Catégorie : Journal

  • Le journal L’Envolée n°61 est sorti !

    Le journal L’Envolée n°61 est sorti !

    Il est disponible pour 2 euros dans de nombreux points de distribution (voir ici), en abonnement de soutien pour 15 euros par an, et gratuit pour les prisonniers et prisonnières.

    Sommaire :

    • Réductions de peine : l’éternelle carotte
    • Lettres de Troyes et des Baumettes
    • La BAC à la barre
    • « T’es personne et on te ferme la porte » Un message de Fleury
    • Mesnil-Amelot : encore un mort en CRA
    • Lettres de déportés kanak
    • Offensives législatives contre les étranger·es
    • CRA de Marseille : en réaction aux manipulations racistes

    Édito : « Y a des joies, y a de lourdes peines, rien de nouveau sous le soleil »

    En octobre 2024, des journalistes d’extrême droite ont accompagné un député proche de Zemmour au centre de rétention administrative (CRA) de Marseille pour filmer des prisonniers en caméra cachée. Loin de déranger l’administration, leur « reportage » est devenu une tribune pour les discours racistes des condés et du personnel médical : ils ont décrit un « public » (!) de plus en plus dangereux, qui serait mieux traité que les blancs pauvres des campagnes, et qu’il faudrait expulser à tout prix. En réaction, les prisonniers ont entamé une grève de la faim pour protester contre la manipulation de leur parole et de leur image – et ils l’ont payé au prix fort, par des expulsions.

    Les médias fascisants et les institutions répressives marchent ensemble. Aux États-Unis, un président suprémaciste a été réélu avec le soutien actif d’un milliardaire qui a mis à son service un des plus importants réseaux sociaux de la planète… En France, les discours des porteurs d’uniforme et des médias d’extrême droite nourrissent et légitiment la politique du gouvernement : construire toujours plus de CRA, faciliter les expulsions, sous-traiter et reléguer la « gestion » des étranger·es aux frontières de l’Europe. Tout ce beau monde s’accorde pour enfermer massivement les personnes sans papiers, ce qui détourne opportunément l’attention du surenfermement des classes populaires. Comme nous le racontent des prisonnier·es de Fleury et de Poitiers, les maisons d’arrêt craquent. Les triplettes se généralisent, il y a même quatre ou cinq prisonniers par cellule à Mayotte.

    À l’unanimité, la réponse à cette « explosion de l’insécurité » qu’on veut nous faire gober en continu, c’est bien l’enfermement. Gros déchaînement politico-médiatique sur une énième catégorie de super-méchants : les « narcoracailles » qui « mexicanisent » la France. Eh oui : à force d’être trop délinquant·e, on finit par être un peu moins français·e – et donc plus condamnable. La nation est en péril ! Les matons redouteraient même l’infiltration de trafiquant·es par une vague de candidatures au concours… Peur de se faire piquer leur bizness, peut-être ?

    La menace du « narcoterrorisme » justifie l’annonce en rafale de mesures plus ou moins inédites : création d’un parquet national antistupéfiants, atteintes aux droits de la défense, suppression des jurés populaires aux assises, suspension des aides sociales aux personnes condamnées, abolition de l’excuse de minorité… Après les qualifications d’association de malfaiteurs et de bande organisée, tadam ! Voilà l’association de malfaiteurs en bande organisée ! À quand l’association de malfaiteurs qui font du mal à plusieurs en bande organisée et en réunion ?

    On connaît la chanson… La figure du grand méchant dealer servait déjà dans les années 1980 à faire accepter l’enfermement de masse et à camoufler le rôle principal de la prison : la répression quotidienne et silencieuse des crises sociales et de la misère… Tous les jours, des petits charbonneurs mangent du ferme en comparution immédiate.

    À l’intérieur, certaines catégories de prisonnier·es – les « grands bandits », les pédocriminels et les terroristes – se sont vu appliquer au fil du temps des traitements spéciaux ; il s’agit maintenant d’en dépoussiérer une autre, sous le nom rénové de narcotrafiquants. On leur promet déjà un régime de détention spécifique – et surtout l’isolement dans des quartiers de haute sécurité. C’est bien pratique d’introduire de tels dispositifs en les appliquant à des prisonnier·es désigné·es comme des « monstres » : ça normalise le pire et ça distille le durcissement des conditions d’enfermement dans toute la prison. C’est de pire en pire, mais y en a toujours un pour qui c’est encore plus pire, alors faut se tenir à carreau en espérant que ça tombe pas sur soi. Les prisons tiennent par leurs divers quartiers punitifs ; et la société, par ses prisons. Continuez à flipper, et marchez droit !

    Face à tout ça, toujours le même refrain ! Il faut écouter et porter la parole des enfermé·es – les sans-papiers qui se révoltent dans les CRA, les longues peines oublié·es, les Kanak déporté·es en métropole, et toutes celles et ceux qui mettent en place des solidarités à l’intérieur.

    Télécharger le journal en cliquant ici.

  • Le journal L’Envolée n°60 est sorti !

    Le journal L’Envolée n°60 est sorti !

    Ça y est le numéro 60 du journal de l’Envolée est sorti ! Il est disponible pour 2 euros dans de nombreux points de distribution (voir ici), en abonnement de soutien pour 15 euros par an, et gratuit pour les prisonniers et prisonnières. En voici le sommaire et l’édito :

    Sommaire de l’Envolée n°60 :

    • « L’autre côté des choses » Lettres de Redoine Faïd
    • Kanaky : révoltes et déportations judiciaires
    • Lettres de Moulins et de Poitiers-Vivonne
    • Mai 2024 : blocage de toutes les prisons de France
    • Trimer pour des miettes : lettres de Blanche et d’Aurélie
    • Oppression carcérale des Palestinien-ne-s.
    • Médaille de plomb des JOP (Jeux olympiques et paralympiques)

    Édito : Pas de quoi danser la Zumba !

    Un océan de contre-vérités, d’inversion des termes, de mensonges déconcertants ; des torrents d’insultes, de menaces et de violences ; des ratonnades racistes, homophobes et transphobes. Voilà ce qui a caractérisé la dernière période électorale, ce qui a contribué à nous faire peur – plus peur que la fois d’avant, mais moins que la prochaine. Peur d’une prise de pouvoir des franges les plus fascistes du bloc bourgeois auxquelles les libéraux
    autoritaires préparent le terrain depuis des années.


    Dans ce flot médiatique, une ex-Miss France électrice du RN a fait le buzz. Elle explique à un journaliste qu’en cas de victoire de la gauche, elle s’enfuit au
    Maroc. Sourire complice aux lèvres, elle ajoute : « Vous voyez, je ne suis pas raciste ! » Paradoxal ? En fait, non : en votant pour un parti raciste-autoritaire, ce qu’elle veut avant tout, c’est préserver sa place dans la hiérarchie sociale et économique. Le contrat que passe le RN avec son éléctorat, qu’il soit ouvrier, petit ou grand bourgeois, est avant tout un contrat raciste, un genre de pacte qui masque la question sociale derrière un prétendu problème racial. Le deal est simple: le prolo peut continuer de se faire exploiter tant que son voisin arabe ne touche pas d’allocs ; le petit patron peut accepter sa petitesse tant qu’il peut employer au black des étranger·e·s corvéables à merci ; le grand patron peut soutenir le parti de Jordan TikTok Bardella tant qu’il a le même programme économique que Macron. Comme ça, aucun risque de remise en cause des inégalités sociales. Le bloc bourgeois paie déjà des clowns de plateaux pour diffuser son racisme chez les pauvres dans un simu-
    lacre de connivence. « Pour remonter ton pouvoir d’achat, la seule chose qu’on peut te promettre, c’est de baisser celui des Arabes ou des Noir·e·s déjà plus en galère que toi. » Point barre, voilà le programme. « Et si ça marche pas, on aura au moins baissé le leur, ça devrait suffire à te consoler. »

    Ce pacte raciste repose sur la déshumanisation d’une partie de la population. «Marre des raclures, des nuisibles et des jeunes d’origine étrangère », comme
    le sort tranquillement le patron d’Alliance, principal syndicat de flics radicalisés qui roule pour le FN-RN. C’est cette déshumanisation qui permet de tuer les jeunes des quartiers populaires et d’enfermer massivement les autres quand ils se révoltent, comme l’été dernier. La domination coloniale repose sur la même déshumanisation : le pacte raciste permet toutes les
    horreurs, comme on l’a vu avec les milices loyalistes en Kanaky (lire page 6). Le contrat raciste que les partis d’extrême droite passent désormais au grand jour avec leurs électeurs et électrices avait déjà cours de la droite à l’extrême centre. C’est lui qui a permis le vote de la dernière loi sur l’immigration en janvier 2024 ; c’est lui qui enferme à tour de bras dans des centres de rétention ; c’est lui qui devient le programme commun de l’Europe forteresse.

