Depuis 1986 Philippe Lalouel a vécu en tout et pour tout 13 mois hors des murs… pour des vols.

Il sera à nouveau jugé par la cour d’appel de Montauban les 30 et 31 janvier 2014.

Philippe Lalouel est entré en prison en 1986. Il avait alors 20 ans. lors de son arrestation, il est blessé par la police, mené à l’hôpital, transfusé… avec du sang contaminé. Il prend huit ans et apprend en même temps qu’il est séropositif. Pour tenter de ne pas mourir du sida  en prison il tente de s’évader plusieurs fois et y parvient à deux reprises au début des années 1990. Pendant ces courtes cavales, il vole pour survivre en clandestinité. Pour ces faits commis sans violence, il écope au milieu des années 1990 de dizaines d’années de prison qui seront confusionées à… 25 ans.
En 2009, Philippe avait donc purgé plus de 22 ans de prison -dont 10 à l’isolement- quand il « bénéficie » d’une sortie sous le régime de la liberté conditionnelle. Sans préparation préalable, c’est ce que le jargon de l’AP nomme une « sortie sèche ». Sans aucun suivi, aucune aide, il est astreint à résidence dans un village de Haute-Garonne où il ne connaît personne. Son patron, qui touche de l’argent de l’Etat pour cette « réinsertion », le paye une misère et Philippe est logé dans des conditions qui lui rappellent sa cellule. Il est isolé, sans le sou, loin des quelques proches qui lui reste, inadapté à un monde qu’il ne connaît plus. Après quatre mois de cette vie qu’il décrit tous les jours dans un journal pour ne pas craquer ou devenir fou, il finit par aller voler de l’argent dans des agences postales de la région. Un arme non chargée, pas de violence, des sommes dérisoires…mais il est vite arrêté. Beaucoup de prisonniers -longue peine ou pas-, se suicident dans la situation de Philippe. Lui a volé.

Pour ces faits, en décembre 2012, la cour d’assises de Toulouse lui administre une « peine d’élimination sociale » selon les mots du procureur : 20 ans. Cette peine il ne commencera à la faire qu’en 2019, lorsqu’il aura purgé le reliquat de sa peine précédente (puisqu’il était en conditionnelle et que cette conditionnelle s’est trouvée révoquée par le fait que Philippe ait commis des délits)… absurdité de l’arithmétique pénale.

2039, c’est la date actuelle de sa fin de peine…

Philippe est aujourd’hui âgé de 46 ans. Il se bat depuis 26 ans contre le VIH. La santé en prison n’est qu’une chimère.

Le condamner à 20 ans, c’est en réalité le condamner à mort. Nous ne pouvons accepter que le justice condamne un homme à mort pour des vols…

Au nom de la « récidive », toujours : il a fauté plusieurs fois, cela ferait de lui un « braqueur récidiviste »…

Non, Philippe est avant tout un homme malade qui a toujours refusé de se laisser mourir entre quatre murs. Pour cette seule envie de vivre et de liberté, la justice, et elle seule, a créé un « récidiviste ». Et la prison a aujourd’hui pour tâche d’éliminer ce « récidiviste ».

https://www.facebook.com/pages/Soutienlalouel/328914967247966

L’Envolée a suivi le premier procès de Philippe en décembre 2012. Vous pouvez en lire le compte rendu ci-dessous. Depuis le premier procès Philippe a écrit souvent au journal.

Nous suivrons à nouveau le procès en appel de Philippe qui se tiendra les 30 et 31 janvier 2014  aux assises de Montauban.

