Lettre de Michaël, maison d’arrêt d’Annoeulin (Lille)
Une fois qu’on est pris dans l’engrenage de la prison, commence le combat pour ne pas y laisser sa peau, que ce soit par le rapport de force avec l’administration pénitentiaire ou sur le terrain juridique, que ce soit par des actes individuels ou collectifs. Tout le monde espère sortir le plus tôt possible, mais obtenir des permissions de sortie et des aménagements de peine relève de procédures longues, complexes, et soumises à l’arbitraire des juges et de la matonnerie. Dans cette lettre envoyée à L’Envolée, Michaël raconte ce genre de parcours du combattant. Il évoque aussi des altercations avec les surveillants, le combat quotidien pour faire respecter les droits, la situation dans la prison récente d’Annoeulin, et les nombreux décès en détention.
« Centre pénitentiaire d’Annœullin*,
le 9 décembre 2013
(Je suis) incarcéré depuis 2003 pour un homicide qui m’a valu treize ans de réclusion criminelle. Peu après mon arrivée en maison d’arrêt (MA), j’ai eu un souci avec le chef de détention de l’époque Monsieur Lamotte. Au tribunal, je me défends comme je peux en disant et soutenant que je n’avais fait que me défendre. Résultat : huit mois ferme pour agression, insultes et menaces. N’étant pas d’accord je fais appel. En attendant l’appel, j’informe la commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS) de mon problème et ceux d’autres détenus du centre pénitentiaire (CP) de Maubeuge. Je passe en appel le 11 décembre 2003 à Douai qui confirme le jugement. Le lendemain de cet appel, j’apprends par le journal « La Voix du Nord » que le chef de détention ainsi que certains bricards et surveillants sont inquiétés par la CNDS, malheureusement trop tard pour moi mais assez tôt pour d’autres. Ces fameux lascars sont inquiétés pour violence envers les détenus, harcèlement et harcèlement sexuel envers des surveillantes du CP de Maubeuge. Me voilà maintenant à la tête de treize ans et huit mois à faire. Suite à ce problème, je suis transféré d’établissement en établissement. Trois, avant de pouvoir revenir à Maubeuge, où j’ai mes enfants, ma famille et mes amis.
Je continue mon petit bonhomme de chemin en ne laissant strictement rien passer au niveau de mes droits. De ce fait, j’ai la réputation d’être quelqu’un de très procédurier, et cela dérange. A tel point que les élèves surveillants ont ordre de ne pas me faire de fouille de cellule. De 2008 à 2009 j’obtiens des permissions qui se déroulent sans problème. Durant ce même laps de temps, j’essuie plusieurs rejets de demande d’aménagement de peine. En juillet 2009, j’obtiens enfin une réponse positive du TAP (tribunal d’application des peines) concernant ma demande de semi-liberté probatoire à la liberté conditionnelle. Je suis tout content de pouvoir reprendre une vie normale. Hélas, j’ai crié victoire trop vite !!! Je pars donc en semi-liberté le 27 juillet. Le parquet du tribunal de grande instance d’Avesnes sur Helpe réalise ce jour-là qu’ils ont oublié de faire appel de la décision. Ils me laissent donc partir en semi-liberté tout en interjetant appel de la décision. Je consulte mon avocat, il me dit qu’il n’y a aucune crainte à avoir par rapport à l’appel, que celui-ci a été fait hors délai légal. Je suis donc confiant et je commence mon travail. (…) La décision est mise en délibéré le 25 septembre 2009. Ce jour-là, mon avocat me téléphone sur mon lieu de travail pour m’informer que je dois retourner en prison car la cour d’appel a donné raison au procureur. Je ne suis pas d’accord avec ce jugement et après deux mois de semi-liberté, je n’ai aucune envie de retourner en détention. Je fais donc une chose idiote mais humaine, je ne rentre pas sur le lieu de semi-liberté. Me voilà donc en état d’évasion !!! Je vais y rester 53 jours car voulant voir mes enfants, je traverse la France entière pour me rendre. (…) Alors que le procureur demandait un an, je m’en tire avec seulement trois mois ferme car ils ne pouvaient pas faire autrement (message de fermeté et de rigueur par rapport au détenu). Me voilà donc de nouveau en prison, étant donné l’évasion, le greffe ne me signifie le jugement du 25 septembre 2009 qu’à cette date. Je m’empresse donc de faire un recours en cassation. Cela me coûte encore de l’argent mais la liberté n’a pas de prix.