    À côté de ce deal raciste, il y en a un autre, inscrit au plus profond de la démocratie libérale : le pacte pénal. Par le biais de ses juges, l’état de droit nous impose ce pacte à toutes et à tous sans exception, sur le dos des délinquant·e·s que la société fabrique. C’est ce que nous tentons de mettre au grand jour depuis 60 numéros. Le contrat pénal, c’est simple : « Pour te consoler de galérer dehors, on va rendre la vie impossible à celles et ceux qui ne le respectent pas. Si tu te plies à nos règles, t’iras pas en prison ; par contre, les autres vont y aller. Et promis, ils vont en chier. »
    Évidemment, pacte pénal et pacte raciste marchent ensemble : il s’agit toujours de rediriger la colère vers des boucs émissaires. C’est pour ça que le chiffre de 80 000 personnes enfermées – et leurs familles avec – ne choque pas ; loin de là. On pourrait même dire que c’est le contraire qui scandalise : les prétendues « prisons-Club Med », les pauvres courses de karting, et même les Playstations en cellule. « Dans la pénombre de l’institution, on mesure l’indifférence profonde des gens pour les emprisonnés. Cette opinion publique sera toujours hostile au changement », résume Rédoine Faïd dans
    ses lettres (lire page 4). À la limite, plus la prison déshumanise, plus les gouvernants prouvent qu’ils font bien leur travail. En attendant, elle joue pleinement son rôle d’épée de Damoclès : suspendue au-dessus de nos têtes, elle fait peur. Grosse injonction à rester du bon côté du Code pénal.

    L’idée de troquer liberté et égalité contre une sécurité prétendument menacée par d’autres pauvres – Arabes ou Noir·e·s, dans l’ensemble – est très largement partagée par le champ politique. La preuve : tout ce que le RN propose, c’est d’approfondir ou de durcir des lois existantes – permis de tuer pour les flics, remise en cause du droit du sol… Preuve supplémentaire, dès le lendemain du second tour des législatives, Olivier Faure – petit patron d’un PS ressuscité – a appelé à «célébrer » la victoire du Nouveau Front populaire tout en appelant à « entendre la demande de sécurité ». Rappelons que c’est la gauche qui a initié le grand enfermement des quartiers dans les années 1980 : la population carcérale a doublé en moins de cinquante ans. La « politique de la ville », comme on disait à l’époque, fut surtout une politique de la prison.
    Le combat contre le fascisme ne consiste pas à pousser un grand ouf de soulagement en attendant la prochaine élection. Il passe nécessairement par la remise en question du contrat raciste et du contrat pénal. C’est cette remise en cause qui fonde la lutte anticarcérale. Une lutte qui se mène forcément à l’écoute des prisonniers et des prisonnières, avec elles, avec eux

    Télécharger le journal en cliquant ici.

  • Le journal L’Envolée n°59 est sorti !

    Le journal L’Envolée n°59 est sorti !

    Annoncé avec un peu de retard car le site internet était en maintenance, voici le sommaire et l’édito du journal n°59. Il est disponible pour 2 euros dans de nombreux points de distribution (voir ici), en abonnement de soutien pour 15 euros par an, gratuit pour les prisonniers et prisonnières.

    Sommaire de l’Envolée n°59 :

    • Lettres du CNE, de Poitiers-Vivonne, de Liancourt
    • Badinter est mort, pas la peine de mort
    • « Après ce qu’il a fait pour moi, je ne pourrai jamais vous dire qui c’est » : Draguignan, procès en appel d’une évasion
    • « Pauvre France… ça pue la merde ! » : des nouvelles des prisons pour étranger.e.s
    • De la prison à la psychiatrie, une proche raconte l’engrenage
    • Seysses et Fleury : des proches et des prisonniers se mobilisent après des morts au mitard
    • « Tout assigné à résidence aura la vie tranchée ! » : extraits d’un texte de Kamel Daoudi
    • Elac, ELSP : Toujours plus de matons version Robocop

    Édito

    Opération Wuambushu contre les sans-papiers à Mayotte, opération « place nette » contre les habitant·es des quartiers, opération « cellule nette » contre les prisonnier·es, opération « ferme ta gueule » sur la Palestine, opération « autorité » contre les mineur·es et leurs parents, avec couvre-feu à Pointe-à-Pitre… Et la grand-messe des JO comme anesthésique… Mais la vidéosurveillance algorithmique, les 125 juges recrutés pour l’occasion, tout ça restera en place une fois la flamme éteinte pour enfermer et contrôler toujours plus. C’est la même opération raciste et antipauvre qui continue.

    Côté administration pénitentiaire (AP) aussi, passage de flambeau avec le départ du patron Laurent Ridel. Tel un PDG qui vante son chiffre d’affaires lors d’un pot de départ, il se félicite de voir la pénitentiaire « en plein essor avec plus de 76 000 personnes actuellement détenues, 180 000 mises en probation (c’est-à-dire des personnes purgeant une peine en milieu ouvert) ». Il connaît bien sa boutique : l’AP ne se contente pas d’enfermer. Dehors, elle contrôle et surveille une partie toujours plus grande de la population. « Nous sommes un peu la balayeuse de la société, nous récupérons, entre guillemets, tous les échecs de la société. » Pour celles et ceux qui croiraient qu’il parlait de son personnel, rappelons tout le bien qu’il leur a fait ! D’ailleurs, le syndicat FO-Justice ne s’y trompe pas au moment de saluer le bilan du patron : sous sa direction, les matons ont obtenu leur recatégorisation – et les augmentations qui vont avec. Pour la première fois depuis… très longtemps, les concours de recrutement ont fait le plein. Ridel a bien contribué à redorer le blason de la pénitentiaire qui était jusque-là restée selon lui « trop humble, trop discrète ». Dans ce grand récit à la gloire de l’institution, il est toujours question de violences carcérales – c’est-à-dire entre prisonnier·es ou contre les matons –, jamais de violence pénitentiaire – celle de l’institution et de ses agents.

    Quant au repreneur de la boîte, Sébastien Cauwel, il a été secrétaire général de la préfecture de Guadeloupe, où il a réprimé les révoltes sociales à partir d’août 2021 et incarné le refus de l’État d’amnistier les prisonnier·es (voir L’Envolée n o 55). Du coup, il est bien placé pour savoir que la prison sert aussi à briser les mouvements sociaux – ça tombe à pic, en cette période d’offensive antisociale. Et puis il sait bien que l’administration pénitentiaire doit rester la deuxième « grande muette », après l’armée : rien ne doit en sortir. Alors qu’il était directeur de l’école nationale d’administration pénitentiaire (Énap), l’établissement a porté plainte pour diffamation après la dénonciation publique de violences sexuelles. Aux grands hommes, la patrie reconnaissante !

    Bon, on aurait aussi pu vous parler de Badinter (c’est vrai, il est mort…) mais Kamel et les prisonniers de Montmédy le font mieux que nous.

    Télécharger le journal en cliquant ici.

  • Le journal L’Envolée 58 est de sortie !

    Le journal L’Envolée 58 est de sortie !

    C’est le retour du journal, en 16 pages cette fois, trouvable un peu partout à 2 euros pièce (mais on vous conseille de vous abonner !) : les points de distrib’ sont dispos ici !

    édito

    Le ministère des tribunaux et des prisons a cette année encore battu son propre record : plus de 75 000 personnes en prison et 250 000 sous main de justice… À force d’asséner les chiffres de la « surpopulation carcérale », on finirait par nous faire croire que c’est inéluctable. Faudrait surtout pas qu’on se rende compte qu’en réalité c’est un choix : c’est bien les gouvernements successifs qui donnent ordre à la police d’arrêter toujours plus de personnes. C’est bien les législateurs qui votent chaque année de nouvelles lois sécuritaires.

    Si les gens couchent par terre en cellule, c’est pas parce qu’il n’y a pas assez de places en prison, mais bien parce que les juges condamnent à tour de bras. Si y a trop de monde en prison, suffit d’enfermer moins plutôt que d’en faire un prétexte pour construire de nouvelles taules comme les 15 000 places prévues d’ici 2027, qui seront bientôt « surpeuplées » et à leur tour justifieront encore de nouvelles constructions.