 

Compte rendu du procès de Philippe Lalouel en première instance à la cour d’assises de Toulouse les 3 et 4 décembre 2012. 

paru dans le numéro 34 du journal L’Envolée (téléchargeable sur le site)

 

Lundi 3 décembre s’est ouvert aux assises de Toulouse le procès de Philippe Lalouel et Michel G. Ils ont braqué trois bureaux de poste entre le 27 février et le 23 avril 2010, date de leur arrestation. Philippe Lalouel est un prisonnier longue peine : vingt- trois ans de prison, dont onze à l’isolement. Une maladie incurable le pousse à se faire la belle plusieurs fois dans les années 1990 pour ne pas crever entre quatre murs. Fin 2009, il obtient enfin une libération conditionnelle de dix ans. Il passe quelques mois dehors, qu’il décrit ainsi : « je n’ai eu aucun suivi durant ma conditionnelle, j’étais dans un bateau sans maître à bord. » Philippe se retrouve dans un bled paumé de Haute-Garonne, logé dans une cave par un exploiteur qui s’engraisse sur les sortants de prison, avec interdiction de se rendre dans les départements où se trouvent ses proches : « Je suis à pied, je suis sorti de prison en survet’, le patron ne me paie pas. » Il est seul, il déprime, il confie à son frère : « J’étais mieux en prison qu’à Salies-du-Salat ». Il tente de contacter la JAP pour que sa situation s’améliore : « J’avais plus de juge d’application des peines : elle était en longue maladie. J’ai informé mon Spip [service pénitentiaire d’insertion et de probation], rien n’avançait. J’ai demandé à me rapprocher de Saint-Gaudens, c’était plus grand, il y avait plus de lumières. » Il fait la connaissance de Michel au casino – le seul endroit où il peut se rendre sans voiture pour tenter de briser son isolement. Michel est lui aussi dans la merde. Après vingt-cinq ans comme chauffeur de bus, l’explosion de l’usine AZF de Toulouse l’a rendu inapte au travail et il a été licencié. Tombé accro au jeu, il a cramé toutes ses indemnités au casino, il doit beaucoup d’argent… Ensemble ils décident de braquer des agences postales. Philippe souhaite investir dans un garage et vivre enfin quelques années peinard. Puis il rencontre une femme avec laquelle il envisage de s’installer. Il est sur le point d’arrêter quand les flics lui tombent dessus.

Vingt et un chefs d’accusation qui vont du bris de porte à la détention d’arme, en passant par le vol de voiture. Les deux accusés assument ensemble ce qu’ils ont fait : ils ont volé de l’argent à trois banques – environ 20 000 euros chacun –, parce qu’ils en avaient besoin. Ils l’ont fait sans violence et sans préparation particulière, avec un revolver rouillé, pas chargé, et une matraque télescopique. Une histoire banale, sans autre victime que des compagnies d’assurance. Un gant perdu dans la fuite, un ADN, des écoutes, des filatures : Philippe et Michel se font arrêter juste après leur dernier braquage. La police les a laissé faire pour les prendre en flag. Lors de son audition, l’officier de police judiciaire admet lui-même qu’ils prennent garde à ne blesser personne et qu’on n’a pas affaire à des braqueurs professionnels : ils agissent dans un rayon de 20 kilomètres autour de leur domicile. Leur culpabilité ne fait pas débat. La cour et les 6 jurés n’ont donc qu’une seule mission : fournir un tarif, en administrant une peine. Cette fois-ci, la justice n’a pas à se présenter comme une machine à établir la vérité. Trois jours durant, elle peut ainsi offrir le spectacle de la machine à punir qu’elle est réellement. Il s’agit de rendre monstrueux des actes qui ne le sont pas, de les relier à la « structure psychique » des accusés, de transformer des guichetières en victimes traumatisées et de faire de deux hommes sans le sou des braqueurs : construire de la dangerosité pour alourdir la note.