Courant 2010, j’obtiens pourtant de nouveau des permissions !!! Allez comprendre. En 2011, j’essuie de nouveau des rejets de demande d’aménagement de peine. Pourtant, le juge d’application des peines (JAP) de l’époque, Monsieur Carlier, prend des risques par rapport à sa hiérarchie en disant que l’épisode de 2009 était en grande partie de la faute d’une procureur de la république n’ayant pas fait son travail en temps et heure (…). De ce fait, et avec cet appui, je redépose une demande d’aménagement de peine en octobre 2011. Accord du TAP mais appel suspensif du parquet. En décembre 2011, résultat de la cour d’appel qui confirme en tous points le jugement du TAP. Je repars donc en semi-liberté le 22 décembre 2011, tout se passe bien. Après quelques mois de régime de semi-liberté (…) je prends le risque de rouler sans permis de conduire courant mars 2011 afin de rester le plus longtemps possible avec mes proches. Ce qui devait arriver arriva, contrôle de police, garde à vue. À l’issue de celle-ci, retour de nouveau case prison avec perte et fracas. (Trois mois ferme). Je perds mon travail, les liens que j’avais retissé avec mes enfants. (…) Concernant les permissions, toujours rien à ce jour alors qu’il me reste quatre mois à faire!!! (…) Je suis donc en MA à Annœullin où les locaux sont très propres et bien mais comme tout est en cellule, il y a très peu de mouvements (douche en cellule). Pour aller n’importe où, à l’infirmerie, au sport, au parloir ou en promenade, il faut être toujours en présence d’un surveillant. Aucun mouvement seul n’est autorisé !!! Pourtant on est en 2013, il y a des discours pour soi disant responsabiliser le détenu et éviter la récidive, mais ici on régresse… On est à l’école maternelle…
Par ailleurs, durant cette incarcération, de 2003 à 2013, je n’ai jamais vu autant de morts que sur l’établissement de Maubeuge. Je n’ai pas assez de mes deux mains pour les compter, malheureusement. Le dernier en date remonte à un peu plus d’un mois. J’y ai même perdu un pote de vingt-et-un ans qui n’avait rien à faire au mitard où les faits amenant à sa mort ont eu lieu. J’ai toujours une pensée pour toi Fabien, l’année 2006 a été l’année de ton départ, trop tôt et surtout dans des lieux inappropriés. Malheureusement sur ces dix ans j’en ai vu plus d’une quinzaine partir à tout jamais. Je demande donc à tous ces parents qui ont perdu un être cher de ne jamais laisser tomber car avec le temps, les langues finissent par se délier. Je suis de tout cœur avec eux. Respect à vous !!!
À tous j’adresse un salut amical en disant que tout passe, certes ce n’est pas facile, mais il n’y a que les murs qui restent et ceux qui ont signé un contrat.
À bientôt, je vous ferai parvenir des nouvelles très prochainement en espérant qu’elles viennent de la liberté.
Amitiés à l’équipe.
Michaël »
* Les centres pénitentiaires d’Annoeulin (Lille) et Maubeuge (Nord) regroupent chacun une maison d’arrêt (MA) et un centre de détention (CD). Celui d’Annoeulin comprend aussi un quartier maison centrale (QMC) et un SMPR (service médico-psychologique régional).
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