    Derrière cette litanie de l’administration et des politiques, on finit par reconnaître une musique inquiétante : celle qui laisse entendre qu’il y aurait des populations « en trop ». Évidemment que c’est pas le fait d’entasser les prisonnier·es qui les dérange ! C’est quoi, le problème ? Les pauvres ? C’est sûr que tout augmente : la bouffe, les loyers, les factures, alors ça finit par faire du monde. Il s’agit de faire accepter la traque des plus précaires et la suppression progressive des allocs et de tout un tas d’aides sociales. Pour ça, il faut continuer à faire peur.

    Plus on galère, plus on va en prison, et plus les proches autour galèrent… Quand en plus, on a pas les bons papiers, au bout de la chaîne, c’est l’expulsion. La criminalisation et le harcèlement quotidien des pauvres et des personnes racisées autorisent la police à tuer régulièrement des habitant·es des quartiers populaires ; comme Nahel, tué le 27 juin 2023 par un policier devenu millionnaire grâce au soutien de l’extrême droite et de la bourgeoisie la plus réactionnaire. Il y a eu un mouvement social massif, des gens ont repris la rue, et certain·es ont profité de l’occasion pour remplir leur frigo. La machine policière et judiciaire a alors tourné à plein régime pour condamner plus de deux mille personnes à des peines de prison et en maintenir des milliers d’autres sous main de justice.

    Comme l’a déclaré Rédoine Faïd lors du procès de son évasion de Réau : si vous pensez « que cette injustice ne vous concerne pas parce que vous n’allez pas franchir ces murs, vous avez tort ». Ben oui : alors que la prison se révèle toujours plus clairement comme la clé de voûte d’un système basé sur l’exploitation et la domination, les prisonnières et les prisonniers sont maintenus dans l’angle mort. C’est aussi pour ça qu’il est plus nécessaire que jamais de faire sortir la parole des personnes enfermées.

    Vu le tableau, on vous souhaite la meilleure année possible !

    Force, courage et détermination…

    Sommaire de l’Envolée n°58 :

    • Edito
    • Lettres de l’intérieur
    • Réau : récit d’un procès
    • Brouilleurs et isolement à Bourg-en Bresse
    • Entretien avec une sortante longue peine
    • Autocensure et interdiction de manifester pour la Palestine

    Le journal est dispo en téléchargement ici (cliquez !)

    Le journal coûte 2 euros dehors et il est gratuit pour les prisonniers et prisonnières.
    Abonnez-vous en soutien (15euros par an) pour recevoir les futurs numéros, ou pour commander les 57 autres numéros : L’Envolée journal – FPP, 1 rue de la Solidarité – 75019 Paris ou contact@lenvolee.net

  • L’Envolée 57 est de sortie ! Spécial censure

    L’Envolée 57 est de sortie ! Spécial censure

    Le numéro 57 de L’Envolée journal est finalement dispo un peu partout ! 32 pages, 2 euros pièce (mais on vous conseille de vous abonner!) Les points de distrib’ sont dispos ici !

    édito : Et une, et deux, et trois censures !

    Le ministère de la Justice a interdit fin janvier 2023 la diffusion du journal en détention (le n°56, cette fois), et saisi des exemplaires dans les cellules des abonné·e·s. C’est la troisième fois en deux ans : le ministère avait déjà interdit la diffusion du n° 52 en janvier 2021 à cause d’un dossier consacré au décès de plusieurs prisonnier·e·s, et au printemps 2022, une note nationale avait privé tou·te·s les prisonnier·e·s de la lecture du n° 55 en raison de « propos diffamatoires à l’égard de l’administration pénitentiaire » ; il s’agissait encore de passages dénonçant le caractère mortifère de la prison. Éternel retour… Les offensives de la censure – officielle ou officieuse –, c’est toute l’histoire de l’AP avec L’Envolée.
    Qu’on se batte contre la torture blanche des quartiers d’isolement, qu’on dénonce le mythe de l’impossible « réinsertion » après la peine, qu’un média de gauche enquête sur les conditions indignes de telle ou telle prison, au fond, le maton de base, il s’en tamponne le coquillard : c’est pas lui qui est visé, c’est son administration, c’est le droit, voire la société… Lui, il peut se dire qu’il y est pour rien. Mais dénoncer les fouilles abusives, l’arbitraire des placements au mitard, attaquer les violences des collègues, écrire que la violence et la déshumanisation sont les fondements structurels de la prison, ça, ça les froisse, les bichons.

    C’est pas d’hier qu’on le dit ; et ça leur a jamais plu, comme en témoignent les censures, retenues de journaux et plaintes qui émaillent l’histoire de L’Envolée depuis sa création en 2001. La nouveauté, c’est que cette vérité de base, « la prison tue », commence à émerger de plus en plus dans le débat public, et que des liens se tissent avec celles et ceux qui dénoncent d’autres violences d’État – notamment celles des policiers. La nouvelle bordée de censures administratives dont notre petit canard fait l’objet prend un poids particulier au moment où l’on voit, d’un côté, des familles s’organiser pour se battre suite à la mort d’un proche en prison, et de l’autre, des syndicats de matons obtenir toujours plus de reconnaissance et de moyens. Quand les porteurs d’uniformes d’obédience fasciste sont de plus en plus influents et organisés. Bien sûr qu’ils n’ont jamais aimé que ce qu’ils font au fin fond des quartiers d’isolement ou des mitards soit révélé et dénoncé ; mais ils se sont donné de plus en plus de moyens de faire pression pour pas que ça se sache.


    Année après année, les syndicats de matons se sont mis à durcir leurs mouvements et à leur donner toujours plus d’ampleur. Ce qu’ils réclamaient à grands coups de blocages de prisons – qui sont autant de moments de liberté volés aux prisonnier·e·s et à leurs proches –, c’est finalement SuperDupont-Moretti qui le leur a accordé en ce début d’année 2023 : la revalorisation de leur statut, c’est-à-dire son alignement sur celui de leurs grands frères policiers. Ça y est ! Ils sont fonctionnaires de catégorie B, ce qui veut dire avant tout plus d’oseille à la fin du mois ! Quant aux équipements, il ne leur manque plus que les armes à feu : ils ont déjà obtenu toutes celles qui sont réputées non-létales. Côté testostérone, ils se sentent d’autant plus soutenus par l’État que leurs modèles policiers sont lâchés dans les rues avec la mission de brutaliser, de mutiler, et pourquoi pas de tuer s’il le faut pour terroriser celles et ceux qui se révoltent – et aussi, bien sûr, les éternels boucs émissaires. Et puis le droit de toujours plus se passer du juge pour punir directement à coup d’amendes et pour inscrire des délits au casier judiciaire témoignent de l’extension constante du pouvoir judiciaire de la police. Les matons voudraient de la même manière pouvoir influer plus ouvertement sur les « parcours pénitentiaires », notamment en prenant plus de poids dans les prétoires.

    Toutes les notes de censure du journal s’inquiétaient de sa gratuité et de sa « large diffusion » susceptible d’avoir « un retentissement important auprès des personnes détenues ». L’AP reconnaît ainsi que ce sont les échanges entre prisonnier·e·s à propos de certains actes brutaux – notamment quand ils ont été judiciairement reconnus – qui sont « de nature à engendrer un retentissement important » dans les prisons de France. Ce n’est ni le ton, ni le contenu des écrits qui « portent une atteinte grave à la crédibilité et à l’honneur » de l’AP, mais bien les faits eux-mêmes. Et c’est cela qui ne doit pas circuler en détention ! Ce qui semble inadmissible à l’AP, c’est l’existence même d’un outil de libre expression au service de celles et ceux qui sont déjà privé·e·s du droit de s’organiser, de contester et de parler publiquement. Car rappelons-le ici, le quotidien des prisonnier·e·s est rythmé par la censure à tous les niveaux, et régi par des règlements différents d’une prison à l’autre, et auxquels ils n’ont souvent même pas accès. La prison, c’est la vie censurée. Partout. Tout le temps.