L’Envolée a suivi ce procès avec quelques amis. On ne se faisait pas d’illusions : tous les jours, les tribunaux distribuent des peines infinies pour des faits similaires ; mais le déroulement implacable de cette élimination légale, la violence de cette mise à mort par le Droit nous ont pris aux tripes. Philippe se rendait là comme à l’abattoir. Au fur et à mesure du procès, il a pourtant tenté de se montrer tel qu’il est réellement. Nous avons vu un homme sincère, digne, courageux, meurtri par de longues années de prison, mais toujours debout. Nous l’avons vu taper de plus en plus fort dans le mur qui se dressait devant lui, en vain. Pour s’arracher aux sables mouvants de la mascarade judiciaire, il aurait eu besoin d’une défense qui affirme une plus grande conflictualité devant la cour et ouvre l’espace pour que sa vérité soit entendue : s’il a fait autant de prison, ce n’est pas parce qu’il a le braquage dans le sang. Il s’est évadé, plusieurs fois, et il a dû faire des braquages pour survivre en cavale. Quelques mois dehors pour vingt-trois ans de placard, toute une vie enfermé ; la maladie et l’isolement comme lot quotidien ; et puis la claque de la sortie, la solitude, privé de ceux qu’il aime, le désarroi face à un monde qu’il ne connaît plus, Monique qu’il rencontre trop tard ; et puis aujourd’hui, les sept ans de sa conditionnelle qu’il a encore à purger, avant même ce jugement ; sa crainte de mourir en prison, sa fille qui lui manque. Le procureur a demandé qu’on « l’élimine du monde social ». Le jury a suivi ses réquisitions. Vingt ans . Huit pour Michel. Philippe a fait appel. Le lendemain de sa condamnation, il a été placé au quartier d’isolement de la maison d’arrêt de Seysses. Au moment même où il se bat pour son transfert en centrale, voici le récit de sa mise à mort.

Mise à nu

En quelques minutes à peine, le président Costet pose son ambiance : il marmonne les textes de lois qui concernent les jurés pour montrer qu’il est seul maître à bord. Il rappelle surtout que Philippe a agi en état de récidive légale et encourt à ce titre deux fois vingt ans, ce qui équivaut selon lui à une réclusion criminelle à perpétuité. Michel, qui n’a jamais été condamné jusque-là, risque quant à lui vingt ans. Au pas de charge, il impose aux 6 jurés sa lecture du dossier – auquel eux- mêmes n’ont pas accès – et fige une bonne fois pour toutes les deux accusés dans les rôles qu’il leur a attribués : Michel est l’amateur, bon travailleur qui a vrillé, flambeur un peu idiot embarqué dans une sale affaire par un pro du braquage. Philippe, lui, est un voyou, un manipulateur, sa carrière carcérale en est la meilleure preuve. Histoire que cette image s’imprime bien dans la tête des jurés, le premier après-midi d’audience est entièrement consacré aux litanies des « experts en personnalité ». Trois spécialistes se succèdent à la barre pour mettre à nu les accusés avant de les rhabiller avec les costumes taillés par le tribunal.

C’est à l’enquêteur de personnalité qu’est confiée la tâche de ramener, médiocrement, un semblant d’histoire sociale des accusés dans les « débats ». Ce sinistre retraité de la justice a frappé à la porte des connaissances de Philippe et Michel, parfois avec insistance, toujours avec mépris, pour traquer des informations sur leur parcours et construire cette fameuse « personnalité ». Enfance difficile, absence de père pour les deux, appât du gain… il brosse grossièrement le portrait attendu. Michel l’influençable, traumatisé par la catastrophe d’AZF, qui a fait une grosse bêtise à cause de son addiction aux jeux. Philippe le meneur, le braqueur endurci par la prison, qui « avait donc pris l’habitude de vivre sans travailler en s’appropriant le bien d’autrui ». Philippe tente vainement de briser cette image : « Je ne suis pas d’accord avec l’enquêteur, je rentre en prison, je m’évade, je suis malade. L’avenir pour moi, c’est un rêve, quel espoir je peux avoir ? » Conclusion de l’enquêteur : « Les événements prouveront qu’il n’en était rien de son amendement. Il a trompé tout le monde pour obtenir sa conditionnelle. » Aucune réinsertion possible.

