3 février 2022, tous les candidats, des libéraux autodésignés aux autoritaires revendiqués, pour un « grand oral policier » devant leur syndicat majoritaire. C’est à qui les aime le plus, à qui leur promettra le plus : tout y passe, mais ça tourne toujours autour de l’impunité, du permis de tuer et de la simplification des procédures. Bref, autour de la promesse de planer toujours plus haut au-dessus des lois qu’ils sont chargés d’imposer aux autres.

    Ce n’est qu’adolescent que le porteur d’uniforme a parfois pu se raconter qu’il défendrait la veuve et l’orphelin ; adulte, il en fabrique, des veuves et des orphelins. Comme leurs modèles policiers, les syndicats majoritaires de surveillants pénitentiaires couvrent les violences de leurs agents et revendiquent de plus en plus ouvertement leur guerre aux prisonniers. Un uniforme sur deux au moins a voté pour l’un des deux candidats fascistes du bloc bourgeois au premier tour. Pas mal de flics et de matons rêvent déjà de l’étape d’après, et préparent les milices de demain pour faire le sale boulot du capital. On en voit depuis longtemps les prémices : par exemple, des fascistes proches de la famille Le Pen ont déjà bien commencé à s’implanter depuis des décennies dans des groupes de sécurité privée.

    LES PRISONNIERS CONNAISSENT LE FASCISME

    Dans les yeux des matons, les prisonnier.es ont vu passer les mille nuances du fascisme. Du mépris à la haine, de la vexation à la torture, les matons sont les gardiens d’une institution totalitaire, puisque son emprise s’étend sur tous les aspects de la vie. Elle pratique le fascisme en actes : arbitraire, brutalité, bureaucratie, terrorisme moral, déshumanisation. Elle contribue ainsi à l’idéologisation d’une frange du prolétariat contre une autre, de sorte que nombre de matons se revendiquent ouvertement du fascisme ; ceux-là, sont évidemment les plus dangereux. Il n’y a pas en prison « des conditions de vie dégradantes » ; c’est la condition d’enfermé dans une institution totalitaire qui est dégradante en soi. En novembre dernier, au procès des meurtriers de Sambaly Diabaté, on a vu une équipe de surveillants tortionnaires qui ont eu les coudées franches pour tuer un prisonnier. La justice a validé leur geste. Jusqu’à ce jour, ils continuent d’exercer leur pouvoir sur les prisonniers au quotidien.

    Au moment où l’horizon s’assombrit, il devient plus que jamais nécessaire de faire entendre les voix des enfermé.es. Elles ne s’indignent pas, elles savent trop bien – jusque dans leur chair – qu’il n’y pas de frontière entre légalité et barbarie. De la prison, on a malheureusement un point de vue de choix pour comprendre et tenter de combattre le fascisme qui vient. Un des principaux objectifs de L’Envolée, c’est de ramener la question de la prison et de la justice dans les luttes sociales contre le capitalisme autoritaire et le fascisme qui gangrène la société.

    SOMMAIRE 55

    3 / « Voilà », poème de Nazim Hikmet

    4 / « Ne pas se rendre ! » : édito

    6 / « Pourquoi je fais la grève de la faim », par Libre Flot

    11 / « Enfin sorti du QI ! », par Kémi

    12 / « On a pas été jugés, on a été préjugés » : Récit d’une révolte au centre de rétention du Mesnil-Amelot

    15 / « Rejetée et refusée ! », par J.

    16 / « Libérez les grands frères ! » : Criminalisation du mouvement social en Guadeloupe

    « Association de malfaiteurs ? » , par Oneel

    20 / Covid au placard, encore une couche d’arbitraire

    Lettres de Francis et de Bliss

    24 / Distribution de permis de tuer au tribunal de La Rochelle : Récit du procès des surveillants responsables de la mort de Sambaly Diabaté à la centrale de Saint-Martin-de-Ré

    30 / Mortel refus de soin à Séquedin : Le médecin en charge d’Adil Taychi acquitté

    « Il n’a pas pris perpète, il a été condamné à mort », par Anne

    32 / La prison a tué Yvan Colonna

    34 / « Je suis à moi seul une prison », par Francis

    37 / « On stagne au jour de notre incarcération », par Céline

    38 / Brèves du fascisme judiciaire en marche : Dissolutions en rafale, procès contre des antifas, Claudio Lavazza toujours enfermé, rebelles italien·ne·s menacé·e·s d’extradition, nouvelle taule à Muret

    41 / Publications

    42/ Saluts ! Où nous trouver, où nous écouter, où nous écrire

    Le journal coûte 2 euros, parce qu’il est gratuit pour les prisonniers et prisonnières.
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