    La principale conséquence de ces interdictions à répétition, c’est de faire pression sur les abonné·e·s du journal : certain·e·s ont subi une fouille de cellule et ont été menacé·e·s d’une sanction disciplinaire. Il y a une volonté clairement affichée de les dissuader de le recevoir… et plus encore de lui écrire. Ça rappelle l’ambiance dans les boîtes à l’extérieur : les prisonnier·e·s revendicatifs sont traité·e·s comme des syndiqué·e·s, c’est-à-dire comme les relous de service qu’il faut isoler, harceler et transférer. Sauf que les prisonnier·e·s n’ont ni la reconnaissance symbolique des syndiqué·e·s, ni leur (relative) protection légale ; ils et elles ne subissent que la répression. En censurant L’Envolée, l’AP entend étouffer un peu plus la parole des personnes enfermées.
    C’est un des derniers maillons de la chaîne de la délégitimation de leur parole. La censure est là pour les empêcher de se constituer en sujets politiques autonomes qui pensent, dénoncent et combattent le sort qui leur est fait. Pour faire enfin disparaître un des rares espaces où se rencontrent des paroles de l’intérieur et de l’extérieur qui construisent un point de vue anticarcéral : critiquer la société depuis ses prisons, ses lois, ses tribunaux. Pour ça, ce qui est très tendance, c’est le droit administratif : une simple note suffit à interdire un journal dans toutes les détentions. Aussi simple qu’un arrêté préfectoral interdisant tout rassemblement dans certaines zones … publié le lendemain de la manif. Bien sûr, on peut contester, il y a « des voies de recours », comme on dit : on peut déposer un « référé suspension », et on l’a fait (voir le texte du recours pages 5 à 7), mais les juges administratifs… c’est des juges, ils ont donc tendance à considérer qu’il n’y a pas le feu quand il s’agit de s’attaquer à leur propre ministère, et que rétablir la circulation d’un journal d’actualités pour les prisonnier·e·s, ce n’est pas une urgence. Circulez, y a rien à voir… et le traitement de l’affaire est renvoyé aux calendes grecques.

    Conclusion : si par malchance le mouvement social actuel n’obtient pas la démission du gouvernement, la dissolution de la matonnerie et la subversion généralisée des rapports sociaux, il est fort possible qu’une nouvelle note du ministère vienne censurer le présent numéro. Dehors, continuez à soutenir le journal le plus censuré de France… Et dedans, lisez-le vite et faites tourner !

    Sommaire de l’Envolée n°57 :

    • Edito : Et une, et deux, et trois censures
    • Un recours contre la censure du no 56
      Extraits du référé suspension déposé au tribunal administratif
    • Le bâillon, une vieille tradition ?
      Permanence d’une pratique mortelle et interdite
    • En prison, la vie toute entière est censurée
    • Lettre de L’Infâme, prisonnier à Valence
      Lettre de N., prisonnière aux Baumettes
    • Une conversation entre deux anciens prisonniers
      Nabil et Louis à propos de la censure à l’intérieur
    • 22 ans et toutes ses dents
      Retour sur les censures et les plaintes contre L’Envolée
    • À l’assaut des assos,
      la liberté d’association censurée à son tour

    Le 57 est dispo en téléchargement ici (cliquez !)

    Le journal coûte 2 euros dehors et il est gratuit pour les prisonniers et prisonnières.
    Abonnez-vous en soutien (15euros par an) pour recevoir les futurs numéros, ou pour commander les 56 autres numéros : L’Envolée journal – FPP, 1 rue de la Solidarité – 75019 Paris ou contact@lenvolee.net

  • L’Envolée 56 est enfin dehors !

    L’Envolée 56 est enfin dehors !

    Le numéro 56 de L’Envolée journal est finalement dispo un peu partout ! Les points de distrib’ sont alimentés au fur et à mesure donc n’hésitez pas à nous contacter ou à contacter les lieux (dispos ici) avant de vous déplacer !

    édito : C’est bon comme ça ?

    Le mois d’août a été marqué par une triste nouvelle : nous avons appris la mort de Romain Leroy, un correspondant de longue date de L’Envolée. Pendant toute la durée de son enfermement, Romain n’a cessé de se battre contre l’administration pénitentiaire (AP). Il a surtout participé à des luttes collectives, dépassant chaque fois que c’était possible l’individualisation imposée par la prison. Chapeau à Adeline, sa compagne, qui l’a soutenu pendant toutes ces années, et a aussi trouvé la détermination d’étendre son soutien à d’autres prisonniers et à leurs proches.
    Bravo l’ami, on oubliera pas tes combats et ta solidarité : bien des prisonniers qui t’ont croisé se souviennent de la force que tu leur as donnée. On se souviendra longtemps de ta prise de parole au procès d’une des révoltes du quartier maison centrale (QMC) de Valence en 2016… Tchao l’ami !
    C’est que dans tous les lieux d’enfermement, la parole est contrôlée à tous les niveaux et, les prisonnièr·e·s le savent bien, la répression s’abat sur celles et ceux qui dénoncent – à des proches, à une association, à une institution… ou à un canard comme L’Envolée – la condition qui leur est imposée. La seule parole autorisée passe par le filtre de questionnaires ou de réunions sur le modèle « consultatif » des états généraux de la justice, où seuls les points de vue acceptables par l’administration sont tolérés.
    Il est évidemment interdit de porter une expression collective dans une pétition ou de créer une association de prisonnier·e·s !
    Alors, quand un journal se fait le porte-voix d’une autre parole, l’AP peut décider de le censurer. C’est arrivé au no 55 de L’Envolée – interdit dans toutes les détentions par une note de l’AP du 14 juin dernier –, comme au no 52 quelques mois auparavant. Cette censure s’est accompagnée d’une répression des prisonnier·e·s abonné·e·s : fouilles de cellule, coups de pression et, à l’occasion, menaces. Le motif, cette fois-ci, c’est qu’il est inacceptable de faire aux prisonnier·e·s le récit véridique du procès des matons qui ont tué Sambaly Diabaté en 2016 à Saint-Martin-de-Ré. Pourquoi ? Parce que ce drame met une fois de plus en évidence le caractère systémique de la violence exercée par des surveillants. Avec une nouveauté effarante : la proc a admis le caractère déshumanisant de la taule – mais à décharge, pour blanchir les geôliers.


    Comment s’étonner de cette censure ? La répression de la parole se durcit dans les lieux d’enfermement, les accusations de « radicalisation » sont devenues monnaie courante, les marges de manœuvre des prisonnier·e·s se sont réduites au fil des années, et les confinements successifs sont encore venus accélérer cette tendance. La prison est un miroir grossissant de ce qui se passe dehors : dissolutions d’associations, banalisation de l’interdiction de manifester et quatorze lois sécuritaires en quatre ans ont mis à mal le peu de libertés collectives qui restent.
    Aujourd’hui, publier le nom d’un fonctionnaire – même pour dénoncer les pires exactions – est passible de poursuites. La « liberté de la presse », c’est la liberté d’invisibiliser certain·e·s pour donner la parole aux dominants et à leurs milices armées. Facile ! La grande majorité des médias est aux mains de milliardaires. Le tournant sécuritaire pris dans les années 1980 permet d’accentuer la précarisation et l’exploitation des travailleurs et des travailleuses afin de préserver les bénéfices des actionnaires et autres patrons.
    Le fascisme est une option de plus en plus prisée chez les possédants, c’est le vieux projet de fomenter une alliance entre les classes populaires blanches et la bourgeoisie contre un ennemi commun : « l’étranger », « l’assisté », « le délinquant »… et toutes celles et ceux qui ne rentrent pas dans leurs cases. Il s’agit de pousser les pauvres à s’entre-déchirer pendant que les riches se partagent le gâteau !
    Bon, la fameuse rentrée sociale aurait pu nous rassurer un peu : raffineries bloquées, multiplication des grèves locales… elle se solde en fait par le passage d’une nouvelle loi pour détruire les droits des chômeurs, le recul annoncé de l’âge de la retraite, la réquisition de travailleuses et de travailleurs. Bref, tout à la sauce libérale-autoritaire du chef Macron. Mais ça n’a rien à voir avec une guerre sociale menée contre les pauvres !
    Dans ce contexte, la énième interdiction de notre petit canard – après celles des numéros 2, puis 6, puis 7, puis
    10, 11, 12, 13, 14, 15, puis 52 – traduit la volonté de liquider un des rares espaces de libre expression collective des prisonniers et des prisonnières… Mais ça n’a rien à voir avec de la censure !