Après le brave enquêteur, censé incarner pour les jurés le bon sens populaire, arrivent les vrais scientifiques : le psychiatre et la psychologue, qui prétendent faire visiter le cerveau des accusés à la cour. Des entretiens à la va-vite, quelques tests bidon – QI, Rorschach –, et le tour est joué. Dans leurs jargons respectifs, ils enchaînent les poncifs pour aboutir aux mêmes conclusions : des déterminations psychologiques implacables se sont mises en place il y a bien longtemps et personne n’a plus jamais eu prise dessus. À les en croire, tout ça ne serait au fond qu’une histoire de « colmatage affectif », l’enfance n’ayant pas permis « l’intégration psychique de la loi ». Si Philippe braque, ce n’est pas parce qu’il a besoin d’argent mais parce qu’il est dans une « quête identitaire » : ne sachant qui il est, il se réfugie dans la seule identité qu’il connaisse – le braqueur. La conditionnelle ratée devient la preuve du caractère irrécupérable de Philippe et non de l’échec de l’institution ou de la nature mortifère de l’enfermement. Il a beau en dire toute l’horreur avec une droiture et une justesse qui saisissent la salle – comme chaque fois qu’il prend la parole –, les vingt-trois ans de prison jouent encore contre lui dans ce schéma. « J’ai pris quatre-vingt treize ans de prison, et même avec les confusions ça fait peur. L’avenir se juge dans cette cour d’assises. J’ai fait onze ans de quartier d’isolement, onze ans de QI ! Une heure de promenade par jour, menotté, transféré, à manger la gamelle. Onze années de bouffe pourrie ! J’ai commencé à perdre l’usage de la parole. Aujourd’hui j’arrive à peine à dialoguer, mais j’aurai encore beaucoup à en dire. Je ne suis jamais sorti de prison. » Tout ça montre pour le psychiatre qu’il « refuse la sanction » et qu’il s’est « endurci » en prison. Une « personnalité limite », mais « pas de pathologie ». Réinsertion ? « Impossible ». Emballez, c’est pesé.

Mise au point

Au bout de cinq heures d’élucubrations à charge, le tribunal accorde quelques minutes à trois témoins cités par la défense de Philippe. Il faut bien préserver l’illusion de débats contradictoires. Enfin quelques mots amis – perdus dans cet océan de mensonges – pour tenter de faire comprendre aux jurés ce que cela signifierait d’infliger à Philippe les peines encourues alors qu’il a déjà sept ans à purger et qu’il est gravement malade.

Laurent Jacqua, qui le connaît de longue date, raconte : « Philippe est un ami avec qui on a eu la même destinée. On a tous les deux été emprisonnés à vingt ans, on est tous les deux atteints de graves maladies. A l’époque on ne voulait pas mourir dans les prisons, alors nous sommes entrés dans un engrenage, on s’est évadés, et lors de ces évasions on a commis des braquages. On était pas des gangsters mais des prisonniers malades. Parce qu’il faut bien comprendre qu’à l’époque, on voyait les autres prisonniers mourir en prison, et nous on voulait s’en sortir. Les médicaments sont arrivés plus tard, en 1996. On vivait avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, cette idée que la mort était imminente. À sa sortie de conditionnelle, Philippe n’a pas eu la même chance que moi : j’ai pu voir ma femme et mon enfant dès ma sortie alors que lui n’était pas autant entouré. Car il faut savoir qu’après vingt-cinq ans de prison, lorsqu’on sort on est détruit, surtout après des années d’isolement, de quartier d’isolement. Ça vous détruit. La seule chose dont il avait besoin, c’était d’un ami. Je veux faire comprendre que Philippe est un être humain, et pas un être froid qui va faire des braquages. Lorsque vous sortez de vingt-cinq ans, vous ne comprenez plus rien, c’est un nouveau millénaire. Il faut comprendre ce que fait la prison, mais il n’y a rien d’irréversible, j’en suis la preuve vivante. Le vrai danger de la sortie, c’est de ne pas avoir de soutien. Le plus dur pour une longue peine, c’est la première année. La plupart des prisonniers se suicident alors. »

Pierre est quant à lui venu témoigner de la correspondance qu’il entretient avec Philippe depuis qu’il a été réincarcéré : « Je me demandais ce que ça donnerait d’écrire à une personne qui avait fait vingt-trois ans de prison. Mais rapidement on s’est fait confiance. Je lui parle du monde de dehors et lui de sa vie de prisonnier, et de la manière dont il essaie de se sortir de l’identité de prisonnier qu’on lui a faite. Mais surtout, petit à petit, j’ai compris ce que c’était, vingt- trois ans de prison… j’ai un neveu qui a vingt-trois ans, donc c’est toute sa vie à lui. Ces vingt-trois ans, c’est tout ce que Philippe n’a pas vu, pas vécu, tous les gens qu’il n’a pas pu rencontrer. Malgré ça, on est devenus amis. C’est quelqu’un qui a braqué peut-être douze jours dans sa vie, et qui par contre en a passé des milliers enfermé. C’est en premier lieu un homme qui est prisonnier, et non pas « un braqueur. »

Sa compagne Monique, qu’il a rencontrée lors de sa sortie en conditionnelle, indique qu’ils avaient fait une demande pour habiter ensemble et qu’elle a été refusée. Elle rappelle aussi que l’employeur de Philippe était bel et bien un marchand de sommeil, raconte la chambre sans fenêtre, la paye qui ne tombe pas, les affaires de Philippe qu’elle veut récupérer chez lui après son arrestation mais qui ont disparu. Méprisant, le juge tente de la faire passer pour une sotte amourachée d’un voyou. Sans se démonter, elle rétorque qu’elle n’a pas rencontré « un braqueur », mais un homme touchant et respectueux, dont elle est tombée amoureuse. Elle décrit avec dignité leur rencontre, la misère extrême dans laquelle il se trouvait à l’époque, les joies de leur trop courte vie commune, puis les peines des trois années de parloir que la justice leur a déjà fait subir.

Mise à prix

Mais place aux parties civiles. Ça fait peu de temps qu’on leur donne cet espace démesuré dans les tribunaux, aux victimes. Elles sont là pour présenter aux jurés le visage de l’offense faite à la société, opposer le masque de la souffrance à celui du monstre. Leur douleur est prétexte à alourdir les peines. Les jurés doivent pouvoir s’identifier aux victimes, compatir, pour embrasser le rôle de vengeur qu’on attend d’eux. L’interminable litanie des souffrances justifie la longueur de la peine demandée ensuite. C’est l’aune à laquelle on évaluera le degré de souffrance à infliger en punition : une équivalence du mal. Agressif et narquois face aux témoins de Philippe, le président change de visage : il console, écoute, compatit ; il boit les détails, encourage les comédiens, en remet des couches sur le caractère irréversible des blessures intimes. On fait comme si ce n’était plus l’Etat qui punissait des atteintes au Droit et à la propriété, mais la société qui aidait des victimes à « se reconstruire ».

Défile donc le chœur des pleureuses. Elles ont peut-être eu peur, personne ne le nie ; mais, on le comprend vite, rien de bien dramatique. Aucune violence au cours des braquages. Les postières elles-mêmes admettent que Philippe a pris la peine de les rassurer : « Je ne vous veux aucun mal, je ne veux que l’argent. » Mais les victimes, coachées par eurs avocats, pensent avoir intérêt à exagérer leurs souffrances pour augmenter les dommages et intérêts. Elles jouent leur grande scène, en mode téléréalité : vision surréaliste d’une conseillère financière qui braque le président, ses doigts figurant l’arme, et détache ses cheveux pour montrer par où Philippe l’aurait attrapée. Au passage, elle se serait fait tirer les cheveux ! La belle affaire. Qu’il n’y ait pas eu violence physique importe peu, finalement. La « violence psychique », sourde, invisible, destructrice, suffit désormais. Ce qui compte, ce n’est plus le réel mais le ressenti. Voilà donc une cliente, dépressive au moment des faits, qui après avoir pris la matraque télescopique de Michel pour une mitraillette, sombre dans le silence, et perd 10% de ses capacités mentales… Son avocate larmoie : « sa vie est fichue, la vie de son mari est fichue, la vie de ses enfants est fichue. » Et ce directeur d’agence qui donne pour preuve de son traumatisme qu’il est justement retourné travailler le lendemain, parce que « quand [il va] mal, [il se] réfugie dans le travail » !