    Suite à un fait divers, on a vu des défilés aux cris d’« immigrés assassins », des appels à la prison à vie par le pantin vedette d’une des chaînes du milliardaire Bolloré. Sur fond de rafles de sans-papiers envoyé·e·s dans les CRA, les associations doivent désormais signer des « contrats d’engagement républicain » pour toucher la moindre subvention et les jeunes sont invité·e·s à s’inscrire au Service national universel pour chanter la Marseillaise en défilant au pas de l’oie en uniforme… Mais ça n’a rien à voir avec du fascisme !
    Les policiers ont tué vingt personnes depuis le début de l’année. Dernier motif à la mode : le refus d’obtempérer.
    Les matons continuent à se transmettre des techniques qui tuent. En cas de problème, même plus besoin de mentir, ils invoquent maintenant « l’effet tunnel ». Le recrutement de 30 000 « réservistes de la police » a déjà commencé, et ils reçoivent en ce moment leur formation de dix jours, initiation au maniement des armes à feu incluse. Le budget du ministère des tribunaux et des prisons décolle à la verticale : plein de thunes pour plus de taules et de matériel répressif…
    Mais ça n’a rien à voir avec une militarisation de l’État sécuritaire ni avec un permis de tuer pour les uniformes !
    D’ailleurs, la France n’est pas un pays de condés, les matons ne torturent pas, les prisonnier·e·s ne se révoltent pas, ils et elles n’écrivent pas non plus… Bref, les miradors, c’est la liberté ! C’est bon comme ça, on n’est plus censuré ?

    Sommaire :


    LETTRES DE LONGUES PEINES
    « Je n’ai désormais plus aucune perspective d’avenir en liberté »
    « Dire à son empoisonneur “je connais t
    a recette” est inutile »


    HOMMAGE A ROMAIN
    « Je veux bien mettre un genou à terre mais pas les deux ! »
    « C’était le seul moyen de faire entendre la parole des longues peines »

    Procès de la mutinerie de Valence
    « À l’intérieur, ils ont pas de liberté, ils ont rien » Entretien avec Adeline


    TUNNEL LILLE-SÉQUEDIN – Procès de matons violents à Lille

    BREVES – Les Baumettes toujours plus invisibilisées – Belles belles !

    DOSSIER KEMI – Lettres sur le mitard et le QI, Communiqué des proches de Mickaël

    KOH-LANTESS POUR CACHER LA HESS

    MAISON D’ARRÊT DE CAEN – « Les bâtiments aux normes de 1945, la mentalité des matons visiblement aussi »
    DESTRUCTION DE LA SANTE DANS LES CRA – Le juge, le flic et le médecin

    CRI D’ALARME D’UNE FAMILLE – Le combat contre la leucémie en prison

    LETTRE D’ITZIAR – « Ici, là ou ailleurs, la taule est une taule »

    Le 56 est dispo en téléchargement ici (cliquez !)

    Le journal coûte 2 euros dehors et il est gratuit pour les prisonniers et prisonnières.
    Abonnez-vous en soutien pour recevoir les futurs numéros, ou pour commander les 55 autres numéros : L’Envolée journal – FPP, 1 rue de la Solidarité – 75019 Paris ou contact@lenvolee.net

  • L’Envolée journal n°55 est disponible !

    L’Envolée journal n°55 est disponible !

    Mai 2022 : un nouveau numéro du journal est disponible en librairies, infokiosques et autres lieux sympathiques (liste détaillée ici). On partage l’édito et le sommaire ci-dessous, et vous pouvez télécharger le journal en pdf. Abonnez-vous !

    ÉDITO

    C’est bien sympa de donner le droit de vote par correspondance aux prisonniers et prisonnières ; d’ailleurs, certains s’en sont saisis pour voter majoritairement Mélenchon, l’un des rares candidats qui ne leur a pas ouvertement craché au visage – même s’il n’a rien dit contre l’enfermement. Le vote a pu être une occasion pour pas mal de prisonniers de sortir de cellule un petit moment, mais ce droit n’est que la contrepartie hypocrite de l’interdiction absolue de s’organiser collectivement. « Certes, ce sont des détenus, mais il ne faut pas oublier que ce sont des citoyens », rappelle le directeur du centre pénitentiaire de Gradignan sans se rendre compte que ça en dit long sur la déshumanisation en prison ; il n’y a que lui et ses collègues pour oublier que c’est à des gens qu’il a à faire ; pauvres pour la plupart, racisés souvent, étrangers beaucoup, enfermés au sein d’une institution totalitaire entre les mains de matons souvent fascistes.

    LA PENSÉE UNIQUE C’EST L’ENFERMEMENT

    Dans les « débats » de cette dernière mascarade électorale, les prisonnier.e.s ont parfois été invoqués, mais toujours pour servir de carburant à la machine répressive. Les gouvernants s’alignent toujours plus sur les positions des plus autoritaires – voire des plus fascistes. Sous la diversité de leurs masques se cache le même visage : celui de propriétaires qui doivent faire accepter les attaques sociales et enfermer en masse pour défendre leur propriété et l’ordre en place. Populiste-fasciste ou libéraux-autoritaires font mine de s’opposer. Mais quel que soit le type de bourgeoisie qui accède au pouvoir, les objectifs économiques restent les mêmes : sans cesse maintenir le taux de profit des grandes entreprises dans un capitalisme en crise perpétuelle. Pour y arriver, y a pas trente-six solutions : pression sur les salaires, disparition du salariat et des droits qui vont avec, privatisation des derniers services publics.

    Dès lors, prisons et tribunaux sont les armes essentielles du bloc bourgeois : la justice n’est pas là pour « rendre justice », elle est là pour appliquer leur loi et la prison sert à stocker toujours plus de pauvres : le nombre de prisonniers a doublé en quarante ans. Elle met aussi la pression à tous les autres chômeurs – avec ou sans papiers. Et cette « armée de réserve du capital », comme disait l’autre, sert à son tour à maintenir la pression sur celles et ceux qui ont un taf. Si tu refuses du travail, si tu as des revendications, y a du monde qui attend pour prendre ta place. L’État ne poursuit pratiquement que des faits qui découlent de la misère… et aussi, à la marge, quelques contestataires, syndicalistes et militants qui prétendent encore défendre la solidarité et l’émancipation. En augmentant les capacités d’enfermement, les constructions de nouvelles prison en cours font peser une menace sur celles et ceux qui vivent autrement que dans les normes, par choix ou par obligation. Évidemment, il n’y a pas eu un seul candidat pour s’offusquer du dernier – colossal – programme de construction de nouvelles prisons.

    L’EXTRÊME DROITE, C’EST PAS QUE DES IDÉES, C’EST DES PRATIQUES !

    Macron a fait du bon boulot pour qu’on le déteste : l’intégration de l’état d’urgence antiterroriste dans le droit commun, suivi de deux ans d’état d’urgence sanitaire, le vote de lois racistes comme la loi Asile et immigration ou la loi « contre le séparatisme ». Cette dernière ne peut que nourrir l’image apocalyptique d’une France au bord de l’implosion, traversée de prétendus désirs de sécession. Darmanin a même utilisé le mot d’« ensauvagement »… tout est dit : dans son camp les délinquants sont des animaux – et souvent des animaux venus de zones non tempérées. Et puis le gouvernement par ordonnance, l’explosion des amendes, l’extension du pouvoir administratif, l’assignation à résidence pour raison sanitaire, les yeux crevés, le tout sur fond de casse du droit du travail… Tout ça, c’est tellement brutal qu’Emmanuel a réussi l’exploit de « normaliser » Marine par comparaison elle qui prétend encore être « antisystème ». Certains arrivent à y croire, au point d’oublier que les Le Pen, c’est avant tout une histoire d’héritage, idéologique bien sûr, mais aussi en termes de ressources : un appareil politique, des amis nazis, un patrimoine financier, des réseaux d’entrepreneurs, de militaires… L’héritière d’un agent des services spéciaux militant de l’Algérie française et tortionnaire aime bien les petits chats ? Ça nous fait une belle jambe !

    Le fascisme prospère toujours sur la déception et les défaites des mouvements sociaux, comme lors de l’écrasement du mouvement des Gilets jaunes. Pas mal de gens se disent que finalement, c’est pas si grave. Derrière leur « tout sauf Macron », leur « Marine on a jamais essayé », leur « tous pourris, alors mieux vaut voter pour l’original que pour la copie », il y a ce répugnant calcul que les coups de matraques pleuvront en priorité sur d’autres côtes et d’autres nez. Que les Flashball ne viseront plus que les yeux des arabes, des noirs, des roms, des étrangers.