Dans cette phase du procès, comme dans toutes les autres, tout joue à charge. Les bureaux de poste sont tous tenus par des femmes : preuve de la lâcheté des braqueurs et du caractère prémédité de leurs actes, évidemment pas des politiques de recrutement de la boîte. Ils opèrent le matin : ils connaissent les horaires d’ouverture ! Philippe est décrit comme « nerveux » et « déterminé », ce qui atteste de sa « violence » et de son « professionnalisme ». Mais s’il avait été décrit comme calme, ça aurait sans doute fait de lui un être froid et calculateur. Même jeu de dupes pour le passage obligé des excuses : si tu n’en fais pas, tu passes pour un monstre insensible. Mais si tu en fais, tu es un hypocrite qui cherche à attendrir le jury. Tout ce qui sort de sa bouche est invalidé d’avance. Dialogue impossible entre le juge et Philippe : « – Je sais qu’on me croira pas mais je m’excuse. – Je pense qu’elle n’accepte pas vos excuses. – Je n’ai pas fait ça par plaisir après vingt-trois ans, et je suis désolé pour toutes mes victimes. – Vous n’avez pas la parole. – J’ai pas d’image de gentil braqueur à garder, j’ai encore dix ans, je sais même pas si je vais sortir vivant ! » Une fois le personnage construit, tout doit rentrer dans le costume trop étroit du bandit à supprimer. Pas moyen non plus de faire entendre à quel point cette conditionnelle était un enfer, et combien il était perdu : « J’ai passé onze ans isolé, même 26 000 euros, je sais pas ce que c’est ! – Qu’est-ce que vous avez fait de l’argent ? – Je m’achète une voiture parce que je suis à pied. Je suis sorti de prison en survet’, alors j’achète des habits. Quand j’ai fait des courses, j’ai vu comment l’euro, ça avait tué tout le monde. J’ai pas connu l’euro, moi, j’ai connu que le franc. » Ça énerve le juge : « Vous avez fait des courses comme tout le monde ! – Non, pas comme tout le monde : moi, je sortais de vingt- trois ans de prison. »

Mais pour le juge, pas question de se tromper de victime. Les parties civiles ont mis la dernière touche : le « braqueur » sème la souffrance sur sa route, et n’éprouve que des remords de circonstance pour tenter de réduire son ardoise. Tout est prêt pour l’acte final.

Mise à l’amende

Dernier jour. Défilent les deux avocats des parties civiles – qui demandent clairement que ces individus dangereux soient mis hors d’état de nuire –, l’avocat général, et enfin la défense.

Sans effort, l’avocat général Sylvestre ressert la version qui tourne depuis le début. Philippe est ce braqueur-né, multirécidiviste, à qui on a pourtant offert une chance inespérée en lui accordant une conditionnelle de dix ans. « Il a trahi la confiance de tout le monde. On ne va pas plaindre Philippe Lalouel d’avoir eu un appartement dans lequel il s’ennuyait, eu égard aux millions de travailleurs précaires qui ne sont pas pour autant des braqueurs et des délinquants. » La prison et l’isolement sont à nouveau utilisés à charge. Il égrène un long casier judiciaire, donne les évasions comme preuve de son inadaptabilité et de sa dangerosité. Paradoxe d’une justice qui, enfermant toujours plus longtemps, demande à ceux qu’elle a désocialisés totalement – un des fondements de la peine : sortir l’individu du monde social – de se réinsérer d’autant plus vite qu’ils ont été enfermés plus longtemps. Que les règles en cours dans le monde du dehors leurs soient devenues étrangères, que les modalités de la conditionnelle soient pleines de mortifères absurdités, c’est l’affaire du sortant. A lui de trouver les ressources surhumaines pour ne pas replonger. Et plus tu as fait de prison, et moins tu as les ressources pour survivre au dehors… moins on te pardonnera un écart. « Bien sûr, il faudra les reconnaître coupables et les punir. On ne va pas prendre de risques. Même si Philippe Lalouel peut m’être sympathique, c’est la conscience claire et le cœur serré que je réclame une peine d’élimination sociale. Vingt ans de réclusion criminelle. »