    LES UNIFORMES EN VEULENT TOUJOURS PLUS

    Ce gouvernement a demandé aux condés de briser des vies à un rythme rarement atteint jusque-là : en manif, dans les quartiers populaires. Leurs maîtres ont rarement autant dit à leurs chiens de garde combien ils sont nécessaires à leur survie. Lorsqu’en mai 2021, des milliers de condés ont manifesté devant l’assemblée nationale pour vociférer contre le prétendu « laxisme de la justice à l’égard des agresseurs de policiers » et réclamer des peines automatiques, c’est presque toute la classe politique qui s’est précipitée devant les caméras : le RN bien sûr, mais aussi Yannick Jadot (EELV), Fabien Roussel (PC), Valérie Pécresse (LR), et enfin, last but not least, le ministre de l’intérieur Darmanin Himself ! Alors forcément, ils ont pris la confiance – au point de convoquer quelques mois plus tard, le 3 février 2022, tous les candidats, des libéraux autodésignés aux autoritaires revendiqués, pour un « grand oral policier » devant leur syndicat majoritaire. C’est à qui les aime le plus, à qui leur promettra le plus : tout y passe, mais ça tourne toujours autour de l’impunité, du permis de tuer et de la simplification des procédures. Bref, autour de la promesse de planer toujours plus haut au-dessus des lois qu’ils sont chargés d’imposer aux autres.

    Ce n’est qu’adolescent que le porteur d’uniforme a parfois pu se raconter qu’il défendrait la veuve et l’orphelin ; adulte, il en fabrique, des veuves et des orphelins. Comme leurs modèles policiers, les syndicats majoritaires de surveillants pénitentiaires couvrent les violences de leurs agents et revendiquent de plus en plus ouvertement leur guerre aux prisonniers. Un uniforme sur deux au moins a voté pour l’un des deux candidats fascistes du bloc bourgeois au premier tour. Pas mal de flics et de matons rêvent déjà de l’étape d’après, et préparent les milices de demain pour faire le sale boulot du capital. On en voit depuis longtemps les prémices : par exemple, des fascistes proches de la famille Le Pen ont déjà bien commencé à s’implanter depuis des décennies dans des groupes de sécurité privée.

    LES PRISONNIERS CONNAISSENT LE FASCISME

    Dans les yeux des matons, les prisonnier.es ont vu passer les mille nuances du fascisme. Du mépris à la haine, de la vexation à la torture, les matons sont les gardiens d’une institution totalitaire, puisque son emprise s’étend sur tous les aspects de la vie. Elle pratique le fascisme en actes : arbitraire, brutalité, bureaucratie, terrorisme moral, déshumanisation. Elle contribue ainsi à l’idéologisation d’une frange du prolétariat contre une autre, de sorte que nombre de matons se revendiquent ouvertement du fascisme ; ceux-là, sont évidemment les plus dangereux. Il n’y a pas en prison « des conditions de vie dégradantes » ; c’est la condition d’enfermé dans une institution totalitaire qui est dégradante en soi. En novembre dernier, au procès des meurtriers de Sambaly Diabaté, on a vu une équipe de surveillants tortionnaires qui ont eu les coudées franches pour tuer un prisonnier. La justice a validé leur geste. Jusqu’à ce jour, ils continuent d’exercer leur pouvoir sur les prisonniers au quotidien.

    Au moment où l’horizon s’assombrit, il devient plus que jamais nécessaire de faire entendre les voix des enfermé.es. Elles ne s’indignent pas, elles savent trop bien – jusque dans leur chair – qu’il n’y pas de frontière entre légalité et barbarie. De la prison, on a malheureusement un point de vue de choix pour comprendre et tenter de combattre le fascisme qui vient. Un des principaux objectifs de L’Envolée, c’est de ramener la question de la prison et de la justice dans les luttes sociales contre le capitalisme autoritaire et le fascisme qui gangrène la société.

    SOMMAIRE 55

    3 / « Voilà », poème de Nazim Hikmet

    4 / « Ne pas se rendre ! » : édito

    6 / « Pourquoi je fais la grève de la faim », par Libre Flot

    11 / « Enfin sorti du QI ! », par Kémi

    12 / « On a pas été jugés, on a été préjugés » : Récit d’une révolte au centre de rétention du Mesnil-Amelot

    15 / « Rejetée et refusée ! », par J.

    16 / « Libérez les grands frères ! » : Criminalisation du mouvement social en Guadeloupe

    « Association de malfaiteurs ? » , par Oneel

    20 / Covid au placard, encore une couche d’arbitraire

    Lettres de Francis et de Bliss

    24 / Distribution de permis de tuer au tribunal de La Rochelle : Récit du procès des surveillants responsables de la mort de Sambaly Diabaté à la centrale de Saint-Martin-de-Ré

    30 / Mortel refus de soin à Séquedin : Le médecin en charge d’Adil Taychi acquitté

    « Il n’a pas pris perpète, il a été condamné à mort », par Anne

    32 / La prison a tué Yvan Colonna

    34 / « Je suis à moi seul une prison », par Francis

    37 / « On stagne au jour de notre incarcération », par Céline

    38 / Brèves du fascisme judiciaire en marche : Dissolutions en rafale, procès contre des antifas, Claudio Lavazza toujours enfermé, rebelles italien·ne·s menacé·e·s d’extradition, nouvelle taule à Muret

    41 / Publications

    42/ Saluts ! Où nous trouver, où nous écouter, où nous écrire

    Le journal coûte 2 euros, parce qu’il est gratuit pour les prisonniers et prisonnières.
    Abonnez-vous en soutien pour recevoir les futurs numéros, ou pour commander les 54 autres numéros : L’Envolée journal – FPP, 1 rue de la Solidarité – 75019 Paris ou contact@lenvolee.net

  • Le n°54 est arrivé ! Sommaire & édito

    Le n°54 est arrivé ! Sommaire & édito

    Il est presque rentré partout à l’intérieur, et chez tous les abonnés ! Abonnez-vous et/ou commandez-le via contact@lenvolee.net ! Retrouvez les lieux de dif’ en cliquant ici. Au sommaire :

    Télécharger le numéro

    La majorité ? – p.3

    « L’émotion est à son comble », lettre de Nadia – p.5

    La peine de mort n’a jamais été abolie, des prisonniers troublent la fête d’anniversaire – p.7
    * Lettres de 2021 de L’Infâme, Francis, Mounir, Daniel et Kémi

    Matons violents en procès et familles en colère – p.15
    * Homicide à la centrale de Saint-Martin-de-Ré
    * « On en a marre qu’ils salissent nos défunts » par Charlotte

    A l’isolement – p.18
    * « La nécessité d’une mise à jour », lettre de Libre Flot
    * « Le QI peut abattre même les plus durs d’entre nous », lettre de Mickaël

    Des nouvelles de l’ami Papillon – p.25

    Traque, enfermement, expulsions… Violence d’état contre les étranger·e·s
    – p. 26
    * « La pénitentiaire disait… », lettre de J.
    * « A chaque avion qui décolle, on panique », entretien avec S.
    * Refus de test PCR, par La Sellette
    * Une expulsion en quatre-vingts tours du monde, par B.

    « On ne se met pas à la place de la personne retenue en Ehpad »
    , entretien avec Christine R. – p.34

    Lettre ouverte d’une Gilet jaune contre la répression,
    par Nia – p.36

    Notes sur le procès des révoltes provoquées par la mort d’Adama Traoré en 2016 – p.38

    Transphobie en prison
    – p. 42
    * « Criminaliser les femmes qui se défendent » à propos du procès de Jennifer
    * « Je ne me sens plus en sécurité depuis l’agression que j’ai subi », lettre de A.

    Covid ou pas covid, ce qui ne varie pas, c’est le mépris – p. 45

    « J’ai écouté l’émission, j’ai été très ému », lettre de Y. – p. 46

    Coin lecture – p. 47

    Merci à Nia, Léo, Laurent, Svink et aux colleur·euse·s pour les illustrations du numéro !


    Édito L’Envolée 54 – novembre 2021

    S’il y a bien un « lien indissoluble entre la dictature et la peine de mort » – dixit Robert –, qu’en est-il du lien indissoluble entre l’État – sous quelque forme qu’il se présente – et la violence systémique de ses agents en armes ? Entre l’État et la torture blanche soigneusement invisibilisée dans ses prisons ?
    Toutes les prisons sont des couloirs de la mort ! Nous avons tenté de faire vivre cette vérité avec la sortie d’un livre, des discussions publiques, des affiches sur les murs…


    Au même moment, le budget pénitentiaire 2022 était examiné à l’Assemblée nationale et, toujours sans surprise, «l’extension du parc immobilier pénitentiaire» concentre l’immense majorité de ces fonds publics. L’autre gros poste de dépense, c’est la sécurisation des prisons. À croire que les conclusions des États généraux de la justice ont déjà été tirées : c’est la poursuite du programme pénal amorcé à la fin des années 1970, avec toujours plus d’enfermement préventif, plus de délits mineurs poursuivis et des peines qui s’allongent. Ce budget s’inscrit tout simplement dans la continuité d’une politique de surenfermement de la population : 49 000 prisonniers en 2001, 70 000 en 2020, 80 000 à l’horizon 2027 – sans aucun lien avec une quelconque évolution de la démographie ou de la « délinquance ». Le lien, c’est du côté de l’appauvrissement du plus grand nombre qu’il faut le chercher, tandis qu’une frange non négligeable de la grande bourgeoisie en profite en assumant de plus en plus ouvertement l’option fasciste.


    « Il faut s’opposer au passe sanitaire qui nous habitue un peu plus au contrôle de nos déplacements », tentent de crier des manifestant·e·s. C’est vrai… mais nous nous sommes bien habitués aux tentes d’exilés lacérées par des fonctionnaires de police ; nous nous sommes habitués à laisser crever des gens trente ans en prison ; nous nous sommes habitués à voir dissoudre des associations « islamistes », « gauchistes », « islamogauchistes »… Nous nous sommes habitués à ce qu’on bâtisse des murs pour éloigner les usagers de drogues ; nous nous sommes habitués à ce que les mots changent de sens et qu’« antifa » veuille dire fasciste dans la bouche des éditorialistes de garde ; à entendre un ministre des migrations proférer que les « murs des camps protègent les migrants »…


    Nous nous sommes habitués ? Qui ça, « nous » ? La « majorité » ? Ça reste à voir ! Des collectifs s’organisent ici et là contre les constructions de prisons à venir, des prisonniers et des prisonnières continuent de se battre à l’intérieur ; des Gilets jaunes mutilés, des proches, tués au mitard ou dans la rue par la police s’organisent pour combattre la violence de l’État ! Et ça fait tout de même du monde !

    L’Envolée se veut un porte-voix pour les prisonniers et prisonnières qui luttent contre le sort qui leur est fait. Le journal publie des lettres, des comptes rendus de procès, et des analyses sur la société et ses lois. Il prolonge le travail mené par des émissions de radio qui maintiennent un lien entre l’intérieur et l’extérieur des prisons, hors du contrôle de l’administration pénitentiaire (AP).
    Le journal est réalisé par des ex-prisonnier·e·s, des proches de prisonnier·e·s et d’autres qui savent que la prison plane au-dessus de nos têtes à tous. Il est primordial de faire exister la parole des prisonnier·e·s qui sont les mieux placés pour décrire leur quotidien, dénoncer leurs conditions de détention, les violences qu’ils et elles subissent et critiquer la prison.
    Une parole qui sort de la prison constitue un acte politique qui dérange l’ordre des choses, surtout quand cette parole est collective. Nous sommes convaincu·e·s que les mots inspirent et nourrissent la lutte contre la justice et l’enfermement. La prison est le ciment nécessaire à l’État pour permettre au capitalisme de se développer.
    Prisons et justice servent principalement à enfermer la misère. En jouant son rôle de repoussoir social, l’enfermement carcéral produit la peur nécessaire au maintien de cette société. Ainsi la prison sert aussi à enfermer dehors. Ce journal existe depuis 2001 malgré les censures de l’AP, malgré les poursuites pour diffamation, malgré nos faibles moyens. Nous ne comptons que sur l’argent des abonnements extérieurs et des événements de soutien pour le financer. N’hésitez pas à écrire, à vous abonner et à abonner vos proches : pour les prisonniers et les prisonnières l’abonnement est gratuit.

    Les décisions administratives refusant à une personne prisonnière de commander une revue ou de la détenir peuvent faire l’objet d’un recours administratif.
    Règlement intérieur type, Article 19, annexe de l’article R57-6-18 du Code de Procédure Pénale

  • Le journal L’Envolée n°53 est sorti !

    Le journal L’Envolée n°53 est sorti !

    Le n°53 du porte-voix des prisonniers et prisonnières, et de leurs proches, qui luttent contre le sort qui leur est fait, est sorti. Il est envoyé gratuitement aux personnes enfermées qui le souhaitent. Pour les autres, vous pouvez trouver les 56 pages du dernier numéro pour 2 euros dans les bonnes crèmeries, ou vous abonner. Toutes les infos en cliquant ici.

    Au sommaire :

    • Le ministère et l’administration pénitentiaire voudraient faire taire l’Envolée, les prisonniers et leurs proches.
    • Lettre de l’Infâme, au quartier d’isolement (QI) de Vendin : « C’est hallucinant les trucs qu’ils inventent pour justifier les actes odieux et injustes ».
    • La peine de mort n’a pas été abolie, c’est la guillotine qui a été supprimée !
    • Lettre de Libre Flot, au QI de Bois d’Arcy : « L’isolement est à la solitude ce que la lobotomie est à la méditation ».
    • « Ici c’est Marseille, bébé » : Des prisonnières des Baumettes contre les violences et le sexisme des matons.
    • Pour un féminisme anticarcéral. Contributions à la réflexion.
    • Le COVID, on pensait que c’était une maladie.
    • L’AP nie l’identité de genre des prisonnier.e.s trans : « En prison c’est homme ou femme ».
    • Tour des structures d’enfermement pour mineurs : le parcours de Jul.
    • Superdupont sucre les remises de peine « dans la dignité ».
    • … et pas mal de brèves.

    Télécharger le numéro

    L’édito de ce numéro 53 :

    Et ça recommence… Quand Olive proposait pour la énième fois de commencer l’édito par cette phrase, on se marrait, mais on ne trouvait pas mieux !
    L’inflation sécuritaire, ça ne date pas d’hier. Alors quand Macron déclare dans la presse que « chaque français verra plus de bleu, de policiers sur le terrain en 2022 ; ça rassure les gens, ça dissuade les délinquants »… ça fait surtout démagogie d’Etat pour les nuls.


    Prétendre en finir avec l’irresponsabilité pénale – vieille obsession inlassablement ressassée par les vengeurs d’Etat ! Faire aboyer son ministre de l’intérieur, petit Thiers des temps modernes qui, étudiant à Science Po, se faisait appeler « El Tiranos » et se vantait de « regarder les strings qui dépassent » ! En donner toujours plus aux condés qui manifestent contre une justice soi-disant laxiste parce qu’elle a osé acquitter quelques gosses dans l’affaire de Viry-Châtillon ! Envoyer son ministre des tribunaux et des prisons à la télé pour faire les gros yeux à Marine Le Pen qui « dit n’importe quoi, moi je vais vous dire ce qu’on a fait : on a pas du tout libéré 15 000 personnes, on en a libéré 6 000, qui étaient à un mois de la fin de leur peine » ! Ce que les prisonniers ne cessent de répéter depuis le premier confinement finit par être confirmé par le ministre lui-même – faux ténor, mais vrai populiste ! Mais bon, campagne présidentielle oblige ; et une campagne, c’est fait pour dire de la merde – oups ! –, pour rassurer les braves gens en les inquiétant à mort !

    Pas surpris, on vous dit !
    Sauf que…
    les condés qui pleurent, ils viennent à peine d’obtenir une nouvelle loi sécuritaire – le treizième « paquet » quand même depuis 2001 ! Sauf que… l’extrême droite a pris ses quartiers sur les plateaux de télé H24 ! Sauf que… une brochette de vieux militaires puant l’Algérie française menace dans la presse de prendre les armes pour sauver la Patrie ! Sauf que… loi contre le prétendu « séparatisme », avec extension du droit de dissoudre les associations ! Sauf que… fermeture des frontières et six mois en centre de rétention pour les sans-papiers ! Sauf que… nouvelle loi contre le terrorisme dans les tuyaux, avec fichage des internés en psychiatrie… sauf que… sauf que…

    Alors oui, ça continue…
    Mais ça s’accumule, ça s’emballe. Il sent pas bon, l’air du temps ! Il pue la guerre même ! Guerre au terros, aux virus, aux étrangers, aux délinquants… des guerres qui masquent les véritables antagonismes : diviser pour régner.
    Jamais on ne les entend parler de la guerre de classe en cours, dont la réforme du chômage illustre la violence.