Elimination, le mot est lâché. On est loin de la réparation du crime : ce qu’il faut, c’est éliminer le criminel. Que dire après ça ? « Je ne pensais pas devoir un jour plaider contre la peine de mort, mais tel est le cas aujourd’hui », déclare l’avocat. « Avant même votre peine, M. Lalouel ne sortira pas avant 2020 – pas avant ses cinquante-cinq ans. Votre condamnation doit tenir compte de son retour à la société. Si vous le condamnez à dix ans, il sort à soixante-cinq ans. Je vous demande de le condamner à dix ans, dont cinq assortis de mise à l’épreuve. Si vous le condamnez à vingt ans, vous le condamnez à mourir en prison. » Malgré une plaidoirie émouvante et sincère, il est trop tard pour faire comprendre aux jurés qu’on ne juge pas là un braqueur endurci, mais un prisonnier longue peine, malade, désespéré, parti au braquage comme d’autres se suicident. Pour avoir une petite chance de les atteindre, il aurait au moins fallu les y préparer pendant les deux jours précédents : ridiculiser les expertises, dénoncer la morgue manipulatrice du président Costet, prendre les jurés à partie, revenir sans cesse sur ce qu’on juge en fait – des vols dictés par le besoin –, relativiser le traumatisme des victimes, imposer la parole de Philippe et de ses proches et attaquer frontalement les peines infinies et l’isolement carcéral.

Philippe, à qui on accorde les derniers mots pour sa défense, a la voix qui tremble : « C’est une condamnation à mort, que ce soit dix, douze ou treize ans. Je suis malade. Même si vous me rajoutez deux ou trois ans, je suis condamné. Je remets ma vie entre vos mains. J’ai une fille que j’aime- rais serrer entre mes bras hors de la prison, mais ce ne sera sans doute pas possible. J’ai une concubine qui vient me voir été comme hiver, et c’est dur. C’est pas facile pour elle. C’est dur de trouver les mots. Pourtant, j’avais réfléchi dans les geôles en bas mais là, j’ai pris un choc. Je remercie ma concubine, et les associations, et les amis qui ont été là. J’ai fait 14 ou 15 cours d’assises, mais là c’est la première fois que je suis touché comme ça. »

Mise à mort

Vingt et un chefs d’accusation, autant de votes sur la culpabilité ; puis le vote sur la peine, sans doute expédié en quelques tours. Trois heures de délibéré, qui restera secret. Le président a beau n’avoir qu’une voix comme ses assesseurs et les six autres membres du jury, lui connaissait le dossier ; il a dirigé les débats et dit à présent le Droit, donc la vérité. Le juge leur bourre évidemment le mou : ce n’est pas une condamnation à mort, parce que les confusions de peine, les suspensions de peine, les remises de peine, blablabla… Si bien que chaque juré peut voter le cœur léger. Non, il ne condamne pas quelqu’un à mort, puisqu’on lui dit que le Droit est là pour aménager la peine en fonction de la situation de santé de Philippe. Et puis la responsabilité individuelle est de toute façon diluée dans le vote.

Au nom du peuple français, Philippe écope donc de la peine d’élimination souhaitée par l’avocat général. Vingt ans, assortis d’une sûreté automatique aux deux tiers. Huit pour Michel, un de plus que ce qui a été requis. Une façon sans doute de lui faire payer sa solidarité avec son co-accusé, qu’il a refusé d’enfoncer au cours de l’audience et pour qui il a demandé la clémence des jurés. Sans doute aussi une façon pour ces derniers de ne pas imaginer Michel dehors peu après l’issue du procès : ça leur laisserait la désagréable impression de ne l’avoir pas puni, eux à qui on a confié le pouvoir immense et grisant d’exercer la vengeance sociale.

Philippe, digne comme il l’a été tout au long de cette sinistre comédie, s’éloigne avec Michel. Deux potes de dérive qui ont refusé de se renvoyer la faute, de jouer le jeu attendu par la cour. Respect.

 

 

 

 

 

 

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