    Si en un an, on n’a pas compris grand-chose à ce virus, les gouvernants ont bien compris, eux, comment profiter de l’épidémie. Ils avancent vite contre une population qui s’épuise à intégrer – ou contourner – chaque nouvelle règle avant qu’elle ne soit remplacée par la suivante.
    Comme toujours, les seules vraies « zones de non-droit » sont celles de la grande bourgeoisie qui trinque au champ’ dans des restaurants clandos ambiance Napoléon et se torche le cul avec les règles sanitaires qu’elle impose à une population infantilisée. Des hommes et des femmes envoyé·e·s au turbin dans des conditions toujours plus infâmes dans l’attente d’un hypothétique après. « L’essentiel étant de survivre, acceptez tout ! » Mais il n’y a pas d’après ; juste l’effondrement social qui se poursuit. Juste ça…

    Avec ou sans covid, ce sont toujours les plus pauvres et les immigré·e·s qui meurent d’épuisement, d’isolement, de manque de soins. Comme on meurt toujours en prison dans l’indifférence générale !
    Le covid camoufle cette crise sociale, et fournit de nouveaux moyens légaux d’écraser les soulèvements qu’elle ne manquera pas d’occasionner demain et de réprimer les combines d’une population massivement mise au chômage ! Pas un complot : juste une aubaine pour des gouvernants qui se dotent d’un arsenal sanitaire pour compléter leur arsenal sécuritaire.
    Quand des centaines de milliers de Gilets Jaunes se sont soulevés contre la crise économique qui était déjà là, ce même gouvernement de Versaillais les avait écrasés, mutilés, enfermés ! Le voilà, le sens de la construction de 7000 nouvelles places de prison, de l’autorisation de Flash-balls dans les coursives, de la multiplication du recours à la visioconférence pour les jugements, de la suppression des remises de peine, du maintien des Plexy dans les parloirs… Dans les années à venir, l’Etat, qu’il soit d’extrême droite ou d’extrême centre, voudra enfermer encore plus de monde, plus brutalement, plus longtemps. Enfermer les « classes dangereuses » est un vieux projet ; c’est le leur. Se battre aux côtés des prisonniers, contre la prison et le monde qui la génère : voilà le nôtre.

    La censure que nous venons de subir et le procès qui nous est intenté ne font que renforcer notre détermination à relayer les combats des enfermé·e·s et de leurs proches. « Notre problème c’est pas l’article 24 [qui interdit de filmer la police] c’est le 17 [ la police] », affichaient certains manifestants contre la loi de sécurité globale l’hiver dernier.
    Notre problème, c’est aussi tous les autres articles ; c’est la Loi, en somme. C’est la sécurité. La commune n’est pas morte !

    La dernière page du numéro 53 :

  • Y a que la vérité qui blesse !

    Y a que la vérité qui blesse !

    Communiqué du journal L’Envolée suite à la censure du n°52 dans les prisons françaises.

    Le 4 janvier dernier, par une « note de la direction » placardée dans toutes les prisons, l’administration pénitentiaire (AP) a interdit la diffusion du n° 52 du journal L’Envolée aux prisonnier·e·s abonné·e·s ; en même temps, elle a porté plainte pour diffamation et injure. Depuis vingt ans, L’Envolée soutient que les prisonniers, les prisonnières et leurs proches sont les mieux placés pour énoncer quelques vérités sur la prison. À travers cette censure et cette plainte, il s’agit de réduire au silence cet espace de libre expression, d’information et d’élaboration collective d’une critique de la prison.

    L’Envolée publie des textes et des lettres qui décrivent le quotidien carcéral, dénoncent les conditions de détention et luttent contre l’enfermement. Notre journal est un porte-voix pour celles et ceux qui ont été mis au ban de l’humanité ; en effet, aucune parole de prisonnier·e·s ne peut être rendue publique hors du contrôle de l’administration pénitentiaire : conversations téléphoniques et parloirs peuvent être écoutés ; les courriers sont lus systématiquement et les passages « dérangeants » censurés. De plus, pour trop de gens à l’extérieur, toute parole sortie des prisons est forcément une parole infâme, toujours suspecte d’exagération ou de mensonge.

    Les pages mises en cause par l’AP reviennent sur plusieurs morts en détention.

    Le 9 septembre 2020, Idir est mort au quartier disciplinaire de Lyon-Corbas – deux semaines avant sa sortie. L’AP affirme qu’il s’est pendu mais sa famille et ses proches ne croient pas à cette version, qui est aussi mise en doute par des témoignages de prisonniers.

    Le 14 avril 2018, Jaouad a trouvé la mort au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses. Ses voisins de cellule ont immédiatement dénoncé un « meurtre maquillé en suicide » et mis en cause une équipe de matons violents, qu’ils appelaient « l’escadron de la mort ».

    Il est aussi question de la mort « suspecte » de Sambaly à Saint-Martin-de-Ré en 2016, et de Jean-Christophe Merlet, un prisonnier handicapé à vie après avoir été roué de coups par une équipe de surveillants de cette prison.

    C’est à l’administration pénitentiaire de prouver qu’aucun de ses agents n’humilie ni ne tabasse ceux dont elle a la garde.

    Tous les trois jours en moyenne, l’administration pénitentiaire signale une nouvelle mort au sein de la population pénale. Administrativement, les prisonniers et les prisonnières sont « sous l’entière responsabilité de l’AP » ; il s’agit donc – a minima – de non-assistance à personne en danger. Quand une personne enfermée met fin à ses jours, c’est bel et bien la prison qui la tue, car le choc de l’enfermement, les conditions de vie inhumaines et la longueur des peines plongent certains prévenus et condamnés dans le désespoir.

    Mais ceux et celles qui connaissent la réalité carcérale pour l’avoir éprouvée dans leur chair parlent parfois de « morts suspectes » à propos de certains suicides en prison. Des surveillants pénitentiaires humilient et tabassent à l’abri des hauts murs des prisons, particulièrement dans les quartiers disciplinaires (QD) et dans les quartiers d’isolement (QI) ; et trop souvent, des prisonniers meurent. Les prisonniers et les prisonnières savent ce qui les attend quand ils et elles dénoncent ces violences : intimidations et punitions implacables. Ils sont souvent mis au cachot, ou font l’objet d’un transfert disciplinaire, ou les deux.

    Lorsque des proches ne croient pas à la version officielle après un décès en détention, l’AP et la justice invoquent tantôt des « problèmes de santé », tantôt une « consommation de stupéfiants », bien souvent des « troubles psychiatriques »… et presque toujours des « violences à l’encontre des surveillants ». Comme celle des prisonniers et prisonnières, la parole des familles est presque invariablement reçue avec méfiance ; quand ce n’est pas avec mépris.

    Là où la parole est censurée ; là où les prisonniers sont punis s’ils dénoncent ce qui se passe ; là où les seules images disponibles sont celles de l’AP ; là où les proches ne sont pas entendus… ce serait à L’Envolée de prouver la réalité des violences pénitentiaires dont elle se fait l’écho ?

    Eh bien non ! C’est à l’administration pénitentiaire de prouver qu’aucun de ses agents n’humilie ni ne tabasse ceux dont elle a la garde. Que ceux qui administrent la prison et ceux qui la défendent se chargent de démontrer qu’elle ne tue pas, que l’enfermement n’est pas indigne, que ce n’est pas une torture !

    Le journal a déjà été poursuivi, notamment lorsque nous avons publié des lettres dénonçant les pratiques des Équipes régionales d’intervention et de sécurité (Eris, ces surveillants cagoulés mobilisés pour réprimer les mouvements de protestation à l’intérieur des prisons), et quand des prisonniers ont dénoncé la torture blanche des quartiers d’isolement (QI, qui ont remplacé les QHS – quartiers de haute sécurité de sinistre mémoire).

    Comme chaque fois, nous ferons de la plainte à laquelle nous allons faire face une occasion de plus de faire entendre des récits et opinions sortis de ces lieux où une violence d’État s’exerce loin des regards. Puisque la prison reste un gigantesque angle mort de notre société, puisse la censure qui frappe aujourd’hui L’Envolée permettre à un plus grand nombre d’entendre enfin la voix des premier·e·s concerné·e·s !


    L’Envolée, le 29 janvier 2021


    Pour en savoir plus sur les morts suspectes de prisonniers évoquées dans le communiqué :